Septième partie : GUÉRISONS

 

 

I

Les trois prédictions faites à M. Gay

 

M. Gay, « brave et saint homme de Tournon (Ardèche) » – ainsi le qualifie le bon M. Ball en son enquête – y exerçait un commerce de grains, sons et farines. Ses affaires allaient assez bien. Malheureusement, son fils s'était mis à languir. « Les médecins le disaient atteint d'une maladie de poitrine, pour la guérison de laquelle leurs remèdes restèrent sans résultats. » Le jeune homme paraissait perdu irrémissiblement.

Cela se passait en 1845.

« On conseilla alors à M. Gay de conduire son fils auprès du vénérable Curé d'Ars. »

En 1845, la réputation de M. Vianney s'était étendue au-delà même des frontières de France. Les pèlerins ne cessaient de venir dans son humble paroisse. En cette année même, l'affluence des étrangers y était devenue si considérable que le saint avait dû transférer dans son église ces catéchismes déjà célèbres qu'il faisait chaque jour à onze heures, sauf le dimanche, dans la salle de classe de la Providence.

M. Gay conduisit donc au saint Curé son jeune malade.

 

Le fils ayant hérité de la piété du père, l'un et l'autre voulurent d'abord faire une confession de toute leur vie. M. Gay demanda, après avoir achevé la sienne :

« Mon Père, mon fils guérira-t-il ?

— Oui, il guérira. »

Depuis plusieurs mois, surtout pendant la nuit, M. Gay éprouvait de cruelles crampes d'estomac. Il posa cette autre question, sans expliquer davantage son mal ;

« Et moi, mon Père, guérirai-je ?

— Non, mon cher ami, vous ne guérirez pas. Et non seulement vous ne guérirez pas, mais vous êtes un homme appelé à de grandes souffrances. Vous souffrirez beaucoup et de toutes manières... Un jour, nous nous reverrons dans le ciel... En attendant, je vous promets le secours de mes prières. »

 

Cela dit, le saint, pourtant bien avare de ce genre de confidences, se mit à parler de l'avenir. Il parla d'événements graves qui surviendraient dans trois années. M. Gay, sans tout saisir, se rappela cependant fort bien les termes dont s'était servi l'abbé Vianney.

 

Les deux voyageurs revinrent à Tournon. La consolante prédiction concernant le jeune Gay ne tarda pas à se réaliser. Les symptômes d'étouffement disparurent ; il recouvra « une bonne et durable santé. »

Son père, au contraire, souffrait toujours, mais dans les sentiments d'une foi résignée admirable. Deux ans après son pèlerinage d'Ars, « un vrai déluge de calamités vint fondre sur lui et sur sa famille... Sa vie, par la suite, ne fut plus qu'une espèce de long martyre. Il comprit alors la vérité et toute l'étendue de la prédiction, jusqu'à la promesse que le Curé d'Ars lui avait faite de le secourir de ses prières. Il en éprouva expressément les effets au milieu de ses multiples et longues épreuves ».

Quant à la révolution de 1848 à laquelle on était loin de s'attendre, mais que le saint Curé lui avait prédite d'une manière si claire et si juste, avec une telle précision de détails et de circonstances, M. Gay, lorsqu'elle survint, reconnut que les événements se passaient exactement comme M. Vianney les avait annoncés, en sorte que celui-ci parut les avoir décrits non comme un voyant de l'avenir mais comme un historien qui raconte des faits accomplis. « Tout ce qui précède a été relaté en 1881, avec l'assurance et la certitude du vrai, par M. Gay lui-même, absolument convaincu que le vénérable Curé avait parlé comme un prophète (1). »

 

(1) Documents Ball, n° 163