VI

L'enfant ébouillanté

 

Aux environs de 1856, Mme Fournier,née Malherbe, qui habitait Chambilly, en Saône-et-Loire, eut l'idée de faire le pèlerinage d'Ars. Elle avait pourtant de tout jeunes enfants. Elle les laissa à la garde de ses voisins ; son mari, simple journalier qui travaillait en dehors de la maison, ne pouvait guère en prendre la charge.

Il fallait dans ce temps-là plusieurs jours pour aller de Chambilly au village d'Ars, même avec des « occasions de voitures ».

En pénétrant dans l'église d'Ars, la bonne dame Fournier vit trop bien qu'elle aurait tout le temps d'attendre ! Mon Dieu, est-ce que, là, dans le domaine du bon saint Curé, il n'y aurait pas un tour de faveur pour les mères de famille nombreuse, tout au moins pour la maman de tout jeunes enfants ?

Elle n'avait pas fini de soupirer cette plainte, qu'elle aperçut à l'entrée du chœur un vénérable prêtre lui faire signe d'approcher. Pas de doute, ce prêtre était le saint lui-même !

Mme Fournier s'agenouille au confessionnal. M. Vianney le premier, prend la parole.

« Mon enfant , votre place n'est pas ici. Rentrez immédiatement chez vous, car au moment où je vous parle, un de vos enfants tombe dans une marmite d'eau bouillante. Ses heures sont comptées. »

 

La pauvre femme reprit la diligence qui l'avait amenée. Elle arriva chez elle pour l'enterrement du petit. Hélas, l'heure de l'accident avait bien coïncidé avec les paroles du saint qui de loin le voyait et qui l'annonçait à la mère (1) !

 

(1) « Je tiens le fait de Mme Fournier elle-même qui, à plusieurs reprises me le raconta avec larmes, aux environs de 1883 », atteste Mlle Orsel du Saget, une Lyonnaise qui nous a fourni ces détails. « À ce moment, ajoute-t-elle, nous employions à notre service, dans la commune d'Artaix proche de Chantilly, les deux filles de Mme Fournier, Jeanne et Marie, âgées d'à peu près trente ans... C'est la lecture de la biographie du saint Curé par M. l'abbé Trochu qui m'a donné l'idée de rapporter ce trait à Mgr Convert. » (Ars, 12 avril 1931)