VII

 

L'annonce d'un « gros oui »

 

En 1848, Mlle Louise Lebon, une Lyonnaise du quartier de Fourvière, quittait à dix-sept ans le pensionnat des Bénédictines de Pradines. Toute petite, elle pensait déjà à la vie religieuse et son attrait s'était fortifié avec les années : les chants mélodieux de ses pieuses éducatrices avaient laissé des échos durables en son âme délicate et vibrante.

Il arriva donc, contre la coutume – quel rêve de liberté n'a pas fait une pensionnaire en vacances ? – que la jeune Louise, une fois sortie du couvent, n'eut d'autres désirs que d'y rentrer. Elle écrivit à Mme l'Abbesse de Pradines pour solliciter son admission au noviciat. Plusieurs lettres se succédèrent avec un semblable résultat : on ne voulait pas d'elle ; elle était encore trop jeune, trop inexpérimentée ; elle avait besoin de perfectionner dans sa famille les connaissances acquises au pensionnat... La pauvre enfant, bien que déconcertée du refus, ne se découragea pas.

Sur les entrefaites, une occasion inespérée s'offre à elle : c'est une partie de plaisir. Et le but de la promenade ? Ars ! Quel bonheur ! Ah ! Elle n'ira pas là-bas pour se distraire ; elle verra le saint, et le consultera.

Les promeneurs arrivent dans Ars assez tard ; il faut remettre au lendemain la visite à l'église. Louise s'y précipite dès que possible. Quel ennui ! Une foule avide d'aborder M. Vianney a devancé la petite pèlerine : inutile d'espérer l'approcher ce jour-là. Mais l'enfant ne se tient pas pour battue.

Elle revient à sa chambre d'hôtel et là, enfermée à double tour, elle écrit à l'intention du saint une lettre de quatre pages, où elle expose ses chers désirs comme elle eût voulu le faire de vive voix. Puis, recommandant son message au bon Dieu, elle revient à l'église. Il est environ midi. C'est l'heure où M. Vianney retourne à son presbytère. Louise Lebon se fait toute menue, se glisse à travers la foule, est assez heureuse pour déposer sa lettre dans la main du Curé d'Ars.

 

Dans la soirée, la jeune fille se retrouvait à l'église, perdue parmi une assistance plus compacte encore. M. Vianney s'engage à travers la nef pour aller de son confessionnal à la sacristie. Soudain il s'arrête, fixe sur Louise Lebon son regard pénétrant et lui fait signe de le suivre. Une minute après, elle s'agenouillait, tremblante mais heureuse, aux pieds du serviteur de Dieu.

« Mon enfant, lui dit-il sans la laisser articuler une parole, c'est vous qui m'avez écrit ?

— Oui, mon Père.

— Eh bien, il ne faut pas vous tourmenter. Vous allez partir dans votre couvent. Dans quelques jours la Mère va vous écrire qu'elle vous accepte. »

Or il faut dire que Louise venait de recevoir de l'Abbesse une lettre tout aussi formellement négative que les précédentes. Et voilà que, dix jours après son entrevue avec le Curé d'Ars, elle avait la joyeuse surprise de lire ce simple billet venu du couvent de Pradines : « Ma chère Louise, c'est la persévérance de tes désirs qui m'oblige à te dire un gros oui. Viens quand tu voudras. »

La lettre était de juin 1849. Le 2 juillet suivant, Mlle Lebon faisait son entrée chez les Bénédictines de Pradines, où elle devait devenir religieuse professe sous le nom de Mère Sainte-Béatrix. (1)

 

 

(1) Cette relation a été écrite d'après les renseignements communiqués à M. l'abbé Ball, en janvier 1881, par la Mère Sainte-Béatrix elle-même et « certifiée par elle conforme à la vérité ». (Documents, N° 96)