SIXIÈME CONFÉRENCE

 

Les attributs divins manifestés dans les prophéties

et dans l'histoire d'Israël

 

 

Mes frères, quand j'ai commencé, il y a trois ans, la série de ces conférences sur l'Ancien Testament, j'ai annoncé, dès le premier jour, quelle en était la pensée fondamentale. J'ai voulu chercher, dans ces livres bibliques et dans cette ancienne histoire du peuple d'Israël, la manifestation des attributs du vrai Dieu, du Dieu chrétien, du Père céleste, et, par conséquent, la preuve par les faits, la preuve par l'histoire et par les textes, de ces attributs du Dieu créateur, qui sont, de nos jours, particulièrement contestés et mis en doute, car, si beaucoup de nos contemporains conservent le nom de Dieu et gardent une certaine idée de la divinité, pour un grand nombre, ce nom n'a pas le même sens qu'il avait pour nos pères ; ce qu'ils entendent par la divinité est quelque chose de très vague, tantôt je ne sais quoi d'abstrait, d'idéal, d'autres fois une simple force obscure de la nature qui n'est pas, qui ne peut pas être le vrai Dieu, le Dieu que nous adorons.

 

J'ai donc voulu chercher, dans cette histoire de l'action de Dieu dans le monde et dans les débuts de cette histoire, la manifestation des attributs et, si j'ose ainsi parler, du caractère du vrai Dieu, se montrant à nous, comme fait une personne, par ses actes et par ses paroles. Et je voudrais résumer aujourd'hui cet enseignement en considérant l'ensemble de l'histoire religieuse du peuple d'Israël et reconnaître quelques-uns de ces traits distinctifs du vrai Dieu.

 

J'en choisirai trois : d'une part, sa libre souveraineté, sa liberté et sa souveraineté absolues ; en second lieu, son admirable fidélité à ses promesses, et sa générosité, envers ceux qui croient à ses promesses ; enfin, un troisième attribut, peut-être plus important à nos yeux et qui nous touche davantage, la patience et la miséricorde de Dieu. Cette patience et cette miséricorde se manifestent dans la manière avec laquelle Dieu a supporté pendant de longs siècles le peuple qu'il avait choisi, le peuple juif dont le caractère et les sentiments étaient si différents des sentiments chrétiens. Mais cette troisième partie, je la renvoie à dimanche prochain, et cela me donnera l'occasion de parler aussi de la destinée du peuple juif, dont il est tant question. Aujourd'hui, je m'arrêterai seulement à ces deux attributs ; la souveraine liberté de Dieu, et sa fidélité à ses promesses.

 

Dieu est-il un être personnel, est-il un être libre, pouvant choisir comme nous choisissons nous-mêmes ? Ou bien, obéit-il fatalement à des lois invariables, soit celles de la nécessité, comme le veulent les Panthéistes qui regardent Dieu comme un être inconscient et aveugle ; soit celles d'une sagesse qui contraindrait Dieu à suivre toujours l'ordre établi une fois ; soit enfin, celles d'une justice inflexible qui lui ravirait toute liberté, et ne lui permettrait aucune intervention de la bonté, de la gratuité, de l'amour ?

Vous savez que cette liberté de Dieu est un des attributs qui ont été le plus souvent contestés. Dans la plupart des philosophies antiques et modernes, on a réduit Dieu à la condition de cause nécessaire, de loi fatale. Il y a là comme une tendance de l'esprit humain ; il semble que l'homme répugne à sentir au-dessus de sa tête un être souverain qui puisse disposer de lui selon sa volonté et faire de lui ce qu'il veut. C'est là ce qui choque l'orgueil humain, soit que l'homme veuille se réserver à lui-même cette liberté et la refuser à un être qui le domine ; soit même, par une aberration plus étrange encore, que, pour se débarrasser de l'idée d'une liberté souveraine qui gouvernerait le monde après l'avoir créé, il veuille renoncer à sa propre liberté et s'enserrer lui-même, en y enserrant l'univers entier, dans les mailles étroites du déterminisme, dans une série de causes nécessaires, sortant les unes des autres par une loi fatale et par une nécessité absolue où la liberté n'a plus aucun rôle.

Contre tous ces systèmes qui renaissent constamment dans l'esprit humain, le texte biblique et l'histoire d'Israël nous affirment et nous montrent avec évidence la libre souveraineté de Dieu. Elle est affirmée d'abord très clairement par tous les prophètes : « Dieu appelle ce qui est comme ce qui n'est pas, ce qui n'est pas comme s'il était ; il dit et les choses sont créées ; il parle et elles apparaissent. Il peut les anéantir par sa volonté comme il peut les faire apparaître ». Tout dépend de cette volonté de Dieu. Elle même est absolument souveraine.

 

Mais ce ne sont pas seulement les affirmations de l'Écriture sainte ; ce sont aussi les actes de Dieu ; c'est la manière dont s'est développée dans le monde cette grande idée de Dieu, cette religion commençant par les patriarches, continuant par les prophètes et arrivant jusqu'à nous ; c'est cette histoire qui nous montre une série de choix de Dieu qui sont des choix purement gratuits, venant de sa libre volonté.

C'est surtout le choix des personnes. Lorsque Dieu jette un regard, à l'époque d'Abraham, sur le monde entier, partout régnait l'idolâtrie ; mais il y avait alors des peuples civilisés, des peuples arrivés à un haut degré de culture intellectuelle, où régnait une certaine philosophie : la Chaldée, l'Egypte, d'autres pays encore. Ce n'est point là que Dieu va chercher l'homme qui doit recevoir, qui doit garder le dépôt des promesses, et qui, par sa race, doit plus tard répandre dans le monde entier la notion du vrai Dieu. Ce n'est même point parmi les rares personnages qui avaient pu conserver la vraie foi primitive. Il y en avait sans doute ; il y a toujours eu des témoins du vrai Dieu, et l'histoire même de cette époque nous montre un de ces grands témoins, puisque nous voyons qu'Abraham rencontra Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Très-Haut, lequel était certainement prêtre du vrai Dieu. Ce n'est pas Melchisédech qui est choisi. Dieu cherche dans la Chaldée, dans une tribu de pasteurs où régnait déjà l'idolâtrie, une famille, la famille de Tharé. Là, il choisit un homme ; il l'appelle, il lui dit : « Sors de ton pays et de ta parenté, et va dans le pays que je te montrerai » (1).

 

Et c'est ainsi qu'Abraham reçoit la promesse d'être le père d'un grand peuple et cette autre promesse que toutes les nations seront bénies en lui, promesse dont nous voyons l'accomplissement, puisque le Dieu que nous adorons, c'est le Dieu d'Abraham.

Abraham a deux fils : Ismaël et Isaac. Ismaël est grand, fort, guerrier ; il doit jouer un rôle considérable dans le monde. Plus tard, un de ses descendants deviendra le maître d'une partie de la terre, et y répandra cette religion musulmane si obstinée contre le christianisme, si étrange, si puissante, qui semble indestructible, et qui, partout où elle s'établit, porte, avec une certaine notion de Dieu, la polygamie, l'esclavage, tous les désordres de la barbarie : Ismaël n'aura pas les promesses ; c'est un autre fils d'Abraham, c'est Isaac qui éclairera le monde.

 

Isaac, lui aussi, a deux fils : Jacob et Esaü. Esaü est l'aîné, il est plus fort que Jacob. Dieu le rejette. Les descendants d'Esaü resteront, auprès de la montagne de Séir, dans un petit coin de la Palestine ; obscurs, inconnus, ils se mêleront à ces foules de populations qui ont passé de maître en maître jusqu'à nos jours. Jacob n'avait aucun droit d'être préféré. Il est cependant choisi de Dieu ; Jacob sera le père du peuple Juif ; Jacob préparera l'avenir religieux de l'humanité.

Ce peuple ainsi formé, en quoi diffère-t-il des peuples voisins ? En rien, quant à la nature, si ce n'est peut-être qu'il est plus sensuel, plus cupide, plus orgueilleux. Il ressemble à tous les peuples voisins. Aucune raison naturelle, aucun mérite particulier ne demande que le peuple Juif ait des prophètes qui annonceront le vrai Dieu au monde entier, qui prêcheront une morale admirable et qui prépareront l'avènement du Christianisme, tandis que les peuples voisins n'auront que de simples devins ou de simples sorciers à la place de ces prophètes. L'unique raison de cette faveur, c'est la volonté et le libre choix de Dieu qui a élu ce peuple. Et tous les efforts qu'on a pu faire pour trouver une raison autre que celle-là sont vains. C'est Dieu qui a choisi ce peuple, non à cause de ses mérites, mais par sa simple volonté, parce qu'il voulait choisir un peuple qui le représentât dans le monde.

 

Cette même liberté de choix continue de s'attester dans la Bible. Quand il faut préparer l'homme qui établira le culte du vrai Dieu dans Israël, Dieu choisit Moïse. Son frère Aaron était plus éloquent et cependant Dieu donne mission à Moïse.

Il choisit David, le douzième des fils de Jessé, par sa simple volonté ; il en fait le chef de son peuple ; et il continue ainsi.

 

Et quand nous passons au Nouveau Testament, nous voyons que, de même, Notre-Seigneur a librement choisi ses apôtres, non parmi les plus sages ni même parmi les plus saints, mais par sa simple volonté. Il a choisi ceux qu'il a voulu envoyer, pour bien montrer qu'il est le maître, qu'il élève quand il lui plaît comme il abaisse quand il veut. Et ce sont ces apôtres ainsi choisis de Dieu, ces hommes sans littérature, sans éloquence, sans dons naturels, sans puissance, sans richesses, appartenant à une nation méprisée, maintenant élevés sur nos autels, qui iront éclairer le monde et annoncer à tous le culte du vrai Dieu. Dieu a choisi ces hommes, et non point des philosophes, comme Platon, ni les puissants du monde. Sans doute, il se sert des puissants. Il a fait choix de Cyrus pour délivrer son peuple. Il les prend et il les rejette, car il est le maître. L'histoire du peuple d'Israël nous enseigne donc la pleine souveraineté de Dieu. Et l'existence même de ce peuple étrange, aux destinées étonnantes, qui portait lui-même une vérité puissante dont il était si peu digne, tout cela c'est la preuve que Dieu est libre, qu'il accorde ses dons à qui il veut.

 

Mais cette liberté est-elle donc un caprice ? Est-elle une injustice ? Dieu rejette-t-il absolument ceux qu'il ne choisit pas ainsi ? Non, mes Frères, Dieu est le maître, Dieu est le créateur ; personne au monde ne possède rien qu'il n'ait reçu de lui. Donc, il est le maître de choisir. Il n'y a là aucun caprice. Il y aurait caprice dans une créature, mais, dans le Créateur qui a tout fait et qui distribue à chacun le rôle et les dons qui lui conviennent, il n'y a rien à dire ; nul n'a le droit de lui faire des reproches. Du reste, son choix libre est une préférence d'amour. Il aime ceux qu'il choisit, mais il aime les autres aussi. Il a des bénédictions spéciales pour Jacob, il en a d'autres pour Esaü ; il ne rejette et ne repousse que ceux qui volontairement lui résistent jusqu'au bout et ne répondent point à son amour. Cet amour est libre et gratuit, mais il s'étend à tous. D'ailleurs, n'est-ce pas le propre de l'amour d'avoir des préférences ? N'est-ce pas le propre de l'amour d'être un mouvement libre du cœur ? Cette liberté, qui convient à la nature du Créateur, est nettement et hautement affirmée dans l'Écriture Sainte, et il est bon de se la rappeler toujours. Il faut, d'ailleurs, que nous acceptions cette liberté de Dieu, parce que, après tout, elle est notre refuge et notre consolation ; car enfin, quel homme voudrait se mettre en présence d'un Dieu juste qui ne serait pas libre, d'un Dieu juste qui, principe de la justice, n'aurait pas le droit de grâce ni le droit de pardonner ? Quel homme, conscient de toutes ses misères, de toutes ses faiblesses, de toutes ses chutes, se sentant loin de l'idéal que sa conscience lui retrace, chargé de tout le poids d'un lourd passé, voudrait affronter le regard d'une justice inflexible qui serait absolument forcée de rendre à chacun selon ses œuvres ?

 

Je le sais, il en est quelques uns qui s'imaginent qu'ils seraient récompensés pour leurs œuvres, mais c'est là une étrange illusion ; car enfin, que sont donc les œuvres de l'homme, sinon l'accomplissement de la loi qui lui est imposée, à l'aide des moyens, des forces et des secours que Dieu lui a donnés ? Y a-t-il quelque chose qui vienne de lui-même, sinon l'usage de sa liberté ? Mais cette liberté même a été donnée par Dieu. Aussi l'Évangile enseigne-t-il que ceux qui auraient accompli toute la loi doivent dire : Nous sommes des serviteurs inutiles (2). Et, du reste, combien en est-il qui, même en leur supposant de grandes illusions, puissent se dire qu'ils ont accompli toute la loi de leur conscience ? Quelle sera donc notre ressource' ? Nous la trouverons dans la miséricorde de Dieu. Mais cette miséricorde, elle résulte de la liberté divine. Pour pouvoir pardonner, pour pouvoir remettre, il faut être libre. Acceptons donc la souveraineté de Dieu ; soumettons-nous à cette volonté maîtresse de tout, qui nous a créés et qui dispose de nous tout entiers. Ne cherchons de recours que dans la bonté de ce Dieu, dans sa miséricorde ; et si nous nous sentons accablés par nos fautes, effrayés par nos misères ; si nos épreuves menacent de nous submerger, c'est vers lui toujours que nous nous tournerons. Voilà l'enseignement que nous donne l'histoire d'Israël. Mais cette histoire nous donne encore un autre enseignement non moins important et non moins utile à recueillir. Elle nous découvre la fidélité de Dieu dans l'accomplissement de ses promesses ; et non seulement sa fidélité, mais aussi cette générosité surabondante par laquelle Dieu donne à ceux qui croient à ses promesses infiniment plus qu'ils n'oseraient attendre, qu'ils n'oseraient espérer.

 

Ici encore toute l'histoire d'Israël nous sert de témoignage. Toute l'histoire du peuple d'Israël, telle que nous l'avons parcourue, est l'histoire d'une longue attente, d'une longue préparation. À l'inverse de la plupart des peuples, du moins des peuples antérieurs à l'Évangile, dont l'idéal est dans le passé et qui se croient en décadence, le peuple d'Israël a toujours ses regards fixés vers l'avenir. Cet avenir est montré à Abraham sous la forme d'une bénédiction qui, d'Abraham, devait se répandre sur le monde entier. Bientôt cette pensée devient plus précise et plus claire ; bientôt les prophètes nous tracent avec plus de netteté les traits de cet avenir ; ils nous annoncent un messie, un sauveur, un grand prophète qui doit éclairer le monde entier ; ils nous montrent toutes les nations venant se prosterner devant cet homme pour recevoir de lui la lumière et la vérité ; ils nous découvrent un empire spirituel, un royaume des âmes qui occupera toute la terre et durera éternellement. Tout cela est annoncé par les prophètes ; tout cela a passé de leurs paroles dans la pensée et dans l'espérance du peuple. Le peuple ne vit que pour cet avenir. Ce peuple tout entier se tourne vers le Messie qui doit venir, vers le consolateur d'Israël, vers le Sauveur attendu. Et cependant, la religion du peuple israélite est une religion froide, vaine, dont les cérémonies, considérées en elles-mêmes, n'ont aucune valeur. Les prophètes ont soin de dire que les holocaustes et les sacrifices n'agréent point à Dieu, qu'il n'y a que le repentir du cœur qui lui plaise. Et pourquoi cela ? Parce que cette religion n'était qu'une figure, parce que le sang des victimes était l'image du sang qui devait couler sur la croix : C'est ainsi que, pendant à peu près quinze ou vingt siècles, depuis la première promesse faite à Abraham jusqu'à l'ère chrétienne, tout un peuple a vécu dans l'attente et dans l'espérance de l'avenir. Cette attente a-t-elle été réalisée ? Nous l'avons dit, nous l'avons montré, elle ne l'a point été sous la forme grossière que les Juifs s'étaient représentée, sous la forme d'un conquérant temporel, roi d'Israël d'abord, et ensuite maître du monde entier. Mais elle l'a été admirablement dans son sens vrai, dans son sens supérieur et spirituel ; elle l'a été par Jésus qui est le vrai Messie ; elle l'a été par la conversion du monde ; elle l'a été par la sainte Église qui est ce royaume spirituel des âmes promis par les prophètes. Ici, remarquez comment Dieu accomplit ses promesses, et comparez, je vous prie, ce qu'attendaient les Israélites à ce que Dieu nous a donné. C'est là que vous pourrez admirer à la fois la parfaite fidélité de Dieu et sa générosité immense. Qu'attendaient les Israélites ? Ils attendaient un grand prophète comme Moïse, comme Elie ; ils attendaient surtout un grand roi, un David, un Salomon nouveau, et qu'est-ce que Dieu nous a donné ? Nous a-t-il donné de nouveau Moïse, Elie, David, Salomon, des rois, des prophètes ? Non. Il nous a donné Jésus, Jésus le Fils de Dieu ; Jésus Emmanuel, Dieu avec nous ; Jésus le Verbe de Dieu venu sur la terre et fait chair pour nous ; Jésus dont le nom seul est la joie et la consolation du monde, dont le seul souvenir réjouit les âmes ; Jésus que nous invoquons sous tant de noms si touchants, empruntant aux prophètes leurs grandes paroles : éclat de la gloire de Dieu, ange du grand Conseil, mais y ajoutant aussi des appellations plus douces : Jésus aimable, Jésus patient, Jésus père des pauvres. Jésus donné à la place d'un homme, quelque grand que soit cet homme, quelle générosité, quelle bonté de Dieu, quelle magnificence !N'est-il pas vrai que le ciel n'est pas plus élevé au-dessus de la terre que ce que Dieu a donné est élevé au-dessus de ce qu'il avait promis ? Donc, entre la promesse même de Dieu et son accomplissement, il y a une distance infinie. Dieu nous a donné le vrai trésor des âmes, le véritable objet de l'adoration et de l'amour de toutes les générations. Il nous a donné Jésus, le Jésus de l'Évangile, le Jésus de Bethléem, le Jésus de la Passion. Qui aurait pu à l'avance imaginer, qui aurait pu espérer un tel don ? Et cependant, c'est ce que Dieu a donné. Voyez comme il est grand et généreux dans ses promesses !

 

Les Israélites attendaient une loi nouvelle qui devait se répandre dans le monde entier. La loi sortira de Sion et la parole de Dieu sortira de Jérusalem, disait Isaïe (3). Mais quelle loi attendaient-ils ? Une loi semblable à celle du Sinaï, une loi de préceptes sévères, étroits, avec des promesses temporelles et aussi des menaces temporelles. Et qu'est-ce que Dieu a donné à la place de cette loi du Sinaï que les Israélites voulaient répandre dans le monde entier ?

Il nous a donné la loi de l'Évangile ; il nous a donné le discours sur la Montagne, avec ses huit béatitudes si touchantes : « Bienheureux ceux qui souffrent, bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés ; bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ». Il nous offre la loi de l'Évangile avec l'incomparable idéal qu'elle propose et les vertus qu'elle préconise ; pureté parfaite qui repousse les mauvaises pensées comme les mauvaises actions, haine de l'hypocrisie, modestie qui fuit les regards, charité qui pardonne toutes les offenses, qui ne soupçonne et ne condamne personne. L'ancienne loi qui courbait tout le monde sous le joug de préceptes extérieurs, invitait pour ainsi dire les hommes à se critiquer les uns les autres ; car, lorsqu'une loi regarde le dehors, les infractions se montrent d'elles-mêmes. Mais au contraire, l'Évangile nous dit : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés », montrant ainsi qu'il faut tout réserver au jugement de Dieu qui connaît le fond des cœurs. Et cependant, par la bonté de Dieu, un tel idéal n'est pas inaccessible à l'humanité, malgré ses faiblesses. Voilà ce que l'Évangile nous a donné, au lieu de la loi du Sinaï. Jérémie avait dit que Dieu contracterait avec Israël une nouvelle alliance qui ne ressemblerait pas à l'ancienne (4), mais il ne savait pas ce que serait cette alliance, Or, quelle est cette nouvelle alliance ? Cette alliance nouvelle, c'est l'adoption des enfants de Dieu ; cette alliance, l'Évangile l'a définie par ces paroles : « Tous ceux qui ont reçu le Messie, il leur a donné le don d'être enfants de Dieu, parce qu'ils sont nés non de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu même (5). » Cette alliance, c'est la grâce déposée en nous comme la semence du bonheur, c'est l'habitation de Jésus-Christ dans nos âmes ; c'est une participation étonnante de la nature divine ; c'est Dieu s'unissant à l'homme et adoptant l'homme comme son enfant ; ce sont des grandeurs et des profondeurs mystérieuses dont rien ne pouvait donner idée auparavant.

 

Les Israélites attendaient la conversion des nations, et la venue de tous les peuples à Jérusalem, à la colline de Sion, pour y adorer Jéhovah. Au lieu de cette Jérusalem terrestre, de cette ville où les peuples se seraient pressés et n'auraient pu entrer que l'un après l'autre, qu'est-ce que Dieu nous a donné ? La Jérusalem céleste, la sainte Église qui couvre le monde entier, qui partout adore le Seigneur en esprit et en vérité, où tous les peuples viennent, où ils reçoivent la lumière, où on leur enseigne la justice, où ils trouvent le pardon, la grâce, le secours. « Je me suis réjoui, disait David, en pensant que je viendrais à Jérusalem, parce que là sont les sièges de justice, parce que là viennent les tribus du Seigneur (6). » Cette Jérusalem, c'est l'Église. Comme le don de Dieu est infiniment supérieur à tout ce que nous pouvions espérer ! Jésus, la loi nouvelle ; Jésus, l'Église ! Et encore, je l'oubliais, et cependant il ne faut pas l'oublier, dans cette Église et à côté de ce Sauveur, la Sainte Vierge, la Mère de nos âmes, la Vierge bénie, cette mère qui console et relève les pécheurs ; mère admirable dont l'idéale pureté s'accorde si bien avec une miséricorde infatigable ; qui exerce le ministère du pardon et non celui de la justice. Tout cela était inconnu aux Israélites, tout cela est nouveau, tout cela nous a été donné. Et au centre de l'Église, au centre de ce sanctuaire, que voyons-nous ? À la place des victimes de l'ancienne loi, à la place des taureaux et des boucs immolés par les prêtres et dont le sang coulait autour de l'autel, nous voyons la sainte victime du Calvaire. Déjà, sans doute, Isaïe l'avait annoncée, et, dans un admirable chapitre que je vous ai lu, nous avait montré, souffrant pour les pécheurs, souffrant pour son peuple, cette victime dont les meurtrissures nous ont sauvés. Et cependant, entre ce tableau d'Isaïe que les Juifs n'ont pas compris et le tableau de la Passion, quelle différence ! Quel spectacle nous offre cet agneau de Dieu, quand nous le suivons, arrêté auprès du torrent de Cédron, traîné chez Pilate et au Calvaire ; quand nous entendons ses paroles ; quand nous voyons sa patience, sa douceur au milieu des outrages, et qu'enfin nous le voyons mourir en pardonnant à ses ennemis ! Qui aurait jamais cru que Dieu pût faire une telle chose pour les hommes, qu'il viendrait sur la terre, et qu'il s'offrirait en victime pour sauver les pécheurs ? Qui l'aurait imaginé, et qui jamais en aurait eu la pensée ?

 

Cette victime sans doute est remontée au ciel, mais elle reste encore sur la terre, elle est ici même, dans la sainte Eucharistie. Dans nos tabernacles, nous avons non point la manne du désert, mais le vrai pain, descendu du ciel. Jésus est ici, victime et pontife, adorateur de son Père et adoré par les hommes. Ici et partout s'offre le sacrifice qu'annonçait Malachie : « Depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher on offre à mon nom dans toutes les nations une oblation pure (7) ».

Le soleil, en se levant successivement sur toutes les régions de la terre, voit monter le prêtre à l'autel pour offrir la victime sainte. Cette victime demeure sur nos autels, entourée d'adorateurs, et intercédant toujours ; le soleil les y laisse le soir, il les rencontre encore le lendemain. Et ainsi le culte du vrai Dieu et de la victime du Calvaire ne cesse jamais nulle part. Encore une fois, qui eût osé prévoir de telles merveilles ? Reconnaissons-le, Dieu est fidèle à ses promesses, mais fidèle d'une fidélité qui nous dépasse, car il donne infiniment plus qu'il n'avait promis.

 

Et maintenant, mes frères, de ces pensées, tirons des conclusions qui nous regardent personnellement. Le peuple d'Israël attendait la venue du Messie. Le Messie est venu, les promesses et les prophéties réalisées ont donné infiniment plus qu'on n'espérait. Et nous aussi, mes frères, nous attendons ; nous attendons la révélation de Dieu, les merveilleuses réalités de la vie future. L'attente de chacun de nous est moins longue que celle des patriarches qui, sur la terre et ensuite dans les limbes, ont attendu pendant des siècles la visite du Messie ; moins longue que celle de l'humanité qui attend, qui attendra peut-être si longtemps encore le dernier jour, le jour de Dieu. Plus heureuse que les patriarches, toute âme, si elle est tout à fait pure, entre tout de suite dans la gloire. Celles qui ne sont pas encore purifiées de leurs fautes, doivent sans doute attendre et expier, mais Dieu permet que le temps de leur exil soit abrégé par les prières des fidèles ; et pour parvenir à la béatitude, elles ne sont pas obligées d'attendre le grand jour où Dieu paraîtra. Et quant aux réalités que contemplent dès à présent les saints, que nous espérons contempler un jour, pouvons-nous nous faire une idée qui nous contente ? Quand bien même pour nous représenter cet avenir, nous nous aiderions de la pensée des biens que nous possédons ici-bas, de tous les trésors que recèlent l'Eucharistie et l'Église, nous n'y parviendrions pas. Est-ce que les Israélites, avec tout ce qu'ils possédaient, avec tout ce qu'ils savaient de leur passé, ont jamais pu comprendre ce que serait l'Église ? Ne nous étonnons donc pas de ne point comprendre ce que c'est que le ciel. Mais ce que nous savons, ce que la foi nous apprend, c'est que Dieu est l'amour, que Dieu est tout-puissant, et que, dans le ciel, sa puissance sera au service de son amour infini pour verser des torrents de joie dans les âmes qu'il récompensera. Ce que nous savons, c'est que cette béatitude dépassera toutes nos pensées. Le prophète Isaïe nous dit en parlant de Jérusalem : « Regardez Sion, la ville de nos fêtes, c'est là seulement que Dieu montre sa magnificence (8) ». Et bien, ce que nous disons de la Sion spirituelle, de l'Église, nous le disons à plus forte raison du ciel. C'est là surtout que nous connaîtrons bien la magnificence, la générosité, la bonté infinie de Dieu. Dès ici-bas, cependant, noms savons une chose, c'est que Dieu aime ses créatures, les aime toutes, ne détruit jamais ce qu'il a fait. Il ne détruit que les impuretés et les souillures qui viennent de l'homme ; il laisse subsister tout le reste. Affection, amitié, courage, amour du beau, tout ce qui sur la terre élevait la pensée, agrandissait l'âme, se retrouvera, transformé et idéalisé, dans cette vie future, d'où le péché seul sera absent. Et au-dessus des biens d'ici-bas, nous découvrirons des merveilles d'une hauteur et d'une profondeur sans limites. Nous verrons clair dans ce mystère de la grâce, lequel sur cette terre s'entrouvre à peine à nos regards ; nous contemplerons la perfection, la grandeur, la beauté de l'Être infini ; et nous reconnaîtrons que, de même que Dieu a dépassé infiniment ce qu'il avait promis aux Israélites par ses prophètes, ainsi il dépassera par ses dons tout ce que nous pouvions concevoir et espérer. Restons sur ces pensées, et rappelons-nous les paroles de saint Paul que nous lisions dans l'épître de ce jour. L'apôtre, après avoir raconté ses travaux, ses persécutions, ses naufrages, ses flagellations, ses tourments, toute son existence de sacrifices qui devait s'achever par le martyre, s'écrie : « La tribulation momentanée et légère de la vie présente produit en nous un poids immense de gloire (9) ». Voilà ce qu'étaient pour saint Paul, au prix de la gloire future, toutes les souffrances d'ici-bas. Comprenons qu'appelés à un bonheur infini, nous ne devons pas même essayer de le comprendre.

Abandonnons-nous à la fidélité de Dieu, espérons en sa miséricorde, et attendons l'avenir qu'il nous prépare.

 

Une autre parole de saint Paul résumera tout ce que nous venons de dire. « L'œil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, le cœur de l'homme n'a jamais compris ce que Dieu prépare à ceux qui l'aiment. Oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit quæ præparavit Deus iis qui diligunt illum (10). »

 

 

 

(1) Gen., XII, 1.

(2) Luc, XVII, 10.

(3) Isaïe, II, 3.

(4) Jérem., XXI, 31.

(5) Joan., I, 12, 13.

(6) Ps., CXXI, 1.

(7) Malach. I, 11.

(8) Isaïe, XXXIII, 20.

(9) II Cor., IV, 17.

(10) I Cor., II, 9.