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A Mgr SAILER et A M. MELCHIOR DIEPENBROCK.

DERNIERS MOMENTS DE LA SOEUR EMMERICH.

Dulmen, 10 février 1824.

Cher père Sailer, cher Melchior,

La soeur Emmerich vient d'achever son sacrifice sur la croix. C'est hier soir, jour de la fête de sainte Apolline (1), vers huit heures et demie, que son coeur aimant et éprouvé par la souffrance a pour toujours cessé de battre après une agonie de deux heures qu'elle a subie avec patience et pleine connaissance. C’est à pareil jour qu'ont eu lieu les funérailles de l'abbé Lambert (2)

La nuit précédente, elle avait dit : " Je sens un feu qui vient d'en haut. " Dans les quatre dernières semaines de son existence, je lui donnais deux fois le jour de l'huile de sainte Walburge, qu'elle recevait pieusement, alors même qu'elle était privée de connaissance; mais toute communication avait cessé. Le 6 au soir, elle dit au milieu de souffrances extrêmement vives : " La belle corbeille de fleurs, conservez-la, et le jeune laurier, veillez sur lui; longtemps je les ai protégés, je ne puis le faire davantage. "

Puis elle demanda d'une voix plaintive du vieux linge; elle me prit par la tête afin de m'approcher d'elle, pour que je pusse l'entendre, elle ne savait comment se faire comprendre. Ce furent les dernières paroles qu'elle m'adressa ; puis le jour de sa mort au matin, un remerciement muet pour une légère aumône , et, une demi-heure avant sa mort, un serrement de main et un regard mélancolique sur les larmes que m'arrachait la douleur, tels sont les derniers souvenirs de cette longue et précieuse intimité. Si je n'étais pas venu comme d'ordinaire à cinq heures et demie, personne n'aurait songé à m'avertir, et un dernier souvenir n'aurait pas adouci pour moi l'amertume de la séparation.

Un quart d'heure environ avant sa mort, cette sainte et aimable créature se confessa encore, par délicatesse de conscience, d'une faute qu'elle avait déjà mainte fois confessée; puis elle demeura quelque temps seule avec le Père; elle mourut, sans avoir perdu connaissance, après avoir poussé un long et profond soupir. Epuisé par la fatigue et la souffrance, le Père avait appelé ses amis qui se trouvaient dans le cabinet voisin et commencé la récitation de prières des agonisants avec le vicaire Hilgemberg, qui venait tous les jours prier auprès d'elle avec une piété et un dévouement remarquables. Lemberg me dit que, dans le cours de l'après-dîner, elle avait parlé de la façon la plus édifiante en présence de sa soeur, de son frère, de sa nièce, de la domestique et de Hilgemberg, et que, entre autres choses, elle avait dit d'un ton grave et humble : " Oh ! si je pouvais proclamer de façon à être entendue du monde entier que je ne suis rien, que je suis la plus misérable de toutes les créatures, plus misérable que le larron sur la croix ! ".

Quelque édifiante qu'ait été sa mort, elle a cependant été très-douloureuse, et le sentiment qui y dominait était celui d'une crainte mélancolique. On eût dit que cette âme aimante, embrasée de l'amour de Dieu, marchait dans les voies difficiles du grand nombre et que la seule offrande qu'elle eût à présenter à Dieu était celui de ses péchés.

Je n'ai pas eu un seul mot d'adieu ; la dernière station de cette intimité si douce a été une humble pauvreté et un geste de reconnaissance pour une aumône. Mon coeur est déchiré. Echappé au naufrage, j'avais trouvé un asile dans la grotte solitaire de cette créature étonnante, en même temps si pauvre et si favorisée de Dieu, maintenant elle est envolée, elle ne chante plus, elle ne conjure plus la tempête. Je m'attache à la croix, et je demande à Dieu que les eaux ne m'emportent pas.

Melchior, frère chéri; cher père Sailer, si vous pensez à elle dans la prière, pensez aussi à moi, dont elle connaissait si bien l'extrême misère, et cependant, elle a serré contre son coeur le pauvre lépreux. Ah ! demandez que l'oeuvre qu'elle avait commencée en moi ne soit pas interrompue, que je puisse bientôt comparaître devant le souverain juge sans encourir sa condamnation. Infortuné que je suis, j'ai besoin d'amour et je ne trouve pas l'amour. 0 priez pour un pauvre pécheur votre amie si pauvre, si éprouvée par la douleur, si humble, si fidèle à son Dieu.

Cher Melchior, ouvrez donc votre cœur; car vous aussi vous étiez son enfant bien-aimé, qui a comme nous partagé ses souffrances et les miennes. Conjurez maintenant le Seigneur de permettre que j'accomplisse pleinement sa sainte volonté ! Hélas ! sans votre amitié, je serais maintenant complètement abandonné, et tout m'est devenu ténèbres, excepté mes péchés et la croix. Demandez-lui de me couvrir, comme le bon larron, de l'ombre de sa droite, afin que je ne m'égare pas ; j'allais à travers le tumulte du monde sur les traces d'un enfant, et maintenant je les ai perdues .... Que Dieu ait pitié de moi et de tous ceux qui sont dans la peine !

La veille de sa mort, en me levant, j'ai trouvé brisé dans mon lit le petit reliquaire qu'elle m'avait donné il y a quatre ans, qu'elle avait si longtemps porté et qui était taché de son sang; jusqu'ici je n'avais jamais omis de le porter.

(Ibidem, tom. 9, p. 72-75.)


Notes :

(1) - Patronne de Mlle Diepenbrock dont on parlera plus loin

(2) - prêtre français émigré du diocèse d'Amiens qui avait été quelque temps le confesseur de la soeur Emmerich.

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