XV

Notre-Dame de la Légion d’Honneur

 

Il existe vraiment une église Notre-Dame de la Légion d'Honneur, et cette église ne s'élève pas en plein Paris – on se l'imagine aisément face aux Invalides – mais dans la plaine angevine, à Longué, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Baugé qu'arrose la tranquille rivière du Lathan. Toute blanche au-dessus des verdures se dresse la flèche gothique. L'église, éclairée suavement par de remarquables verrières, possède un élégant mobilier religieux ; on y admire cette belle ordonnance que l'on s'attendait à trouver dans un sanctuaire de la Légion d'honneur.

Mais pourquoi ce titre à une église du diocèse d'Angers ?

Une des bienfaitrices de la paroisse, Mlle Marie Dron, dont le logis a façade sur la place au Blé, connaît depuis longtemps cette histoire. Elle l'entendit conter cent fois, tantôt à sa mère, tantôt à sa grand'mère, à toutes deux ensemble quelquefois.

Elles étaient allées, un jour de 1855, faire visite au Curé d'Ars, et leur propre curé de Longué les avaient chargées d'une lettre pour son saint confrère.

Le curé de Longué demandait à M. Vianney si son église, alors en construction, s'achèverait un jour. Faute de ressources, les ouvriers avaient abandonné le chantier. Immédiatement, le serviteur de Dieu donna sa réponse :

« Vous direz à votre bon curé, expliqua-t-il à nos deux Angevines, que son église se finira. Mais il faudra que de grands personnages y mettent la main. »

 

Mme Dron alla porter cette annonce à son curé, qui n'y comprit rien. Il s'était adressé, le pauvre, à toutes les personnalités de la région, évéque, sénateurs, députés, châtelains, gros propriétaires... et son chantier était désert !

Il fit vers le ciel le même geste que ses échafaudages.

Il s'était donné assez de mal, il ne bougea pas. Le Curé d'Ars sans doute avait mal compris, ou bien ses paroissiennes.

 

Or l'année 1856 amena une catastrophe. La Loire, qui baigne des communes limitrophes de Longué, fit une crue terrible. Bêtes et gens de sa vallée furent soudain en grave péril. Le très dévoué curé de Longué opéra des sauvetages nombreux qui lui méritèrent la croix de la Légion d'honneur.

 

Et alors il se rappela la prophétie de son collègue d'Ars : « les grands personnages » qui l'aideraient à terminer sa belle église, il les avait trouvés !... Il adressa à tous les autres légionnaires un prospectus où il disait son dénuement. Beaucoup en furent touchés et le prouvèrent par la générosité de leurs dons.

 

La vie reprit dans le chantier ; les voûtes, la flèche montèrent dans la « douceur » du ciel d'Anjou.

Et ce fut tout naturellement, comme sans y songer, que le pasteur reconnaissant baptisa son église neuve « Notre-Dame de la Légion d’Honneur » (1).

 

(1) D'après une lettre adressée par Mlle Marie Dron à Mgr Convert, le 29 novembre 1927. À cette époque, Mlle Dron venait d'offrir à l'église de sa paroisse une statue du saint Curé d'Ars.