Vous êtes actuellement sur le site : livres-mystiques.com © de Roland Soyer le 23/12/2008

VISAGE DU DRUIDISME

Chapitre V



LA GAULE , REFUGE DE L'ORTHODOXIE

 

Les premiers siècles du troisième millénaire sont marqués par d'importants bouleversements terrestres. Peu après la fondation de Tyr par les Phéniciens (— 2750), c'est l'irruption de la Manche et la formation du canal d'Irlande. Désormais, existent « les Iles Britanniques », entièrement schismatiques en Irlande, partielle­ment en Albion. Mœurs, ethnies et langages vont diverger de plus en plus. Les anciens groupements celtiques, déjà fortement mélangés, vont recevoir des apports de divers points de l'Ancien Monde et évoluer de façon distincte. Malgré des croisements antérieurs avec des immigrants d'un autre sang (dont témoignent les « longs barrows » où dominent les brachycéphales de taille médiocre) la population celtique continuait, dans son ensemble, la lignée des clans hyperboréens. Outre celui de « race de Nemed », c'est-à-dire « céleste », qui survivra dans les annales irlandaises, terriblement en désordre, les Celtes conservaient deux noms génériques, bien à eux :

— Gaideli, « Coqs », d'après l'un des noms de l'animal qu'une vaste fraction avait pris pour blason (lith. Gaidys, lett. Gailis « coq » ; -  Giedé « je chante » ; sansk. gâyati « il chante » et, plus générique encore, le nom de Kelti « braves, héros ».

Les insulaires conservèrent le premier (irl. Gaidel, gall. Gwyd-del), les continentaux s'en tinrent au second, qui les désigne en bloc jusqu'à l'arrivée des Gaulois et des Belges quelques siècles plus tard.

Deux siècles après (vers — 2500), le déluge dit « d'Ogygès » disloque la Thyrrénide et creuse une large échancrure entre la Calabre et l'Egéide. Coup sensible pour les descendants des Atlantes, décimés et en voie de dilution progressive dans des apports allogènes qui finiront par en faire un salmigondis ethnique et linguistique. Avec des apports et des circonstances autres, les Euskariens, Rouges aussi à l'origine, ne conserveront guère de leur langue initiale que le mécanisme.

Vers cette même époque, événement d'importance : une inva­sion mongole, déplaçant les peuples qu'elle rencontre, fond sur l'Europe. Les archéologues désignent ces immigrants sous le nom de « peuple de la poterie à cordelette », d'après leur tech­nique d'ornementation. Ces Asiates vont très loin. Certains, jus­qu'à ce que la mer les arrête. En maint endroit, ils laissent des îlots mongoloïdes (Bretagne, Morvan, etc.) que renforceront par­fois d'autres incursions préhistoriques ou historiques. Mais le gros de la horde s'agglomère dans le Jutland, récemment exondé, et le long des côtes baltes. Ce sont les Yotar et les Thursar des traditions Scandinaves, qui donneront du fil à retordre à Thor et aux Ases. Ces invasions et celles des Scythes (les Vanir des mêmes traditions) contribueront quelque peu à la formation de l'ethnie germanique.

Pour l'instant, la situation n'est guère enviable, du point de vue druidique. Les Orthodoxes formaient à travers la Bohème , le Norique, la Vindelicie , le massif Hercynien, la vallée de l'Elbe et le nord de la Gaule des groupements pour la plupart sans grande densité — un peu plus compacts en Gaule, en Bohème ainsi que dans le sud de l'île de Bretagne. Ces formations étaient en passe d'être noyées un peu partout dans le flot montant des schismatiques. Les nouvelles invasions venues de l'est allaient leur faire perdre encore du terrain, et leur regroupement deviendrait assez vite une question de vie ou de mort. S'opérait-il tardivement dans la hâte et le désordre, sous la pression extérieure ? Ou bien les tribus turbulentes, malgré leur particularisme, se résoudraient-elles à exécuter à temps le plan de reconcentration médité par les druides ?

Des siècles d'empoignades furieuses avaient fait du « chef de clan » le « chef de guerre », suscitant une féodalité remuante et brouillonne. Le druide, homme de paix, ne pouvait exercer sa fonction arbitrale et modératrice que dans la paix. L'état de guerre étant devenu, pour ainsi dire, l'état normal, il passait au second plan, conseiller toujours respectée, souvent écouté — mais plus rarement obéi malgré toute sa persuasion.

Or, liquider les querelles, rassembler les forces éparses, fédérer les roitelets sous un chef éduqué, choisi et contrôlé par lui, tel était, — tel serait jusqu'à la fin de l'indépendance gauloise — le plan politique du grand collège druidique !

Tandis que les Mongoloïdes s'installent en Finlande, au Jutland et ailleurs, apportant la copie en pierre de la hache de cuivre sumérienne, une invasion ibère prend pied en Irlande et édifie, pour miradors, les fameuses « tours rondes » de technique atlante ; rappelant plus ou moins les nuraghi de Sardaigne et les Talayoth des Baléares. Les pauvres Goidels allaient en voir bien d'autres, y compris une forte immigration sémitique vers — 900, à la suite du schisme des Dix Tribus (— 950). La même vague sémi­tique fournit à la Grande-Bretagne la peuplade des Silures.

Pendant que les druides songeaient aux moyens de rallier leurs ouailles, les schismatiques ne perdaient pas leur temps !... Tous les efforts de ceux de l'est vinrent converger vers l'Asie Mineure et la Mésopotamie : Hurrites, sémites à noyau dirigeant iranien ; Luwites, égéo-tyrrhéniens ; Guti touraniens ; Rassîtes, celto-égéens ; Hittites et, plus tard, Thraco-phrygiens et Peuples des Iles de la Mer , s'y combattent, s'y mêlent, s'y tassent, font refluer les Sémites nomades de l'Arabie et de Chanaan sur l'Egypte, fondant et pulvérisant empire sur empire.

Et nous voici au premier âge du bronze celtique (— 1900). C'est alors l'apogée de la civilisation égéenne, dont les Celtes sont débiteurs dans le domaine métallurgique et, à un moindre degré, dans les adaptations mythiques des Hellènes. La techno­cratie pélasgique semble à la veille d'imposer définitivement à ses voisins l'hégémonie de ses possesseurs. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres ! Vers — 1800 ? juste au temps où Hammourabi monte sur le trône et va faire rédiger son fameux Code — époque où toute l'orthodoxie du Proche-Orient tient sous les tentes d'Abraham et de Melki-Tsedeq, — une soudaine convul­sion sismique engloutit la majeure partie de l'Enéide, finit de dis­loquer la Tyrrhénide , donnant à l'Adriatique et à la Mer Inté­rieure leur aspect actuel, à peu de choses près. C'est le déluge (sans diluvium) consigné par les Grecs sous le nom de déluge de Deukalion.

Presque simultanément, une secousse d'un tout autre ordre ébranle le lointain Tibet : le schisme y triomphe sous la forme prébouddhique de ce qui deviendra peu à peu l'actuel Lamaïsme. Ce qu'on peut déceler de cet aspect premier du schisme semble impliqué dans le rituel et les cérémonies magiques du Bön.

En  revanche,  l'orthodoxie  druidique  marque  un  point  en Europe occidentale. Pour l'apprécier, il convient de faire un moment abstraction de notre mentalité moderne.

Le calendrier, sauf en notre siècle de lumières (artificielles) fut toujours œuvre à triple sens. Jours, mois, années, siècles se déroulent en cycles partiellement irréductibles l'un à l'autre. Eta­blir un calendrier, c'est donc articuler en un système de concor­dances les différents temps conventionnels, « normalisés », et les repères cosmiques et saisonniers.

Les anciens y parvinrent de diverses façons, soit en insérant à périodes fixes des mois « intercalaires », soit en ménageant des jours « épagomènes », soit en réformant le calendrier chaque fois que le décalage s'avérait trop sensible. D'autre part, par la lente régression du point Vernal (cycle préssessionnel) les très grandes périodes, embrassant un ou plusieurs mois de la Grande Année de 25 920 ans, amènent également un décalage entre les saisons et les repères stello-solaires qui les avaient signalées et, quoique devenus caducs, continuent à se survivre dans le symbolisme et la liturgie, comme ils se survivront plus longtemps encore dans le folklore.

De ce fait, des remaniements devenaient indispensables, à de très longs intervalles. Chacun d'eux constituait une « réforme du calendrier », et sa mise en vigueur devenait le point de départ d'une nouvelle Ere.

Pour qu'une telle réforme eût sens et utilité, elle, devait être enté­rinée par les autorités religieuses et enseignantes du groupement humain considéré.

Or, vers — 1800, le vieux calendrier pan-celtique, déjà réformé par Rama, demandait une remise au point. L'Equinoxe était depuis longtemps dans le Bélier, alors que le taureau en consti­tuait anachroniquement le point de départ théorique et le substrat mythique.

Le grand collège entreprit la révision sous la direction d'un archi-druide d'une haute réputation et, de plus, d'un grand sens politique (chose plutôt rare en Celtide !). Une Grande Assemblée panceltique des orthodoxes fut décidée pour la cérémonie la plus spectaculaire de l'année : la Fête du Gui, au solstice d'hiver (lequel ne fut jamais, du moins chez les Celtes orthodoxes, le point de départ du cycle annuel, toujours fixé à l'équinoxe de printemps). L'on vint de partout, non seulement du continent, mais aussi de l'île de Bretagne. Il est permis de supposer que le calendrier ne fut pas l'unique objet des colloques, et que des orientations politiques y furent suggérées et discutées. Restant dans mon sujet, je dirai que cette Grande Assemblée eut lieu autour de l'Ombilic des Gaules (ni Chartres, ni Saint-Benoît-sur-Loire, comme on l'a parfois avancé, mais un peu au nord d'Avaricum, à une frontière des Bituriges et des Carnutes).

Ce calendrier et ce concile extraordinaire furent concrétés en un monument que, très politiquement, les druides continentaux situèrent dans la plaine de Salisbury, à Stonehenge. La fameuse table de bronze trouvée à Coligny (Ain), et dont j'aurai à reparler assez en détail, appartient à ce cycle qu'on peut appeler « Ere de Stonehenge » ou « Ere du calendrier de Coligny », le nom ne changeant rien à la chose.

Ainsi, Stonehenge n'est pas seulement un monument britan­nique, mais surtout un Mémorial panceltique, sorte d'arche d'al­liance des orthodoxes. Depuis lors, des délégués du druidisme continental assistèrent aux cérémonies et aux assemblées des Insu­laires, et vice versa.

J'ai parlé d'orientations politiques... Même si la Tradition fai­sait défaut, il ne serait pas difficile de deviner le mot d'ordre lancé par les sacerdotes : « Faire des Gaules la citadelle du Drui­disme vrai et la terre de refuge de ses partisans en difficulté. »

Mais faire adopter ce programme par les chefs de guerre, aux vues étroites, n'allait pas si vite !... Pourtant, le temps pressait. Le monde celtique oriental nord-danubien, où futurs Gaulois et futurs Germains seront englobés par les auteurs classiques sous le vocable élastique de Cimmériens ou de Cimbres, ce dernier nom porté seulement par une fraction d'entre eux, se voit peu à peu refoulé vers l'ouest par les Scythes. Ces Scythes sont un mélange, malaisément dosable, d'Iraniens et de Touraniens, ces derniers en moindre nombre. Ce mélange très antique de Celtes et d'Asiates roule ses chariots d'est en ouest, de la Mer Noire à la Baltique et à la Mer du Nord et constitue la couche de fond de la future ethnie slave.

Sous cette poussée, peuplades et tribus se déplacent : les unes en direction de l'Italie du nord, où elles entrent en contact avec les Etrusques ; les autres en direction de l'Hellade où le « miracle grec » allait naître de leur conjonction avec la civilisation égéenne, matériellement mais non intellectuellement affaiblie, comme celle des Etrusques, par les catastrophes que j'ai relatées précédem­ment. D'autres encore ont tenté leur chance sur mer, et certaines iront jusqu'en Irlande (race Partholon des Annales irlandaises, dont le nom n'est sans doute pas sans relation avec celui des Parthes, que feront parler d'eux peu de siècles avant notre ère). Cette « race de Partholon » apporte en Irlande et dans les îles le mode de sépulture connu sous la dénomination de « round barrow » (grands dolichocéphales).

Moins de quinze cents ans nous séparent maintenant de l'ère chrétienne. Les clans celtiques (au sens restreint) forment un groupement culturel encore flou, de la Bohême à l'Armorique et à l'Italie du Nord où se coudoient les deux druidismes, l'ortho­doxe et le schismatique, toujours irréductibles, mais dont le conflit séculaire se borne surtout, pour l'instant, à une sourde lutte d'influences.

Il serait donc impropre de parler d'une fédération politique, même lâche, ni d'une unité spirituelle, — qu'une petite élite orthodoxe était seule à concevoir, — mais de l'espèce d'unité, tout externe, qui résulte d'un vague sentiment de cousinage, d'une certaine parenté de langues et de mœurs, qui va d'ailleurs en s'affaiblissant (on peut voir, par exemple, combien la langue des Celtes Ombriens diffère déjà de celle des Celtes Gaulois) et, enfin, d'une communauté de techniques.

Faisons le point. Tandis que le premier schisme est toujours virulent à l'une des extrémités du monde celtique (Irlande, île de Sein, etc.), le même, aggravé du second, règne à l'autre extrémité sur la Mésie , la Macédoine , la Thrace où Celtes dissidents, Scythes et Amazones font, si l'on peut dire, bon ménage, non sans quel­ques bousculades.

Parmi les Hellènes, qui vont commencer à faire sérieusement parler d'eux, seul le groupe dorien n'a pas adopté le schisme, quoique son évolution se soit opérée en dehors du druidisme pro­prement dit, qui tenterait de dire son mot avec Orphée.

Quant aux Germains, toujours nomades, et plus ou moins mêlés d'Asiates selon les groupes et les circonstances, s'ils dif­fèrent encore peu, physiquement, des Celtes avoisinants, ils en diffèrent beaucoup aux autres égards. Ils ne prendront pleinement conscience de former une unité relative que galvanisés par l'Odinisme, de nombreux siècles plus tard.

Mais, déjà, le sens générique du mot « Celtes » ne caractérise plus guère l'ensemble de la race blanche et se restreint à l'une de ses fractions, pour considérable qu'elle soit encore. De restric­tions en restrictions, ce terme deviendra une simple étiquette apposée sur un groupe linguistique, abstraction faite de ses composantes ethniques qui, en Irlande notamment, atteindront à une complexité défiant l'analyse.

 

retour   suite