III

Diligence et confession

 

Au cours de l'été de 1933, une Parisienne fit le pèlerinage d'Ars en souvenir de ses grands-parents qui avaient fait ce même pèlerinage soixante-dix-sept ans plus tôt, et en des circonstances bien intéressantes. La moderne voyageuse les conta à M. l'abbé Gauthier, missionnaire d'Ars, qui eut l'excellente idée de la prier de les écrire. C'est ce qu'elle fit aimablement à son retour dans la capitale. Nous ne ferons que transcrire ici le récit de la voyageuse.

 

... C'est avec le plus grand plaisir que je vais, comme vous me le demandez, vous redire ce qui s'est passé à Ars, en 1856, entre saint Jean-Marie Vianney et mes grands-parents maternels, M. et Mme Jean Chaucesse, de Renaison, dans la Loire.

Aucun train assez rapproché pour desservir Renaison dans ce temps-là. Mes grands-parents, jeunes mariés, ayant beaucoup entendu parler du Saint, décidèrent de l'aller voir.

À la nouvelle qu'une diligence devait lui mener des pèlerins de Saint-Maurice-sur-Loire, paroisse située à une vingtaine de kilomètres de Renaison, ils se firent conduire jusque-là.

Malheureusement, ils n'avaient pu retenir leurs places, la diligence arriva au complet. Le conducteur leur dit bien qu'à la rigueur une personne de plus y pourrait tenir encore : pour deux, ce serait tout à lait impossible.

Mon grands-parents navrés s'apprêtaient à repartir, lorsqu’une dame, subitement indisposée, dut renoncer au voyage. Le conducteur fit alors monter les deux arrivants. C'était le cas de répéter le peu charitable proverbe : le malheur des uns fait le bonheur des autres.

 

Une fois arrivés, mes grands-parents se rendirent à l'église où d'ailleurs ils reviendraient plusieurs fois pendant leur séjour dans le village d'Ars. Toutefois, seule grand'mère désirait se confesser. Elle prit rang parmi les pénitentes, tandis que grand-père allait et venait, rentrant à l'église, en sortant tour à tour.

Enfin, grand'mère parvint au confessionnal.

« Vous en avez de la chance, lui dit le Saint, vous en avez de la chance d'avoir pu venir à Ars ! »

Et comme grand'mère le regardait, étonnée:

« Eh! oui, ajouta-t-il, sans cette femme tombée subitement malade, vous ne seriez pas ici. »

Bien émue déjà, grand'mère se confessa. Ensuite, le saint lui parla encore.

« Je vous sens inquiète, mon enfant, non pas parce que vous faites faute chez vous puisque vous avez le personnel nécessaire, mais je sais ce que vous désirez. Vous voudriez que votre mari se confesse.

— Oh! oui, mon Père !

— Eh bien, mon enfant, vous pouvez être tranquille : votre mari ne quittera pas Ars sans être confessé. Allez en paix. »

 

Grand'mère n'eut pas à attendre bien longtemps. Le saint Curé sortit du confessionnal, traversa la foule et alla toucher l'épaule de grand-père, alors absorbé dans ses réflexions, et qui se retourna en sursautant. M. Vianney lui fit signe de venir, et il suivit docilement le saint jusqu'au confessionnal.

Grand-père, très croyant, était parti au premier signe. Le saint Curé connaissait bien son esprit de foi, partagé d'ailleurs par toute la famille Chaucesse. Et ce fait remua profondément grand-père; qui, depuis, l'a raconté maintes fois à ses enfants.

Cependant, il n'avait pas du tout le désir de se confesser au moment où le saint était venu le chercher d'une manière si inattendue. À peine engagé sur les pas du serviteur de Dieu, il se sentit au contraire le désir d'une confession sincère, complète, et il la fit en des sentiments qui l'emplirent de paix et de joie.