VIII

La première communion d'un père

 

Une jeune Parisienne des Batignolles était depuis longtemps malade. Son père, qui l'aimait beaucoup, avait appelé auprès d'elle les médecins les plus réputés. En vain. Il n'y avait, au dire des princes de la Faculté, aucune chance de guérison. Hélas ! à cette enfant, pour la réconforter et la consoler, il manquait sa mère, une sainte femme enlevée trop tôt à son affection.

Un jour, la jeune fille fit connaître son état désespéré à une personne de ses amies.

« Mais, lui dit cette dame, ne savez-vous pas qu'il existe, non loin de la ville de Lyon, un prêtre qui obtient des guérisons extraordinaires ? On assure même qu'il annonce aux malades l'aboutissement de leurs maladies. Ma chère petite, coûte que coûte, décidez-vous à ce voyage. »

 

S'y décider, c'était facile pour une malade si profondément désireuse de guérir. Restait toutefois à obtenir le consentement du père, homme sans religion et sans foi.

Dès que sa fille lui parla du curé thaumaturge et prophète, il se prit à ricaner :

« Que veux-tu qu'il fasse, ce prêtre, là où les médecins n'ont pû rien faire ? »

Et comme la pauvre enfant fondait en larmes :

« Tu ne voudrais pas, ma chérie, continua-t-il, que je hâte ta mort en te permettant un si long et si difficile voyage ? »

Les larmes se mêlant de sanglots, ce cœur aimant céda.

 

Accompagnée d'une amie, la jeune malade fit le pèlerinage d'Ars. Elle se plaça sur le passage du saint Curé qui la bénit.

« Guérirai-je ; mon Père ? » Ce fut le premier cri qu'elle lui jeta.

L'homme de Dieu n'avait jamais entendu parler ni d'elle ni de son père.

« Vous guérirez, répondit-il avec assurance. À une condition pourtant : il faut que votre père fasse sa première communion. »

Et il passa.

Ce fut une stupéfaction pour notre malade d'apprendre ainsi que son père, dont elle croyait l'irréligion moins ancienne, n'avait jamais fait de communion. Toutefois, elle réfléchit :

« Le saint Curé ne m'aura pas fait cette révélation sans un dessein de la Providence. Mon père me chérit profondément. Pour me faire plaisir, il se convertira. Et je serai guérie ! »

Raisonnement bien simple, mais qui n'obtiendrait sa conclusion qu'avec l'aide de la grâce.

 

Bien que plus joyeuse au retour, la jeune fille revint au logis paternel aussi épuisée qu'elle en était partie. Et le père, déçu, irrité, de déverser sa bile contre le Curé d'Ars, charlatan et faux guérisseur.

« Mais papa, répliqua la malade, le Curé d'Ars ne m'a point promis que je guérirais là-bas. C'est ici, à la maison, que je dois guérir... à une condition toutefois.

— Laquelle ?

— C'est que mon papa chéri... fasse sa première communion ! »

Quel coup de foudre ! L'homme impie demeure là, muet de confusion. Le secret de sa conscience, ce premier grand péché de jeunesse, ce Curé d'Ars le connaissait, lui, et il l'a révélé à sa fille!... Le Curé d'Ars a donc des lumières prodigieuses et qui dépassent les intelligences humaines ?... Dieu lui parle... Et donc il y a un Dieu, et ce Dieu a daigné indiquer pour une enfant tendrement aimée le remède, l'unique !... La conversion de son propre père !... La foi renaît dans cette âme tourmentée. Après un long silence de réflexion et d'émoi :

« Quelle est donc l'adresse de ton confesseur ? » demanda-t-il enfin à sa fille transportée de joie.

 

« Il se confessa, conclut M. Ball qui a recueilli ces touchants détails (1), il fit sa première communion, et sa fille guérit parfaitement. »

 

(1) Documents, n° 105