Neuvième partie : DANS LE PASSÉ OU LE PRÉSENT

 

 

I

Pour être consolée

 

Une épouse, une mère âgée de 22 ans, venait de perdre en quelques mois son mari et ses deux petits enfants. Obligée de vivre avec une belle-mère acariâtre, elle n'éprouvait plus que tristesse et amertume.

Heureusement, elle avait la foi ; elle chercha refuge dans la prière. Au pied des autels, la pensée lui vint d'aller voir ce prêtre appelé le saint et qui, disait-on, savait si bien consoler.

Vingt-cinq lieues la séparaient d'Ars, et il faudrait en parcourir à pied la plus grande partie. N'importe, elle partit courageusement.

Un voisin complaisant, mais qui avait peu de loisirs, voulut bien conduire en voiture pendant une vingtaine de kilomètres. Le reste de la route, elle chemina, égrenant son chapelet pour son cher époux, s'entretenant doucement avec ses petits anges envolés.

Arrivée dans Ars exténuée de fatigue, elle se rendit tout de suite à l'église.

 

Il pouvait être sept heures et demie du matin. M. le Curé, qui venait de célébrer la messe, faisait son action de grâces sur l'un des agenouilloirs qui encadrent l'entrée de la sacristie.

La jeune veuve aperçut ce visage rayonnant de sainteté, et, comme mue par une attirance divine, elle fit si bien qu'elle put, à travers la foule pressée, parvenir jusqu'au serviteur de Dieu.

En toute simplicité, l'inconsolable mère s'agenouilla auprès de lui. M. Vianney, légèrement tourné vers la droite, fixait sur le tabernacle ce regard de feu qui impressionnait si profondément les pèlerins. Il n'avait pas vu la femme en deuil.

Soudain, se retournant vers elle et abaissant sur sa douleur des yeux qui peut-être venaient de contempler Dieu lui-même :

« Mon enfant, dit-il avec une infinie douceur, vous avez fait bien du chemin pour venir. Mais le bon Dieu a compté vos pas. Asseyez-vous ! »

Et de la main, il désignait à la voyageuse la stalle de bois scellée au mur qui faisait pendant à la sienne.

À cet instant, un sentiment de consolation immense envahit cette âme si cruellement éprouvée. Les larmes qu'elle versa là, à deux pas du saint d'Ars, semblaient fondre sa peine.

Elle revit l'homme de Dieu et revint chez elle pleine de résignation et de force (1).

 

(1) Documents Ball, n° 141