Vous êtes actuellement sur le site : livres-mystiques.com © de Roland Soyer le 23/12/2008

VISAGE DU DRUIDISME

Chapitre XI


MAGIE DRUIDIQUE

 

 

J'appellerai « magie » la connaissance, la captation et l'utili­sation de certaines énergies subtiles de l'homme et de la nature, par des procédés distincts de ceux de nos sciences modernes, procédés dont certains laissent à entendre que ces énergies dépen­dent d'entités douées de vie et de conscience, sous des modes fort éloignés de ce que nous tenons ordinairement pour « vie » et « conscience ». Pour des raisons trop longues à exposer, j'en séparerai l'alchimie, quitte à y revenir plus tard, et l'astrologie judiciaire, qui m'éloignerait trop de mon propos.

Le monde « magique » se situe entre celui des forces spirituelles et le domaine de celles que nous appelons « physiques » — quoique les forces dont la magie se préoccupe puissent réagir sur ces dernières, entre autres sur notre électro-magnétisme et sur nos forces nerveuses ; monde de 1' « astral », du « psychique » et non du « spirituel » ou « pneumatique ».

Quelque opinion qu'on se forme sur la magie — et sans en discuter — constatons objectivement qu'elle fut enseignée et pra­tiquée de tous temps et sous toutes les latitudes.

Le premier pas dans cette voie, c'est la connaissance de l'homme invisible, de ses facultés, de ses moyens d'action. Les druides pratiquaient avec science ce qu'une certaine école moderne a baptisé « magnétisme personnel ». Ils étaient à peu près aussi avancés dans ce domaine que les anciens Egyptiens, avec lesquels ils avaient noué des relations d'un certain ordre, qui se maintinrent au moins jusqu'à l'époque des Hiqsos.

Comme eux, ils utilisaient couramment deux « magnétismes » distincts. Le premier est celui de nos modernes magnétiseurs. Le second, plus actif et plus subtil, est ignoré de ces derniers, encore qu'ils puissent parfois l'utiliser inconsciemment. Il est décrit assez clairement sur certaines figurations égyptiennes dont les repro­ductions s'étalent un peu partout.

         Les druides de Gaule, qui distinguaient avec soin l'esprit de l'âme, faisaient également le départ entre le corps fantômal, 1' « ombre » (égyp. Kheb-t), et le corps « astral », le « double » (égyp. Ka). Ils nommaient le premier *Rictu, « image fluidique » (irl. richt « forme » gall. rith « apparence, spectre »). Quant au second, dans leur enseignement réservé, il avait pour nom usuel Duovis « double ».

Envisageons maintenant d'autres aspects de leur magie. Dans le n° 113 de « Sciences et Voyages », un savant irlandais, Seamus McGall, a donné, sous le titre « Du nouveau sur les Dolmens celtiques », une série de vues du plus haut intérêt, basées sur une documentation en partie inédite. J'en résume l'indispensable, en engageant le lecteur à se reporter à l'original où je ne vois guère à reprendre que des idées contestables sur le sens de progression de la « chaîne européenne des dolmens ».

         L'auteur expose donc que le nom erse du dolmen était in-delb cloich « pierre des fantômes ou des esprits ». Sur l'utilisation magique des ensembles mégalithiques, il reproduit une phrase significative d'une vieux manuscrit irlandais : « Leurs initiés étaient sur leurs colonnes de pierre et sur leurs bancs de magie » « M. McCall a bien vu que les dolmens n'étaient pas spéciale­ment des tombeaux, mais des lieux réservés, fréquentés (j'ajou­terai : conditionnellement) par les esprits des disparus, dont les noms, gravés en ogham sur nombre de menhirs insulaires, sont toujours au génitif : « D'un tel, fils d'un tel » (sous-entendu : pierre ou mémorial), et jamais au nominatif : « Un tel, fils d'un tel».

Il rappelle que les cercles de pierres levées (appelés impropre­ment cromlechs) sont désignés en gaélique par un mot signifiant « anneaux de puissance ». Je dirai plus loin quelques mots d'une légende locale qu'il rapporte en l'interprétant un peu « à côté ».

         Il est facile de justifier étymologiquement in-delb (base : *DEL-DOL- « pétrir, façonner avec la main », selon un de ses sens, apparenté au gallois delw, « image, statue » (thème *DELVO-).

         Les dolmens, à vrai dire, n'avaient pas tous la même desti­nation : ils étaient « hantés » (ou plutôt « hantables ») lorsqu'ils étaient édifiés en l'honneur de disparus, susceptibles d'être « évolués » rituellement. Ils pouvaient être aussi « bancs de magie » lorsqu'on les dressait ou les utilisait pour quelque cérémonie initiatique, magique ou religieuse, ce dernier terme s'entendant tu sens de « culte public ».

         La phrase : « leurs initiés étaient debout sur leurs colonnes de lierre et sur leurs bancs de magie » pourrait être explicitée comme suit : les initiés druidiques formaient le cercle, chacun adossé à une pierre levée (et non « dessus »), les chefs au milieu, debout sur la pierre centrale (Mediocrarus), table ou parfois dolmen proprement dit. C'est cette position qu'ils occupaient dans le cercle de trilithes de Stonehenge. Là, lors des cérémonies publiques saisonnières, la foule des assistants se déployait autour de l'enceinte extérieure de pierres, dans la plaine de Salisbury, car l'entrée dans le cercle lui était interdite.

         Le nom d' « anneau de puissance » donné à ce cercle vaut qu'on s'y arrête. C'est l'équivalent, sous une autre forme, de la a cein­ture de Thor », qui multipliait la force du dieu nordique de la foudre. Nous avons là un dispositif de batterie en couronne. Et l'on sait que, dans les séances spirites, il est communément demandé aux assistants de « former la chaîne ».

 

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* *

 

         Si, dans l'ordre spirituel, un abîme séparait les druides ortho­doxes des autres, par contre, sur le plan « magique », leurs tech­niques étaient assez voisines dans nombre de cas. Sauf que les premiers s'interdisaient les pratiques relevant de la vulgaire sor­cellerie, - pratiques souvent dégoûtantes et trop souvent san­glantes, en quoi les druidesses et druides schismatiques étaient passés maîtres. C'est pourquoi, dans les deux camps, certaines techniques étaient semblables, bien que nous n'en ayons quelque idée que par des textes insulaires, surtout irlandais, et par leurs gloses. Par exemple :

- L'Airbe druad ou « barrière des druides », réalisée par accu­mulation fluidique ;

-   Le Snaidm druad, « nœud ou lacet des druides », pour lier temporairement une volonté. Son déchet ou sa parodie en sorcellerie fruste est le fameux « nouement de l'aiguillette » assez connu.

— Le Céo druidechta, « nuage du druidisme », consistait en ceci : le druide se dérobait aux regards en condensant autour de lui une nappe de brouillard empruntée à l'humidité atmosphérique.

         Un procédé divinatoire, courant dans les îles, était, en Irlande, le Crann-chur, « lancer du bois », identique au Coel-bren ou « bois de présage » des Gallois (cf. coelio, « jeter les sorts », « tirer augure »).

         Sur ce dernier, mille fantaisies ont été écrites, sous couleur de « bardisme ». Au vrai, coel-bren et crann-chur sont une des nom­breuses variantes de la vieille géomancie. L'on interprétait d'après les figures formées pas les branchettes retombées.

         Astronomes et astrologues, les druides n'utilisaient le plus sou­vent en magie astrale que les « influences » des Luminaires, tenant compte de certaines configurations pour la cueillette des plantes ou la préparation des remèdes. Le plus communément, ils se bornaient aux forces en action dans le système Terre-Lune. L'influx sélénique et le magnétisme tellurique avaient été étudiés par eux avec soin. L'on enseignait qu'à des périodes déterminées certains corps s'en chargeaient, dont quelques végétaux, particu­lièrement le gui.

         Par une technique et des rites appropriés, cette énergie était condensée dans certains mégalithes (non dans tous) dont on pouvait la soutirer ultérieurement, selon les besoins. De là, des règles d'érection et de consécration précises ; des interdictions aussi, car tout mégalithe « chargé » devenait « intouchable » au non qualifié, au moins temporairement, comme l'était, pour des raisons assez proches, l'Arche d'Alliance où l'on condensait l'électricité atmosphérique [1] .

         La taille et l'orientation des blocs (auxquels on évitait le contact du métal tellurique par excellence : le fer) n'étaient pas davantage livrées au hasard que leur emplacement. Le repérage des « lignes de forces » telluriques et de leurs « nœuds » (dont je reparlerai peut-être plus loin) était capital et supposait une connaissance de notre globe plus profonde que la nôtre, à de certains égards, quant à la physiologie et à la structure interne de la planète.

         Ainsi, les menhirs (certains, du moins), les « pierres ou colonnes d'adoration » des anciens textes irlandais jouaient un rôle assez analogue aux pylônes des temples d'Egypte, sans cesser de figurer, au symbolique, la « pierre tombée du ciel ». En d'autres termes, ils constituaient des antennes de captation, de canalisation et de condensation d'un certain « magnétisme », qu'on pouvait ensuite décoaguler, brusquement ou progressivement, selon l'emploi qu'on s'en proposait.

         Les druides savaient drainer également, dans un but curatif, le magnétisme et la survitalité des arbres de leurs forêts. Toute­fois, ils excluaient de leurs opérations la « médecine transplantatoire », vie pour vie, qu'utilise, encore parfois de nos jours, la magie rurale. Leur morale et leur philosophie de la vie s'y oppo­saient. Ce n'est pas à leur école qu'on aurait appris « qu'un chien vivant vaut mieux qu'un évêque mort » !...

         Parmi eux, les plus avancés seuls avaient maîtrise effective sur les éléments — et pouvaient le prouver un peu plus objectivement que par des bavardages philosophiques. Outre la lévitation des pierres, opérée, à de rares occasions, au centre d'une chaîne magnétique d'initiés (d'où, pour une part, les histoires de mégalithes qui vont boire au ruisseau voisin les nuits de Saint-Jean ou de Noël), ils savaient faire descendre le « feu de ciel » sur les offrandes, c'est-à-dire manier la foudre, comme le faisait Moïse, initié aux sciences réservées de l'Egypte. Ce dernier s'en servait au besoin pour mater les révoltes de ses ouailles regim­bantes, en s'adossant à l'Arche, équipée comme une bouteille de Leyde. L'Arche druidique, c'était le menhir mais non tout menhir !

         J'ai parlé du nom erse des dolmens : « pierre des fantômes ou des esprits ». Le génitif des inscriptions funéraires oghamiques montre qu'il ne s'agissait pas du corps ou des cendres du défunt, mais de sa psyché dont le mégalithe n'était pas la et demeure ». Simplement, il pouvait servir, le cas échéant, de base d'aimantation pour un rappel fugitif du « double ». Dans les cercles de pierres et sous certains dolmens ou allées couvertes, s'effectuaient les évocations magiques, soit de défunts, soit d'entités extra­humaines.

         A ce propos, Seamus McGall rapporte une « légende » pleine d'intérêt : dans la petite île, Innis Murray, était un menhir dont il est dit qu'une lumière chaude l'entourait durant la nuit et lors­qu'il fut détruit, « on trouva dedans un enchantement avec tête, jambes et bras ». Notre auteur assure qu'il n'est pas indispensable de croire à cette légende. Je suppose qu'il n'est pas davantage indispensable de n'y point croire...

         La lumière « chaude » (lisez : dorée) en halo ou aura magné­tique autour de la pierre était sensible à certains yeux, pas à d'autres. N'est pas voyant qui veut !... L' « enchantement » à forme humaine est un Sidhe [2] , fée ou esprit de la nature. C'était le « gardien » de la pierre, sensible, également, à certains yeux. Dans les tumuli, l'on évoquait le druide défunt avant son départ chez Nantosvelta [3] . Ce rite de l'adieu à l'âme ne se pratiquait en principe que pour les druides. Le 3e jour des obsèques, quelques frères en druidicat du disparu se réunissaient autour de l'Archidruide local dans l'allée couverte où reposait le défunt. Là, silencieux et immobiles, les assistants attendaient, tandis que leur chef, seul acteur, opérait rituellement et récitait les invocations. Au terme d'une attente plus ou moins prolongée, l’ombre du disparu se condensait, et un colloque télépathique s'engageait entre elle et l'officiant, souvent perçu par les assitants. Puis, l'évocateur prononçait les paroles du « renvoi », après avoir appelé la bénédiction d'En haut sur celui qui les quittait pour d'autres tâches.

 

  medaillon

 


[1] Je rappellerai que le nom du bétyle, équivalent du menhir, était chez les Hittites indo-européens, Huisas : (la pierre) vivante.

[2] Je profite de ce mot irlandais pour en rappeler le sens premier. Etymologiquement, Sidhe (*SEDIO)  s'applique à tout « lieu  occupé », mais a fini par se dire spécialement des tertres, pierres, bosquets, etc., où résident les « gens du Sidhe » (aes sîdhe). Ce peuvent être des décédés ou simplement des esprits de la nature (fées, dryades, etc...) ou encore des ombres pour ainsi dire « fossilisées » de faune préhistorique (dragons ou autres), la faune invisible étant au moins aussi diversifiée et foisonnante que la visible. Ce vocable a contaminé, en changeant d'île, un terme gallois qui ne lui devait rien Sidi, Sidydd (*SETI-, *SETIO-) qui signifiait d'abord « vaste » « immense » et, substantivement, « l'immensité, le monde ». Le mot irlandais l'a chargé du sens plus récent de « monde des âmes », « pays des fées », « royaume de l'Au-delà ». Si bien que Caer Sidi (qu'on rencontre déjà dans les poèmes attribués à Taliesin) a fini par signifier à peu près tout ce qu'on voulait bien y voir : Enfers, pays des morts, Voie Lactée, Zodiaque. De ce dernier sens, il me semble qu'on soit passé, avec le dérivé sidyll à celui de mouvement  circulaire, de révolution, de tourbillon.

[3] A ce propos, une remarque : Nantosvelta tient une longue hampe-enseigne, surmontée d'un simulacre de maison gauloise, image expressive qu'il est superflu de commenter. Son parèdre, Sucellos, tient, au  bout de la même longue hampe, un tonnelet (invention gauloise) empli, évidemment, de la « liqueur d'immortalité », dont la coupe ou le pot qu'il tient de l'autre main doit abreuver l'âme du défunt. On conviendra que tonnelet et gobelet sont des attributs qui se complètent. Mais, tardivement, avec la désastreuse assimilation du dieu gaulois au Dispater étrusco-romain, l'attribut principal du dieu n'a plus été compris et la hampe-enseigne a été transformée en manche du « maillet » supposé, puis raccourcie pour jouer ce rôle... qui n'était pas à sa taille. Le « dieu au tonnelet » était devenu le « dieu au maillet », nom sous lequel les érudits le désignent toujours. Une confusion presque analogue s'est pro­duite en égyptologie, où la hampe-enseigne du dieu (neter) fut d'abord prise pour une «hache». La méprise a dû être facilitée par le fait que le symbole fondamental du tonnelet n'excluait pas le ou les maillets, comme en font foi quelques figurations (un bronze de Vienne, entre autres). C'est que le « maillet » est un instrument de tonnelier aussi bien que de caviste. Et à cause de ce double emblème, tonneau, maillet, dont le sens spirituel n'était entendu que de quelques-uns, il se pourrait que Sucelos soit devenu en dernier lieu le « patron » de la corporation des tonneliers. La méprise touchant le « dieu au maillet » n'est pas unique. J'en citerai une autre prouvant que même l'écriture n'empêche pas les traditions d'être à l'abri des altérations des copistes : VOSEGUS, divinité secondaire qu'on peut traduire par protecteur (des montagnes) et qui est très proba­blement identique au fameux « dieu aux oiseaux » a donné son nom à nos Vosges. Par la suite retranscrit VOGESUS (forme de basse époque pour Vo-gaesus « aux deux javelots »), s'il nous a fourni Vosges (qui remonte bien à Vosegus) il a fourni aux Allemands l'appellation « die Vogesen » qui remonte à Vogesus, quoique un ancien toponyme alsacien : Wasigenstein, ait conservé chez eux le souvenir de la première et véritable formel En fait de méprises, je puis encore citer le fameux « corbeau » de Lyon. La fausse étymologie de Plutarque (Traité des Fleuves et des Montagnes) a fait renoncer bien des érudits au simple et clair témoignage de leurs yeux. On le voit dans le médaillon romain conservé à Lyon représentant Plancus et le génie de Lyon où la grue, très reconnaissable, qui figure ailleurs sur l'autel de Paris et le bas-relief de Trêves, est transformée, très doctement, en corbeau. Sous la reproduction que j'extrais d'un ancien numéro de la revue Lyon-Revue, on peut lire ce texte aberrant : Plancus et le génie de Lyon accompagné du corbeau.

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