V

Son plus beau sourire

 

Le bon curé de Saint-Manvieu, au diocèse de Bayeux, tout en méditant sous la voûte romane de sa vieille église, voire même parmi les vergers normands, sur la verte rive de l'humble Mue, se demandait, parfois avec grande angoisse, si devant Dieu il était « digne d'amour ou de haine ». Il touchait au soir de sa vie, et, dans son âme timorée, aucune réponse suffisamment rassurante. Le zélé confrère dont il avait fait son confesseur y perdait son latin.

De guerre lasse, le curé de Saint-Manvieu résolut d'aller consulter le « Voyant d'Ars ». La chose en valait la peine ; sans quoi, l'excellent prêtre n'eût pas entrepris un si long voyage : du département du Calvados à celui de l'Ain, il y a toute la traversée de la France.

 

Quand il revint dans sa paroisse, M. le curé ne semblait plus du tout le même : de triste et renfermé, il était redevenu le gai, l'expansif pasteur que les gens de Saint-Manvieu avaient connu.

« Ah ! confia-t-il à l'un de ses séminaristes, maintenant je suis en paix !...

— Que vous a donc dit le saint Curé d'Ars ?

— Il ne m'a rien dit, mais quand je me suis agenouillé à ses pieds, implorant sa bénédiction, il m'a fait son plus beau sourire. C'est donc que je suis en état de grâce. Aussi suis-je reparti sans rien lui demander de plus. »

 

Le R. P. Jean-Marie Corbet, missionnaire diocésain à Caen, de qui nous tenons ces détails charmants, les tenait lui-même du séminariste devenu prêtre à qui le curé de Saint-Manvieu révéla jadis le secret de son intime bonheur. (Lettre à Mgr Convert, 17 décembre 1931.)