II

L'œil crevé

 

Un grand malheur vint affliger la famille Colomban, établie à Izieux (Loire) qui est comme un grand faubourg de la ville de Saint-Chamond. La petite Catherine, ayant pris des ciseaux pour s'amuser, tomba la figure sur une des pointes et eut un œil crevé.

 

On porta l'enfant chez l'oculiste qui, sans hésiter, jugea l'énucléation nécessaire. Mme Colomban, affolée, préféra rapporter sa petite à la maison. Bien que soignée par de dévouées religieuses, Catherine souffrait beaucoup. L'œil demeuré sauf présenta bientôt d'inquiétantes rougeurs.

Or, dans ce temps-là, de cette région du département de la Loire – Saint-Étienne, Saint-Chamond, Pélussin, Rive-de-Gier... – une foule de gens se rendait à Ars.

Le matin où les religieuses durent couvrir du pansement les deux yeux de la petite, elles songèrent soudain au saint Curé.

« Ma bonne dame, dirent-elles à la mère, nous tremblons pour cette enfant.

— Ah ! mes chères Sœurs, avez-vous peur qu'elle devienne aveugle ?

— Il n'y a que le bon Dieu à le savoir. Madame Colomban, il faut aller trouver le Curé d'Ars. »

 

Puisqu'il n'y avait plus d'espoir qu'en lui, la petite Catherine lui fut conduite. Joignant ses mains diaphanes puis les levant vers le ciel, le saint regarda avec commisération la pauvre mignonne dont un bandeau couvrait les yeux.

« Oh ! mon Père, s'écria la mère agenouillée et pleurant, le médecin a dit que son œil crevé allait perdre l'autre. Conseillez-vous de le faire enlever ?

— Non, non, répondit vivement le serviteur de Dieu sans avoir même vu les yeux de l'enfant. Avec l'œil qui lui reste, elle verra aussi bien qu'avec les deux. »

Catherine guérit rapidement. Écolière, elle suivit toutes les classes sans fatigue. Puis elle apprit la couture. Elle travaillerait toute sa longue vie grâce à cet œil unique qui en effet paraissait bien en valoir deux. Jamais aucune complication ne survint.

Fervente chrétienne, elle mourut à 84 ans, toujours confiante en son saint protecteur qu'elle invoqua jusqu'à la fin (1).

 

(1) Ces détails nous ont été donnés à Ars même par Mme Boiron, née à Izieux, habitant Lyon, qui les tenait de sa mère, amie intime de Mme Colomban.