V

Le faux pèlerin

 

Plusieurs habitants de Parnans, cette jolie bourgade de la Drôme qu'égaie la petite rivière de la Joyeuse, s'étaient résolus, par piété, à entreprendre le pèlerinage d'Ars. Un jeune homme d'une vingtaine d'années, assez connu pour son manque de sérieux, leur ayant exprimé le désir de profiter de leur voiture, ils n'osèrent pas lui refuser ce service : après tout, ce voyage ne pouvait lui faire que du bien.

Malheureusement, après quelques tours de roue, ces braves gens constatèrent que ce pauvre garçon prenait tout en riant. Ils voulurent prier en commun ; l'autre déclara qu'il n'était pas en promenade pour cela. Et, dans les moments de détente, vraiment il dépassa les limites. L'arrivée dans le village d'Ars fut un soulagement pour les pèlerins de Parnans.

Ils entrèrent à l'église, mais notre jeune plaisantin préféra « prendre de l'air ». Bref, il semblait décidé à se montrer désagréable jusqu'au bout.

Il fit sa petite tournée dans le village, se rafraîchit, s'arrêta de boutique en boutique, se rafraîchit encore, et enfin revint vers l'église, cherchant ses amis aux alentours.

Par suite de quelle circonstance fut-il abordé par le saint Curé en personne, on ne sait. Quoi qu'il en soit, il le vit venir à lui et s'entendit apostropher en ces termes :

« Mon ami, que faites-vous ici? Ce n'est pas un motif surnaturel qui vous a amené. »

 

Confus de se voir découvert, le jeune homme ne sut que répondre. Mais pour lui la « partie de plaisir » était finie. Tout bouleversé de la révélation qu'il venait d'entendre, il entra à l'église, pria, mais ne se confessa point.

Au retour, il voulut savoir si quelqu'un de la compagnie avait parlé de lui à M. Vianney. Personne ne lui avait dit mot de sa présence. Alors ?... On fut étonné de le voir lui-même provoquer la récitation du chapelet. Il dut conter son aventure.

 

La semonce du saint Curé porta des fruits de salut. Elle fut pour le jeune voyageur de Parnans le point de départ d'une vie nouvelle. Il vécut désormais en bon chrétien et mourut plus qu'octogénaire, ayant fait pendant soixante années l'édification de sa paroisse (1).

 

(1) D'après un récit fait à Mgr Convert, le 5 juillet 1932, par M. l'abbé Gilibert, curé de Parnans.