XXI Naissance de Marie


Quelques jours avant sa délivrance, Anne avait annoncé à Joachim que le temps de ses couches était proche Elle envoya des messagers à Séphoris, à sa soeur cadette Maraha ; dans la vallée de Zabulon, à la veuve Énoué, soeur d'Élisabeth, et à Bethsaïde, à sa nièce Marie Salomé, pour engager ces trois femmes à venir chez elle.


Je vis Joachim, la veille de la délivrance d'Anne, envoyer ses nombreux serviteurs aux pâturages où étaient ses troupeaux. Parmi les nouvelles servantes d'Anne, il ne garda à la maison que celles dont le service était nécessaire. Lui-même alla au plus voisin de ses pâturages. Je vis que Marie Eléli, la fille aînée d'Anne, prenait soin du ménage. Elle avait alors environ dix-neuf ans, et avait épousé Cléophas, chef des bergers de Joachim, dont elle avait une petite fille appelée Marie de Cléophas, laquelle avait alors à peu près quatre ans.


Joachim pria, choisit les plus beaux de ses agneaux, de ses chevreaux et de ses boeufs, et les envoya au temple comme sacrifice d'actions de grâces. Il ne revint chez lui qu'à la nuit.


Je vis les trois parentes d'Anne arriver le soir chez elle. Elles la visitèrent dans la chambre située derrière le foyer et l'embrassèrent. Après leur avoir annoncé l'approche de sa délivrance, Anne, se tenant debout, entonna avec elles un cantique conçu à peu près en ces termes : " Louez Dieu le Seigneur ; il a eu pitié de son peuple ; il a accompli la promesse qu'il avait faite à Adam dans le paradis, quand il lui dit que la semence de la femme écraserait la tête du serpent, etc ". Je ne puis pas tout rapporter exactement.


Anne était comme en extase ; elle énumérait dans son cantique tout ce qui avait figuré Marie par avance. Elle disait : " Le germe donné par Dieu à Abraham a mûri en moi ". Elle parlait d'Isaac promis à Sara, et ajoutait : " La floraison de la verge d'Aaron s'est accomplie en moi ". Je la vis comme pénétrée de lumière. Je vis la chambre pleine de clartés, et l'échelle de Jacob apparaître au-dessus. Les femmes, pleines d'un joyeux étonnement, étaient comme ravies, et je crois qu'elles virent aussi l'apparition.


Après cette prière de bienvenue, on servit aux femmes une petite réfection de pain, de fruits et d'eau mêlée de baume. Elles mangèrent et burent debout, et allèrent dormir quelques heures pour se reposer de leur voyage. Anne resta levée et pria. Vers minuit, elle éveilla ses parentes pour prier avec elle. Elles la suivirent derrière un rideau à l'endroit où était son lit.


Anne ouvrit les portes d'une petite niche pratiquée dans le mur, et qui renfermait des reliques dans une boite. Il y avait des deux côtés des lumières qu'on alluma ; je ne sais si c'étaient des lampes. Un escabeau rembourré était au pied de cette espèce de petit autel. Dans le reliquaire se trouvaient des cheveux de Sara, pour laquelle Anne avait beaucoup de vénération ; des os de Joseph, que Moise avait emportés d'Égypte ; quelque chose de Tobie, peut-être un morceau de vêtement, et le petit vase brillant, en forme de poire, dans lequel Abraham avait bu lors de la bénédiction de l'ange, et que Joachim avait reçu avec la bénédiction. Je sais maintenant que cette bénédiction était du pain et du vin, et comme une nourriture et une réfection sacramentelle.


Anne s'agenouilla devant la niche. Deux des femmes étaient à ses côtés, la troisième derrière elle. Elle dit encore un cantique ; je crois qu'il y était question du boisson ardent de Moise. Je vis alors une lumière surnaturelle remplir la chambre, se mouvoir et se condenser autour d'Anne. Les femmes tombèrent la face contre terre comme évanouies. La lumière prit tout autour d'Anne la forme qu'avait le buisson ardent de Moise sur l'Horeb, en sorte que je ne la vis plus. La flamme rayonnait vers l'intérieur, et je vis tout d'un coup Anne recevoir dans ses bras la petite Marie toute resplendissante, l'envelopper dans son manteau, la presser sur son sein, puis la placer sur l'escabeau devant le reliquaire, et continuer à prier. Alors j'entendis l'enfant pleurer, et je vis Anne tirer des linges de dessous le grand voile qui l'enveloppait. Elle emmaillota l'enfant jusque sous les bras, laissant la poitrine, la tête et les bras découverts. L'apparition du buisson ardent s'était évanouie.


Les femmes se relevèrent, et à leur grande surprise reçurent dans leurs bras l'enfant nouveau-né. Elles versaient des larmes de joie. Elles entonnèrent toutes un nouveau cantique d'actions de grâces, et Anne éleva l'enfant en l'air comme pour l'offrir. Je vis alors la chambre se remplir de nouveau de lumières, et j'entendis plusieurs anges qui chantaient gloria et alléluia. J'entendais tout ce qu'ils disaient. Ils annonçaient que l'enfant devait recevoir, le vingtième jour, le nom de Marie.


Anne entra alors dans sa chambre à coucher et se mit sur son lit. Les femmes déshabillèrent l'enfant, la baignèrent, puis l'emmaillotèrent de nouveau. Elles la portèrent ensuite à sa mère, dont la couche était disposée de manière qu'on pouvait fixer auprès d'elle une petite corbeille à jour, où l'enfant avait une place séparée à côté de sa mère.


Les femmes alors appelèrent son père Joachim. Il vint près de la couche d'Anne, s'agenouilla et versa d'abondantes larmes sur l'enfant ; puis il l'éleva dans ses bras et entonna un cantique de louanges, comme Zacharie à la naissance de Jean-Baptiste. Il parla dans ce psaume du saint germe qui, placé par Dieu dans Abraham, s'était perpétué chez le peuple de Dieu dans l'alliance dont la circoncision était le sceau, mais qui arrivait dans cet enfant à sa plus haute floraison. J'entendis dire dans ce cantique que la parole du Prophète : " une tige sortira de la racine de Jessé ", se trouvait maintenant accomplie. Il dit aussi, avec beaucoup de ferveur et d'humilité, que maintenant il mourrait volontiers.


Je remarquai que Marie d'Héli, la fille aînée d'Anne, ne vint qu'assez tard voir l'enfant. Quoique mère elle-même depuis quelques années, elle n'avait pas assisté à la naissance de Marie, peut-être parce que, d'après les lois juives, une fille ne devait pas se trouver près de sa mère dans un pareil moment.


Le lendemain, je vis les serviteurs, les servantes et beaucoup de gens du pays rassemblés autour de la maison. On les fit entrer successivement, et l'enfant fut montrée à tous par les femmes. Ils furent, en général, très touchés, et plusieurs devinrent meilleurs. Les gens du voisinage étaient venus parce qu'ils avaient vu pendant la nuit une lumière au-dessus de la maison, et parce que les couches d'Anne, venant après une longue stérilité, étaient regardées comme une grande grâce du ciel.


XXII Joie dans le ciel et dans les limbes à la naissance de Marie.
Mouvement dans la nature et parmi les hommes.


Au moment où la petite Marie se trouva dans les bras de sainte Anne, je la vi6 dans le ciel présentée devant la très sainte Trinité, et saluée avec une joie indicible par toutes les armées célestes. Je connus que toutes ses joies, ses douleurs et ses destinées futures lui étaient manifestées d'une manière surnaturelle. Marie reçut la connaissance des plus profonds mystères, et pourtant elle resta un enfant. Nous ne pouvons pas comprendre cette science qui lui fut donnée, parce que la notre a pris son origine sur l'arbre fatal du paradis. Elle connut tout cela comme l'enfant connaît le sein de sa mère et sait qu'il doit s'y désaltérer. Lorsque cessa la contemplation où j'avais vu la petite Marie instruite par le grâce divine dans le ciel, je l'entendis pleurer pour la première fois.


Je vis la naissance de Marie annoncée aux patriarches dans les limbes, au moment même où elle eut lieu ; je les vis tons, particulièrement Adam et Eve, pénétrés d'une joie inexprimable, à cause de l'accomplissement de la promesse faite dans le paradis. Je connus aussi qu'il y avait un progrès dans l'état de grâce des patriarches, que leur demeure s'éclairait et s'élargissait, et qu'ils acquéraient une plus grande influence sur ce qui se passait dans le monde. Il semblait que tous les travaux. toutes les pénitences de leur vie, tous leurs combats, leurs prières et leurs désirs étaient, pour ainsi dire, arrivés à maturité, et avaient produit un fruit de paix.


Je vis au temps de la naissance de Marie, un grand mouvement de joie dans la nature, chez tous les animaux et aussi dans le coeur de tous les hommes de bien, et j'entendis des chants harmonieux ; chez les pécheurs, il y eut une grande angoisse et comme un brisement de coeur.

Je vis spécialement dans la contrée de Nazareth et dans le reste de la terre promise plusieurs possédés agités par des convulsions violentes. Ils se précipitaient ça et là avec de grandes clameurs, et les démons criaient par leur bouche : " il faut partir, il faut partir ".


A Jérusalem, je vis le pieux prêtre Siméon, qui habitait près du temple, effrayé à l'heure de la naissance de Marie par les cris affreux que poussaient des fous et des possédés enfermés en grand nombre dans un édifice contigu à la montagne du temple, et sur lequel Siméon, qui demeurait dans le voisinage, avait un certain droit de surveillance. Je le vis à minuit se rendre sur la place devant la maison des possédés ; un homme qui habitait près de là lui demanda la cause de ces cris qui troublaient le sommeil de tout le monde. Un possédé cria avec plus de force, demandant à sortir. Siméon lui ouvrit la porte ; le possédé se précipita dehors, et Satan cria par sa bouche r il faut partir nous devons partir il est né une Vierge Il y a sur la terre tant d'anges qui nous tourmentent nous devons partir, et nous ne pourrons plus posséder un seul homme ! " Je vis Siméon prier avec ferveur ; le malheureux possédé fut violemment jeté ça et là sur la place, et je vis le démon sortir de loi. .la fils très contente de voir le vieux Siméon.


Je vis aussi la prophétesse Anne, et Noémi, soeur de la mère de Lazare, qui habitait dans le temple, et qui fut plus tard la maîtresse de Marie furent réveillés et informées par des visions de la naissance d'un enfant d'élection. Elles se réunirent et se communiquèrent ce qu'elles avaient appris. Je crois qu'elles connaissaient sainte Anne.

XXIII L'enfant reçoit le nom de Marie.

22 - 23 septembre


J'ai vu aujourd'hui une grande fête dans la maison de sainte Anne. Tout avait été déplacé et rangé à part dans la partie antérieure de la maison, Les cloisons en clayonnage, qui formaient des chambres séparées, avaient été enlevées, et on avait ainsi disposé une grande table. Tout autour de cette salle, je vis une longue table basse, couverte de vaisselle pour le repas.

Au milieu de la salle, on avait dressé une espèce de table d'autel recouverte d'une étoffe rouge et blanche, sur laquelle était un petit berceau rouge et blanc, avec une couverture bleu de ciel. Près de l'autel était un pupitre recouvert, sur lequel étaient des rouleaux en parchemin contenant des prières. Devant l'autel se tenaient cinq prêtres de Nazareth en habits de cérémonie ; Joachim était près d'eux. Dans le fond, autour de l'autel, se tenaient plusieurs femmes et plusieurs hommes, des parents de Joachim, tous avec des habits de fête. Je me souviens de la soeur d'Anne, Maraha de Séphoris, et de sa fille aînée. Sainte Anne avait quitté sa couche, mais elle resta dans sa chambre, placée derrière le foyer, et ne parut pas à la cérémonie.


Enoué, la soeur d'Elisabeth, apporta la petite Marie et la plaça sur les bras de Joachim. Les prêtres se placèrent devant l'autel près des rouleaux, et récitèrent des prières à haute voix. Joachim donna l'enfant au principal d'entre eux, qui l'éleva en l'air en priant, comme pour l'offrir à Dieu, et la plaça dans son berceau sur l'autel. Il prit ensuite des espèces de ciseaux d'une forme particulière avec lesquels il coupa à l'enfant trois petites touffes de cheveux sur les deux côtés de la tête et sur le front, puis les brûla sur un brasier. Il prit ensuite une botte où était de l'huile, et oignit les cinq sens de l'enfant avec le pouce il fit cette onction sur les oreilles, les yeux, le nez, là bouche et le creux de l'estomac. Il avait aussi le nom de Marie sur un parchemin qu'il plaça sur la poitrine de l'enfant. On chanta ensuite des psaumes, puis vint le repas, que je ne vis pas.

XXIV Origine de la fête de la Nativité de Marie.


Le soir du 7 septembre, veille de la fête, la soeur se trouva pleine d'une joie inaccoutumée et qu'elle appelait surnaturelle, quoiqu'elle se sentit en même temps très malade '. Elle fut bientôt très animée et éprouva une ferveur extraordinaire. Elle parla d'une allégresse universelle qui s'était manifestée dans la nature à l'approche de ta naissance de Marie, et dit qu'elle avait le pressentiment qu'elle aurait une grande joie le lendemain : " pourvu qu'elle ne se tourne pas en douleur ", ajouta-t-elle. Voici ce qu'elle raconta.


Il y a une jubilation inexprimable dans la nature ; j'entends les oiseaux chanter, je vois les agneaux et les chevreaux bondir ; les tourterelles, dans le pays où était la maison d'Anne, s'assemblent en grandes troupes et tournent en cercle comme ivres de joie. Il ne reste plus rien de la maison et de ses entours : c'est maintenant un désert. J'ai vu quelques pèlerins avec des ceintures, de longs bâtons et des étoffes roulées autour de la tête ; ils traversent le pays, se dirigeant vers le mont Carmel Il y a ici quelques ermites venus du Carmel. Les pèlerins leur demandent avec surprise d'où vient cette joie dans la nature, et ceux ci répondent qu'il en est toujours ainsi la veille de la Nativité de Marie ; que la maison de sainte Anne était probablement dans ce lieu, et qu'ils tiennent d'un pèlerin qui avait voyagé ici antérieurement, que cette manifestation de joie, remarquée, il y a bien longtemps, par un saint homme, a donné lieu à l'institution de la fête.


La sainte Vierge lui était apparue et lui avait promis que le lendemain. 8 septembre, qui était aussi le jour de la naissance de la soeur, elle recevrait une grâce, qui consisterait à pouvoir se redresser sur sa couche pendant quelques semaines, quitter son lit et faire quelques pas dans sa chambre, ce qui ne lui était pas arrivé pendant un intervalle de dix ans. Cette promesse eut son accomplissement avec accompagnement de toute espèce de souffrances spirituelles et corporelles, qui lui avaient été annoncées en même temps, ainsi qu'on le dira en son 1ieu.


Je vis alors comment cette fête fut instituée. Deux cent cinquante ans après la mort de la sainte Vierge, je vis un homme d'une grande sainteté parcourir la Terre Sainte, rechercher et honorer tous les lieux où se trouvaient des traces du séjour de Jésus sur la terre. Je vis que ce saint homme recevait des directions d'en haut, et était souvent retenu plusieurs jours dans certains endroits par de grandes consolations intérieures, et par des révélations de plusieurs espèces, qui lui arrivaient dans la prière et la méditation. C'est ainsi que, pendant plusieurs années, dans la nuit du 7 au 8 septembre, il avait remarqué une grande joie dans la nature et entendu dans les airs des chants harmonieux ; enfin, sur son instante prière, un ange lui avait appris en songe que c'était la nuit pendant laquelle était née la très sainte vierge Marie. Il avait reçu cette communication lors d'un voyage au mont Sinai ou au mont Horeb. Je le vis ensuite sur le mont Sinaï. L'endroit où se trouve aujourd'hui le couvent était déjà, à cette époque, habité par des anachorètes dispersés, et, du côté de la vallée, il était aussi peu accessible qu'il l'est à présent, que l'on s'y fait hisser à l'aide d'une poulie. Je vis que, sur la foi de cette communication, la fête de la Nativité de la sainte Vierge fut célébrée le 8 septembre par les solitaires. C'était vers l'an 250 ; plus tard, elle passa de là dans l'Eglise catholique.

XXV Prières à faire pour la fête de la Nativité de Marie.


Je vis beaucoup de choses concernant sainte Brigitte, et j'eus connaissance de plusieurs communications qui avaient été faites à cette sainte sur la Conception et la Nativité de Marie. Je me souviens que la sainte Vierge lui dit que, lorsque des femmes grosses sanctifient la veille du jour de sa naissance en jeûnant et en récitant avec dévotion neuf Ave Maria en l'honneur des neuf mois qu'elle a passés dans le sein de sa mère, lorsqu'elles renouvellent fréquemment cet exercice de piété dans le cours de leur grossesse et la veille de leur accouchement, et qu'en outre elles s'approchent des sacrements avec piété, elle porte leur prière devant Dieu et leur obtient une heureuse délivrance, même dans des conditions difficiles.


Quant à moi, la sainte Vierge s'est approchée de moi et m'a dit, entre autres choses, que quiconque aujourd'hui, dans l'après-midi, récite dévotement neuf Ave Maria en l'honneur de son séjour de neuf mois dans le sein de sa mère et de sa naissance, et continue pendant neuf jours cet exercice de piété, donne chaque jour aux anges neuf fleurs destinées à former un bouquet qu'elle reçoit dans le ciel et présente à la sainte Trinité, afin d'obtenir une grâce pour la personne qui a fait ces prières. Plus tard, je me sentis transportée comme sur une hauteur entre le ciel et la terre. La terre était au-dessous de moi obscure et indistincte. Dans le ciel, je vis parmi les choeurs des anges et des saints la sainte Vierge devant le trône de Dieu. Je vis bâtir pour elle, avec les prières et les dévotions des fidèles vivants sur la terre, deux portes ou deux trônes d'honneur, qui grandissaient jusqu'à former des églises, des palais, et même des villes entières Je fus émerveillée de voir que ces édifices étaient faits tout entiers de plantes, de fleurs et de guirlandes, dont les différentes espèces exprimaient la nature et le mérite des prières faites, soit par des individus, soit par des communautés entières. Je vis tout cela pris de la main de ceux qui priaient, par des anges ou des saints, lesquels le portaient dans le ciel.

XXVI Purification de sainte Anne.


Plusieurs semaines après la naissance de Marie, je vis Joachim et Anne se rendre au temple avec leur enfant pour y offrir un sacrifice. Ils présentèrent leur enfant dans le temple avec un vif sentiment de piété et de reconnaissance envers Dieu, de même que plus tard la sainte Vierge présenta et racheta l'enfant Jésus selon les prescriptions de la loi '. Le jour suivant, ils firent leur offrande et s'engagèrent à consacrer leur enfant a Dieu dans le temple au bout de quelques années. Ils retournèrent ensuite à Nazareth.


XXVII Présentation de Marie. Préparatifs dans la maison de sainte Anne.


Le 28 octobre 1821, Anne-Catherine Emmerich raconta ce qui suit, étant dans l'état de veille : La petite Marie sera bientôt conduite au temple de Jérusalem. J'ai vu, il y a déjà quelques jours, Anne dans une chambre de la maison de Nazareth, ayant devant elle Marie, âgée alors de trois ans, et lui apprenant à prier, parce que les prêtres devaient venir bientôt pour examiner l'enfant à l'occasion de son admission dans le temple. Aujourd'hui, il y avait fête dans la maison de sainte Anne : c'était comme une préparation.


Selon la loi de Dieu (Lévit., XII), une femme israélite était impure pendant quatre-vingts jours après à naissance d'une fille, en sorte qu'elle ne pouvait toucher aucun objet consacré m paraître dans le temple, et pendant ce temps elle ne devait pu quitter sa maison jusqu'à ce qu'elle eût offert dans le temple un sacrifice pour sa purification. Une femme dans l'aisance offrait un agneau d'un an pour l'holocauste, et un petit pigeon ou un petit tourtereau pour le sacrifice pour le péché. Une mère pauvre n'avait besoin d'offrir que deux jeunes colombes ou deux tourterelles :, l'un pour l'holocauste, l'autre pour le sacrifice pour le péché.


La présentation de Marie et son séjour dans le temple sont attestés de plusieurs façons par l'autorité de l'Église. La commémoration de la Présentation de Marie est fixée au 21 novembre dans tous 1es missels c : les bréviaires. Dès les temps apostoliques, nous avons un garant de cette tradition dans la personne de l'évêque Evodius, cité par Nicéphore, Histoire ecclésiastique, Liv. II, C. 3. Saint Grégoire de Nysse, saint Épiphane, saint George de Nicomédie, saint Grégoire de Thessalonique, saint Jean Damascène et d'autres saints Pères rendent le même témoignage. L'Église grecque célèbre cette fête depuis onze siècles au moins. Même dans le Coran, .Sura Imram, v 3l, le séjour de Marie au temple est raconté avec détail.


Il se trouvait là des étrangers, des parents, des hommes, des femmes, même des enfants. Il y avait aussi trois prêtres présents, un de Séphoris, l'autre de Nazareth, le troisième d'un endroit situé sur une montagne, à quatre lieues environ de Nazareth. Le nom de cet endroit commence par la syllabe Ma... Ces prêtres étaient venus pour examiner si la petite Marie était en état de venir au temple, et en outre pour la faire habiller suivant un certain modèle déterminé. Il y avait trois habillements de différentes couleurs, dont chacun se composait d'une robe, d'une pièce d'étoffe pour Couvrir la poitrine et d'un manteau. A ce costume appartenaient aussi deux guirlandes en soie et en laine, et une couronne fermée par en haut. L'un des prêtres coupa lui-même quelques parties de cet habillement, et arrangea tout conformément à la règle.


Quelques jours plus tard, le 2 novembre, elle continua en ces termes : J'ai vu aujourd'hui une grande fête dans la maison des parents de Marie. Je ne sais pourtant pas si cela a eu lieu à pareil jour, ou si c'est la répétition d'un tableau qui m'a déjà été montré ; car j'ai vu des choses du même genre pendant les trois derniers jours, mais elles m'ont échappé au milieu de mes souffrances. Les trois prêtres étaient encore présents, ainsi que plusieurs parents et leurs petites filles, par exemple Marie Héli et son enfant, Marie de Cléophas, qui est beaucoup plus massive et plus forte que la sainte Vierge. Marie est très délicate ; elle a des cheveux d'un blond doré, légèrement bouclés à leur extrémité. Elle sait déjà lire, et tout le monde admire la sagesse de ses réponses.


Les habits de Marie, déjà taillés en partie par les prêtres, avaient été cousus par les femmes. On les mit à l'enfant à différentes reprises pendant cette fête, et on lui adressa alors plusieurs questions. Toute la cérémonie était grave et solennelle, et quoique les vieux prêtres l'accomplissent avec un sourire naïf, ils reprenaient leur sérieux par suite de l'admiration que faisaient naître les sages réponses de Marie, et à la vue des larmes de joie de ses parents.


La cérémonie eut lieu dans une chambre carrée, près de la pièce où l'on mangeait. La lumière entrait par une ouverture pratiquée dans le toit, laquelle était recouverte d'un voile transparent. On avait étendu par terre un tapis de couleur rouge ; il y avait une table d'autel au-dessus de laquelle une espèce de rideau cachait une petite niche où se trouvaient des rouleaux écrits contenant des prières. Devant cet autel, sur lequel étaient déposés les trois habillements de Marie, ainsi que plusieurs pièces d'étoffe que les parents avaient apportées pour le trousseau de l'enfant, se trouvait une espèce de petit trône élevé sur des gradins. Joachim, Anne et les autres membres de la famille étaient rassemblés. Les femmes se trouvaient derrière, et les petites filles à côté de Marie. Les prêtres entrèrent les pieds déchaussés. Il y avait cinq prêtres, mais trois seulement étaient en vêtements sacerdotaux et prenaient part à la cérémonie. L'un d'eux prit sur l'autel les différentes pièces de l'habillement, expliqua leur signification, et les présenta à la soeur d'Anne, Maraha de Séphoris, qui en revêtit l'enfant.


Marie se tenant debout ainsi habillée, les prêtres lui adressèrent différentes questions qui avaient rapport à la manière de vivre des vierges du temple. Ils lui dirent, entre autres choses : " Tes parents, en te consacrant au, temple, ont fait le voeu que tu ne boirais ni vin ni vinaigre, et que tu ne mangerais ni raisins ni figues ; que veux-tu ajouter toi-même à ce voeu, tu peux y réfléchir pendant le repas ". Les Juifs, et spécialement les jeunes filles juives, aimaient à boire du vinaigre' et Marie elle même y prenait plaisir. Après plusieurs demandes du même genre, on lui retira le premier habit et on lui mit le second : après quoi, tout le monde se rendit dans la chambre voisine pour le repas. Marie était placée à table entre deux des prêtres ; un troisième était en face d'elle.


Dans le livre des Nombres, VI, 3, il est dit que ceux qui ceux qui sont consacrés à Dieu doivent s'abstenir de vinaigre.


Les femmes et les jeunes filles étaient à un bout de la table séparées des hommes. Pendant le repas, l'enfant fut encore interrogée et répondit. On lui dit : " Maintenant, tu peux manger de tout ", et on lui offrit plusieurs choses pour l'éprouver. Mais Marie ne mangea que de peu de plats et en petite quantité, et elle étonna tout le monde par la sagesse enfantine de ses réponses. Pendant le repas et pendant toute l'épreuve. Je vis à ses côtés des anges qui l'assistaient et la dirigeaient dans tout ce qu'elle faisait.


Après le repas, tout le monde se rendit dans la première chambre, devant l'autel, où on déshabilla encore l'enfant et où on lui mit l'habit de cérémonie. C'était une robe d'un bleu violet à fleurs jaunes, puis un scapulaire ou une espèce de fichu brodé de diverses couleurs, et enfin un manteau de la couleur de la robe. Le manteau était ouvert jusque sous la poitrine et tombait en plis majestueux qui commençaient à la hauteur des bras. On lui mit en outre un grand voile, blanc d'un côté et violet de l'autre. La couronne qu'on lui plaça sur la tête se composait d'un cercle large et mince, dont le bord supérieur était découpé en pointes surmontées de boutons. Cette couronne était fermée par en haut et surmontée d'un bouton. Revêtue de cet habit de cérémonie dont le prêtre lui avait expliqué la signification, Marie fut conduite sur l'extrade à degrés qui était devant l'autel. Les petites filles se tenaient à ses côtés. Elle déclara alors à quoi elle s'engageait à renoncer en entrant dans le temple. Elle promettait de ne manger ni viande ni poisson et de ne pas boire de lait, mais seulement une boisson faite d'eau et de moelle de jonc, dont les gens pauvres faisaient usage. Elle se réservait seulement de mettre quelquefois dans son eau un peu de jus de térébinthe. C'est comme une huile blanche qui réconforte beaucoup, mais qui est moins agréable que le baume. Elle renonçait à toute espèce d'épices, et ne voulait pas manger de fruits, excepté une espèce de baies jaunes qui viennent en grappes. Je les connais bien ; les enfants et les pauvres gens en mangent. Elle voulait dormir sur la terre nue et se relever trois fois la nuit pour prier. Les autres vierges ne le faisaient qu'une fois toutes les nuits.


Les parents de Marie furent profondément émus de ses paroles. Joachim serra l'enfant dans ses bras en pleurant, et dit : " Mon enfant, c'est trop sévère : si tu mènes une vie si dure, ton vieux père ne te reverra pas ". Tout cela était très touchant à entendre. Les prêtres lui dirent qu'elle ne devait se relever qu'une fois la nuit pour prier, comme faisaient les autres, et ils lui imposèrent encore d'autres adoucissements : par exemple, l'usage du poisson aux jours de grandes fêtes. Il y avait à Jérusalem un grand marché au poisson dans une partie basse de la ville. Il recevait de l'eau de la piscine de Bethesda. Comme elle manqua une fois, Hérode le Grand voulut y établir une fontaine ou un aqueduc, et vendre pour cela des vêtements et des vases sacrés du temple. Il y eut presque une émeute à cette occasion Des Esséniens vinrent à Jérusalem de toutes les parties du pays et s'y opposèrent : car les Esséniens étaient chargés de l'inspection des vêtements sacerdotaux ; cela me revint alors subitement à la mémoire.-Les prêtres dirent encore à Marie : " Plusieurs des autres vierges qui sont reçues gratuitement au temple s'engagent, avec le consentement de leurs parents, aussitôt que leurs forces le leur permettent, à laver les habits des prêtres tout souillés du sang des victimes' et d'autres grossières étoffes de laine. C'est un rude travail, qui met souvent les mains en sang ; tu n'es pas obligée de t'y soumettre, parce que tes parents se chargent de ton entretien au temple ". Marie déclara alors qu'elle se chargerait volontiers de ce Travail si on l'en jugeait digne. La cérémonie de la vêture s'acheva parmi beaucoup d'interrogations et de réponses de ce genre.


Pendant cette sainte cérémonie, Marie m'apparut tellement grande, que sa taille dépassait celle des prêtres. On me donnait par là une image de sa sagesse et de la grâce qui était en elle. Les prêtres étaient pleins d'un étonnement joyeux. A la fin de la cérémonie, je vis le principal prêtre bénir Marie. Elle était debout sur un petit trône entre deux prêtres. Celui qui bénissait était en face d'elle, l'autre derrière elle. Les prêtres récitaient des prières qu'ils lisaient sur les rouleaux de parchemin et se répandaient alternativement. Le premier la bénit en étendant les mains sur elle. J'eus, à cette occasion, le bonheur de voir l'intérieur de la sainte enfant. Je la vis toute lumineuse pendant la bénédiction du prêtre, et, sous son coeur, je vis dans une gloire ce que j'avais vu en contemplant l'objet sacré contenu dans l'Arche d'alliance. Dans une sphère lumineuse de la même forme que le calice de Melchisédech, je vis des symboles figuratifs de la bénédiction. C'était comme du froment et du vin, de la chair et du sang, tendant à devenir une seule et même chose. Je vis aussi au-dessus de cette apparition son coeur s'ouvrir comme la porte d'un temple, et j'y vis entrer le symbole mystérieux, autour duquel il s'était formé comme un dais de pierres précieuses ayant toutes leur signification. Il me semblait voir l'Arche d'alliance entrant dans le Saint des saints du temple. Puis je ne vis plus que la sainte enfant inondée par la splendeur du feu qui brûlait au dedans d'elle. Elle m'apparut comme transfigurée et s'élevant au-dessus du sol. Je connus pendant cette apparition qu'un des prêtres ' avait acquis par une illumination d'en haut la conviction intérieure que Marie était le vase d'élection renfermant le mystère du salut ; car je le vis recevoir un rayon de la bénédiction qui sembla entrer en lui.


Les prêtres reconduisirent alors l'enfant vers ses parents émus. Anne prit Marie dans ses bras et l'embrassa avec une tendresse mêlée de vénération. Joachim, profondément ému, lui prit la main avec gravité et respect. La soeur aînée de Marie l'embrassa avec plus de vivacité qu'Anne, qui était modeste et réservée dans toutes ses actions. Marie de Cléophas, la petite nièce de la sainte enfant, lui jeta les bras au cou avec une joie enfantine.


Elle croyait, lorsqu'elle raconta la chose en 1820, que ce prêtre était Zacharie.


Quand tous les assistants l'eurent complimentée, on lui ôta ses habits de fête, et elle reparut dans son costume ordinaire

XXVIII Départ de Marie pour le temple.


J'entrai la nuit dans la maison de sainte Anne. Il était resté quelques parents qui dormaient. La famille s'occupait des préparatifs du départ. La lampe à plusieurs bras, suspendue devant le foyer, était allumée. Je vis successivement tous les habitants de la maison en mouvement.


Joachim, dès la veille, avait envoyé des serviteurs au temple avec des animaux qu'il voulait offrir en sacrifice : il y en avait cinq de chaque espèce, et c'étaient les plus beaux qu'il possédât. Ils formaient un très beau troupeau. Je le vis occupé à charger les bagages sur une bête de somme qui était devant la maison : c'étaient les habits de Marie soigneusement empaquetés à part et des présents pour les prêtres. Cela faisait une bonne charge pour la bête de somme. Sur le milieu de son des était un large paquet sur lequel on pouvait s'asseoir commodément. Tout avait été déjà arrangé par Anne et les autres femmes en petits paquets faciles à porter. Je vis des corbeilles de différentes formes attachées aux deux côtés de l'âne. Dans une de ces corbeilles se trouvaient des oiseaux gros comme des perdrix. D'autres corbeilles, semblables aux hottes où l'on porte le raisin, contenaient des fruits de toute espèce. Quand l'âne fut entièrement chargé, on étendit sur le tout une grande couverture à laquelle pendaient de grosses houppes. Je vis que dans la maison tout était en mouvement comme pour un départ. Je ils une jeune femme, la soeur aînée de Marie, aller ça et là, d'un air affairé, avec une lampe. Sa fille. Marie de Cléophas, était presque toujours à ses côtés. Je remarquai une autre femme, qui me parut être une servante. Je vis encore deux des prêtres qui étaient restés. L'un d'eux était un vieillard ; il avait un capuchon qui se terminait en pointe sur le front ; son habit de dessus était plus court que celui de dessous. C'était celui qui la veille s'était principalement occupé de l'examen de Marie, et qui lui avait donné sa bénédiction. Je le vis encore donner des instructions à l'enfant. Marie, âgée d'un peu plus de trois ans, belle et délicate, était aussi avancée qu'un enfant de cinq ans chez nous. Elle avait des cheveux d'un blond doré, lisses, bouclés à l'extrémité, et plus longs que ceux de Marie de Cléophas, enfant de sept ans, dont la blonde chevelure était courte et frisée. Les enfants comme les grandes personnes avaient tous pour la plupart des vêtements longs de laine brune sans teinture.


Parmi les assistants, je remarquai particulièrement deux jeunes garçons qui ne paraissaient pas être de la famille et qui ne s'entretenaient avec aucun de ses membres. Il semblait que personne ne les vit. Ils étaient beaux et aimables, avec leurs cheveux blonds et frisés, et ils me parlèrent. Ils avaient des livres, probablement pour leur instruction. La petite Marie n'avait aucun livre, quoiqu'elle sût déjà lire. Ce n'étaient pas des livres comme les nôtres, mais de longues bandes, larges à peu près d'une demi aune, roulées autour d'un bâton, dont les bouts arrondis sortaient de chaque côté. Le plus grand de ces deux garçons avait un rouleau déployé. Il s'approcha de moi, et lut quelque chose qu'il m'expliqua. C'étaient des lettres d'or qui m'étaient tout à fait inconnues, écrites à rebours, et chaque lettre semblait représenter un mot entier. La langue était tout à fait étrangère pour moi, mais pourtant je la comprenais. Malheureusement j'ai oublié ce qu'il m'expliquait : c'était un texte de Moise ; il me reviendra peut-être. Le plus petit portait son rouleau à la main comme un jouet. Il sautait ça et là comme font les enfants et agitait son rouleau en jouant. Je ne puis dire à quel point ces enfants me plaisaient. Ils étaient tout autrement que les assistants, et ceux-ci ne paraissaient pas faire attention à eux.

C'est ainsi que la soeur parla longtemps de ces jeunes garçons avec une complaisance naive, sans pouvoir, bien préciser qui ils étaient. Mais, après souper, quand elle eut dormi quelques minutes, elle dit en revenant à elle : " Ces garçons que je vis avaient une signification spirituelle ; leur présence là n'était pas selon l'ordre naturel. C'étaient seulement des figures symboliques de prophètes. Lé plus grand portait son rouleau avec beaucoup de gravité. Il m'y montrait le passage du second livre de Moise où celui-ci voit, dans le buisson ardent, le Seigneur qui lui dit d'ôter sa chaussure. Il m'expliqua que, de même que le buisson brûlait sans se consumer, de même le feu du Saint Esprit brûlait dans la petite Marie, qui portait cette sainte flamme en elle comme un enfant, sans en avoir la conscience. Cela indiquait aussi l'union prochaine de la Divinité avec l'humanité. Le feu signifiait Dieu, le buisson les hommes. Il m'expliqua aussi l'ordre de se déchausser, mais je ne me souviens plus de son explication. Cela signifiait, je crois, que maintenant le voile était enlevé, et que la réalité se montrait ; que la loi recevait son accomplissement ; qu'il y avait ici plus que Moise et les prophètes.


L'autre enfant portait son rouleau au bout d'un bâton comme un petit drapeau flottant au vent : cela voulait dire que Marie entrait maintenant avec joie dans la carrière de mère du Rédempteur. Ce garçon paraissait plein de naïveté et jouait avec son rouleau. Cela représentait l'innocence enfantine de Marie, sur laquelle reposait une si grande promesse, et qui, avec cette sainte destination, jouait pourtant comme un enfant. Ces jeunes garçons m'expliquèrent sept passages de leurs rouleaux. Mais, dans l'état de souffrance où je suis, tout m'est sorti de la mémoire, excepté ce que j'ai dit. " O mon Dieu ! " s'écria la narratrice, a comme tout cela, quand je le vois, me parait beau et profond, et en même temps simple et clair ! Mais je ne puis le raconter avec ordre, et il me faut tout oublier, à cause des misérables soucis de cette triste vie. '


Il y a lieu de s'effrayer de l'empire que prennent sur l'homme les choses de la vie, quelque déchue qu'elle soit, quand on considère tout ce qu'elles faisaient oublier à cette âme favorisée, si peu attachée à la terre. Elle voyait tous les ans à cette époque le tableau du départ de Marie pour le temple, et toujours l'apparition les deux prophètes sous forme de jeunes garçons s'y trouvait mêlée de quelque manière. Elle les voyait dans l'enfance, et non avec leur âge réel, parce qu'ils n'étaient pas personnellement présents dans cette circonstance et qu'ils ne s'y rattachaient que comme symbole. Si nous réfléchissons que bien des peintres aussi dans leurs tableaux historiques placent des personnages qui ne servent qu'à mettre en relief une vérité, et ne les représentent pas avec leur extérieur véritable, mais sous forme d'enfants, de génies ou d'anges, nous verrons que cette manière de représenter les choses n'est pas une création de leur fantaisie, mais qu'elle est dans la nature de toutes les apparitions : car la soeur Emmerich aussi n'a pas inventé ces apparitions, mais elles se sont ainsi montrées à elle.


Un an auparavant, au milieu de novembre 1820, la soeur, racontant ses contemplations relatives à la Présentation de Marie, parla encore de l'apparition des enfants prophètes dans les circonstances suivantes. Le 16 novembre, au soir, on avait apporté auprès de la soeur, alors endormie, une ceinture de pénitence qu'un homme, désireux de pratiquer la mortification, mais manquant tout à fait de direction ecclésiastique suivie, s'était faite avec une grosse courroie de cuir, hérissée de pointes de clous, et que, du reste, il ne lui avait pas été possible de porter une heure entière, à cause de la douleur excessive qu'elle produisait. Anne Catherine, dormant encore, fit un mouvement brusque comme pour éloigner ses mains de cette ceinture, et s'écria : " Oh ! c'est tout à fait déraisonnable et impraticable. Moi aussi, dans ma jeunesse, j'ai porté longtemps une ceinture de pénitence pour me mortifier et me surmonter moi-même ; mais il n'y avait que des pointes en fit de laiton, très courtes et très rapprochées. Avec cette ceinture-ci, il y a de quoi mourir. Cet homme s'est donné bien de la peine et il n'a pas pu la porter une fois pendant un peu de temps. On ne doit jamais rien faire de semblable sans la permission d'un directeur éclairé : mais il ne le savait pas, car il n'est pas en mesure d'avoir un directeur. De pareilles exagérations sont plus nuisibles qu'utiles.


Le lendemain matin, quand elle raconta les contemplations de la nuit, sous la forme d'un voyage fait en songe, elle dit, entre autres choses : " Je suis allée à Jérusalem, je ne sais pas exactement dans quel temps, mais c'était un tableau de l'époque des anciens rois de Juda. Je l'ai oublié. Il me fallut ensuite aller à Nazareth, vers la maison de sainte Anne. Devant Jérusalem, les deux jeunes garçons s'étaient joints à moi ; ils faisaient la même route. L'un d'eux portait à la main, d'un air très grave, un rouleau d'écritures. Le plus jeune avait son rouleau au bout d'un bâton, et s'amusait à le faire flotter au vent comme un drapeau. Ils me parlèrent avec joie de l'accomplissement des temps prédits dans leurs prophéties, car c'étaient des figures de prophètes. J'eus près de moi cette ceinture de pénitence qui me fut apportée hier, et je la montrai, je ne sais par quelle impulsion, à l'un de ces enfants-prophètes, qui était Élie. Il me dit : " C'est un instrument de torture qu'il n'est pas permis de porter. Moi aussi, sur le mont Carmel, j'ai préparé et porté une ceinture que j'ai laissée à tous les enfants de mon ordre, les Carmes et Carmélites. Voilà la ceinture que cet homme doit porter ; elle lui sera bien plus profitable que l'autre ".


Il me montra ensuite une ceinture, de la largeur de la main, où étaient dessinés des lettres et des signes de toute espèce, qui avaient rapport à certaines luttes et à certains triomphes sur soi-même. Il m'indiqua divers points, me disant : " Cet homme pourrait porter ceci huit jours, cela un jour, etc ". Oh ! comme je voudrais que ce brave homme sût cela !


Comme nous étions près de la maison de sainte Anne, et que je voulais y entrer, je ne pus pas en venir à bout, et mon conducteur, mon ange gardien, me dit : " il faut auparavant te défaire de beaucoup de choses ; tu dois revenir à l'âge de neuf ans ". Je ne savais pas comment m'y prendre, mais il m'aida, je ne sais comment, et trois années furent tout à fait retranchées de ma vie, ces trois années pendant lesquelles je fus si vaine de mes ajustements, et aimais tant à être une fille bien parée. Je finis par n'avoir que neuf ans, et alors je pus entrer dans la maison avec les enfants-prophètes. Alors Marie, à l'âge de trois ans, vint à ma rencontre ; elle se mesura avec moi, et elle était de ma taille quand elle s'approcha de moi. Oh ! qu'elle était affable et gracieuse, sans cesser pourtant d'être grave !


Je me trouvai dans la maison à côté des prophètes. On ne paraissait pas nous remarquer, nous ne dérangions personne. Quoiqu'ils fussent déjà vieux plusieurs siècles auparavant, ils ne s'étonnaient pas d'assister là en jeunes garçons ; et moi, qui étais pourtant une religieuse de quarante et quelques années, je n'étais pas surprise non plus de me retrouver une pauvre petite paysanne de neuf ans. Quand on est avec ces saints personnages, on ne s'étonne de rien, si ce n'est de l'aveuglement des hommes et de leurs péchés.


Elle raconta ensuite les préparatifs du voyage de Marie au temple, comme elle le faisait tous les ans à cette époque. L'obligation où elle fut de se sentir un enfant de neuf ans peut venir de ce que sa présence à ces scènes n'était pas plus réelle que celle des prophètes, et qu'il lui fallait, en pareil cas, revenir à l'âge de l'enfance. Ceux-là signifiaient l'accomplissement des prophéties ; elle, la contemplation de cet accomplissement. Elle sentit particulièrement qu'il lui fallait se dépouiller des trois années pendant lesquelles elle avait eu un peu de vanité dans les habits. Cela semblerait venir de ce que Marie, dans la cérémonie décrite plus haut, était revêtue de plusieurs habits de fête, et que la spectatrice devait les regarder avec la même humilité qu'elle, et n'y voir que leur signification spirituelle. La circonstance que la petite Marie se mesure avec elle peut vouloir dire : " Ce n'est que dans cet âge innocent de ton enfance que tu peux regarder cette sainte cérémonie avec la simplicité nécessaire ". Ou bien encore : " Vois, j'ai trois ans et toi neuf, pourtant je suis aussi grande que toi, car, dans mon intérieur, je suis bien au-dessus de mon âge, etc., etc ".

XXIX Départ pour Jérusalem.


Je les vis se mettre en route pour Jérusalem dès le point du jour. La petite Marie désirait vivement arriver au temple ; elle sortit de la maison en toute hâte et vint prés des bêtes de somme. Les jeunes garçons se montrèrent encore des textes sur leurs rouleaux. L'un de ces textes disait que le temple était magnifique, mais que cette enfant renfermait quelque chose de plus magnifique encore, etc. Il y avait deux bêtes de somme. L'un des ânes, qui était très chargé, était conduit par un serviteur ; il devait toujours se tenir un peu en avant des voyageurs. Sur l'autre âne, chargé aussi de paquets, qui se tenait devant la maison, on avait préparé une place pour s'asseoir, et Marie y fut mise. Joachim conduisait l'âne, et portait un grand bâton avec une grosse pomme ronde au bout ; c'était comme un bâton de pèlerin. Anne allait un peu en avant avec la petite Marie de Cléophas. Elle était accompagnée d'une servante pour tout le voyage. En outre, quelques femmes et enfants lui firent la conduite pendant un certain temps : c'étaient des parents qui se séparaient d'elle aux embranchements de la route qui les ramenaient chez eux. L'un des prêtres accompagna le cortège pendant quelque temps. Ils avaient une lanterne avec eux. mais je vis la lueur disparaître tout à fait devant cette lumière que je vois dans les voyages de nuit la sainte Famille et d'antres saints encore répandre sur la route autour d'eux, sans que je remarque pourtant qu'ils voient cette lumière. Au commencement, le prêtre me semblait marcher derrière la petite Marie, avec les enfants-prophètes. Plus tard, quand elle fut à pied, je fus à ses côtés. J'entendis plus d'une fois mes jeunes compagnons chanter le psaume quarante-quatre : Eructavit cor meum, et le quarante-neuvième : Deux deorum Dominus locutus est, et j'appris d'eux que ces psaumes seraient chantés à deux choeurs lors de l'admission de l'enfant au temple. J'entendrai cela quand ils seront arrivés.


Je vis au commencement le chemin descendre la pente d'une colline, et plus tard remonter de nouveau. Comme il était de bonne heure et que le temps était beau, je vis Je cortège s'arrêter près d'une fontaine d'où sortait un ruisseau ; il y avait là une prairie. Les voyageurs se reposèrent contré une haie d'arbrisseaux de baume. On plaçait toujours sous ces arbrisseaux des écuelles de pierre où était recueilli le baume tombant goutte à goutte. Les voyageurs en mirent dans leur eau et en remplirent de petits vases. Il y avait là d'autres arbustes avec des baies qu'ils cueillirent et mangèrent. Ils mangèrent aussi des petits pains. Ici les deux enfants-prophètes avaient disparu. L'un d'eux était Elie ; l'autre me parut être Moise. La petite Marie les vit bien, mais elle n'en dit rien. C'est ainsi qu'on voit quelquefois dans son enfance de saints enfants, et dans un âge un peu plus avancé de saintes jeunes filles ou de saints jeunes gens apparaître près de soi, et qu'on ne le dit pas aux autres, parce que, dans cet état, on est tout à fait calme et recueilli.


Plus tard, je les vis entrer dans une maison isolée où ils furent bien accueillis et prirent quelques provisions. Les habitants de cette maison paraissaient être de leurs parents. C'est de là qu'on renvoya la petite Marie de Cléophas. Pendant la journée, je tournais encore plusieurs fois mes regards sur ce voyage, qui est assez pénible. On monte et on descend beaucoup. Souvent il y a dans les vallées du brouillard et de la rosée ; cependant je vois aussi certains endroits bien exposés, où il pousse maintenant des fleurs.


Avant d'arriver à l'endroit où ils devaient passer la nuit, ils trouvèrent un petit cours d'eau. Ils logèrent dans une auberge située au pied d'une montagne sur laquelle est une ville. Malheureusement je ne puis plus bien indiquer le nom de ce lieu. Je le vis à l'occasion d'autres voyages de la sainte Famille ; ce qui fait que je puis me tromper aisément sur le nom. Tout ce que je puis dire, quoique non avec une entière certitude, c'est qu'ils suivirent la direction de la route que fit Jésus, au mois de septembre dans sa trentième année, en allant de Nazareth à Béthanie, et ensuite au baptême de Jean. La sainte Famille suivit aussi ce même chemin lors de la fuite en Égypte. La première étape de cette fuite fut à Nazara, un petit endroit entre Massaloth et une ville située sur une hauteur, mais plus près de cette dernière. Je vois toujours de tous les côtés tant de lieux dont j'entends prononcer les noms, que je confonds aisément les uns avec les autres. La ville couvre le penchant d'une montagne et se divise en plusieurs parties, si tant est que toutes lui appartiennent. On y manque d'eau- : il faut la faire monter d'en bas avec des cordes. Il y a là de vieilles tours en ruine. Sur le sommet de la montagne est une tour comme un observatoire. Il s'y trouve un appareil en maçonnerie avec des poutres et des cordes, comme pour faire monter quelque chose de la ville, qui est placée plus bas. Les cordes y sont en si grand nombre que cela ressemble à des mats de navire. Il y a bien une heure du pied de la montagne jusqu'en haut. Les voyageurs entrèrent dans une auberge qui est en bas. On a une vue très étendue du haut de cette montagne. Il y avait dans une partie de la ville des paiens qui étaient comme des esclaves vis-à-vis des Juifs, et étaient obligés à beaucoup de corvées. Ainsi il leur a fallu travailler au temple et à d'autres bâtisses '.


D'après la situation du lieu, la mention de cette population en partie païenne, et la circonstance que Jésus voyages dans cette direction lorsqu'il alla recevoir le baptême, on peut conjecturer que cette ville était Endor : car dans ses visions quotidiennes sur les années de la prédication de Jésus, elle le vit dans le milieu du mois de septembre célébrer le sabbat dans un petit endroit au-dessous d'Endor ; et elle le vit aussi dans la ville haute d'Endor, en partie déserte, instruire des Chananéens qui s'étaient établis là depuis la défaite de Sisara, à l'armée duquel leurs ancêtres avaient appartenu.


Le 4 novembre l821, elle raconta ce qui suit : J'ai va ce soir la petite Marie arriver avec ses parents dans une ville située à environ six lieues de Jérusalem dans la direction du nord-ouest. Elle s'appelle Bethoron et se trouve au pied d'une montagne. Dans le voyage, ils ont travers une petite rivière qui se jette dans la mer, au couchant, dans les environs de Joppé, où saint Pierre enseigna après la descente au Saint Esprit. On a livré de grandes batailles près de Bethoron, je les ai oubliées. (Voyez Josué, X, 11 ; Macch. VII, 39-40). Il y avait de là encore deux lieues jusqu'à un endroit de la route d'où l'on pouvait voir Jérusalem. J'ai entendu le nom de cette route ou de cet endroit, mais je ne puis bien le préciser '. Bethoron est un endroit considérable. C'est une ville de lévites. On y trouve de très beaux raisins et beaucoup d'autres fruits. La sainte Famille entra chez des amis dans une maison bien disposée. Celui qui l'habitait était maître d'école. C'était une école de lévites, et il y avait plusieurs enfants dans la maison. Ce qui m'étonna, ce fut de voir là plusieurs des parentes d'Anne avec leurs petites filles ; je croyais qu'elles étaient retournées chez elles au commencement du voyage. Comme je le vois, elles étaient venues en avant par un chemin plus court, probablement pour annoncer la venue de la sainte Famille. Les parents de Nazareth, de Séphoris, de Zabulon, qui avaient assisté à l'examen de Marie, étaient ici avec leurs petites filles ; par exemple, la soeur aînée de Marie et sa fille Marie de Cléophas , et la soeur d'Anne, venue de Séphoris avec ses filles.


On fit une vraie fête à la petite Marie : on la conduisit, en compagnie des autres enfants, dans une grande salle ; on la mit sur un siège élevé qui était comme un petit trône préparé pour elle. Alors le maître d'école et d'autres personnes présentes lui firent toutes sortes de questions et mirent des guirlandes sur sa tête.


Elle se souvenait que ce nom ressemblait à Marion (peut-être Marom). On sait qu'il y avait une route de Jérusalem à Nicopolis et à Lydda, qui passait près de Betheron. La soeur donnait d'autres détails sur les montagnes et les vallées traversées antérieurement dans ce voyage ; mais, comme elle n'exprimait pas clairement Tout ce qu'elle voyait, et que son point de vue ne pouvait être bien déterminé, tout cela ne peut être reproduit.


Tout le monde était étonné de la sagesse de ses réponses. J'entendis parler aussi de l'esprit judicieux d'une autre jeune fille qui avait passé par là peu de temps auparavant en revenant de l'école du temple chez ses parents. Elle s'appelait Suzanne', et figura plus tard parmi les saintes femmes qui suivaient Jésus. Marie prit sa place, car il y avait au temple un nombre fixé de places pour les jeunes filles. Suzanne avait quinze ans quand elle quitta le temple, par conséquent environ onze ans de plus que Marie. Sainte Anne aussi avait été élevée dans le temple, mais elle n'y était venue que dans sa cinquième année.


La chère petite Marie était toute joyeuse d'être si près du temple. Je vis Joachim la serrer dans ses bras en pleurant, et lui dire : " Mon enfant, je ne te reverrai plus ". On avait préparé un repas, et je vis, pendant qu'on était à table, Marie aller de côté et d'autre d'une façon toute gracieuse et se serrer contre sa mère, ou, se tenant derrière elle, lui passer ses bras autour du cou.


Le 6 novembre, elle dit : Ce matin, de très bonne heure, je vis les voyageurs partir de Bethoron pour Jérusalem. Tous les parents, avec leurs enfants, s'étaient joints à eux, ainsi que leurs hôtes ; ils avaient avec eux des présents pour l'enfant : c'étaient des habits et des fruits. Il me semble qu'il y a une fête à Jérusalem. J'appris que Marie avait tout juste trois ans et trois mois ; mais elle était aussi avancée que chez nous un enfant de cinq ou six ans. Dans leur voyage, ils n'allèrent ni à Ussencheera, ni à Gophna, où pourtant ils avaient des connaissances, mais ils passèrent dans les environs.


La soeur donne plus de détails sur Suzanne et sa parente avec la sainte Famille le 28 septembre ou 27 élul de la première année de prédication de Notre-seigneur.

XXX Arrivée à Jérusalem. La ville. Le temple.


Le 6 novembre 1821, dans la soirée, la soeur raconta ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui, à midi, l'arrivée de Marie à Jérusalem, avec le cortège qui l'accompagnait. Jérusalem est une singulière ville. Il ne faut pas se figurer qu'il y ait autant de gens dans les rues qu'il y en a, par exemple, à Paris. A Jérusalem, il y a plusieurs vallées escarpées qui passent derrière la ville, sur lesquelles ne donne aucune porte ni aucune fenêtre, et qui sont dominées par des maisons tournées toutes de l'autre côté ; car plusieurs quartiers de la ville ont été bâtis successivement les uns à la suite des autres, et l'on y a ainsi renfermé plusieurs hauteurs ; mais les murs de la ville sont restés au milieu des maisons. Souvent ces vallées sont traversées par des ponts élevés et solidement bâtis. Dans la plupart des maisons, les chambres habitées sont autour des cours et tournées vers l'intérieur. Du côté de la rue, on ne voit que la porte ou bien une terrasse au-dessus du mur. A cela près, les maisons sont parfaitement closes. Quand les habitants n'ont pas affaire au marché, ou qu'ils ne prennent pas le chemin du temple, ils sont presque toujours dans l'intérieur des cours ou des maisons.


En général, les rues de Jérusalem sont assez tranquilles, excepté dans le voisinage des marchés et des palais, où il y à un certain mouvement de soldats et de voyageurs. Là, aussi, il y a plus de vie et plus de communications des habitations aux rues. Rome est beaucoup plus agréable ; il n'y a pas tant de chemins étroits et escarpés, et les rues sont bien plus animées.


Aux époques où tout le monde est rassemblé autour du temple, plusieurs quartiers de la ville sont tout à fait morts. L'habitude qu'on a de rester chez soi, et la quantité de chemins solitaires dans les vallées faisaient que Jésus pouvait souvent parcourir la ville avec ses disciples sans être dérangé par personne. Il n'y a pas abondance d'eau dans la ville. On voit des suites d'arcades sur lesquelles on la fait passer, et des tours où on la pompe et où on l'élève à une grande hauteur. Au temple, où il faut beaucoup d'eau pour laver et nettoyer les vases, on en est très économe. On l'y fait monter à l'aide de grandes machines hydrauliques.


Il y a beaucoup de marchands dans la ville ; ils sont établis ordinairement sur les marchés et sur les places publiques dans de petites cabanes. Ainsi, par exemple, il y a dans le voisinage de la porte des Brebis beaucoup de gens qui vendent toute espèce de bijoux, de l'or et des pierres brillantes. Ils ont de petites cabanes rondes, qui sont de couleur brune, comme si elles étaient enduites de poix ou de résine. Elles sont légères et pourtant très solides. Ils y font leur ménage ; d'une de ces cabanes à l'autre on étend des toiles sous lesquelles ils exposent leurs marchandises. La montagne sur laquelle le temple est bâti est du côté où la pente est la plus douce, entourée de maisons qui forment plusieurs rues derrière des murs épais ; elles sont sur des terrasses placées les unes au-dessus des autres. Il y loge des prêtres et aussi des serviteurs subalternes du temple, qui font les gros ouvrages, comme, par exemple, de nettoyer les fosses où se rendent les immondices provenant des sacrifices d'animaux faits dans le temple.


Il y a un côté, celui du nord, si je ne me trompe, ou la montagne du temple est très escarpée. En haut, tout autour du sommet, se trouve une zone de verdure formée par de petits jardins qu'ont là les prêtres. Même au temps de Jésus-Christ, on travaillait toujours à certaines parties du temple. Ce travail ne cessa jamais. Dans la montagne du temple, il y avait beaucoup de minerai qu'on en retira lorsqu'on bâtit et qu'on employa dans la construction de l'édifice. Il y a sous le temple plusieurs caves et des endroits pour fondre des métaux. Je n'ai jamais trouvé dans le temple une place où je pusse bien prier. Tout y est extraordinairement massif, haut et solide. Les nombreuses cours qui s'y trouvent, sont étroites et sombres, encombrées d'échafaudages et de sièges ; et, quand la foule y est grande, on se trouve à l'étroit entre ces gros murs et ces épaisses colonnes, au point d'en être effrayé. Je n'aime pas non plus ces sacrifices continuels et ce sang versé en abondance, quoique tout cela s'y fasse avec un ordre et une propreté incroyables. Il y avait longtemps, ce me semble, que je n'avais vu tous les bâtiments, les chemins et les passages, aussi distinctement qu'aujourd'hui. Mais il y a tant de choses, que je ne puis pas en bien rendre compte.


Les voyageurs, avec la petite Marie, arrivèrent à Jérusalem par le côté du nord ; toutefois, il n'entrèrent pas là, mais tournèrent autour de la ville jusqu'au mur oriental, en suivant une partie de la vallée de Josaphat. Alors, laissant à gauche la montagne des Oliviers et le chemin de Béthanie, ils entrèrent dans la ville par la porte des Brebis, qui conduit au marché aux bestiaux. Près de cette porte, est une piscine, où on lave pour la première fois les brebis destinées aux sacrifices. Ce n'est pas la piscine de Béthesda.


Le cortège, après s'être un peu avancé dans la ville, tourna de nouveau à droite et entra comme dans un autre quartier. Ils suivirent ensuite une longue vallée intérieure que dominent d'un côté les hautes murailles d'un quartier plus élevé ; puis ils vinrent dans la partie occidentale, dans les environs du marché au poisson, où se trouve la maison paternelle de Zacharie d'Hébron. Il y avait là un homme très âgé ; c'était, je crois, le frère de son père. Zacharie revenait toujours là après avoir fait son service au temple. Lui-même était encore dans la ville ; son temps de service était fini, et il ne devait plus rester que quelques jours à Jérusalem, pour assister à l'entrée de Marie au temple. Il n'était pas présent lors de l'arrivée du cortège. Il se trouvait alors dans la maison plusieurs parents des environs de Bethléhem et d'Hébron, notamment deux filles de la soeur d'Elisabeth. Elisabeth, elle-même, n'était pas présente. Toutes ces personnes vinrent au-devant des voyageurs, jusqu'à un quart de lieue par le chemin de la vallée ; elles avaient avec elles plusieurs jeunes filles qui portaient des guirlandes et des branches d'arbres. Elles reçurent les arrivants avec des démonstrations de joie, et conduisirent le cortège à la maison de Zacharie, où on leur fit fête. On leur donna quelques rafraîchissements, et l'on se disposa à les conduire à une auberge voisine du temple, où les étrangers logent les jours de fête. Les animaux destinés au sacrifice par Joachim avaient été déjà conduits des environs du marché aux bestiaux dans des étables situées près de cette maison. Zacharie vint aussi pour conduire le cortège de sa maison paternelle à l'auberge en question.


On mit à la petite Marie le second vêtement de cérémonie avec le manteau bleu céleste. Tous se mirent en marche, formant comme une procession. Zacharie allait en avant, avec Joachim et Anne ; puis, venait Marie, entourée de quatre petites filles habillées de blanc ; les autres enfants, avec leurs parents, fermaient la marche. Ils suivirent plusieurs rues et passèrent devant le palais d'Hérode, et devant la maison qu'habita plus tard Pilate. Ils se dirigèrent vers l'angle nord-est du temple, ayant derrière eux la forteresse Antonia, grand édifice fort élevé, situé au nord-ouest du temple. Ils montèrent un escalier percé dans une haute muraille. La petite Marie monta toute seule avec un empressement joyeux ; on voulait l'aider mais elle ne le permit pas ; tout le monde la regardait avec étonnement.


La maison où ils entrèrent était une auberge pour les jours de fête, 6ituée à peu de distance du marché aux bestiaux. Il y avait plusieurs auberges de ce genre autour du temple. Zacharie avait loué celle-ci pour eux. C'était un grand bâtiment avec quatre galeries autour d'une cour spacieuse. Dans les galeries étaient les chambres à coucher, et aussi de longues tables basses. Il y avait, en outre, une vaste salle et un âtre pour la cuisine. La cour où étaient les animaux envoyés par Zacharie était dans le voisinage Des deux côtés de cet édifice habitaient des serviteurs du temple, qui avaient des fonctions dans tes sacrifices Quand les voyageurs entrèrent, on leur lava les pieds comme on faisait aux étrangers : ils furent lavés aux hommes par des hommes, aux femmes par des femmes. Ils se rendirent ensuite dans une salle au milieu de laquelle une grande lampe à plusieurs bras était suspendue au-dessus d'un grand bassin d'airain rempli d'eau. Ils s'y lavèrent je visage et les mains. Quand on eut déchargé la bête de somme de Joachim, un serviteur la mena à l'écurie. Joachim, qui s'était fait annoncer comme devant sacrifier, suivit les serviteurs du temple dans l'endroit où étaient les animaux qu'ils examinèrent.


Joachim et Anne se rendirent ensuite avec Marie dans l'habitation des prêtres, laquelle était située plus haut. Ici aussi l'enfant, comme poussée et portée par un esprit intérieur, monta les degrés très vite et avec un élan extraordinaire. Les deux prêtres qui étaient dans la maison, l'un très âgé, l'autre plus jeune, les accueillirent très amicalement ; tous deux avaient assisté à l'examen de Marie à Nazareth, et ils attendaient sa venue. Après qu'on eut échangé quelques paroles sur le voyage et sur la cérémonie prochaine de la présentation, ils firent appeler une des femmes du temple : c'était une veuve âgée qui devait être chargée de veiller sur l'enfant. Elle habitait dans le voisinage du temple avec d'autres personnes de même condition ; elle faisait toutes sortes d'ouvrages de femme et élevait des petites filles. Leur habitation était un peu plus éloignée du temple que les pièces immédiatement adjacentes à cet édifice, dans lesquelles avaient été disposés, pour les femmes et les jeunes filles consacrées au service du temple, de petits oratoires d'où l'on pouvait voir dans le sanctuaire sans être vu soi-même. La matrone qui venait d'arriver était si bien enveloppée dans ses vêtements, qu'on pouvait à peine voir un peu de son visage. Les prêtres et les parents de Marie lui présentèrent l'enfant comme devant être confiée à ses soins. Elle fut affectueuse avec dignité, sans cesser d'être grave ; l'enfant, de son côté, se montra humble et respectueuse. On instruisit cette femme de tout ce qui concernait Marie, et on s'entretint avec elle touchant la remise solennelle au temple. Elle descendit avec eux à l'auberge, prit un paquet d'effets appartenant à l'enfant, et les emporta avec elle pour tout préparer dans le logement qui lui était destiné.


Les gens qui avaient accompagné le cortège depuis la maison de Zacharie, s'en retournèrent chez eux. Seulement les parents venus avec la sainte Famille restèrent dans l'auberge louée par Zacharie. Les femmes s'installèrent et préparèrent tout pour un repas de fête qui devait avoir lieu le jour suivant.


Le 7 novembre, la soeur raconta ce qui suit : J'ai passé toute la journée d'aujourd'hui à contempler les préparatifs du sacrifice de Joachim et de la réception de Marie au temple.


Joachim et quelques autres hommes conduisirent de bon matin les victimes au temple devant lequel elles furent encore inspectées par les prêtres. Quelques animaux furent rejetés, et on les conduisit aussitôt dans la ville au marché aux bestiaux. Les animaux acceptés par les prêtres furent conduits dans la cour où ils devaient être immolés. Je vis là bien des choses que je ne saurais plus raconter dans l'ordre où elles se passèrent. Je me souviens qu'avant l'immolation, Joachim mettait la main sur la tête de chacune des victimes. Il devait recevoir le sang, dans un vase et aussi quelques parties de l'animal. Il y avait là des colonnes, des tables et des vases où tout était découpé, partagé et rangé. L'écume du sang était enlevée ; la graisse, le foie et la rate étaient mis à part. On salait aussi le tout. Les intestins des agneaux étaient nettoyés, remplis de quelque chose et remis dans le corps, en sorte que l'agneau semblait rester tout entier. Les pieds des animaux étaient attachés en forme de croix. On portait une grande partie de la chair dans une autre cour aux vierges du temple, qui avaient quelque chose à faire à cette occasion. Peut-être devaient-elles la préparer pour leur nourriture ou pour celle des prêtres.


Tout cela se passait avec un ordre incroyable. Les prêtres et les lévites allaient et venaient, toujours deux par deux, et, dans ce travail compliqué et pénible, tout se faisait facilement et comme de soi-même. Les morceaux destinés au sacrifice restaient dans le sel jusqu'au jour suivant, qui était celui où ils étaient offerts sur l'autel.


Dans l'auberge il y eut aujourd'hui fête et repas solennel. Il y avait bien là cent personnes, les enfants compris. Environ vingt-quatre jeunes filles de différents âges étaient présentes. Je vis, entre autres, Séraphia, qui fut nommée Véronique après la mort de Jésus. Elle était déjà assez grande, elle pouvait bien avoir dix ou douze ans. On prépara des couronnes et des guirlandes de fleurs pour Marie et ses compagnes. L'on para aussi sept cierges ou flambeaux : c'étaient comme des chandeliers en forme de sceptre, sans piédestal'. Quant à la flamme qui brillait à leur extrémité, je ne sais si elle était alimentée par de l'huile, par de la cire ou par quelque autre matière. Pendant la fête, plusieurs prêtres et lévites entrèrent et sortirent. Ils prirent aussi part au repas. Comme ils s'étonnaient de la quantité de victimes offertes par Joachim, il leur dit qu'en souvenir de l'affront qu'il avait reçu au temple quand son sacrifice avait été rejeté, et à cause de la miséricorde de Dieu qui avait exaucé sa prière, il voulait maintenant témoigner sa reconnaissance suivant ses moyens. Je vis encore aujourd'hui la petite Marie se promener à l'entour de la maison avec les autres jeunes filles. J'ai oublié beaucoup d'autres choses.

XXXI Entrée de Marie dans le temple et Présentation


Voici ce qu'elle raconta le 8 novembre 1821 :


Aujourd'hui, de bon matin, Joachim alla au temple avec Zacharie et les autres hommes. Plus tard, Marie y fut conduite aussi par sa mère avec un cortège solennel.


Anne et sa fille aînée Marie Héli, avec la petite Marie de Cléophas, marchaient en avant ; puis venait la sainte enfant avec sa robe et son manteau bleu de ciel, les bras et le cou ornés de guirlandes. Elle portait à la main un cierge ou flambeau entouré de fleurs. Près d'elle, de chaque côté, marchaient trois petites filles avec des flambeaux pareils et des robes blanches brodées d'or. Comme, elle aussi, elles portaient de petits manteaux bleu clair, étaient entourées de guirlandes de fleurs et avaient de petites couronnes autour du cou et des bras. Ensuite venaient les autres vierges et petites filles, toutes habillées comme pour une fête, mais non pas uniformément : toutes portaient de petits manteaux. Les autres femmes fermaient la marche.


On ne pouvait pas aller droit au temple en partant de leur logis, mais il fallait faire un détour et passer par plusieurs rues. Tout le monde se réjouissait à l'approche de ce beau cortège, auquel on rendait des honneurs à la porte de plusieurs maisons. La petite Marie avait dans ses allures quelque chose de saint et de singulièrement touchant.


Lorsque le cortège arriva, je vis plusieurs serviteurs du temple occupés à ouvrir, avec de grands efforts, une porte très grande et très lourde, brillante comme de l'or, et sur laquelle étaient sculptés des têtes, des grappes de raisin et des bouquets d'épis'. C'était la porte dorée. Le cortège passa par cette porte Il fallait monter cinquante marches pour y arriver ; je ne sais plus s'il y avait entre elles des intervalles de plain-pied. On voulut conduire Marie par la main, mais elle s'y refusa. Elle monta les degrés rapidement et sans trébucher, pleine d'un joyeux enthousiasme. Tout le monde était vivement ému.


Sous la porte elle fut reçue par Zacharie, par Joachim et par quelques prêtres qui la conduisirent à droite sous la large arcade de la porte, dans des salles élevées où un repas était préparé pour quelqu'un. Le cortège se sépara ici. La plupart des femmes et des enfants se rendirent dans le temple à l'endroit où priaient les femmes ; Joachim et Zacharie allèrent au lieu du sacrifice. Les prêtres firent encore quelques questions à Marie dans l'une des salles ; et, quand ils se furent retirés, étonnés de la sagesse de l'enfant, Anne mit à sa fille le troisième vêtement de fête, qui était d'un bleu violet, ainsi que le manteau, le voile et la couronne que j'ai déjà décrits lors du récit de la cérémonie qui eut lieu dans la maison d'Anne'.


Il est a remarquer que le tabernacle de Moise avait des couvertures de fête de trois espèces, dont celle de dessous, qui était la plus belle, était bleue et rouge. Il y avait encore par-dessus une quatrième couverture plus grossière. De même aussi la très sainte Vierge, dont le tabernacle de l'alliance était la figure, avait, outre ses habits de fête, un habillement de tous les jours. On peut consulter, quant à la triple, couverture du tabernacle et à la quatrième moins précieuse, le livre de l'Exode (XXVI, 1-14).


Pendant ce temps, Joachim était allé au sacrifice avec les prêtres. Il reçut du feu pris dans un lieu déterminé, et se tint entre deux prêtres dans le voisinage de l'autel. Je suis trop malade et trop distraite pour pouvoir mettre l'ordre nécessaire dans la description du sacrifice. Je ne me rappelle que ce qui suit.


On ne pouvait arriver à l'autel que de trois côtés. Les morceaux préparés pour le sacrifice n'étaient pas réunis en un seul endroit, mais rangés autour en différentes places. Aux quatre coins de l'autel étaient quatre colonnes de métal, creuses à l'intérieur, sur lesquelles reposaient comme des conduits de cheminée C'étaient de larges entonnoirs en cuivre qui se terminaient à l'extérieur par des tuyaux en forme de cornes, en sorte que la fumée s'en allait par là en passant par-dessus la tête des prêtres qui sacrifiaient.


Pendant que le sacrifice de Joachim se consumait sur l'autel, Anne alla avec Marie et les jeunes filles qui l'accompagnaient dans le vestibule des femmes, qui était la place où se tenaient les femmes dans le temple. Ce lieu était séparé de l'autel du sacrifice par un mur qui se terminait en haut par un grillage. Au milieu de ce mur de séparation, il y avait pourtant une porte. Le vestibule des femmes, à partir du mur de séparation, allait toujours en montant, en sorte que celles au moins qui étaient aux places les plus éloignées pouvaient voir, jusqu'à un certain point, l'autel du sacrifice. Quand la porte du mur de séparation était ouverte, une partie d'entre elles pouvait voir l'autel. Marie et les autres jeunes filles étaient debout devant Anne, et les autres femmes de la famille à peu de distance de la porte. A une place à part se tenait une troupe d'enfants du temple, vêtus de blanc, qui jouaient de la flûte et de la harpe.


Après le sacrifice, on dressa sous la porte du mur de séparation un autel portatif couvert ou une table de sacrifice', avec quelques marches pour y monter. Zacharie et Joachim vinrent avec un prêtre de la cour des sacrifices à cet autel, devant lequel se tenaient un prêtre et deux lévites, avec des rouleaux et tout ce qu'il fallait pour écrire. Un peu en arrière étaient les jeunes filles qui avaient accompagné Marie. Marie s'agenouilla sur les marches ; Joachim et Anne étendirent leurs mains sur sa tête. Le prêtre lui coupa quelques cheveux qui furent brûlés sur un brasier. Les parents prononcèrent quelques paroles par lesquelles ils offraient leur enfant, et que les deux lévites écrivirent. Pendant ce temps, les jeunes filles chantaient le psaume quarante-quatre : Eructavit cor meum vertum bonum, et les prêtres le psaume quarante-neuf : Deus deorum Dominus locutus est, et les jeunes garçons jouaient de leurs instruments.


Cette table de sacrifice était placée sous la porte en question, parce que les femmes ne pouvaient pas aller plus loin. Joachim, lors de sa rencontre avec Anne, était descendu dans le passage souterrain au-dessous de l'arceau de cette porte ; Anne, du côté opposé.


Je vis alors deux prêtres prendre Marie par la main et la conduire par plusieurs marches à une place élevée du mur qui séparait le vestibule du sanctuaire d'avec ce dernier lieu. Ils placèrent l'enfant dans une espèce de niche située au milieu de ce mur eu "rte qu'elle pouvait voir dans le temple, où se tenaient rangés en ordre plusieurs hommes qui me parurent consacrés au temple. Deux prêtres étaient à ses côtés ; il y en avait sur les marches quelques autres qui récitaient à haute voix des prières écrites sur des rouleaux. De l'autre côté du mur, un vieux prince des prêtres se tenait debout près d'un autel, à un endroit assez élevé pour qu'on pût le voir à moitié. Je le vis présenter de l'encens dont la fumée se répandit autour de Marie.


Pendant cette cérémonie, je vis autour de la sainte Vierge un tableau symbolique qui bientôt remplit le temple et l'obscurcit, pour ainsi dire. Je vis une gloire lumineuse sous le coeur de Marie, et je connus qu'elle renfermait la promesse, la très sainte bénédiction de Dieu. Je vis cette gloire se montrer comme entourée de l'arche de Noé, de façon que la tête de la sainte Vierge s'élevait au-dessus de l'arche. Je vis ensuite cette arche de Noé prendre la forme de l'Arche d'alliance, et celle-ci à son tour comme renfermée dans le temple. Puis je vis ces formes disparaître, et le calice de la sainte cène se montrer hors de la gloire devant la poitrine de Marie, et au-dessus de lui, devant la bouche de la Vierge, un pain marqué d'une croix. A ses côtés brillaient des rayons à l'extrémité desquels se montraient, exprimés par des figures, plusieurs symboles mystiques de la sainte Vierge, comme, par exemple, tous les noms des litanies que l'Église lui adresse. De ses deux épaules partaient, en se croisant, deux branches d'olivier et de cyprès, ou de cèdre et de cyprès au-dessus d'un beau palmier, avec un petit bouquet de feuilles que je vis apparaître derrière elle. Dans les intervalles de ces branches, je vis tous les instruments de la Passion de Jésus-Christ. Le Saint Esprit sous une forme ailée qui semblait se rapprocher plus de 1a forme humaine que de celle de la colombe, planait sur le tableau, au-dessus duquel je vis le ciel ouvert, et le centre de la Jérusalem céleste, la cité de Dieu avec tous ses palais, ses jardins et les places des saints futurs : tout cela était plein d'anges, de même que la gloire qui maintenant entourait la sainte Vierge était remplie de têtes d'anges'.


L'Eglise, dans les heures canoniques, répète souvent la prière Omnium nostrum habitatio est in , sancta Dei Genitrix, ce qui s'accorde bien avec la représentation où Marie parait sous la figure de l'arche de Noé, dans laquelle habitait tout ce qui était sauvé du déluge.


Qui pourrait rendre ces choses par des expressions humaines. Tout cela se montrait sous des formes si diverses, si multipliées, naissant les unes des autres avec de si continuelles transformations, que j'en ai oublié la plus grande partie. Tout ce qui se rapporte à la sainte Vierge dans l'ancienne et la nouvelle alliance, et jusque dans l'éternité, se trouvait représenté par là Je ne puis comparer cette apparition qu'avec celle que j'eus en plus petit il n'y a pas longtemps, et où je vis dans toute sa magnificence le saint Rosaire, que beaucoup de gens qui se croient habiles comprennent bien moins que les pauvres gens de la basse classe qui le récitent dans leur simplicité : car ceux-ci ajoutent à son éclat par leur obéissance, leur piété, et leur humble confiance dans l'Église qui recommande cette prière. Lorsque je vis tout cela, toutes les magnificences et les beautés du temple, ainsi que les murs élégamment ornés qui étaient derrière la sainte Vierge, me parurent ternes et noircis : le temple lui-même sembla bientôt disparaître ; Marie et la gloire qui l'entourait remplissaient tout. Pendant que toutes ces visions passaient sous mes yeux, je ne vis plus la sainte Vierge sous la forme d'une enfant ; elle m'apparut grande et planant en l'air, et je voyais pourtant les prêtres, le sacrifice de l'encens et tout le reste à travers cette image : on eût dit que le prêtre était placé derrière elle, annonçait l'avenir et invitait le peuple à remercier Dieu et à le prier, parce que de cette enfant il devait sortir quelque chose de grand. Tous ceux qui étaient présents au temple, quoiqu'ils ne vissent pas ce que je voyais, étaient graves, recueillis et profondément émus Le tableau s'évanouit par degrés, ainsi que je l'avais vu apparaître. A la fin, je ne vis plus que la gloire sous le coeur de Marie, et la bénédiction de la promesse qui brillait au dedans ; puis cette vision aussi disparut, et je vis de nouveau la sainte enfant avec sa parure, seule entre deux prêtres.


Les prêtres prirent les couronnes qui étaient autour ce ses bras ainsi que le flambeau qu'elle avait à la main, et les donnèrent à ses compagnes. Ils lui mirent sur la tête une espèce de voile brun, et, lui ayant fait descendre les degrés, ils la conduisirent par une porte dans une salle voisine où six autres vierges du temple, mais plus âgées, vinrent à sa rencontre en jetant des fleurs devant elle. Elles étaient suivies de leurs maîtresses, Noémi, soeur de la mère de Lazare, la prophétesse Anne et une troisième. Les prêtres reçurent entre leurs mains la petite Marie, après quoi ils se retirèrent. Les père et mère de l'enfant, ainsi que leurs plus proches parents, se trouvaient là aussi ; on acheva les chants sacrés, et Marie prit congé de sa famille. Joachim surtout était profondément ému ; il prit Marie dans ses bras, la serra contre son coeur, et lui dit avec larmes : " Souviens-toi de mon âme devant Dieu ". Marie se rendit alors avec les maîtresses et plusieurs jeunes filles dans le logement des femmes, attenant au côté septentrional du temple proprement dit. Elles habitaient des chambres qui avaient été pratiquées dans les gros murs du temple. Elles pouvaient, par des passages et des escaliers, monter à de petits oratoires placés près du sanctuaire et du Saint des saints.


Les parents de Marie revinrent à la salle voisine de la porte dorée où ils s'étaient arrêtés d'abord, et y prirent un repas avec les prêtres. Les femmes mangeaient dans une salle séparée. J'ai oublié, parmi beaucoup d'autres choses, pourquoi la fête avait été si brillante et si solennelle. Je sais pourtant que ce fut par suite d'une révélation de la volonté divine à cet égard. Les parents de Marie avaient de l'aisance. Ils ne vivaient pauvrement que par esprit de mortification et pour pouvoir faire plus d'aumônes. Ainsi Anne, pendant je ne sais combien de temps, ne mangea que des aliments froids. Mais ils tenaient leurs gens dans l'abondance et les dotaient.- J'ai vu beaucoup de personnes qui priaient dans le temple. Il y en avait aussi un grand nombre qui avaient suivi le cortège jusqu'à la porte du temple.-Quelques-uns des assistants durent avoir un pressentiment des destinées de la sainte Vierge, car je me souviens de quelques paroles que sainte Anne, dans un moment d'enthousiasme joyeux, adressa à quelques femmes, et dont le sens était : " Voici l'Arche d'alliance, le vase de la promesse, qui entre dans le temple. "-Les père et mère de Marie, ainsi que les autres parents, s'en retournèrent aujourd'hui jusqu'à Bethoron.


Je vis aussi une fête chez les vierges du temple. Marie dut demander aux maîtresses et à chaque jeune fille en particulier si elles voulaient la souffrir parmi elles. C'était l'usage d'agir ainsi. Il y eut ensuite un repas et une sorte de petite fête où quelques-unes des jeunes filles jouèrent de certains instruments de musique. Le soir, je vis Noémi, l'une des maîtresses, conduire la sainte Vierge dans la petite chambre qui lui était destinée et d'où l'on pouvait voir dans le temple. Il y avait une petite table et un escabeau ; dans les angles étaient disposées des tablettes. En avant de cette petite chambre était une place pour la couche et une garde-robe, ainsi que la chambre de Noémi. Marie parla à celle-ci de son désir de se lever plusieurs fois la nuit, mais Noémi ne le lui permit pas pour le moment.


Les femmes du temple portaient de longs et amples vêtements blancs avec des ceintures, et des manches très - larges qu'elles relevaient pour travailler. Elles étaient voilées. Je ne me souviens pas d'avoir jamais vu qu'Hérode ait fait rebâtir à neuf le temple entier. Je vis seulement qu'on y fit sous son règne divers changements. Lorsque Marie vint au temple, onze ans avant la naissance de Jésus-Christ, on ne faisait pas de travaux dans le temple proprement dit, mais, comme toujours, on travaillait aux constructions extérieures : cela ne cessa jamais.


Le 21 novembre, la soeur dit ce qui suit : J'ai vu aujourd'hui la chambre qu'habitait Marie au temple. Dans la partie septentrionale du temple, vis-à-vis du sanctuaire se trouvaient dans le haut plusieurs chambres qui communiquaient avec les habitations des femmes. La chambre de Marie était l'une des plus reculées vis-à-vis du Saint des saints. On passait du corridor en levant un rideau dans une pièce antérieure, qui était séparée de la chambre proprement dite par une cloison de forme convexe ou terminée en angle. Dans l'angle, à droite et à gauche, étaient des compartiments pour mettre des habits et des effets ; vis-à-vis de la porte pratiquée dans cette cloison, des marches conduisant plus haut à une ouverture devant laquelle était une tapisserie, et d'où l'on pouvait voir dans le temple. à gauche, contre le mur de la chambre était un tapis roulé qui. Lorsqu'il était étendu, formait la couche où Marie reposait.


Dans une niche de la muraille était placée une lampe près de laquelle j'ai vu l'enfant debout sur un escabeau, lire des prières dans un rouleau de parchemin. C'était très touchant. Elle avait une petite robe rayée de blanc et de bleu et parsemée de fleurs jaunes. Il y avait dans la chambre une table basse, de forme ronde. Je vis entrer la prophétesse Anne. Elle plaça sur la table un plat où étaient des fruits de la grosseur d'une fève et une petite cruche. Marie avait une adresse au-dessus de son âge ; je la vis déjà travailler à de petites pièces de toile blanche


Les contemplations qui précèdent étaient ordinairement communiquées par Anne Catherine Emmerich vers le temps de la fête de la Présentation de Marie. Voici ce qu'on a recueilli en outre, d'après des récits faits à diverses époques sur le séjour de Marie au temple.

XXXII De la vie de la sainte Vierge au temple.


Je vis la sainte Vierge au temple tantôt dans l'habitation des femmes avec les autres petites filles, tantôt dans sa petite chambre, grandissant dans l'étude, la prière et le travail. Elle filait, tissait, tricotait pour le service du temple. Elle lavait le linge et nettoyait les vases. Je la vis souvent en prière et en méditation. Comme tous les saints, elle ne mangeait que pour soutenir son existence, et jamais d'autres mets que ceux auxquels elle avait promis de se réduire.

Indépendamment des prières prescrites par la règle du temple, la vie de Marie était une aspiration incessante vers la rédemption, une prière intérieure continuelle. Elle faisait tout cela paisiblement et en secret. Quand tout le monde était endormi, elle se levait de sa couche et invoquait Dieu. Je la vis souvent fondant en larmes et entourée de lumière pendant la prière. Elle priait voilée. Elle se voilait aussi quand elle parlait aux prêtres ou qu'elle descendait dans une chambre attenante au temple pour recevoir sa tâche ou livrer ce qu'elle avait fait. Il, avait des pièces de ce genre de trois côtés du temple. Elles me faisaient toujours l'effet de sacristies. On y conservait toutes sortes d'effets que les femmes attachées au service du temple devaient entretenir ou réparer.


Je vis la sainte Vierge au temple, continuellement ravie en extase dans la prière. Il semblait que son âme ne fût pas sur la terre, et elle recevait souvent des consolations célestes. Elle soupirait ardemment après l'accomplissement de la promesse ; et dans son humilité elle osait à peine former le désir d'être la dernière des servantes de la Mère du Rédempteur.


La maîtresse qui prenait soin de Marie s'appelait Noémi, elle était soeur de la mère de Lazare et âgée de cinquante ans. Elle appartenait à la société des Esséniens, ainsi que les autres femmes attachées au service du temple. Marie apprenait d'elle à travailler ; elle allait avec elle lorsqu'elle nettoyait le linge et les vases tachés par le sang des sacrifices, ou qu'elle partageait et préparait certaines portions de la chair des victimes réservées pour les prêtres et les femmes du temple. Plus tard, Marie s'occupa encore plus activement de ces soins de ménage. Quand Zacharie était de service au temple, il la visitait : Siméon aussi la connaissait.


Les destinées auxquelles Marie était appelée ne pouvaient pas rester tout à fait inconnues des prêtres. Toute sa manière d'être, la grâce dont elle était pleine, sa sagesse extraordinaire, étaient si remarquables dès son enfance, que son extrême humilité ne pouvait cacher tout cela. Je vis de vieux prêtres, renommés par leur sainteté, écrire sur de grands rouleaux diverses choses qui la concernaient. et j'ai vu ces écrits, je ne sais plus à quelle époque, parmi d'autres anciens manuscrits.


Nous interrompons ici ces fragments relatifs au séjour de la sainte Vierge au temple, et nous passons a quelques récits touchant la jeunesse de saint Joseph.


XXXIII De la jeunesse de saint Joseph

(Raconté le 18 mars 1820 et le 18 mars 1821)


Joseph, dont le père s'appelait Jacob, était le troisième de six frères. Ses parents habitaient un grand bâtiment en avant de Bethléhem : ç'avait été autrefois la maison paternelle de David, dont le père, Isaï ou Jessé, en était possesseur. A l'époque de Joseph, il ne restait plus guère que les gros murs de l'ancienne construction. Je crois que je connais mieux ce bâtiment que notre petit village de Flamske.

Devant la maison, il y avait, comme devant les maisons de l'ancienne Rome, une cour antérieure entourée de galeries couvertes. Je vis dans ces galeries des figures semblables à des têtes de vieillards. D'un côté de la cour se trouvait une fontaine sous un petit édifice en pierre. L'eau sortait par des têtes d'animaux. La maison d'habitation n'avait pas de fenêtres au rez-de-chaussée, mais il y avait plus haut des ouvertures rondes. Je vis une porte d'entrée. Autour de la maison régnait une large galerie, aux quatre coins de laquelle se trouvaient de petites tours semblables à de grosses colonnes, qui se terminaient par des espèces de coupoles surmontées de petits drapeaux. Par les ouvertures de ces coupoles, où conduisaient des escaliers pratiqués dans les tourelles, on pouvait voir de loin sans être vu soi-même. Il y avait de semblables tourelles sur le palais de David à Jérusalem, et ce fut de la coupole d'une de ces tourelles qu'il regarda Bethsabée pendant son bain. Dans le haut de la maison, cette galerie régnait autour d'un étage peu élevé, dont la toiture plate supportait une construction terminée par une autre tourelle. Joseph et ses frères habitaient dans le haut, ainsi qu'un vieux Juif qui leur servait de précepteur. Ils couchaient autour d'une chambre placée au centre de l'étage qui dominait la galerie. Leurs lits, consistant en couvertures qu'on roulait contre le mur pendant le jour, étaient séparés par des nattes qu'on pouvait enlever. Je les ai vus jouer dans leurs chambres. Je vis aussi les parents ils ne s 'occupaient guère de leurs enfants et avaient peu de rapports avec eux. Ils ne me parurent ni bons ni mauvais.


Joseph, que, dans cette vision, je vis âgé d'environ huit ans, était d'un naturel fort différent de celui de ses frères. Il avait beaucoup d'intelligence et apprenait très bien ; mais il était simple, paisible, pieux et sans ambition. Ses frères lui faisaient toutes sortes de malices et le rudoyaient de temps en temps. Ces enfants avaient de petits jardins divisés en compartiments.


Dans les jardins des enfants, je vis des herbes, des buissons et des arbustes. Je vis que les frères de Joseph allaient souvent en secret dans son jardin pour y faire des dégâts' ils le faisaient beaucoup souffrir. Je le vis souvent, Sous les galeries de la cour, prier à genoux et les bras étendus ; ses frères se glissaient alors près de lui et le frappaient dans le dos. Je vis une fois, pendant qu'il était ainsi à genoux, qu'un d'entre eux le frappa par derrière, et comme il ne paraissait pas s'en apercevoir, l'autre recommença si souvent que le pauvre Joseph tomba en avant sur les dalles. Je connus par là qu'il avait été ravi en extase pendant son oraison. Quand il revint à lui, il ne se mit pas en colère, il ne pensa pas à se venger, mais il chercha un coin reculé pour y continuer sa prière.


Les parents de Joseph n'étaient pas très satisfaits de lui ; ils auraient voulu qu'il employât ses talents à se faire une position dans le monde ; mais il n'avait aucune inclination de ce côte. Ils le trouvaient trop simple et trop uni, il n'aimait qu'à prier et à travailler tranquillement de ses mains. A une époque où il pouvait bien avoir douze ans, je le vis souvent, pour se dérober aux taquineries continuelles de ses frères, s'en aller de l'autre côté de Bethléhem, non loin de ce qui fut plus tard la grotte de la Crèche, et passer quelque temps près de pieuses femmes, qui appartenaient à une petite communauté d'Esséniens. Elles demeuraient contre une carrière pratiquée dans la colline sur laquelle se trouve Bethléhem, et habitaient là des chambres creusées dans le roc ; elles cultivaient de petits jardins voisins de leur demeure, et instruisaient les enfants d'autres Esséniens. Souvent, pendant qu'elles récitaient des prières écrites sur un rouleau, à la lueur d'une lampe suspendue à la paroi du rocher, je vis le petit Joseph chercher auprès d'elles un refuge contre les persécutions de ses frères et prier avec elles. Je le vis aussi s'arrêter dans les grottes. dont l'une fut plus tard le lieu de naissance de Notre Seigneur. Il priait seul ou s'exerçait à façonner de petites pièces de bois. Un vieux charpentier avait son atelier dans le voisinage des Esséniens. Joseph allait souvent chez lui et apprenait peu à peu son métier ; il y réussissait a autant mieux qu'il avait appris ; un peu de géométrie avec son précepteur.


L'inimitié de ses frères lui rendit à la fin impossible de rester plus longtemps dans la maison paternelle. Je vis un ami de Bethléhem, qui n'était séparé de l'habitation de son père que par un petit ruisseau, lui donner des habits avec lesquels il se déguisa, et quitta la maison pendant la nuit pour aller ailleurs gagner sa vie à l'aide de son métier de charpentier. Il pouvait avoir alors de dix-huit à vingt ans.


Je le vis d'abord travailler chez un charpentier, près de Libonah'. Ce fut là, qu'à vrai dire, il apprit son métier. La demeure de son maître était contre de vieux murs qui conduisaient de à ville à un château en ruines le long d'une crête de montagne. Beaucoup de pauvres gens habitaient là dans la muraille. Je vis Joseph, entre de grands murs où le jour pénétrait par des ouvertures pratiquées en haut, façonner de longues barres de bois. C'étaient des cadres dans lesquels on faisait entrer des cloisons en clayonnage. Son maître était un pauvre homme qui ne faisait guère que des ouvrages grossiers et de peu de valeur.


Joseph était pieux, bon et simple ; tout le monde l'aimait. Je le vis rendre, avec une parfaite humilité, toutes sortes de services à son maître, ramasser des copeaux' rassembler des morceaux de bois et les rapporter sur ses épaules. Plus tard, il passa une fois par cet endroit avec la sainte Vierge, et, si je ne me trompe, il visita avec elle son ancien atelier.


Il résulte de plusieurs communications de la soeur sur les années de la prédication de Jésus que la ville où travailla d'abord saint Joseph n'est pas Libnah, située dans la tribu de Juda, quelques lieues à l'ouest. de Bethléhem, mais Lebonah sur le versant méridional du mont Garizini. Elle est citée dans le livre des Juges, XXI, 19, et, d'après ce passage, il faut la chercher au nord de Silo.


Ses parents crurent d'abord qu'il avait été enlevé par des bandits. Je vis plus tard que ses frères découvrirent où il était et lui firent de vifs reproches ; car ils avaient honte de la basse condition à laquelle il s'était réduit. Il y resta par humilité ; seulement il quitta ce lieu et travailla dans la suite à Thanath (Thaanach), près de Megiddo, au bord d'une petite rivière (le Kison), qui se jette dans la mer. Cet endroit n'est pas loin d'Apheké, ville natale de l'apôtre saint Thomas. Il vécut là chez un maître assez riche ; on y faisait des travaux plus soignés.


Je le vis plus tard, à Tibériade, travailler pour un autre maître. Il demeurait seul dans une maison au bord de l'eau. Il pouvait alors avoir trente-trois ans. Ses parents étaient morts depuis longtemps à Bethléhem, deux de ses frères habitaient encore à Bethléhem, les autres étaient dispersés. Leur maison paternelle avait passé en d'autres mains, et la famille était promptement tombée en déchéance.


Joseph était très pieux et priait ardemment pour la venue du Messie. Il était occupé à arranger auprès de sa demeure un oratoire où il pût prier dans une plus grande solitude, lorsqu'un ange lui apparut et lui dit de cesser ce travail ; car, de même qu'autrefois Dieu avait confié au patriarche Joseph l'administration des blés de l'Egypte, de même le grenier qui renfermait la moisson du salut allait être confié à sa garde.


Joseph, dans son humilité, ne comprit pas ces paroles et continua à prier avec ferveur, jusqu'au moment où il fut appelé à se rendre au temple de Jérusalem pour y devenir, en vertu d'une prescription d'en haut, l'époux de la sainte Vierge. Je ne l'ai jamais vu marié antérieurement. Il vivait très retiré et évitait la société des femmes.


Comme Thanach ou Thaanath (Jos. XVI, 6) est située selon Eusèbe à douze milles à l'est de Naplouse, vers le Jourdain, et comme le lieu cité ici doit, d'après la soeur, se trouver au couchant de Naplouse, elle a sans doute voulu dire Thaanach au lieu de Thanath. Peut-être aussi l'a-t-elle dit et a-t-elle été mal comprise de l'écrivain, qui n'avait alors ni connaissances géographiques sur la Palestine ni moyens de les acquérir. Cela a été d'autant plus facile que dans son état de maladie ou d'extase elle prononçait souvent les noms avec son accent patois de Munster d'une façon peu intelligible. Il est d'autant plus certain qu'ici elle voulait dire Thaanach qu'en 1823, rapportant les incidents de la troisième année de la prédication de Jésus, elle raconta que, le 25 et le 26 suivant, Jésus avait enseigne à Thannach, ville de lévites près de Megiddo, et visité là l'ancien atelier de son père nourricier, saint Joseph.

XXXIV Jean est promis à Zacharie.


Je vis Zacharie dire à Elisabeth qu'il voyait avec peine arriver le moment où il irait faire son service au temple de Jérusalem ; il lui en coûtait toujours d'y aller, parce qu'on l'y méprisait, à cause de la stérilité de son mariage. Zacharie était de service au temple deux fois par an.


Ils n'habitaient pas à Hébron même, mais à une lieue de là, à Jutta Il y avait entre Jutta et Hébron beaucoup d'anciens murs. Peut-être qu'autrefois ces deux endroits étaient réunis. Des autres côtés d'Hébron, on trouvait aussi beaucoup d'édifices et de maisons disséminées, comme des restes de l'ancienne ville, qui était autrefois aussi grande que Jérusalem. Les prêtres qui habitaient Hébron étaient moins élevés en dignité que ceux qui habitaient Jutta. Zacharie était comme le chef de ceux-ci. Elisabeth et lui étaient très respectés à cause de leur vertu et de la pureté de leur lignage depuis Aaron, leur aïeul.


Je vis ensuite Zacharie visiter, avec plusieurs autres prêtres du pays, un petit bien qu'il possédait dans le voisinage de Jutta. C'était un jardin avec des arbres de toute espèce et une petite maison. Zacharie y pria avec ses compagnons, et fit une instruction à ceux-ci. C'était une sorte de préparation au service du temple, qui allait bientôt commencer pour eux. Je l'entendis aussi parler de sa tristesse et d'un pressentiment qu'il avait que quelque chose allait lui arriver.


Je le vis aussitôt après aller avec ces prêtres à Jérusalem, et y attendre quatre jours jusqu'à ce que vint son tour d'offrir le sacrifice. Pendant ce temps, il priait continuellement dans le temple. Quand vint son tour de présenter l'encens, je le vis entrer dans le sanctuaire où se trouvait l'autel des parfums, devant l'entrée du Saint des saints. Le toit était ouvert au-dessus de lui, en sorte qu'on pouvait voir le ciel. On ne pouvait pas apercevoir le prêtre du dehors. Quand il entra, un autre prêtre lui dit quelque chose et se retira ensuite'.


Celui-ci lui dit vraisemblablement : "Allume l'encens. Voyez la Michnah, traduc. Tamid 6, 55, 3. ed. Surenh., p, 305.


Quand Zacharie fut seul, je le vis lever un rideau et entrer dans un lieu où il faisait sombre. Il prit là quelque chose qu'il plaça sur l'autel, et alluma de l'encens. Je vis alors à droite de l'autel une lumière descendre sur lui et une forme brillante s'approcher de lui. le je vis, effrayé et ravi en extase, tomber du côté droit de l'autel. L'ange le releva, lui parla longtemps, et Zacharie répondit. Je vis au-dessus de Zacharie le ciel ouvert, et deux anges monter et descendre comme sur une échelle. Sa ceinture était détachée et sa robe ouverte, et je vis qu'un des anges semblait retirer quelque chose de son corps, tandis que l'autre lui mettait dans le côté comme un objet lumineux. C'était quelque chose de semblable à ce qui se passa lorsque Joachim reçut la bénédiction de l'ange pour la conception de la sainte Vierge.


Les prêtres avaient coutume de sortir du sanctuaire aussitôt après avoir allumé l'encens. Comme Zacharie tardait beaucoup à revenir, le peuple qui priait au dehors était inquiet ; mais il était devenu muet, et je le vis écrire sur une tablette avant de sortir.


Quand il vint du temple dans le vestibule, beaucoup de personnes se pressèrent autour de lui, lui demandant pourquoi il était resté si longtemps ; mais il ne pouvait pas parler, et fit des signes avec la main, montrant sa bouche et la tablette, qu'il envoya aussitôt à Jutta, chez Elisabeth, pour lui annoncer que Dieu lui avait fait une promesse, et qu'il avait perdu la parole. Il partit lui-même au bout de quelque temps pour revenir chez lui ; mais Élisabeth, aussi, avait eu une révélation, dont je ne me souviens plus.


Nous venons de communiquer ce que la soeur Emmerich raconta succinctement étant fort malade ; mais, pour que le lecteur se rende compte de l'entretien de l'ange avec Zacharie et des paroles d'Élisabeth, nous joignons ici le récit de l'Evangile selon saint Luc, I, 5-25.


Au temps d'Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie, de la famille sacerdotale d'Abia, l'une de celles qui servaient dans le temple chacune à son tour ; sa femme était aussi de la race d'Aaron, et s'appelait Élisabeth. Ils étaient tous deux justes devant Dieu, et ils marchaient dans tous les commandements et les ordonnances du Seigneur d'une manière irrépréhensible. Ils n'avaient point d'enfants parce qu'Elisabeth était stérile, et qu'ils étaient tous deux avancés en âge. Or, Zacharie faisant sa fonction de prêtre devant Dieu dans le rang de sa famille, il arriva par le sort, selon ce qui s'observait entre les prêtres, que ce fut à lui à entrer dans le temple du Seigneur pour y offrir les parfums. Et toute la multitude du peuple était dehors, faisant sa prière à l'heure qu'on offrait les parfums Et un ange du Seigneur apparut, se tenant debout à la droite de l'autel des parfums. Zacharie le voyant en fut tout troublé, et la frayeur le saisit. Mais l'ange lui dit : Ne crains point, Zacharie, parce que ta prière a été exaucée, et ta femme Elisabeth t'enfantera un fils, auquel tu donneras le nom de Jean. Tu en seras dans la joie et dans le ravissement, et beaucoup de gens se réjouiront de sa naissance ; car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira point de vin ni rien de ce qui peut enivrer, et il sera rempli du Saint Esprit dès le sein de sa mère. Il convertira plusieurs des enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu, et il marchera devant lui dans l'esprit et dans la vertu d'Élie pour réunir les coeurs des pères avec leurs enfants, et rappeler les incrédules à la prudence des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple partait. Et Zacharie dit à l'ange : Comment connaîtrai-je la vérité de vos paroles car je suis déjà vieux, et ma femme est avancée en âge. L'ange lui répondit : Je suis Gabriel, qui suis toujours présent devant Dieu ; j'ai été envoyé pour te parler et te porter cette bonne nouvelle. Et, dès à présent, tu seras muet et tu ne pourras pas parler jusqu'au jour où cela arrivera, parce que tu n'as pas cru à mes paroles, qui s'accompliront dans leur temps. Cependant le peuple attendait Zacharie et s'étonnait qu'il demeurât si longtemps dans le temple. Mais, étant sorti, il ne pouvait pas leur parler : et comme il leur faisait des signes, ils connurent qu'il avait eu une vision dans le temple ; et il demeura muet Et quand les jours de son ministère furent accomplis, il s'en retourna dans sa maison. Quelque temps après, Élisabeth sa femme conçut, et elle se tenait cachée durant cinq mois, disant : C'est là la grâce que le Seigneur m'a faite en ce temps où il m'a regardée pour me retirer de l'opprobre où j'étais devant les hommes.


XXXV Fiançailles de la Sainte Vierge.


La sainte Vierge vivait dans le temple avec plusieurs autres vierges sous la surveillance de pieuses matrones. Ces vierges s'occupaient de broderies et d'ouvrages du même genre pour les tentures du temple et les vêtements sacerdotaux ; elles étaient aussi chargées de nettoyer ces vêtements et d'autres objets servant au culte divin. Elles avaient de petites cellules d'où elles avaient vue sur l'intérieur du temple et où elles priaient et méditaient Quand elles étaient arrivées à l'âge nubile, on les mariait. Leurs parents les avaient entièrement données à Dieu en les conduisant au temple, et il y avait chez les plus pieux d'entre les Israélites un pressentiment secret qu'un de ces mariages produirait un jour l'avènement du Messie'.


La sainte Vierge ayant quatorze ans et devant bientôt sortir du temple pour se marier, avec sept autres jeunes filles, je vis sainte Anne venir la visiter. Joachim ne vivait plus. Quand on annonça à Marie qu'elle devait quitter le temple et se marier, je la vis, profondément émue, déclarer au prêtre qu'elle ne désirait pas quitter le temple, qu'elle s'était consacrée à Dieu seul et n'avait pas de goût pour le mariage ; mais on lui répondit qu'elle devait prendre un époux'.


Quoique en général la littérature juive postérieure ne parle pas de femmes ou de jeunes filles employées au service du temple, nous trouvons pourtant, soit dans l'autorité de l'Eglise qui célèbre la fête de la Présentation de Marie (le 21 novembre), soit dans la Bible et dans d'anciens documents, des motifs suffisants pour nous donner l'assurance qu'il y en avait réellement. Déjà du temps de Moise (Exod. XXXVIII, 8) et à la dernière époque des Juges (I. Reg' , 22) nous trouvons des femmes ou de' jeunes filles employées au service du culte divin. Le psaume LXVIII en décrivant l'entrée de l'Arche dans Sion nous montre dans le cort45e des jeunes filles frappant sur des timbales. Il y avait des vierges vouées au temple et élevées dans son enceinte, a ce que dit déjà un disciple des apôtres, Evodius, successeur de saint Pierre à Antioche, dans une lettre citée, il est vrai, pour la première fois, par Nicéphore, lli. Il, c. Ill, et où il est parlé de la sainte Vierge. Saint Grégoire de Nysse, saint Jean Damascène et d'autres écrivains en parlent aussi. Le rabbin Azarias, dans son ouvrage intitulé Imreh Binah, C LX, mentionne des femmes employées au service du temple qui restaient vierges et vivaient en communauté. On peut donc citer une autorité juive pour l'existence de ces vierges du temple.


Dans l'ancienne alliance l'état de virginité n'était pas considéré comme méritoire, au moins en général. Parmi les nombreuses espèces de voeux qu'énumère la Michnah comme étant usités chez les Juifs, on ne trouve pas trace du voeu de chasteté. Tant qu'on était encore dans l'attente de la venue du Rédempteur, le mariage avec une nombreuse postérité passait pour l'état le plus heureux et le plus agréable à Dieu sur la terre. "Ceux que Dieu aime, dit le psaume CXXVI, reçoivent du Seigneur des enfants en héritage : le fruit des entrailles est leur récompense. "Et longtemps avant Dieu avait déjà fait cette promesse :


"Tu seras béni entre tous les peuples : il n'y aura point de stérilité chez toi dans l'un l'autre sexe. "(Deut. VII, 14.) Cela explique pourquoi les prêtres n'accédèrent pas au désir de Marie, quoiqu'il y eut des exemples de personnes vivant dans l'état de virginité, spécialement chez les Esséniens.


Je la vis ensuite dans son oratoire prier Dieu avec ferveur. Je me souviens aussi qu'étant très altérée, elle descendit avec sa petite cruche pour puiser de l'eau à une fontaine ou à un réservoir, et que là, sans apparition visible, elle entendit une voix qui la consola et la fortifia, tout en lui faisant connaître qu'elle devait consentir à se marier. Ce ne fut pas là l'Annonciation, car je la vis plus tard à Nazareth. Je crus pourtant pendant un certain temps avoir vu cette fois aussi apparaître un ange ; car, dans ma jeunesse, je confondais souvent cet incident avec l'Annonciation, et je croyais que celle-ci avait eu lieu dans le temple.


Il est remarquable que dans le Protevangelium Jacobi, déclare apocryphe par l'Eglise, on lit entre autres choses que Marie alla il Nazareth en compagnie d'autres vierges. On leur avait donné au temple des fils d'espèce différente qu'elles devaient filer : la pourpre et l'écarlate étaient échus par le sort à Marie, "et, dit l'Évangile apocryphe, quand elle prit sa cruche et sortit pour aller puiser de l'eau, voilà qu'une voix lui dit : "Je vous salue, Marie, etc. "Marie regarda à droite et à gauche pour savoir d'où venait cette voix ; elle rentra effrayée dans la maison, posa la cru' ne, prit la pourpre et s'assit pour travailler. Et l'ange du Seigneur se tint debout en sa présence et lui dit : "Ne craignez rien, Marie, etc. "Ici aussi il est question d'une voix qu'elle entend en allant puiser de l'eau, mais tout cela se passe à Nazareth et se lie à l'Annonciation. Cet événement est raconté de la même manière dans un manuscrit latin de la Bibliothèque de Paris, publié par Thilo, et contenant un récit apocryphe intitulé : Histoire de Joachim et d'Anne, de la naissance de la bienheureuse Mère de Dieu, Marie, toujours vierge, et de l'enfance du Rédempteur. Seulement il y a ici un intervalle de trois jours entre la vois entendue à la fontaine et l'apparition de l'ange dans la Salutation angélique.


Je vis aussi un prêtre très vieux, qui ne pouvait plus marcher ; ce devait être le grand prêtre. Il fut porté par d'autres prêtres dans le Saint des saints, et pendant qu'il allumait un sacrifice d'encens, il lisait des prières sur un rouleau de parchemin placé sur une espèce de pupitre. Je le vis ravi en esprit. Il eut une apparition, et son doigt fut placé sur le passage suivant du prophète Isaie, qui se trouvait écrit sur le rouleau : " une branche sortira de la racine de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine ". (Isaïe, IX, l.) Quand le vieux prêtre revint à lui, il lut ce passage et connut quelque chose par là.


Je vis ensuite qu'on envoyait des messagers de tous les cotés dans le pays, et qu'on convoquait au temple tous les hommes de la race de David qui n'étaient pas mariés. Lorsque plusieurs d'entre eux se furent rassemblés dans le temple, en habits de fête, on leur présenta la sainte Vierge ; et je vis parmi eux un jeune homme très pieux de la contrée de Bethléhem. Ce jeune homme avait demandé à Dieu avec une grande ferveur l'accomplissement de la promesse, et je vis dans son coeur un grand désir de devenir l'époux de Marie. Quant à celle-ci, elle revint dans sa cellule et versa de saintes larmes, ne pouvant pas s'imaginer qu'elle ne dût pas rester vierge.


Je vis alors le grand prêtre, obéissant à une impulsion intérieure qu'il avait reçue, présenter des branches à chacun des assistants, et leur enjoindre de marquer chacun une branche de leur nom et de la tenir à la main pendant la prière et le sacrifice. Quand ils eurent fait ce qui leur avait été dit, on leur reprit les branches, qui furent mises sur un autel devant le Saint des saints, et il leur fut annoncé que celui d'entre eux dont la branche fleurirait était désigné par le Seigneur pour devenir l'époux de Marie de Nazareth.

Pendant que les branches étaient devant le Saint des saints, on continua le sacrifice et la prière. Je vis durant ce temps le jeune homme, dont le nom me reviendra peut-être', crier vers Dieu, les bras étendus, dans une salle du temple, et verser des larmes brûlantes lorsque, après le temps fixé, on leur rendit les branches en leur annonçant qu'aucun d'entre eux n'était désigné par Dieu comme devant être le fiancé de cette vierge. Ces hommes furent alors renvoyés chez eux, et ce jeune homme se retira sur le mont Carmel, auprès des anachorètes qui vivaient là depuis le temps d'Elie ; il y vécut aussi depuis lors, priant continuellement pour l'accomplissement de la promesse.


La tradition le nomme Agabus, et dans le tableau de Raphaël, appelé vulgairement Sposatisio, il est représenté sous la figure d'un jeune homme qui brise un bâton sur son genou.


Je vis ensuite les prêtres du temple chercher de nouveau dans les registres des familles s'il n'existait pas quelque descendant de David qu'on eût oublié'. Comme ils y trouvèrent l'indication de six frères de Bethléhem, dont l'un était inconnu et absent depuis longtemps, ils s'enquirent du séjour de Joseph et le découvrirent à peu de distance de Samarie, dans un lieu situé près d'une petite rivière, où il habitait au bord de l'eau. travaillant pour un maître charpentier.


Sur l'ordre du grand prêtre, Joseph vint à Jérusalem et se présenta au temple. On lui fit, à lui aussi, tenir une branche à la main pendant qu'on priait et qu'on offrait un sacrifice ; comme il se disposait à la poser sur l'autel devant le Saint des saints, il en sortit une fleur blanche semblable à un ils, et je vis une apparition lumineuse descendre sur lui : c'était comme s'il eût reçu le Saint Esprit. On connut donc que Joseph était l'homme désigné par Dieu pour être le fiancé de la sainte Vierge, et les prêtres le présentèrent à Marie en présence de sa mère. varie, résignée à la volonté de Dieu, l'accepta humblement pour son fiancé, car elle savait que tout est possible Dieu, qui avait reçu son voeu de n'appartenir qu'à lui.


Selon l'opinion commune, la conservation des registres généalogiques était l'affaire privée des familles, Le sacerdoce israélite dut néanmoins se mêler du maintien et de la continuation de ces documents : on peut l'induire de cette circonstance qu'on avait à faire des règlements et des arrangements très importants pour la société juive, suivant la manière dont les tribus et les familles étaient réparties. Nous savons, par les anciens documents, qu'au moins depuis la captivité de Babylone on tenait au temple des registres généalogiques exacts. Voyez Lightfoot., Horae hebr., t. I, p. 178, ed. Carpzovi., et Otho. Le rabinico-philos., 1625, p. 250.

XXXVI Du mariage et de l'habit nuptial de Marie et de Joseph.


La soeur Emmerich, dans ses visions quotidiennes sur la prédication de Notre Seigneur, vit, le lundi 26 septembre 1821, Jésus enseigner dans la synagogue de Gophna et y séjourner dans la famille d'un chef de la synagogue, parent de Joachim. Elle entendit à cette occasion deux veuves, filles de cet homme, s'entretenir ensemble du mariage des parents de Jésus, auquel elles avaient assisté dans leur jeunesse avec d'autres parents, et elle communiqua ce qui suit : Comme les deux veuves rappelaient dans leur conversation le mariage de Marie et de Joseph, je vis un tableau de ce mariage et je fus frappée de la beauté de l'habit de noce de la sainte Vierge.


Les noces de Marie et de Joseph, qui durèrent sept à huit jours, furent célébrées à Jérusalem dans une maison près de la montagne de Sion, qu'on louait souvent pour de semblables occasions. Outre les maîtresses et les compagnes de Marie à l'école du temple, il y avait beaucoup de parents d'Anne et de Joachim, entre autres une famille de Gophna avec deux filles. Les noces furent solennelles et somptueuses. Beaucoup d'agneaux furent immolés et offerts en sacrifice.


J'ai très bien vu Marie dans son vêtement de fiancée. Elle avait une robe très ample, ouverte par devant, avec de larges manches. Cette robe était fond bleu, semée de grandes roses rouges, blanches et jaunes, entremêlées de feuilles vertes, comme les riches chasubles des anciens temps. Le bord inférieur était garni de franges et de houppes. Par-dessus sa robe, elle portait un manteau bleu de ciel qui avait la forme d'un grand drap. Outre ce manteau. les femmes juives portaient encore dans certaines occasions une espèce de manteau de deuil à manches. Le manteau de Marie retombait sur les épaules, revenait en avant des deux côtés et se terminait en queue.


Elle portait à la main gauche une petite couronne de roses de soie rouge et blanche ; elle tenait à la main droite, en guise de sceptre un beau chandelier doré, sans pied, surmonté d'un petit plateau, où brûlait quelque chose qui produisait une flamme blanchâtre.


Les vierges du temple arrangèrent la chevelure de Marie : plusieurs d'entre elles s'y employèrent, et cela se fit plus vite qu'on ne pourrait le croire. Anne avait apporté l'habit de noce, et Marie, dans son humilité, ne voulait pas consentir à s'en revêtir après les fiançailles ; ses cheveux furent rattachés autour de sa tête, on lui mit un voile blanc qui pendait jusqu'au dessous des épaules, et une couronne fut placée sur ce voile.


La sainte Vierge avait une chevelure abondante d'un blond doré, des sourcils noirs et élevés, de grands yeux habituellement baissés avec de longs cils noirs, un nez d'une belle forme un peu allongé, une bouche noble et gracieuse' un menton effilé ; sa taille était de moyenne grandeur : elle marchait revêtue de son riche costume avec beaucoup de grâce, de décence et de gravité. Elle mit ensuite pour ses noces un autre habit moins magnifique, dont je possède un petit morceau parmi mes reliques Elle portait cet habit rayé à Cana et dans d'autres occasions solennelles. Elle mettait quelquefois sa robe de noce pour aller au temple. Il y avait des gens riches qui changeaient trois ou quatre fois d'habits pour leur mariage. Dans ces habits de parade, Marie rappelait un peu certaines femmes illustres d'une époque postérieure, par exemple l'impératrice sainte Hélène, et même sainte Cunégonde, quoiqu'elle s'en distinguât par le manteau dans lequel s'enveloppaient ordinairement les femmes juives, et qui ressemblait davantage à celui des dames romaines il y avait à Sion, dans le voisinage du cénacle, un certain nombre de femmes qui apprêtaient de belles étoffes de toute espèce, ce que je remarquai à l'occasion de ces habits


Joseph avait une longue robe fort ample de couleur bleue ; les manches, qui étaient fort larges, étaient attachées sur le coté par des cordons. Autour du cou, il avait comme un collet brun, ou plutôt une large étole, et sur sa poitrine pendaient deux bandes blanches. J'ai vu toutes les circonstances des fiançailles de Joseph et de Marie, le repas de noces et les autres solennités : mais je vis en même temps tant d'autres choses, et je suis si malade et si dérangée de mille façons, que je ne me hasarde pas à en dire davantage, de peur de mettre trop de confusion dans le récit.

XXXVII De l'anneau nuptial de Marie.


Le 29 juillet 182l, la soeur Emmerich eut une vision relative aux draps mortuaires de Notre Seigneur Jésus-Christ et aux empreintes de son corps qui se manifestèrent miraculeusement sur les linges dont on l'avait enveloppé. Comme à cette occasion elle se trouva conduite en divers lieux où ces saintes reliques se trouvaient, les unes conservées religieusement, les autres oubliées des hommes et honorées seulement par les anges et par quelques âmes saintes, elle crut voir conservé dans un de ces endroits l'anneau nuptial de la sainte Vierge, et elle raconta ce qui suit :


J'ai vu l'anneau nuptial de la sainte Vierge ; il n'est ni d'argent, ni d'or, ni d'autre métal ; il est de couleur sombre avec des reflets changeants : ce n'est pas un petit cercle mince, il est assez épais et large d'un doigt. Je le vis tout uni, et cependant comme incrusté de petits triangles réguliers on se trouvaient des lettres Je le vis conservé sous plusieurs serrures dans une belle église. Il y a des gens pieux qui, avant de célébrer leurs noces, lui font toucher leurs anneaux de mariage.


Le 21 août 1821, elle dit : J'ai su dans ces derniers jours beaucoup de détails relatifs à l'histoire de l'anneau nuptial de Marie ; mais je ne puis plus raconter tout cela avec ordre. J'ai vu aujourd'hui une fête dans une église d'Italie où il se trouve. Il était exposé dans une espèce d'ostensoir qui était placé au-dessus du tabernacle. Il y avait là un grand autel richement paré, avec beaucoup d'ornements en argent. J'ai vu qu'on faisait toucher beaucoup d'anneaux à l'ostensoir.


J'ai vu pendant la fête paraître, des deux côtés de l'anneau, Marie et Joseph dans leurs habits de noce ; il me sembla que saint Joseph mettait l'anneau au doigt de la sainte Vierge. J'ai vu l'anneau tout lumineux et comme en mouvement'.


Je vis à droite et à gauche de cet autel deux autres autels, qui, probablement, ne se trouvaient pas dans la même église, mais qui me furent montrés en même temps dans cette vision. Sur l'autel de droite se trouvait une image de l'Ecce homo, qu'un pieux magistrat romain, ami de saint Pierre, avait reçue par une voie miraculeuse. Sur l'autel de gauche était un des draps mortuaires de Notre Seigneur.


Quand les noces furent finies, Anne revint à Nazareth, et Marie partit aussi en compagnie de plusieurs vierges qui avaient quitté le temple en même temps qu'elle. Je ne sais pas jusqu'où ces jeunes filles lui firent la conduite. Le premier endroit où l'on s'arrêta pour passer la nuit fut encore l'école de lévites de Bethoron. Marie fit le voyage à pied. Joseph, après les noces, était allé à Bethléhem pour régler quelques affaires de famille. Ce ne fut que plus tard qu'il se rendit à Nazareth.


Quand l'écrivain recueillit ceci, le 4 août 1821, il ne pouvait deviner pourquoi la soeur avait eu cette vision précisément le 3 août. Il fut fort surpris plusieurs années après lorsqu'il lut dans un écrit latin sur l'anneau de la sainte Vierge conservé à Pérouse, qu'on montrait cet anneau au peuple le 3 août, ce dont vraisemblablement ni lui ni la soeur ne savaient rien. Il trouva cette indication à la page 59 de l'écrit intitulé De annulo pronubo Deiparoe Virginis Perusioe religiosissime asservtur, J. B. Lauri Perusini Commentarius. 1626. Colonie Agrippinae,, apud J. Kinckium.

XXXVIII Depuis le retour de Marie jusqu'à l'Annonciation.


Avant de raconter sa vision de l'Annonciation, la soeur communiqua deux fragments de visions antérieures dont nous ne pouvons donner qu'une explication conjecturale. Etant encore très faible par suite d'une grave maladie, elle raconta ce qui suit, quelque temps après le mariage de la sainte Vierge et de saint Joseph :


J'ai vu une fête dans la maison de sainte Anne. Je vis six hôtes, sans compter les habitués de la maison, et quelques enfants rassemblés avec Joseph et Marie autour d'une table sur laquelle étaient des verres.


La sainte Vierge avait un manteau bariolé, avec des fleurs rouges, bleues et blanches, comme on en voit sur d'anciennes chasubles. Elle portait un voile transparent et par-dessus un autre voile noir. Cette fête paraissait se rattacher aux fêtes du mariage.


Elle ne raconta rien de plus à ce sujet, et l'on peut conjecturer que ce repas eut lieu lorsque la sainte Vierge quitta sa mère après l'arrivée de saint Joseph, et se retira avec lui dans la maison de Nazareth. Le jour suivant, elle raconta ce qui suit :


Cette nuit, dans ma contemplation, je cherchais la sainte Vierge, et mon conducteur me mena dans la maison de sainte Anne, dont je reconnus toutes les divisions. Je n'y trouvai plus Joseph ni Marie. Je vis que sainte Anne se disposait à aller à Nazareth, où la sainte Famille habitait maintenant. Elle avait sous le bras un paquet qu'elle portait à Marie. Elle alla à Nazareth en traversant une plaine et un petit bois qui se trouve devant une hauteur. J'y allai aussi. La maison de saint Joseph n'était pas loin de la porte de la ville ; elle n'était pas aussi grande que la maison de sainte Anne. Un puits quadrangulaire, auquel on descendait par quelques marches, était dans le voisinage, et il y avait devant la maison une petite cour carrée. Je vis Anne visiter la sainte Vierge, à laquelle elle remit ce qu'elle avait apporté avec elle. Je vis Marie pleurer beaucoup et accompagner quelque temps sa mère qui revenait chez elle. J'aperçus saint Joseph sur le devant de la maison dans un endroit retiré.


Nous pouvons conjecturer, d'après ces fragments, que sainte Anne visitait pour la première fois sa fille à Nazareth, et lui apportait un présent. Marie, qui maintenant vivait seule et séparée de sa mère bien-aimée, versa des larmes d'attendrissement lorsqu'elle partit.

XXXIX Annonciation de Marie.


Le 25 mars 1821, la soeur Emmerich dit :


Je vis la sainte Vierge peu après son mariage dans la maison de Joseph à Nazareth, où me conduisit mon guide. Joseph était parti avec deux ânes, je pense que c'était pour rapporter quelque chose dont il avait hérité, ou pour prendre les instruments de son métier. Il me sembla encore en route.


Outre la sainte Vierge et deux jeunes femmes de son âge qui avaient été, je crois, ses compagnes au temple, je vis dans la maison sainte Anne avec cette veuve sa parente, qui était à son service, et qui, plus tard, l'accompagna à Bethléhem après la naissance de Jésus. Sainte Anne avait tout remis à neuf dans la maison.


Je vis les quatre femmes aller et venir dans l'intérieur, puis se promener ensemble dans la cour. Vers le soir, je les vis rentrer et prier debout autour d'une petite table ronde, après quoi elles mangèrent des herbes qui avaient été apportées là. Elles se séparèrent ensuite. Sainte Anne alla encore ça et là dans la maison comme une mère de famille occupée de son ménage. Les deux jeunes personnes allèrent dans leurs chambres séparées, et Marie aussi se retira dans la sienne.


La chambre de la sainte Vierge était sur le derrière de la maison, près du foyer. On y montait par trois marches, car le sol de cette partie de la maison était plus élevé que le reste et sur un fond de rocher. Vis-à-vis de la porte, la chambre était ronde, et dans cette partie circulaire qui était séparée par une cloison à hauteur d'homme, se trouvait roulé le lit de la sainte Vierge. Les parois de la chambre étaient revêtues jusqu'à une certaine hauteur d'une espèce de travail de marqueterie fait avec des morceaux de bois de différentes couleurs. Le plafond était formé par quelques solives parallèles, dont les intervalles étaient remplis par un clayonnage orné de figures d'étoiles.


Je fus conduite dans cette chambre par le jeune homme lumineux qui m'accompagne toujours, et je vis ce que je vais raconter aussi bien que peut le faire une misérable personne comme moi.


La sainte Vierge, en entrant, se revêtit, derrière la cloison de son lit, d'une longue robe de laine blanche avec une large ceinture, et se couvrit la tête d'un voile d'un blanc jaunâtre. Pendant ce temps, la servante entra avec une lumière, alluma une lampe à plusieurs bras, qui était suspendue au plafond, et se retira. La sainte Vierge prit alors une petite table basse qui était contre le mur, et la mit au milieu de la chambre. Elle était recouverte d'un tapis rouge et bleu au milieu duquel était brodée une figure ; je ne sais plus si c'était une lettre ou un ornement. Un rouleau de parchemin écrit était sur cette table.


La sainte Vierge, l'ayant dressée entre la place de son lit et la porte, à un endroit où le sol était recouvert d'un tapis, plaça devant un petit coussin rond pour s'y agenouiller ; elle se mit alors à genoux, les deux mains appuyées sur la table. La porte de la chambre était devant elle à droite ; elle tournait le dos à sa couche.


Marie baissa son voile sur son visage et joignit les mains devant sa poitrine, mais sans croiser les doigts. Je la vis prier longtemps ainsi avec ardeur, je visage tourné vers le ciel ; elle invoquait la rédemption, la venue du roi promis au peuple d'Israel, et elle demandait aussi à avoir quelque part à sa mission. Elle resta longtemps à genoux, ravie en extase ; puis elle pencha la tête sur sa poitrine.


Alors, du plafond de la chambre, descendit à sa droite, en ligne un peu oblique, une telle masse de lumière que je fus obligée de me retourner vers la cour où était la porte ; je vis dans cette lumière un jeune homme resplendissant avec des cheveux blonds flottants, descendre devant elle à travers les airs : c'était l'ange Gabriel. Il lui parla, et je vis les paroles sortir de sa bouche comme des lettres de feu ; je les lus et je les entendis. Marie tourna un peu sa tête voilée vers le côté droit. Cependant, dans sa modestie, elle ne regarda pas. L'ange continua à parler. Marie tourna je visage de son côté, comme obéissant à un ordre, souleva un peu son voile, et répondit. L'ange parla encore ; Marie releva tout à fait son voile, regarda l'ange, et prononça les paroles sacrées : " Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ".


La sainte Vierge était dans un ravissement profond ; la chambre était pleine de lumière, je ne vis plus la lueur de la lampe qui brûlait ; je ne vis plus le plafond de la chambre. Le ciel parut ouvert ; mes regards suivirent au-dessus de l'ange une voie lumineuse ; je vis à l'extrémité de ce fleuve de lumière une figure de la sainte Trinité : c'était comme un triangle lumineux dont les rayons se pénétraient réciproquement. J'y reconnus ce que l'on ne peut qu'adorer, mais jamais exprimer, Dieu tout-puissant, le Père, le Fils et le Saint Esprit, et cependant un seul Dieu tout-puissant.


· Quand la sainte Vierge eut dit : " Qu'il me soit fait selon votre parole ", je vis une apparition ailée du Saint Esprit, qui cependant ne ressemblait pas entièrement à la représentation ordinaire sous forme de colombe. La tête avait quelque chose du visage humain ; la lumière se répandait des deux côtés comme des ailes ; j'en vis partir comme trois courants lumineux vers le côté droit de la Sainte Vierge, où ils se réunirent.


Quand cette lumière pénétra son côté droit, la sainte Vierge devint elle-même lumineuse et comme diaphane : il semblait que ce qu'elle avait d'opaque en elle se retirât devant cette lumière comme la nuit devant le jour. Elle était dans ce moment tellement inondée de lumière que rien en elle ne paraissait plus obscur ni opaque : elle était resplendissante et comme illuminée tout entière.


Je vis après cela l'ange disparaître ; la voie lumineuse dont il était sorti se retira : c'était comme si le ciel aspirait et faisait rentrer en lui ce fleuve de lumière.


Pendant que je voyais toutes ces choses dans la chambre de Marie, j'eus une impression personnelle d'une nature singulière J'étais dans une angoisse continuelle, comme si l'on m'eût dressé des embûches, et je vis un horrible serpent ramper à travers la maison et les degrés jusqu'à la porte près de laquelle j'étais quand la lumière pénétra la sainte Vierge ; le monstre était arrivé à la troisième marche. Ce serpent était à peu près de la longueur d'un enfant ; sa tête était large et plate ; il avait à la hauteur de la poitrine deux courtes pattes membraneuses, armées de griffes semblables à des ailes de chauve-souris, sur lesquelles il se traînait. Il était tacheté de diverses couleurs d'un aspect repoussant, et rappelait le serpent du Paradis, mais avec quelque chose de plus difforme et de plus horrible. Quand l'ange disparut de la chambre de la sainte Vierge, il marcha sur la tête de ce monstre devant la porte, et j'entendis un cri si affreux que j'en frissonnais. Je vis ensuite paraître trois esprits qui frappèrent ce hideux reptile et le chassèrent hors de la maison.


Après la disparition de l'ange, je vis la sainte Vierge dans un profond ravissement et toute recueillie en elle-même ; je vis qu'elle connaissait et adorait l'incarnation du Sauveur en elle, où il était comme un petit corps humain lumineux, complètement formé et pourvu de tous ses membres Ici, à Nazareth, c'est tout autre chose qu'à Jérusalem : à Jérusalem, les femmes doivent rester dans le vestibule, elles ne peuvent pas entrer dans le temple, les prêtres seuls ont accès dans le sanctuaire ; mais à Nazareth, c'est une vierge qui est elle-même le temple, le Saint des saints est en elle, le grand prêtre est en elle, et elle est seule près de lui Combien cela est touchant, merveilleux, et pourtant simple et naturel ! Las paroles de David, dans le psaume 45, sont accomplies : " Le Très Haut a sanctifié son tabernacle ; Dieu est au milieu de lui, il ne sera pas ébranlé ! "


Il était à peu près minuit quand je vis ce mystère. Au bout de quelque temps, sainte Anne entra chez Marie avec les autres femmes. Un mouvement merveilleux dans la nature les avait éveillées ; une nuée lumineuse avait paru au-dessus de la maison. Quand elles virent la sainte Vierge à genoux au-dessous de la lampe, ravie en extase dans sa prière, elles s'éloignèrent respectueusement.


Au bout de quelque temps, je vis la sainte Vierge se relever et s'approcher de son petit autel, qui était contre le mur ; elle alluma la lampe et pria debout. Des rouleaux écrits étaient devant elle sur un pupitre élevé. Je la vis ensuite se mettre sur sa couche vers le matin.


Alors mon conducteur m'emmena ; mais quand je fus dans le petit vestibule de la maison, je fus prise d'une grande frayeur. Cet affreux serpent était là aux aguets, il se précipita sur moi et voulut se cacher dans les plis de ma robe. J'étais dans une horrible angoisse ; mais mon guide me retira promptement de là, et je vis reparaître les trois esprits qui frappaient de nouveau le monstre. Je crois toujours entendre son effroyable cri, et j'en frissonne encore.


En contemplant cette nuit le mystère de l'Incarnation, je fus encore instruite de plusieurs autres choses. Anne reçut une connaissance intérieure de ce qui s'accomplissait.


Sanctificavit tabernaculum suum Altissimus ; Deus in medio ejus, non commovebitur.


J'appris pourquoi le Rédempteur devait rester neuf mois dans le sein de sa mère et naître enfant, pourquoi il n'avait pas voulu naître homme fait comme notre premier père, se montrer dans toute sa beauté comme Adam sortant des mains du Créateur ; mais je ne puis plus exprimer cela clairement. Ce que j'en comprends encore, c'est qu'il a voulu sanctifier de nouveau la conception et la naissance des hommes, qui avaient été tellement dégradées par le péché originel. Si Marie devint sa mère et s'il ne vint pas plus tôt, c'est qu'elle seule était, ce que jamais créature ne fut avant elle ni après elle, le pur vase de grâce que Dieu avait promis aux hommes, et dans lequel il devait se faire homme, pour payer les dettes de l'humanité au moyen des mérites surabondants de sa Passion. La sainte Vierge était la fleur parfaitement pure de la race humaine, éclose dans la plénitude des temps. Tous les enfants de Dieu parmi les hommes, tous ceux qui, depuis le commencement, avaient travaillé à l'oeuvre de la sanctification, ont contribué à sa venue. Elle était le seul or pur de la terre ; elle seule était la portion pure et sans tache de la chair et du sang de l'humanité tout entière, qui, préparée, épurée, recueillie, consacrée à travers toutes les générations de ses ancêtres, conduite, protégée et fortifiée sous le régime de la loi de Moise, se produisait enfin comme la plénitude de la grâce. Elle était prédestinée dans l'éternité, et elle a paru dans le temps comme mère de l'Eternel.


(Aux jours de fête de la Mère de Jésus, l'Eglise fait ainsi parler la sainte Vierge d'elle-même, par la bouche de la Sagesse divine, dans les Proverbes de Salomon, C. VIII) :


" Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies : avant qu'il créât aucune chose, j'étais dès lors. J'ai été établie dès l'éternité et dès le commencement, avant que la terre fût créée. Les abîmes n'étaient pas encore, et j'étais déjà conçue ; les fontaines n'étaient pas encore sorties de la terre ; la pesante masse des montagnes ne subsistait pas encore. J'étais enfantée avant les collines. Il n'avait point encore créé la terre, ni les fleuves, ni affermi le monde sur ses pôles. Lorsqu'il préparait les cieux, j'étais présente ; lorsqu'il environnait les abîmes de leurs bornes et qu'il leur prescrivait une loi inviolable ; lorsqu'il affermissait l'air au-dessus de la terre et qu'il mettait en équilibre les eaux des fontaines ; lorsqu'il renfermait la mer dans ses limites et qu'il imposait une loi aux eaux ; lorsqu'il posait les fondements de la terre, j'étais avec lui et je réglais toutes choses avec lui ; j'étais chaque jour dans les délices, me jouant sans cesse devant lui, me jouant dans le monde et trouvant mes délices à être avec les enfants des hommes. Écoutez-moi donc maintenant, mes enfants : heureux ceux qui gardent mes voies. Écoutez mes instructions, soyez sages et ne les rejetez point : heureux celui qui m'écoute, qui veille tous les jours à l'entrée de ma maison et qui se tient à ma porte ; car celui qui m'aura trouvée trouvera la vie, et il puisera le salut dans les trésors de la bonté du Seigneur. "


La sainte Vierge était âgée d'un peu plus de quatorze ans lors de l'incarnation de Jésus-Christ. Jésus-Christ arriva à l'âge de trente-trois ans et trois fois six semaines. Je dis trois fois six, parce que le chiffre six m'est montré en cet instant même trois fois répété.

XL Visitation de Marie.


(Dans la messe de cette fête, l'Église se sert des paroles du Cantique des Cantiques, II, 8-14.)


" C'est la voix de mon bien-aimé : le voici qui vient, sautant sur les montagnes, passant par-dessus les collines. Mon bien-aimé est semblable à un chevreuil et à un faon de biche. Le voici qui se tient derrière notre muraille, qui regarde par la fenêtre, qui jette ses regards à travers les grilles. Voilà mon bien-aimé qui me parle et qui me dit : Levez-vous, hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, ma beauté, et venez, car l'hiver est déjà passé. Les pluies se sont dissipées et ont cessé entièrement, les fleurs ont paru sur notre terre, le temps de tailler la vigne est venu, la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans notre terre, le figuier a poussé ses premiers bourgeons, les vignes sont en fleur et ont répandu leur odeur. Levez vous, ma bien aimée, mon unique beauté, et venez. Vous êtes ma colombe retirée dans les trous de la pierre : montrez-moi votre face ; que votre voix se fasse entendre à mes oreilles, car votre voix est douce et votre visage est beau. "