CHAPITRE II § 1
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CHAPITRE II : L'EUCHARISTIE

 

§ I. - LA COMMUNION FRÉQUENTE

 

Ce siècle si profondément chrétien ne pouvait pas ne pas être, et j'affirme hardiment qu'il a été un grand siècle eucharistique; peut-être même le siècle eucharistique par excellence : « Depuis quelques années, écrivait en 1661,

l'auteur d'un livre classique sur le Sacrement de l'Autel, le jésuite Jacques de Machault, Notre Seigneur a suscité dans le coeur des chrétiens un instinct nouveau à honorer la très sainte Eucharistie. » Et après avoir rappelé brièvement

« les marques les plus éclatantes et les plus mémorables de ce mouvement céleste », « il appert donc », écrit-il encore

 

partout ces insignes effets et par plusieurs autres moins connus que je tais, que le Sauveur, par un trait singulier de sa miséricorde, semble vouloir venir derechef à notre secours dans l'état déplorable où nous a réduits le vice. Or, pour marque de cette bonté..., il a excité. dans les coeurs ces, instincts nouveaux et cette ardeur secrète, qui pousse et porte, comme par une main divine, les chrétiens à honorer avec toutes ces dévotions extraordinaire le Très Saint Sacrement. C'est comme un autre arc-en-ciel dans les nuées des Espèces sacrées, qui paraît à l'Eglise, pour un signe certain que Dieu ne veut pas nous perdre par les supplices dus à l'énormité et à la multitude de nos crimes, mais qu'il nous ouvre le sein de sa paternelle bénignité, comme à des enfants prodigues, pour nous recevoir à pardon et nous rendre la robe de la grâce et le collier d'or de la Charité, enfin pour nous recevoir à sa table et nous nourrir de sa chair. (1)

 

(1) Le trésor des grands biens de la Très Sainte Eucharistie tiré des Évangiles des dimanches et des fêtes principales de l'année avec des réflexions spirituelles et des remarques très utiles à l'usage des personnes affectionnées à ce très aimable mystère, par le R. P. Jacques de Machault, religieux de la Compagnie de Jésus, Paris, 1661, Préface.

 

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Dans le progrès de ce « mouvement céleste », nous distinguerons, non pas trois étapes, mais bien trois directions principales : participation de plus en plus fréquente à la communion sacramentelle; la mystique du Saint Sacrifice de plus en plus réalisée; l'adoration eucharistique tendant de plus en plus à devenir un des exercices essentiels de la vie dévote. Comme ces trois développements ont échappé jusqu'ici, ou peu s'en faut, à la curiosité des historiens, je me propose d'appuyer ici mes affirmations, ou plutôt celles du Père de Machault, sur autant de faits et de textes que les limites du présent volume me permettront d'en rassembler. Le sujet me paraît d'une importance majeure. Il s'agit d'en finir une bonne fois avec l'odieuse et très dangereuse légende, qui veut qu'empoisonné par je ne sais quelles infiltrations jansénistes ou préjansénistes, un des plus achevés de nos siècles religieux ait plus ou moins paralysé l'essor de la dévotion eucharistique, si magnifiquement renouvelée par le Concile de Trente et par la Contre-Réforme. Cette longue éclipse n'est qu'un mythe. De saint Ignace à saint François de Sales et aux jésuites du XVIIe siècle; de saint Philippe de Néri à l'Oratoire français, des Pères de Trente à Bossuet et à Fénelon, aucune brisure; au contraire, une continuité parfaite, et même un progrès constant.

 

§ I. - LA COMMUNION FRÉQUENTE

 

I. Le moyen âge et la communion très rare. - La Contre-Réforme rétablit l'usage de la communion fréquente. - Dès le début du XVIIe siècle, la cause est gagnée.

II. Antoine Arnauld, la Fréquente communion et le mythe de l'Infréquente. - Véritable objet du livre : confondre les casuistes qui ne veulent « point mettre de distance entre le crime commis et la communion ». - Que tout le XVIIe siècle donnera raison à Arnauld. - La vraie doctrine d'Arnauld sur la communion fréquente.

III. Saint-Cyran et la communion fréquente. - Port-Royal. - Nicole ; Quesnel ; Treuvey; Floriot; les catéchismes jansénistes; Boileau; Duguet. - La tradition unanime du premier siècle janséniste sur la communion fréquente abandonnée par le jansénisme du XVIIIe siècle.

IV. Les jésuites et la communion fréquente. - Saint Ignace et Madridius. - Propagande extrémiste : la communion quotidienne conseillée à tous. - Résistance de sainte Thérèse et des jésuites. - « Beaucoup d'abus en France et plus encore en Espagne. » - Le préarnaldisme du P. Salazar. - Le théocentrisme de Salazar : « La première et la principale fin est de donner gloire à Jésus-Christ. » - « La pureté de conscience ne suffit pas pour communier » tous les jours. - Que la communion soit avant tout « un acte de religion. » - « Délai... faute de révérence. » - La communion de tous les huit jours.

V. Les jésuites français et la campagne contre « la fréquentation démesurée ». - Caussin et Suffren. - Leur axiome à tous : « Il vaut mieux se bien communier et plus rarement que moins bien et plus fréquemment. » - Les règles de Suffren. - Saint-Jure et Lejeune. - Outrances et contradictions du P. Crasset. - La lettre du P. Daniel sur la fréquente communion. - Identité foncière entre cette lettre et le livre d'Arnauld. - Oscillations et embarras de Bourdaloue. - Avant tout l'honneur de Dieu. -  Accorder à tous les chrétiens en état de grâce le « même accès à la table du Sauveur... à Dieu ne plaise que je tombe jamais dans une telle prévarication! » - L'humanité de Bourdaloue et la dialectique pure d'Arnauld.

VI. La doctrine des spirituels qui ne relèvent ni de Port-Royal ni de la Compagnie de Jésus. - François de Sales : « Pour communier tous les huit jours..., aucune affection au péché véniel. » - Rigueur décroissante dans l'interprétation des règles salésiennes ; J. P. Camus. - Soyer et Barré. - La direction de Bossuet. - Vers la communion quotidienne dans les couvents. - L'évolution s'achève avec Fénelon : plus de différence entre les couvents et le monde : « Pourvu que le laïque vive en bon laïque, il peut et doit communier tous les jours. » « Aux âmes saintes, appartient le pain quotidien. »

 

 

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I. - On ne le dit pas assez et beaucoup l'ignorent, mais c'est un fait constant que, dès la fin du XVIe siècle, les théoriciens, les propagateurs et les défenseurs de la communion fréquente - Avila, Louis de Grenade, les jésuites, les capucins, les théatins, les barnabites, bref à peu près tous les ouvriers de la Contre-Réforme - ont cause gagnée. Au lieu que, de l'an mille aux premières années du XVIe siècle, l'usage, sinon la règle, pour les personnes pieuses, pour les membres des deux tiers-ordres, pour les moniales, même pour les extatiques, était de communier tout au plus trois ou quatre fois par an, à partir du Concile de Trente, ces mêmes personnes communient au moins tous les mois,. plusieurs, et de plus en plus nombreuses, tous lés huit jours, quelques-unes, et de moins en moins rares, tous les jours. A la vérité, ces deux séries de faits présentent d'abord quelque chose de déconcertant. On s'explique mal, senza molta riflessione, - comme l'avoue l'historien de la Compagnie de Jésus en Italie, le R. P. Tacchi-Venturi - que, pendant près de cinq siècles - saint Thomas excepté, bien entendu, - la quasi unanimité des spirituels - tant de personnages d'une sainteté et d'une science indiscutables! - aient si peu travaillé ou si mal réussi à maintenir ou à restaurer, parmi l'élite des fidèles, la pratique de la communion fréquente (1). La réaction presque foudroyante qui suivit et

 

(1) « Noi moderni, avvezzi a giudicare con l'idée dominanti oggidi sopra un tal punto di disciplina ecclesiastica, giungiamo appena ad intendere senza molta riflessione, il procedere di costoro (les maitres du moyen âge), venerabili nel resto per santita e spesso arcora per sacra dottrina... » (Tacchi-Venturi, Storia della Compagnia di Gesu in Italia, I, Rome, 1910, p. 214). Evidemment, mais c'est plus encore peut-être d'érudition que de réflexion qu'il serait ici besoin. Que valent les statistiques que l'on nous apporte? Si, dans la période où je me suis renfermé, et où les documents abondent, nous n'arrivons, bon gré mal gré, qu'à des approximations, combien ne sera pas plus hésitante notre science de la pratique religieuse au moyen âge? Dans l'ensemble, le P. Tacchi-Venturi et les érudits auxquels il nous renvoie, ne peuvent qu'avoir raison, mais je me demande si des recherches plus approfondies - hélas! peut-être impossibles, - ne nous conduiraient pas à constater bien des exceptions à une règle qu'on dit générale. Prenez, par exemple, saint Thomas et l'auteur de l'Imitation. Ce sont là deux témoins de premier ordre. Parlent-ils de la communion fréquente comme d'une pratique totalement abolie, et comme ferait l'écrivain d'aujourd'hui qui nous conseillerait la communion sous les deux espèces? De l'an mille à saint Thomas, et de celui-ci à saint Antonin, à Savonarole, j'inclinerais à croire que le flambeau ne s'est jamais tout à fait éteint. Les règles,des deux Tiers-Ordres ne fixent peut-être que le minimum imposé à tous les confrères, et ainsi du reste. Je m'excuse de résister ainsi au grand savant qu'est le P. Venturi, mais il y a là comme un paradoxe historique d'une extrême gravité.

 

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qui parvint en si peu de temps à modifier si profondément les »meurs catholiques,, tient également du prodige et justifierait à elle seule les fortes paroles du Père de Machault sur « l'instinct nouveau » à qui serait dû l'extraordinaire et durable succès de ce « mouvement céleste », de cette « résurrection », car c'en est bien une.

 

Le cardinal Baronius, considérant dans l'Eglise du Gesu à Rome le concours du monde et à la messe et à la communion, la nomma l'Anastase ou bien la Résurrection, comme voulant signifier qu'il lui semblait voir l'Eglise primitive ressuscitée, vu que saint Luc la dépeint en ces termes que les Croyants persévéraient en la doctrine des Apôtres et en la communication de la fraction du pain, ou bien de l'Eucharistie, comme le porte formellement la version Syriaque (1).

 

 

(1) Le Trésor..., préface. « Une cinquième confirmation de cet instinct divin, écrit encore le même témoin, est la communion générale qui se fait tous les troisièmes dimanches des mois. Ce très pieux exercice ayant commencé dans notre église du Gesu à Rome, s'est communiqué à plusieurs autres des plus célèbres églises de la même ville. Après, il a passé dans la plupart des royaumes du monde chrétien jusque dans les Indes orientales et occidentales, avec des accroissements merveilleux de l'honneur de la très sainte Eucharistie, et avec un fruit égal pour le salut des âmes. Car on y compte par une supputation fort exacte, qui se lait par les hosties et par les médailles qui se distribuent aux communiants, les dix et vingt mille en une matinée. L'année sainte de 1625 que j'étais à Rome, il s'en trouvait jusqu'à quarante et cinquante mille, à cause des étrangers venus au Jubilé. Ce spectacle de piété rendue au très adorable Sacrement, avec une pompe très dévote et très splendide, dont je tais par brièveté les particularités, causait en vérité une consolation incroyable à ceux qui le voyaient. « (op. cit., ib.) Sur la « pompe » dont parle Machault, cf. de copieux détails dans Tacchi-Venturi, ch. XI : Nuova forma di culte dell' Eucaristia. Car il ne faut pas oublier qu'il y a là une double mouvement, et qu'avant d'organiser la communion fréquente, les contre-réformateurs ont donné aux pompes eucharistiques un éclat qu'elles n'avaient jamais eu. Resterait à suivre chez nous le progrès de ces deux mouvements pendant la 2e moitié du XVIe siècle, ce que n'a malheureusement pas songé à faire le R. P. Fouqueray, dans son Histoire de la Compagnie de Jésus en France.

 

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Mais, quoi qu'il en soit des comment - parmi lesquels les jésuites du 1er siècle se sont fait, si l'on peut dire, la part du lion, il est certain qu'au début du XVIIe siècle, la question de la communion fréquente, déjà réglée une fois pour toutes en Italie et, je crois aussi en Espagne, ne se posait même plus en France. Sur ce point, comme sur tant d'autres, l'Introduction à la vie dévote cristallise une tradition désormais solide et fixe le statut qui régira, au moins pendant tout le grand siècle, la France pieuse : deux ou trois fois par mois, mieux encore tous les dimanches, et plus souvent même, si la grâce vous y porte et si votre confesseur vous en juge digne. De quelque côté que je me tourne, tous les spirituels de moi connus, Arnauld comme Bourdaloue, acceptent, sans même les discuter, les directions eucharistiques de François de Sales. Les nombreux textes qu'on va bientôt lire ne laissent aucun doute là-dessus. Ceux-là seuls pour qui fréquente est synonyme de quotidienne peuvent soutenir que le catholicisme français du XVII° siècle a méconnut le bienfait et minimisé l'usage de la communion fréquente. Mais avant d'en venir à ceux de nos spirituels dont l'orthodoxie n'est pas suspecte, interrogeons les adversaires vrais ou prétendus de la communion, à commencer par le grand Arnauld.

II. - C'est ici une des plus troublantes, mais aussi une des plus convaincantes leçons de scepticisme que j'ai reçues dans ma longue carrière d'historien. Sur la foi de nos auteurs, j'ai cru longtemps avec presque tout le monde, non certes, comme ils le prétendent, qu'Antoine Arnauld, de concert avec Saint-Cyran et les autres du parti, combattait sournoisement le dogme de la présence réelle - car c'est là une calomnie par trop flagrante (1), - mais que, du moins, la

 

(1) Cf Port-Royal, II, p. 18o. Une simple note, mais qui suffit : « Le calvinisme secret d'Arnauld est une chimère et une imposture. » A la vérité, on ne comprend pas que les adversaires du jansénisme aient eu recours à de telles armes. Le jansénisme vrai, c'est-à-dire la théologie des 5 propositions, n'est-il pas à lui tout seul, assez détestable? C'est néanmoins par cette accusation insoutenable que la bataille a commencé de notre côté, à propos du Chapelet du St-Sacrement, pratique dévote, imaginée par la Mère Agnès sous l'inspiration, sinon sous la dictée, non de Calvin ni de St-Cyran, mais de Condren. (Cf. mon Ecole de Port-Royal, pp. 197, seq. et dans le livre déjà cité du R. P. Fouqueray, t. V, p. 394, un résumé plus que tendancieux de ce fâcheux épisode). - Mais nul peut-être, n'a suivi plus fidèlement cette stratégie que l'auteur de la Bibliothèque janséniste. A l'en croire, quiconque jansénise de près ou de loin, ou paraît janséniser, est en révolte sournoise contre le dogme de l'a présence réelle. Il n'épargne même pas le pieux bénédictin Dom Morel. Voici, du reste, un exemple de sa manière. « Nous avons souvent dit et prouvé que les chefs du parti ne croient nullement à la présence réelle. Le sieur Floriot dit en termes exprès : « Nous mangeons ici le Corps de Jésus-Christ par la foi, en attendant que nous soyons pleinement rassasiés de lui, en le voyant dans le ciel à face découverte ». Calvin eût-il fait difficulté d'adopter une telle proposition? Et si notre auteur eût cru la présence réelle, n'eût-il pas dit que nous mangeons ici le corps de Jésus-Christ réellement et substantiellement dans l'Eucharistie, en attendant que nous soyons pleinement rassasiés de lui en le voyant dans le Ciel à face découverte? Mais un calviniste secret n'a garde de s'exprimer ainsi. » Ouvrez maintenant le livre de Floriot, et vous y trouverez quelque vingt ou trente passages qui disent formellement ce qu'on l'accuse de n'avoir pas dit. Ainsi, p. 38o : « Dans le ciel les Saints communient à J.-C. avec jouissance, parce qu'ils le voient à découvert tel qu'il est, mais ici nous y communions sans jouissance, parce que nous ne le voyons que des yeux de la foi; quoiqu'il sort réellement présent ». Cf. Bibliothèque janséniste III, p. 133, seq; cf. aussi, t. IV, p. 253, seq. Sur le calvinisme d'Arnauld, cf. ib. I, pp. 27o, 272, à propos d'un texte de la Fréquente, identique à celui de Floriot sur la manducation par la foi. Il y a là une échappatoire vraiment prodigieuse. Comme on objecte au P. de Colonia que l'auteur de la Perpétuité ne peut décemment être soupçonné de calvinisme, il répond que la Perpétuité n'est pas l'oeuvre d'Arnauld, mais de Nicole. Et cela est à peu près exact, mais il est quatre fois évident qu'Arnauld s'est approprié officiellement le travail de son collaborateur. Non moins innocent, le pauvre Dom Morel, accusé de calvinisme pour avoir écrit : « Je possède véritablement et j'adore celui-là même que lés Anges adorent dans le Ciel, mais je ne le possède que par la foi » (Ib. p. 272). Alors même que le contexte - et des volumes entiers du même auteur - ne crieraient pas la croyance de Dom Morel à la présence réelle, qui ne voit que le sens obvie de ces quatre lignes est orthodoxe? Saint Thomas sera-t-il calviniste lui aussi, pour avoir écrit : Præstet  fides supplementum sensuum defectui ?

 

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Fréquente Communion du même Arnauld - un des livres sacrés du jansénisme - avait pour objet de rendre la Sainte Table inaccessible, non seulement aux grands pécheurs non convertis, mais à tous les fidèles en état de grâce. Or cela non plus n'est pas exact. Je ne dis pas, d'ailleurs, que le livre d'Arnauld soit irréprochable, bien qu'après un mûr examen, Rome ait refusé de le condamner, mais je dis que, bien loin de défendre la communion fréquente aux personnes pieuses - et c'est là présentement la seule question qui

 

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nous intéresse, - Arnauld en recommande expressément la pratique (1).

Tous ceux qui conduisent les âmes, lisons-nous dans la préface, doivent avoir pour but et pour fin de les mettre dans une telle disposition qu'elles puissent commencer à communier, si elles ne communient pas encore; ou souvent, si elles ne communient que rarement; ou même communier tous les jours, si elles .peuvent déjà communier souvent.... Nous voudrions, s'il était possible, porter les chrétiens à communier (quatre fois par jour), tant s'en faut que nous leur voulussions ôter cette unique communion de tous les jours, à laquelle tout le monde doit tendre, puisque la perfection d'un chrétien consiste à pouvoir s'approcher chaque jour du Fils de Dieu, comme ont fait les chrétiens au commencement de l'Eglise..,. Et si nous considérons les choses dans l'ordre véritable où elles doivent être, nous pouvons dire que communier souvent ou communier rarement sont, pour l'ordinaire, des marques d'une grande ou d'une petite vertu, et qu'il y a le même rapport et la même proportion entre deux âmes en ces deux états, qui se trouve en la disposition de deux corps, dont l'un est dans une parfaite santé, et l'autre dans une continuelle maladie (2).

 

(1) Autant que je sache, une étude vraiment critique de ce livre est encore à faire. Je veux dire une étude du texte lui-même, tel qu'il. est, et non des « arrières-pensées abominables » que l'on prête à son auteur. (Port-Royal, II, p. 18o). Le texte, les textes plutôt, c'est-à-dire avec la Fréquente, les éclaircissements, inutiles selon moi, mais décisifs qu'en a donnés le Docteur intarissable, à savoir l'Avertissement, sur quelques sermons (du. P. Nouet) prêchés à Paris contre le Livre de la Fréquente Communion ; et la Défense de la vérité catholique contre les erreurs du sieur de la Milletière. (Oeuvres d'Arnauld, Lausanne, t. XXVII et XXVIII; soit plus de deux, mille pages, fort belles. par endroits, plus ordinairement assommantes, que nul n'est tenu de lire, mais qu'il n'est sans doute pas inutile de connaître si l'on veut porter un jugement sérieux et honnête sur la controverse. Il faut lire aussi, avec les nombreux documents rassemblés dans l'édition: des Oeuvres Complètes, du moins les deux principales réfutations de la Fréquente, celle du P. Petau et celle de l'évêque de Laveur, Abra: de Ramollie. La seconde, bien que d'un partisan et passionné jusqu'à l'injustice, nie paraît très remarquable- Les jansénistes ont imposé à presque tous, même; à Sainte-Beuve que je soupçonne fort de n'avoir pas lui ce livre, une image de Raconis qui est très certainement menteuse : une sorte de bouffon, l'homme à tout faire de Richelieu et du P. Joseph, etc... Non, pas du tout, mais un. penseur vigoureux, sincère dans l'ensemble, d'une spiritualité d'autant plus sûre que François de Sales est son maître de toutes les heures, enfin d'une assez rare pénétration et philosophique et psychologique. Il mériterait d'être étudié à fond. Cf un premier essai. de réhabilitation dans les Nouveaux Mémoires de l'abbé d'Artigny, t. VII, art. X; et la notice de Féret (La Faculté de Théologie de Paris, V, pp. 122, seq.)

(2) Oeuvres, XXVII, pp. 88-89,

 

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Au demeurant le titre de cette Oeuvre de jeunesse n'est-il qu'un trompe-l'oeil, où éclate déjà la querelleuse et rustique maladresse d'Arnauld. Comme l'avouent implicitement ses adversaires les plus implacables, il n'est question ni de la fréquente communion, ni de l'infréquente, dans ce livre qui n'est en réalité, et de tout son long, qu'un réquisitoire coutre les casuistes de la direction, qu'une première Provinciale (1), Je n'ai pas à intervenir dans ce conflit très particulier et qui n'est pas, je le répète, de notre présent sujet. Parmi les adversaires d'Arnauld, plusieurs, le P. Petau entre: autres, reconnaissent loyalement que de graves abus sévissaient alors dans l'administration du Sacrement de Pénitence ; abus contre lesquels saint Charles Borromée avait dû combattre et qui, bien avant de scandaliser notre jeune docteur, avaient préoccupé nombre de jésuites, nous le montrerons bientôt. Pour quelques agités, comme il s'en trouve toujours à l'avant-garde ou à l'arrière des grands mouvements spirituels, le Sacramenta propter homines, qui est une des devises les plus bienfaisantes de la Contre-Réforme, tendait à devenir : Sacramento præter Deum. Quoi qu'il en soit, voici fort bien résumée par le lucide et peu nuancé Quesnel, la thèse fondamentale, la thèse unique de ce gros livre :

Ce n'est pas assez de n'avoir point la conscience chargée de péchés mortels ; mais ce serait une grande irrévérence d'approcher de la communion et de recevoir le corps de Jésus-Christ avec la même bouche dont on vient, pour ainsi dire, de vomir ses ordures aux pieds d'un prêtre, et dont on s'est souillé depuis peu; de ne point mettre de distance entre le crime commis et la communion; de s'en approcher lorsque le crime est tout fumant, et ayant encore les mains toutes teintes du sang du. Fils de Dieu, et lorsque les plaies que l'on a reçues soi-même sont encore toutes fraîches et à peine refermées. Quand on a offensé son père ou son roi, on n'oserait d'abord paraître en leur présence; on tâche, par la recommandation de ses amis et par la longueur

 

 

(1) L'auteur de la Bibliothèque janséniste n'a pu citer aucun texte qui lui permit d'affirmer, comme il le fait, que le livre « est destiné à. combattre, non. seulement la communion fréquente, mais la communion. » I, p. 274.

 

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de ses services, de rentrer dans leur amitié; que ne se comporte-t-on de même, quand on a offensé le Père céleste et le Roi du ciel et de la terre? C'est ce que les saints ont prescrit, et ils ont blâmé une conduite contraire à celle-là, comme nuisible à ceux qui la violent et injurieuse à Dieu (1).

 

Je n'ai pas à discuter cette doctrine, mais je peux bien affirmer que, pendant tout le XVIIe siècle, elle aurait paru inattaquable, surévidente même à l'immense majorité des spirituels.

Je n'en citerai qu'un, mais qui en vaut mille, le P. Suffren :

 

Il semble pour l'ordinaire n'être pas expédient de permettre la sainte communion incontinent après la confession faite de quelques grands péchés; mais, si quelque nécessité ne presse, il faut la différer quelque temps. Par exemple, si quelqu'un a fait un adultère, ou une fornication..., si soudain après il vient à l'église se confesser et en être absous, il me semble plus à propos de différer la communion en un autre jour... Car, en tel cas, quoique la conscience soit purgée des péchés mortels, l'irrévérence est néanmoins grande de mettre un corps virginal dans un corps qui vient tout fraîchement d'être souillé de la sorte.

 

Faut-il achever la citation ? Pourquoi pas ? Au réalisme de Suffren, vous mesurerez la vivacité de sa foi.

 

Comme on ne voudrait pas donner à manger à un roi dans un plat dans lequel un malade aurait ou vomi ou jeté ses ordures, une demi-heure avant que le roi se mit à table (2).

 

C'est ainsi qu'avec beaucoup de fracas, l'auteur de la Fréquente Communion ne fait guère qu'amplifier des truismes. Sur le frontispice du livre, au-dessous du fameux Sancta Sanctis, les jésuites auraient dû inscrire : Much ado about nothing. C'eût été la plus loyale et la plus mortelle des réponses

 

(1) La Piété envers Jésus-Christ, par le R. P. Q... (édition de Liège), 1757, I, p. 2oo.

(2) L'année chrétienne, second vol. du t. I, p. 337.

(3) Comme on le sait, le livre d'Arnauld est aussi, et même d'abord, une apologie pour les solitaires de Port-Royal, vivement critiqués dans un mémoire adressé par un jésuite à une grande dame qui avait passé de la direction des jésuites à celle de Saint-Cyran. Le mémoire dénonçait comme « un stratagème du diable » le régime que Saint-Cyran avait prescrit aux solitaires pendant la période qui suivait immédiatement leur retour à Dieu. D'où la  « question générale », dans laquelle Arnauld « renferme » tout son discours, et qui n'est pas, je ne saurais trop le répéter, la question de la communion fréquente : « S'il est meilleur et plus utile aux âmes qui se sentent coupables de péchés mortels, de communier aussitôt qu'elles se sont confessées, ou de prendre quelque temps pour se purifier par les exercices de la pénitence, avant que de se présenter au saint autel ? » Ou encore, on demande « si ce n'a jamais été la pratique de l'Eglise, comme cet auteur (du mémoire) le prétend, que ceux qui se sentent coupables de péchés mortels, passent plusieurs jours à faire pénitence avant que de communier. » Par où l'on voit clairement, continue Arnauld, « que mon intention n'a point été de forcer personne à suivre les règles anciennes de la pénitence, et encore moins de rétablir la pénitence publique (comme depuis trois siècles on ne cesse de l'en accuser)..., mais seulement d'empêcher qu'on ne condamnât avec tant d'aigreur, ainsi qu'avait fait l'auteur de l'écrit auquel je répondais, ceux qui.., se porteraient, par la connaissance de leur indignité, à vouloir prendre quelque temps pour se purifier de leurs taches par les exercices de la pénitence, avant que de se présenter à des mystères si saints et si redoutables » (Oeuvres, XXVIII, a. 9o, 91). En limitant ainsi le débat aux termes mêmes de son adversaire, Arnauld jouait, pour ainsi dire, sur le velours. Qu'on lui préfère ou non une direction moins austère, nul ne pouvait contester - et en ce temps-là surtout, - que cette pratique ne fût conforme à l'esprit - je ne dis pas à la lettre - de l'ancienne discipline ; nul ne pouvait condamner les convertis qui acceptaient librement ce régime. Un double danger néanmoins : 1° prolonger, plus que de raison le délai on de l'absolution on de la communion; 2° inviter à ce régime, non plus seulement les grands convertis, mais de bonnes âmes qui n'avaient à expier rien de proprement criminel. Port-Royal n'a-t-il pas donné dans ces deux excès ? C'est là un problème historique sur lequel nous sommes mal renseignés et dont j'ai déjà rassemblé les principaux éléments dans mon volume sur l'École de Port-Royal (pp. 138, seq). II semble que pour les solitaires, le stage pénitentiel ait duré « plusieurs mois » ; ce qui nous paraît beaucoup trop. Mais quand tout est dit, reste que c'était là un régime de transition entre l'existence déréglée de la veille, et le retour pur et simple aux habitudes normales de toute vie chrétienne telle que les voulait Saint-Cyran, c'est-à-dire, à la communion fréquente - au moins une fois par semaine. (Cf Oeuvres, XXVII; p. 726.)

 

 

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S'étant aperçu un peu tard que dans ce livre au titre fallacieux il n'avait traité ni de la communion fréquente, ni de l'infréquente, Arnauld, toujours prêt à parler de tout et en maître, n'eut rien de plus pressé que de réparer ce bizarre oubli. Aussi trouverez-vous dans la préface démesurée (plus de deux cents pages), de sa Tradition de l'Église sur le sujet de la Pénitence et de la Communion, un long discours où il aborde enfin, et où il épuise presque le vrai sujet, à savoir «      les dispositions.... demandées pour communier dignement (1).

 

(1) Il y a là aussi une danse du scalp autour du pauvre P. Petau et des jésuites, mais d'une pesanteur et d'une monotonie dans la violence qui ne rappelle heureusement pas « les grâces des Provinciales ». Dans ce duel, le P. Petau, qui vaut à lui seul une cinquantaine d'Arnauld, ne panait pas toujours à son avantage. Qu'Arnauld eût raison suries faits, Petau le savait mieux qu'Arnauld.

 

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C'est un assez beau morceau et auquel il ne semble pas qu'on ait essayé de répondre. C'eût été d'ailleurs difficile, car, pour moi, je n'y trouve rien que n'aient déjà enseigné de leur côté, et crue ne doivent enseigner encore jusqu'à la fin du XVII° siècle, les maîtres les plus autorisés, je veux dire les plus imperméables à la contagion janséniste. Encore une avalanche de lieux communs. Il ne veut être, et pesé dans la balance doctorale, il n'est en effet que l'interprète, et des anciens Pères et de saint François de Sales. Entre lui et eux, bien subtil, et, pour mieux dire, bien prévenu, qui démêlerait une différence appréciable. J'entends pour ce qui touche à la substance des principes. Car, pour l'orchestration, on pense bien qu'elle porte la marque arnaldine : « esprit de contest », comme disait Sainte-Beuve, âpreté, déclamatoire, outrances verbales. Il est de ceux qui ne peuvent écrire sans emportement que deux et deux font quatre, et qui épouvantent les Ames simples, déjà trop craintives, en leur apprenant que Dieu est bon (1). Comme on l'a dit, très injustement selon moi,

 

(1) Arnauld, et c'est le plus beau passage de sa préface, montre excellemment que ni lui-même, ni les Pères, ni François de Sales n'exigent de ceux qui veulent communier avec fruit une « sainteté presque miraculeuse » ; une « disposition de sainteté du tout extraordinaire » ; « une netteté de coeur... si extraordinaire qu'il est presque impossible d'y atteindre », comme l'en accusaient ses adversaires. Très habilement et justement, il ramène les dispositions nécessaires à l’ « amour de Dieu ». (Cf XXVIII, p. 153, seq. (très beau développement). « Lorsqu'un homme est en cet état, comme tous les chrétiens  y doivent être, c'est-à-dire dans un véritable amour de Dieu, qui tienne effectivement la première place dans son coeur..., et dans un désir sincère de s'avancer de plus en plus dans cet amour, il est en l'état que les Pères demandent..., quoiqu'il ne soit pas entièrement dégagé de toutes ses imperfections. » Faible, tenté, misérable, distrait, « il est saint, selon la parole solennelle de toutes les liturgies : Les choses saintes sont pour les saints ; puisque Dieu nous oblige tous d'être saints..., puisque tous les chrétiens doivent crier à Dieu « Gardez mon âme, parce que je suis saint; » et enfin, puisque « chaque fidèle doit dire hardiment, selon le plus humble de tous les Pères : Je suis saint ». C'est l'incomparable texte d'Augustin : « Dicat unusquisque fidelium : Sanctus sum. Non est ista superbia elati, sed confessio non ingrati. » (pp. 159, 16o) Cf une autre page également belle sur les « contrariétés ».  « Car il est juste, et il ne l'est pas... ; il ne pèche point et il est menteur...; il est bon, et il est mauvais, etc... » (pp..167, 168.) Mon Dieu, qu'il serait -donc facile de s'entendre, si d'abord et plus que tout on ne tenait à se déchirer!

 

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mais assez joliment et non pas sans quelque vraisemblance.,

 

il faut avouer qu'en jugeant charitablement du motif de ces écrivains,

 

eh! qui vous donne le droit d'en juger d'une autre façon?

 

je ne laisse pas de craindre les suites de cette doctrine, qui, sous les couleurs de l'ancienne pénitence dont la seule montre fait peur, ne laisse pas d'avoir un attrait secret pour les délicats, et une pratique de dévotion réformée qui exclut les jeûnes, les veilles, les mortifications, les aumônes,

 

pure calomnie!!

 

et qui se trouve renfermée dans l'humiliation du coeur et la ,privation de l'Eucharistie.

 

Calomnie, je le répète.

 

C'est avoir bien allégué des traditions, des coutumes de l'Eglise, des décrets des Papes, des Canons, des Conciles, des Synodes de saint Charles, des passages de tant de Pères...

 

Eh! que voulez-vous qu'on allègue dans un ouvrage sur la tradition de l'Église ; sont-ce là des monuments méprisables?

 

C'est avoir beaucoup travaillé pour mettre des rides sur le visage de Monsieur de Genève, et jeter bien du fiel dans sa douceur, pour en venir au point que je viens de dire et réduire la pénitence à s'éloigner du confessionnal et de l'autel (1).

 

Oui, je crois qu'en effet, parmi la première confusion d'une querelle, que de part et d'autres on aurait dû éviter ou, du moins à laquelle on n'aurait dû intéresser que les doctes, le livre d'Arnauld aura détourné de la communion un

 

(1) Raconis, op. cit., p. 9. Ce texte n'est pas de Raconis, mais d'un certain M. Auvray quenous aurons plus tard l'occasion de rencontrer. Raconis l’a publié en guise d'introduction. C'est un document plein d'intérêt, et en lui-même et en ce qu'il prouve, avec plusieurs autres, qu'en dehors de la Compagnie de Jésus, d'excellents esprits condamnaient le manifeste d'Arnauld.

 

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certain nombre de lecteurs ignorants ou déjà portés au scrupule, mais je crois aussi qu'en la comprenant de la sorte on faisait injure aux intentions de l'auteur et au texte même de ses écrits (1).

 

III - Comment, d'ailleurs, n'a-t-on pas senti, et alors et depuis, qu'en attaquant la communion fréquente, le premier Port-Royal se serait renié lui-même? Hantés qu'ils étaient par le cauchemar de la corruption universelle, on s'explique sans peine qu'ils aient porté la bataille sur le terrain du sacrement de Pénitence, et dénoncé avec leur exagération habituelle le scandale des absolutions précipitées. Mais avant même que cette bataille fût gagnée - car il est évident qu'elle le fut - et leur propre ferveur eucharistique, et leur marotte primitiviste, et encore, pour tout dire, leur pharisaïsme inconscient, bref tout ce qui se remuait chez eux d'excellent, de médiocre, ou de malsain ne les disposait-il pas à seconder, bien qu'en faisant bande à part, le mouvement universel qui tendait alors à restaurer l'ancienne discipline, et qui, par la pratique même de la communion fréquente, soulignerait la différence entre le christianisme idéal dont ils se voyaient les modèles et le christianisme décadent qu'ils ne cessaient de maudire? Leur Sancta sanctis ne pouvait les détourner eux-mêmes de la Sainte Table que pendant le stage pénitentiel qui suivait immédiatement la conversion; après quoi, tous les dimanches, voire plus souvent.

 

La vie bonne et chrétienne qu'on mène dans la voie étroite,

 

(1) Sur l'issue de cette querelle, il y a beaucoup de vrai dans ce que dit Sainte-Beuve, : « Nous aboutissons, pour ce livre de la Fréquente Communion à un résultat à peu près inverse de celui que nous avons obtenu pour le livre de Jansénius. Dans l'affaire spéculative de la grâce, le jansénisme fut battu et condamné; dans l'affaire pratique de la Pénitence, qui concernait la discipline et touchait la morale, il s'en tira avec plus d'honneur et de fruit. Quant au fond même, les doctrines exprimées dans la Fréquente Communion s'accréditèrent en peu de temps chez tous ceux qui prenaient le christianisme au sérieux. » Port Royal, II, pp. 189, seq. Tout le passage est d'un extrême intérêt. Sainte-Beuve, du reste, et non sans raison, ne retient du débat sur la fréquente communion, que ce qui touche à la discipline pénitentielle. C'était là, en vérité, comme je l'ai dit, le vrai débat.

 

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écrit Saint-Cyran, suffit pour donner droit à la sainte communion, tous les dimanches et toutes les fêtes.

« Tant s'en faut qu'il dissuade la sainte communion, disait de lui la Mère Angélique, qu'il n'excite à rien tant ». Et nous savons par M. Lemaître que les religieuses de Port-Royal,  - « filles du Saint-Sacrement » ne l'oublions

pas, - communiaient d'ordinaire tous les dimanches, toutes les fêtes, et tous les jeudis, et quelques-unes encore plus souvent (1) ». De leurs Exercices de piété, livrés au public en 1787, on peut conclure que, pendant l'octave du Saint-Sacrement, elles communiaient tous les jours (2).

 

Mme Maton, raconte un des jansénistes de l'âge d'or, M. Feydeau, fut embrasée de l'amour de Dieu, par quelques entretiens que nous eûmes ensemble sur les grands exemples de détachement et de pénitence que donnait alors le monastère de Port-Royal; et cette flamme ne s'éteignit jamais depuis, mais elle opéra de si grands effets dans son coeur qu'elle aima ce qu'elle avait haï, le silence, la retraite, la pauvreté, la mortification... Elle pensait se donner un carrosse, mais elle y renonça. Elle mourut cinq

 

 

(1) Cf mon Ecole de Port-Royal, pp. 139, seq. Puisque j'en trouve ici l'occasion, on me permettra de dire qu'après de nouvelles réflexions, je ne vois rien à changer au portrait de Saint-Cyran que j'ai esquissé dans ce volume. Je regrette seulement, et je m'excuse de n'avoir connu que trop tard le jugement que porte sur lui un contemporain fort sérieux et qui ne contrarie certes pas mes propres impressions. « Ceux qui l'ont pratiqué plus familièrement que moi, écrit l'évêque de Lavaur, llaconis, l'ont reconnu pour un esprit un peu particulier, et d'une humeur assez mélancolique et sévère, qui s'est toujours rempli d'une haute opinion de soi-même, qui le portait à mépriser tout le monde... Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu un esprit si bizarre, si chagrin et si porté à la contradiction que celui de feu M. de Saint-Cyran; tout lui est bon pourvu qu'il censure, et il ne se met point en peine d'examiner ce qu'il dit, pourvu qu'il contredise. » Il dit ailleurs que Saint-Cyran « n'avait pas dessein de mettre les consciences en repos, mais de les troubler! » (Raconis, op. cit., I, pp. 23, 154; II, p. 29). Quoiqu'il en soit de ses « desseins », que je crois très innocents, il réussissait merveilleusement - c'est un fait - à troubler les âmes. Le crime qu'on m'a le plus reproché est de l'avoir cru malade, mais, comme le plus violent de mes critiques reconnaît tout haut que Saint-Cyran est un excentrique, il n'y a plus là qu'une question de mots ; le mien est plus pitoyable, et je persiste à croire qu'il est le plus juste. Au demeurant, il faut vraiment m'avoir lu avec des lunettes rouges, pour m'accuser d'avoir méconnu le génie religieux de Saint-Cyran.

(2) Exercices de Piété à l'usage des religieuses de Port-Royal du St Sacrement. Au Désert, 1787, pp. 208 seq.

 

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ans après, âgée de trente-neuf ans, et chargée de bonnes Oeuvres, C'est la première personne que j'ai conduite, et pour mieux dire, je n'avais qu'à suivre l'esprit de Dieu qui... la conduisait lui-même. Je consultai,

 

nos Messieurs, évidemment,

 

pour savoir si je devais lui permettre de communier tous les jours, et on me répondit que je le pouvais (1)

 

Si quelqu'un avait dû être mis par eux au régime des pénitents, c'est bien, n'en déplaise à Victor Cousin, Mme de Longueville. Or elle écrit de Port-Royal même à son confesseur, le 23 juillet 16 75.

 

Pour répondre à ce que vous me demandez de mes communions, je vous dirai que je n'avais pas communié depuis le jour de la Visitation (2 juillet), mais je communiai hier. Voici (venir) deux jours où je le ferai volontiers, s'ils n'étaient pas proches de celui d'hier et l'un de l'autre : sainte Anne (26 juillet) et le 2 août (2).

 

Par la lettre suivante, nous voyons que, si elle s'abstint le 26 (sainte Anne), elle communia le 6 Août. Bref, en un seul mois, au moins trois communions. Qu'on remarque, d'ailleurs, le ton de la lettre. Y démêle-t-on quelque trace des épouvantes qu'on leur prête ? Notez que nous avons ici deux témoins pour un. Si elle avait cru son confesseur hostile à la communion fréquente, elle lui aurait parlé sur un

autre ton.

Dans la seconde quinzaine d'août, nous voyons M. de Bernières, c'est-à-dire le Port-royaliste parfait, communier

 

(1) Mémoires de M. Feydeau, publiés par E. Jovy, Société des Sciences de Vitry-le- François , Vitry, 1906,. pp. 18-19. Il donne plus loin (pp. 368-369) de nouveaux détails sur Mme Maton : « Lorsqu'elle manquait un jour à la communion, elle paraissait triste et abattue. »

(2) Je dois communication de ce texte à un des historiens d'aujourd'hui qui eu savent le plus long sur le jansénisme, M. A. Féron, que j'avais consulté à ce sujet, après avoir lu son très beau livre : La Vie et les Oeuvres des Ch. Maignart de Bernières (1616-1662). L'Organisation de l'Assistance publique à l'époque de la Fronde, Rouen, 193o.

 

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trois fois : le 17 août, le 2o, pour saint Bernard, et le 28, pour saint Augustin (1).

Chargé d'une enquête à Port-Royal, et, nous le savons, très prévenu d'abord contre les religieuses, prêt à prendre au tragique la moindre incorrection, M. Bail déclare que le couvent va le mieux du monde et que « la fréquentation des sacrements » y est « digne d'approbation (2) ». De bonnes statistiques, écrit M. Persyn, « prouvent que, s'il y eut des controverses jansénistes en Flandre, la piété n'en souffrit

pas ,autre mesure. Il y eut à Bergues 29,ooo communions en 1663; 37,ooo,en 1666; 3o,ooo en 1693; 32,400 en 1731 (3). »

« Tous les jours » n'épouvante pas davantage le prudent Nicole.

 

Quelle préparation faut-il apporter pour la communiera quotidienne... et pour celle de huit jours?

R. Il faut, selon saint François de Sales, pour la communion de tous les huit jours, être exempt de péché mortel et sans affection du péché véniel. On a souvent plus de besoin d'examiner si on est effectivement dans cette disposition nécessaire pour la communion de huit jours, que de s'instruire de celles qu'il faudrait avoir pour communier tous les jours (4).

 

Il ne croit pas qu'on doive se confesser avant chaque communion, si l'on n'a que des péchés véniels sur la conscience.

Il ne faut pas, écrit-il, aller si souvent à confesse (et) on peut fort bien suivre l'avis qu'un confesseur nous donne de communier plus souvent que les dimanches et les fêtes... Je ne voudrais pas perdre par scrupule la grâce que Dieu nous fait par l'ordre de ce ministre.

Ce ministre, partisan de la communion fréquente, et sur

 

(1) A. Féron, op. cit., pp. 88, 89.

(2) Ib., p. 86. On trouverait ,aisément, je crois, d'autres témoignages. Encore faut-il prendre garde que des jansénistes du arme siècle, ne devaient pas être enclins à tirer de l'oubli des documents qui, bon gré .mal gré, rendaient manifeste leur propre infidélité à la tradition primitive.

(3) R. Persyn.: Un mystique flamand; Charles Grimmnink (1676-1728), Lille, 1925, p. 94.

(4) Essais de morale, V, p. 265.

 

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la direction duquel on le consultait, n'était probablement pas moliniste.

 

Saint Augustin, poursuit-il, ne blâme ni ceux qui s'en approchent souvent, ni ceux qui sont portés à s'en retirer par une charité respectueuse; mais je ne sais s'il n'aurait point un peu blâmé celles qu'une crainte excessive retirerait de la communion, lors même que l'ordre de Dieu et la voix de son ministre les y appelle. Je trouverais pour moi plus de sûreté à m'abandonner sur ce point-là à la conduite d'autrui, pourvu que je n'eusse aucun soupçon raisonnable du relâchement du prêtre qui me prescrirait cette conduite; et je tâcherais d'user de la fréquente participation à ce mystère adorable, pour avoir encore plus de circonspection... sur mes actions..., et pour tâcher de vivre davantage dans une adoration continuelle de Dieu (1).

 

Au XVIII° siècle, le tome VIII des Essais de Nicole, souvent réédité, n'était pas une rareté bibliographique. Vous pourrez lire néanmoins dans le fameux livre du P. Pichon :

 

Ce qui est certain c'est qu'Arnauld a été suivi par ses partisans,

 

c'est bien mon avis, mais voyez la suite,

 

par ses partisans, qui donnent tous le plus positif éloignement de la fréquente communion, comme on peut le voir dans Quesnel, Gerberon, de Ligny, Huighens, Nicole… Le directeur spirituel pour ceux qui n'en ont point (Treuvey)... et divers autres livres copiés d'après celui, (la Fréquente d'Arnauld), que nous combattons (2).

Il parait difficile de ramasser plus de contre-vérités en moins de mots (3). On vient d'entendre Nicole, passons à Quesnel, l'oracle et le leader du parti pendant tout un siècle.

 

 

(1) Essais de morale, t. VIII (2° série) pp. 12. 13.

(2) Jean Pichon; L'esprit de Jésus-Christ et de l'Église sur la fréquente communion, Paris 1745, p. 25o.

(3) Je dois avouer que j'ignore ce qu'ont pu dire de la communion fréquente, Gerberon, de Ligny, et Huyghens; mais si le P. Pichon a faussé à ce point la doctrine de ceux que je connais, ce qu'il affirme des autres mérite peu de crédit.

 

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Dans un de ses livres les plus populaires, la Piété envers Jésus-Christ (Ire édition en 1696), il traite ex-professo de la communion, et pour reprendre à son tour, avec une docilité scrupuleuse, la doctrine de François de Sales. Il est vrai, dit-il avec tout le monde, « que notre indignité devrait nous retirer (de la communion) et nous faire demeurer avec I'humble publicain loin des autels » ; mais, poursuit-il, nous devons

 

nous adresser à Dieu et lui dire : Si ces motifs, ô Seigneur, sont capables de m'éloigner de la communion, lorsque je considère votre souveraineté, votre sainteté, votre justice et votre grandeur, ce sont ces mêmes sujets de misères, de ténèbres et de défauts qui se trouvent en moi, qui m'engagent à m'en approcher. Je dois m'approcher de vous, parce que vous êtes la lumière seule capable de dissiper mes ténèbres; vous êtes la justice et la sainteté seule capable de me sanctifier...; c'est vous-même qui me conviez amoureusement de m'approcher de votre Sainte Table, tout pêcheur que je suis, pourvu que je déteste sincèrement mes offenses; qui me promettez de m'y soulager de mes peines, et qui me menacez même d'être éternellement séparé de vous, si je m'en sépare à présent en m'éloignant de la communion.

 

Façonné par le P. Pichon à dépister les habiletés jansénistes, on s'attend sans doute ici à quelque mouvement tournant qui esquive les conséquences pratiques de ces vérités générales. Non, ce sera tout le contraire :

 

Les saints exhortent beaucoup à la communion de tous les jours;

 

et logiquement :

 

Tous les jours l'on donne au corps la nourriture qui lui est nécessaire; pourquoi ne pas se mettre en état d'en user de même envers notre âme?

 

Tous les jours donc, et tout le monde? Non. Pour les nouveaux convertis et pour les médiocres, « il y a d'autres pratiques à leur prescrire », mais, pour les personnes dont la vie

 

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est exempte. de péché mortel, qui n'ont point d'affection au péché véniel, et qui vivent dans la pratique fidèle des devoirs du chrétien..., on doit leur permettre la communion tous les huit jour, et plus souvent à proportion... qu'elles font du progrès dans les vertus.

 

Au directeur d'en juger, mais que, pour leur permettre plusieurs communions par, semaine, il n'exige pas de ses pénitents une perfection chimérique. Guerre aux scrupules !

 

Les personnes timorées.... doivent prendre garde que ce respect: qui naît en elles de la, grandeur de Dieu et de la vue de leur bassesse n'affaiblisse point la, confiance qu'elles doivent avoir en la bonté infinie de Dieu qui les invite à s'en approcher (1).

 

L'auteur du Directeur spirituel pour ceux qui n'en ont point, M. Treuvey. tant admiré par Male de Sévigné et qui fut le théologal de Bossuet, paraît d'abord plus rigide. Se réclamant de saint Bonaventure et d'Avila, il se donne l'air de réserver à une élite héroïque le bienfait de la communion fréquente. Beaucoup moins intimidant toutefois, dès qu'il en vient à la direction immédiate. Les péchés véniels, dit-il,

 

ne sont pas un obstacle à la communion de tous les huit jours et si l'expérience de notre faiblesse qui nous entrain dans ces chutes laisse en nous un saint ennui,

 

charmante expression,

 

et un désir sincère de communier, comme la lassitude fait désirer au voyageur fatigué de quoi se rafraîchir, je ne vois pas qu'on nous doive empêcher de communier deux ou trois fois la semaine (2).

 

(1) La Piété envers Jésus-Christ, Liège, 1757, pp. 199-208.

(2) Le directeur spirituel pour ceux qui n'en ont pas, Lyon, 1699, p. 194. Treuvey semble d'abord se rallier à l'opinion, d'ailleurs saugrenue, mais très répandue au XVIIe siècle et dans les milieux les moins rigoristes, à l'opinion., dis-je, qui voulait extrêmement rares les communions de quiconque doit travailler, de la tête ou des bras, pour gagner sa vie. Ils ont trop de soucis pour qu'on leur permette de communier tous les huit jours. Mais il ajoute aussitôt, et non sans une certaine hardiesse « qu'ils doivent se contenter de le faire une fois le mois... ou tous les quinze jours. » (Ib., 190). C'est là une preuve frappante du progrès constant que j'ai dit. Floriot, que nous allons rejoindre, semble plus dur à cette même catégorie de fidèles : « Les personnes qui sont dans les vacations qui les occupent par trop, comme les marchands et les gens de justice (ce rapprochement est très amusant), quoiqu'ils vivent en gens de bien, il n'est pas à propos qu'ils communient si souvent, si ce n'est peut-être qu'ils ne soient pas tellement divertis par les affaires. qu'ils n'agissent dans les vues de Dieu, la charité qui règne dans leur coeur réglant toutes leurs actions et leurs paroles ; à ceux-là la communion fréquente est très utile, mais ils sont rares. » Morale chrétienne, p. 674.

 

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Très admiré, et je crois, très peu chicané pendant le XVIIe siècle, Floriot auteur d'une Morale chrétienne fondée sur l'oraison dominicale - on l'appelle, pour faire court, la Morale du Pater - est devenu, je n'ai jamais compris pourquoi, pendant tout le XVIII° siècle, une des têtes de Turc les plus souvent fusillées de ce côté-ci, du Bosphore. Belzunce, l'auteur de la Bibliothèque janséniste, d'autres encore,

le voient plus noir que charbon. Ses longs chapitres sur la communion ne sont pas néanmoins d'un abstentionniste bien farouche.

 

Vouloir demander, écrit-il, quand et combien de fois une âme vraiment chrétienne doit s'approcher de la Sainte Table..., c'est justement comme qui demanderait quand et combien de fois un enfant doit s'approcher de la mamelle de sa mère. Certes il: s'en approchera autant de fois que la nature le lui. fait désirer. Et la mère ne lui refuse point le lait, autant de fois qu'il le demande.

 

 

Une âme fidèle, pourvu qu'elle ait le coeur. pur et qu'elle mène une vie sans reproche, « a droit de s'en approcher souvent, parce qu'il faut que la grâce prenne en elle de nouveaux accroissements. »

Ce disant, il s'en tient, dit-il encore, à « l'excellent livre de la Fréquente communion (1) », et non moins étroitement à l'Introduction de François de Sales.

 

Pour être digne de communier souvent, il faut vivre chrétiennement... La bonne vie ne saurait subsister sans la fréquente communion, ni la fréquente communion sans la bonne vie... Ce

 

(1) Plusieurs, dit-il, ou n'ont pas ce livre, ou n'ont pas le temps de le lire, ou ne s'en donnent pas la peine. (p. 674.)

 

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qui étant... supposé comme indubitable, nous ne devons point être tant en peine du règlement de nos communions. Voilà la règle que Notre-Seigneur nous prescrit : il faut qu'il demeure en nous et... que nous lui soyons unis par la charité, qui est la santé de notre âme. La viande solide n'est que pour ceux qui ont une santé parfaite. Ceux qui sont sains ont droit de s'approcher de la Sainte Table tant qu'ils voudront.

 

 

Santé parfaite ne veut pas dire sainteté, au sens fort du mot. Par « malades » il entend ceux qui « sont dans la corruption du péché, qui ont... des crimes habituels ». Une fois « réconciliés à Dieu, par une véritable pénitence », la fréquente communion est aussi pour eux. Suivons donc, et dans un esprit pacifique la règle de saint Augustin - « Que ceux que l'amour porte à communier souvent ne condamnent pas ceux qui s'en abstiennent quelquefois par respect, et que ceux qui s'en abstiennent par respect ne blâment pas ceux qui communient plus souvent par amour. »

 

A quoi j'ajoute que, pour avoir l'esprit en repos, il importe de ne rien faire en cela, comme en toute chose, par son propre esprit, mais de régler ses communions par l'ordre de son directeur et s'approcher de la Sainte Table, ou s'en retirer par esprit d'obéissance (1).

 

(1) Morale chrétienne rapportée aux instructions que Jésus-Christ nous a données dans l'oraison dominicale, 1673, pp. 67o-676. - Cet appel à « l'esprit d'obéissance » revient souvent chez tous les auteurs que j'ai consultés, et non pas seulement chez les jansénistes. Ainsi le morne et sombre Varet, répondant à une dame qui se plaignait à lui de son confesseur ordinaire, lequel ne lui permettait pas de communier aussi fréquemment qu'elle l'eût voulu : « Quand il y aurait du défaut, écrit-il, dans la conduite que l'on tient sur vous, il ne serait point pour vous. » (pp, 94-96). Le fait même que sa pénitente lui transmet une semblable plainte, nous inclinerait à croire que Varet ne passait pas pour hostile à la fréquente communion. Plusieurs de ses lettres donneraient néanmoins une impression plutôt contraire. Voici par exemple un indice peut-être inquiétant. « Pour satisfaire en quelque sorte à votre dernière faute, je vous conseille de jeûner demain et remettre votre communion de dimanche prochain au lundi qu'on fait la fête de la Sainte-Vierge. » (p. 389). Nous ne pouvons juger le cas particulier de cette dame, mais il me paraît presque certain que Bossuet ne lui eût pas conseillé de reporter au lundi la communion du dimanche. I1 écrit encore : « Vous avez bien fait de ne vous déterminer pas de vous-même sur votre communion, pouvant aisément prendre avis. Et, quoique j'entre dans la pensée que vous avez eue de la remettre à un autre jour, cette conduite n'en sera que plus agréable à Dieu, si vous la suivez par obéissance. » (p. 343). Obéissance toujours, mais il semble « entrer » plus volontiers dans le sentiment du confesseur qui ne permet pas la communion fréquente que dans celui qui la conseille. Mes citations se réfèrent au t. III des Lettres chrétiennes et spirituelles, Paris 168o, le seul que j'aie lu - et non sans mérite, car Varet est mortellement ennuyeux.

 

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Même doctrine, même esprit dans le Catéchisme de Nantes, lequel a pour auteur un grand ami de Duguet et un futur appelant, M. de la Noë-Ménard

 

Texte. Se doit-on contenter de communier à Pâques ? - Il faut le faire beaucoup plus souvent et travailler à s'en rendre digne.

Explication (à l'usage du catéchiste). Exhorter ici à la communion fréquente, mais avec les dispositions requises. Il serait à souhaiter qu'aucun dimanche ne se passât que les fidèles ne se nourrissent de ce pain céleste (1).

 

Le Catéchisme de Montpellier, imprimé par ordre du fougueux Joachim Colbert, et dénoncé tant de fois comme un manuel d'initiation au jansénisme le plus éperdu, va-t-il rompre enfin ce concert étonnant en faveur de la communion fréquente ? Non, pas du tout.

 

D. Est-ce une chose bonne et utile que de communier souvent?

R. Rien n'est meilleur, rien n'est plus utile, pourvu qu'on le fasse dignement...

D. Dans quelles conditions faut-il être pour communier souvent?

R. Il faut avoir une grande pureté de conscience, être exempt de péché mortel et de toute affection au péché véniel, et avoir beaucoup d'ardeur et de zèle pour se nourrir de Jésus-Christ.

 

C'est exactement la réponse de François de Sales, et que, d'ailleurs, on interprète aussitôt de la manière la moins rigoureuse :

 

D. Qu'entendez-vous par l'affection au péché véniel?

R. J'entends l'attachement à un péché véniel dont on n'a aucune douleur, et dont on ne veut pas se corriger.

(1) Catéchisme du diocèse de Nantes, parle commandement de Mgr. Gilles de Beauveau, composé par le S. Mesnard, prêtre, directeur du Séminaire de Nantes. Plusieurs éditions, la 30 est de 1699. Duguet estimait fort ce catéchisme, il le préférait à tous les autres.

 

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Doivent changer de conduite, avant de communier, « les personnes qui passent leur vie dans des divertissements, dans l'oisiveté, dans le jeu, qui vont aux spectacles et aux autres assemblées profanes, et qui vivent selon les maximes du monde. » Jusqu'ici rien, de sinistre. Allons-nous voir enfin s'insinuer le poison? Non, que je sache :

 

D. Les personnes qui ne commettent que des fautes vénielles dont elles veulent se corriger, mais qui, par faiblesse, retombent souvent dans ces mêmes fautes, nonobstant leurs bonnes résolutions, ces personnes doivent-elles communier souvent?

 

Vous vous attendez sans doute à un non sonore. Qu'y puis-je? Ce sera oui.

 

R. OUI. LA COMMUNION EST UN REMÈDE SOUVERAIN POUR LES GUÉRIR DE LEURS FAIBLESSES.

  

A la fin, un suprême espoir, qui s'évanouit aussitôt, de le prendre en flagrant délit d'abstentionnisme obstiné.

 

D. Les personnes (qui retombent souvent dans les mêmes fautes (vénielles), font-elles bien de se priver quelquefois, par respect, de la communion ?

R. Oui. Pourvu que ce soit pour peu de temps, et pour se disposer ensuite par la pénitence à communier ensuite plus dignement. Car de s'en priver par tiédeur, sous prétexte d'humilité, c'est un grand malheur (1).

 

Pour que nulle des grandes autorités du parti -jansénistes ou jansénisants, peu importe, - ne manque à notre concile,

 

(1) Instructions générales en forme de catéchisme... par ordre de Messire Charles Joachim Colbert, évêque de Montpellier, à l'usage des anciens et des nouveaux catholiques de son diocèse, nouvelle édition... Paris, 1714, pp. 394, 395. L'auteur de ce catéchisme est l'oratorien François Pouquet (1666-1723), celui-là même qui, encore tout jeune, a eut part à la conversion du célèbre La Fontaine ». (Cf. Batterel.) L'histoire de ce livre et de ses éditions successives est assez mystérieuse. Chose incroyable, la Bibliothèque janséniste hésite presque à l'exterminer : « Quoique bon à certains égards », dit-elle, il a été « condamné par un décret de Clément XI ». Elle n'en retient que deux erreurs. Quoi qu'il en soit de l'orthodoxie du livre, on ne peut contester le génie catéchistique de son auteur.

 

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interrogeons deux spécialistes de la direction, l'abbé Boileau et M. Duguet; qui plus est, deux appelants.

La divine Eucharistie, écrit le premier, est le soutien des faibles et non pas seulement la récompense des forts.

 

C'est Jésus-Christ qui nous invite d'aller à lui pour nous fortifier; n'alléguons pas pour nous excuser les faiblesses dont il nous veut guérir si nous y allons. Encore une fois je suppose qu'on a fait une pénitence convenable, selon l'avis d'un sage confesseur, avant que d'approcher de Jésus-Christ. Je suppose que, si l'on n'a pu satisfaire à tout, on est dans la disposition sincère d'accomplir tous ses devoirs à mesure qu'on le pourra, et c'est dans ce cas que j'exhorte à la communion et à la communion fréquente. Le saint Concile de Trente souhaiterait que les chrétiens participassent au sacrifice toutes les fois qu'ils y assistent. Au moins faut-il qu'une personne qui est dégagée de tout soin temporel, ou qui peut ménager beaucoup de temps pour la retraite et pour la prière, tâche de communier tous les dimanches. C'était l'avis de saint Augustin pour les personnes d'une solide piété; c'est à quoi saint François de Sales portait les âmes sérieusement converties. Nous languirons aussi bien que David, si nous oublions de manger notre pain (1).

 

Boileau est un scrupuleux, il a toujours peur de se laisser entraîner par son extrême sensibilité à quelque affirmation qui ne serait pas d'une exactitude absolue. Ailleurs, plus expressément :

 

La communion fréquente est presque absolument nécessaire, quand elle est possible, pour les personnes qui veulent vivre dans la piété (2).

 

Aussi précautionné que Boileau et, comme lui, soucieux avant tout de l'honneur divin, Duguet n'est pas moins décidé

 

(1) Lettres de M. B... sur différents sujets..., I, pp. 391, 392.

(2) Ib. II, p. 97. C'est, je crois, l'éditeur de ces lettres posthumes, un janséniste de la décadence, et non pas Boileau, qui a souligné : quand elle est possible. Jouant ainsi, je le crois encore, sur les mots, en voulant faire entendre que Boileau parle ici d'une possibilité morale, dont la nécessité ne s'accorde pas avec le contexte. Si la communion fréquente est « presque absolument nécessaire » aux âmes dévotes, elle leur est donc toujours moralement possible.

 

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que lui sur le chapitre de la communion fréquente. Dans sa Conduite d'une Dame chrétienne, après avoir amplifié avec beaucoup de force le Sancta Sanctis,

 

vous lisez peut-être ceci avec une secrète satisfaction, poursuit-il, et vous croyez en pouvoir conclure que vous avez raison de ne pas désirer d'approcher de l'Eucharistie, parce que vous en êtes indigne. Mais vous feriez beaucoup mieux de dire que vous avez tort d'être indigne, parce que vous devez nécessairement vous en approcher.

 

Excellente formule, toujours foncièrement la même, du reste, chez tous nos auteurs : le non et le oui; un balancement perpétuel. Il est bien évident que, si l'on brise ce rythme pour n'en retenir que le premier membre, on n'aura pas de peine à classer Duguet parmi les adversaires de la communion. Arrêtez les oscillations du pendule et vous prouverez que la terre ne tourne pas.

 

Il est vrai que celui qui n'avait pas la robe nuptiale fut jeté dans les ténèbres...; mais ceux qui s'excusèrent de venir au festin furent mis à mort... Il est vrai que, si vous mangez indignement la chair du Fils de Dieu, vous mourrez; mais il n'est pas moins vrai que, si vous ne mangez point ce pain céleste, vous n'aurez jamais la vie. En communiant mal, vous vous empoisonnez; en ne communiant point,. vous mourez de faim... Si vous approchez sans être pure, c'est une témérité; si vous n'approchez pas, c'est une désobéissance. Si vous ne quittez point vos péchés, et si vous conservez pour le moindre d'entre eux de l'attachement, vous êtes en danger;

 

c'est toujours la règle salésienne;

 

si vous quittez Jésus-Christ, vous êtes perdue. Prenez donc le seul parti qui vous reste..., (qui est de) vous convertir du fond du coeur..., car il faut vivre de Jésus-Christ ou mourir (1).

 

Encore une fois, Duguet n'est pas homme à oublier que « le respect qu'on doit à un si redoutable mystère, doit aller

 

(1) Conduite d'une dame chrétienne (édit. moderne de l'abbé Carron) Paris, 1852, pp. 52, 53.

 

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jusqu'au tremblement ». Il ne faut pas, dit-il « affaiblir sa religion; elle ne sera jamais assez grande. »

Serait-ce donc là une direction satanique? Mais de cette religion elle-même,

 

la confiance et l'amour doivent (se) servir, et non pas en être étouffés. Tout est à la charité, et les vertus plus que le reste. C'est à elle à les employer, et ce serait un désordre si le respect croissait aux dépens de l'amour (1).

 

On sait que beaucoup de jansénistes se montraient impitoyables aux crimes des prêtres. Duguet non, bien que très sévère. Il écrit à un jeune clerc qui, d'ailleurs, s'exagérait peut-être la gravité de sa chute :

 

Je ne voudrais pas que vous vous éloignassiez plus longtemps de la sainte Eucharistie, qui est la consolation et la force de ceux qui aiment sincèrement la chasteté, mais qui tremblent pour elle... et qui tâchent de combattre les impressions d'une chair criminelle par l'efficace et le contre-poison de la chair incorruptible de Jésus-Christ... Il faut faire entrer dans votre coeur celui qui peut seul le défendre contre des ennemis qui vous plaisent, quoique vous les combattiez, et dont vous ne devenez victorieux qu'en gémissant en un certain sens de la victoire (2).

 

Au demeurant, il n'est pas possible de donner ici des règles « qui soient assez générales pour n'être pas sujettes à bien des exceptions... Il faut nécessairement laisser mille choses indécises, qui sont la matière de la vigilance, d'une sainte frayeur et d'une humble pénitence ». Duguet inclinerait à punir par la privation de la communion les « grandes fautes » contre l'humilité et la charité; vénielles, s'entend, celles « où il y a eu de la réflexion... et qui ont duré plus longtemps. » Malgré ces fautes néanmoins, et même si on ne les a pas confessées, il ne veut pas qu'on renonce à la communion de chaque dimanche.

 

(1) Lettres sur divers sujets de morale et de piété, III, p. 249

(2) Ib., VII, p. 214.

 

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Lorsque les communions sont fréquentes, comme dans les jours de retraite, il faut y apporter des dispositions non communes. Des négligences un peu considérables suffisent pour mériter le retranchement de cette grâce pour le lendemain. Le seul dégoût, quand il n'est pas l'effet involontaire de la tentation, y est un obstacle. La langueur qui vient de peu d'amour et de peu de foi en est un autre.

 

Mais il n'entend pas non plus qu'on juge de la piété par des mouvements sensibles, ni « qu'à force d'examen, on tombe dans le scrupule et l'inquiétude. » « La vraie piété est simple, tranquille, pleine de confiance. »

Ce que je désire est qu'on ne néglige aucun de ses devoirs extérieurs... ; qu'on regarde la divine Eucharistie comme... le plus puissant motif pour s'animer à la perfection; qu'on ne s'accoutume point à une familiarité avec Jésus-Christ si étonnante, et qu'elle augmente le respect, dans le temps qu'elle nourrit et qu'elle console la charité. Sans ces dispositions, je ne vous conseille pas de communier si souvent. Mais comme je sais que vous les avez, par la grâce de Dieu, en quelque degré, je vous exhorte à le faire deux fois la semaine, sans écouter désormais sur cela vos frayeurs (1)....

 

Escortés de tant et de tant d'autres qui se réclament des mêmes principes, qui donnent les mêmes conseils, et qui, chose ici plus importante, rendent, à quelques nuances près, le même son, il me semble que ces beaux textes de Duguet nous obligeraient, pour le moins, à mettre en quarantaine la tenace légende qui dresse tout armé contre la communion fréquente le premier siècle du jansénisme. Aussi

bien ai-je rencontré, dans la Correspondance de Bossuet, quelques lignes fort curieuses, qu'on n'a peut-être pas assez remarquées, et qui, à elles seules, justifient mon scepticisme. Il écrivait donc, en 1702, à Mme Cornuau :

 

Je vois depuis quelque temps venir beaucoup de nouvelles maximes sur la communion, qui ne feront que resserrer le

 

(1) Lettres, VIII, pp. 116-121.

 

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coeur, troubler les bonnes consciences, et aliéner des sacrements (1).

 

« Depuis quelque temps » ne veut certes pas dire depuis 1643 - date de la Fréquente communion; pas même depuis dix ans. Manifestement ces « nouvelles maximes » qui surprennent Bossuet autant qu'elles l'inquiètent, viennent à peine de sourdre. Dans quels milieux? Il ne le dit pas, mais, sans doute, chez ses amis les jansénistes, où on ne se cache pas de lui, et sans doute parmi les jeunes. Nous voudrions en savoir plus long sur les premières manifestations de ces tendances, mais il y faudrait une érudition qui me manque. Serait-ce donc la première fois qu'un mouvement schismatique aurait tourné le dos, en cours de route, à ses directions originelles? Henri VIII pensait-il faire le lit de Calvin? La logique des sectes n'est pas celle des philosophes. Plus le jansénisme s'aigrit, plus il tend à élargir le fossé qui le sépare de l'orthodoxie. Pourquoi faut-il que, du bon côté de la barricade, au lieu de maintenir la controverse, assez épineuse et trouble déjà, sur le terrain que les condamnations romaines avaient si nettement et si justement délimité, - les cinq propositions - on ait accusé les jansénistes, voire les jansénisants de crimes qui d'abord leur faisaient horreur à tous. Un jour vint où ils voulurent être ce qu'on disait qu'ils étaient et où, pour m'en tenir au sujet du présent chapitre, ils se mirent insensiblement à lire la Fréquente Communion, avec les lunettes rouges du Père Nouet, à cette différence près qu'ils exalteraient dans ce livre ce que le jésuite y avait dénoncé comme « diabolique ». Tremblez, mais ne vous abstenez pas, telle avait été la consigne de leurs premiers maltres. Et que, s'il y a conflit entre les deux, l'amour l'emporte sur la révérence. Désarmais on ne parlera plus que de révérence. Quoi qu'il en soit de ces divers ferments, l'évolution fut assez rapide, semble-t-il, vers un abstentionnisme

 

(1) Correspondance, XIII, p. 4o5.

 

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presque intégral. La sainte forteresse, leur Sinaï, où les pénitentes des Saint-Cyran, des Sainte-Marthe, des Singlin, des Floriot communiaient au moins tous les dimanches, Port-Royal n'existait plus : ce Port-Royal, qui avait recours à des ruses de contrebandiers pour recevoir le sacrement que l'autorité lui refusait ; le sage Nicole, d'ailleurs suspect à la génération montante, avait disparu ; la frénétique vieillesse de Quesnel se déshonorait à organiser le schisme ; Boileau, Noé-Mesnard, Duguet seraient bientôt débordés par les hystériques des convulsions et par les enragés des Nouvelles ecclésiastiques. M. de Meaux n'a été que trop bon prophète; mais eût-il imaginé que, si peu de temps après sa mort, son cher neveu, enfin devenu évêque, s'acharnerait, autant que personne, à « troubler les bonnes consciences, et aliéner des sacrements (1)? »

IV. - Tonnant dans la chaire de Saint-Louis contre le livre d'Arnauld, « Faut-il, s'écriait le P. Nouet, que la fréquente communion que nous avons établie avec tant de peine soit maintenant détruite (2). » Elle ne l'était pas, nous l'avons montré, ni ne le serait de longtemps. Il n'en reste pas moins vrai que la Compagnie avait pris la tête de cette croisade, s'employant de tout son zèle et avec un succès merveilleux, à restaurer par toute la chrétienté l'usage de la communion fréquente. Le petit livre de son fondateur lui faisait un devoir « de louer la réception du Saint Sacrement, au moins une fois l'an, et plus encore chaque mois, et plus encore toutes les semaines ». Ignace lui-même, suivi en cela, j'imagine, par

 

 

(1) « Nulle part les règles chères aux dissidents concernant l'administration de la pénitence n'étaient plus rigoureusement appliquées que dans le diocèse de Bossuet... Dans beaucoup de paroisses, les premières communions cessèrent tout à fait... Les pasteurs les différaient parfois jusqu'à l'âge de trente ans... Le plus souvent les garçons n'étaient admis à communier qu'à l'âge de dix-huit ans, et les jeunes filles à seize ans ou dix-huit ans ». Tel curé s ne donnait la communion qu'aux personnes du sexe âgées de quarante ans... Quant aux adultes, la plupart de ceux du parti en vinrent à ne plus communier du tout, même à Pâques. » Chanoine E. Prévost, Le Diocèse de Troyes, Domois, 1926, III, p. 88.

(2) Le texte original des sermons de Nouet n'a pas été publié, et n'aurait pu l’être. Je ne garantis donc pas la fidélité de la sténographie qu'Arnauld a sous la main.

 

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nombre de jésuites, conseillait hardiment aux âmes parfaites la communion quotidienne. Propagande active, du haut de la chaire, au confessionnal, et par le livre. « Les prémices des ouvrages que notre Compagnie a composés, écrit encore le P. de Machault... ont été consacrées à ce très divin mystère; car le premier de nos livres, qui parut au jour au commencement de cet Ordre, fut de la Fréquente Communion, recueilli de la doctrine des Saints Pères, par le P. Chrétofle Madridio : écrit qui, quoique petit en pages, fut très grand en fruits qu'il produisit par toutes les provinces de l'Europe, qui le voulurent presque toutes avoir en leurs langues propres (1).

Nouvel indice, après beaucoup d'autres, qui m'autorise à dire, comme j'ai fait plus haut, qu'au début du XVIIe siècle, la cause de la communion fréquente était pleinement gagnée. Peut-être le P. Nouet - « que nous avons établie avec tant de peine » - exagère-t-il les difficultés où se heurtèrent d'abord les promoteurs de cette croisade. Si, d'ici, de là, quelques immobilistes, ou scrupuleux, ou simplement jaloux, ont essayé d'arrêter le mouvement, il semble que le peuple chrétien se soit prêté avec allégresse à une réforme qui répondait aux goûts spirituels de l'époque, et qui mettait fin au régime invraisemblable, absurde même que nous avons dit (2). Je croirais plutôt que l'élite de la Contre-Réforme, Charles

 

(1) Machault, op. cit. préface. Je ne sas si ce fut là vraiment le premier livre publié par un jésuite. La 1ère édition, romaine, est de 1655. De Frequenti ususanctissimi Eucharistiæ sacramenti libellas per R. P. Christophorum Madridiuni, doctorem theologum, S. J. Cf. l'édition et la traduction qu'en a récemment donnée le R. P. Dudon : Pour la communion fréquente et quotidienne; Le premier livre d'un jésuite sur la question, Paris, 1910. Ce titre ingénieux promet beaucoup plus que ne tient le livre même de Madrid, celui-ci n'ayant pas d'autre but que de répandre la pratique de la communion hebdomadaire. « Dans notre thèse, dit-il expressément, nous n'affirmons pas autre chose que ceci : Communier chaque semaine est beaucoup plus louable et fructueux que de s'abstenir » (p. 149). Saint Ignace n'aurait certainement pas approuvé que l'on conseillât indistinctement à tout chrétien en état de grâce la communion quotidienne.

(2) En Italie, la campagne pour et contre semble avoir été assez vive, mais on a l'impression que l'issue n'en était pas douteuse. Cf. à ce sujet les chapitres déjà cités du P. Tacchi-Venturi. C'est peut-être en Espagne que la cause de la communion fréquente et même quotidienne fut gagnée le plus vite. Sur la première phase du mouvement en France nous sommes - autant que je sache - mal renseignés. Les testes que j'apporterai bientôt pourront orienter les recherches.

 

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Borromée, Avila et avec,eux nombre de jésuites, surpris d'une aussi prompte victoire, en vinrent à craindre les dangers d'une étape brûlée trop vite. On les voit en effet mettre les fidèles en garde contre de certains abus, sur lesquels ils nous donnent peu de détails, mais qui manifestement les inquiètent. Quine se rappelle les deux carmélites, d'ailleurs très saintes, mais sur la voie de l'illuminisme, que sainte Thérèse eut tant de peine à guérir de leurs illusions ? « Comme il leur semblait que la communion... apaisait un peu l'impétuosité (de leurs transports)..., elles croyaient ne pouvoir vivre si elles passaient un jour sans communier. » Désir si véhément chez l'une d'elles, « que, pour ne pas mettre sa vie en danger, il fallait la communier de grand matin », le confesseur du couvent n'ayant pas eu assez de sagesse, ou de courage pour arrêter ces enfantillages. Sainte Thérèse arrive sur ces entrefaites, et après avoir en vain tâché de faire entendre raison à ces deux malades,

 

Je leur dis, écrit-elle, que je me sentais, moi aussi, consumée des mêmes désirs.., que je ne communierais néanmoins que quand toute la communauté le ferait, afin qu'elles suivissent mon exemple. J'ajoutai que si cela ne pouvait se faire sans mourir, nous mourrions toutes trois ensemble... Je fus inflexible.

 

Et bientôt elles se calmèrent, si bien qu'en leur présence,

 

j'approchai seule de la Sainte Table, sans qu'elles en fussent émues; à la vérité, on me l'avait ordonné;

 

en règle générale, elle communiait tous les jours;

 

autrement, par égard pour leur faiblesse, je ne l'aurais pas fait (1).

 

Ces derniers mots ne sont pas moins remarquables que le récit délicieux qui les amène.

 

(1) Livre des fondations, chap. VI; (Bouix pp. 86-87).

 

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J'ai connu une femme, écrit-elle encore, qui passait pour une grande servante de Dieu, et qui aurait dû l'être, puisqu'elle communiait tous les jours ;

 

elle ne l'était pas néanmoins, puisqu'elle accabla d'injures grossières un confesseur qui lui refusait la communion. Si vraiment, conclut Thérèse, « l'honneur de Dieu lui était plus cher que le sien », au lieu de le blasphémer, elle aurait dû le bénir « de ce zèle pour sa gloire qu'il avait inspiré à ce confesseur, zèle qui ne lui permettait pas de laisser entrer cette souveraine Majesté dans une demeure aussi pauvre (1). »

Avant tout, l'honneur de Dieu, et avant même le bien de l'homme, si tant est que le besoin le plus pressant de l'homme ne soit pas d'honorer Dieu : c'est leur principe premier à tous, comme nous verrons. D'où vient que tous ils insistent sur la primauté de l'obéissance.

 

Si leur unique désir est de plaire à Dieu, ne savent-elles pas que l'obéissance (lui) est plus agréable que le sacrifice... Si leur volonté était entièrement détachée de tout intérêt propre, elles se réjouiraient de pouvoir plaire à Notre-Seigneur par une privation si pénible, elles s'humilieraient et seraient tout aussi contentes de ne communier que spirituellement (2).

 

Elle approuve même que, pour mettre à l'épreuve la vertu de ses religieuses, le confesseur les prive parfois de la communion.

 

Il faut avec douceur... mortifier ces personnes en cela comme dans les autres choses, et leur faire comprendre qu'il leur est beaucoup plus avantageux de renoncer à leur volonté que de rechercher leur consolation.

 

Telle sera bientôt, du reste, la direction de François de Sales.

 

Vous avez bien fait, écrira-t-il, d'obéir à votre confesseur, soit qu'il vous ait retranché la consolation de communier souvent pour

 

(1) Livre des fondations, p. 92.

(2) Ib., pp. 93, 90.

 

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vous éprouver, soit qu'il l'ait fait parce que vous n'aviez pas assez de soin de vous corriger de votre impatience. Et moi, je crois qu'il l'a fait pour l'un et pour l'autre... Et si vous obéissez humblement, une communion vous sera plus utile en effet que deux ou trois faites autrement... La retardation vous donnera l'appétit plus grand (1).

 

Si bientôt nous voyons la même doctrine revenir comme un refrain, sonner comme un axiome, sous la plume des spirituels de la Compagnie, nous n'aurons donc pas le droit de crier à l'infiltration janséniste. C'est aux abus qu'ils en veulent tous, et non pas à la communion elle-même. Il y a des « hommes religieux », écrivait dès 1557, c'est-à-dire dès les premières victoires de la propagande eucharistique, le P. Matritius,

 

qui, s'inspirant de bons et saints motifs, croient devoir user du frein plus que de l'éperon avec certains chrétiens,

 

quibusdam, et non pas avec toutes les personnes pieuses ;

 

les voyant communier, souvent plutôt par coutume que par dévotion, ils ne leur interdisent point cette pratique,

 

non accent, sed monent,

 

mais les exhortent à ne pas se jeter sur ces saints mystères avec des mains non lavées, comme ils disent et avec une conscience insuffisamment éprouvée (2).

 

(1) Lettres, V. 164. Obéissance, non pas seulement au directeur, mais au mari : « Quand vous craindrez, dit encore le saint,de troubler (votre mari), contentez-vous de communier d'esprit et, croyez-moi, cette mortification spirituelle, cette privation de Dieu agréera extrêmement à Dieu, et vous le mettra bien avant dans le coeur; il faut quelquefois reculer pour mieux sauter. J'ai souvent admiré l'extrême résignation de saint Jean-Baptiste, qui demeura si longtemps au désert, tout proche de Notre-Seigneur, sans s'empresser de le voir » (Ib. III, 227).

(2) Je cite la traduction littérale du R. P. Dudon, op. cit., p. 179. Comme il le déclare en termes exprès, Matritius s'attaque uniquement dans son livre à a ceux qui, égarés par je ne sais quelles raisons et animés de sentiments peu conformes à la piété, s'efforcent d'entraver... l'avancement spirituel des bonnes âmes », en détournant de la communion fréquente, non pas seulement les tièdes et les mondains, mais « les coeurs.., embrasés de la charité du Christ » (ib., ib.). Qui a-t-il personnellement en vue ? Il ne le dit pas, mais évidemment certains bons apôtres qui, sous couleur de défendre l'honneur du Saint-Sacrement, ne songeaient en vérité qu'à ruiner la popularité croissante des jésuites.

 

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Excessives peut-être, au jugement de Matritius, il faut bien toutefois que les alarmes de ces « hommes religieux » n'aient pas été imaginaires, puisque, longtemps après, de bons esprits déploraient encore ces mêmes abus, que, d'ailleurs, les adversaires mêmes d'Arnauld, à savoir Nouet, Petau, Raconis n'essaieront pas de contester. Ainsi, un des plus grands théologiens de la Compagnie, et qui, certes, ne voulait aucun bien au jansénisme, le cardinal de Lugo. « Il ne me dissimula point, raconte le Dr Bourgeois, venu à Rome, « pour la justification du livre de la Fréquente Communion, »

 

que les jésuites français, envoyés pour la poursuite de la censure. avaient fait leur possible pour le prévenir contre ce livre; mais que, comme il l'avait déjà lu, cette lecture l'avait prévenu et rendu fort contre eux, et qu'après leur avoir lait voir le contraire des hérésies qu'ils disaient y être, sur les instances qu'ils lui faisaient de ne les prendre pas pour des calomniateurs, de croire que tous leurs Pères de France connaissent l'auteur et ses pernicieux desseins mieux que lui, qui n'étaient autres, disaient-ils que de détruire l'usage... de la Pénitence et de l'Eucharistie, il avait été obligé de leur dire... qu'il avait peine à les entendre parler d'un auteur, dont le livre est entre les mains de tout le monde, et de voir qu'ils voulaient qu'on les écoutât lorsqu'ils lui attribuaient des desseins contraires à son livre;

 

c'est le quinzième que - ou qui, ou dont - et nous n'avons pas fini;

 

qu'ils se faisaient tort et à l'Ordre, et qu'ils ne réussiraient pas; qu'il leur conseillait de ne dire à personne que le dessein de l'auteur (Arnauld) était de détruire ces deux sacrements; s'il avait eu ce dessein, il serait fort malhabile homme, puisque nul livre ne les établissait plus fortement et plus solidement que le sien; qu'au reste, s'il s'agissait de son dessein, il était clair qu'il n'en avait qu'un très bon, qui est de corriger beaucoup d'abus qui se commettent en France et plus encore en Espagne, ajouta-t-il, dans

 

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l'administration de ces deux sacrements et de faire qu'on s'y prépare avec plus de piété et dévotion (1).

 

Ces pauvres ambassadeurs ne savaient pas le métier. A leur place, j'aurais tâché de faire comprendre au cardinal que le livre d'Arnauld avait pour objet, non pas du tout de e détruire » les sacrements, mais de ruiner le prestige de la Compagnie elle-même, sournoisement visée à toutes les pages, et rendue uniquement responsable des abus incriminés. En toute cette déplorable affaire, la meilleure stratégie, la plus franche et la plus habile eût été, me semble-t-il, d'orchestrer sans relâche notre much ado about nothing ; de montrer, en d'autres termes, qu'Arnauld, quelles que fussent, d'ailleurs, ses pensées de derrière la tête, n'avait fait qu'enfoncer des portes ouvertes ; que les spirituels les plus autorisés de la Compagnie avaient devancé de quelque cinquante ans ce bouillant réformateur.

Ce que les jésuites ne surent pas faire, les Arnaldiens l'ont fait dare-dare et contre eux, comme on peut le voir, par exemple, dans un écrit de t644, qui a pour titre : Abus des nouveaux casuistes et directeurs jésuites, prédits et condamnés par le P. Émery de Bonis, jésuite (italien) reçu dans la Compagnie dès le vivant de saint Ignace (2). » Du P. de Bonis, ils reproduisent un long chapitre : Abus de quelques personnes touchant la sainte Communion, qu'on dirait, en effet, qu'Arnauld a plagié d'un bout à l'autre. Ils ont encore déniché et monté en épingle, si l'on peut dire, un Père Perlin, jésuite espagnol, qui préarnaldisait lui aussi, disent-ils,

 

(1) Relation de M. Bourgeois, Dr. de Sorbonne, contenant ce qui s'est passé à Rome en 1645 et en 1646, pour la justification du livre de la Fréquente Communion. Œuvres d'Arnauld, XXVIII, pp. 7o4-7o5. L'interview est un peu romancée, j'imagine, mais, dans l'ensemble, je la crois véridique. On sait bien, d'ailleurs, que le cardinal se rangea parmi les défenseurs de la Fréquente communion. La relation manqua d'agrément ; quelques jolis mots toutefois. Ainsi, au début : « Comme les péchés originels... laissent toujours de mauvais restes..., je sentais toujours quelque difficulté » à rendre visite à ce cardinal jésuite. Lugo lui dit que, pour lire le texte d'Arnauld, il s'était mis à apprendre notre langue.

(2) La seconde édition de ce livre est reproduite au tome XXVIII des Oeuvres d'Arnauld, pp. 493, seq.

 

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mais que je n'ai pu me procurer, car la plupart de ces livres sont devenus introuvables. Le plus curieux de tous et un des moins connus se trouve bien à la Bibliothèque Nationale, mais le catalogue l'attribue à J. P. Camus. C'est une Pratique de la fréquente communion composée en espagnol par le R. P. Hernand de Salazar de la Compagnie de Jésus et mise en français par le R. P. Jean Guillet, de l'Ordre des

Frères Prêcheurs..., Paris. 1644, Un jésuite et un dominicain ainsi associés à cette Oeuvre, pour nous double aubaine. J'ignore la date et la fortune de l'édition espagnole, ou des éditions (1). Pour la traduction française, elle parut d'abord en 1624, plus vieille donc de vingt ans que la Fréquente d'Arnauld; mais l'éditeur, homme avisé, profita du beau tapage que faisait celle-ci, pour publier une nouvelle édition de la Fréquente espagnole. J'ai remis ce livre sous la presse, écrit-il dans l'avertissement au lecteur,

 

en un temps auquel j'ai estimé qu'il te servait davantage. C'est assez de dire un mot au sage; il devine le reste. Ce livre arrêtera ton esprit parmi tant de disputes qui s'élèvent aujourd'hui sur la fréquente communion.., et fera que tu jugeras des choses, non selon ton humeur, mais selon qu'elles sont (2).

 

A ce trait et à l'intelligenti pauca du début, je crois reconnaître J. P. Camus. C'est lui, j'imagine, qui aura eu l'idée de ressusciter Salazar et de le lancer dans la mêlée. Aussi bien, un opuscule tout camusien et signé - Le Traité de la

préparation à la fréquente communion, se trouve-t-il ajouté, comme un appendice, à la Pratique du jésuite (3). Par

 

(1) La Bibliographie de Sommervogel a oublié d'en faire mention. Mais Echard mentionné la traduction de Guillet (11, p. 433).

(2) « On n'en trouvait plus des premières impressions », dit-il encore.

(3) Voici le titre alléchant qui paraît sur la couverture de. la réédition. de 1644, et qui est peut-être aussi de Camus : Pratique de la fréquente communion où l'on voit ce que l'Eglise primitive a observé touchant ce sujet, plusieurs abus réfutés et la doctrine des S. S. Pères proposée, avec un Traité de la préparation à la fréquente communion, par J. P. C. évêque de Belley. » Par où s'explique l'erreur du catalogue de la Bibliothèque Nationale. Le vrai titre, beaucoup moins long du Salazar-Guillot se trouve dans l'approbation.

 

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là, si ma conjecture est exacte, Camus aura voulu tout ensemble, et défendre la fréquente d'Arnauld, et la rendre inoffensive : empêchant d'une part que, dans le fracas de la bataille, se perde ce que ce livre contient d'excellent, et, d'autre part, comme le dit encore cet éditeur peu banal, « que sous le manteau du respect et de la révérence, le libertinage ne mette la dévotion, sinon dans le tombeau, du moins au lit bien malade. » Revêtu d'une robe de jésuite, Arnauld rallierait tous les suffrages. Je suis oiseau, voyez mes ailes; je suis souris, vivent les rats ! Les chats eux-mêmes, ne se voyant plus voués aux foudres de Jupiter, c'est Arnauld que je veux dire, rentreraient leurs griffes.

V. - J'ai déjà répété que nous étions mal renseignés sur la nature de ces abus, que tant de bons juges s'accordent alors à censurer dans l'administration des sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. Salazar nous apporte sur ce point des précisions très intéressantes. Il nous apprend, en effet, que, dans l'Espagne de ce temps-là, certains spirituels conseillaient indistinctement à. tous les chrétiens la communion quotidienne. Propagande assez ancienne, puisqu'elle inquiétait déjà sainte Thérèse, et encore assez efficace pour qu'un théologien aussi grave que Salazar ait cru nécessaire d'écrire si abondamment et si vigoureusement pour la combattre. C'est là, en effet, l'unique objet de son livre : « modérer, comme il dit lui-même, la démesurée fréquentation de la communion (1). »

A qui personnellement en veut-il ? Je l'ignore, mais tout me fait croire que ses frères en religion pensaient comme lui. Comme il exalte Louis de Grenade, et qu'il a pour approbateurs officiels deux dominicains, ne cherchons pas non plus de ce côté-là. Je croirais volontiers pour ma part que le mouvement qu'il combat se rattache à celui des Alumbrados, presque tous les illuminés, vrais ou prétendus, de cette

 

(1) Pratique, p. 44.

 

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époque prêchant à qui mieux mieux la communion quotidienne.

Désespérant de rallier tous les confesseurs à leur opinion, ils tentaient nous dit Salazar, de

 

persuader aux simples âmes qu'elles sont maîtresses d'elles-mêmes et juges de leur conscience; partant, ce n'est pas bien fait de demander conseil au confesseur pour communier plus ou moins souvent, et encore moins de suivre son avis..., quand il conseille de se retirer de cet autre sacrement.... C'est une doctrine qui est grandement nouvelle en l'Eglise (1).

 

Aussi bien Salazar se réclame-t-il à chaque page et de la tradition ancienne et des spirituels modernes. Gerson, par exemple, Denys le Chartreux, « Louis Blose, Jean Rusbroque, ce grand maître de la vie spirituelle reconnu pour tel par les grands personnages qui ont été depuis lors (2) » ; Louis de Grenade, « un des plus admirables maîtres de dévotion de notre siècle », Jean Arias, Dupont, Rodriguez,

 

et généralement tous les auteurs qui ont traité de cette matière, supposent comme chose certaine que la communion de tous les jours n'est pas pour toutes les personnes du monde ni pour celles qui ne sont que de médiocre vertu, mais pour celles qui sont bien avancées en la perfection. Personne n'osera nier que ce n'ait été le sens commun de l'Eglise et aux siècles passés et au nôtre, depuis que les théologiens scolastiques ont

 

(1) Il est vrai que, dans sa lettre du 15 novembre 15 43 à Thérèse Rejadell, saint Ignace parait d'abord professer la même opinion. « Vous supposant donc exempte de péchés mortels clairs, si vous jugez que la communion quotidienne donne à votre âme plus de secours, plus d'ardeurs dans l'amour de votre Créateur..., si vous avez appris par expérience que ce très saint manger spirituel vous sustente... et vous accélère dans la voie du service... de Dieu, n'en doutez pas, il vous est loisible, il vous sera meilleur de communier tous les jours ». Mais qui ne voit que c'est par une délégation expresse de son directeur, - Ignace lui-même - que Thérèse Rejadell est laissée « juge »? Avec cela, imagine-t-on sérieusement que le fondateur de la Compagnie ait pu enseigner l'extraordinaire doctrine que dénonce le P. Salazar? Je cite la lettre d'Ignace d'après le R. P. Dudon (Pour la communion fréquente et quotidienne, Paris 1910, pp. 4-5).

(2) Pratique, p. 285. Cet éloge enthousiaste est deux fois intéressant. On se rappelle, en effet, qu'au moment de la réaction anti-mystique dont le P. Balthazar Alvarez fut victime, Ruyesbrock fut, en quelque sorte, mis à l'index de la Compagnie. (Cf. Métaphysique des Saints, II, p. 231).

 

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commencé, jusqu'à présent que certains, sous prétexte de piété, ont voulu défendre le contraire.... L'opinion contraire a peu de probabilité, voire d'assurance en la pratique, quoiqu'on la puisse soutenir en quelque façon en la théorie (1).

 

Salazar, bien que dialecticien aussi intrépide - et plus cohérent - que le jeune Arnauld, est moins fermé que lui à l'esprit de finesse. Il sait et il dit fort bien qu'un tel sujet « ne veut pas être gouverné par spéculation, ni par raison de métaphysique, dont les subtilités manquent le plus souvent en la pratique (2) ».

Philosophe avant tout néanmoins, ou théologien - c'est ici tout comme. Nul mieux que lui, à ma connaissance, n'a su mettre en relief le principe premier, - la subordination des fins - qui, pour lui et pour les grands spirituels de son temps, domine tout le débat.

 

La première et la principale fin est de donner gloire à Jésus-Christ, la seconde, de jouir du fruit spirituel qui se reçoit en la communion.

 

Primauté du point de vue théocentriste sur l'anthropocentriste : celui qui a mis à la mode ces néologismes, n'a rien inventé.

 

Saint Thomas a remarqué ces deux fins et saint Bonaventure. Elles ont ordre entre elles, de telle sorte que la première... se doit toujours référer à la seconde.... La présence réelle de N. S. en ce sacre ment oblige celui qui le reçoit d'acheminer son intention plutôt à la gloire du Fils de Dieu qu'à son profit particulier. Et c'est pour cela qu'il est requis une si grande révérence... en ceux qui communient. Et aussi, à cause de cette révérence qui regarde si directement la gloire de Jésus-Christ, il sera bon que

 

(1) Pratique, pp. 277, 256. Dans son recours - ici de rigueur - à l'antiquité chrétienne, Salazar fait preuve d'un sens critique aigu et presque hardi. «  Il n'y a aucune autorité, écrira-t-il par exemple, - défiant sur ce point l'opinion de quasi tous ses contemporains, - ni témoignage ancien qui prouve efficacement qu'en la primitive Eglise, il y eût coutume générale et beaucoup moins précepte que tous les fidèles communiassent tous les jours » (p. 15). « On ne l'a pas encore prouvé, disent aujourd'hui les savants, et il est peu probable qu'on le prouve jamais » ( Tacchi-Venturi, op. cit. p. 2o8).

(2) Pratique, p. 214.

 

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plusieurs fois l'homme cède au profit particulier dont il pourrait jouir communiant plus souvent...

 

La suite montre bien qu'il se place ici dans l'hypothèse où la première de ces deux fins se trouverait sacrifiée à la seconde, l'homme à Dieu.

 

De sorte que, si quelqu'un par exemple se persuade probablement que, communiant trois fois la semaine, ou plus ou moins, il doive acquérir plus de degré de grâce, et tout ensemble s'il connaît qu'il se met en péril assuré de perdre le respect et la révérence... par cet usage fréquent..., jaçoit qu'en tout ceci il n'y ait aucun péché connu, ce sera le meilleur et le plus assuré de céder à son profit particulier et, préférant la révérence et la gloire de ce sacrement, communier une seule fois chaque semaine avec plus de révérence (1).

 

Rappelons encore une fois, qu'il s'agit ici pour Salazar d'établir les fondements philosophiques de sa thèse. D'où la raideur apparente de ces axiomes. Mais il ajoute aussitôt que, dans le concret, « les deux fins proposées... sont tellement enchaînées que l'accroissement ou décroissement de l'une redonde à l'autre (2) ». Oublier, pour l'honneur de Dieu, jusqu'au souci de notre perfection propre, n'est-ce pas nous enrichir; et, d'un autre côté, « profiter spirituellement », n'est-ce pas honorer Dieu ? Perdre son âme, c'est la sauver: Ainsi, raisonnent-ils, fidèles à la méditation « fondamentale » de saint Ignace : Homo creatus est ut Dominum Deum suum laudet.

 

(1) Pratique, p. 42. Ce serait, explique-t-il, « un grand bien et secours pour l'Eglise, si tous les prêtres célébraient trois ou quatre fois par jour, comme ils font le jour de Noël, néanmoins, parce que cette licence pourrait redonder au mépris de ce sacrement, l'Eglise cède librement... Futilité qu'elle recevrait de tant de sacrifices. Elle fait tant d'estime de cette révérence... qu'elle ne permet pas au prêtre de dire la messe, si ce n'est avec tous les ornements sacerdotaux, à jeun et le matin. Et cela avec tant de rigueur que, s'il manquait la moindre pièce de ces ornements..., elle ne veut pas que l'on dise la messe, même en cas de nécessité, comme lorsqu'il n'y a point d'hosties pour donner aux malades en viatique ..., qui est une chose bien rigoureuse, où l'Eglise hasarde, non seulement le profit de ses enfants, mais encore leur nécessité. » (pp. 42-44).

(2) Pratique, p. 48.

 

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Mauvais calcul, du reste, et qui risque, sinon de leur faire perdre, au moins de réduire jusqu'à ce profit spirituel qu'ils attendent de la grâce sacramentelle, s'ils le préfèrent à l'honneur divin.

 

Mais parce que la convoitise des hommes est si grande que, découvrant l'occasion de leur intérêt, ils s'y jettent à corps perdu, foulant aux pieds toutes sortes de considérations, je craindrais que la grande convoitise de ce fruit spirituel fit faillir plusieurs en l'élection des jours de communion, si c'était chose assurée qu'en celles de tous les jours, avec peu de préparation, l'on peut obtenir des plus hauts degrés de grâce qu'aux communions moins fréquentes avec plus de préparation. Mais tout ceci est bien éloigné de la vérité.

 

Non, certes, que Salazar mette en question l'opus operatum, qui est l'effet normal et nécessaire de toute communion reçue en état de grâce, mais, bien que très réelle, il redoute que l'on ne se fasse de cette causalité une idée toute mécanique, voire magique :

 

Ceux-là ne croiront pas ce que je dis qui, considérant les mérites de Jésus-Christ et la grâce qu'il communique, s'imaginent que tous les trésors du ciel se versent, et ne prennent pas garde que le même Jésus-Christ a voulu que la distribution de ses grâces... fût mesurée à notre coopération (1).

 

Je ne vous les présente pas, ni lui ni le P. Guyot qui tâche de le mettre en français, pour des modèles de style, et, simple rapporteur que je suis, je ne prétends pas davantage que leur direction soit inattaquable. Mais, de toute évidence,

nous avons affaire ici à un penseur vigoureux et, d'autant plus digne d'être écouté que tout son effort est de raisonner, de construire la doctrine commune de ce temps-là et de tout le XVII° siècle.

De l'axiome fondamental : Dieu avant tout, il tire des conséquences plus immédiatement pratiques ; deux règles

 

(1) Pratique, pp. 45-47.

 

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plutôt : l'une négative, l'autre positive. Ce sont les deux « degrés » où il ramasse tout son discours.

Premier degré. - Au lieu que les « adversaires » répètent que, par le Probet seipsum homo de saint Paul, « ne s'entend autre chose que... la pureté de conscience, avec opinion intérieure de la posséder», Salazar, et presque tous ses contemporains, enseignent formellement, et comme une vérité qui ne souffre même pas d'être discutée, que « la pureté de conscience ne suffit pas pour communier avec fréquentation - c'est-à-dire tous les jours - mais qu'il est nécessaire une plus grande disposition (1) ».

Le deuxième degré « ajoute au premier toutes les circonstances ou dispositions nécessaires pour rendre l'action de la communion entièrement bonne d'une bonté morale, de sorte qu'il ne s'y puisse trouver aucune malice de péché véniel » ; dispositions dont la principale, l'unique à proprement parler, est la révérence, entendant par là « l'acte de la vertu de religion, appelé adoration, savoir la soumission que l'on doit faire à un si souverain prince (2) ».

 

De façon qu'un homme, qui a des occupations forcées, lesquelles lui ôtent le temps nécessaire pour cette révérence,

 

c'est-à-dire pour se mettre en posture de religion,

 

(1) Pratique, pp. 53, 54. Réserve importante, mais qui va de soi : « Je ne parle que des communions volontaires », et non des communions de règle.

(2) Quatre dispositions, d'après lui : « Sincérité d'intention, attention, révérence, faim spirituelle du Saint-Sacrement. » (pp. 84.85). Saint François de Sales ne mentionne pas les deux premières, peut-être parce que la pureté d'intention (ainsi ne pas communier par vaine gloire), va de soi ; et parce qu'à trop insister sur l'attention nécessaire, on risque d'exaspérer la ruche aux scrupules. Mais Salazar avait affaire à « quelques auteurs modernes » qui enseignaient « qu'il vaut mieux communier avec une distraction actuelle volontaire que de laisser la communion faute d'attention ». « Leur fondement, continue-t-il, est toujours le même, savoir que cette distraction (volontaire, ne l'oublions pas) n'empêche pas les effets du sacrement, ni les accroissements de la grâce. » Mauvaise conséquence d'un principe vrai; direction « contraire à la raison et à la doctrine des saints », de saint Thomas notamment. C'est « comme s'ils disaient que c'est le meilleur faire un péché véniel que ne le faire pas. » (pp. 91-94). Par où l'on voit que Salazar, bien qu'il ne la mentionne pas expressément, tient lui aussi pour nécessaire la condition qu'exige François de Sales : pas d'attache (actuelle, volontaire) au péché véniel.

 

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le meilleur sera pour lui de modérer cette grande fréquentation (1).

 

Cette disposition toutefois, on doit la mesurer « à notre fragilité », non « à la dignité du Fils de Dieu »; sans quoi, elle devrait égaler « le ravissement des anges (2) ». Mais, cette réserve faite,

 

la seule difformité (bien qu'involontaire) et indécence que cette irrévérence porte quant et soi eu égard au respect qui est dû à Notre Seigneur présent..., devrait suffire pour en éloigner celui qui ne reconnaîtrait point en soi cette soumission.

 

« Tous les anciens scolastiques » enseignent « cette doctrine du délai de communion, faute de révérence, sans distinction de celle qui est coupable (véniellement) ou non..., l'opinion de ces sages docteurs (étant) fondée en la condition de l'homme, qui passe de l'usage familier de quelque chose à son mépris (3) ». Pour échapper à ces évidences, les adversaires

 

n'ont d'autre refuge que de dire ce à quoi tant de fois nous avons répondu, savoir que, par ce délai, l'on perd le fruit spirituel (l'opus operatum) d'aujourd'hui, que l'on ne saurait récompenser demain. Mais toutes ces raisons n'ont point de force, car il ne faut pas en cette matière alléguer notre intérêt quand il répugne à la plus grande gloire de Dieu (4).

 

Non pas que l'on entende imposer ce « délai » à toutes les personnes pieuses. Salazar a tout un chapitre « où l'on voit et où il est prouvé qu'il y a des âmes en ce temps-ci à qui l'on peut et l'on doit concéder la communion journalière (5) ». Tout comme jadis,

 

il y en a maintenant qui ont une vraie humilité..., qui sont bien

 

(1) Pratique, p. 103.

(2) Ib., pp. 95-96.

(3) Ib., pp. 104-105.

(4) Ib., p. 118.

(5) Ib., p. 174, seq.

 

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exercées en l'oraison..., qui... résignent parfaitement leur volonté à la divine... Sans doute, on leur doit accorder la communion journalière, si elles en ont un désir ardent..., mais. il est bien assuré que telles âmes sont bien clairsemées en ce temps ici, aussi bien qu'en celui de saint Bonaventure (1).

 

Mais cet « accroissement » constant de la « révérence », mais « cette dévotion et ferveur de l'esprit qui dispose l'âme d'un jour à l'autre », comment les attendre des « personnes de médiocre vertu? » « Au contraire, il est certain d'une certitude morale » que, faute de ces dispositions nécessaires, « le dédain et la paresse naîtront » d'une fréquentation démesurée, et « prendront la place de la ferveur (2) ».

On jugera les conclusions de Salazar comme on voudra ; mais qu'on ne lui reproche pas ses méthodes. Ce métaphysicien est aussi un moraliste. La nécessité du « délai de la communion », il la fonde, non plus uniquement sur l'axiome du théocentrisme : avant tout l'honneur divin, mais sur une observation attentive des réalités humaines, descendant ainsi d'une certitude absolue à une « certitude morale ».

 

Celui, dit-il encore, qui examinera avec attention ce qu'il expérimente en lui-même, et en ceux qu'il connaît, je crois qu'il connaîtra, pour rude qu'il soit, que toute cette doctrine est conforme à la vérité, à la pratique et à l'expérience (3).

 

Ne craignez pas, du reste, qu'ayant ainsi réservé aux très fervents « la fréquentation démesurée », il veuille mettre les « vertus médiocres » au régime de l'abstention. Lisez plutôt le chapitre : « Où l'on voit qu'il y a quelque usage fréquent

de la communion qui se puisse conseiller généralement à toute sorte de personnes (4) ». Ses principes même le veulent ainsi, dûment ajustés à l'expérience. D'elle-même l'abstention n'a rien qui la rende désirable; elle n'est bonne que dans

 

(1) Pratique, p. 284.

(2) Ib., p. 107.

(3) Ib., p. 2o7.

(4) Ib., pp. 2o7, seq.

 

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la mesure où elle prépare le chrétien ordinaire à une communion vraiment religieuse. Or c'est un fait d'expérience qu'un « long délai de la communion rend difficile », atrophie même « la bonne disposition », au lieu qu'un délai « modéré y sert de beaucoup aux personnes imparfaites (1). » Le délai

 

de huit jours est suffisant pour empêcher que la révérence ne se diminue pas par le trop fréquent usage, et pour empêcher (qu'une communion plus fréquente), assoupissant le désir, ne produise quelque dédain ; il éveille l'attention, la communion n'étant pas si ordinaire, et empêche l'inconsidération.

 

Salazar sait bien et il répète qu'il ne peut s'agir en ces matières que d'une règle approximative, mais, en principe, il estime que la communion hebdomadaire est « à conseiller à tous ».

 

Par tous, j'entends ceux qui se conservent en la grâce de Dieu, fuyant, autant qu'il est possible, les occasions d'offenser Dieu mortellement, et si, par fragilité, ils y tombent quelquefois, il n'y a ni coutume ni occasion qui les empêche de s'en purger.., à la fin de la semaine, quoiqu'ils soient, du reste, grandement imparfaits (2).

 

Après l'avoir vu si décidé contre la communion quotidienne des chrétiens médiocres, et « grandement imparfaits » - et c'est là, semble-t-il le principal de son message, - peut-être s'étonnera-t-on que Salazar recommande aussi résolument la communion hebdomadaire à la même catégorie de fidèles (3). Du premier article de son programme au

 

(1) Pratique, p. 194.

(2) Ib., pp. 212-215.

(3) Qui ne s'étonnera écrit le grand Arnauld, qu'après avoir « établi des règles très importantes et très certaines, touchant les dispositions qu'on doit apporter à la sainte communion », ce jésuite « se soit, dans la conclusion de son ouvrage, laissé emporter si facilement à la coutume ordinaire de son Ordre..., pour embrasser cette doctrine très dangereuse que l'on peut conseiller généralement à toute sorte de personnes, voire aux plus imparfaits, de communier chaque semaine. s Comment Salazar ne s'est-il pas aperçu que a les mêmes raisons qui condamnent la témérité de ceux qui veulent porter tous les fidèles à communier tous les jours, condamnent aussi l'imprudence et l'indiscrétion de ceux qui les veulent porter généralement à communier tous les huit jours?... Il ne faut pour le vaincre que tourner contre lui les armes dont il a abattu ses adversaires. (Œuvres d'Arnauld, XXVIII, p. 208). Evidemment, il y a là au moins un semblant de volte-face. Salazar répondrait, j'imagine, une fois de plus, qu'en de tels sujets, la dialectique pure doit abdiquer devant l'expérience du confessionnal. C'est une question de fait : oui ou non, la communion hebdomadaire des a grandement imparfaits v, peut-elle être, est-elle assez communément acte d'adoration, de « soumission » au Très-Haut, bref de religion? Oui, affirment Salazar et ses confrères, forts, je le répète, d'une expérience déjà longue. Autre réponse : puisque de part et d'autre, on s'accorde à reconnaître la nécessité morale et en quelque sorte l'efficacité d'un « délai » n'est-ce pas encore à l'expérience de fixer approximativement la longueur de ce délai ? Après une abstention de plusieurs mois, les imparfaits se trouveront-ils mieux disposés, c'est-à-dire, plus religieusement, qu'après une abstention d'une seule semaine? Non, dit Salazar, après une longue discussion qui méritait, de la part d'Arnauld, une étude sérieuse. Lorsqu'il a composé la Fréquente Communion, Arnauld ignorait le livre de Salazar dont l'existence lui sera révélée peu après soit par le P. Petau - qui dans sa critique de la Fréquente invoque, bien à tort d'ailleurs, l'autorité de son confrère espagnol, - soit par le P. Thomas-d'Aquin, carme de Toulouse qui écrivait, en novembre 1643, à son cousin, M. de Rebours : « Parce que j'apprends avec regret que ce que j'appréhendais est arrivé, et que les jésuites font tout ce qu'ils peuvent pour décrier une doctrine si sainte, qui leur fait perdre le crédit, j'ai jugé à propos de vous donner avis que, parmi les livres de la bibliothèque de cette maison, j'en ai rencontré un, écrit en espagnol et intitulé : Pratica de la Frequentia de la sagrada Communion, de qui l'auteur, qui est Ferdinand Salazar, ce savant jésuite qui a écrit sur les Proverbes, a des sentiments sur ce sujet fort raisonnables, et très éloignés de ceux qui se voient dans l'écrit que M. Arnauld a réfuté. » (Oeuvres d'Arnauld, XXVIII, p. 612).

 

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second sa philosophie eucharistique ne semble-t-elle pas fléchir quelque peu?

J'inclinerais pour ma part à croire que le premier de ces deux articles lui tient plus au coeur que le second. Mais, quoi qu'il en soit et de sa logique et de ses tendances personnelles, Salazar se montre ici constamment docile à la doctrine et à la pratique de son Ordre. C'est par là surtout qu'il intéresse l'historien. A la fin du livre, défiant, une fois encore, les promoteurs de la communion quotidienne, afin, écrit-il, que tout le monde entende que la méthode que nous proposons

 

est la plus assurée, suffit de voir que Dieu a pris notre Compagnie pour... introduire le fréquent usage de la Communion, puisque, quand elle commença, il était tellement déchu. Et il faut croire que Dieu a communiqué l'esprit d'enseigner et de pratiquer cette fréquentation, avec les circonstances que la prudence

 

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demande, à celui à qui il (a) fait grâce de l'introduire au monde.

 

Comme s'il disait : quand il s'agit de fixer approximativement le nombre des communions, que l'on doit conseiller à la moyenne des fidèles, ne doit-on pas s'adresser de préférence à l'ordre religieux qui a reçu la mission providentielle de rétablir l'usage de la communion fréquente? En nous écoutant, n'êtes-vous pas assuré tout ensemble, et que sera maintenu le principe même de la fréquence, et que seront évités les abus qui peuvent naître d'une application inconsidérée de cette réforme ?

 

Tous les auteurs dé notre Compagnie, poursuit-il, qui ont traité de cette matière ont suivi cette doctrine comme très assurée. Et si aucun d'eux n'a répondu aux objections dont (certains)

 

c'est-à-dire. les promoteurs de la communion quotidienne,

 

ont tâché de désacréditer la doctrine et la pratique que notre Père saint Ignace nous a laissée, la raison est qu'ils les estimaient (ces objections) faibles. et que le temps et la commune opinion des hommes doctes et spirituels serait suffisant pour la détruire ; mais, voyant que cette mauvaise opinion se renforce tous les jours, j'ai mis la main à la plume.

 

Dans cette croisade pour « la fréquentation démesurée » on se heurtait donc au bloc de la Compagnie, et on s'en prenait hardiment à saint Ignace lui-même. Si le mot avait eu cours en ce temps-là, on l'aurait accusé de jansénisme (1).

 

(1) Il serait donc vain d'opposer la doctrine de Madridius à celle de Salazar. Les jésuites se trouvaient pris entre deux feux : en Italie on leur reprochait d'inviter la foule des chrétiens à la communion hebdomadaire; en Espagne, de refuser à cette même foule la communion quotidienne. Madridius répond aux premiers et Salazar aux seconds. L'un insiste naturellement davantage sur le profit spirituel que promet la communion, l'autre sur les dispositions qu'il y faut apporter. Pas plus, du reste, que Salazar, Madridius n'admet qu'il suffise de n'avoir pas de péché mortel sur la conscience pour approcher de la Sainte Table. Il rappelle, au contraire, en passant, mais avec force « la très diligente et très parfaite épreuve de soi-même qui convient pour la préparation à la communion », et il dit encore qu'il a écrit son livre pour réduire au silence les mauvais bergers qui veulent « détourner du Sauveur... des coeurs simples et embrasés de la charité du Christ » (op. cit., pp. 179, 18o). S'il faut en croire le R. P. Dudon, saint Ignace aurait enseigné que l'on doit conseiller à tous la communion quotidienne. Entre Salazar et lui, aux savants de décider. Il me semble néanmoins que l'unique document que le R. P. Dudon apporte à l'appui de sa thèse - à savoir la lettre d'Ignace à Thérèse Réjadelle, que nous avons déjà citée - ne prouve pas ce qu'on lui fait dire et prouverait plutôt le contraire. « Ce serait méconnaître l'histoire et l'âme (?) de saint Ignace, écrit le R. P., que de le croire partisan d'une théorie réservant à une élite d'âmes vertueuses la communion fréquente ou quotidienne. » (op. cit., p 4). La phrase paraît équivoque, nul ne contestant qu'Ignace soit partisan de la communion fréquente ou hebdomadaire. Quoi qu'il en soit, l'unique problème est donc ici de savoir s'il nous faut classer Thérèse Réjadelle parmi les chrétiens d'une vertu médiocre, ou parmi « l'élite des âmes vertueuses ». En vérité, la question se pose-t-elle, et croit-on que Salazar eût refusé la communion quotidienne à cette sainte personne? Nous avons déjà vu, du reste, que le livre de Madridius, que le R. P. nous donne comme reflétant exactement la pensée d'Ignace, laisse délibérément de côté la question de la communion quotidienne, et je viens de montrer qu'il n'y a pas de différence appréciable entre la doctrine de Madridius et celle de Salazar. Ce dernier, le R. P. Dudon, a oublié de le discuter. L'ignore-t-il, ou bien, n'attache-t-il aucune valeur à son témoignage? Que si, d'ailleurs, Salazar s'est égaré à ce point sur la vraie pensée du fondateur de la Compagnie, comment expliquera-t-on que la règle ignatienne n'invite les jeunes jésuites qu'à une seule communion par semaine?

 

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VI. - Ce livre de combat, pourquoi un dominicain français eut-il l'idée de le traduire ? Les Pyrénées étaient alors (1624) moins hautes qu'aujourd'hui ; l'Espagne nous arrivait aussi par les Flandres : la propagande, qui inquiétait si fort les jésuites espagnols, s'était-elle poursuivie chez nous? Oui, j'imagine, bien qu'elle n'ait laissé que peu de tracas dans nos documents. Voici pourtant un jésuite assez fameux, un des confesseurs de Louis XIII, le P. Caussin, qui fait le pont entre Salazar et le grand Arnauld.

 

C'est assez, écrivait-il vers 163o, pourvu qu'on fasse bien la mine, qu'on tire quelques petites aumônes de ces grands magasins d'or et d'argent, et que l'on se communie souvent. Car, depuis que quelques prêtres se sont contentés de dire la messe pour le moins une fois l'an, il est arrivé que certaines dévotes, comme si elles voulaient suppléer à leur défaut, font quasi autant de communions qu'il y a de jours dans l'année. A Dieu ne plaise que je blâme un exercice si saint, qui ne saurait être trop recommandé, mais il me fâche qu'on y va sans aucun sentiment de cette Majesté redoutable, et qu'on s'accoutume à Dieu comme qui voudrait s'apprivoiser avec le feu. Les fréquentes communions,

 

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qui ne devraient être permises qu'avec grande discrétion, comme pour servir de récompense aux vertus les plus solides, sont données au pillage, selon les avidités d'un esprit léger et volage. Il ne faut que le manquement d'une petite circonstance pour arrêter un prêtre et l'empêcher de dire la Messe,

 

Salazar avait déjà dit cela,

 

mais les dévotes passent par tout et quelques-unes ont trouvé le moyen d'accorder la communion et la comédie en un même jour (1).

 

Le P. Suffren, contemporain de Caussin, nous apprend de son côté que cette question passionnait alors les spirituels.

 

Il y a quelques années, écrit-il en 164o, qu'assistant à des disputes de théologie, je vis une grande contestation sur ce sujet en. une ville fort catholique, entre des personnes de grande vertu et doctrine; dont les uns tenaient pour indubitable qu'on pouvait persuader et exhorter tous ceux qui n'ont aucun péché mortel en la conscience de se communier tous les jours, et qu'ils le pouvaient faire quoique beaucoup distraits ou aux affaires du ménage ou à d'autres occupations... Et ajoutaient qu'ils pouvaient faire cela sans faire au préalable la confession de leurs péchés véniels; voire même contre l'avis de leur confesseur... Cette opinion fut fort suivie en cette ville-là, et en d'autres circonvoisines, par des personnes qui mettent le capital de la parfaite dévotion à se communier souvent, tellement quellement, plutôt qu'à le faire plus rarement et plus exactement.

 

On sent bien déjà - et nous l'aurions deviné - que le théocentrisme absolu de Suffren ne peut souffrir le sans-façon de ce « tellement quellement ». Je crains fort, poursuit-il en effet, « que plusieurs ne se trouvent enfin trompés, et qu'avec leurs journalières communions, ils ne soient beaucoup moins agréables à Dieu que les autres, qui ne (la) font qu'une fois la semaine ou le mois (2). »

 

(1) N. Caussin. La Cour Sainte, III, Les maximes (réédition de Lyon, 1655), p. 201. L'approbation est de 1635, sous le provincialat de Binet.

(2) L'année chrétienne, 2e vol. du tome I, pp. 322-323.

 

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Parlant généralement, il faut porter les âmes à la communion fréquente,

 

aucun doute sur ce point, mais

 

il vaut mieux se bien communier et plus rarement que moins bien et plus fréquemment... Je vous prie, âme chrétienne, pesez les raisons avec lesquelles je prouve cette vérité, et ne vous laissez pas emporter, à la façon de plusieurs, qui aiment mieux se communier mal souvent que bien une seule fois.

 

Ce sont les mêmes raisons que dans la Pratique espagnole, mais présentées avec l'onction et la spirituelle bonhomie qui nous rend Suffren si aimable, et c'est le même appel à l'expérience, qui règle tout en dernier ressort. Si l'on connaît qu'au régime de la communion très fréquente, le respect va diminuant, on devra parfois s'abstenir,

 

pour s'y approcher puis après avec plus de ferveur... Une grande cruche recevra plus d'eau une seule fois qu'elle est présentée à la fontaine, qu'une coquille de noix en trente fois... Les Pères qui étaient aux déserts..., élevés toujours en Dieu, je crois qu'en la communion d'une fois l'an, ils avaient beaucoup plus de grâces que beaucoup d'autres qui y vont trois fois la semaine.

 

Au surplus, c'est au confesseur de décider :

 

Suivez son avis ; il vaut mieux s'abstenir de communier par obéissance que de ce faire par votre tête. Gardez-vous bien de suivre l'opinion de ceux qui ont osé dire et écrire que ceux qui n'ont point de péché mortel en leur âme peuvent, sans l'avis du confesseur, et même contre (cet) avis, se communier tous les jours, si bon leur semble.

 

Puis, se tournant vers les confesseurs, Suffren leur donne quelques règles qui les aideront, dit-il admirablement, à « procurer l'honneur du Saint Sacrement, et la bonne odeur des communions, qui ne s'étend jamais mieux que par la sainteté de vie de ceux qui se communient. »

 

PREMIÈRE RÈGLE. - II doit être plus réservé à permettre la

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fréquente communion aux dévotes personnes mariées qu'à celles qui ne le sont pas (1).

 

Qu'il leur accorde néanmoins « la communion tous les huit jours », et pour les fêtes « qui parfois arrivent sur la semaine ».

 

DEUXIÈME RÈGLE. - Ceux qui ne sont pas mariés, pour le moins peuvent se communier tous les huit jours.

TROISIÈME RÈGLE. - La communion de tous les jours, ou de deux trois et quatre fois la semaine, ne doit être permise qu'à fort peu de personnes. 1° Pour ce que la disposition pour une si fréquente communion doit être fort exquise, et peu de personnes l'ont. 2° C'est un privilège réservé à certaines personnes extraordinairement favorisées de Dieu, qu'on trouve ou dans les religions ou dans le monde...

Ce privilège fait aux personnes qui n'ont rien d'extraordinaire porte trois grands inconvénients.

1. Qu'on ne fait pas grand cas de la sainte communion, voyant que tant de personnes, d'une vie fort imparfaite, la fréquentent si souvent sans aucun avancement.

2. Lorsqu'on voit qu'un privilège, qui n'est dû qu'aux âmes d'une vertu éminente, est fait aussi aux autres, aucun ne s'évertue d'être éminent en vertu.

3. Les âmes imparfaites, qui jouissent du privilège des parfaits, présument et ont trop bonne opinion d'elles-mêmes, s'égalent aux autres, et mettent le capital de la dévotion et de la vertu à se communier souvent, sans se soucier beaucoup... de tirer un fruit convenable de tant de communions (2).

 

On s'explique mieux la religion profonde qui anime ces directions, lorsqu'on médite les belles « pratiques » de Suffren « pour se bien communier ». Longues préparations qui doivent prendre au moins tout un jour, trois plutôt, minutieuses, solennelles, et qu'il trouve le moyen de ne pas rendre scrupuleuses : « S'il faut manger le pain matériel à la sueur

 

(1) C'est aussi la doctrine de Salazar, ou, pour mieux dire, de presque tout le monde en ce temps-là; je reviendrai sur ce point dans le chapitre du mariage.

(2) L'année chrétienne, 2e vol. du tome I, pp. 322-33.

 

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de son front », comment ne se donnerait-on pas un peu de peine pour se préparer à recevoir le pain du ciel?

 

Les femmes qui devaient se présenter devant le roi Assuerus, se préparaient, l'espace d'un an, par diverses eaux desquelles elles se lavaient et par divers onguents desquels elles se parfumaient (1).

 

Et c'est toujours dans ce même esprit de révérence que Suffren attache tant de prix à la communion spirituelle. Notre Seigneur ne fait pas moins de miracles dans la maison du Centenier, où il n'entre pas, que dans celle de Zachée où il entre « réellement ». « Dieu voit le coeur, et l'ardent désir de le recevoir lui est autant que de le recevoir actuellement, quand, pour des justes raisons, on ne le peut. » Cette communion spirituelle a même « quelques prérogatives par dessus la sacramentale » :

 

elle est intérieure, regardée et connue de Dieu plus que des hommes; et, pour autant, moins sujette à la vanité que la sacramentale.

 

Enfin il peut arriver qu'on y reçoive plus de grâces (2). Que

 

(1) L’année chrétienne, p. 294. Je profite du P. Suffren pour effleurer le thème de la « préparation à la communion », vaste sujet qui tient plus de place dans notre littérature eucharistique du XVIIe  siècle, que le problème de la « très fréquente ». Qui ne voit, du reste, que les deux questions sont plus qu'étroitement liées l'une à l'autre, et qu'en vérité elles n'en font qu'une. Sans dire un mot pour ou contre la « très fréquente », un spirituel qui amplifie, jusqu'à les exagérer, les dispositions requises pour communier dignement et la nécessité d'une longue préparation, montre assez qu'il réserve la communion quotidienne à une élite. L'unique difficulté serait, au contraire, d'accorder - dans l'ordre spéculatif - leur philosophie de la « préparation » avec leur quasi-unanimité à conseiller au chrétien ordinaire la communion hebdomadaire. Difficulté que nous avons déjà rencontrée. Pour la « préparation », Suffren et nombre de jésuites proposent, au moins comme un idéal, le programme que saint François de Borgia s'était fixé à lui-même : trois jours de préparation; trois jours d'action de grâces ; toute la semaine se trouvant ainsi commandée par la communion du dimanche. Si je pouvais rêver d'épuiser cette matière infinie, j'étudierais ici le De communione de Le Gaudier, et notamment ses deux chapitres sur la préparation. De lui ou d'Arnauld, ce n'est pas Le Gaudier qui paraîtrait le moins exigeant. Toute sa doctrine eucharistique est fondée sur la théologie de l'union à Dieu (De perfectione vitæ spiritualitis, II, pp. 537, seq.)

(2) L’année chrétienne, ib., pp. 382, 384. Car il arrive, que, dans la sacramentelle, on ne reçoive « quasi que la grâce que le sacrement opère par son institution, ou ex opere operato, laquelle d'ordinaire est assez petite. » Ib., p. 384.

 

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si, du reste, je me suis attaché un peu longuement au P. Suffren, c'est d'abord qu'il a façonné plusieurs générations de dévots, c'est aussi que, même oublié, il parlera longtemps encore. Je crois que Bourdaloue l'a mis à profit, et je sais qu'il arrive au P. Saint-Jure de le copier. Jugez-en plutôt sur ces quelques lignes que vous n'aurez pas de peine à reconnaître, quoique légèrement, ou plutôt assez lourdement, modernisées.

 

Bien souvent, on recevra plus de grâces de Dieu et avancera davantage au chemin de la vertu, en une seule communion qu'un autre ne fera en cinquante. C'est selon qu'ils y sont préparés; et, comme les vases qui puisent de l'eau dans la fontaine, selon qu'ils sont capables, un grand en puisant plus en une fois qu'il y sera plongé qu'une coquille de noix ne fera pas en cent... L'affaire ne consiste pas à communier, mais à bien communier (1).

 

Ces coquilles de noix s'en iront au fil de l'eau, mais, pour la doctrine elle-même, elle reparaît indéfiniment tout le long du siècle, et même parfois drapée dans la toge de Cicéron.

 

Verum tanti non interest mensam halte crebro abs te obiri, ut non pluris etiam referat attendere quomodo ad eam praeparatus animo, quam bene compositus accedas (2).

 

Un des grands mystiques de la Compagnie, le P. Lejeune, se montre pour le moins aussi exigeant :

 

Prenez-vous garde. écrit-il à une sainte religieuse, qu'en vous permettant deux fois de suite la communion, cela va bien loin? C'est communier tous les jours de la semaine, excepté deux.

 

(1) Conduites pour les principales actions de la vie chrétienne par le P. Jean-Baptiste Saint-Jure, Paris, 1682, (le privilège est de 1675), pp. 77-78.

(2) Institutio juventutis christianæ, (L. Le Brun, s. j.) Paris 1653, p. 92. Traité de morale et de religion dédié aux élèves du collège de Clermont (plus tard, Louis le Grand). Il y aurait ici à étudier - mais je n'en finirais as - l'usage des collèges de la Compagnie. D'après les règles données par le visiteur Maggio à la fin du XVI° siècle, les élèves doivent e se confesser au moins une fois chaque mois.., et recevoir la communion, à moins que leur confesseur n'en ait jugé autrement. » Fouqueray, op. cit., II p. 209.

 

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N'est-ce pas beaucoup? Encore un coup, je ne suis pas ennemi de notre bon Maître, ni marri qu'on s'approche de lui, mais, ma chère Mère, nous devons considérer sa grandeur et notre bassesse. Quand on approche souvent des grands, on se familiarise, on s'établit, on fait moins d'état d'eux et on en fait plus de soi-même (1).

 

Aussi veut-il, devançant les conseils d'Arnauld, qu'après avoir fait « quelque faute un peu notable », cette religieuse s'abstienne « de la communion du jeudi, par humilité, et en punition de (sa) faute (2) ».

 

Fuyons, écrit-il encore, la dévotion du temps : on se confesse, on se communie, on fait oraison... Tout cela est beau et bon, mais il n'y a point de solidité que dans la destruction de nous-mêmes (3),

 

c'est-à-dire dans cet anéantissement où la métaphysique des saints revient sans cesse, et qui est une forme de l'adoration.

Comme on le voit, de Matritius et de Salazar à Suffren et à Lejeune, les jésuites ne varient pas; ils s'en tiennent à la via media que saint Ignace, une fois gagnée la bataille de la communion fréquente, avait tracée entre les deux partis extrêmes, je veux dire entre les abstentionnistes vaincus et ceux de leurs adversaires qui voulaient abuser de la victoire : communion fréquente, mais non très fréquente ; tous les huit jours, non tous les jours. De très longtemps encore ils ne quitteront pas ces positions. Peu à peu néanmoins une évolution se dessine, non pas doctrinale, mais stratégique, c'est-à-dire commandée par les abus du moment. Jusque vers le milieu du XVIIe siècle, il avait fallu parer au danger immédiat, dont on croyait que la société chrétienne était menacée par les promoteurs indiscrets de la communion « journalière » ; après le livre d'Arnauld, comme, à tort ou à raison, à tort

 

(1) Lettres du P. Lejeune, Ire édition, pp. 306, 307.

(2) Ib., p. 148.

(3) Ib., pp. 51, 52.

 

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selon moi, on craindra une revanche de l'abstentionnisme, on recommencera les anciennes luttes en faveur de la communion fréquente. D'où les variations que nous avons dites et qui n'intéressent pas la doctrine. Au lieu que les Salazar et les Suffren faisaient prédominer le point de vue théocentriste sur l'anthropocentriste, prêts, s'il le fallait, à sacrifier à l'honneur divin le profit spirituel des âmes, on verra les Daniel et les Bourdaloue, non pas se résigner au sacrifice inverse, mais insister plus vigoureusement et parfois même, en apparence du moins, exclusivement, sur l'utilité, ou, pour mieux dire sur la nécessité de la communion. Théoriques ou pratiques, ce sont toujours les mêmes directions essentielles. Seul l'accent a changé, ou plutôt le rythme. Après avoir presque exagéré la sainteté des dispositions qu'on doit

apporter à la communion, Suffren invite les chrétiens ordinaires à communier tous les huit jours; Bourdaloue, comme nous verrons, suit le rythme inverse.

Ajoutez à cela que le livre d'Arnauld a si bien mis le feu aux poudres que les plus spirituels eux-mêmes font figure de ,polémistes, dès qu'ils abordent le sujet de la communion. Ainsi le P. Grasset, débutant ex abrupto.

 

Ceux qui demandent une sainteté parfaite pour approcher de ce sacrement,

 

eh! de bonne foi, qui la demande? Assurément ni le P. Suffren, ni même M. Arnauld,

 

pensant lui faire honneur, l'avilissent et le déshonorent ; parce qu'ils le rendent inutile à ceux qui le reçoivent, et à ceux qui ne le reçoivent pas. En effet, quel bien me fera ce sacrement, si j'ai une sainteté consommée; et quand le recevrai-je, s'il faut que j'aie cette sainteté ?

 

Manifestement, il a déjà perdu le Nord, si l'on peut s'exprimer ainsi.

 

Il n'y a rien de plus injuste et de plus déraisonnable que de demander pour préparation nécessaire à un sacrement ce qui est

 

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le fruit et la fin de ce sacrement. Cette pureté sans tache, cette perfection sans défaut, cette sainteté sans vice..., cette charité consommée,

 

 

encore une fois qui les exige?

 

sont les effets de ce sacrement.,. C'est une présomption horrible de se croire digne de recevoir un Dieu, quelques préparations qu'on y apporte. Si nous mesurons notre dignité sur l'excellence de ce sacrement, nous ne communierons jamais ; si nous la mesurons sur notre indigence, nous communierons tous les jours. Jésus n'est pas dans ce sacrement pour s'y faire craindre, mais pour s'y faire aimer. Le pain n'est pas une nourriture qu'on prenne quelquefois l'année, mais tous les jours. Pourquoi prendre cette forme s'il ne veut pas être mangé... Est-ce honorer du pain que de n'en point manger (1).

 

On souffre de voir cet homme de Dieu s'abaisser ainsi à cette vulgarité haletante, et à une dialectique si débile. Il joue sur le mot : indignité, jeu qui, du reste, va se renouveler sans relâche pendant toute la controverse. Suffren, et comme lui Arnauld, savent parfaitement, ils répètent maintes fois à pleine bouche, que l'homme le plus saint ne sera jamais digne de communier, même une seule fois dans sa vie. Ils demandent seulement qu'à l'indignité inguérissable de toute créature ne s'ajoute pas, ou ne s'ajoute qu'atténuée autant que possible, l'indignité accidentelle, volontaire et guérissable, qui vient, soit de l'attache au péché véniel, soit d'une préparation désinvolte - « tellement quellement », disait Suffren; soit de toute autre misère. Indignité, au sens qu'ils lui donnent, est synonyme d'irrévérence, que Salazar et

Suffren ont raison de préférer. Qu'à ces indignes-là, Grasset montre plus d'indulgence qu'Arnauld et même que Salazar, à merveille ! - Si indignitates observaveris... quis sustinebit?-mais conçoit-on, qu'au risque de blesser l'exactitude dogmatique et les saintes délicatesses du sens chrétien, il s'aventure à des énormités comme celle-ci :

 

(1) Considérations sur les principales actions de la vie, par le R. P. Jean Crasset, Paris, 1675, pp. 127-13o.

 

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Faites résolution désormais de plutôt laisser mourir votre corps de faim que de refuser à votre âme la nourriture, et de ne point manger du tout, le jour que vous ne voudrez pas communier ?

 

N'est-ce pas là rivaliser de littéralisme avec les Capharnaïtes, donner raison aux invectives de l'adversaire et « déshonorer le Sacrement »?

Après quoi, réfutant lui-même ses propres outrances,

 

vous communiez souvent, écrit-il, mais le faites-vous dignement?

 

Eh! quoi, n'est-ce donc plus, comme vous l'affirmiez tantôt, « une présomption horrible de se croire digne de recevoir un Dieu, quelques préparations qu'on y apporte (1) » ? « Pour recevoir tous les fruits du sacrement », écrit-il encore,

 

il faut n'avoir point d'attache au péché véniel. N'en avez-vous point, âme dévote et religieuse ? N'est-ce point ce qui empêche l'effet de vos communions, et ce qui vous rend si faible et si languissante ? C'est une très bonne chose de s'accoutumer au bien ; mais il faut bien se donner de garde de faire le bien par coutume... Vous préparez-vous comme il faut quand vous devez communier? N'est-ce point par respect humain et par contrainte que vous le faites? Mangez-vous cette manne céleste avec appétit...? N'avez-vous point quelque péché d'habitude, dont vous ne vouliez point vous défaire? Seriez-vous prêt de mourir allant communier? Etes-vous toujours résolu de travailler à votre perfection...? Si cela est, vous pouvez communier (2).

 

Arnauld en exige-t-il davantage, cet Arnauld que vous nous aviez dit si «injuste », si « déraisonnable », de demander « pour préparation nécessaire à un sacrement ce qui est le fruit et la fin de ce sacrement » ?

Bien que polémiste, et non écrivain spirituel de profession, le Père Gabriel Daniel (1649-1728), - personnage considérable et une des meilleures plumes de la Compagnie -nous fera oublier, non pas la volte-face inévitable, le sic et

 

(1) Crasset, op. cit., p. 128.

(2) Ib., p. 131, 132.

 

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non, mais les emportements qui viennent de nous étonner. Sa lettre touchant la fréquente communion à un homme du monde qui s'est mis dans le bien (1) est un beau document, et mérite d'être comparée à la lettre plus mémorable de Fénelon,

par où s'achèvera notre enquête. Imaginaire ou non, le chrétien auquel il s'adresse doit représenter assez exactement, la haute moyenne de ce temps-là. Longtemps plus que tiède, il vient de se convertir.

 

Vous avez été un homme fort du monde ; vous vous y êtes laissé emporter au torrent, toujours avec quelque remords, mais sans assez de fermeté pour suivre les lumières de votre conscience. Le plaisir, bien au delà des bornes que le christianisme prescrit, la bonne chère, les compagnies et les libertés qu'on s'y donne, en un mot la vie molle et mondaine, et ce qu'elle renferme d'ordinaire, sans être néanmoins ni libertin déclaré, ni débauché de profession et scandaleux : c'est là l'idée que vous m'avez donnée vous-même de votre vie passée...

Dans le compte de conscience que vous me rendez, je ne puis m'empêcher d'approuver la conduite prudente que vous avez tenue, depuis quatre mois que la grâce vous a gagné. Vous avez fait choix d'un confesseur sage, saint, et habile. Il a commencé par vous faire faire une retraite et une confession générale... et vous a obligé même avant que de sortir de votre retraite,

 

tout comme on eût fait à Port-Royal,

 

à vous réconcilier avec M..., que vous n'aviez point vu depuis deux ans, et vous avez fait en cette occasion la première démarche avec une générosité chrétienne, que Dieu seul a pu vous inspirer. Vous avez donné votre parole pour certaines restitutions; vous vous êtes interdit tous les commerces et toutes les sociétés qui pouvaient vous être occasion de chute, ou des obstacles à la vie réglée que vous avez résolu de mener. Enfin, étant convenu avec votre confesseur d'un ordre de vie et d'exercices de piété qui partagent toute votre journée, et qui vous occupent saintement selon votre état et votre profession, vous l'avez exactement observé jusqu'à présent et vous êtes ferme dans la résolution de le suivre toujours.

 

(1) Louvain, s. d.

 

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Peinture très habile, mais aussi très véridique. Telle était sans aucun doute la façon dont les jésuites se gouvernaient en de pareils cas. La brochure de Daniel a dû paraître dans les dernières années du siècle ;mais les abus, jadis dénoncés par Saint-Cyran et par Arnauld et que dès lors nombre de jésuites condamnaient aussi, n'étaient plus, et depuis longtemps qu'un souvenir. Au fait, maintenant :

 

Votre confesseur..., vous voyant dans cette sainte disposition, vous a ordonné de vous confesser et de communier tous les quinze jours. Vous l'avez lait pendant trois mois, mais depuis trois semaines, depuis que vous avez lu le livre de M.... et entendu le sermon de l'abbé de..., le scrupule vous a pris. Cette conduite, dites-vous, n'est pas de l'esprit de l'ancienne Eglise. Un grand pécheur comme vous est indigne d'avoir un commerce si fréquent avec la sainteté même (1).

 

Non moins habile encore cette fable, et même un peu trop. Au chrétien accompli, sinon parfait, qu'on vient de nous peindre, nul prêtre jansénisant, j'entends de ceux qui écoutent les chefs du parti, n'aurait déconseillé ce régime. Deux fois par mois, lui auraient conseillé Nicole ou Quesnel; plus encore, au moins une fois chaque semaine. S'étant fait la partie si belle, comment Daniel ne la gagnerait-il pas? On ne lui reprochera pas toutefois d'encourager la fréquentation « démesurée ». Il parait même plus rigide que. les jésuites d'avant la querelle, qui invitent des chrétiens beaucoup plus médiocres à communier tous les huit jours. Græcia capta ferum victorem... Arnauld n'aurait-il donc que trop réussi? Daniel rallie, en revanche, ou il devrait rallier tous les suffrages, lorsqu'il en appelle, lui aussi, avec Salazar, à l'expérience.

 

Saint Charles Borromée et saint François de Sales confessaient souvent, et c'est sur ces réflexions qu'ils recommandent l'usage fréquent des sacrements. Ils ne se conduisaient point par des

 

(1) Lettre..., pp. 3, 5.

 

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idées vagues et générales, par des raisonnements spécieux et spéculatifs..., mais par la connaissance expérimentale

 

des âmes (1). Encore Arnauld s'en tenait à des considérations abstraites. Mais de ce qui se passe dans la réalité des choses, il semble ne connaître que les abus. Et de ces abus, comme il n'avait pas beaucoup confessé lui-même lorsqu'il publia sa Fréquente, il ne connaissait la plupart que par des on dit.

 

L'expérience.., montre la différence qu'il y a entre les personnes qui approchent souvent de la Sainte Table, c'est-à-dire tous les huits jours, tous les quinze jours, tous les mois,

 

et ceux qui communient rarement. A la bonne heure : voilà enfin des arguments de granit!

 

Il faut être dans l'emploi de la confession pour connaître cette différence... Elle est si grande que je ne comprends pas comment il y a des confesseurs qui puissent de bonne foi se déclarer contre cette pratique.... Régulièrement parlant, dans la confession de ces derniers qui ne se confessent qu'à Pâques, combien de péchés mortels! Au lieu que, dans la confession des premiers, pour l'ordinaire, on n'en trouve point, on il s'en trouve peu et rarement... Que d'innocence, que de crainte de Dieu dans le premier état! Que de négligence, que de désordres, que d'oubli de Dieu dans le second (2) !

 

Sainte-Beuve l'a remarqué avant nous, et Arnauld lui-même avant Sainte-Beuve : sur la question des absolutions précipitées, - et c'est le capital de tout le livre - la Fréquente communion avait triomphé, presque sans combat. « Lorsqu'il

y a rechute fréquente dans les mêmes péchés, continue Daniel, que les confesseurs... suspendent (les pénitents), non seulement de la communion, mais encore qu'ils diffèrent leur absolution », comme il vous plaira,

 

mais, sous prétexte de quelques abus particuliers, qui, après tout, sont beaucoup moins fréquents qu'on ne dit, peu de gens qui ont

 

(1) Lettre..., p. 27.

(2) Ib., pp. 25, 26.

 

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l'habitude volontaire du péché mortel, et de l'attachement à certains grands désordres, se faisant une pratique de fréquenter la communion;

 

voilà, encore une fois, voilà ce qu'il eût fallu répéter;

 

mais, dis-je, sous prétexte de ces abus particuliers, déclamer publiquement et sans cesse contre la fréquente communion, donner sur cela des scrupules aux plus gens de bien,

 

quelle imprudence et combien malfaisante (1)!

 

Je l'ose dire, et je parle moi-même sur l'expérience, peu de chrétiens, de ceux qui communient souvent, ont de méchantes habitudes; peu tombent souvent dans des péchés mortels. Les avis, les réprimandes du confesseur, la crainte de profaner le sacrement sont pour eux un frein qui les arrête. Ils changent, ils persévèrent dans le bien, ou, secouant le joug, ils... abandonnent l'usage des sacrements (2).

 

Daniel avoue bien que, « dans la fréquente communion il peut y avoir quelquefois de l'abus, comme en toute autre chose »; mais, aujourd'hui, en fait, « ces abus sont rares ». Pour ceux qui déshonorent le sacrement, que leurs confesseurs les admonestent, et même qu'on leur défende la communion « pendant quelques semaines, s'ils ne se corrigent pas », comme le demande M. Arnauld. Il est bon aussi

 

que les prédicateurs... prennent (ces défauts) pour la matière de leur morale, pourvu qu'ils n'en parlent pas d'une manière outrée et indiscrète. Ils ont droit... d'avertir ces sortes de personnes de se précautionner contre la routine en matière de dévotion ;

 

mais déclamer sans merci et sans fin contre la communion fréquente,

 

c'est prévariquer et profaner le ministère de la parole de Dieu; c'est encore donner lieu aux gens du monde d'abandonner

 

(1) Lettre..., pp. 28, 29.

(2) Ib., p. 44.

 

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l'usage des sacrements, et un prétexte de ne s'en approcher pas même à Pâques (1).

 

Encore une fois, il parle d'or. Je ne suis pas sûr néanmoins que, passée la première agitation autour du livre d'Arnauld, les Port-Royalistes du XVIIe siècle aient persévéré à tant déclamer contre les abus de la communion fréquente. Ces deux mots résonnaient parfois sans doute dans la controverse, - écrits et sermons -mais sans évoquer d'idée bien nette : épouvantail à tout faire qui symbolisait confusément, d'un côté le rigorisme désespérant des jansénistes, de l'autre, la morale relâchée des casuistes. Arnauld lui-même, au temps déjà lointain des premières batailles, n'avait fait sortir ce dada de l'écurie que pour l'y reconduire aussitôt, beaucoup plus scandalisé dès lors par les absolutions de complaisance que par la fréquentation « démesurée ». N'oublions pas, du reste, que lorsque les Grasset, les Daniel prennent leur parabole contre la Fréquente d'Arnauld, celle-ci a déjà fêté ou fêtera bientôt son cinquantenaire. Ce n'est plus un livre; depuis lors, il a passé beaucoup d'eau sous les ponts. Ni d'un côté, ni de l'autre, on n'a désarmé ; dans la pratique, néanmoins, qu'il s'agisse de la communion, ou même de l'absolution, on se gouverne de part et d'autre, à peu près d'une manière identique. Ignorez les ouvrages de polémique, allez vous confesser aujourd'hui à M. Duguet ou au P. Quesnel, huit jours après au P. Daniel ou au P. Grasset, de la première ou de la seconde de ces deux écoles vous aurez peine à marquer la différence. Qui sait même si les jésuites ne vous paraîtront pas plus sévères.

« M. Arnauld lui-même n'aurait pas parlé autrement, écrivait Mme de Sévigné, après avoir entendu le sermon de Bourdaloue sur la Fréquente Communion... Pas un mot à reprendre. Pour moi j'étais tout ébaubie d'entendre le P. Desmares avec une robe de jésuite (2) ». Et en effet, ni sur la

 

(1) Lettre.... pp. 47. 48.

(2) Lettre du 5 mars 16 83.

 

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substance de la doctrine, ni même sur les directions pratiques, un philosophe pur n'aurait de peine à les mettre d'accord, bien que Bourdaloue, s'acharne avec autant de subtilité que de véhémence à élargir sans mesure l'imperceptible fossé qui le sépare d'Arnauld. On en est même à se demander s'il a lu de ses yeux les livres qu'il nous montre si abominables. Où donc Arnauld a-t-il enseigné qu'on ne doive admettre à la Sainte Table e que des âmes élevées aux degrés les plus éminents de la perfection chrétienne (1) »? Exagération, injustices manifestes, mais émouvantes. Moins que l'envie de nuire, j'y reconnais plutôt l'angoisse d'un homme qui a peur de retrouver sa propre pensée dans celle de sou adversaire. Celle-ci, Bourdaloue la noircit, la fausse pour se donner le droit de la maudire, essayant ainsi de s'échapper à lui-même, ou plutôt d'échapper à une vérité qui lui est insupportable, et que cependant ni sa religion si profonde, ni l'expérience qu'il a des âmes ne lui permettent de contester : la vérité de ce dogme de la voie étroite; le sacrement de l'Amour exposé à devenir pour le plus grand nombre un sacrement de réprobation.

 

Non certes, s'écriait-il un jour, il ne s'agit point seulement de les recevoir, ces sacrements si saints en eux-mêmes et si salutaires, mais il faut les recevoir saintement, c'est-à-dire qu'il faut les recevoir avec une véritable conversion du coeur ; et voilà le point de la difficulté. Je n'entreprendrai pas d'approfondir ce terrible mystère, et j'en laisserais à Dieu le jugement,

 

si je ne voyais le mortel « demi-christianisme » de notre temps faire chaque jour parmi nous de nouveaux ravages.

 

Or, je le demande, écrit Sainte-Beuve après avoir cité ces lignes terribles, que disait autre chose M. de Saint-Cyran...; que sentait autre chose M. Le Maître... ; que faisait Arnauld enfin, dans le livre de la Fréquente communion; sinon de ruiner la suffisance de ce demi-christianisme...? (2)

 

(1) Bourdaloue, édition de Bar-le-Duc, II, p. 545.

(2) Port-Royal, II, p. 190.

 

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Il a raison. Oui, certainement, Arnauld et Bourdaloue « font » la même chose; et même les communes vérités qu'ils professent, loin de les atténuer, Bourdaloue les verrait encore plus tragiques. D'où vient qu'il n'ose pas les regarder en face, tandis que l'éloquence étourdie d'Arnauld se grise à les manier. Conflit tout moral et non spéculatif, non entre deux écoles dogmatiques, mais entre un rhéteur et un apôtre.

Un apôtre, un prêtre, et tremblant sous le poids de deux responsabilités, qui parfois semblent se combattre : voué à la défense de l'honneur divin, il voudrait ne permettre la communion fréquente qu'à des personnes d'une vertu consommée; et, d'un autre côté, dans la passion. qu'il a pour les âmes, il voudrait conduire tous les jours à la Sainte Table quiconque peut communier sans ajouter un sacrilège aux fautes mortelles que la confession n'aurait pas effacées. D'où le caractère vraiment pathétique de tout ce que nous avons de lui sur ce sujet; une oscillation perpétuelle entre les deux voix qui le pressent. Tantôt, pour écouter l'une, il égale les rigueurs d'Arnauld, s'il ne les dépasse; tantôt, pour obéir à l'autre, il semble fermer les yeux sur les abus qu'il vient à peine de réprouver. « Tout le monde était enlevé, écrit encore Mme de Sévigné, et disait que. c'était marcher sur des charbons ardents, sur des rasoirs, que de traiter cette matière si adroitement et avec tant d'esprit qu'il n'y eût pas un mot à reprendre ni d'un côté ni d'un autre. » Esprit n'est pas le mot juste ; disons plutôt avec une religion si haute, mêlée à une telle tendresse de coeur.

Que si, de l'ondoyante logique du coeur, on essaie de le ramener à celle de l'esprit, on trouvera, je crois, qu'il ne se distingue en rien, pour la doctrine et pour la pratique, de Salazar et de Suffren. Si, en effet, dans le fameux sermon sur la Fréquente Communion, il s'évertue d'abord, et très longuement, on ne sait d'ailleurs pourquoi, cette vérité n'étant. contestée par personne, à soutenir que, pour être en

 

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état de communier, une seule condition est nécessaire, à savoir n'avoir pas de péché grave sur la conscience, il n'en finit pas moins par s'écrier :

 

Mais quoi ! est-ce donc ma pensée que, dès qu'un chrétien se croit en grâce avec Dieu, et sans nul de ces péchés qui nous rendent ennemis de Dieu, on doit lui accorder l'usage fréquent de la communion et l'y engager? Non, mes frères, et si je le prétendais ainsi, j'oublierais les règles que la sage antiquité nous a tracées ;

 

sur lesquelles du reste les spirituels de la Compagnie ont insisté avec tant de force,

et que je suis obligé de suivre. Je vous ai parlé de la préparation essentielle et suffisante pour ne pas violer la dignité du sacrement,

 

c'est-à-dire pour ne pas faire une communion mortellement sacrilège;

 

mais il s'agit encore de l'honorer, et pour cela de joindre à cette disposition de nécessité les dispositions de convenance, de piété, de perfection; car ne vous persuadez pas que j'approuve toutes les communions fréquentes. Je serais bien peu instruit si j'ignorais les abus qui s'y glissent tous les jours, et j'aurais été bien peu attentif à ce qui passe sans cesse sous nos yeux, si tant d'épreuves ne m'avaient pas appris la différence qu'il faut faire des âmes ferventes et des âmes tièdes; des âmes courageuses et des âmes lâches; des âmes fidèles, exactes, appliquées et des âmes négligentes, oisives, sans soin, sans vigilance, sans attention ; des âmes détachées d'elles-mêmes, mortifiées, recueillies, et des âmes sensuelles jusque dans leur prétendue régularité, volages, dissipées, toutes mondaines. De permettre également aux unes et aux autres l'approche des sacrements, de ne mettre nulle distinction entre celles qu'on voit, sous un beau masque de dévotion, orgueilleuses et hautaines, sensibles et délicates, politiques et intéressées..., et celles au contraire... en qui l'on trouve de la docilité, de la patience, de la douceur... et dont on remarque d'un temps à un autre les changements et les progrès; encore une fois, de les confondre ensemble, de leur donner le même accès à la table du Sauveur, de les y admettre avec la

 

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même facilité, de ne discerner ni conditions ni caractères, c'est, mes chers auditeurs, ce que je dois condamner; et à Dieu ne plaise que je tombe jamais dans une telle prévarication (1) !

 

Mais, en revanche, les bonnes âmes, si imparfaites qu'elles soient, et précisément parce qu'elles sont encore imparfaites, maudit soit le prêtre cruel qui leur refuse ce pain quotidien, dont elles ne sont déjà que trop portées à se croire indignes!

 

Vous, ministres de Jésus-Christ, n'oubliez jamais que vous êtes envoyés pour rassembler les fidèles à sa table et non pas les en éloigner... en les intimidant,

 

comme on vient de voir que Bourdaloue savait faire ;

 

prenez soin de les consoler et de les encourager. Ne vous faites pas un principe de leur rendre l'accès si difficile qu'ils désespèrent de pouvoir être admis au banquet. Ouvrez-leur la porte de la salle, ou du moins ne la fermez pas.

 

Toujours les oscillations que nous avons dites.

 

Ne retranchez pas aux enfants le pain qui doit les sustenter et sans lequel ils périront. Ne le mettez pas à si haut prix qu'ils n'aient pas de quoi l'acheter. N'en soyez pas avares, lorsque le Seigneur qui vous l'a confié pour eux en est si libéral et, si j'ose m'exprimer de la sorte, n'ayez pas plus à coeur les intérêts de Dieu et de sa gloire que Dieu lui-même ne les a (2)...

 

(1) Oeuvres, 11, 183, 184.

(2) Ib., 11, p. 189. Voici quel serait, d'après le R. P. Doeschler l'enseignement de Bourdaloue sur notre sujet : « Il faut voir, écrit-il, dans le sermon sur la Fréquente Communion avec quelle ardeur... (Bourdaloue) combat le grand Arnauld; avec quelle force il établit le principe alors si contesté que l'état de grâce est à, lui seul la condition absolument suffisante pour communier même tous les jours. » Pense-t-on sérieusement qu'il y ait eu au XVIIe siècle un seul écrivain, même parmi les jansénistes les plus forcenés qui ait osé contester ce principe, qui n'est en vérité qu'un truisme : à. savoir que si l'on communie en état de péché véniel et même après la préparation la plus sommaire - « tellement quellement » - comme dit Suffren, l'opus operatum du sacrement s'accomplit. Ce n'est certainement pas cette évidence que Salazar songe à mettre en question, lorsqu'il affirme qu'il ne suffit pas pour communier d'être en état de grâce. Arnauld pas davantage, ni personne à ma connaissance. Ils veulent simplement qu'à cette disposition fondamentale s'ajoutent des dispositions particulières qui préparent le communiant - non pas à bénéficier de l'opus operatum -, mais à communier décemment. Deux principes donc : 1° on ne reçoit la grâce essentielle du sacrement que si l'on n'a pas de péché mortel sur la conscience; 2° l'état de grâce n'est pas, de lui-même, une préparation suffisante à la communion. Le second principe n'est alors contesté par personne, pas plus que le premier Et très certainement il ne l'est pas par Bourdaloue, puisque celui-ci penserait prévariquer en le contestant. Le R. P. Doeschler ne me paraît pas plus exact lorsqu'il fait sienne la légende qui veut qu'Arnauld exigea une sorte d'impeccabilité » du juste qui approche de la Sainte Table. Les dispositions qu'Arnauld exige ne sont pas au-dessus d'une bonne volonté moyenne; ce sont exactement les dispositions qu'exigent saint François de Sales et Bourdaloue. On conclut assez curieusement : « Je n'examine pas le « juste milieu » dans lequel (Bourdaloue) veut se placer et qui se ressent un peu des opinions sévères antérieures au jansénisme. » Qu'il s'en ressente peu ou prou, on peut le regretter, mais puisque manifestement toute la doctrine de Bourdaloue se ramène à ce « juste milieu », comment nous faire connaître cette doctrine si l'on se refuse à « examiner » ce juste milieu ? Au demeurant, ce a juste milieu » ne se distingue ni peu ni prou de la via media où j'ai montré que s'étaient fixés, du milieu du XVIe à la fin du XVIIe siècle, les principaux spirituels de la Compagnie. (Cf. R. P. R. Doschler, La spiritualité de Bourdaloue, Louvain, 1917, pp. 175-176.) On trouvera. dans le chapitre de ce livre que je viens de citer, de précieux détails sut la ferveur eucharistique de Bourdaloue. Je veux donner un autre exemple de ce que j'ai appelé les oscillations de ce grand homme sur le sujet de la communion fréquente; oscillations où je ne vois qu'une feinte dialectique dans son duel avec Arnauld. On verra qu'il brandit une fois de plus le principe incontesté -le truisme - dont nous venons de parler. Dans l'instruction sur la communion il part de ce premier principe que a la plus grande..., la plus importante » des actions chrétiennes, « c'est de communier. » « Il n'y en a  aucune où il soit plus dangereux d'agir par coutume et où les négligences soient moins excusables. » D'où il conclut que « le plus essentiel de tous (les) devoirs (chrétiens) est de se mettre en état de communier dignement. » D'où encore la nécessité préalable d'une sérieuse « épreuve ». Je le demande : qui croira que, dans sa pensée, il soit ici uniquement question de la règle essentielle, proclamée par tous, et qui défend d'approcher de la Sainte Table en état de péché mortel ? Ne pas demeurer en cet état, c'est bien certes un devoir chrétien, et capital, mais qui oblige ceux-là même qui, pour l'instant, ne songent pas à communier. Or, voici néanmoins que, brusquement, - Bourdaloue semble vouloir réduire à cette unique épreuve - suis-je ou non en état de péché mortel? - toutes les dispositions nécessaires. Il faut, poursuit-il, « que toutes les fois que vous communiez, vous puissiez vous rendre témoignage... que votre conscience ne vous reproche rien qui puisse être un obstacle, du moins essentiel, à ce sacrement ; c'est-à-dire que vous ne la sentiez chargée d'aucun péché mortel,. » Eh ! sans doute, mais cette évidence, qui donc la nie, et qui donc l'ignore ? Pourquoi ces troublantes prémisses - « l'action la plus importante... ; gare à la routine... ; évitons la moindre négligence; - s'il ne veut nous demander autre chose que d'aller confesser nos péchés mortels? Plus je le relis, moins je m'explique ce piétinement inutile. Après quoi, du reste, il déclare qu'une longue préparation est nécessaire... « Employez les trois ou quatre jours qui précèdent votre communion - à quoi ? il faudrait logiquement : à n'exciter à la pénitence, puis à connu au confessionnal; mais non, - à faire de saintes lectures..., (des) bonnes Oeuvres... une petite revue. » Visiblement, c'est une revue des véniels et des attaches aux véniels qu'il nous conseille. Et voici presque mieux : « Ménager, s'il est possible, quelques jours avant la communion, un entretien avec votre confesseur, afin qu'il vous aide par ses conseils à bien faire une action si sainte. Cet avis est de la dernière conséquence. » Oui, certes, s'il ne suffit pas d'être en état de grâce. Que si l'on n'y est pas, l'entretien que l'on nous conseille est un étrange euphémisme. En bon français cet entretien c'est la confession; et le « s'il est possible » n'a quasi plus aucun sens. Je le demande encore une fois, que vient faire, dans ce développement, le rappel du principe incontesté. Relisez maintenant le fameux sermon (Cf t. IV, pp. 26o-262): vous y trouverez le même hiatus logique, si l'on peut ainsi parler, avec cette différence que Bourdaloue y amplifie beaucoup plus longuement le principe incontesté. S'il croyait que nous ne devons pas nous soucier de collaborer à l'opus operatum on comprendrait cette insistance. La Fréquente d'Arnauld ayant pour objet d'établir la nécessité de cette collaboration, Bourdaloue triompherait par là - et très aisément, ou logiquement - de son adversaire. Mais comme il ajoute - et avec quelle force! - que nier cette nécessité c'est prévariquer, franchement ou ne comprend pas.

 

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Rapprochez ces deux textes dont on n'ose dire qu'ils sont magnifiques, tant ils dépassent le niveau de l'éloquence humaine, et vous aurez sur la question capitale de la fréquente communion, la doctrine très arrêtée, ne varietur,

 

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non seulement de Bourdaloue, mais de tous les jésuites. français, au moins jusqu'à la fin du grand siècle (1).

VI. - Après avoir exploré les deux mondes extrêmes, interrogeons maintenant l'entre-deux, plus pacifique, le

 

(1) Dès qu'ils oublient les préoccupations de la polémique, plusieurs d'entre eux nous étonneraient plutôt par la vive crainte qu'ils manifestent des. communions mal préparées, et, si j'ose dire, manquées ou stériles.

« Toutes les semaines, lisons-nous dans les Pratiques de piété du P. Lemaistre; tous les huit ou quinze jours, plus ou moins suivant l'avis de votre directeur... Il faut eu passant que je vous avoue, Doroté (sic), que je ne saurais comprendre comment des personnes, qui sont toujours dans les mêmes emportements, et dans les mêmes imperfections, osent s'approcher de la sainte Table si souvent et avec si peu de profit. » (Pratiques de piété ou les véritables Dévotions par le R. P. Le Maistre de la Compagnie de Jésus, dernière édition, Lyon, titi, p. 9). L'état de grâce, bien entendu, et qui peut en douter, écrit le P. Sanadon, a mais il n'en faut pas demeurer là... Une âme... qui, pour la vie spirituelle, est dans une grande langueur et dans une tiédeur trop visible, profite peu de la communion, si, avant que de s'y présenter, elle ne travaille sérieusement à guérir ces dangereuses maladies. A usai ne voit-on que trop de personnes qui n'en valent pas mieux pour communier trop souvent... C'est ici un avis auquel et les confesseurs et les pénitents doivent faire une grande attention, car les uns et les autres manqueraient de respect pour l'auguste Sacrement, s'ils en approuvaient l'usage trop fréquent, pour des gens qui n'ont fait encore aucun progrès solide dans la vertu. » Et il renvoie, comme ils font tous, au chapitre de François de Sales, « où il est visible que son sentiment n'est pas qu'on permette la communion tous les dimanches à ceux qui ont encore une affection volontaire au péché véniel». Que si le confesseur rencontre de ces « personnes lâches et imparfaites, qui, par une certaine routine d'une prétendue dévotion, où il n'y a rien presque que de l'extérieur, prétendent être en droit de communier très souvent..., il arrêtera des âmes vaines et présomptueuses... » (Prières et Instructions chrétiennes, édit. de Lyon, pp. 367-279, passim).

Ce n'est pas ici le lien d'interroger, sur notre sujet, les jésuites du XVIII° siècle. Peut-être les retrouverons-nous quelque jour. Mais je croirais volontiers que, dans leur ensemble, ils restent fidèles à leur tradition des XVI° et XVII° siècles.

 

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centre, c'est-à-dire, les spirituels qui n'appartiennent ni à Port-Royal ni à la Compagnie de Jésus.

Pour saint François de Sales, de qui j'ai déjà dit et montré que le chapitre de la Philothée sur la communion commande toute la « littérature » du sujet, pendant tout le siècle, sa doctrine est aussi limpide que possible :

 

Pour communier tous les huit jours, il est requis de n'avoir ni péché mortel, ni aucune affection au péché véniel, et d'avoir un grand désir de se communier; mais, pour communier tous les jours, il faut, outre cela, avoir surmonté la plupart des mauvaises inclinations (1).

 

« Surmonté », au moins de désir. Ne vous approchez des sacrements, écrit-il encore,

 

qu'avec une nouvelle et très profonde résolution de vous amender de plus en plus de vos imperfections (2).

 

Un peu plus de rigueur, quand il s'agit des enfants.

 

Je ne voudrais pas que vous portassiez mademoiselle votre fille à une si fréquente communion qu'elle ne sache bien peser ce que c'est que cette fréquente communion... Si cette petite âme discerne bien que, pour fréquenter la sainte communion, il faut avoir beaucoup de pureté et de ferveur, et qu'elle y aspire, et soit soigneuse à s'en parer, alors je suis bien d'avis qu'on la fasse approcher souvent, c'est à dire de quinze en quinze jours. Mais si elle n'a point d'autre Chaleur qu'à la communion, et non point à la mortification des petites imperfections de la jeunesse, je pense qu'il suffirait de la faire.., communier tous les mois. Ma chère fille, je pense que la communion soit le plus grand moyen d'atteindre à la perfection, mais il faut la recevoir avec le désir et le soin d'ôter du coeur tout ce qui déplaît à celui que nous voulons y loger (3).

 

(1) Oeuvres, III, p. 120.

(2) Ib., VII, p. 167.

(3) Cf. F. Vincent, Saint François de Sales directeur d'âmes, Paris 1923 pp. 345-397. Ainsi, p. 387 « La doctrine sacramentaire de François de Sales (est) en harmonie avec son moralisme utilitaire. » Je me suis déjà expliqué longuement sur l'étrangeté de cette conception (Cf. Métaphysique des Saints, I, et Introduction à la Philosophie de la prière, pp. 178, seq.) Dom Mackey a insisté bien avant moi, et avec infiniment plus d'autorité, sur le théocentrisme irréductible de François de Sales. Croyant devoir répondre à ceux qui blâment les directions salésiennes sur la communion, « il est moralement impossible, écrit le savant bénédictin, d'imputer à un théologien tel que François de Sales, une erreur réelle sur une matière de cette importance... Il ne s'agit pas de prononcer si les règles données... dans l'Introduction, doivent âtre suivies actuellement, mais bien si elles étaient conformes aux lois et à la doctrine de l'Eglise, à l'époque où elles étaient formulées. Cette distinction est nécessaire, car les dispositions requises à la fréquente communion ont été appréciées à divers points de vue qui varient selon le temps et les lieux. Ces appréciations dépendent de l'influence prépondérante qu'exercèrent tour à tour sur l'enseignement moral de l'Eglise deux considérations d'une nature opposée (?) ; la grande révérence due au... sacrement... les immenses besoins de l'homme pécheur. » Oeuvres de François de Sales, III, pp. XLVIII, XLIX, Je m'étonne que Dom Mackey voie une sorte d'opposition - au moins possible - entre ces deux points de vue. Mais, quoiqu'il en soit, il ne parait pas douteux que, dans cette direction particulière, comme dans toutes les autres, François de Sales se règle d'abord sur l'honneur divin.

 

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Par ces dernières lignes il répond d'avance aux plus que téméraires qui le louent de mettre la morale au-dessus de la religion, et de subordonner le culte de Dieu à la culture du moi.

Si l'on trouve ces directions rigoristes, c'est qu'on n'en retient que la lettre. Comme si François de Sales était homme à dresser une barrière infranchissable entre la communion hebdomadaire et la communion plus fréquente. « Quelques raisons qu'on avance, dit le plus sûr de ses interprètes, Jean Pierre Camus, soyez toujours du parti de la communion fréquente ».

 

Voici, écrit-il encore, le grand précepte de notre maître, Pasithée : communiez le plus souvent que vous pourrez, selon l'avis de votre Père spirituel.

 

Au moins tous les dimanches, mais,

 

si votre ferveur vous fait trouver trop longue la distance d'un dimanche à l'autre, n'y eschéant aucune fête, durant la semaine, alors votre directeur vous pourra permettre de communier le jeudi, voire plus que cela si votre condition le permet.

 

Prenez garde toutefois

 

à cet écueil de n'importuner pas tant ce directeur de vous

 

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permettre de communier, que ce ne soit plus par son conseil.., mais par votre oppression, et pour condescendre à la dureté de votre cervelle. Car, de cette façon, vous passeriez d'un usage modéré à un abus indiscret.

 

Il vise manifestement les dévotes agitées que le P. Caussin rappelait à la raison quelques années plus tôt. En 1644, c'est-à-dire, au lendemain de la Fréquente Communion, elles bourdonnaient encore.

 

Il y a beaucoup d'âmes fort actives après la fleur de la fréquente communion, fort. engourdies au reste des Oeuvres que persuade la piété chrétienne. Si ces fleurs n'engendrent des fruits, c'est peu de chose de communier si souvent. Ce peu de fruit produit le bruit des murmures et fait demander aux mondains pourquoi ces gens qui approchent si fréquemment de l'autel avancent si peu en la vertu.

 

On voyait aussi déjà se dessiner contre ces abus une réaction abstentionniste.

 

Il y en a d'autres, - tant le siècle est fertile en esprits bizarres! - qui vont en ce sujet à l'autre extrémité, car bien qu'ils soient de bonnes moeurs et qu'ils prétendent à la dévotion, ils approchent néanmoins rarement de la Sainte Table... Ces gens-là ne se font gens de bien qu'aux grandes fêtes...; gens sourcilleux, hautains qui s'aiment eux-mêmes, cherchant leur propre honneur dans leurs actions sacrées plutôt que la gloire de Dieu (1).

 

Beaucoup trop salésien, du reste, pour n'insister pas sur la préparation nécessaire. C'est ainsi, par exemple, qu'il ne veut pas qu'on attende pour se confesser le jour même de la communion :

 

(1) On peut croire qu'il vise le grand Arnauld, mais rien ne me paraît, moins certain. L'abus qu'il dénonce est beaucoup plus ancien que la Fréquente Communion. Lorsque ce livre éclata, Camus semble s'être fixé une mission de modérateur entre les deux camps. Modérateur aussi modéré que M. de Belley peut l'être. Il lui arrive, en effet, de s'emporter assez violemment contre les jésuites L'histoire de ses moods reste pour moi très obscure. N'oublions pas toutefois qu'il est très probable que l'idée de lancer le livre de Salazar dans la mêlée est venue de Camus lui-même.

 

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Dès le jour précédent, vous déchargerez votre conscience aux pieds de votre confesseur, sans attendre à rendre ce devoir-là le jour même de votre communion, comme font tant de personnes dedans le monde. On n'y prend pas garde, mais ce n'est pas là un petit défaut, et qui n'apporte pas peu de retardement à la ferveur de la dévotion. Car qui ne voit combien les pensées de la purgation de l'âme.., sont éloignées de celles de son illumination par la prière, et de son union avec Dieu par l'amour? On sort de la maison, la tête pleine de l'examen de sa conscience, le coeur pressé de regrets de ses fautes, au lieu de l'avoir tout ouvert de joie et de désir par la dilection... On arrive à l'église, on ne songe qu'à se confesser; on attend l'opportunité d'un confesseur; il sera peut-être assiégé de pénitents; il aura peu de loisir pour dévider tant de fusées (1); il pressera d'achever, coupera ses remontrances ou peut-être n'en fera point... Au sortir de là, on commence une messe; on y court devant qu'on ait rassis son esprit de l'émotion de la pénitence, qui le doit avoir rempli d'amertume. Où est cette tranquillité, cette chère pamoison, cet écoulement en Dieu..., la part de l'heureuse Marie ? Balayez donc votre âme dès le jour précédent, afin de mettre en Oeuvre ce mot du Psalmiste : Les larmes sont pour la vesprée, mais l'allégresse pour le matin (2).

 

S'il avait les yeux moins ouverts, moins d'humour, moins de malice, comme il nous paraîtrait sage! Mais pourquoi vouloir que fassent toujours mauvais ménage la dévotion et l'esprit?

Dernier paragraphe : Un mot de la communion quotidienne.

 

Pasithée, ne vous y embarquez pas sans en prendre un grand et solide conseil, je ne dis pas seulement de votre confesseur, mais de plusieurs habiles hommes.

 

Curieuse direction, et peu simplifiante, mais qui nous fait prendre sur le vif l'embarras où les plongeait ce problème.

 

(1) N'est-ce pas fuseaux qu'il veut dire ? Avec lui, sait-on jamais ?

(2) Traité de la préparation à la fréquente communion, Paris, 1644. pp. 1-47, passim.

 

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Car, voyez-vous bien, si, en la religion religieuse et monastique..., ceux qui ne sont pas prêtres ne communient pas tous les jours..., certes en la dévotion civile, qui se pratique parmi tant de distractions..., il serait à mon avis un peu bien libre de passer ces bornes-là, vu même que cela offense la vue du monde.

 

Suffren venait de donner, dans son Année chrétienne, les même raisons ; mais Camus hésite beaucoup plus que le jésuite.

 

Certes, il y a quelquefois de l'imprudence à communier trop souvent, mais il y a toujours de l'impudence à blâmer cette action,

 

Ce jeu de mots le satisfait et tout ensemble l'inquiète ; l'impudence est pire que l'imprudence. Ne se serait-il pas trop avancé?

 

Quoi! il semble donc qu'indifféremment je conseille cette communion journalière? Non pas, Pasithée, car je sais qu'en l'indisposition ordinaire du monde, ce serait une témérité d'y porter un chacun indistinctement. Mais, parce aussi que je sais.. qu'en ce grand déluge..., il y a toujours quelques âmes qui se sauvent de la presse et corruption du siècle..., je crois que ce serait une indiscrétion notable de dire qu'il ne se trouvât personne en ce grand nombre de séculiers... à qui l'on pût justement permettre cette communion quotidienne. Mais, parce que ce n'est pas votre fait, et que vous n'êtes pas d'une si haute classe, Pasithée, je vous conseille d'admirer en ces âmes-là ce qu'il n'est pas permis à la vôtre d'imiter (1).

 

Quelle curieuse chose que la vie des idées ! Bien que docile, et précisément parce qu'il est docile, à son maître, Camus ne laisse pas les directions eucharistiques de François de Sales exactement telles qu'il les a reçues. Echo vivant, il précise, il explicite et il développe le précieux message. François de Sales, comme avant lui Salazar et après lui Suffren, hésite sinon à donner, si l'on peut dire, le laissez-passer libérateur, du moins à promulguer trop haut la charte

 

(1) Traité, pp. 47, sq.

 

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nouvelle que demande la foule croissante des âmes ferventes. Camus jette du lest, si j'ose encore dire. Seule désormais l'arrête « l'indisposition ordinaire », mais non pas universelle et inévitable, des « séculiers ». Autant dire qu'il n'ose plus s'opposer à la communion très fréquente, voire quotidienne de l'ensemble des religieuses. Un peu mortifiée parla chiquenaude camusienne : - « Vous n'êtes pas d'une si haute classe » - que Pasithée - le dévot ou la dévote qui vivent dans le monde - prenne patience. Leur tour viendra bientôt. Qu'ils attendent Fénelon (1).

 

Pour les communions, écrit le père Soyer, dans un livre sur la vie religieuse, le nombre et les intentions vous en seront marquées par le directeur ; craignez qu'en les rendant journalières, elles soient sans goût et sans profit. J'ai connu des personnes à qui il était utile de les permettre tous les jours, d'autres à qui il était nécessaire de les retrancher. Qui voudrait faire passer un chacun par une même règle en accorderait trop aux uns et trop peu aux autres (2).

 

 

La première édition du P. Soyer est de 1654, et elle a pour approbateur un théologien très sûr, que nous avons

 

 

(1) Un d'eux au moins n'a pas attendu : c'est Pierre Grenier, laïque, j'imagine, « conseiller du roi et son procureur au bureau des Finances de Guyenne », auteur du gros in 8° qui a pour titre « Du bon et fréquent usage de la communion, Bordeaux 1681. C'est un livre de combat et qui ne nous apprend pas ce que l'auteur entend par « fréquent usage. » Il semble vouloir surtout, et non sans une assez grossière violence, qu'on ne l'empêche pas de courir à la communion aussitôt après la confession de ses crimes, ceux-ci, d'ailleurs n'étant, je l'espère, que des peccadilles. « Je déclare ingénument que je ne veux pas différer à communier souvent pour obtenir de Dieu la grâce de quitter absolument mon péché... Quand je sors du tribunal de la confession, faible et chancelant des blessures que j'avais reçues du démon, mais animé d'un véritable et sincère désir d'être désormais fidèle à mon Dieu, je ne balance point à recevoir la sainte communion. Je m'imagine que je vois brûler en sacrifice un animal immonde, immolé à la gloire de Jésus-Christ, lorsque je porte au pied des autels mes crimes encore expirants comme des monstres nouvellement égorgés par le glaive de la contrition. » (p. 319).

(2) Pratique familière pour se préparer à faire les voeux. Paris 1669, p. 383. « Je trouve raisonnable, ajoute le P. Soyer, qu'aux jours d'humiliation et de pénitence, on joigne l'abstinence de ce festin délicieux aux mortifications du corps. » (p. 384). Comprise de cette façon, l'abstention intermittente et pour certaines périodes très courtes, était alors conseillée par nombre de spirituels.

 

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jadis célébré, M. Bail. On voit donc que, dès le milieu du siècle, les spirituels les plus autorisés se ralliaient sans difficulté au principe même de la communion très fréquente.

Ainsi encore, un des grands saints de ce temps-là, le Père Barré, minime, que nous ne désespérons pas de voir un jour sur les autels :

 

Vous m'avez autrefois proposé, écrit-il à une pieuse personne, de faire quelque neuvaine de communions. Ce qui est fait est fait, mais ne le faites plus. Vous n'êtes pas assez digne pour communier tous les jours, vous le pouvez néanmoins plusieurs fois la semaine (1).

 

Et à une religieuse :

 

Je trouve bon, avec le plaisir de Me votre Abbesse, que vous communiiez tous les jours, excepté un jour de la semaine... Mais à condition que l'on se rendra fidèle et à l'intérieur et à l'extérieur en toutes choses; qu'on se tiendra au-dessous de toutes les créatures, ne méritant pas de servir de marchepied dans la maison, et cela sans déguisement (2).

 

Ne semble-t-il pas que, déjà si peu inflexible chez François de Sales, l'ancienne résistance à la communion quotidienne se détende comme à vue d'oeil. Si quelqu'un doit essayer d'arrêter cette progression descendante, ce ne sera pas Bossuet.

Pour peu qu'on l'ait pratiqué, on n'attend pas de lui, j'imagine, qu'il invite indistinctement tous les chrétiens à la communion fréquente. « L'Apôtre a raison, disait-il, de nous arrêter et de nous ordonner une sainte épreuve. » Et, dans le même sermon :

 

L'action que vous allez faire est la plus sainte, la plus auguste du christianisme : il ne s'agit de rien moins que de manger de sa propre bouche sa condamnation ou sa vie, de porter la miséricorde ou la mort, toute présente dans ses entrailles (3).

 

(1) Lettres spirituelles du B. P Nicolas Barré, 1698, p. 245.

(2) Ib., p. 51. Toute la lettre est fort belle.

(3) Oeuvres oratoires, V, pp. 218-219.

 

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La reine lui est un exemple parfait des dispositions intérieures qu'exige la majesté d'un tel sacrement.

 

Toujours affamée de cette viande céleste et toujours tremblante en la recevant..., elle ne cessait de se plaindre humblement et modestement des communions fréquentes qu'on lui ordonnait (1).

 

Qu'est-ce à dire fréquentes? Une fois par mois, j'imagine, deux fois tout au plus. Mais, pour ses religieuses, ou pour les saintes personnes qu'il dirige, Bossuet ne peut souffrir la rigueur parcimonieuse de ces chiffres.

 

Il ne faut point adhérer à ceux qui veulent régler si précisément le nombre de communions à chaque semaine (2).

 

Séparées du monde, aucune autre considération ne doit limiter « le droit » qu'elles ont « sur ce corps qui est le sceau de leur union avec le céleste Époux (3). »

 

Cette vertu dont Jésus est plein ne demande qu'à sortir; et ainsi, comme elle a choisi la divine Eucharistie, comme le canal par où elle se veut dégorger sur les âmes, c'est lui faire violence que de retarder ses écoulements en différant les communions (4).

 

Aux mondains, on ne prêchera jamais assez la «révérence», mais les Épouses, déjà trop timides pour la plupart, toutes frissonnantes de scrupules, ne doivent craindre que de craindre :

 

Ne hésitez pas à communier .. La disposition dont vous me parlez n'est pas un empêchement à la communion, courez-y avec ardeur (5)... Augmentez vos communions plutôt que de les diminuer; par ce moyen, le tentateur sera confus, car c'est ce qu'il veut que de vous arracher s'il peut de la Sainte Table (6)... Si les fautes fréquentes devaient retirer de la communion,

 

(1) Oeuvres oratoires, VI, p. 200.

(2) Correspondance, VII, p. 231.

(3) Ib., VII, p. 10.

(4) Ib., VII, pp. 232, 233.

(5) Ib., V, p. 342.

(6) Ib., VII, p. 10.

 

 

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les fautes, entendez-le bien, d'une religieuse,

 

ce serait en soi qu'on espérerait; ne vous retirez donc jamais, ni de l'oraison ni de la communion, pour quelque cause que ce soit, que par ordre d'un confesseur (1).

Vous avez bien fait de communier, et ces fâcheuses dispositions vous y doivent plutôt déterminer que de vous en détourner (2).

Ne quittez point la communion; quand communierez-vous, si vous attendez que vous en soyez digne (3)?

Ne quittez jamais l'oraison ni la communion, quoiqu'il en arrive. A quelque prix que ce soit, il faut jouir de l'Epoux. Il ne se fâchera contre vous que dans le cas de l'abandon, où vous l'outrageriez plus que par quelque autre chose que ce puisse être .

 

Eh quoi! suppose-t-il un seul instant, contre Arnauld, contre Salazar, contre tout le monde, que, pourvu qu'on ait reçu l'absolution, on peut hardiment « courir » à la Sainte Table? A Dieu ne plaise, répondrait-il ! La condition « suffisante », ce n'est pas l'état de grâce, c'est l'état de perfection ; à savoir l'état normal des couvents. A qui fait « oraison » tous les jours, comment refuser la communion de tous les jours (5)? Aussi bien incline-t-il à voir les religieuses qu'il conduit toutes semblables à l'Épouse des Cantiques.

 

(1) Correspondance, VII, pp. 157. (Cf ib., p. 233.)

(2) Ib., V, p. 341.

(3) Ib., VII, p. 58.

(4) Ib., VII, p. 56.

(5) Quand il s'adresse, non plus à telle ou telle religieuse en particulier, gomme dans la Correspondance, mais a toute une communauté, comme dans les Méditations, Bossuet insiste davantage sur les dispositions nécessaires. « Si... nous voulons persévèrer dans la vertu, il faut communier et communier souvent... Mais aussi on doit trembler quand on retombe dans ses fautes après la communion. » Le Probet autem ne demande pas seulement qu'on se présente exempt du péché mortel : « Il y a... d'autres épreuves plus délicates. Le pain de L'Eucharistie est appelé... le pain des forts ; et il y faut user en le donnant du même discernement dont use un sage médecin en donnant le solide à son malade; c'est-à-dire qu'il faut songer, non seulement au refus absolu qu'on en doit faire durant la lièvre, mais encore aux ménagements avec lesquels il le faut donner aux convalescents... Il y a encore une épreuve, une préparation nécessaire... : il faut considérer le progrès que nous faisons en... mangeant (cette viande) et la prendre avec réserve, jusqu'à tant que nous soyons rendus propres à recevoir tout son effet... »

(Méditations... La Cène, XLIV, XLVIII. passim).

 

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Toujours pressé d'apaiser les scrupules des unes, il ne l'est pas moins de seconder les transports des autres.

 

La communion journalière doit être votre soutien, écrit-il à Mme Cornuau ; dévorez, absorbez, engloutissez, saoulez-vous. Que puis-je vous dire autre chose pour assouvir cette faim pressante (1).

 

On reconnaît le ton des fameuses lettres à une Demoiselle de Metz. Il y a là peut-être moins de poésie que d'éloquence, et plus d'éloquence que de vérité. Si éperdument néanmoins qu'il amplifie les joies de la communion fréquente, et même quotidienne, il reste en parfait accord avec tous les spirituels du grand siècle sur les dispositions nécessaires à ce sacrement.

Ainsi pour les enfants : il voudrait « les accoutumer à la communion les premiers dimanches du mois », pourvu toutefois que l'on se règle en cela sur « leur progrès dans la vertu (2). » Il n'en exige pas moins des religieuses; il en exigerait bien davantage.

 

Servez-vous de la faim de la communion, dont quelques-unes vous paraissent pressées, pour les engager à devenir humbles (3).

 

Mais si quelqu'un ne se croyait pas assez humble pour communier dignement, il lui répondrait de plus belle : « N'hésitez pas ». Eh ! quand donc « communierez-vous si vous attendez que vous en soyez digne (4) ? »

On voit bien à son insistance, infatigable, mais parfois un peu agacée, que les directions de Bossuet n'étaient pas sans

 

(1) Correspondance, V, p. 197. On sait que Bossuet n'a jamais pardonné aux mystiques le peu d'enthousiasme que ceux-ci manifestent pour les ferveurs sensibles. L'absence de ces ferveurs lui paraissait un mauvais indice. Mais ceci n'est plus de notre sujet. Je me contenterai également de citer un curieux texte de lui qui appellerait de longs commentaires : « Vous avez raison pour la sainte Eucharistie : on porte plus aisément la présence seule; dans la réception actuelle l'excès de la grâce confond quelquefois. » Ib. V, P. 197.

(2) Correspondance, VII, p. 427.

(3) Ib., VII, 5.

(4) Ib. VII, p. 58.

 

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rencontrer dans les couvents une sourde résistance. Et non pas seulement chez les scrupuleuses. Aux scrupules proprement religieux se mêlait parfois la peur du qu'en dira-t-on. Plus elles sont vertueuses, plus il leur en coûte de se gouverner comme des êtres d'exception, à qui le régime de la communauté - deux communions par semaine - ne suffit pas. Tant y a que, pour ne pas afficher leurs privilèges, elles communiaient parfois en se cachant de leurs soeurs. Bossuet ne les grondait pas pour si peu : «J'approuve ces communions dérobées pour ainsi parler (1). »

S'il en allait ainsi dans les cloîtres, on imagine aisément les épigrammes de toute sorte où s'exposaient les personnes du monde, qui avaient l'audace de communier souvent. Du beau monde, surtout. Le bon ton demandait que de telles pratiques fussent laissées aux petites gens.

 

Chose étrange, s'écriait déjà le Père de Machault, que David cherchant quelques-uns de la maison royale de Saül et de Jonathas, pour les avoir à sa table..., il ne trouva qu'un seul Miphyboset; encore était-ce un pauvre estropié et impotent des jambes..., comme signifiant que, s'il n'eût été invalide, il aurait suivi plutôt le grand train des autres que d'être trouvé au logis pour venir s'asseoir à la table du Roi.

O mystique David, qui des nobles, qui des riches, qui des grands de la terre s'approchent de votre Table si somptueuse et si aimable?.

 

 

(1) Correspondance, VIII, 39. «Cette personne avait occasion de communier très souvent sans qu'on s'eu aperçût ». Note de Mme Cornuau. Bossuet lui écrivait un autre jour : « Votre soutien doit être la communion ; jouissez-en tous les jours, puisque Dieu vous a mise en lieu où vous pouvez sans qu'on épilogue et sans qu'on vous méprise, baiser en liberté ce cher petit frère. » (Corresp., VIII, p. I.) Plus et plus souvent que n'importe quel directeur de ce temps que je connaisse. Bossuet insiste sur la fréquente communion. « Pour la communion, écrit Mine de La Maisonfort à Fénélon, il (M. de Meaux) me permettait de communier le dimanche, le jeudi et le samedi... 11 était porté pour la fréquente communion » (VIII, p.  505.). Il semble tenir à la communion du samedi (VI, p. 382). M d'Albert communie tous les jours pendant l'octave de la Fête-Dieu (VIII, p. 273). Comme à Port-Royal. Les peines qui retirent de la communion « tiennent de l'angoisse et retardent l'opération de Dieu » (VII, p. 246). C'est par là surtout, je crois, que s'explique son insistance; couper court aux vaines angoisses qui tourmentent tant de religieuses; « Dans le doute, conseillez toujours la communion à celles que vous voyez de bonne volonté » (IX, p. 2o3).

 

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Fort peu de cette qualité, si ce n'est quelqu'un qui, par disgrâce, ou de malheur, ou de vieillesse, tout pourri des vices de la vie passée, et qui n'est plus désormais que le rebut, comme l'on parle abusément, du beau monde, soit forcé enfin de venir à vous et, après avoir usé la fleur de sa vie dans les vanités de la terre, donner la caducité et comme le marc de ses ans à la dévotion (1).

Machault écrivait sous Mazarin. On pense bien que, trente ans, quarante ans plus tard, c'est-à-dire, après tant et tant de campagnes contre les dévots, après le Tartufe, les moeurs du beau monde n'avaient pas beaucoup changé.

 

Sans tant vous intéresser vous-même, et vous regarder dans cette communion fréquente, écrivait le père Guilloré aux grandes dames de son temps, faites-la pour honorer ce divin Sacrement, qui, d'ordinaire, n'est guère honoré par tant de monde, qui s'approche peu de la Sainte Table; suppléez par votre assiduité à ce défaut et à ses honneurs qu'on ne lui rend pas; touchez vous du noble sentiment de faire connaître votre Maître et votre Dieu; et faites qu'il ne soit pas dit que la communion fréquente n'est que pour les personnes vulgaires. Mais, sans parler du respect que mérite par lui-même ce divin Sacrement, que l'on commence d'avoir pour lui un respect tout nouveau, voyant des dames de qualité s'en approcher aussi souvent et avec autant de piété que celles qui sont de la condition la plus obscure.

 

Cet argument, un peu spécial, lui tient au coeur. Je vous invite, écrit-il encore, à communier souvent,

 

pour relever et réparer le déplorable abandon de la communion fréquente, que les dames de votre qualité font de tous côtés; car où les voit-on recevoir souvent ce pain des anges, et s'il n'était connu que par les approches qu'elles en font, ne tomberait-il pas peu à peu dans l'oubli? Il faut donc, Madame, qu'ayant autant de zèle que de qualité, vous n'augmentiez pas cette sorte de déshonneur parmi celles de votre rang, et que vous récompensiez l'éloignement qu'elles ont de la Sainte Table en vous en approchant souvent (1).

 

(1) Le Trésor..., p. 462.

(2) Manière de conduire les âmes, édition de 1859, pp. 3o4. 4o6. « Fréquente », sous la plume de Guilloré, n'est pas synonyme de «quotidienne». Les saintes personnes « communieront.., bien plus souvent, mais vous ne laisserez pas aussi de le faire souvent. » (Ib., p. 3o5.)

 

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Fénelon donne les mêmes conseils au beau monde, mais, en se fondant sur des raisons qui sentent moins leur roture : trop grand seigneur, de sang et d'âme, pour croire que la communion d'un duc et pair soit plus honorable à Dieu que celle d'un savetier.

 

Je suis bien convaincu, écrivait-il à un gentilhomme, que vous ne devez ni vous cacher ni vous gêner pour vos communions... Je crois qu'elles doivent être fréquentes, vous avez besoin de nourriture intérieure. Rassasiez-vous du pain qui est au-dessus de toute substance. Faites là-dessus tout ce que vous avez à faire, sans penser aux spectateurs curieux et critiques; il faut accoutumer le monde à la vertu (1).

Entre cette lettre et celle de Bossuet que nous venons de citer, on sent les nuances : « Saoulez-vous », écrit l'un ; « rassasiez-vous » suffit au grand goût - aristocratique et mystique - de l'autre. Le premier permet, le second n'admet pas qu'on se cache.

Il ne me déplaît pas, du reste, que ce grand calomnié qu'on nous représente volontiers comme plus chrétien que catholique, voire comme moins chrétien que mystique, et à qui Bossuet lui-même reprochera indignement d'instruire les

parfaits à se passer du Christ, que Fénelon, dis-je, ait insisté, et plus et mieux que personne, parmi les spirituels du XVIIe siècle, sur la nécessité de la communion fréquente. Voici le début de la fameuse lettre, un mémoire plutôt, par où nous finirons notre enquête.

 

Je ne suis nullement surpris, Monsieur, d'apprendre, par la lettre que vous m'avez fait la grâce de m'écrire, que plusieurs personnes sont mal édifiées de vous voir communier presque tous les jours.

 

« Monsieur », et non « ma chère soeur », et non « madame ».

 

(1) Oeuvres, VIII, pp. 488, 489.

 

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Ces personnes ne jugent de vos communions que sur certains préjugés qu'elles tirent de l'ancienne discipline sur la pénitence; mais il ne s'agit point ici de l'exemple des hommes coupables de péchés mortels, qui étaient dans la nécessité de faire pénitence avant de communier. Le cas dont il s'agit est celui d'un fidèle dont la conscience paraît pure, qui vit régulièrement, qui est sincère et docile à un directeur expérimenté et ennemi du relâchement. Ce fidèle est faible, mais il se défie de sa faiblesse et a recours à l'aliment céleste pour se fortifier; il est imparfait, mais il en gémit et travaille pour se corriger de ses imperfections. Je dis qu'un bon directeur, auquel il obéit avec simplicité, peut et doit le faire communier presque tous les jours.

 

Tant s'en faut du reste que Fénelon invite à la communion très fréquente le premier chrétien venu.

 

Il y a... beaucoup de personnes, qui, observant une certaine régularité de vie, n'ont point les véritables sentiments de la piété chrétienne. Quand on approfondit leur état, on ne voit point qu'on puisse les mettre au rang des justes qui doivent communier. Mais nous ne parlons nullement de ceux-là; il s'agit ici des âmes pures, humbles, dociles et recueillies, qui sentent leurs imperfections, qui veulent s'en corriger,

 

et qui n'y ont donc aucune attache (1). Par où l'on voit que, sur ce point comme sur presque tous les autres, Fénelon rejoint saint François de Sales. Progrès néanmoins, et assez marqué de l'un à l'autre, mais progrès qui était, pour ainsi dire, dans

la logique du « mouvement céleste », inauguré par la Contre Réforme et dont la lente évolution s'achève avec la Lettre de Fénelon. Il s'agit toujours de fixer une voie moyenne, où leur juste part soit faite, d'un côté aux exigences incoercibles de l'honneur divin, de l'autre au profit spirituel des âmes. Peu à peu l'expérience leur avait montré, ou bien que les abus qu'avait d'abord provoqués une propagande maladroite n'étaient plus à craindre, ou bien qu'à trop combattre ces abus, on écartait des sacrements ceux-là même, et ceux-là

 

(1) Oeuvres, V, pp. 176, 726, passim.

 

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seuls, qui déjà ne se croyaient que trop indignes de les fréquenter. Les directeurs se trouvaient ainsi amenés à faire la part du feu. Sacrifice pour sacrifice, mieux valait tolérer les grimaces dévotes des uns que d'exaspérer les scrupules des autres. Avec Salazar, François de Sales et Suffren, on ne permettrait la communion trés fréquente qu'à une élite, mais de cette élite on inclinerait de plus en plus à élargir les frontières. Ce faisant, on ne rabattait rien des principes, mais on en mesurait l'application sur l'expérience. Depuis François de Sales, et grâce à lui plus qu'à personne, la vraie dévotion a pénétré partout, dans le monde aussi bien que dans les couvents ; les dévots toutefois, plus ou moins imparfaits mais qui ne se résignent pas à l'être, sont encore le pusillis grex. Si les zelanti de la Contre-Réforme ont pu rêver un instant que le nombre des saints allait égaler celui des médiocres, ils n'auront pas tardé à perdre cette illusion, mais, quoi qu'il en soit, le nombre de l'élite pieuse n'a cessé de croître, et par suite le nombre de ceux qui ont le « droit » comme disait M. de Meaux, de communier fréquemment. Or, de ce progrès qui sera un juge plus sûr que le très clair-voyant, le très exigeant Fénelon? D'où l'assurance avec laquelle, fidèle tout ensemble à l'enseignement unanime de ses précurseurs et aux signes présents de la volonté divine, il dresse à son tour la charte de la communion fréquente. Puisque M. de Meaux permet la communion de tous les jours à la moyenne des religieuses, et puisque, d'autre part, il y a dans le monde, et même à la Cour, des chrétiens dont la ferveur n'est pas loin d'égaler celle des couvents, pour ne rien dire de plus, nulle raison de refuser à ces derniers ce que l'on accorde aux autres.

 

On est presque mal édifié, dit-il dans une autre lettre Sur le fréquent usage des sacrements, d'un prêtre qui ne dit point la messe tous les jours, et l'on serait surpris de voir un laïque qui communierait tous les jours de la semaine. Pourvu que le laïque vive en bon laïque, il peut et doit communier tous les jours, s'il est libre. J'excepte seulement les personnes qui sont assujetties...

 

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à des engagements du monde, dans lesquels il faut garder des mesures. J'avoue aussi que les gens qui aiment leurs imperfections et qui sont volontairement dans des péchés véniels, sont indignes de cette communion quotidienne.

 

Avant tout, l'honneur de Dieu et du Sacrement.

 

Mais pour les âmes saintes, droites, prêtes à tout pour se corriger, dociles et humbles, c'est à elles qu'appartient le pain quotidien (1).

 

« Vouloir respecter l'Eucharistie en la recevant rarement» est contraire à l'esprit de l'Eglise et à l'institution même du Sacrement. « Pourvu qu'on soit pur », et de cette pureté déjà peu commune que Fénelon vient de décrire, « le vrai respect est de la recevoir fréquemment (2). »

 

 

(1) Oeuvres, V, pp. 717.

(2) Je n'exagère rien quand je dis que la Lettre de Fénelon a été, pendant très longtemps chez nous, comme la charte de la communion fréquente. En 1855, Mgr Dupanloup en publiait une nouvelle édition, tirée à cent mille exemplaires ( 10 centimes l'exemplaire; Orléans, Paris). Il va, du reste, sans dire que, dans le chapitre d'histoire littéraire que nous achevons ici, notre rôle devait se borner à exposer la doctrine du XVIIe siècle sur la communion fréquente. On me permettra de remarquer néanmoins qu'il serait et très injuste et très imprudent d'opposer une tradition unanime et représentée par de tels maîtres aux directions données récemment par S. S. le Pape Pie X. Quoi qu'en aient pu dire des théologiens improvisés, je reste bien assuré que l'Eglise ne réprouvera jamais l'essentiel de la doctrine salésienne, ce qu'elle ne ferait qu'en enseignant qu'on peut s'approcher « tellement quellement » de la Sainte Table, comme disait le P. Suffren, pourvu qu'on n'ait aucun péché mortel sur la conscience. « Le Pape Pie X, écrit à ce sujet Dom Ryelandt, a nettement enseigné qu'outre l'état de grâce, l'intention droite de recevoir en nous les fruits du Sacrement était la seule disposition requise pour s'approcher de la Table sainte » (Pour mieux communier, Maredsous, 1925, p. 45). Autant dire qu'on ne peut s'approcher sans une sérieuse préparation. Avec le Concile de Trente, avec tous nos maîtres du XVIIe siècle, le Saint Père voudrait que l'on assistât chaque jour à la Sainte Messe et que l'on y communiât. « Après la communion du prêtre, disait déjà Fénelon, dans son Manuel de piété, vient celle du peuple; car ils doivent tous être faits un avec Jésus-Christ dans ce mystère d'union. Y assister sans y participer, c'est manquer à suivre l'institution de ce Sacrement... Quand on est pur, comme les chrétiens doivent toujours l'être, (et comme ne peuvent guère manquer de l'être ceux qui assistent chaque matin à la messe), on ne peut ni se dispenser de communier dans la célébration de ce mystère, ni communier dans une autre heure à sa commodité, sans s'écarter de l'intention de Jésus-Christ. » (Manuel p. 19) Il me semble que ces quelques mots lèvent toutes les difficultés. Il faut une préparation, faute de laquelle manquerait « l'intention droite » qu'exige Pie X et par laquelle on veut « satisfaire le bon plaisir de Dieu, s'unir plus étroitement

 

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à lui par la charité » et obtenir la guérison de ses misères. Mais à cette préparation la sainte messe, entendue comme il faut l'entendre, suffit largement. Qui participe à l'action liturgique, a témoin, prêtre et hostie s comme disait Bourdaloue, se trouve, ipso facto, dans les conditions requises par François de Sales et les autres spirituels du XVII° siècle. Qui se met en posture d'hostie ne saurait avoir aucune « attache au péché véniel ». Cf. à ce sujet F. Gellé : A propos de l'initiation liturgique des enfants. Un problème de la communion ( Vie et arts liturgiques, avril, mai 1922); Dom Godu; Le Sacrifice eucharistique et la communion (même revue, septembre 1922); R. P. Joret; Les conditions d'une bonne communion ( Vie spirituelle, juillet 1927) ; R. P. Garrigou Lagrange : Le progrès spirituel et la communion quotidienne (même revue, octobre 1927). Enfin la précieuse brochure de Dom Ryelandt que je viens de citer. Je ne vois rien dans ces travaux récents que n'eussent pu s'approprier avec allégresse les spirituels dont je viens d'exposer la doctrine.

 

 

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