III

Vocation et sainteté

 

Un brevet de sainteté accordé par le clairvoyant, l'« éclairé » Curé d'Ars ne fut jamais chose négligeable. Il ne l'octroyait en effet qu'à bon escient... et il n'avait pas tous les jours, hélas ! l'occasion de le faire.

 

Un jour de l'année 1850, une jeune fille de vingt-quatre ans, Mlle Belotte, originaire d'Auxon-lès-Vesoul, dans la Haute-Saône, vint consulter M. Vianney. Elle voulait se faire religieuse, mais demeurait perplexe ; elle hésitait, entre plusieurs communautés de Sœurs hospitalières ou gardes-malades et n'arrivait pas à se décider. Elle recourait donc au grand conseiller des âmes inquiètes.

Elle n'eut pas besoin de s'expliquer.

« Dans toutes les communautés, lui dit le Curé d'Ars, il y a des âmes d'élite ; mais allez chez les Sœurs de la Charité de Besançon ; cette communauté est particulièrement agréable à Dieu, à cause de la sainteté de sa fondatrice. »

 

M. Vianney avait-il entendu parler de la Mère Jeanne-Antide Thouret, aujourd'hui canonisée, et de son institut ? C'est possible. En tout cas, il devançait de soixante-quinze années le jugement de l'Église et il se montrait particulièrement clairvoyant en adressant à la maison-mère de la Grande-Rue à Besançon cette aspirante distinguée dont tous les rêves semblèrent comblés dès son entrée au noviciat, en avril 1851.

La fondatrice était morte à Naples, il y avait vingt-cinq ans déjà. Cependant son souvenir demeurait encore, comme un parfum de prix, parmi les religieuses de Besançon. Mlle Belotte, devenue Sœur Héléna, apprit des anciennes combien la Mère Jeanne-Antide avait souffert, et avec quelle héroïque patience, lorsque, réjetée par Mgr de Pressigny de toutes ses maisons de Franche-Comté, elle avait dû s'en retourner travailler et mourir si loin du ciel natal.

« C'était une sainte, une grande sainte ! concluaient les narratrices.

— Oh ! oui, et je le savais avant de venir parmi vous, mes Sœurs ; car le saint Curé d'Ars lui-même me l'avait dit. »

 

Plus tard, devenue professeur au pensionnat de Villette, Sœur Héléna raconta souvent l'histoire de sa vocation à ses jeunes élèves. Et c'est l'une d'elles, devenue à son tour Sœur de la Charité sous le nom de Sœur Hermann-Joseph, qui a sauvé de l'oubli cette très belle histoire (1).

 

(1) Archives de la Maison-Mère, 131, Grande-Rue, à Besançon.