IX

 

La petite dernière

 

Mlle Marie Monnier, de Bresse-sur-Grosne, paroisse de la Saône-et-Loire, éprouvait de grands ennuis. Fille unique, elle pensait à la vie religieuse, tandis que son père la poussait au mariage. Les partis avantageux ne manquaient pas, mais Marie recevait chaque demande par une moue trop significative... Pourtant elle n'eût pas voulu contrarier son excellent père. Cela devenait un supplice.

Dans ces conjonctures, Marie se souvint de son ancienne directrice de pension, personne de bon jugement et de bon conseil. Elle fit, pour la consulter, le voyage de Chalon-sur-Saône... et en définitive, après maintes explications et bien de la réflexion, l'ancienne maîtresse s'avoua aussi embarrassée que son ancienne élève. Que faire ?

« Ah ! s'écria enfin la directrice du pensionnat, j'y pense. Si vous alliez, ma petite Marie, consulter ce prêtre de l'Ain dont on dit des choses si merveilleuses ?... Ne pénètre-t-il pas les secrets des cœurs ?... »

 

Séance tenante, Mlle Marie Monnier se résolut au pèlerinage. Un jour de mai, elle arrivait à Ars. Elle fit part à M. Vianney des projets paternels et de ses propres désirs.

« Mon enfant, répondit le bon saint, vous êtes fille unique. Vos parents tiennent à vous marier. Mariez-vous. Mais n'épousez pas le jeune homme que votre père vous présente : telle n'est pas la volonté de Dieu. Prenez celui qui est venu auparavant : il est chrétien ; avec lui vous serez heureuse... De ce mariage, mon enfant, vous aurez trois filles, et l'honneur de la vie religieuse, qui n'est pas pour vous, sera réservé à l'une d'elles. »

Mlle Monnier sortit toute impressionnée du confessionnal. Un détail l'avait beaucoup frappée : le saint lui avait dit qu'elle était fille unique, et elle avait eu soin de n'en pas parler. Alors le reste serait donc vrai aussi : ce mariage avec le jeune homme timide, déjà renvoyé à ses occupations par le veto paternel, puis ces trois filles, cette religieuse dont elle serait la mère ?... Marie quitta Ars, rassérénée et confiante.

 

Les relations reprirent avec le soupirant éconduit. On le connaissait peu ; mais il était, sans le savoir, le protégé du Curé d'Ars : le titre parut suffisant à la famille. Bientôt Mlle Marie Monnier devenait, par son mariage, Mme Rochu.

Deux filles vinrent coup sur coup apporter au jeune foyer leur sourire. Mais la troisième ? Car le saint d'Ars avait bien dit : trois filles. Cette troisième, cette petite dernière, on l'attendit pendant onze années. Elle fut la préférée, la choyée de son père et de sa mère... Il y avait sur elle une bénédiction.

A dix-huit ans, elle entrait à la Visitation d'Autun, où elle émit ses premiers voeux le 17 novembre 1878.

C'est une autre demoiselle Rochu-Monnier, devenue Mme Bauzon et habitant Montceau-les-Mines, qui a conté tout cela à M. Ball, peu après la profession de sa soeur. « La visitandine, écrivait en terminant son enquête notre notaire ecclésiastique, fait l'édification de toute la communauté par la sainteté admirable de sa vie. Toutes les personnes qui la connaissent regardent sa vocation comme venant du ciel, tant elle est appropriée à tous les besoins de son âme, comme à toutes ses dispositions. » (1)

 

 

(1)Documents N° 56.