PREMIERE PARTIE.
ESQUISSE DE LA VIE D'ANNE-CATHERINE EMMERICH.
Anne-Catherine Emmerich naquit de paysans pauvres, mais pieux, habitant le hameau de Flamské, à une demi-lieue de Coesfeld (Voir dans l'Appendice, n° 6, des détails sur Flamské et sur Coesfeld.) et à cinq milles de Munster, en Westphalie. Elle naquit le 8 septembre 4774, et fut baptisée en l'église de Saint-Jacques de Coesfeld, dont dépendait le hameau de Flamské. Elle reçut les premières leçons à l'école du village.
De même qu'un certain nombre de saints personnages, elle fut prévenue, dès sa plus tendre enfance, de grâces extraordinaires : ainsi son ange gardien se montrait à elle, le Sauveur lui apparaissait sous les traits d'un enfant ou d'un jeune homme, la sainte Vierge se présentait. à elle au milieu des champs et dans les prés, sous la forme d'une femme au port majestueux, aussi belle que bienveillante. Comme elle s'imaginait, dans sa simplicité d'enfant, que beaucoup d'autres personnes avaient ces mêmes avantages sans cependant en parler, elle ne s'étonnait guère de ce qu'elle voyait, et elle en vint bientôt, surtout en grandissant, à s'imposer sur ce sujet le silence le plus absolu. Voyant, avec une candeur naïve qui s'inspirait. uniquement des lumières de la foi, un ami fidèle dans son ange gardien, une Mère dévouée dans la sainte Vierge, un frère et un fiancé dans Notre-Seigneur, il lui semblait naturel que ces saints personnages eussent ainsi des rapports familiers avec leur amie, leur fil le, leur soeur, leur fiancée. Elle eut aussi de très - bonne heure le privilège de distinguer tout ce qui était saint, consacré par les bénédictions de l'Eglise ou bon et salutaire, des objets profanes, non bénits ou nuisibles. Ainsi, dès ses plus tendres années, elle recueillait les herbes bonnes et utiles et les replantait aux environs de l'humble maison de ses parents ; au contraire, elle arrachait celles qu'elle savait être nuisibles ou vénéneuses. Un prêtre venait-il à passer, avec ou sans le Saint-Sacrement, à une distance plus ou moins considérable de la maison de ses parents ou de l'endroit où elle gardait les vaches, elle y courait aussitôt afin de recevoir la bénédiction du divin Sauveur présent sous les espèces du pain, ou du moins celle de son ministre. Elle eut aussi, durant toute sa vie, le privilège de reconnaître, sans jamais se tromper, les reliques des Saints : souvent même elle pouvait raconter toute l'histoire du saint avec les reliques duquel elle se trouvait en contact. Surtout elle avait les rapports les plus intimes et les plus familiers avec les saintes âmes du Purgatoire ; elle sentait qu'elles imploraient son assistance, elle répondait à leur appel et faisait pour elles tout ce qui était en son pouvoir. Souvent, dans sa jeunesse, elle se sentait réveillée par ces pauvres âmes; et, malgré les rigueurs de l'hiver, elle suivait avec elles, nu - pieds et pendant des heures entières, les stations du Chemin de la Croix de Coesfeld. Jeune encore, elle éprouvait la compassion la plus délicate pour les pauvres, et, en général , pour tous ceux qui souffraient : elle consolait !es affligés, réconciliait les familles divisées, soignait les malades, pansait les blessés, et donnait aux pauvres tout ce dont elle pouvait disposer. D'une extrême délicatesse de conscience, elle évitait le péché avec le plus grand soin : la moindre faute l'inquiétait jusqu'à lai rendre malade.
Malgré ces privilèges extraordinaires accordés à ses plus tendres années, elle se conduisait extérieurement comme une humble et pauvre fille de la campagne, et partageait tous les travaux de sa famille, sans en excepter les plus rudes. A ces travaux, comme tous les véritables serviteurs et servantes de Dieu, elle joignait la mortification portée à un degré très-élevé. Dès ses plus tendres années, elle ne s'accorda, en fait de sommeil et de nourriture, que le plus strict nécessaire; chaque nuit, elle passait plusieurs heures en prières, parfois à genoux en plein air, et même, en hiver, au milieu de la neige. Elle couchait sur la dure, par terre, sur des morceaux de bois figurant une croix. Elle mangeait et buvait ce que les autres refusaient, donnant le meilleur aux pauvres et aux malades. S'agissait-il de voir ou d'entendre quelque chose qui n'intéressait ni Dieu ni la religion et où tout le monde courait, elle restait au logis, en alléguant quelque prétexte plausible, ou bien, si la chose se passait à ses côtés, elle détournait les yeux et fermait les oreilles.
Un jour, c'était dans sa seizième année, elle travaillait dans les champs avec ses parents et ses frères et soeurs. La cloche du couvent des Annonciades de Coesfeld qui sonnait l'Angelus, excita en elle un si vif désir de la vie religieuse, qu'elle tomba en défaillance, et qu'il fallut la porter chez elle. Les démarches qu'elle fit successivement pour entrer au couvent en différents lieux, restèrent sans résultat. Sur ces entrefaites, elle alla apprendre la couture chez une pieus e femme de Coesfeld; au bout de quelques années, ayant économisé, par son travail, une petite somme de vingt thalers, elle s'établit chez un excellent chrétien de la petite ville, qui était organiste, afin d'apprendre à toucher l'orgue, espérant que, grâce à ce talent, il lui serait plus facile d'obtenir son entrée dans un couvent. Cependant, le besoin qu'elle éprouvait de servir les pauvres et de leur abandonner tout ce qu'elle possédait, ne lui laissait point le temps d'apprendre la musique : les vingt thalers qu'elle avait si péniblement amassés, passèrent entre les mains des pauvres; encore sa mère se voyait-elle obligée de lui apporter à la ville, pour ses chers pauvres, du pain, du beurre, du miel et des ufs.
Vers cette époque, à l'âge de vingt-quatre ans, un jour que, vers midi, elle priait, à genoux devant un crucifix, à la tribune de l'église des Jésuites de Coesfeld, et qu'elle était plongée dans une profonde méditation, elle fut favorisée d'une apparition. Elle vit, d'après ce qu'elle rapporta ensuite, Notre-Seigneur Jésus-Christ sortir de l'autel, du tabernacle, sous les traits d'un jeune homme rayonnant de lumière, s'approcher d'elle, et lui présenter, de la main gauche, une couronne de fleurs, et, de la droite, une couronne d'épines. Choisissant la couronne d'épines, elle la prit, la plaça elle-même sur sa tête et l'y enfonça avec les deux mains; alors Notre-Seigneur disparut. Elle ressentit à cette occasion de violentes douleurs à la fêle. Quelque temps après, une déchirure apparut au front, et il en sortit du sang en abondance. Les personnes qui vécurent plus tard avec elle, observèrent souvent en plein jour, et cela durant des années entières, des gou ttes de sang qui lui coulaient sur le front et sur le visage.
Longtemps elle avait fait des efforts inutiles pour être admise dans tel ou tel couvent : chez les Augustines de Borken, chez les Trappistines de Darfeld, chez les Clarisses de Munster, et toujours ces démarches avaient échoué, soit à cause de sa pauvreté, soit à cause du dénuement de ces religieuses. Enfin, son plus ardent désir fut réalisé. L'excellent Sontgen, l'organiste de Coesfeld, qui lui avait appris à toucher de l'orgue et qui l'avait reçue dans sa maison, avait une fille qui songeait à entrer au couvent des Augustines de Dulmen, connu sous le nom d'Agnétenberg, et qu'on désirait recevoir à cause de son rare talent comme musicienne. Le père de la jeune tille déclara qu'il ne consentirait à laisser entrer sa fille au couvent, qu'à condition qu'on accepterait en même temps Anne-Catherine. Les Augustines souscrivirent à cette condition, bien que d'assez mauvaise grâce. La seule pensée d'Anne Catherine, en entrant dans le couvent, était de servir Notre-Seigneur dans un genre de vie plus parfait, et de pouvoir se consacrer à lui en qualité de fiancée; quoi qu'il en soit, Notre-Seigneur, en lui donnant cette vocation, avait voulu lui ménager dans la vie religieuse une occasion de marcher à sa suite dans les voies difficiles de la croix. Elle y eut beaucoup à souffrir, soit parce que, ne comprenant pas les grâces extraordinaires qui lui étaient accordées, et que, avec la meilleure volonté du monde, il ne lui était pas toujours possible de cacher, on se méprenait sur leur nature, on les interprétait en mauvaise part, et on se permettait contre elle des propos et des procédés contraires à la charité, procédés et propos dont Catherine avait connaissance, et qui lui faisaient beaucoup de peine ; soit encore parce qu'elle y voyait de fréquents manquements contre la règle, lesquels lui étaient d'autant plus pénibles, qu'elle avait pour cette règle sainte le respect le plus religieux; et, comme elle se croyait obligée de faire pénitence pour les péchés des autres, et en particulier pour ceux des personnes avec lesquelles elle vivait, on la voyait souvent passer de longues heures dans l'église, pleurant sur les fautes et les faiblesses du prochain. Elle supportait l'épreuve et la maladie avec beaucoup d'amour et de patience; elle était infatigable au travail, aidait ses soeurs, et témoignait à toutes un égal amour; enfin, malgré toutes les privations et les causes de tristesse qu'elle avait trouvées au couvent, elle y était heureuse, parce qu'elle pouvait y servir Dieu. Elle éprouvait aussi un désir si a rdent de la sainte communion que, parfois, quand elle ne pouvait le satisfaire, elle semblait devoir mourir ; aussi l'autorisa-t-on à communier plus souvent que les autres.
Le 13 novembre 1803, elle prononça ses veux solennels, et devint ainsi la fiancée du Sauveur. Ce fut surtout à partir de cette époque qu'il se plut à la combler de ses grâces, de ses faveurs spéciales. La pauvreté du couvent était telle, qu'elle n'avait dans sa cellule qu'une chaise sans fond et une autre sans dossier ; cependant, cette humble cellule lui paraissait aussi riche et aussi magnifique que si le ciel entier s'y fût trouvé ; c'était là qu'elle entretenait avec son Dieu le plus délicieux commerce. Souvent, emportée d'un ardent désir de communier, elle quittait sa cellule pendant. la nuit et descendait à l'église, ou bien, quand celle-ci était fermée, elle s'agenouillait contre la porte ou auprès de la muraille, et, les bras étendus en forme de croix, elle passait ainsi de longues heures, même dans la saison la plus rigoureuse, jusqu'à ce que le prêtre vînt lui donner la nourriture sainte après laquelle elle soupirait.
Comme elle était d'un tempérament extrêmement délicat, et que, au couvent, ainsi que chez elle, malgré ses mortifications extraordinaires, elle se livrait aux travaux les plus rudes du jardinage ou du ménage, elle fut souvent visitée par la maladie; plus souvent encore les douleurs physiques de toute nature qu'elle éprouvait, avaient leur fondement dans la charité profonde et touchante qui la porta toute sa vie à se substituer aux souffrances et aux misères des autres; ainsi, elle conjurait Notre-Seigneur de lui envoyer la maladie à la place de telle personne qui ne l'aurait pu supporter avec la patience nécessaire, ou bien, ell e s'offrait à lui pour payer la dette contractée par le prochain envers la justice divine, et Dieu la châtiait en épargnant le coupable ou en donnant à la personne qu'elle lui avait recommandée les grâces particulières qui lui étaient nécessaires. La plupart de ses maladies étaient donc celles du prochain dont elle s'était chargée, des pénitences pour les péchés d'autrui, des satisfactions pour les aines nécessiteuses de l'Eglise militante ou de l'Eglise souffrante.
Dans le courant de l'année 1807, comme elle avait été passer quelques jours clans sa famille, elle était agenouillée depuis plusieurs heures au pied d'un crucifix miraculeux de l'église de Saint-Lambert de Coesfeld ; dans lu ferveur de sa méditation, elle s'unit intimement aux souffrances du Sauveur sur la croix et conjura le Père éternel de lui accorder la gr&ac irc;ce de ressentir en elle une partie de ses douleurs. Depuis ce moment, elle ne cessa jamais d'éprouver aux pieds et aux mains des douleurs extrêmement vives qui allèrent souvent jusqu'à l'empêcher de marcher et de travailler.
Vers la fin de l'année 1811, sous le gouvernement de Jérôme, roi de Westphalie, le couvent des Augustines de Dulmen fut supprimé ; on ferma l'église, et les religieuses furent obligées de se disperser. Anne-Catherine, malade et réduite au plus complet dénuement, fut, provisoirement laissée au couvent avec une vieille fille qui s'attacha à elle par charité. Un vieux prêtre français émigré, le Père Lambert, qui disait la messe chez les Augustines, y fut aussi laissé jusqu'au printemps de l'année 1812, époque à laquelle ils quittèrent en même temps la maison. Catherine était encore si malade qu'elle ne pouvait marcher; on dut la porter à son nouveau domicile. Elle occupa une petite chambre au rez-de-chaussée chez une pauvre veuve; elle y continua, au milieu de souffrances non interrompues, une vie consacrée à Dieu seul. Dès ses plus tendres années, elle avait conjuré le Seigneur de lui imprimer sur la poitrine l'image de sa croix, afin qu'elle ne fût pas exposée à oublier son amour, mais jamais elle n'avait songé à solliciter la faveur d'une empreinte extérieure et sensible. Rejetée au milieu de ce monde qu'elle avait fui, elle continua la même demande avec des instances encore plus grandes. Le 13 août 1812, jour de la fête de saint Augustin, patron de son ordre, comme elle était plongée dans la contemplation, elle vit Notre-Seigneur s'approcher d'elle sous la forme d'un jeune homme aux traits lumineux et former avec la main droite un signe de croix sur sa poitr ine. Dès lors, elle porta dans cette région l'empreinte d'une croix ayant une teinte analogue à celle des signes de naissance. Quelques semaines plus tard, comme elle était également occupée à prier, elle vit la même apparition s'approcher d'elle, et lui présenter de la main droite une petite croix, ayant à peu près la forme d'un Y. Anne-Catherine la saisit avec amour, la pressa contre sa poitrine et la rendit au Sauveur. Au bout de quelque temps, elle ressentit à la main une douleur aiguë, qui alla toujours en augmentant, et bientôt elle put y voir une croix rougeâtre qui brillait à travers la peau et qui avait précisément la même forme. Elle dit quelque chose de ce phénomène à l'une de ses consoeurs qui avait sa confiance, et bientôt on commença à parler dans la ville et ailleurs de ce qu'il y avait de singulier dans son état.
- Le jour des morts de l'année 1812, elle sortit pour la dernière fois, et se traîna péniblement jusqu'à l'église. Depuis ce jour ,jusqu'à la fin de la même année, son mal fit de tels progrès qu'on s'attendait à la voir mourir; on lui donna même tous les sacrements de l'Eglise. Vers la fête de Noël, une seconde croix apparut sur le sternum, au-dessus de la première. D'abord, les deux croix superposées laissèrent suinter tous les samedis, sauf quelques exceptions, un certain nombre de petites gouttes de sang. Plus tard le suintement eut lieu le vendredi, mais en devenant de plus en plus rare; cependant il se produisit toujours de temps à autre, mais surtout le vendredi saint. Ce fut vers la fin de l'année 1812 qu'eut lieu la stigmatisation. Le 29 décembre à trois heures de l'après-dîner, elle était couchée sur son lit dans sa modeste chambre, le s bras étendus et dans l'immobilité extatique. Elle contemplait la passion du Sauveur, et, dans son ardente compassion, elle sollicita la grâce de souffrir avec lui. Tout à coup elle aperçut une grande lumière qui descendait sur elle du haut du ciel, et, dans cette lumière, la forme lumineuse du Sauveur crucifié, mais vivant : ses plaies brillaient comme cinq sphères lumineuses. Le coeur de la soeur Emmerich se sentit agité en même temps d'une grande douleur et d'une grande joie; son désir de partager les souffrances du Sauveur s'accrut encore à la vue de ses plaies. Des mains, des pieds et du côté de l'apparition se détacha un triple rayon lumineux dans la direction de ses mains, de ses pieds et de son côté. A l'instant même, des gouttes de sang apparurent à ces différents endroits. Un jeune enfant, la fille de son hôtesse, était entrée dans sa cham bre pour la visiter; elle remarqua le sang qui suintait des mains et en parla à sa mère; celle-ci, inquiète, interrogea la soeur sur ce qui s'était passé, et Anne-Catherine dut la satisfaire, en lui recommandant la discrétion. Dès lors, elle ressentit des douleurs très aiguës aux endroits correspondant aux plaies du Sauveur; il lui semblait que la circulation du sang était, en ces endroits, beaucoup plus violente et plus rapide.En même temps que la paralysie de ses jambes la condamnait à ne plus quitter son lit, elle dut cesser pour ainsi dire complètement l'usage de tout aliment. Tout ce qu'il lui était possible de prendre, ce fut d'abord un peu de vin coupé d'eau, puis seulement, et rarement, quelques gouttes de jus de cerise ou de prune; quand elle prenait quelque autre aliment, elle était obligée de le vomir avec les efforts les plus pénibles. Dans le principe, ces phé nomènes extraordinaires demeurèrent cachés, et on ne commença à en parler dans la ville que vers le mois de mars 1813. Le 25 de ce mois, M. Rensing, doyen de Dulmen, adressa à ce sujet un rapport au vicaire général , qui administrait alors le diocèse de Munster, Clément Droste de Vischering, qui fut plus tard archevêque de Cologne; celui-ci se rendit à Dulmen trois jours après, le 28 mars, avec M. De Druffel, membre du comité de médecine et le vénérable Overberg (Voir dans l'Appendice, n.1, une notice biographique sur Bernard Overberg.) ; ils consacrèrent ce jour-là et le lendemain à une enquête sévère touchant les choses extraordinaires que l'on attribuait à la soeur Emmerich. Le 30, il chargea le doyen, par des instructions détaillées, de se livrer à des observations quotidiennes et de les consigner par écrit; il donna des instructions analogues au médecin Krauthausen qui, depuis l'époque où la soeur était entrée au couvent, l'avait vue souvent dans le cours de ses nombreuses maladies.
Les instructions avaient été rédigées par de Druffel. Jusqu'à la fin du mois de juin 1813, les deux commissaire; envoyèrent de temps à autre à Munster le résultat de leurs observations. Le 30 mars, le vicaire-général interrogea la soeur Sontgen, qui avait été au couvent la compagne d'Anne-Catherine, et l'invita à dire tout ce qu'elle savait sur son compte; celle-ci s'empressa de le satisfaire. Le 7 et le 10 avril, les mêmes commissaires se transportèrent encore à Dulmen ; la dernière fois, ils restèrent même jusqu'au 23. Overberg la visita de nouveau le 10 mai. Vers la même époque, le doyen Rensing inte rrogea, sur la conduite qu'elle avait tenue durant son séjour au couvent, les personnes qui l'y avaient connue, en même temps que son ancien confesseur de Coesfeld. Le Père Reckers, de l'ordre de Saint-François et professeur au collège, se livrait dans la petite ville à des investigations analogues, et interrogeait les personnes qui avaient eu des rapports avec elle. Enfin, un certain nombre d'habitants de la ville qui se relevaient d'heure en heure, montèrent en quelque sorte la garde autour de son lit, depuis le 10 juin à huit heures, jusqu'au 19 vers midi ; ils devaient spécialement constater de quoi elle se nourrissait, et s'assurer que le suintement de ses plaies n'était pas dû à quelque opération ou quelque artifice. M. Droste de Vischering avait chargé un médecin étranger de diriger ces investigations.
Toutes ces observations eurent pour résultat de confirmer ce qu'on a dit plus haut des choses extraordinaires qui se passaient en la soeur Emmerich. Plusieurs médecins étrangers, que l'on avait fait venir à Dulmen, se réunirent, sur lordre exprès du vicaire-général, auprès du lit de la soeur. Le docteur Wesener, qui était fort jeune à cette époque, et qui fut nommé plus tard médecin-régional en résidence à Dulmen, l'interrogea le 23 mai, et se convainquit, contre son attente, de la vérité des choses extraordinaires que l'on attribuait à la soeur. Plus tard, il devint son médecin à la place de Krauthausen, et fut, jusqu'à sa mort, l'ami et l'admirateur de la sainte fille. Overberg commença dès lors à passer chaque année plusieurs jours à Dulmen, et resta toujours le consolateur et le confesseur extraordinaire de la soeur. Ces visites fréquentes, surtout celles occasionnées par ces enqu& ecirc;tes, lui furent d'autant plus pénibles, qu'elles troublaient la paix et le recueillement qui lui étaient si chers; ainsi, les signes qu'elle portait en elle par la volonté du divin Maître, lui devinrent une source abondante d'embarras et de souffrances.
Overberg procura à la soeur Emmerich la connaissance du comte Frédéric-Léopold de Stolberg (Voir dans l'Appendice n°2, une notice biographique sur la comte de Stolberg.); dans le courant du mois de juillet 1813, il se rendit à Dulmen avec toute sa famille, il devait, plus tard, dans une lettre que l'on a rendue publique, proclamer la réalité de toutes les choses extraordinaires que l'on attribuait à la soeur, et témoigner de son admiration pour elle. La même année, 0verberg conduisit à Dulmen la fille de la noble et célèbre princesse Gallitzin ; ils y passèrent plusieurs jours, et furent l'un et l'autre témoins du suintement de toutes ses plaies; cette femme distingué e retourna plusieurs fois à Dulmen, et resta constamment en union de prières avec la pieuse fille. Bien d'autres familles affligées, de toute condition, devaient également trouver consolation et édification auprès de la couche de la soeur Emmerich.
Dans le mois d'octobre 1813, on la transporta dans une autre chambre, qui donnait non plus sur la rue, mais sur un jardin. Elle eut dès lors beaucoup à souffrir de l'indiscrétion d'un grand nombre de visiteurs, dont la plupart n'étaient attirés que par la curiosité et l'amour de l'extraordinaire.
En 1817, sa bonne et pieuse mère, alors fort âgée, quitta son village pour avoir la consolation de mourir auprès de sa fille. Catherine lui rendit tous les devoirs de l'amour le plus délicat, et lui prodigua les consolations et les secours spirituels jusqu'à l'époque où elle lui fut enlevée, le 15 mars de la même année.
En septembre 1818, l'illustre Sailer vint de Francfort à Dulmen avec le célèbre poète et romancier Clément Brentano (Voir dans l'appendice, n° 3 et 4, des notices biographique sur Monseigneur Sailer et Clément Brentano.). Quelque temps après, le vendredi 23 octobre, Saler passa seul avec elle une journée presque entière; il constata la réalité du suintement des pieds, des mains et du côté, et elle reçut de lui les consolations les plus abondantes.
Il se convainquit avec un grand bonheur de son état extatique, de sa soumission parfaite à ses supérieurs, de son empressement à obéir (il suffisait d'un ordre donné par son supérieur pour la faire sortir instantanément de l'extase), de la s ensibilité merveilleuse qui lui faisait, reconnaître les reliques et tous les objets saints et consacrés, ainsi que de l'effet que produisait sur elle la bénédiction du prêtre. Elle se confessa à l'habile directeur, dont toute l'Allemagne admirait la sainteté et les lumières, et reçut de ses mains la sainte communion. Il demeura son ami jusqu'à l'heure de sa mort, pria pour elle, et réclama le secours de ses prières dans plusieurs circonstances d'une haute importance. Quant à Clément Brentano, il se fixa à Dulmen, où il avait trouvé, comme il se plaisait
à le dire, un port après la tempête. Il y attirait ses amis, heureux qu'il était de faire connaître aux autres le trésor qu'il avait découvert, ainsi le jeune Melchior de Diepenbroek, qui devint plus tard prince-évêque de Breslau et cardinal (Voir dans l'appendice, n° 5, la notice biographique sur le cardinal de Diepenbroek.).
Sauf une absence de quelques mois, Brentano resta à Dulmen jusqu'à la mort de la soeur, passant chaque jour plusieurs heures auprès d'elle, observant ce qui se passait et sollicitant de son amitié des communications auxquelles elle se prêtait avec une grande complaisance. Il écrivit jour par jour ce qu'il observait en elle; ou ce qu'elle lui disait des phénomènes tant intérieurs qu'extérieurs qui marquaient son existence. C'est à l'aide des notes recueillies à la suite de ces communications que Clément Brentano devait publier la Douloureuse Passion de Notre-Seigneur, et la veuve de son frère Christian, qui avait fait aussi plusieurs apparitions à Dulmen, la Vie de la sainte Vierge. C'est à la même source qu'est empruntée la Vie de Notre-Seigneur, qui vient enfin d 'être publiée à la grande joie des amis de la pieuse fille.
Depuis longtemps Catherine conjurait le Seigneur de la délivrer des signes qu'elle portait en son corps, afin de ne plus être exposée, comme elle l'était alors, à des dérangements continuels; enfin, au bout de sept ans, sa prière fut exaucée. Vers la fin de l'année 1819, les suintements ordinaire devinrent plus rares et finirent par cesser entièrement; le 25 décembre, les croûtes des plaies des mains et des pieds tombèrent, et quand la peau se fut renouvelée, on n'y vit plus que des cicatrices d'un blanc brillant qui prenaient une teinte rouge aux jours consacrés à rappeler les mystères sanglants du Sauveur. Les douleurs demeurèrent ce qu'elles étaient auparavant. Les empreintes de la croix et la plaie du côté droit restèrent sans la moindre modification. L'impression d'une large couronne d'épines enfoncée dans sa tête, était pour elle un tourment cruel qu'elle ressentait plus ou moins vivement aux jours consacrés à la passion du Sauveur. Elle ne pouvait alors ni soulever, ni appuyer la tête, ni en approcher la main, et elle passait de longues heures, tristement assise sur son lit, la tête à moitié soulevée et appuyée à peine sur des oreillers; on eût dit une personnification de la douleur. Il se produisait toujours en cette circonstance un suintement de sang plus ou moins considérable. Le vendredi saint de l'année 1819, toutes ses plaies se rouvrirent de nouveau et laissèrent couler du sang pour se refermer le lendemain.
Cependant Dieu lui avait réservé une épreuve extraordinairement pénible. Au mois d'août de l'année 1819, on vit arriver à Dulmen une commission composée d'ecclésiastiques, de m&e acute;decins, de savants, et chargée par le gouvernement de la soumettre à un examen des plus sévères. On l'enleva de sa chambre, et on la transporta de vive force dans une autre maison, où on la coucha sur un lit placé au milieu d'une grande chambre soigneusement fermée ; et à partir du 10 août, elle fut gardée à vue, sans interruption par une femme que l'on avait amenée de Munster, et presque sans interruption par deux médecin ou d'autres membres de la commission, lesquels se tenaient dans le cabinet par lequel on devait passer pour arriver à la chambre principale. Aucune personne du dehors ne pouvait communiquer avec elle. Ce même jour, au matin, la commission examina soigneusement le lit, les draps de lit, les autres objets analogues, enfin le linge qu'elle devait mettre, afin de s'assurer qu'il ne s'y trouvait aucun objet avec lequel elle pût se blesser et faire couler son sang; on poussa les pr&e acute;cautions jusqu'à examiner attentivement ses ongles. On trouva, dans cet examen, une croûte d'un rouge foncé à la partie supérieure de la plaie du pied gauche ; de plus la chemise qu'on lui avait fait changer portait des taches rougeâtres assez prononcées aux parties qui correspondaient au côté droit de la poitrine et au coup de lance du flanc gauche. On l'obligea à prendre des aliments, bien que en petite quantité. Elle obéit, mais chaque fois elle fut obligée de vomir soit immédiatement, soit peu de temps après, ce qu'elle avait pris; de plus elle se trouva dans un état tout à fait alarmant. Le 13 étant un vendredi, on l'examina encore de plus près; on lui lava le visage et on lui mit un nouveau bandeau autour du front; au bout de quelque temps, quand on l'enleva, on trouva sur le front et sur le bandeau des traces non équivoques d'un suintement de sang. Vers une heur e, on procéda à l'examen de la chemise, qu'on lui avait fait mettre le 10, et de sa poitrine; en examinant la chemise, on constata de grandes taches d'un rouge brun aux endroits qui correspondaient aux croix de la poitrine, et au coup de lance, on trouva aussi que la cicatrice de la plaie du côté était assez rouge, comme les jours précédents, et on y observa quelque chose qui ressemblait à du sang séché. Cependant on poursuivit l'enquête. Le 28, un membre de la commission, le conseiller de Bonighausen, pressa vivement Anne-Catherine d'avouer qu'elle s'était fait elle-même ces blessures. Un aveu complet de sa faute lui vaudrait l'indulgence et les bonnes grâces de la commission; si au contraire elle continuait à en imposer, on serait obligé d'en venir aux mesures les plus rigoureuses. Catherine se borna à répondre avec calme qu'elle ne pouvait dire ce qui n'était pas. Après ce tte réponse, elle s'attendait à être, cette nuit même, conduite en prison, ce qui, vu son extrême faiblesse, aurait certainement amené sa mort immédiate ; elle pria sa gardienne de s'unir à elle et adressa à Dieu de ferventes prières, jusqu'à ce que, enfin, elle tomba dans un sommeil profond et paisible. Cependant, le lendemain 29, le même membre de la commission, le conseiller de Bonighausen entra dans sa chambre de grand matin sans être attendu et lui dit qu'elle était libre de retourner chez elle; il aurait soin lui-même de l'y faire conduire. A cette nouvelle., de grosses larmes roulèrent sur les joues de l'excellente fille, et elle saisit avec émotion les mains du conseiller pour les baiser avec gratitude; celui-ci les retira en disant : " Je ne mérite pas un tel honneur : je devrais bien plutôt vous demander pardon de vous avoir traitée hier avec tant de duret&ea cute;, mais je ne l'ai fait que parce que ma charge m'y obligeait. " Là dessus, le conseiller prit la pieuse tille dans ses bras et descendit avec elle les escaliers; puis il la fit reconduire par la maîtresse de la maison. On la transporta chez elle entre dix et onze heures du matin, tandis que le peuple était à la grand'messe. Quand ou l'eut replacée sur son lit, elle s'écria : " Enfin, me voici rentrée dans un paradis terrestre ; " malgré sa faiblesse extrême, elle était calme et presque gaie.
Catherine continua encore quelques jours après sa mise en liberté de prendre les aliments qu'on lui avait imposés. Le quatrième jour, elle se trouva extrêmement mal, et la nuit suivante le médecin qu'on avait fait appeler crut qu'elle allait trépasser; c'était la conséquence de la violence qu'on lui avait faite en exigeant qu'elle prit des aliments sol ides. Cependant elle se remit un peu le lendemain à la suite de vomissements douloureux, et dès lors elle vécut presque exclusivement deau.
Nous avons cru devoir entrer dans des détails circonstanciés au sujet des travaux de cette commission , parce qu'il est important que l'on sache que, loin d'avoir fait découvrir quelque fraude touchant ses plaies, le sang qui en suintait et le phénomène extraordinaire d'une vie qui se conservait sans aliments, l'examen le plus minutieux a eu pour résultat d'inspirer une vénération profonde pour Catherine à ceux-là mêmes qui étaient le plus prévenus contre elle et qui la soupçonnaient de fraude ou d'illusion.
Au milieu des souffrances cruelles occasionnées par cette enquête, son pieux ami, Overberg, lui écrivit une lettre charmante dont on aimera à trouver ici un fragment : " Quel mal, lui dit-il, avez-v ous souffert personnellement qui vous donne !e droit de vous plaindre? J'adresse cette question à une âme qui ne désire rien tant que de ressembler chaque jour davantage à son céleste époux. Le monde ne vous a-t-il pas mieux traitée qu'il ne l'a traité lui-même? Ne devez-vous pas vous réjouir selon l'esprit de ce que l'on vous a donné le moyen de ressembler davantage à celui que vous aimes et par conséquent de lui être plus agréable? Jusqu'ici vous aviez beaucoup souffert pour le Christ; mais l'ignominie, vous la connaissiez à peine. Vous aviez été couronnée d'épines, mais vous n'aviez pas été revêtue du manteau de pourpre. On n'avait pas crié : " A bas, à bas ! Il faut la crucifier ! " Je ne doute pas que ces dispositions ne soient les vôtres. Loué soit Notre-Seigneur Jésus-Christ ! "
- Le vendredi saint de l'année 1820, le suintement ordinaire se produisit à la tête, aux mains, aux pieds, à la poitrine et au côté. L'année suivante, ces phénomènes eurent lieu le 30 mars, c'est-à-dire, bien avant le jour ordinaire; le vendredi saint (il tombait le 20 avril), elle se borna à contempler tranquillement les mystères du jour. Cette exception à un phénomène pour ainsi dire régulier était une attention délicate de la Providence; car elle eut à recevoir ce jour-là la visite de personnes suspectes qui auraient cherché à lui susciter de nouveaux embarras s'il s'était produit devant elles quelque phénomène extraordinaire et qui contribuèrent, sans le vouloir, à sa tranquillité, en disant partout que le miracle n'avait plus lieu.En 1823, la contemplation de la passion douloureuse du Sauveur l'occupa dep uis le Jeudi saint au soir jusqu'au lendemain vers la même heure; du sang coula de toutes ses plaies, et elle eut extrêmement à souffrir. Un ami qui était auprès d'elle, Clément Brentano, ne pouvait s'empêcher de la plaindre : alors qu'elle avait presque entièrement perdu connaissance, qu'elle souffrait au point qu'on craignait de la voir expirer, elle devait s'occuper de ses affaires, écouter ce qu'on lui disait, répondre à ceux qui l'interrogeaient, et elle faisait tout cela sans se plaindre, comme si elle eût été en parfaite santé et en pleine connaissance. Ce fut la dernière fois qu'elle rendit ce témoignage sanglant à Celui qui, le premier, a rendu pour tous les hommes le témoignage du sang. Succombant, pour ainsi dire, au fardeau de sa vocation, et surtout à tant de souffrances dans lesquelles elle se substituait au prochain, elle demandait souvent à Dieu la gr&a circ;ce d'être délivrée de la vie présente; souvent on la voyait dans un état désespéré; et, comme à deux doigts de la tombe. Chaque fois elle disait : " Seigneur, non pas comme je le veux, mais comme vous le voulez; si je puis rendre encore quelque petit service par la prière et la souffrance, faites que je vive mille ans encore sur la terre; mais faites-moi mourir plutôt que de permettre que je vous offense. "
L'année 1823 devait être la dernière de sa vie: elle annonça elle-même, en la commençant, que Dieu allait bientôt la retirer de ce monde.
Nous avons déjà dit que la plupart des maladies et des souffrances de la soeur Emmerich étaient dues à ce qu'elle se substituait au prochain et s'offrait comme victime à sa place. Mais c'était surtout pour l'Eglise, cette tendre mère à laquelle elle avait v oué tout son amour, qu'elle s'immolait ainsi sans réserve. Le jour et la nuit, elle adressait à Dieu pour la sainte Église les prières les plus ferventes ; elle ne pouvait retenir ses larmes, et, présentant au Père les mérites de son divin Fils, elle implorait sa miséricorde ; puis, réunissant tout ce qu'elle avait de courage, elle conjurait le Seigneur de la charger, dans l'intérêt de l'Église, des peines et des expiations dont tel ou tel de ses membres était redevable envers la justice divine. Alors il lui semblait qu'une voix étrangère lui disait : " Tu sais combien tu es misérable, et cependant tu prétends satisfaire pour les autres ! " Elle reconnaissait son indignité ; cependant, mettant sa confiance en Jésus-Christ et en ses mérites surabondants et cédant à la charité qui la pressait, elle continuait à supp lier Notre-Seigneur d'agréer son sacrifice. Son sacrifice accepté, elle tombait immédiatement dans un état affreux, et subissait, avec la patience la plus admirable, des souffrances horribles, indicibles, de toute nature. De même que, dans sa jeunesse, elle avait l'habitude d'offrir à Dieu ses actions pour telle ou telle fin intéressant la sainte Église, et que ses actions étaient par là transformées pour ainsi dire en priè res ( par exemple, quand elle arrachait la mauvaise herbe dans le champ de son père, elle conjurait le Seigneur d'extirper la mauvaise herbe que l'homme ennemi a semée dans le champ de l'Église, ou encore quand le suc des orties qu'elle cueillait lui démangeait les doigts, elle le suppliait de ne pas permettre que jamais pasteur des âmes se fatiguât en travaillant dans le champ de l'Église); ainsi, dans la suite, et alors qu'elle était le plus souvent plon gée dans l'état extatique, ses prières prenaient la forme symbolique de tels ou tels travaux. Une fois, malade depuis plusieurs jours, elle était presque continuellement en extase; elle gémissait péniblement, ses doigts étaient en mouvement comme si elle eût arraché quelque chose. Un matin elle se plaignit de douleurs très-vives qu'elle ressentait dans les bras et dans les doigts; et l'on vit que ses mains étaient couvertes d'ampoules semblables à celles que produit la piqûre des orties. Ayant prié avec ferveur pour plusieurs diocèses qu'on lui avait spécialement recommandés, elle les vit sous la forme de vignes laissées dans un très-grand désordre et où elle fut obligée de travailler péniblement.
La tendre compassion que, dès ses plus tendres années, elle avait toujours, ainsi que nous l'avons vu, témoignée à l'infortune, de quelque nature qu'elle fût, ne l'abandonna jamais. Non contente de se charger elle-même; par une charité héroïque, du fardeau des malheureux, elle leur donnait encore, quand elle le pouvait, des secours extérieurs et maternels. Nous rappellerons à ce sujet un fait qui tient du prodige et que nous empruntons, ainsi que la plupart des détails qui précèdent et qui suivent, à la notice biographique que Clément Brentano a mise en tête de la Douloureuse Passion. " Un jour, elle donna à son ami un petit sac contenant de la farine de seigle et deux oeufs, en lui indiquant une maison où demeurait, avec son mari et ses enfants, une pauvre femme attaquée d'une phthisie très-avancée; il devait dire à cette femme de s'en faire une bouillie, cela étant bon pour la poitrine. Il trouva la maison sans peine, grâce aux indications qu'il avait reçues. En en trant, il tira le petit sac de dessous son manteau. La pauvre femme, assise sur un mauvais grabat avec deux enfants presque nus, était dévorée par la fièvre. Quand elle le vit entrer, elle fixa sur lui ses yeux ardents, et avançant hors du lit ses mains blanches et amaigries, elle lui dit : " Monsieur, c'est le bon Dieu qui vous envoie ou la soeur Emmerich. Vous m'apportez de la farine de seigle et des oeufs. " Comme je lui demandais comment elle pouvait le savoir, elle fit signe à son mari de me répondre. Celui-ci, après avoir regardé, ainsi que les enfants, ce que j'apportais, me répondit : " Ma pauvre Gertrude a été toute la nuit dans une grande agitation. Plusieurs fois, elle m'a appelé et m'a adressé la parole. Ce matin, en se réveillant, elle m'a dit : " J'ai rêvé que j'étais avec toi à la porte de la maison. Ayant aperçu &agra ve; quelque distance la sainte religieuse qui sortait d'une maison voisine, je t'ai dit : Regarde donc si lu veux voir passer la sainte religieuse. En passant, elle s'arrêta près de moi, et me dit : Gertrude, vouas paraissez bien malade. Je vous enverrai de la farine de seigle et des oeufs; vous vous en ferez une bouillie, cela est bon pour la poitrine. Alors je me réveillai. " Tel fut le récit que me fit cet homme. Leur reconnaissance s'épancha en actions de grâces, et le visiteur sortit profondément touché. Il ne dit rien à Anne-Catherine de ce qu'il avait appris. Seulement, quelques jours après, comme elle l'envoyait à la même maison avec les mêmes objets, car elle n'avait pas autre chose à donner, il lui demanda comment elle connaissait cette pauvre malade. Elle répondit en souriant : " vous savez que tous les jours je recommande à Dieu les pauvres nécessiteux, et je lui o ffre le désir que j'ai de les visiter et de les servir; alors, il me semble que je vais d'une maison à l'autre et que je leur rends quelques petits services. L'autre jour j'arrivai ainsi devant la porte de cette pauvre femme; elle se trouvait sur le seuil avec son mari. Je lui dis: Gertrude, vous paraissez bien malade. Je vous enverrai de la farine de seigle et des oeufs; vous en ferez une bouillie, cela est bon pour la poitrine. " C'est vous qui m'avez aidé à accomplir ma promesse(La douloureuse Passion. Vie de la Soeur, p. LXXXIX ). Dans l'état extatique, Anne-Catherine faisait en esprit des voyages dans de lointains pays et spécialement en Terre-Sainte. Alors elle voyait en esprit et décrivait avec une exactitude extraordinaire les saints lieux et les personnages de l'ancien et du nouveau Testament avec lesquels elle entrait en rapports. Elle pénétrait dans l'esprit des fêtes de l'année ecclésiastiqu e avec leurs détails cérémoniels et historiques; le plus souvent elle voyait dans l'extase, avec les yeux de l'esprit, le fait qui avait donné lieu à la célébration de la fête; il se renouvelait ,en quelque sorte devant ses yeux, et elle y assistait comme si elle eût été contemporaine et témoin oculaire. Ainsi, à la Noël, elle était à la crèche, de l'enfant Jésus; à la Visitation, elle accompagnait la Vierge chez sa cousine Elisabeth. Elle voyait successivement dans ses extases passer devant ses yeux toutes les scènes de la vie de Notre-Seigneur et de ses apôtres; elle voyait le divin Sauveur croître et grandir à Nazareth, puis entrer dans la vie publique. Elle le suivait dans ses cours, elle entendait ses prédications, elle était témoin de ses miracles, absolument comme si elle eût vécu à la même époque que Notre-Seigneur. Ce fut ainsi qu'elle contempla jour par jour et raconta les trois années dé la vie publique du Sauveur jusqu'à son Ascension et l'Histoire des Apôtres, y compris plusieurs semaines après la Pentecôte, faisant connaître les lieux, les personnes, les fêtes, les moeurs, les instructions, les miracles avec une précision de détails que l'on ne pouvait assez admirer. Sur l'invitation pressante de M. Sailer, elle raconta la plupart de ses visions à Clément Brentano qui, ainsi que nous l'avons dit, se fixa à Dulmen, et y passa plusieurs années dans son intimité. Ce fut avec les notes qu'il recueillit de ses visions sur la Passion de Notre-Seigneur, visions qu'elle eut durant le carême de l'année 1823, qu'il composa l'ouvrage si intéressant qu'il intitula : La douloureuse Passion de Notre-Seigneur, d'après les méditations de la soeur Emmerich, et qui est con nu de la plupart de nos lecteurs. Ainsi que nous l'avons déjà dit, la Vie de la sainte Vierge, publiée par la belle-sur de Clément, et la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont on vient de terminer l'impression, ont la même origine.
Vers la fin de l'année 1823, la soeur Emmerich devint de jour en jour plus souffrante; son épuisement était affreux, son état s'aggrava encore avec le commencement de l'année 1824. Assise sur son lit, les yeux fermés, elle se plaignait d'une voix altérée, et, ne pouvant. trouver le sommeil, elle s'agitait péniblement sur sa couche. Les efforts qu'elle faisait souvent pour vomir la fatiguaient extrêmement; elle avait de grandes douleurs d'entrailles, enfin on redoutait la gangrène. Son gosier était desséché par une fièvre brûlante, sa bouche enflée et déchirée; ses mains étaient ro uges de la fièvre, et blanches comme l'ivoire; les cicatrices de ses mains stigmatisées brillaient comme de l'argent à travers la peau tendue. Ses souffrances lui interdisaient presque l'usage de la parole; cependant elle ne perdait de vue aucune de ses obligations. Le 26 janvier au soir, elle dit à Clément d'une voix éteinte : " C'est aujourd'hui le dernier jour de la neuvaine. Il ne faudra pas oublier de payer le cierge et le salut à la chapelle de sainte Anne. " Elle avait demandé, à l'insu de son ami, une neuvaine de prières, et elle craignait que les personnes qui l'entourassent ne la perdissent de vue, à cause de l'embarras que leur causait son triste état.
Le 27, à deux heures de l'après-midi, elle reçut l'Extrême-Onction, et elle ressentit aussitôt en son âme et au corps les heureux effets du sacrement. Le soir, son ami, le pieux curé de H..., vint prier aupr&e grave;s d'elle ; assise sur son lit, elle s'agitait et gémissait ; cependant, malgré ses souffrances, elle éprouvait de grandes consolations. Une fois elle dit : " Qu'il fait beau, qu'il fait bon ici ! " Puis : " Mille remerciements, mille louanges à la bonté de Notre-Seigneur! "
La veille de la fête de la Purification, son ami s'était rendu chez elle. Placé au chevet de son lit, d'où la malade ne pouvait l'apercevoir, il prêtait tristement l'oreille à ses gémissements sourds, et suivait tous les mouvements de sa respiration. Tout à coup, son agitation cessa; son ami, effrayé, crut qu'elle était morte. Au moment où il s'approcha d'elle, il entendit sonner l'Angelus; il comprit qu'à l'instant où avait commencé la solennité de la Purification de la sainte Vierge, elle avait été ravie en extase et s'était sen tie soulagée. Le lendemain, vers midi, elle dit d'une voix émue, mais dont l'altération semblait annoncer sa fin prochaine : " Il y a longtemps que je ne me suis trouvée aussi bien; voici bien huit, jours que je suis malade, n'est-ce pas? Je ne sais plus rien des choses de ce triste monde. Quelle amitié la Mère de Dieu ne m'a-t-elle pas témoignée ! Elle m'a emmenée avec elle; j'aurais voulu ne plus la quitter. " Alors, elle se mit à réfléchir; puis, posant le doigt sur sa bouche, elle dit : " Mais, je ne dois pas parler de tout cela. " Le lendemain, ses souffrances devinrent plus aiguës. Le 7, au soir, elle fut plus calme, et dit : " Seigneur Jésus, mille actions de grâces pour toute ma vie. Seigneur, qu'il me soit fait, non comme je le veux, mais ainsi que vous le voulez ! " Quelques minutes après, elle dit, avec une expression singuliè ;rement touchante : " Oh! la jolie corbeille de fleurs, soignez-la bien; et le jeune palmier, soignez-le bien aussi. Je m'en suis occupée assez longtemps; maintenant, c'est fini pour moi.
Elle voulait parler, sans doute, de deux enfants de sa famille, qui étaient les objets privilégiés de son amour et de ses prières.
Le 8 février, au soir, un prêtre priait à côté de son lit; elle lui baisa la main avec reconnaissance, et dit : " Jésus, c'est pour vous que je vis, je veux mourir pour vous ! Seigneur, mille grâces vous soient rendues ! Je ne vois plus, je n'entends plus rien. " Quelque temps après, un ami priait à côté de son lit, et, comme elle lui semblait sur le point de rendre le dernier soupir, il détacha de son cou un reliquaire qu'elle avait porté une grande partie de sa vie et qu'elle lui avait donné deux ans auparavant; il voulait voir si elle avait encore le privilège de distinguer les objets consacrés à Dieu; sa main, se refermant, saisit l'objet dont elle avait certainement reconnu la nature, et se rouvrit quelques instants après. Le lendemain, on trouva brisés dans son lit les deux verres et la monture d'argent du reliquaire; ce fut précisément ce jour-là qu'elle mourut. Comme on voulait la changer de position pour la soulager un peu, elle dit : " Je suis sur la Croix; c'est bientôt tout; laissez-moi comme je suis. "
Elle avait déjà reçu tous les sacrements; cependant elle voulut encore se confesser, à cause d'une faute légère dont elle s'était déjà accusée : cétait sans doute une faute analogue à ce gros péché de son enfance, qu'elle se reprochait souvent : un jour, étant encore toute jeune, elle avait franchi la haie d'un jard in voisin, et jeté des regards de convoitise sur des pommes tombées de l'arbre ; heureusement, ajoutait-elle, elle avait résisté à la tentation et, n'en avait touché aucune; elle voyait en cela un péché contre le dixième commandement de Dieu. Le prêtre lui donna l'absolution générale. En ce moment, quelqu'un qui croyait lui avoir fait de la peine, s'approcha d'elle et lui demanda pardon. Elle le regarda avec surprise, et lui dit, d'un ton grave et avec un accent touchant de sincérité : " Il n'y a personne au monde contre qui je conserve le moindre ressentiment. " Un des jours précédents, comme, à tout instant, on s'attendait à la voir mourir, plusieurs de ses amis étaient réunis dans l'antichambre; ils s'entretenaient ensemble à voix basse et sans qu'il lui fût possible de les entendre, de sa foi, de sa patience et de ses autres vertus. Tou t à coup ils l'entendirent de la chambre où ils étaient, leur dire d'une vois affaiblie, mais suppliante : " Pour l'amour de Dieu, ne dites pas du bien de moi : vos louanges m'empêchent de quitter la terre et redoublent mes souffrances. Seigneur, ne m'accusez pas. " Puis : " Combien je voudrais pouvoir crier assez haut pour être entendue du monde entier que je ne suis qu'une misérable pécheresse, qui vaut infiniment moins que le bon larron sur la croix; car ni lui, ni tous ceux qui vivaient alors, n'avaient une responsabilité comparable à la nôtre, puisque nous avons reçu toutes les grâces dont l'Eglise est la dépositaire. " Cette protestation parut lui faire du bien, et elle dit au prêtre qui la consolait : " Je suis maintenant aussi tranquille et aussi pleine de confiance en Dieu, que si je n'avais jamais commis le moindre péché. "
Ses regards étaient amoureusement fixés sur le crucifix, placé au pied de son lit. Quand on lui présentait le petit crucifix, elle le baisait amoureusement, mais seulement aux pieds par humilité. Le prêtre récita à ses côtés les prières des agonisants. Huit heures vinrent à sonner; pendant quelques minutes, sa respiration fut plus pénible, elle dit à haute voix et à trois reprises différentes: " Seigneur, secourez-moi; venez, Seigneur Jésus, venez. " Elle avait à la main le cierge bénit que le prêtre soutenait, elle poussa quelques faibles soupirs, et son âme pure, virginale, ornée de la parure des vertus, s'échappant sur les chastes lèvres de ce corps stigmatisé, alla au-devant de l'Epoux avec l'espérance de chanter les saints cantiques dans la société des élus. Son corps retomba doucement sur le côté ; il était huit heures et demie du soir (9 février 1824).
Elle fut enterrée le vendredi 13, au milieu d'un concours extraordinaire de fidèles. Nous parlerons plus loin de l'ouverture de son tombeau, qui eut lieu sept semaines après sa mort. Plus tard, on mit sur sa tombe une pierre extrêmement simple, portant seulement son nom, le jour de sa naissance et celui de sa mort. Un sentier, que l'affluence des visiteurs a tracé à travers le gazon à gauche du Calvaire du cimetière, indique à l'é tranger la dernière demeure de la servante du Seigneur. Le fidèle, qu'ont édifié les beaux exemples de charité et de dévouement qui remplissent la vie de Catherine, et dans lequel la lecture de ses pieuses méditations a excité ou développé l'amour du bien, aime à voir en elle une créature que Dieu a enrichie des dons les plus extraordin aires et marquée des stigmates de son divin Fils; à croire que maintenant, dans la splendeur des Saints, elle suit l'Agneau partout où il va, intimement unie à Celui qu'elle aimait sur la terre d'un amour si tendre; enfin, à l'invoquer comme jouissant déjà de la gloire des bienheureux.