XIII

Les trois médailles

 

M. Ferrus, de Nantes, était dans l'Administration. Chrétien, il l'était par le baptême, non par les pratiques religieuses. Seules, les choses d'ici-bas l'inquiétaient ou l'intéressaient vraiment.

Il fit un jour le voyage de Lyon, où il avait d'excellents amis. L'un d'eux lui parla d'Ars et de son curé, dont on contait partout des merveilles. « À ta place, moi, j'irais voir ça, suggéra l'ami qui avait ses raisons. Ars n'est pas loin d'ici. Profite de l'occasion, et, si tu m'en crois, vide ton sac aux pieds de ce prêtre. Il en a vu d'autres que toi, sois-en sûr. »

 

Le fonctionnaire nantais avait un jour de disponible. Il se laissa convaincre et prit la diligence pour Ars.

Et – toujours la même histoire ! – « Trop de monde ! soupira M. Ferrus en se glissant dans la petite église. Je n'attendrai pas. »

Or, presque aussitôt, comme il le fit pour tant d'autres, M. Vianney vint jusqu'à lui et l'invita à le suivre. Malheureusement, le saint trouva une âme insuffisamment préparée. Le pénitent improvisé consentit bien à s'agenouiller au confessionnal ; mais ses confidences au prêtre furent vagues et quelconques. Le saint ne put l'absoudre.

Quand les deux hommes se retrouvèrent debout en face l'un de l'autre : « Mon ami, dit affectueusement le Curé d'Ars, il faut vous en retourner tout de suite. On vous attend chez vous. » Et tirant trois médailles d'un petit sac qu'il portait toujours dans sa poche : « Voici des médailles pour vos enfants. »

M. Ferrus accepta le cadeau ; mais une fois dans l'église il s'aperçut de... l'erreur du Curé d'Ars. « Pour un prophète et un saint il n'est pas fort, ironisa-t-il à mi-voix. J'ai quatre enfants, et il m'a donné trois médailles ! »

Le voyageur apprit, en arrivant à Nantes que le Curé d'Ars n'était pas, hélas ! un si mauvais prophète : l'un des quatre enfants Ferrus était mort le jour même où leur père se trouvait à Ars.

M. Ferrus reconnut alors qu'il avait eu affaire à un véritable saint.

 

Six mois plus tard, repassant par Lyon, il exprimait spontanément à son ami son désir de revoir M. Vianney. Cette fois, la confession fut sérieuse. M. Ferrus revint d'Ars converti.

Il habitait le quartier Saint-Donatien, qu'il édifia par sa profonde piété. Devenu infirme, il n'en continua pas moins d'aller chaque jour, appuyé sur ses béquilles, entendre la messe et communier à la chapelle de la Salette, assez éloignée de son domicile (1).

 

(1) L'une des filles de M. Ferrus épousa M. Chabas qui a fondé dans la ville de Nantes l'importante maison Au rat goutteux. Des membres de la famille Chabas nous ont fourni la documentation de cette histoire.