III

« Pleurez de joie »

 

Un jour de 1925, M. l'abbé Salmon, curé de Saint-Pair-sur-Mer (Manche), visitait une de ses plus vénérables paroissiennes. Au cours de l'entretien, il fut question du Curé d'Ars, canonisé cette année-là.

« Mais je l'ai connu, le Curé d'Ars, repartit cette dame.

— Je vous en prie, madame, contez-moi cela. »

Et l’ancienne pèlerine d'Ars évoqua ses souvenirs.

 

« Il y a de cela soixante-douze ans, et j'étais aux environs de ma septième année. En août ou septembre 1852, ma mère me conduisit à Ars.

Nous habitions alors loin de Saint-Pair. Autant que je me le rappelle, nous fîmes le voyage en charrette, et nous avions pour siège des planches. Parties de très bon matin, nous n'arrivâmes que le soir. J'étais sans doute bien fatiguée, car on me fit coucher en arrivant.

Le lendemain, j'ai vu le « Père d'Ars », comme on l'appelait alors. Nous étions dans l'église, lorsqu'il vint mettre la main sur l'épaule de ma mère en lui disant :

— Vous voulez me parler, mon enfant ?

— Oh ! oui, mon Père !

Il la conduisit au confessionnal, et moi je restai à ma place. Au bout d'un certain temps, maman vint me chercher.

Et le lendemain, elle nous fit ce récit qu'elle me referait tant de fois dans la suite :

« Oh ! Le Père d'Ars est un saint ! Avant que j'aie pu lui parler, il m'a dit : « Vous pleurez votre jeune fille qui est tombée malade la veille de son départ au couvent, n'est-ce pas ? Sa maladie a été longue, et pendant tout le temps elle a beaucoup prié, et prié surtout pour que la Sainte Vierge lui obtint la grâce de mourir un vendredi. Ce qui est arrivé. Pleurez de joie, car le vendredi suivant elle montait au ciel. »

 

Effectivement, j'avais eu une sœur qui avait bien eu l'intention de se faire religieuse ; mais, tombée malade, elle avait langui quinze mois, puis elle était bien morte un vendredi. Ma mère nous a raconté que, pendant sa maladie, ma sœur aînée avait bien demandé à la Sainte Vierge la grâce de mourir ce jour-là.

Je me souviens encore du saint Curé. Il était petit. Sa figure était très maigre, ses yeux avaient une expression de grande bonté. J'ai le souvenir encore que son habit était si pauvre, que je dis à maman : « Il n'est pas aussi beau que les prêtres de chez nous ». (1)

 

(1) La narratrice est décédée en mai 1928. Son récit a paru dans le Bulletin paroissial de Saint-Pair-sur-Mer, n° d'août 1925.