18me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

(DOUZIéME SERMON)

Sur la TiŽdeur

 

 

Sed quia tepidus es, et nec frigidus, nec calidus, incipiam te evomere ex ore meo.

Mais parce que tu es tide, et que tu n'es ni froid, ni chaud, je vais te vomir de ma bouche.

(Apoc. iii, 16.)

 

Pouvons-nous, M.F., entendre sans frŽmir une telle sentence sortir de la bouche de Dieu mme, contre un Žvque qui semblait parfaitement remplir tous les devoirs d'un digne ministre de l'ƒglise ? Sa vie Žtait rŽglŽe, son bien n'Žtait point dŽpensŽ mal ˆ propos. Bien loin d'autoriser le vice, il s'y opposait au contraire fortement ; il ne donnait point de mauvais exemples, et sa vie paraissait vraiment digne d'tre imitŽe. Cependant, malgrŽ tout cela, nous voyons que le Seigneur lui fait dire par saint Jean, que s'il continuait ˆ vivre de cette manire, il allait le rejeter, c'est-ˆ-dire le punir et le rŽprouver. Oui, M.F., cet exemple est d'autant plus effrayant que beaucoup suivent la mme route, vivent de la mme manire, et tiennent leur salut pour assurŽ. HŽlas ! M.F., qu'est petit le nombre de ceux qui ne sont ni du c™tŽ des pŽcheurs dŽjˆ rŽprouvŽs aux yeux du monde, ni du nombre des Žlus ! Dans quel chemin marchons-nous ? Est-ce le droit chemin que nous suivons ?

Ce qui nous doit faire trembler, c'est que nous n'en savons rien. Incertitude effrayante !É Essayons cependant de conna”tre si vous tes assez malheureux que d'tre du nombre des tides. Je vais 1¡ vous montrer les marques par lesquelles vous le conna”trez ; et 2¡ si vous tes de ce nombre, je vous indiquerai les moyens d'en sortir.

 

I. – En vous parlant aujourd'hui, M.F., de l'Žtat Žpouvantable d'une ‰me tide, mon dessein n'est pas de vous faire la peinture effrayante et dŽsespŽrante d'une ‰me qui vit dans le pŽchŽ mortel, sans mme avoir le dŽsir d'en sortir ; cette pauvre malheureuse n'est qu'une victime de la colre de Dieu pour l'autre vie. HŽlas ! ces pŽcheurs m'Žcoutent, ils savent bien de qui je parle en ce momentÉÉ N'allons pas plus loin, tout ce que je dirais ne servirait qu'ˆ les endurcir davantage. En vous parlant, M.F., d'une ‰me tide, je ne veux pas davantage vous parler de ceux qui ne font ni P‰ques ni confessions ; ils savent trs bien que, malgrŽ toutes leurs prires et leurs autres bonnes Ïuvres ils seront perdus. Laissons-les dans leur aveuglement, puisqu'ils y veulent rester. – Mais, me direz-vous, tous ceux qui se confessent, qui font leurs P‰ques et qui communient souvent, ne seront-ils pas sauvŽs ? – AssurŽment, mon ami, ils ne le seront pas tous ; car si le plus grand nombre de ceux qui frŽquentent les sacrements Žtaient sauvŽs, il faut bien en convenir, le nombre des Žlus ne serait pas aussi petit qu'il le sera. Mais, cependant, reconnaissons-le ; tous ceux qui, auront le grand bonheur d'aller au ciel seront choisis parmi ceux qui frŽquentent les sacrements, et jamais parmi ceux qui ne font ni P‰ques ni confessions. Ah ! me direz-vous, si tous ceux qui ne font ni P‰ques, ni  confessions sont damnŽs, le nombre des rŽprouvŽs sera bien grand ! – Oui, sans doute, il sera grand. Quoique vous puissiez en dire, si vous vivez en pŽcheurs, vous partagerez leur sort. Est-ce que cette pensŽe ne vous touche pas ?... Si vous n'tes endurci au dernier degrŽ, elle doit vous faire frŽmir et mme dŽsespŽrer. HŽlas ! mon Dieu ! qu'une personne qui a perdu la foi est malheureuse ! Bien loin de profiter de ces vŽritŽs, ces pauvres aveugles, au contraire, s'en moqueront ; et cependant, malgrŽ tout ce qu'ils peuvent en dire, cela sera tel que, je le dis : point de P‰ques, ni de confessions, point de ciel, ni de bonheur Žternel. O mon Dieu ! que l'aveuglement du pŽcheur est affreux !

 Je n'entends pas encore, M.F., par une ‰me tide, celui qui voudrait tre au monde sans cesser d'tre ˆ Dieu : vous le verrez, un moment se prosterner devant Dieu, son Sauveur et son ma”tre ; et, un autre moment, vous le verrez se prosterner devant le monde, son idole. Pauvre aveugle, qui tend une main au bon Dieu et l'autre au monde, qu'il appelle tous deux ˆ son secours, en promettant ˆ chacun son cÏur ! Il aime le bon Dieu ; du moins il voudrait l'aimer, mais il voudrait aussi plaire au monde. LassŽ de vouloir se donner ˆ tous les deux, il finit par ne plus se donner qu'au monde. Vie extraordinaire et qui prŽsente un spectacle si singulier, que l'on ne peut pas se persuader que ce soit la vie d'une mme personne. Je vais vous la montrer d'une manire si claire, que, peut-tre, plusieurs d'entre vous en seront offensŽs ; mais, peu m'importe, je vous dirai toujours ce que je dois vous dire, et vous en ferez ce que vous voudrez.

Je dis, M.F., que celui qui veut tre au monde sans cesser d'tre ˆ Dieu, mne une vie si extraordinaire, qu'il n'est pas possible d'en concilier les diffŽrentes circonstances. Dites-moi, oseriez vous penser que cette fille, que vous voyez dans ces parties de plaisirs, dans ces assemblŽes mondaines o l'on ne fait que le mal et jamais le bien, se livrant ˆ tout ce qu'un cÏur g‰tŽ et perverti peut dŽsirer, est la mme que vous avez vue, il y a ˆ peine quinze jours ou un mois, au pied du tribunal de la pŽnitence faire l'aveu de ses fautes, protestant ˆ Dieu qu'elle est prte ˆ mourir plut™t que de retomber dans le pŽchŽ ? Est-ce bien lˆ cette personne, que vous avez vue monter ˆ la table sainte les yeux baissŽs, la prire sur les lvres ? O mon Dieu ! quelle horreur ! Peut-on bien y penser sans mourir de compassion ? Croiriez-vous, M.F., que cette mre qui, il y a trois semaines, envoyait sa fille se confesser, en lui recommandant avec raison de penser sŽrieusement ˆ ce qu'elle allait faire, et en lui donnant un chapelet ou un livre ; aujourd'hui, lui dit de se rendre ˆ une danse, ˆ un mariage ou ˆ des fianailles. Ces mmes mains, qui lui ont donnŽ un livre, sont employŽes ˆ lui arranger ses vanitŽs, afin de mieux plaire au monde. Dites-moi, M.F., est-ce bien cette personne qui, ce matin, Žtait ˆ l'Žglise, chantait les louanges de Dieu, et qui maintenant emploie cette mme langue ˆ chanter de mauvaises chansons et ˆ tenir les discours les plus inf‰mes ? Est-ce bien lˆ ce ma”tre ou ce pre de famille qui, tout ˆ l'heure, Žtait ˆ la sainte Messe avec un grand respect, qui semblait vouloir passer si saintement le dimanche, et que vous voyez maintenant travailler et faire travailler son monde ? O mon Dieu ! quelle horreur ! comment le bon Dieu va-t-il ranger tout cela au jour du jugement ? HŽlas ! que de chrŽtiens damnŽs !

Je dis plus, M.F. : celui qui veut plaire au monde et au bon Dieu, mne une vie des plus malheureuses. Vous allez le voir. Voici une personne qui frŽquente les plaisirs, ou qui a contractŽ quelque mauvaise habitude ; quelle n'est pas sa crainte quand elle remplit ses devoirs de religion, c'est-ˆ-dire quand elle prie le bon Dieu, quand elle se confesse, ou veut communier ? Elle ne voudrait pas tre vue de ceux avec qui elle a dansŽ, et passŽ les nuits dans les cabarets, o elle s'est livrŽe ˆ toutes sortes de dŽsordres. Est-elle venue ˆ bout de tromper son confesseur, en cachant tout ce qu'elle a fait de pire, et a-t-elle ainsi obtenu la permission de communier, ou plut™t de faire un sacrilge ; elle voudrait communier avant ou aprs la sainte Messe, c'est-ˆ-dire dans le moment o il n'y a personne. Mais elle est contente d'tre vue des personnes qui sont sages, qui ignorent sa mauvaise vie, et auxquelles elle espre inspirer une bonne opinion d'elle-mme. Avec les personnes de piŽtŽ, elle parle de la religion ; avec les gens sans religion, elle ne parlera que des plaisirs du monde. Elle rougirait d'accomplir ses pratiques religieuses devant les compagnons ou devant les compagnes de ses dŽbauches. Cela est si vrai, qu'un jour quelqu'un m'a demandŽ de le faire communier ˆ la sacristie, afin que personne ne le v”t. Quelle horreur ! M.F., peut-on y penser et ne pas frŽmir d'une telle conduite !

Mais allons plus loin, vous allez voir l'embarras de ces pauvres personnes qui veulent suivre le monde sans quitter le bon Dieu, du moins en apparence. Voilˆ les P‰ques qui approchent. Il faut aller se confesser ; ce n'est pas qu'elles le dŽsirent, ni qu'elles en sentent le besoin : elles voudraient bien plut™t que les P‰ques n'arrivassent que tous les trente ans. Mais leurs parents tiennent encore ˆ la pratique extŽrieure de la religion ; ils sont contents que leurs enfants se prŽsentent ˆ la sainte Table, ils les pressent mme d'aller se confesser : en cela ils font trs mal. Qu'ils prient pour eux, et ne les tourmentent pas pour leur faire faire des sacrilges ; hŽlas ! ils en feront assez ! Pour se dŽlivrer de l'importunitŽ de leurs parents, pour sauver les apparences, ces personnes se rassembleront afin de savoir ˆ quel confesseur il faut aller pour tre absoutes la premire ou la deuxime fois. Ç Voilˆ dŽjˆ plusieurs fois, dit l'une, que les parents me tourmentent de ce que je ne vais pas me confesser. O irons-nous ? È – Ç Il ne faut pas aller chez notre curŽ, il est trop scrupuleux ; il ne nous ferait pas faire de P‰ques. Il nous faut aller trouver un tel. Il a passŽ [1] telles et telles qui en ont bien autant commis que nous. Nous n'avons pas fait plus de mal qu'elles. È Une autre dira : Ç Je t'assure, que si ce n'Žtaient mes parents, je ne ferais point de P‰ques ; puisque notre catŽchisme nous dit que pour faire une bonne confession, il faut quitter le pŽchŽ et l'occasion du pŽchŽ, et nous ne faisons ni l'un ni l'autre. Je te le dis sincrement, je suis bien embarrassŽe toutes les fois que les P‰ques arrivent. Je ne vois les heures [2] d'tre Žtablie pour ne plus courir. Alors je ferai une confession de toute ma vie pour rŽparer celles que je fais maintenant, sans cela je ne mourrais pas contente. È – Ç Eh bien ! lui dira une autre, il te faudra retourner ˆ celui qui t'a confessŽe jusqu'ˆ prŽsent, il te conna”tra bien mieux. È – Ç Ah ! certes non, j'irai ˆ celui qui ne m'a pas voulu passer, parce qu'il ne voulait pas me damner. È – Ç Ah ! que tu es bonne ! cela ne fait rien, ils ont bien tous le mme pouvoir. È – Ç Cela est bon ˆ dire tant que l'on se porte bien ; mais quand on est malade on pense bien autrement. Un jour, j'allais voir une telle, qui Žtait bien malade ; elle me dit que jamais elle ne retournerait se confesser ˆ ces prtres qui sont si faciles, et qui, en faisant semblant de vouloir vous sauver, vous jettent en enfer. È C'est ainsi que se conduisent beaucoup de ces pauvres aveugles. Ç Mon. pre, disent-elles au prtre, je viens me confesser ˆ vous, parce que notre curŽ est trop scrupuleux. Il veut nous faire promettre des choses que nous ne pouvons pas tenir ; il voudrait que nous fussions des saints, et cela n'est pas trop possible dans le monde. Il voudrait que nous ne missions jamais le pied ˆ la danse, que nous ne frŽquentassions jamais les cabarets ni les jeux. Si l'on a quelque mauvaise habitude, il n'accorde plus l'absolution qu'on ne l'ait quittŽe tout ˆ fait. S'il fallait faire tout cela, nous ne ferions jamais de P‰ques. Mes parents, qui ont bien de la religion, me sont toujours aprs, sur ce que je ne fais pas mes P‰ques. Je ferai tout ce que je pourrai ; mais l'on ne peut pas dire que l'on ne retournera plus dans ces amusements, puisque l'on ne sait pas les occasions que l'on pourra rencontrer. È – Ç Ah ! lui dira le confesseur trompŽ par ce beau langage, je vois que votre curŽ est un peu scrupuleux. Faites votre acte de contrition, je vais vous donner l'absolution, et t‰chez d'tre bien sage. È C'est-ˆ-dire, baissez la tte ; vous allez fouler le sang adorable de JŽsus-Christ, vous allez vendre votre Dieu comme Judas l'a vendu ˆ ses bourreaux, et demain vous communierez, ou plut™t, vous irez le crucifier. O horreur ! ™ abomination ! Va, inf‰me Judas, va, ˆ lˆ Table sainte ; va donner la mort ˆ ton Dieu et ˆ ton Sauveur ! Laisse crier ta conscience ; t‰che seulement d'en Žtouffer les remords, autant que tu le pourras... Mais, M.F., je vais trop loin ; laissons ces pauvres aveugles ˆ leurs tŽnbres.

Je pense, M.F., que vous dŽsirez savoir ce que c'est que l'Žtat d'une ‰me tide. HŽ bien ! le voici : Une ‰me tide n'est pas encore tout ˆ fait morte aux yeux de Dieu, parce que la foi, l'espŽrance et la charitŽ, qui sont sa vie spirituelle, ne sont pas tout ˆ fait Žteintes. Mais, c'est une foi sans zle, une espŽrance sans fermetŽ, une cha­ritŽ sans ardeur. Je vais vous faire le portrait d'un chrŽtien fervent, c'est-ˆ-dire d'un chrŽtien qui dŽsire vŽrita­blement sauver son ‰me, en mme temps que celui d'une personne qui mne une vie tide dans le service de Dieu. Mettons-les ˆ c™tŽ de l'un et de l'autre, et vous ver­rez-auquel des deux vous ressemblez. Un bon chrŽtien ne se contente pas de croire toutes les vŽritŽs de notre sainte religion, il les aime, il les mŽdite, il cherche tous les moyens de les apprendre ; il aime ˆ entendre la parole de Dieu ; plus il l'entend, plus il dŽsire l'entendre, parce qu'il dŽsire en profiter, c'est-ˆ-dire Žviter tout ce que Dieu lui dŽfend et faire tout ce qu'il commande. Les instructions ne lui paraissent jamais trop longues ; au contraire, ces moments sont les plus heureux pour lui, puisqu'il apprend la manire dont il doit se conduire pour aller au ciel et sauver son ‰me. Non seulement, il croit que Dieu le voit dans toutes ses actions et qu'il les jugera toutes ˆ l'heure de la mort ; mais encore il tremble toutes les fois qu'il pense qu'un jour il faudra aller rendre compte de toute sa vie devant un Dieu qui sera sans misŽricorde pour le pŽchŽ. Il ne se contente pas d'y penser, de trem­bler ; mais il travaille ˆ se corriger chaque jour ; il ne cesse d'inventer tous les jours de nouveaux moyens pour faire pŽnitence ; il compte pour rien tout ce qu'il a fait jusque-lˆ, et gŽmit d'avoir perdu beaucoup de temps, pendant lequel il aurait pu ramasser de grands trŽsors pour le ciel.

Qu'il est diffŽrent le chrŽtien qui vit dans la tiŽdeur ! Il ne laisse pas de croire toutes les vŽritŽs que l'ƒglise croit et enseigne, mais c'est d'une manire si faible, que son cÏur n'y est presque pour rien. Il ne doute pas, il est vrai, que le bon Dieu le voit, qu'il est toujours en sa sainte prŽsence ; mais avec cette pensŽe il n'est ni plus sage, ni moins pŽcheur ; il tombe avec autant de facilitŽ dans le pŽchŽ que s'il ne croyait rien ; il est trs persuadŽ que, tant qu'il vit dans cet Žtat, il est ennemi de Dieu, mais il n'en sort pas pour cela. Il sait que JŽsus-Christ a donnŽ au sacrement de pŽnitence la puissance de remettre nos pŽchŽs, et de nous faire cro”tre en vertu. Il sait que ce sacrement nous accorde des gr‰ces proportionnŽes aux dispositions que nous y apportons ; n'importe : mme nŽgligence, mme tiŽdeur dans la pratique. Il sait que JŽsus-Christ est vŽritablement dans le sacrement de l'Eucharistie, qu'il est une nourriture absolument nŽcessaire ˆ sa pauvre ‰me ; cependant, vous voyez en lui peu de dŽsirs ! Ses confessions et ses communions sont trs ŽloignŽes les unes des autres ; il ne se dŽcidera qu'ˆ l'occasion d'une grande fte, d'un jubilŽ ou d'une mission ; ou bien, parce que les autres y vont, et non par le besoin de sa pauvre ‰me. Non seulement il ne travaille pas ˆ mŽriter ce bonheur ; mais il ne porte pas mme envie ˆ ceux qui le gožtent plus souvent. Si vous lui parlez des choses du bon Dieu, il vous rŽpond avec une indiffŽrence qui vous montre comme son cÏur est peu sensible aux biens que nous pouvons trouver dans notre sainte religion. Rien ne le touche : il Žcoute la parole de Dieu, il est vrai ; mais souvent il s'ennuie ; il Žcoute avec peine, par habitude, comme une personne qui pense qu'elle en sait assez, ou qu'elle en fait assez. Les prires qui sont un peu longues le dŽgožtent. Son esprit est si rempli de l'action qu'il vient de finir, ou de celle qu'il va faire ; son ennui est si grand que sa pauvre ‰me est comme ˆ l'agonie : il vit encore, mais il n'est capable de rien pour le ciel.

L'espŽrance d'un bon chrŽtien est ferme ; sa confiance en Dieu est inŽbranlable. Il ne perd jamais de vue les biens et les maux de l'autre vie. Le souvenir des souffrances de JŽsus-Christ lui est continuellement prŽsent ˆ l'esprit ; son cÏur en est toujours occupŽ. Tant™t il porte sa pensŽe dans les enfers, pour concevoir combien est grande la punition du pŽchŽ et combien est grand le malheur de celui qui le commet, ce qui le dispose ˆ prŽfŽrer la mort mme au pŽchŽ ; tant™t pour s'exciter ˆ l'amour de Dieu, et pour sentir combien est heureux celui qui prŽfre le bon Dieu ˆ tout ; il porte sa pensŽe dans le ciel. Il se reprŽsente combien est grande la rŽcompense de celui qui quitte tout pour le bon Dieu. Alors, il ne dŽsire que Dieu et ne veut que Dieu seul : les biens de ce monde ne lui sont rien ; il aime ˆ les voir mŽprisŽs et ˆ les mŽpriser lui-mme ; les plaisirs du monde lui font horreur. Il pense qu'Žtant le disciple d'un Dieu crucifiŽ, sa vie ne doit tre qu'une vie de larmes et de souffrances. La mort ne l'effraie nullement, parce qu'il sait trs bien qu'elle seule peut le dŽlivrer des maux de la vie, et le rŽunir ˆ son Dieu pour toujours.

Mais une ‰me tide est bien ŽloignŽe de ces sentiments. Les biens et les maux de l'autre vie ne lui sont presque rien : elle pense au ciel, il est vrai, mais sans dŽsirer vŽritablement d'y aller. Elle sait que le pŽchŽ lui en ferme les portes ; malgrŽ cela, elle ne cherche pas ˆ se corriger, du moins d'une manire efficace ; aussi se trouve-t-elle toujours la mme. Le dŽmon la trompe en lui faisant prendre beaucoup de rŽsolutions de se con­vertir, de mieux faire, d'tre plus mortifiŽe, plus retenue dans ses paroles, plus patiente dans ses peines, plus charitable envers son prochain. Mais, tout cela ne change nullement sa vie : il y a vingt ans qu'elle est remplie de dŽsirs, sans avoir modifiŽ en rien ses habitudes. Elle ressemble ˆ une personne qui porte envie ˆ celui qui est sur un char de triomphe, mais ne daigne pas seulement lever le pied pour y monter. Elle ne voudrait pas cependant renoncer aux biens Žternels pour ceux de la terre ; mais elle ne dŽsire ni sortir de ce monde, ni aller au ciel, et si elle pouvait passer son temps sans croix et sans chagrins, elle ne demanderait jamais ˆ sortir de ce monde. Si vous lui entendez dire que la vie est bien longue et bien misŽrable, c'est seulement quand tout ne va pas selon ses dŽsirs. Si le bon Dieu, pour la forcer, en quelque sorte, ˆ se dŽtacher de la vie, lui envoie des croix ou des misres, la voilˆ qui se tourmente, qui se chagrine, qui s'abandonne aux plaintes, aux murmures, et souvent ˆ une espce de dŽsespoir. Elle semble ne plus vouloir reconna”tre que c'est le bon Dieu qui lui envoie ces Žpreuves pour son bien ; pour la dŽtacher de la vie et l'attirer ˆ lui. Qu'a-t-elle pu faire pour les mŽriter ? pense-t-elle en elle-mme ; bien d'autres plus coupables qu'elle n'en subissent pas autant.

Dans la prospŽritŽ, l'‰me tide ne va pas jusqu'ˆ oublier le bon Dieu, mais elle ne s'oublie pas non plus elle-mme. Elle sait trs bien raconter tous les moyens qu'elle a employŽs pour rŽussir ; elle croit que bien d'autres n'auraient pas eu le mme succs : elle aime ˆ le rŽpŽter, ˆ l'entendre rŽpŽter ; chaque fois qu'elle l'entend, c'est avec une nouvelle joie. A l'Žgard de ceux qui la flattent, elle prend un air gracieux ; mais pour ceux qui ne lui ont pas portŽ tout le respect qu'elle croit mŽriter, ou qui n'ont pas ŽtŽ reconnaissants de ses bienfaits, elle garde un air froid, indiffŽrent, et semble leur dire qu'ils sont des ingrats qui ne mŽritaient pas de recevoir le bien qu'elle leur a fait.

Mais un bon chrŽtien, M.F., bien loin de se croire digne de quelque chose, et capable de faire le moindre bien, n'a que sa misre devant les yeux. Il se mŽfie de ceux qui le flattent, comme d'autant de piges que le dŽmon lui tend ; ses meilleurs amis sont ceux qui lui font conna”tre ses dŽfauts, parce qu'il sait qu'il faut absolument les conna”tre pour s'en corriger. Il fuit l'occasion du pŽchŽ autant qu'il le peut ; se rappelant combien peu de chose le fait tomber, il ne compte plus sur toutes ses rŽsolutions, ni sur ses forces, ni mme sur sa vertu. Il conna”t, par sa propre expŽrience, qu'il n'est capable que de pŽcher ; il met toute sa confiance et son espŽrance en Dieu seul : Il sait que le dŽmon ne craint rien tant qu'une ‰me qui aime la prire, ce qui le porte ˆ faire de sa vie une prire continuelle par un entretien intime avec le bon Dieu. La pensŽe de Dieu lui est aussi familire que la respiration ; les ŽlŽvations de son cÏur vers lui sont frŽquentes : il se pla”t ˆ penser ˆ lui comme ˆ son pre, ˆ son ami et ˆ son Dieu qui l'aime, et qui dŽsire si ardemment le rendre heureux dans ce monde, et encore plus dans l'autre. Un bon chrŽtien, M.F., est rarement occupŽ des choses de la terre ; si vous lui en parlez, il montre autant d'indiffŽrence que les gens du monde en tŽmoignent quand on leur parle des biens de l'autre vie. Enfin, il fait consister son bonheur dans les croix, les afflictions, la prire, le ježne et la pensŽe de la prŽsence de Dieu. Pour une ‰me tide, elle ne perd pas tout ˆ fait, si vous le voulez, la confiance en Dieu ; mais elle ne se mŽfie pas assez d'elle-mme. Quoiqu'elle s'expose assez souvent ˆ l'occasion du pŽchŽ, elle croit toujours qu'elle ne tombera pas. Si elle vient ˆ tomber, elle attribue sa chute au prochain et elle affirme qu'une autre fois, elle sera plus ferme.

Celui qui aime vŽritablement le bon Dieu, M.F., et qui a ˆ cÏur le salut de son ‰me, prend toutes les prŽcautions possibles pour Žviter l'occasion du pŽchŽ. Il ne se contente pas d'Žviter les grosses fautes ; mais il est attentif ˆ dŽtruire les moindres fautes qu'il aperoit en lui. Il regarde toujours comme un grand mal tout ce qui peut dŽplaire tant soit peu ˆ Dieu ; ou pour mieux dire, tout ce qui dŽpla”t ˆ Dieu lui dŽpla”t. Il se regarde comme au pied d'une Žchelle au haut de laquelle il doit monter ; il voit que pour l'atteindre il n'a point de temps ˆ perdre ; aussi va-t-il tous les jours de vertus en vertus, jusqu'au jour de l'ŽternitŽ. C'est un aigle qui fend les airs ; ou plut™t c'est un Žclair qui ne perd rien de sa rapiditŽ, de l'instant o il para”t ˆ celui o il dispara”t. Oui, M.F., voilˆ ce que fait une ‰me qui travaille pour Dieu et qui dŽsire de le voir. Comme l'Žclair, elle ne trouve ni bornes ni retard, avant d'tre ensevelie dans le sein de son CrŽateur. Pourquoi notre esprit se transporte-t-il avec tant de rapiditŽ d'un bout du monde ˆ l'autre ? C'est pour nous montrer avec quelle rapiditŽ nous devons nous porter ˆ Dieu par nos pensŽes et nos dŽsirs. Mais tel n'est pas l'amour de Dieu dans une ‰me tide. L'on ne voit pas en elle ces dŽsirs ardents et ces flammes bržlantes, qui font surmonter tous les obstacles qui s'opposent au salut. Si je voulais, M.F., vous peindre exactement l'Žtat d'une ‰me qui vit dans la tiŽdeur, je vous dirais qu'elle est semblable ˆ une tortue ou ˆ un escargot. Elle ne marche qu'en se tra”nant sur la terre, et ˆ peine la voit-on changer de place. L'amour de Dieu, qu'elle ressent dans son cÏur, est semblable ˆ une petite Žtincelle de feu cachŽe sous un tas de cendres ; cet amour est enveloppŽ de tant de pensŽes et de dŽsirs terrestres, que s'ils ne l'Žtouffent pas, ils en empchent le progrs et l'Žteignent peu ˆ peu. L'‰me tide en vient ˆ ce point d'tre tout ˆ fait indiffŽrente ˆ sa perte. Elle n'a plus qu'un amour sans tendresse, sans activitŽ et sans force, qui la soutient ˆ peine dans tout ce qui est essentiellement nŽcessaire pour tre sauvŽe ; mais pour tout le reste, elle le regarde comme rien ou comme peu de chose. HŽlas ! M.F., cette pauvre ‰me est dans sa tiŽdeur, comme une personne entre deux sommeils. Elle voudrait agir ; mais sa volontŽ est tellement molle qu'elle n'a ni la force, ni le courage d'accomplir ses dŽsirs [3] .

Il est vrai qu'un chrŽtien qui vit dans la tiŽdeur remplit encore assez rŽgulirement ses devoirs, du moins, en apparence. Il fera bien tous les malins sa prire, ˆ genoux ; il frŽquentera bien les sacrements, tous les ans, ˆ P‰ques, et mme plusieurs fois l'annŽe ; mais en tout cela, il y a tant de dŽgožt, tant de l‰chetŽ et tant d'indiffŽrence, si peu de prŽparation, si peu de changement dans sa manire de vivre, que l'on voit clairement qu'il ne s'acquitte de ses devoirs que par habitude et par routine ; parce que c'est une fte, et qu'il a l'habitude de les remplir en ce temps-lˆ. Ses confessions et ses communions ne sont pas sacrilges, si vous le voulez ; mais ce sont des confessions et des communions sans fruit, qui, bien loin de le rendre plus parfait et plus agrŽable ˆ Dieu, ne le rendent que plus coupable. Pour ses prires, Dieu seul sait comment elles sont faites : hŽlas ! sans prŽparation. Le matin, ce n'est pas du bon Dieu qu'il s'occupe, ni du salut de sa pauvre ‰me ; mais il ne pense qu'ˆ bien travailler. Son esprit est tellement enveloppŽ des choses de la terre, que la pensŽe de Dieu n'y a point de place. Il pense ˆ ce qu'il fera pendant la journŽe, o il enverra ses enfants et ses domestiques ; de quelle manire il s'y prendra pour activer son ouvrage. Pour faire sa prire, il se met ˆ genoux, il est vrai ; mais il ne sait ni ce qu'il veut demander au bon Dieu, ni ce qui lui est nŽcessaire, ni mme devant qui il se trouve ; ses manires, si peu respectueuses, l'annoncent bien. C'est un pauvre qui, quoique bien misŽrable, ne veut rien et aime sa pauvretŽ. C'est un malade presque dŽsespŽrŽ, qui mŽprise les mŽdecins et les remdes, et aime ses infirmitŽs. Vous voyez cette ‰me tide ne faire aucune difficultŽ de parler, sous le moindre prŽtexte, dans le cours de ses prires ; un rien les lui fait abandonner, en partie, du moins, pensant qu'elle les fera ˆ un autre moment. Veut-elle offrir sa journŽe ˆ Dieu, dire son benedicite et ses gr‰ces ? Elle fait tout cela, il est vrai ; mais souvent sans penser, ˆ qui elle parle. Elle ne quittera mme pas son travail. Est-ce un homme ? Il tournera son bonnet ou son chapeau entre ses mains, comme pour examiner s'il est bon ou mauvais, comme s'il avait dessein de le vendre. Est-ce une femme ? Elle les rŽcitera en coupant le pain de sa soupe, ou en poussant son bois au feu, ou bien en criant aprs ses enfants ou ses domestiques. Les distractions dans la prire ne sont pas bien volontaires, si vous le voulez, on aimerait mieux ne pas les avoir ; mais, parce qu'il faut se faire quelque violence pour les chasser, on les laisse aller et venir ˆ leur grŽ.

Une ‰me tide ne travaille peut-tre pas, le saint jour du dimanche, ˆ des ouvrages qui paraissent dŽfendus aux personnes qui ont un peu de religion ; mais faire quelques points d'aiguille, arranger quelque chose dans le mŽnage, envoyer ses bergers au champ, durant les offices, sous prŽtexte qu'ils n'ont pas bien de quoi donner ˆ leurs btes ; ils ne s'en font pas de scrupule, et ainsi aiment mieux laisser pŽrir leur ‰me et celles de leurs ouvriers que laisser pŽrir leurs btes. Un homme arrangera ses outils, ses charrettes pour le lendemain ; il ira visiter ses terres, il bouchera un trou, il coupera quelques cordes, il apportera des seillons et les arrangera. Qu'en pensez-vous, M.F. ? n'est-ce pas, hŽlas ! la vŽritŽ toute pure ?...

Une ‰me tide se confessera encore tous les mois, et mme bien plus souvent. Mais, hŽlas ! quelles confessions ? Point de prŽparation, point de dŽsirs de se corriger ; du moins ils sont si faibles et si petits, que le premier coup de vent les renverse. Toutes ses confessions ne sont qu'une rŽpŽtition des anciennes, bienheureux encore s'ils n'ont rien ˆ y ajouter. Il y a vingt ans qu'ils accusaient ce qu'ils accusent aujourd'hui ; dans vingt ans s'ils se confessent encore, ce sera la mme rŽpŽtition. Une ‰me tide ne commettra pas, si vous voulez, de gros pŽchŽs ; mais une petite mŽdisance, un mensonge, un sentiment de haine, d'aversion, de jalousie, une petite dissimulation ne lui cožtent gure. Si vous ne lui portez pas tout le respect qu'elle croit mŽriter, elle vous le fera bien apercevoir, sous prŽtexte que l'on offense le bon Dieu ; elle devrait plut™t dire, parce qu'on l'offense elle-mme ; il est vrai qu'elle ne laissera pas de frŽquenter les sacrements, mais ses dispositions sont dignes de com­passion. Le jour o elle veut recevoir son Dieu, elle passera une partie de la matinŽe ˆ penser ˆ ses affaires temporelles. Si c'est un homme, il pensera ˆ ses marchŽs ou ˆ ses ventes ; si c'est une femme, elle pensera ˆ son mŽnage et ˆ ses enfants ; si c'est une fille, ˆ la manire dont elle va s'habiller ; si c'est un garon, il rvera ˆ quelques plaisirs frivoles, et le reste. Elle renferme son Dieu comme dans une prison obscure et malpropre, Elle ne lui donne pas la mort, mais il est dans ce cÏur sans joie et sans consolation ; toutes ses dispositions annoncent que sa pauvre ‰me n'a plus qu'un souffle de vie. Aprs avoir reu la sainte communion, cette personne pense gure plus au bon Dieu que les autres jours. Sa manire de vivre nous annonce qu'elle n'a pas connu la grandeur de son bonheur.

 Une personne tide rŽflŽchit peu sur l'Žtat de sa pauvre ‰me, et ne revient presque jamais sur le passŽ ; si elle pense cependant ˆ mieux faire, elle croit qu'ayant confessŽ ses pŽchŽs, elle doit tre parfaitement tranquille. Elle assiste ˆ la sainte Messe, ˆ peu prs comme ˆ une action ordinaire ; elle y pense peu sŽrieusement, et ne fait point de difficultŽ de causer de diffŽrentes choses en y allant ; elle ne pensera pas mme peut-tre une seule fois qu'elle va participer au plus grand de tous les dons que le bon Dieu puisse nous faire, tout Dieu qu'il est. Pour les besoins de son ‰me, elle y pense, il est vrai, mais bien faiblement ; souvent mme elle se prŽsente devant le bon Dieu sans savoir ce qu'elle va lui demander. Elle se fait peu de scrupules de retrancher, sous le moindre prŽtexte, la Passion, la procession et l'eau bŽnite. Pendant les saints offices, elle ne veut pas dormir, il est vrai, et elle a mme peur qu'on l'aperoive ; mais elle ne se fait pas la moindre violence. Quant aux distractions pendant la prire ou la sainte Messe, elle ne voudrait pas les avoir ; mais comme il faudrait un peu combattre, elle les souffre avec patience, cependant sans les aimer. Les jours de ježne se rŽduisent presque ˆ rien, soit parce qu'on avance l'heure du repas, soit parce qu'on collationne abondamment, ce qui revient ˆ un souper, sous le prŽtexte, que le ciel ne se prend pas par famine. Quand elle fait quelques bonnes actions, souvent son intention n'est pas bien purifiŽe : tant™t c'est pour faire plaisir ˆ quelqu'un, tant™t c'est par compassion, et quelquefois pour plaire au monde. Avec eux, tout ce qui n'est pas un gros pŽchŽ est assez bien. Ils aiment ˆ faire le bien, mais ils voudraient qu'il ne leur cožt‰t rien, ou du moins, bien peu. Ils aimeraient encore ˆ voir les malades, mais il faudrait que les malades vinssent les voir eux-mmes. Ils ont de quoi faire l'aum™ne, ils savent bien que telle personne en a besoin ; mais ils attendent qu'elle vienne le leur demander, au lieu de la prŽvenir, ce qui rendrait leur bonne Ïuvre bien plus mŽritoire. Disons mieux, M.F., une personne qui mne une vie tide, ne laisse pas que de faire beaucoup de bonnes Ïuvres, de frŽquenter les sacrements, d'assister rŽgulirement ˆ tous les saints offices ; mais en tout cela, vous ne voyez qu'une foi faible, languissante, une espŽrance que la moindre Žpreuve renverse, un amour pour Dieu et pour le prochain qui est sans ardeur, sans plaisir ; tout ce qu'elle fait n'est pas tout ˆ fait perdu, mais peu s'en faut.

Voyez devant le bon Dieu, M.F., de quel c™tŽ vous tes : du c™tŽ des pŽcheurs, qui ont tout abandonnŽ, qui ne pensent nullement au salut de leur pauvre ‰me, qui se plongent dans le pŽchŽ, sans remords ? Du c™tŽ des ‰mes justes qui ne voient et ne cherchent que Dieu seul, qui sont toujours portŽes ˆ penser mal d'elles-mmes, et sont convaincues ds qu'on leur fait apercevoir leurs dŽfauts ; qui pensent toujours qu'elles sont mille fois plus misŽrables qu'on ne le croit, et qui comptent pour rien tout ce qu'elles ont fait jusqu'ˆ prŽsent ? Ou bien tes-vous du nombre de ces ‰mes l‰ches, tides et indiffŽrentes, telles que nous venons de les dŽpeindre ? Dans quel chemin marchons-nous ? Qui pourra s'assurer qu'il n'est ni grand pŽcheur, ni tide ; mais qu'il est Žlu ! HŽlas ! M.F., combien semblent tre de bons chrŽtiens aux yeux du monde, qui sont des ‰mes tides aux yeux de Dieu, qui conna”t notre intŽrieure.

 

II. – Mais, me direz-vous, de quels moyens faut-il donc se servir pour sortir de cet Žtat si malheureux. ? – M.F., si vous dŽsirez le savoir, Žcoutez-le bien. NŽanmoins laissez-moi vous dire encore que celui qui vit dans la tiŽdeur est dans un sens plus en danger que celui qui vit dans le pŽchŽ mortel, et que les suites de cet Žtat sont peut-tre mme plus funestes. En voici la preuve. Un pŽcheur qui ne fait point de P‰ques ; ou qui a des habitudes mauvaises et criminelles, gŽmit de temps en temps sur son Žtat dans lequel il est rŽsolu de ne pas mourir ; il dŽsire mme en sortir, et il le fera un jour. Mais une ‰me qui vit dans la tiŽdeur, ne pense nullement ˆ en sortir, parce qu'elle croit qu'elle est bien avec le bon Dieu.

Que conclure de tout cela ? Le voici, M.F. Cette ‰me tide devient un objet insipide, fade et dŽgožtant aux yeux de Dieu, qui finit par la vomir de sa bouche ; c'est-ˆ-dire, qu'il la maudit et la rŽprouve. O mon Dieu, que cet Žtat perd des ‰mes ! Veut-on faire sortir une ‰me tide de son Žtat, elle rŽpond qu'elle ne veut pas tre une sainte ; que pourvu qu'elle aille au ciel, c'est assez. Vous ne voulez pas tre une sainte, dites-vous ; mais il n'y a que les saints qui vont au ciel. Ou tre un saint, ou tre un rŽprouvŽ : il n'y a point de milieu.

Voulez-vous sortir de la tiŽdeur, M.F., transportez vous de temps en temps ˆ la porte des ab”mes, o l'on entend les cris et les hurlements des rŽprouvŽ, et vous vous formerez une idŽe des tourments qu'ils endurent pour avoir vŽcu avec tiŽdeur et nŽgligence dans l'affaire de leur salut. Portez votre pensŽe dans le ciel, et voyez quelle est la gloire des saints pour avoir combattu et s'tre fait violence pendant qu'ils Žtaient sur la terre. Transportez-vous, M.F., dans le fond des forts et vous y trouverez ces multitudes de saints qui ont passŽ cinquante, soixante-dix ans, ˆ pleurer leurs pŽchŽs dans toutes les rigueurs de la pŽnitence. Voyez, M.F. Ce qu'ils ont-fait pour mŽriter le ciel. Voyez quel respect ils avaient de la prŽsence de Dieu ; quelle dŽvotion dans leurs prires, qui duraient toute leur vie. Ils avaient abandonnŽ leurs biens, leurs parents et leurs amis pour ne plus penser qu'ˆ Dieu seul. Voyez leur courage ˆ combattre les tentations du dŽmon. Voyez le zle et l'empressement de ceux qui Žtaient renfermŽs dans les monastres ˆ se rendre dignes de s'approcher souvent des sacrements. Voyez leur plaisir ˆ pardonner et ˆ faire du bien ˆ tous ceux qui les persŽcutaient, qui leur voulaient et leur disaient du mal. Voyez leur humilitŽ, leur mŽpris d'eux-mmes et leur bonheur ˆ se voir mŽpriser, et combien ils craignaient d'tre louŽs et estimŽs du monde. Voyez avec quelle attention ils Žvitaient les plus petits pŽchŽs, et que de larmes ils ont versŽes sur leurs pŽchŽs passŽs. Voyez leur puretŽ d'intention dans toutes leurs bonnes Ïuvres : ils n'avaient en vue que Dieu seul, ils dŽsiraient ne plaire qu'ˆ Dieu seul. Que vous dirai-je encore ? Voyez ces foules de martyrs qui ne peuvent se rassasier de souffrances, qui montent sur les Žchafauds avec plus de joie que les rois sur leurs tr™nes. Concluons, M.F. Il n'y a point d'Žtat plus ˆ craindre que celui d'une personne qui vit dans la tiŽdeur, parce qu'un grand pŽcheur se convertira plut™t qu'une personne tide. Demandons au bon Dieu de tout notre cÏur, si nous sommes dans cet Žtat, de nous faire la gr‰ce d'en sortir, pour prendre la route que tous les saints ont prise, afin d'arriver au bonheur dont ils jouissent. C'est ce que je vous souhaite...


[1] Passer, absoudre.

[2] Il me tarde.

[3] Desideria occidunt pigrum ; noluerunt enim quidquam manus ejus operari ; tota die concupiscit et desiderat. Prov. xxi, 25.

 

Table des matires suite