XIII

« Dès que vous serez prêts. »

 

Le R. P. François-Marie Chignier, de la Société des Missionnaires d'Afrique, nous écrivait du séminaire Sainte-Anne de Jérusalem, le 12 mars 1931 :

 

Je vous avais promis, lors de votre pèlerinage en Terre Sainte, de rédiger à votre intention les souvenirs personnels sur le saint Curé d'Ars qui sont encore vivants dans ma mémoire.

Dans ma région, le sud-est de la Saône-et-Loire, presque toutes les familles se plaisaient à narrer par le détail des faits plus ou moins remarquables de ce prêtre si puissant auprès de Dieu que l'on allait consulter sur les cas les plus épineux, à qui l'on aimait à ouvrir sa conscience parce qu'il y voyait nettement tout ce qui s'y était passé, qui rassurait, convertissait ou bien annonçait l'avenir.

Depuis un demi-siècle, plus rares se font ceux qui eurent le privilège de voir le saint Curé et même ceux qui ont entendu les témoins directs de ses prodiges, ses pénitents, les bénéficiaires de ses miracles.

Je suis né l'année qui a suivi sa mort (1860). Bientôt j'aurai atteint son âge. J'ai oublié malheureusement bon nombre de faits merveilleux ou de paroles prophétiques que j'ai entendu rapporter jadis.

À la gloire du cher saint je tiens à vous faire connaître, à vous son cher historien et ami, ce que je puis encore garantir comme absolument authentique.

 

Et le bon Père Blanc conte d'abord que, dès 1840, M. Jean Augay, maire de Saint-Racho, commune du canton de La Clayette en Saône-et-Loire, conduisit plusieurs fois au village d'Ars nombre de ses administrés. M. Augay était un chrétien de vieille roche. Chef d'une famille de dix-huit enfants – où Françoise, qui serait la mère du R. P. Chignier, se classait la seconde – il aimait revivre de temps en temps dans la douce paix du pèlerinage.

Mais par contre cela déplaisait fort, il faut le croire, au grand ennemi du Curé d'Ars. « Plusieurs fois, atteste notre aimable correspondant, il arriva aux habitants de Saint-Racho d'entendre, en traversant les forêts, le vacarme formidable d'invisibles escadrons de cavaliers accourant menaçants à leur rencontre. Ils ont toujours cru que c'était le grappin qui voulait les effrayer dans l'intention d'empêcher ces pieux pèlerinages. »

M. Vianney avait de l'amitié pour ces bons pèlerins de Saint-Racho, et il leur en donna des preuves au moins une fois.

 

La petite troupe, M. le maire en tête, venait un jour de prendre place dans les bancs à la suite des nombreux pénitents qui se préparaient à leur confession. Eux aussi, ils s'étaient résignés à attendre, lorsque M. Jean Augay eut la surprise de voir le saint Curé quitter le confessionnal et s'avancer jusqu'à lui.

« Mon bon Monsieur, lui dit le serviteur de Dieu, vous et vos amis vous viendrez vous confesser dès que vous serez prêts. »

Étonnement des habitants de Saint-Racho, non moins que de leurs voisins dont le tour se trouvait d'autant retardé. Mais le saint avait parlé. Il n'y eut pas de murmures.

Cependant M. Augay se demandait pour quel motif secret le Curé d'Ars prenait le parti de les confesser sans plus attendre. L'explication vint tout de suite :

« C'est que, mon cher ami, il faudra le plus tôt que vous pourrez vous en retourner à cause de cette personne qu'on réclame chez elle. »

Et M. Vianney indiquait une jeune femme du groupe. Donc on se confessa et l'on voyagea vers Saint-Racho en grande hâte.

La mère de la jeune femme, que celle-ci avait laissée bien portante à la maison, était mourante.