CHAPITRE CINQUIEME


    Suite du mesme sujet. Combien il importe que les confesseurs soient sçavans. En quels cas on en peut changer. Et de l' autorité des superieurs.

    Je prie Dieu de tout mon coeur de ne permettre qu' aucune de vous éprouve dans un monastere d' une si étroite closture ces troubles d' esprit et ces inquietudes dont je viens de vous parler. Que si la prieure et le confesseur sont bien ensemble, et qu' ainsi on n' ose rien dire ny à elle de ce qui le touche, ny à luy de ce qui la regarde : ce sera alors que l' on se trouvera tenté de taire dans la confession des pechez fort importans, par la crainte de ce trouble et de cette inquietude où l' on s' engageroit en les disant. ô mon Dieu mon sauveur, quel ravage le démon ne peut-il point faire par ce moyen : et que cette dangereuse retenuë et ce malheureux point d' honneur coûte cher ! Car par la fausse creance qu' il y va de la reputation du monastere de n' avoir qu' un confesseur cet esprit infernal met ces pauvres filles dans une gesne d' esprit où il ne pourroit par d' autres voyes les faire tomber. Ainsi si elles demandent d' aller à un autre confesseur, on croit que c' est renverser toute la discipline de la maison : et quand celuy qu' elles desirent seroit un saint, s' il se rencontre qu' il ne soit pas du mesme ordre, on s' imagine ne pouvoir le leur donner sans faire un affront à tout l' ordre. Loüez extremement Dieu, mes filles, de la liberté que vous avez maintenant d' en user d' une autre sorte : puis qu' encore qu' elle ne se doive pas étendre à avoir beaucoup de confesseurs, vous pouvez outre les ordinaires en avoir quelques-uns qui vous éclaircissent de vos doutes. Je demande au nom de nostre seigneur à celle qui sera superieure de tascher toûjours d' obtenir de l' evesque ou du provincial pour elle et ses religieuses cette sainte liberté de communiquer de son interieur avec des personnes doctes, principalement si leurs confesseurs ne le sont pas, quelque vertueux qu' ils puissent estre. Car Dieu les garde de se laisser conduire en tout par un confesseur ignorant, quoy qu' il leur paroisse spirituel, et qu' il le soit en effet. La science sert extremement pour donner lumiere en toutes choses, et il n' est pas impossible de rencontrer des personnes qui soient tout ensemble et sçavantes et spirituelles. Souvenez-vous aussi, mes soeurs, que plus nostre seigneur vous fera de graces dans l' oraison ; et plus vous aurez besoin d' établir sur un fondement solide toutes vos actions et vos prieres. Vous sçavez desja que la premiere pierre de cet édifice spirituel est d' avoir une bonne conscience, de faire tous ses efforts pour éviter mesme de tomber dans les pechez veniels, et d' embrasser ce qui est le plus parfait. Vous vous imaginerez peut-estre que tous les confesseurs le sçavent : mais c' est une erreur. Car il m' est arrivé de traiter des choses de conscience avec un qui avoit fait tout son cours de theologie, lequel me fit beaucoup de tort en me disant que certaines choses n' estoient point considerables. Il n' avoit point toutefois intention de me tromper, ny sujet de le vouloir, et il n' y auroit rien gagné ; mais il n' en sçavoit pas davantage : et la mesme chose m' est arrivée avec deux ou trois autres. Cette veritable connoissance de ce qu' il faut faire pour observer avec perfection la loy de Dieu nous importe de tout. C' est le fondement solide de l' oraison : et quand il manque on peut dire que tout l' édifice porte à faux. Vous devez donc prendre conseil de ceux en qui l' esprit se trouve joint avec la doctrine : et si vostre confesseur n' a ces qualitez, taschez de temps en temps d' aller à un autre. Que si l' on fait difficulté de vous le permettre, communiquez au moins hors de la confession, de l' estat de vostre conscience avec des personnes telles que je viens de dire. J' ose mesme passer plus avant, en vous conseillant de pratiquer quelquefois cet avis quand bien vostre confesseur auroit de l' esprit et seroit sçavant, parce qu' il se pourroit faire qu' il se tromperoit, et qu' il seroit tres-fascheux que vous fussiez toutes trompées par luy. Taschez toûjours neanmoins à ne rien faire qui contrevienne à l' obeïssance : car à toutes choses il y a remede. Et puis qu' une ame est de si grand prix qu' il n' y a rien qu' on ne doive faire pour son avancement dans la vertu : que ne doit-on point faire lors qu' il s' agit de l' avancement de plusieurs ames ? Tout ce que je viens de dire regarde principalement la superieure. Je la conjure encore une fois, que puis qu' on ne cherche autre consolation en cette maison que celle qui regarde l' ame, elle tasche de la luy procurer dans un point si important. Car comme il y a differens chemins par lesquels Dieu conduit les personnes pour les attirer à luy, il n' y a pas sujet de s' étonner que le confesseur en ignore quelques-uns. Et pourvû, mes filles, que vous soyez telles que vous devez estre, quelque pauvres que vous soyez vous ne manquerez pas de personnes qui veüillent par charité vous assister de leur conseil. Ce mesme pere celeste qui vous donne la nourriture necessaire pour le corps, inspirera sans doute à quelqu' un la volonté d' éclairer vostre ame pour remedier à ce mal, qui est celuy de tous que je crains le plus. Et quand il arriveroit que le démon tenteroit le confesseur pour le faire tomber dans quelque erreur, lors que ce confesseur verroit que d' autres vous parleroient, il prendroit garde de plus prés à luy, et seroit plus circonspect dans toutes ses actions. J' espere en la misericorde de Dieu, que si l' on ferme cette porte au diable il n' en trouvera point d' autre pour entrer dans ce monastere : et ainsi je demande au nom de nostre seigneur à l' evesque ou au superieur sous la conduite duquel vous serez, qu' il laisse aux soeurs cette liberté ; et que s' il se rencontre dans cette ville des personnes sçavantes et vertueuses, ce qui est facile à sçavoir dans un lieu aussi petit qu' est celuy-cy, il ne leur refuse pas la permission de se confesser quelquefois à eux, quoy qu' elles ne manquent pas d' un confesseur ordinaire. Je sçay que cela est à propos pour plusieurs raisons, et que le mal qui en peut arriver ne doit pas entrer en comparaison avec un mal aussi grand et aussi irremediable que seroit celuy d' estre cause en leur refusant cette grace, qu' elles retinssent sur leur conscience des pechez qu' elles ne pourroient se resoudre de découvrir. Car les maisons religieuses ont cela de propre que le bien s' y perd promtement si on ne le conserve avec grand soin : au lieu que quand le mal s' y glisse une fois il est tres-difficile d' y remedier ; la coûtume dans tout ce qui va au relaschement se tournant bien-tost en habitude. Je ne vous dis rien en cecy que je n' aye vû, que je n' aye remarqué et dont je n' aye conferé avec des personnes doctes et saintes qui ont fort consideré ce qui estoit le plus propre pour l' avancement de la perfection de cette maison. Entre les inconveniens qui peuvent arriver, comme il s' en rencontre toûjours par tout durant cette vie, il me semble que le moindre est qu' il n' y ait point de vicaire ny de confesseur qui ait le pouvoir d' entrer, de commander, et de sortir, mais seulement de veiller et de prendre garde à ce que la maison soit dans le recueillement, que toutes choses s' y fassent avec bien-seance, et que l' on y avance interieurement et exterieurement dans la pratique de la vertu ; afin que s' il trouve que l' on y manque il en informe l' evesque ; mais qu' il ne soit pas superieur. C' est ce qui s' observe maintenant icy non par mon seul avis, mais par celuy de Monseigneur Dom Alvarez De Mendoçe maintenant nostre evesque et sous la conduite duquel nous sommes, personne de tres-grande naissance, grand serviteur de Dieu, tres-affectionné à toutes les religions et à toutes les choses de pieté, et qui se porte avec une inclination tres-particuliere à favoriser cette maison, qui pour plusieurs raisons n' est point encore soûmise à l' ordre, ayant fait assembler sur ce sujet des hommes sçavans, spirituels et de grande experience. Ils resolurent ce que j' ay dit ensuite de beaucoup de prieres de plusieurs personnes, ausquelles toute miserable que je suis je joignis les miennes. Ainsi il est juste qu' à l' avenir les superieures se conforment à cet avis, puis que c' est celuy auquel tant de gens de bien se sont portez aprés avoir demandé à Dieu de leur donner la lumiere necessaire pour connoistre ce qui seroit le meilleur, comme il l' est sans doute selon ce qui a paru jusques icy : et je le prie de faire que cela continuë toûjours, pourvû que ce soit pour sa gloire. Ainsi soit-il.