ONZIÈME CHAPITRE.

Jésus à Béthanie et au puits de Jacob. Dina la Samaritaine.

(Du 5 juillet au 9 août.)


 
 

   Jésus va à Béthanie avec Lazare.- Mesures prises à Béthanie afin de pourvoir aux besoins de Jésus et des apôtres pendant leurs voyages de prédication.- Jeu de loterie des femmes.- La perle perdue et retrouvée.- Jésus à Béthoron et dans la contrée voisine.- Souffrances des disciples : leurs sentiments.- Le puits de Jacob près de Sichar.- La samaritaine.


    (23 juillet.) Pendant la nuit dernière, je vis Jésus avec Lazare et les disciples de Jérusalem, au nombre de cinq, dans le pays voisin de Béthulie. La ville était située très haut, et je croyais qu'ils allaient la traverser : mais le chemin tournait autour. Je les vis ensuite vers le matin, devant Jezraël, entrer dans une métairie et un jardin qui appartenaient à Lazare. Ce n'était qu'une espèce de pied` à terre, il y avait pourtant un jardin. Les disciples étaient allés en avant pour faire préparer une collation il y avait là un homme de confiance de Lazare. Ils arrivèrent de grand matin, se lavèrent les pieds là, nettoyèrent leurs habits, mangèrent quelque chose et se reposèrent. En quittant Jezraël, ils traversèrent un petit cours d'eau, laissèrent à gauche Scythopolis, puis Salem, et se dirigèrent vers le Jourdain, en franchissant les dernières pentes d'une montagne. Ils allèrent ensuite plus au midi que Samarie, au delà du Jourdain, et comme il était déjà nuit, ils se reposèrent au pied d'une hauteur qui est au bord du fleuve et où habitaient des bergers de leur connaissance.

(26 juillet.) Je vis Jésus avec Lazare (les disciples étaient partis séparément par des chemins plus courts) traverser le Jourdain avant le jour et entrer dans le désert de Jéricho, en passant entre Haï et Galgala. Ils marchèrent tout le jour sans être vus, suivant des sentiers solitaires et évitant les lieux habités. Quelques lieues avant Béthanie, Lazare prit les devants et Jésus continua seul sa route. Ils contournèrent aussi les hôtelleries que Lazare avait dans cette partie du désert.

Dans le château de Béthanie on savait déjà que Jésus arrivait. Il y avait là Saturnin, Nicodème, Joseph d'Arimathie et ses neveux, Jean Marc, les fils de Siméon, les fils de Jeanne Chusa et de Véronique, et trois fils d'un employé au temple appelé Obed, mort assez récemment : avec eux étaient les disciples venus de Galilée, y avait avec Lazare une quinzaine d'hommes et aussi plusieurs femmes : la veuve d'Obed, femme de distinction âgée, qui était parente de Lazare par la mère de celui-ci, Véronique, Jeanne Chusa, Marie, mère de Jean Marc, Marthe et sa vieille servante, personne très intelligente qui plus tard s"attacha à la communauté chrétienne et servit le Sauveur. Toutes ces femmes attendaient en silence et cachées dans le château ; elles se tenaient dans la pièce souterraine ou grand caveau voûté où je les vis rassemblées avant la douloureuse passion.

Jésus arriva après le repas, vers quatre heures ; il entra par une porte de derrière dans les jardins de Lazare qui vint le recevoir dans une salle où il lui lava les pieds. Je vis dans cette salle un bassin dans le sol où aboutissait un conduit venant de la maison, et je vis à l'intérieur du logis Marthe verser de l'eau tiède qui coula dans le bassin par ce conduit : Jésus assis sur le bord y plaça ses pieds que Lazare lava et essuya. Il battit ensuite les habits du Seigneur, lui mit d'autres chaussures et lui offrit à boire et à manger.

Alors Jésus se rendit avec lui dans la maison par un long berceau de feuillage et descendit dans la pièce voûtée. Les femmes se voilèrent et s'agenouillèrent devant lui, les hommes firent seulement une inclination profonde. Il les salua et les bénit tous. Aussitôt après on se mit à table. Les femmes étaient assises d'un côté sur des coussins, les jambes croisées.

Nicodème était extraordinairement touché et très désireux d'entendre Jésus. Les hommes parlèrent avec amertume de l'emprisonnement de Jean. Jésus dit que cela avait dû arriver et que c'était la volonté de Dieu : qu'ils ne devaient pas parler de ces sortes de choses pour ne pas se faire remarquer et attirer par là le danger. Si Jean n'avait pas été mis de côté, il n'aurait pas pu encore se mettre à l'œuvre. Les fleurs doivent tomber quand le fruit vient

Ils parlèrent aussi avec amertume de l'espionnage et de la persécution des pharisiens et Jésus leur enjoignit également à ce sujet la paix et le silence. Il plaignit les pharisiens et raconta la parabole de l'économe infidèle. Il me fut expliqué que les pharisiens aussi étaient des économes infidèles, mais qu'ils n'agissaient pas avec l'habileté de celui-ci et qu"ils ne savaient pas se préparer un asile pour le jour où ils seraient rejetés. Après le repas ils allèrent dans une autre pièce où les lampes étaient allumées : Jésus fit la prière et ils célébrèrent le sabbat. Jésus s'entretint ensuite avec les hommes et ils allèrent prendre du repos. Jésus ne coucha pas, comme il l'avait fait d'autres fois, dans une pièce qui était en haut et donnait sur la rue, mais ils dormirent dans une rangée de chambres séparées, au-dessus desquelles passait une galerie ou un chemin. Cela me fit penser aux maisons de Fribourg en Suisse, qui sont au-dessous de la rue.

Lorsque le silence régna et que tout fut plongé dans le sommeil, Jésus se releva de sa couche et alla seul, sans être vu de personne, dans la grotte du mont des Oliviers, où il lutta dans la prière le jour de sa douloureuse passion : cette fois aussi il y pria son Père céleste de le fortifier dans ses travaux. Il revint à Béthanie avant le jour sans avoir été vu.

(27 juillet.) Je vis encore Jésus caché à Béthanie avec ses amis rassemblés. Les trois fils d'Obed qui étaient attachés au service du temple et d'autres qui avaient affaire au temple se rendirent à Jérusalem Ce jour-là je ne vis personne sortir de la maison. Tout était calme et personne ne savait que Jésus fût présent. Cette fois je ne vis pas Simon le lépreux avec eux.

Aujourd'hui, pendant le repas, Jésus parla de son séjour dans la haute Galilée, chez les habitants d'Amead, d'Adama et de Séleucie : comme les hommes à cette occasion s'élevèrent contre les sectes avec un zèle amer, il leur reprocha leur dureté et leur raconta une parabole touchant un homme qui était tombé entre les mains des voleurs sur le chemin de Jéricho, et dont un Samaritain avait eu plus de pitié qu'un lévite. J'ai souvent entendu raconter cette parabole et toujours avec de nouvelles explications. Il parla aussi du sort qui était réservé à Jérusalem.

Cette nuit, pendant que tout le monde reposait, Jésus alla encore prier dans la grotte de la montagne des Oliviers. Il pleura beaucoup et éprouva de violentes angoisses. Il était comme un fils qui part pour de grandes entreprises et qui auparavant se jette sur le sein de son père pour recevoir de la force et de la consolation.

Mon conducteur me dit que chaque fois que le Seigneur s'était trouvé à Béthanie, pour peu qu'il eût une heure de liberté, il était allé prier là pendant la nuit, et que c'était une préparation à sa dernière agonie sur la montagne des Oliviers. Il me fut aussi montré que Jésus priait et pleurait là de préférence, parce que c'était sur cette montagne qu'Adam et Eve chasses du paradis avaient pour la première fois foulé la terre inhospitalière. Je les vis pleurer et prier dans cette grotte. Je vis que ce fut dans le jardin des Oliviers où il faisait des plantations, que Caïn, dominé par son ressentiment, prit la résolution de tuer Abel. Cela me fit penser à Judas. Je vis Cain commettre son fratricide dans les environs de la montagne du Calvaire, et Dieu lui en demander compte sur celle des Oliviers. Jésus était de retour à Béthanie au point du jour. Je crois que la nuit prochaine il ira à Béthoron, où les douze disciples sont convoqués.

(28 juillet.) Aujourd'hui, le sabbat étant passé, on s'occupa de l'affaire qui avait principalement motivé la venue de Jésus à Béthanie. Les saintes femmes avaient appris avec peine combien lui et ses compagnons avaient à supporter de privations en voyage, et comment dans le dernier voyage qu'il avait fait en toute hâte à Tyr, il lui avait fallu tremper dans l'eau pour pouvoir les manger, les croûtes de pain desséchées que Saturnin avait recueillies pour lui en demandant l"aumône. C'est pourquoi ces amies de Jésus s'étaient offertes pour lui préparer des logements fournis de toutes les choses nécessaires et Jésus avait accepté. Or il était venu pour s'entendre avec elles sur ce qu'il y aurait à faire.

Lorsqu'il annonça que dorénavant il prêcherait publiquement en tous lieux, Lazare et ses amies offrirent de nouveau de lui préparer des logements, d'autant plus que les Juifs, excités par les pharisiens, spécialement dans les villes des alentours de Jérusalem, n'offraient rien à Jésus et à ses disciples. Ils prièrent donc le Seigneur de leur indiquer les principaux points où il devait s'arrêter pendant ses voyages de prédication et le nombre des disciples qu'il aurait avec lui, afin de calculer là-dessus le nombre des gîtes et la quantité des provisions. Jésus leur fit connaître alors la direction et les temps d'arrêt de ses voyages, et approximativement le nombre de ses disciples On résolut de préparer une quinzaine d'hôtelleries dont la direction serait confiée à des personnes de confiance, quelquefois à des parents, et cela dans tout le pays, puis en dehors de la Galilée, dans le pays de Khabul, en se dirigeant vers Tyr et au midi.

Les saintes femmes examinèrent ensemble de quel district et de quelle espèce de soins chacune d'elles aurait à se charger. Ainsi, elles se partagèrent le choix des hommes de confiance, la fourniture des objets nécessaires, comme couvertures, vêtements, chaussures, etc., leur nettoyage et leur réparation, et le soin du pain et des autres provisions de bouche ; tout cela se fit avant et pendant le repas : Marthe était bien là à sa place. 
Après le repas, on devait tirer au sort la répartition des frais entre elles. Je vis, quand on fut sorti de table, Jésus, Lazare, les amis du Seigneur et les saintes femmes, se réunir en particulier dans une grande pièce voûtée. Jésus était assis d'un côté de la salle sur un siège élevé : les hommes se tenaient debout ou assis autour de lui : les femmes étaient assises à l'autre bout, sur une terrasse avec des degrés, recouverte de tapis et de coussins. Jésus enseigna sur la miséricorde de Dieu envers son peuple, dit comment il avait envoyé les prophètes l'un après l"autre, comment tous avaient été méconnus et maltraités, comment ce peuple rejetait aussi le dernier temps de grâce, et ce qui adviendrait de lui. Après qu'il eut longtemps parlé sur ce sujet, quelques-uns lui dirent :"Seigneur, racontez-nous cela dans une belle parabole." Alors Jésus raconta de nouveau la parabole du roi qui envoya son fils à sa vigne après que tous ses serviteurs eurent été mis à mort par des vignerons infidèles, et comment ils firent aussi mourir le fils, etc.

A la fin de cette prédication, quelques uns des hommes sortirent, et Jésus se promena de long en large dans la salle avec les autres : Marthe, qui allait et venait, s'approcha de lui et lui parla avec beaucoup d'anxiété de sa sœur Madeleine, d"après ce que Véronique lui avait rapporté d'elle.

Pendant qu'il allait et venait dans la salle avec les hommes, les femmes étaient assises et jouaient à une espèce de jeu de loterie au profit de l'administration dont elles s'étaient chargées. Elles avaient entre elles une table à roulettes placée sur une 'extrade élevée. C'était comme une espèce de coffre haut d"environ deux pouces. Au centre était comme une étoile rayonnant vers cinq extrémités. Sur la face supérieure de ce coffre, qui était creux intérieurement et partagé en divers compartiments, cinq rainures profondes allaient des cinq coins au centre, et entre ces rainures étaient percés divers trous qui correspondaient à l'intérieur de la boîte. Toutes ces femmes avaient apporté de longs cordons de perles enfilées et beaucoup d'autres pierres précieuses, et chacune, selon que son tour de jouer était venu, en entassait un certain nombre dans une des rainures. Alors, l"une après l'autre, elles plaçaient au bout des rainures, derrière la dernière perle, un joli petit appareil qui, pressé avec la main, lançait une petite flèche contre la perle la plus rapprochée ; cela donnait une secousse à toute la ligne, en sorte que les perles ou les pierres précieuses sortaient de la rangée et tombaient dans l'intérieur de là boîte par les ouvertures ou sautaient sur d'autres rainures. Quand toutes les perles furent ainsi poussées ailleurs, on remua à droite et à gauche la table qui était posée sur des roulettes : alors les perles et les pierres précieuses, tombées dans l'intérieur, allèrent se rendre dans plusieurs petites cassettes que l'on pouvait retirer par le bord de la table, et dont chacune appartenait à l'une des personnes qui prenaient part au jeu. Ainsi, chacune de ces saintes femmes tira une de ces petites cassettes et vit ce qu'elle avait perdu de ses bijoux et gagné au profit de la charge qu'elle avait prise.

Dans ce jeu des saintes femmes, une perle très précieuse qui était tombée entre elles, s'était perdue elles la cherchèrent partout avec beaucoup de soin, et la retrouvèrent enfin à leur grand contentement : alors Jésus vint à elles et leur raconta la parabole de la drachme perdue et retrouvée avec tant de joie ; puis de leur perle égarée, cherchée si soigneusement et si heureusement retrouvée, il tira une nouvelle comparaison appliquée à Madeleine. Il l"appela une perle plus précieuse que bien d'autres, laquelle, de la table de jeu du saint amour, était tombée sur la terre et s'était perdue. Avec quelle joie, dit-il, vous retrouverez cette perle précieuse ! Alors les femmes, profondément émues, lui répondirent : Ah ! Seigneur, cette perle se retrouvera-t-elle ? et Jésus leur dit : Il faut chercher avec encore plus de diligence que la femme de la parabole ne cherche sa drachme et le pasteur sa brebis perdue. Sur ce discours, toutes, vivement touchées, promirent de chercher Madeleine avec encore plus de soin que leur perle, de se réjouir bien davantage si elle se retrouvait, etc. Quelques-unes des femmes prièrent aujourd'hui le Seigneur de vouloir bien admettre parmi ses disciples le jeune homme de Samarie qui lui avait demandé cette faveur après la Pâque, comme il passait à Samarie : elles lui parlèrent de la grande vertu et de la science de ce jeune homme, qui était, je crois, parent de l'une d'elles. Mais Jésus leur répondit qu'il viendrait difficilement, et qu'il était aveugle par un côté, entendant par là qu'il tenait trop aux biens de ce monde

Le soir, plusieurs des hommes et des femmes prirent leurs mesures pour se rendre à Béthoron, ou Jésus voulait prêcher le lendemain. Quant au Seigneur, il alla encore en secret sur la montagne des Oliviers, et il y pria avec beaucoup d"ardeur, après quoi il partit avec Lazare et Saturnin pour Béthoron, qui est éloigné d'environ six lieues.

(29 juillet.) A une heure après minuit je vis Jésus avec Lazare, Saturnin et deux autres traverser le désert, dans la direction du nord-ouest, pour aller à Béthoron. Les disciples chargés de se rendre d'avance s'étaient déjà réunis la veille dans l'hôtellerie placée entre les deux déserts qui se coupent ici, à environ une lieue à l'est de Béthoron, ville située sur une montagne : dès le matin ils vinrent à deux lieues à la rencontre de Jésus C'étaient Pierre, André et leur demi frère Jonathan, Jacques le Majeur, Jean, Jacques le Mineur et Jude Thaddée, qui venait avec eux pour la première fois, puis Philippe, Nathanael Khased, et je crois aussi le fiancé de Cana, avec un ou deux des fils des trois veuves Je vis Jésus avec eux dans le désert ; il s'assit pendant quelque temps sous un arbre et enseigna. Il parla de nouveau de la parabole du maître de la vigne qui envoie son fils. Ils revinrent à l'hôtellerie de bon matin. Je les vis manger quelque chose : Saturnin avait dans une bourse des pièces de monnaie qu'il avait reçues des saintes femmes, et il s'était occupé de trouver des aliments.

Vers huit heures du matin, ils allèrent à Béthoron. Deux disciples prirent les devants : ils se rendirent à la demeure du chef de la synagogue et demandèrent les clefs, parce que leur maître voulait enseigner : d'autres se répandirent dans les rues et y convoquèrent le peuple. Jésus entra avec les autres, et la synagogue fut bientôt remplie de monde : il parla encore ici très fortement à l'occasion de la parabole du maître de la vigne, et dont les serviteurs avaient été tués par les vignerons infidèles, lesquels mettent aussi à mort son fils qu'il leur envoie : après quoi le maître donnera sa vigne à d'autres. Il parla aussi de la persécution des prophètes, de l'emprisonnement de Jean, ajouta qu'on le poursuivait, lui aussi, et qu'on mettrait la main sur lui, et enfin annonça le jugement qui menaçait Jérusalem. Ses discours produisirent une grande émotion parmi les Juifs ; quelques-uns se réjouissaient, d'autres étaient pleins de rage et murmuraient : "D'où celui-ci vient-il ainsi tout à coup ? disaient-ils ; personne n'a su qu'il dût venir. " Quelques-uns d'entre eux, ayant appris qu'il y avait dans l'hôtellerie de la vallée des femmes qui étaient du nombre des adhérents de Jésus, s'y rendirent pour les interroger sur ce qu'il se proposait.;

Il guérit plusieurs malades de la fièvre et quitta la ville au bout de quelques heures.

Véronique, Jeanne Chusa et la veuve d'Obed étaient arrivées à l"hôtellerie et avaient préparé à manger : le Seigneur et ses disciples mangèrent et burent debout, ils se ceignirent et continuèrent leur route. Je le vis ce même jour enseigner de la même manière à Kibzaïm et dans quelques hameaux de bergers. Les disciples n'étaient pas tous à Kibzaïm, mais ils se réunirent de nouveau dans une maison de bergers fort spacieuse avec des dépendances, située sur les frontières de la Samarie, et où Marie et Joseph avaient été accueillis lors du voyage à Bethléhem, après avoir vainement demande qu'on les reçût chez d'autres Ils mangèrent et dormirent ici. Ils étaient environ une quinzaine. Lazare et les femmes étaient repartis.

(30 juillet.) Aujourd"hui, je vis Jésus et les disciples, tantôt ensemble, tantôt séparément, traverser en grande hâte plusieurs endroits grands et petits qui se trouvaient ici dans un rayon de quelques lieues. Je me souviens d'avoir entendu nommer Gabaa et aussi Naïoth, qui peut être à quatre lieues de Kibzaïm, où Jésus était hier. Dans tous ces endroits, le Seigneur ne prit pas le temps d'enseigner dans les synagogues. Il prêcha sur des collines en plein air, sur des places publiques et dans les rues où le peuple se rassemblait une partie des disciples allait en avant dans les vallées, les petits villages et les maisons de bergers disséminées, pour convoquer le peuple aux endroits où Jésus devait s'arrêter. Plusieurs toutefois restaient près de lui. Tout ce travail, fait successivement en divers endroits, fut extrêmement fatigant et pénible.

Il guérit beaucoup de malades qui lui furent amenés dans les lieux où il passait, et qui invoquèrent son assistance. Il y avait dans le nombre plusieurs lunatiques. Beaucoup de possédés coururent après lui en criant, et il leur ordonna de se taire et de se retirer. Ce qui rendait la tâche de ce jour plus difficile, c'était la mauvaise disposition du peuple et les injures des pharisiens. Ces endroits, voisins de Jérusalem, étaient pleins de gens qui avaient pris parti contre Jésus. Il en était alors comme aujourd'hui dans les petits endroits où l'on répétait des bavardages et où l'on n'approfondissait rien. Là-dessus venait l'apparition subite de Jésus avec un grand nombre de disciples, et sa prédication très sévère et très menaçante : car il enseignait partout comme à Bethoron : il parlait du temps de la grâce qui touchait à sa fin, et le la justice qui devait venir après. Il revenait toujours sur les mauvais traitements qu'avaient soufferts les prophètes, sur l'emprisonnement de Jean, et sur la persécution à laquelle lui-même était en butte. Il racontait ordinairement la parabole du maître de la vigne qui avait envoyé son fils, et annonçait l"avènement du royaume dont le fils du roi devait prendre possession. Il criait aussi malheur à Jérusalem et à ceux qui ne recevraient pas son royaume et ne feraient pas pénitence. Ces discours sévères et menaçants étaient interrompus par beaucoup d'actes de charité et de guérisons, et il allait ainsi d'un lieu à l'autre.

Les disciples avaient beaucoup à endurer, ce qui leur était parfois très pénible. Là où ils allaient et annonçaient leur maître, ils entendaient souvent des paroles très injurieuses : " Voilà qu'il vient encore ! que veut-il ? d'où sort-il ? ne le lui a-t-on pas défendu. En outre, on riait d'eux, on criait après eux et on les insultait. Il y avait pourtant des gens qui les recevaient avec joie, mais ils n'étaient pas en grand nombre. Personne n'osait s'attaquer à Jésus lui-même : quand il enseignait et que les disciples se tenaient autour de lui ou le suivaient dans la rue, c'était à eux que s'adressaient tous ceux qui voulaient faire du bruit. Ils les arrêtaient, leur faisaient des questions ; ils n'avaient compris qu'à demi ou à contresens les sévères paroles de Jésus, et ils voulaient avoir des explications : au milieu de tout cela on entendait retentir aussi des. cris de joie. C"est que le Seigneur avait guéri des malades ; cela irritait les contradicteurs et ils se retiraient. Il en fut de même jusqu'au soir : et à tout cela se joignait une marche fatigante et rapide, sans repos, sans nourriture, sans rien qui donnât du soulagement.

Je les vis encore aujourd'hui entrer dans la maison des bergers d'hier. Il me semble avoir vu qu'on leur lavait les pieds.

Je remarquai que les disciples étaient encore bien faibles et bien charnels ; que souvent, lorsque Jésus enseignait et qu'on les interrogeait, ils chuchotaient ensemble, te comprenant pas au juste ce qu'il voulait dire. Ils étaient peu satisfaits de la situation qui leur était faite : ils se disaient à eux-mêmes : " Voilà que nous avons tout laissé là, et nous nous trouvons jetés au milieu du bruit et du tumulte. Qu'est-ce que ce royaume dont il parle ? est-ce que réellement il en fera la conquête. Telles étaient leurs pensées : mais ils les cachaient en eux-mêmes : seulement ils laissaient souvent voir leur embarras. Jean seul suivait son maître comme un enfant, entièrement soumis et sans arrière-pensée. Et pourtant ils avaient vu tant de miracles et en voyaient tant encore !

Il était singulièrement touchant de voir Jésus, qui connaissait toutes leurs pensées, n'en tenir aucun compte, leur montrer toujours le même visage, et continuer à faire son œuvre, toujours serein, affectueux et grave.

Ils ont encore marché jusqu'à une heure très avancée, et ils ont passé la nuit dans la vallée, en deçà de la petite rivière qui sert de limite à la Samarie, chez des bergers, où ils n'ont presque rien trouvé. L'eau de cette rivière n'était pas bonne à boire ; elle était étroite et coulait rapidement vers l'ouest, étant ici à peu de distance de sa source qui est au pied du mont Garizim.

(31 juillet.) Aujourd'hui, Jésus passa la petite rivière avec ses compagnons ; ils firent le tour du mont Garizim sur leur droite, et se dirigèrent vers Sichar. André, Jacques le Majeur et Saturnin restèrent seuls avec Jésus sur ce chemin ; tous les autres allèrent dans d"autres directions : je ne sais plus bien de quoi ils étaient chargés. Jésus alla au puits de Jacob, qui est au nord du mont Garizim et au sud du mont Hébal, dans l'héritage de Joseph, sur une petite colline à l'ouest de laquelle se trouve Sichar, à environ un quart de lieue. Sichar est placée dans une vallée qui se prolonge encore à une lieue à l'ouest en longeant la ville. Samarie est située sur une montagne à deux grandes lieues au nord-ouest de Sichar.

Plusieurs chemins creusés dans le roc viennent de divers côtés, en montant la petite colline, aboutir au bâtiment octogone entouré d'arbres et de bancs de gazon qui renferme le puits de Jacob. Cet édifice est entouré d'arcades sous lesquelles une vingtaine d'hommes peuvent trouver place. En face du chemin de Sichar, une porte ordinairement fermée conduit sous cette galerie dans l'intérieur du bâtiment. Il y a dans la partie supérieure du toit une ouverture au-dessus de laquelle on met souvent une espèce de couvercle. L'intérieur du petit bâtiment est assez spacieux pour qu'on puisse circuler commodément entre la margelle de pierre du puits et la muraille. Le puits est fermé avec un couvercle en bois : quand il est ouvert ? on voit un lourd cylindre placé en travers, du côté opposé à l'entrée : le seau à puiser y est suspendu et on le fait mouvoir assez péniblement au moyen d'une manivelle. Vis-à-vis la porte se trouve une pompe par laquelle on peut faire monter l'eau à la hauteur du mur de l"édifice. Cette eau coule à l'extérieur au levant, au midi et au couchant, dans trois petits bassins creusés sous le péristyle : les voyageurs s'y lavent les pieds et y font leurs ablutions : on peut aussi y faire boire le bétail.

Il était environ midi quand Jésus arriva à la colline avec les trois disciples. Il les envoya à Sichar chercher de quoi manger, car il avait faim. Il monta seul la colline pour les attendre. C'était une journée très chaude, Jésus était très fatigué et il avait soif. Il se plaça tout pensif à quelque distance du puits, au bord du chemin qui venait de Sichar, et la tête appuyée sur la main, il semblait attendre et désirer quelqu'un qui ouvrit le puits et lui donnât à boire. Je vis alors une femme samaritaine d'environ trente ans, agréable et bien faite, qui venait de Sichar, portant une outre suspendue au bras, et gravissait la colline pour prendre de l'eau Elle était belle, et je la regardai avec un vrai plaisir, comme elle montait la colline à grands pas, tant elle était gracieuse, leste et vigoureuse. Son ajustement avait quelque chose de distingué ; on pouvait même y voir un peu de recherché. Son vêtement rayé de bleu et de rouge, était broché de grandes fleurs jaunes ; les manches, attachées en deux endroits du bras avec des bracelets de couleur jaune, paraissaient froncées autour des coudes. Elle portait un corsage blanc, orné de lacets de soie jaunâtre. Elle avait le cou recouvert tout entier d'une collerette de laine jaune, toute garnie de cordons de perles et de coraux. Son voile, d'un tissu de laine fin et riche, descendait très bas par derrière cette partie postérieure était assez longue pour qu'elle pût la rassembler et l"attacher autour de son corps. Ainsi ramassé, le voile se terminait en pointe par derrière, et formait des deux côtés du corps deux plis dans lesquels les bras et les coudes pouvaient reposer commodément. Quand elle rapprochait les deux côtés du voile devant la poitrine, tout le haut du corps était couvert comme d'un petit manteau.

Note : C'est ainsi qu'elle s'exprima : peut-être était-ce cette large bandelette ornée d'or, d'argent, etc., et appelée strophium, avec laquelle les femmes de l'antiquité avaient coutume de se ceindre autour de la poitrine.

La tête de cette femme était toute couverte de bandelettes, et l'on ne voyait pas ses cheveux. Cette coiffure se terminait par quelque chose qui faisait saillie en avant du front : c'était comme une petite tour derrière laquelle se plaçait la partie antérieure du voile lorsqu'il était relevé : quand il était abaissé sur je visage, il tombait jusqu'à la poitrine.

Cette femme gracieuse, agile et forte, avait rejeté sur le bras droit son gros tablier brun de poil de chèvre ou de chameau, de sorte qu'il couvrait un peu l'outre de peau qu'elle portait suspendue à ce bras. C'était comme un tablier de travail dont il semble qu'on se servait en puisant de l'eau, pour préserver les vêtements du contact du seau ou de l'outre.

L'outre était de cuir : c'était comme un sac sans couture : elle était un peu rebondie de deux côtés, comme si elle eût été doublée avec des plaques de bois cintrées : les deux autres côtés se repliaient sur eux-mêmes quand elle était vide, comme les plis d'un portefeuille Aux deux côtés saillants étaient assujetties des poignées recouvertes de cuir, à travers lesquelles passait une courroie par laquelle la femme portait l'outre à son bras. L'ouverture de l'outre était rétrécie : on pouvait' pour y verser l'eau, en séparer les côtés, de manière à lui donner la forme d'un entonnoir, puis on la fermait de nouveau comme on ferme un sac à ouvrage. L'outre, quand elle était vide, pendait à plat sur le côté ; remplie, elle s'arrondissait et contenait autant qu'un seau d'eau ordinaire.

Je vis donc cette femme gravir d'un pas agile la colline, où elle allait prendre de l'eau au puits de Jacob pour elle et pour d'autres : je l'aime beaucoup, elle est si bienveillante, si intelligente et si franche.

Elle s'appelle Dina, elle est née d'un mariage mixte et appartient à la secte samaritaine. Elle réside à Sichar, qui n'est pourtant pas son lieu de naissance ; elle y porte le nom de Salomé et on n'y sait rien de ce qui la concerne, mais on les voit sans peine dans cet endroit, elle et son mari, à cause de leur caractère franc, bienveillant et serviable.

A cause des détours que faisait le sentier, Dina ne put voir le Seigneur que quand elle fut devant lui. Il était là, seul, en proie à la soif, assis sur le chemin du puits, et son aspect avait quelque chose de singulièrement frappant. Il était revêtu d'une longue robe de fine laine blanche, avec une large ceinture ; elle me faisait l'effet d'une aube. C'était une robe de prophète que les disciples portaient avec eux quand ils allaient à sa suite. Il la mettait lorsqu'il enseignait dans des occasions solennelles ou qu'il agissait prophétiquement.

A un tournant du chemin, Dina se trouva inopinément en face de Jésus : elle s'arrêta court à sa vue, baissa son voile sur son visage et hésita à passer outre : le Seigneur était assis tout contre le chemin. Je vis aussitôt dans son intérieur s'élever rapidement cette pensée : " un homme ! que fait-il là ? Serait-ce une tentation ? "Jésus, en qui elle reconnut un Juif, la regarda avec sérénité et bienveillance, et retirant ses pieds en arrière, parce que le chemin était très étroit, il lui dit : "Passez et donnez-moi à boire !

Note : Dans le martyrologe romain, elle est nommée Photina.

Elle se sentit touchée de ces paroles, parce que les Juifs et les Samaritains étaient accoutumés à ne se regarder mutuellement qu'avec horreur ; elle s'arrêta encore un moment et dit : "Pourquoi êtes-vous ici tout sent à cette heure ? Si l'on me voyait ici avec vous, on s'en scandaliserait. "Jésus répondit que ses compagnons étaient allés à la ville chercher des aliments, et Dina lui dit : " Ce sont sans doute les trois hommes que j'ai rencontrés ! mais ils trouveront peu de chose à cette heure ; les Sichémites ont besoin pour eux-mêmes de ce qu'ils ont préparé aujourd'hui. " Elle parla comme s'il y avait aujourd'hui une fête ou un jour de jeûne à Sichar, et nomma un autre endroit où ils auraient dû aller pour se procurer des vivres.

Jésus lui dit encore : "Passez et donnez-moi à boire ! "Alors Dina passa devant lui : il se leva et la suivit au puits, qu'elle ouvrit. Tout en marchant elle lui dit : "Comment vous, qui êtes Juif, pouvez-vous demander à boire à une Samaritaine ?,' Et Jésus lui répondit : "Si vous connaissiez le don de Dieu et si vous saviez quel est celui qui vous demande à boire, vous lui auriez demandé vous-même et il vous aurait donné de l"eau vive. "

Alors Dina leva le couvercle du puits, détacha le seau et dit à Jésus qui s'assit sur le bord du puits : " Seigneur, vous n'avez pas de vase pour puiser, et le puits est très profond ; d'où pourriez-vous avoir de l'eau vive ? Etes-vous donc plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui y a bu lui-même avec ses enfants et ses troupeaux ? "Comme elle parlait ainsi, j"eus une vision où il me fut montré comment Jacob creusa ce puits et comment l'eau jaillit devant lui. Mais la femme entendait les paroles de Jésus comme s'appliquant à de l'eau de source : en parlant ainsi, elle fit descendre le seau à l'aide du cylindre qui marchait difficilement, puis le tira, et je vis qu'elle relevait ses manches avec leurs agrafes, en sorte que l"étoffe bouffait par le haut. Alors avec son bras nu elle vida le seau dans son outre, et présenta à Jésus un petit cornet d'écorce rempli d'eau. Jésus, assis sur le rebord du puits, but et loi dit : "Qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau vive que je lui donnerai n'aura plus jamais soif. L'eau que je donne deviendra en lui une source qui jaillira jusque dans la vie éternelle '. "

Note : Les sources d'eau montent et se déversent de nouveau suivant la hauteur du point d'où elles sont parties. L'eau vive, le Saint-Esprit, est descendu au puits scellé de l'humanité du fils, de Jésus-Christ, et Jésus est monté à son tour avec la divinité et l'humanité jusqu'à la droite du Père. Le Seigneur lui-même a dit : "Qui croit en moi, des torrents d'eau vive couleront de ses entrailles, comme dit l'Ecriture. Il disait cela de l'Esprit Suint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui (Joan., VII, 38-39). Mais qui a reçu le Saint-Esprit dans une mesure égale à celle de la sainte Vierge ? Pour faire comprendre à quelques égards dans ce qu'elle a de plus profond la signification particulière de l'entretien de Jésus avec la Samaritaine au puits de Jacob, nous devons remarquer que comme dans la nature, de même dans le langage général prophétique et biblique, aux idées d'eau, de source, de puits, de fleuves, de fontaines, de pluie, etc., sont liées le plus souvent les idées de fécondation, d'origine, de propagation, de bénédiction du mariage, de maternité, etc. L'alliance de Dieu avec l'homme a toujours dans l'Ecriture le caractère d'un mariage légitime, sacramentel, car le contraire, qui est l'idolâtrie, est toujours désigné par le nom de prostitution, d'union illégitime des sexes. La mère est souvent désignée par le nom de fontaine. Quand Dieu par la bouche de Jérémie (II, 12), menace son peuple parce qu'il s'est uni dans l'idolâtrie et l'impureté aux Egyptiens et aux Assyriens, il dit : "  Mon peuple m'a quitté, moi qui suis la source d'eau vive, et il s'est creusé des citernes qui ne retiennent pas les eaux. "  Isaie (XLVIII, 1), s'adressant à son peuple parle ainsi : " Écoutez, maison de Jacob, vous qui êtes sortie des eaux de Juda, c"est-à-dire qui êtes sa postérité. " Balaam, prophétisant sur la race de Jacob, s'exprime en ces termes : (Num., XXIV, 7.) L'eau découlera de ses seaux et sa bénédiction sera comme les grandes eaux. Il est souvent parlé dans l'Ecriture d'eau vive, de torrents d'eau (Ezéchiel, XLVII, 1 ; Joël, III, 18 ; Zach., XIV, 88 : Apocalypse, VII, 17-21 ; XI, 22, 1-17, etc.) Les saints Pères entendent par là la grâce du Christ l'envoi du Saint-Esprit dans le baptême. Plusieurs vieilles traductions appellent l'ancien Testament l'ancien mariage, le nouveau, le nouveau mariage, et cela avec un grand sens. L'Eglise aussi est une mère, nous devons dans ses fonts baptismaux naître de nouveau de l'eau et de l'Esprit-Saint ; autrement, nous ne pouvons pas entrer dans le royaume de Dieu. 
(Note de l'écrivain.)

Dina la Samaritaine était d'une humeur libre et enjouée, et elle dit en souriant à Jésus : " Seigneur, donnez-moi de cette eau vive, afin que je n'aie plus soif et que je n'aie plus à me tant fatiguer pour prendre de l'eau ici ". Mais elle était pourtant émue par ce qu'il avait dit de l'eau vive' et elle soupçonnait, sans bien s'en rendre compte, que Jésus entendait par là l'accomplissement de la promesse. Ainsi sa demande d'eau vive lui fut inspirée par un mouvement prophétique du cœur. J'ai toujours senti et reconnu que les personnages avec lesquels le Sauveur se mettait en relations ne devaient pas être considérés seulement comme des individus isolés, mais qu'ils étaient en outre la représentation complète de toute une classe de personnes. Il en était ainsi, parce que les temps étaient accomplis : c'est pourquoi Dina la Samaritaine représentait proprement devant le Rédempteur, toute la secte des Samaritains, séparée de la vraie foi d'Israël, qui était la source d'eau vive.

Jésus au puits de Jacob avait soif des âmes élues de Samarie, qu'il voulait désaltérer avec les eaux vives dont elles s'étaient éloignées. Et c'était ici la partie encore guérissable de la secte schismatique, qui avait soif de cette eau vive et tendait en quelque manière la main ouverte pour la recevoir. Samarie disait par la bouche de Dina : " Seigneur, donnez-moi la bénédiction de la promesse, étanchez ma soif, qui dure depuis si longtemps ; aidez-moi à trouver l'eau vive, afin que je reçoive plus de consolation que ne m'en donne cette fontaine terrestre de Jacob, par laquelle seule nous avons encore quelque communauté avec les Juifs. "

Quand Dina eut ainsi parlé, Jésus lui dit : "Allez dans votre maison, appelez votre mari et revenez. "J'entendis qu'il lui dit cela deux fois, en ce sens qu'il n'était pas là pour l'instruire elle toute seule. Le Sauveur disait par là à la secte : " Samarie, appelle au près de moi celui auquel tu appartiens, celui qui engendre de toi dans un mariage légitime, dans une sainte alliance. n Dina répondit au Seigneur : "Je n'ai pas de mari. "

Samarie avouait au fiancé des âmes qu'elle n'avait pas d'alliance, qu'elle n'appartenait à personne, qu'il ne sortait d'elle aucune fleur que l'Esprit-Saint pût féconder, qu'elle n'avait pas de mère du Messie Jésus reprit : " Vous dites bien, car vous avez vécu avec cinq hommes, et celui avec lequel vous vivez maintenant n'est pas votre mari ; en cela vous avez dit vrai. "Par ces paroles, le Messie disait à la secte : "Samarie, tu dis vrai : tu as été mariée avec les idoles de cinq peuples, ton union actuelle avec Dieu n'est qu'une fornication et non un véritable mariage '. "Ici Dina, baissant les veux et courbant la tête, répondit : " Seigneur, je vois que vous êtes un prophète, "et elle baissa de nouveau son voile. C'est ainsi que la secte samaritaine reconnut la mission divine du Seigneur et s'avoua coupable.

Note : Ces paroles de Jésus faisaient allusion à cinq diverses peuplades païennes que le roi d'Assyrie avait transportées à Samarie avec leur culte idolâtrique (IV Reg., XVII, 24), lorsque la plus grande partie du peuple eut été conduite en captivité à Babylone. Ce qui était resté à Samarie du peuple de Dieu s'était mélangé avec ces païens et avait participé à leur idolâtrie, et il s'était formé ainsi un mélange abominable du culte de Dieu et du culte du démon. Cette circonstance que l'homme avec lequel vivait actuellement Dina n'était pas son vrai mari, signifiait que Samarie, à l'époque de Jésus, n'était plus livrée au culte des idoles, mais cependant n"honorait le vrai Dieu que d'une manière illégitime et suivant son propre caprice. Le culte qu'elle rendait à Dieu avait été établi par des Juifs qui, ayant contracté des mariages illicites avec des Samaritaines et des paiennes, et s'étant rendus coupables d'autres prévarications, étaient passés aux Samaritains. un prêtre juif, petit-fils d'un grand-prêtre, s'était épris de la fille d'un gouverneur paien de Samarie et l'avait épousée. Ayant été excommunié pour ce fait, il s'était séparé du vrai temple de Dieu avec plusieurs autres Juifs coupables de la même faute et s'était retiré chez les Samaritains qui l'avaient reçu à In as ouverts lui et tous ses pareils. Alors son beau-père avait construit pour cet apostat un temple sur le mont Garizim et l'avait établi grand-prêtre. Ils adoraient là le vrai Dieu à leur manière et imitaient ce qui leur convenait dans le culte israélite. L'élément juif avait repris la prépondérance à Samarie, mais parce que ce nouveau culte n'avait été introduit que par des Juifs apostats, le nouveau temple avait rendu les Samaritains encore plus abominables aux yeux des Juifs, et comme eux-mêmes ne pouvaient nier qu'il était dit dans plusieurs écrits de l'ancien Testament que Dieu ne voulait être adoré que dans le temple de Jérusalem, ils rejetaient tous les livres où cela est dit expressément et n'admettaient que ceux où leur infidélité ne paraissait pas condamnée. Ils tombèrent par là dans des erreurs de toute espèce et comme ils cherchaient toujours des excuses et rougissaient jusqu'à un certain point de la vraie cause de leur séparation, ils prétendaient s'être déjà séparés des Juifs à une époque antérieure, à cause de l'impiété de ceux-ci. Ils changèrent souvent leurs professions de foi, suivant que leur intérêt l'exigeait sous les différents maîtres auxquels ils étaient assujettis. Si les Juifs se relevaient, ils s'appelaient les vrais et purs Israélites des tribus d'Ephraïm et de Manassé ; si les choses allaient mal pour les Juifs, ils ne voulaient rien avoir de commun avec eux et se qualifiaient de peuple étranger, etc. Mais tous les Samaritains étaient sous l'excommunication ecclésiastique et séparés du temple et de l'alliance de Dieu avec Israel. Ainsi donc la participation au puits terrestre de Jacob était restée le seul lien qui rattachât les Samaritains aux Juifs et à la promesse faite à ceux-ci, ou, en d'autres termes, ce qui subsistait encore du sang de Jacob dans le sang des Samaritains mélangé de tant d"impures sources paiennes, était la seule chose qui leur conservait encore une relation avec l'œuvre du salut. Le Rédempteur avait soif de leur salut au puits de Jacob ; Samarie y puisa de l'eau et lui donna à boire.

Comme si Dina eût compris le sens prophétique de ces paroles de Jésus : " Celui avec lequel tu vis maintenant n'est pas ton mari, "c'est-à-dire, "ton union actuelle avec le vrai Dieu est illégitime, en dehors de la loi ; le culte des Samaritains est par le péché et l'absence d'autorité, séparé de l'alliance de Dieu avec Jacob"" comme si elle eût compris, dis-je, la signification de ces paroles, elle montra du doigt le midi et le temple élevé près de là sur le mont Garizim, et cherchant à s'éclairer, elle dit : "Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous dites que c'est à Jérusalem qu'on doit adorer. "Alors Jésus la redressa en ces termes : " Femme, croyez-moi, l'heure vient où vous n'adorerez le Père ni sur le mont Garizim, ni à Jérusalem. " Ce qui équivalait à dire : "Samarie, l'heure vient où l'on n'adorera Dieu ni ici, ni dans le temple de Dieu et dans le sanctuaire, parce qu'il est présent au milieu de vous. "Puis il continua ainsi : "Vous ne savez pas ce que vous adorez, mais nous savons ce que nous adorons, car le salut vient des Juifs. ·, Ici il lui proposa une comparaison tirée des arbres et de certains rejetons sauvages et inutiles qui produisent abondamment du bois et des feuilles et ne portent pas de fruit. Le Sauveur disait par-là à la secte : "Samarie, tu n'as rien d"assuré dans ton culte : tu n'as pas d'alliance, pas de sacrement, pas de gage de l'alliance, pas de fruit : les Juifs ont tout cela, ils ont la promesse et son accomplissement, c'est d'eux que le Messie doit naître. "

Jésus dit encore : "Mais l'heure vient et elle est déjà venue où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car le Père veut de tels adorateurs. Dieu est esprit et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité ". Le Rédempteur disait par-là : " Samarie, l"heure vient, elle est déjà venue, où le Père doit être adoré par les vrais adorateurs dans le Saint-Esprit, et dans le Fils qui est la voie et la vérité ". Dina répondit à Jésus : " Je sais que le Messie vient. Quand il viendra, il nous manifestera toutes choses. Dans ces paroles la portion de la secte samaritaine qui pouvait prétendre à avoir quelque part à la promesse, disait ici, près du puits de Jacob : " J'espère et je crois à la venue du Messie. Il nous secourra. " Jésus lui répondit : "C'est moi, moi qui vous parle. "

Et c'était comme s'il avait dit à tous ceux de Samarie qui voulaient se convertir : " Samarie, je suis venu au puits de Jacob ; j'ai eu soif de toi, qui es l'eau de ce puits, et comme lu m'as donné à boire je t'ai promis de l'eau vive qui ne laisse jamais revenir la soif : tu m'avoues, avec des sentiments de foi et d'espérance, que  aspires à cette eau. Voici que je te récompense, car tu as apaisé la soif que j'ai de toi par le désir que tu as de moi. Samarie, je suis la source des eaux vives, je suis le Messie qui te parle. "

Note : Il est remarquable que saint Athanase dit aussi dans une de ses quatre lettres à l'évêque égyptien Sérapion, qu'adorer le Père en esprit et en vérité veut dire adorer dans le Fils et le Saint-Esprit celui qui est à la lois trois et un. Relativement à l'explication plus approfondie de l'entretien entre Jésus et la Samaritaine, qui est ici intercalée dans l'entretien lui-même, la sœur Emmerich disait : J'ai dès ma jeunesse reçu sur ce point des explications de ce genre, mais je n'ai pas voulu les communiquer alors pour ne pas avoir l'air d'en faire vanité.

Lorsque Jésus dit : "C'est moi, moi qui vous parle, "Dina le regarda tout étonnée et tremblante d'une sainte joie, puis tout d'un coup elle se leva, laissa là son outre pleine d'eau et, sans fermer le puits, descendit en toute hâte la colline dans la direction de Sichar, pour annoncer à son mari et à tout le monde ce qui lui était arrivé. Il était sévèrement détendu de laisser ouvert le puits de Jacob, mais que lui importait le puits de Jacob, que lui importait son vase plein d'eau terrestre ! Elle avait goûté l'eau vive, et son coeur aimant, comblé de joie, aspirait à désaltérer tous les autres avec cette eau. Pendant qu'elle s'éloignait rapidement du bâtiment du puits laissé ouvert, elle passa devant les trois disciples qui apportaient de la nourriture et qui, depuis quelque temps déjà, se tenaient à peu de distance de la porte, tout surpris de ce que leur maître pouvait avoir un si long entretien. avec une femme samaritaine. Mais leur respect pour lui les empêcha de l'interroger à ce sujet. Dina descendit à Sichar en courant, et dit avec un grand empressement à son mari et aux autres personnes qu'elle rencontra dans la rue : 0 Venez au puits de Jacob, vous y verrez un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait de plus secret ; venez, c'est vraiment le Messie ! "

Pendant ce temps les trois apôtres s'approchèrent de Jésus qui était près du puits, lui offrirent des petits pains et du miel qu'ils avaient dans leur corbeille et lui dirent : " Maître, mangez. "Jésus se leva, quitta le puits et leur dit : " J'ai une nourriture que vous ne connaissez pas. "Les disciples se dirent entre eux : " Quelqu'un lui a-t-il apporté de la nourriture ? a et ils eurent la secrète pensée que la femme samaritaine lui en avait peut-être apporté. Jésus ne voulut pas s'arrêter là pour manger, mais il descendit la colline dans la direction de Sichar, et pendant que les disciples mangeaient en marchant derrière lui, il leur dit : "Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé, afin que j'achève son œuvre. " Il voulait dire par-là qu'il avait à convertir les gens de Sichar, du salut desquels son âme était affamée. Il leur dit encore d'autres choses de ce genre.

Dans le voisinage de la ville, Dina, la Samaritaine, se présenta de nouveau, courant au-devant de Jésus. Elle s'approcha de lui très humblement, mais pleine de joie et de confiance, et Jésus lui dit encore plusieurs choses, tantôt s'arrêtant, tantôt marchant à pas. lents. Il lui révéla tout ce qu'elle avait fait et tous ses sentiments intérieurs. Elle fut très émue et promit, pour elle et pour son mari, de tout quitter et de suivre Jésus qui lui indiqua plusieurs moyens pour expier et pour effacer ses fautes personnelles.

Dina était une femme de condition, très intelligente, issue d'un mariage mixte, née d'une mère juive et d'un père païen dans un bien de campagne voisin de Damas. Elle perdit ses parents de bonne heure et fut confiée aux soins d'une nourrice débauchée, ce qui fit qu'elle suça avec le lait de mauvaises passions. Elle avait eu cinq maris successivement : ils Jurent éloignés d'elle soit par le chagrin, soit par ses amants. C'est ainsi que les choses se passent quand on vit dans l'adultère, cherchant son plaisir de tous les côtés ; on ne peut pas quitter l'un et on ne veut pas fuir l'autre. On reçoit d'abord l'un en se cachant de l'autre qui gêne : on cherche ensuite toutes les occasions de se voir, des fêles sont arrangées et dans le tumulte de l'orgie le mari devient la victime de l'amant : puis quand celui-ci est devenu mari, sa condition n'est pas meilleure.

Dina avait trois filles et deux fils déjà assez grands nés de ces mariages, ils étaient restés dans les familles de leurs pères respectifs lorsqu'elle fut obligée de quitter Damas. Les fils furent plus lard du nombre des soixante-douze disciples. L'homme avec lequel elle vivait actuellement était un riche marchand, parent d'un de ses premiers maris : comme elle était de la religion samaritaine, elle alla avec lui à Sichar où elle tenait son ménage et vivait avec lui dans un commerce illégitime. à Sichar on les croyait mariés. C'était un homme robuste, d'environ trente-six ans qui avait le teint coloré et une barbe rousse. Il y avait beaucoup de rapports entre la vie de Dina et celle de Madeleine, mais elle était tombée encore plus bas .

Note : Si Dina eût été comme Madeleine le rejeton d'une famille pieuse et élevée dans les préceptes de la vraie foi, elle ne serait pas tombée si bas. Madeleine avait grandi protégée, cultivée dans le jardin de la loi au milieu des plus nobles plantes : mais poussée par la vanité, par une curiosité imprudente, par le désir de briller, elle passa par-dessus la haie en s'appuyant sur un roseau fragile et tomba dans le marécage avec toutes ses belles soeurs ; elle y resta enfoncée jusqu'au moment où elle embrassa les pieds de Jésus, versa son parfum sur sa tête et s'éleva vers la lumière au pied de la croix de la rédemption. 
Dina grandit hors du jardin de la loi, sur la lande déserte, sans appui et sans exemples, livrée aux orages des sens et à l"impulsion de tous ses penchants. N'étant ni greffée ni taillée, elle serpenta comme une vigne sauvage à travers les ronces, les épines et les pierres entassées ; les serpents et les dragons pullulèrent sous ses branches, dont le feuillage était riche, mais dont les fruits étaient amers, jusqu'à ce qu'au puits de Jacob, le fils que son père avait envoyé dans sa vigne, lui donna de l'eau vive, retrancha les pousses sauvages, l"enta elle-même sur le vrai cep de vigne et l'enlaça à la croix. 
Madeleine, sous la loi, devint pécheresse par infidélité à la grâce. Dina, presque étrangère à la loi, moins gardée contre la nature déchue, tomba entièrement sous son joug et fut entraînée à de plus grandes fautes encore : mais elle correspondit à la grâce plus vivement et plus promptement, par cela même qu'elle était tombée plus bas. La grâce les chercha et les trouva toutes les deux, et cette grâce était un fruit de la promesse, ne et cultivé dans le jardin de la loi. Du reste, tout ce qui leur arriva fut typique et figuratif.

Cependant, je vis aussi une fois que dans les commencements de la vie dissolue de Madeleine à Magdalum, un de ses amants fut tué par un autre. Mais je n'osais jamais le dire. Dina était une femme singulièrement intelligente, franche, facilement dévouée, attrayante, très vive et très  prompte, mais toujours gênée dans sa conscience. Son existence actuelle avait une apparence plus décente : elle vivait seule avec cet homme qui passait pour son mari, dans une maison séparée, entourée d'un fossé plein d'eau, et voisine de la porte du puits ; les habitants de Sichar, sans la mépriser, ne frayaient pourtant pas beaucoup avec elle, parce qu'elle avait des habitudes différentes des leurs et qu'elle s'habillait un peu autrement et avec un peu plus de recherche, ce qu'on lui passait pourtant en sa qualité d'étrangère.

Pendant que Jésus s'entretenait avec la Samaritaine, les disciples le suivaient, se tenant toujours à quelque distance, et se demandant intérieurement ce qu'il pouvait avoir à dire à cette femme. " Nous avons eu tant de peine à nous procurer des aliments, pensaient-ils, pourquoi ne mange-t-il pas ? "

Quand on fut près de Sichar, Dina quitta le Seigneur et courut en avant, à la rencontre de son mari et de beaucoup d'autres qui sortaient en foule de la porte, curieux de voir Jésus : quand Jésus s'approcha, elle se tint un peu en avant d'eux et leur montra le Seigneur. Ces gens étaient dans la jubilation et lui souhaitaient la bienvenue avec des cris d'allégresse. Jésus s'arrêtant leur fit signe de se taire avec la main, il leur adressa quelques paroles amicales et leur dit entre autres choses qu'ils devaient croire tout ce que la femme leur avait dit. Il était, en leur parlant, si merveilleusement affectueux, et son regard était si brillant et si pénétrant que tous les cœurs étaient remués et attirés fortement vers lui. Ils le prièrent instamment de venir dans leur ville et d'y enseigner. Il le leur promit, mais il passa outre pour le moment. Tout cela eut lieu à peu près entre trois et quatre heures de l'après-midi.

Pendant qu'il parlait ainsi devant la porte avec les Samaritains, tous les autres disciples, qui étaient allés prendre quelques arrangements d'un autre côté, et parmi lesquels se trouvait Pierre, revinrent se joindre à lui. Eux aussi furent surpris et même assez mécontents de ce qu'il s'entretenait si longtemps avec les Samaritains. Cela leur faisait éprouver un certain embarras : car ils avaient été élevés dans l'idée qu'on ne devait frayer en aucune manière avec ce peuple, et par conséquent ils n'étaient pas accoutumés à voir pareille chose. Ils furent tentés de se scandaliser. Ils pensaient aux fatigues de ce jour et du jour précédent, aux injures, aux moqueries, aux rudes privations qu'ils avaient eu à subir, et pourtant ils savaient que les saintes femmes, à Béthanie, avaient fait des avances considérables, et ils s'étaient attendus à être mieux pourvus. Maintenant ils voyaient des rapports établis avec les Samaritains et pensaient en eux-mêmes qu'avec cette façon d'agir il n'était pas étonnant qu'on ne les accueillît pas mieux. Ils avaient aussi toujours dans l'esprit des idées extravagantes, toutes charnelles sur le royaume que Jésus devait fonder, et pensaient que si tout ceci venait à être su en Galilée, il en résulterait peut-être des affronts pour eux, etc.

Pierre s'était beaucoup entretenu à Samarie avec le jeune homme qui voulait être admis parmi les disciples, mais qui pourtant hésitait toujours, et il en parla à Jésus.

Jésus alla avec eux tous à environ une demi lieue, en faisant le tour de la ville par le côté du nord-est, et ils se reposèrent là sous des arbres. Sur le chemin et en cet endroit. le Seigneur leur parla de la moisson. Il leur cita un proverbe qu'ils avaient souvent à la bouche : " encore quatre mois et la moisson se fera. n Les paresseux, disait-il, voulaient toujours ajourner toute espèce de travail, mais ils devaient voir que les campagnes blanchissaient sous la moisson déjà mûre. Il entendait parler des Samaritains et de bien d'autres qui étaient murs pour la conversion. "Eux, ses disciples, étaient appelés à moissonner, mais ils n'avaient pas semé : d'autres avaient semé, savoir les prophètes, Jean et lui-même. Celui qui moissonne, reçoit un salaire et recueille les fruits pour la vie éternelle, en sorte que le semeur et les moissonneurs se réjouissent ensemble : car en cette occurrence, le proverbe dit vrai : l"un sème et l'autre recueille. Je vous ai envoyés pour moissonner ce que vous n'avez pas cultivé, d'autres ont cultivé, vous êtes entrés dans leur travail. "il parla ainsi aux disciples pour les encourager au travail. Ils ne se reposèrent que peu de temps et ensuite ils se séparèrent : il ne resta avec Jésus qu'André, Philippe, Saturnin et Jean : les autres se dirigèrent vers la Galilée, entre Thébez et Samarie.

Quant à Jésus, laissant Sichar à droite, il alla avec les disciples à une lieue au sud-est, dans une plaine où étaient disséminées, au nombre d'une vingtaine, des maisons et des tentes habitées par des bergers ; Dans une de ces maisons, ils trouvèrent la sainte Vierge qui les attendait avec Marie de Cléophas, la femme de Jacques le Majeur et deux de celles que j'appelle les veuves. Elles avaient passé là toute la journée. Elles avaient apporté des aliments avec elles et elles préparèrent un repas. Jésus, en voyant sa mère, lui tendit les deux mains et elle inclina la tête devant lui ; les autres femmes le saluèrent en faisant une inclination profonde, les mains croisées sur la poitrine. Il y avait devant la maison un arbre sous lequel eut lieu le repas. Ce fut en ce lieu que Jésus bénit les enfants avant la résurrection de Lazare t.

Parmi les bergers qui demeuraient dans les environs étaient les parents des disciples que Jésus, après la résurrection de Lazare, prit avec lui pour sa course en Arabie et en Egypte. C'étaient des hommes qui avaient accompagné les trois rois à Bethléhem ; lors du retour précipité de ceux-ci, ils étaient restés dans le pays et avaient épousé des filles de bergers établis dans les vallées voisines de Bethléhem. Les gens qui demeuraient ici cultivaient aussi la terre sur l'héritage de Joseph, ils le tenaient à ferme des Sichémites. Plu sieurs de ces bergers étaient rassemblés ici : il n'y avait pas de Samaritains.

Note : Il ne faut pas oublier que les dernières années de la prédication ont été racontées les premières.

Peu après l'arrivée de Jésus, la sainte Vierge le pria de guérir un enfant paralytique que les bergers du voisinage avaient apporté. Ils avaient déjà demandé à Marie d'intercéder pour eux ; cela arrivait souvent et rien n'était plus touchant que de la voir implorer Jésus. Jésus fit apporter l'enfant : les parents le portèrent sur une litière devant la maison ; il était âgé d'environ neuf ans Jésus exhorta les parents, et comme ils s'étaient retirés en arrière, un peu intimidés, les disciples se rangèrent auprès de Jésus. Il adressa la parole à l'enfant et se courba un peu sur lui, puis il le prit par la main et le releva. L'enfant descendit alors du lit, se mit à marcher et courut se jeter dans les bras de ses parents qui se prosternèrent avec lui devant Jésus. Tous ceux qui étaient là furent transportés de joie, mais Jésus les exhorta à rendre grâces au Père céleste. Il fit aussi une courte instruction aux bergers rassemblés et prit avec les disciples un petit repas que les femmes avaient préparé sous un berceau de verdure qui était devant la maison, auprès d'un grand arbre. Marie et les femmes étaient assises à part à l'extrémité de la table. Je crois que cette maison deviendra peut-être un logement à l'usage de Jésus et de ses disciples, confié aux soins des femmes de Capharnaum.

Alors des gens de Sichar s'approchèrent timidement ; Dina était parmi eux. D'abord ils n'osaient pas approcher, parce qu'ils n'avaient pas l'habitude de frayer avec ces bergers juifs. Mais Dina s'avança la première, et je la vis s'entretenir avec les femmes et la sainte Vierge. Après le repas, Jésus prit congé des saintes femmes, qui se disposèrent aussitôt à retourner en Galilée, où Jésus doit se rendre après-demain.

Jésus alla alors à Sichar avec Dina et les autres Samaritains. Cette ville n'est pas très grande, mais elle a des rues larges et des places spacieuses. La maison de prière des Samaritains est plus ornée et plus élégamment bâtie à l'extérieur que ne le sont les synagogues dans les petites bourgades juives.

Les femmes ne vivent pas aussi retirées que les juives ; elles ont des relations plus fréquentes avec les hommes. Lorsque Jésus arriva à Sichar, une grande foule de peuple l'entoura aussitôt. Il n'entra pas dans la synagogue ; il enseigna tout en marchant dans les rues, et sur la place publique où il y avait une chaire. Partout l'affluence du peuple était très grande : ils étaient pleins de joie de ce que le Messie était venu les visiter.

Dina, quoique très touchée et très recueillie, est avec les autres femmes, se tenant aussi près que possible de Jésus. On a maintenant des égards particuliers pour elle, parce que c'est elle qui, la première, a trouvé Jésus. Elle envoya l'homme avec lequel elle vit à Jésus qui lui adressa quelques paroles d'exhortation. Cet homme se tenait devant lui tout intimidé et rougissant de son péché. Jésus ne s'arrêta pas longtemps à Sichar ; il sortit par la porte opposée et enseigna encore devant la ville, dans des maisons et des jardins qui s'étendaient assez loin dans la vallée il s"arrêta dans une hôtellerie, à une bonne demi lieue en avant de Sichar, et promit d'enseigner encore à Sichar le jour suivant.

(1er août.) Jésus est retourné aujourd'hui à Sichar, et il a enseigné tout le jour dans la ville, sur la chaire et sur les places, devant la ville sur des collines, et le soir dans l'hôtellerie où il était hier. Il y avait là des gens de tout le pays ; ils venaient l'entendre tantôt dans un lieu, tantôt dans l'autre. On entendait dire "C'est ici ou c'est là qu'il prêche maintenant. "Le jeune homme de Samarie vint une fois l'écouter, mais il ne lui parla pas.

Dina se tient partout en avant, et elle marche à grands pas a travers la foule pour aller à Jésus. Elle est très attentive, très émue et très sérieuse. Elle s'est encore entretenue avec lui, elle veut se séparer sans délai de son amant. Ils veulent donner tout ce qu'ils ont, s'il y consent, pour la communauté future et pour les pauvres. Jésus lui a indiqué ce qu'elle aura à faire. Beaucoup de gens sont touchés, et ils disent à la Samaritaine : " Vous avez eu raison de le dire : nous l'avons maintenant entendu nous-mêmes ; c'est le Messie." Cette excellente femme est maintenant tout à fait sur le pinacle : combien elle est grave et heureuse ! J'ai toujours eu pour elle une affection particulière Jésus parla ici, comme dans les lieux où il avait été précédemment, de la prison de Jean, de la persécution des prophètes, du précurseur qui avait préparé la voie, du fils envoyé dans la vigne et mis à mort par les vignerons. Il dit très expressément qu'il était envoyé par le Père. Il répéta aussi tout ce qu'il avait dit à la Samaritaine auprès du puits de Jacob, parla du mont Garizim, du salut qui vient des Juifs, de l"avènement prochain du royaume de Dieu, de l'approche du jugement, et du châtiment des mauvais serviteurs qui ont fait mourir le fils du maître de la vigne. Plusieurs lui demandèrent où ils iraient se faire baptiser et purifier, maintenant que Jean était en prison ; il leur répondit que les disciples de Jean baptisaient de nouveau près d'Ainon, de l'autre côté du Jourdain, et que jusqu'à ce qu'il vînt lui-même faire baptiser, c'était là qu'ils devaient aller. Beaucoup y allèrent dès le jour suivant.

Note : Anne Catherine aimait beaucoup la Samaritaine, et celle-ci paraissait la payer de retour, car elle lui apparut trois fois pendant ces jours-là, indépendamment de ses visions touchant la vie du Sauveur. Elle la vit sous la forme d'une femme tout habillée de blanc avec une couronne sur la tête, qui s'inclinait profondément et humblement devant Jésus. une autre fois elle vit tout à coup Dina sous cette même forme, comme si, étant dans la rue, elle la regardait par la fenêtre sur son lit de douleur et lut faisait un signe amical. Elle vit cela étant éveillée. une fois elle eut une vision de ce genre en présence de l'écrivain. Elle avait alors à combattre une tentation d'impatience. Au milieu de ses plaintes à ce sujet, il semblait qu'on voulut d'en haut la distraire de sa faiblesse et l'en faire rire : ayant encore les yeux pleins de larmes, elle s'écria tout à coup : " Voilà la Samaritaine devant moi et voilà Jésus ! Elle s'incline devant lui au détour du chemin ' avec quelle humilité elle le regarde ! Elle est maintenant tout autre : elle est blanche comme la neige et modestement vêtue. Cela n'est pas encore maintenant, c'est encore à venir. 
Comme on lui faisait remarquer combien tout cela s'accordait peu avec ses plaintes, elle ne put s"empêcher de rire et de rougir, mais avoua qu'il lui était difficile de s'ôter de la tête cette pensée extravagante. Des tableaux de ce genre lui sont souvent présentés tout à coup pour la récréer : c'est ainsi qu'une tendre mère s'applique à distraire de son chagrin son enfant malade et gémissant, ou à le récompenser d'avoir pris sur lui en lui montrant un livre d'images.

Vers le soir Jésus revint dans l'hôtellerie où il était hier : il y enseigna et y dormit. Ce soir commence, à ce que je crois, un jour de jeûne. Le jour suivant, je n'ai pas vu manger du tout, ce soir seulement des aliments froids.

(2 août.) Ce matin Jésus enseigna des gens de toute espèce dans l'hôtellerie et sur les collines qui sont dans le voisinage. Il eut pour auditeurs des ouvriers, et aussi ces esclaves qu'onze mois auparavant il avait consolés après son baptême dans la plaine des bergers, voisine de Betharaba. Hier et encore aujourd'hui plusieurs espions envoyés par les pharisiens du pays étaient présents. Ils entendirent avec colère tous ses enseignements ; ils chuchotaient ensemble et murmuraient d'un air insolent ; mais ils n'osaient pas lui adresser la parole, et lui de son côté ne les regardait pas. Il y avait aussi là des docteurs samaritains et d'autres gens de cette secte qui se montraient récalcitrants et mécontents.

DOUZIÈME CHAPITRE.

Jésus sur les frontières de la Samarie et dans la basse Galilée. 
(Du 2 au 17 août 1822.)

Jésus à Ghinea.-Atharoth.-Engannim.-Naïm.-Cana.- Le centurion de Capharnaum.-Jésus à Bethsaïde ; -au petit Sephoris;-à Nazareth où on veut le précipiter du haut de la montagne.

(2 et 3 août.) Dans l'après-midi, je vis Jésus avec les cinq disciples quitter l'hôtellerie voisine de Sichar, et laissant Thébez à gauche et Samarie à droite, aller à six lieues de là dans une ville appelée Ghinéa ou Ghinnim Cette ville est située sur l'autre versant des montagnes, et sert de limite entre la Samarie et la Galilée. à trois quarts de lieue plus près de Samarie est situé le bien de Lazare, une grande maison dans la montagne d'où l'on peut voir très loin.

Comme il était déjà tard, ils se rendirent en toute hâte pour le sabbat dans la ville de Ghinéa qui est en plaine. Ils y arrivèrent avec leurs robes retroussées, et entrèrent aussitôt dans la synagogue, car il était déjà près de huit heures. Les disciples partis antérieurement étaient aussi là. Les saintes femmes avaient passé la première nuit à Thébez, à trois lieues environ de la maison des bergers, puis le jeudi elles étaient revenues à Capharnaum. Il y avait, aujourd'hui vendredi, un jeûne commémoratif des murmures des enfants d'Israël lorsque Dieu leur interdit la terre promise : c'est pour cela que les autres disciples étaient restés ici. Ils avaient tous reçu l'hospitalité sur la propriété de Lazare, et au sortir de la synagogue, ils y revinrent avec Jésus et y passèrent la nuit. C'est là que Marie entra lors de son voyage à Bethléhem, et aussi dans un autre voyage. L'intendant était un homme de grande taille, d'une simplicité qui rappelait l'ancien temps : il avait plusieurs enfants Il y avait là de magnifiques jardins avec beaucoup de fruits, et tout ce pays en général était beau et charmant à voir. Ils prirent ici un repas et y passèrent la nuit.

J'ai vu Jean dans sa prison, il y a deux ou trois jours : plusieurs de ses disciples s'entretenaient avec lui. Ils ne peuvent pas arriver jusqu'à lui, mais ils peuvent pourtant le voir et lui faire passer quelque chose à travers la grille. Il est permis d'en laisser venir quelques-uns, mais quand il s'en présente un grand nombre, les soldats les forcent de s'éloigner. Ils l'interrogèrent au sujet du baptême, et il leur ordonna de continuer à baptiser à Ainon, jusqu'à ce que Jésus y fît baptiser lui-même. La prison de Jean est spacieuse et claire, mais il n'a pour se reposer qu'un banc de pierre taillé en forme de couche. Il est comme à l'ordinaire, très grave : il a toujours eu dans je visage quelque chose de méditatif et de mélancolique, comme mi homme qui attendait l'Agneau de Dieu, le voyait, l'aimait et savait qu'on le mettrait à mort.

 (3 août.) Aujourd'hui ils célébrèrent tous le sabbat à Ghinéa. Jésus enseigna dans la synagogue. On lut dans les écritures des passages relatifs à la marche des enfants d'Israël dans le désert et à la répartition de la terre de Chanaan. On lut aussi quelque chose de Jérémie. Il y avait ici douze pharisiens entêtés qui disputèrent avec Jésus. Jésus parla de l'approche du royaume de Dieu : il dit qu'on ne devait pas se comporter par rapport à ce royaume comme on avait fait pour la terre de Chanaan. C'est ainsi qu'il appliquait tout au royaume de Dieu. Il ajouta qu'ils erraient encore dans le désert et que ceux qui murmureraient contre le royaume de Dieu mourraient dans ce désert. Il parla aussi du châtiment de Jérusalem, dit qu'il viendrait un temps où le temple ne subsisterait plus et où Jérusalem ne serait plus reconnaissable. Il parla encore du maître de la signe qui avait envoyé son fils et de la manière dont celui-ci serait repoussé et mis à mort ; il cita le passage des psaumes sur la pierre angulaire rejetée par les architectes, ce qu'il appliqua au fils du maître de la vigne : il parla aussi d'Elie et d'Elisée.

Ils lui posèrent des questions insidieuses : ils lui montrèrent un écrit et lui demandèrent ce que signifiaient les trois jours que Jonas avait passés dans le ventre de la baleine. Il expliqua cela d'une manière générale, mais très intelligible pour eux disant que le Messie mis à mort reposerait trois jours dans le tombeau, qu'il irait dans le sein d'Abraham, et ressusciterait ensuite. Là-dessus ils se mirent à rire et la plupart quittèrent la synagogue.

L'un d'eux écouta l'instruction jusqu'à la fin et l'invita à un repas avec ses disciples : toutefois il espionnait encore, quoiqu'il valût mieux que les autres. Lorsque Jésus revint à la synagogue, on lui avait amené des malades devant la porte et on le priait de les guérir et de faire voir un prodige. Mais Jésus ne guérit pas ces malades et il ajouta que comme ils ne voulaient pas croire en lui, il ne voulait pas non plus leur faire voir de prodige. Or ils voulaient l'induire en tentation en le faisant guérir le jour du sabbat pour l'accuser ensuite à ce sujet.

Quand le sabbat fut fini, les plus considérables des disciples galiléens partirent pour retourner chez eux. Mais Jésus avec Saturnin et deux autres, se rendit sur le bien de Lazare, où il est encore. Je crois que demain il parcourra les environs et ira un peu plus au midi dans la montagne. Il me semble que l'endroit s'appelle Atharoth.

C'était un spectacle très touchant de voir Jésus instruire dans le jardin les enfants du maître de la maison. Il les avait tantôt devant lui, tantôt contre lui ; quelquefois il prenait dans ses bras deux des plus petits. Il les instruisait sur l'obéissance envers leurs parents et sur le respect dû à la vieillesse. Il parla aussi aux enfants des fils de Jacob et des Israélites, leur dit qu'ils avaient murmuré et qu'à cause de cela ils n'étaient point entrés dans la terre promise qui pourtant était si belle : alors il leur montrait les beaux arbres et les fruits du jardin et parlait du royaume des cieux : ce royaume leur était promis s'ils observaient les commandements de Dieu, et c'était un pays bien plus beau, en comparaison duquel celui qu'ils voyaient était un désert : ils devaient donc obéir et supporter avec actions de grâces tout ce que Dieu leur enverrait. Ils ne devaient jamais murmurer s'ils voulaient entrer dans le royaume des cieux : ils ne devaient jamais douter de sa beauté comme les Israélites dans le désert, ils devaient croire que tout y était meilleur qu'ici-bas et incomparablement plus beau. Ils devaient l'avoir toujours présent à la pensée et le mériter par toute espèce de peines et de travaux. Voilà à quoi Jésus s'occupa ce Jour-là.

Dans l'après-midi la soeur Emmerich raconta encore ce qui suit sur l'instruction faite par Jésus, et à laquelle assistaient douze pharisiens. Il parla des Israélites qui, n'étant pas contents d'avoir Samuel pour juge, demandèrent un roi, lequel leur fut donné dans la personne de Saul. Maintenant que la prophétie était accomplie et que le sceptre était retiré de Juda à cause de leur impiété, ils demandaient de nouveau un roi et le rétablissement du royaume, et Dieu allait leur envoyer un roi, leur véritable roi comme le maître de la vigne envoya son fils lorsque ses serviteurs eurent été tués par les vignerons impies : eux aussi devaient mettre à mort ce roi qui était le leur Mais il leur en arriverait malheur, car Dieu les replacerait sous le pouvoir des juges. Il parla encore de la destruction de Jérusalem, de la pierre angulaire rejetée et du salut qui devait être retiré aux Juifs.

Lorsqu'ils l'interrogèrent sur Jonas, il répondit que leur roi serait de même trois jours dans le tombeau, et qu'ensuite il reviendrait ; sur quoi ils se mirent à rire entre eux. Il parla encore de la colère des Israélites dans le désert, dit qu'ils auraient pu arriver à la terre promise par un chemin beaucoup plus court, s'ils avaient gardé les commandements que Dieu avait donnés sur le mont Sinaï, mais qu'à cause de leurs péchés ils avaient toujours été ramenés en arrière, et que les murmurateurs étaient morts dans le désert. Maintenant que le royaume de Dieu et ses dernières miséricordes approchaient, maintenant que leur vie était de nouveau une course errante dans le désert, ils devaient prendre le chemin le plus court pour arriver au royaume promis, et ce chemin leur était montré en ce moment.

Alors trois pharisiens s'avancèrent d'un air hypocrite et lui dirent : " Vénérable Maître, vous parlez toujours de la voie la plus courte, dites nous quelle est cette voie plus courte.  Jésus leur répondit : "Connaissez-vous les dix commandements du Sinaï ? "- "Oui ", dirent ils. Et il reprit : " Gardez le premier d'entre eux, aimez votre prochain comme vous-mêmes, et n'imposez pas à ceux qui vous sont subordonnés de lourds fardeaux que vous ne portez pas vous-mêmes. C'est là la voie. " Ce que vous dites là, nous le savions, nous aussi, répondirent-ils." Et Jésus leur dit : " Vous savez et vous ne faites pas, c'est là votre faute, pour laquelle vous serez châtiés. "Alors il leur reprocha, ce qu'ils faisaient particulièrement dans cette ville, d'imposer aux autres une foule de fardeaux, tandis qu"eux-mêmes n'observaient pas la loi. Il parla encore des vêtements sacerdotaux faits suivant les prescriptions de Dieu à Moïse, et de ce qu'ils signifiaient ; il leur dit qu'ils n'accomplissaient pas ces prescriptions et y ajoutaient en outre beaucoup de choses purement extérieures et souvent déraisonnables. cela les rendit tous furieux, mais ils ne purent rien lui répliquer. Souvent ils disaient entre eux : `` C'est donc là le prophète de Nazareth ; oui, le fils du charpentier, etc. "

Le bien de Lazare était tout au plus à trois quarts de lieue d'ici : Jésus y retourna pendant le sabbat, le matin et l'après-midi, il enseigna les enfants et revint.

 (4 août.) Le dimanche dans la matinée, Jésus fit une très longue instruction aux enfants dans la maison de campagne de Lazare, près de Ghinea : il y avait là d'autres enfants du voisinage. Il instruisit d'abord les garçons, puis les filles seules, de là manière que j'ai dite hier. Vers midi, il alla avec les disciples au sud-est, à quatre lieues en arrière, dans un petit endroit nommé Atharoth, situé sur un point élevé, à environ deux lieues de Samarie.

C'était comme un chef-lieu pour les sadducéens, et ceux qui y habitaient lors de la persécution des disciples après la pâque, en avaient arrêté plusieurs, à l'exemple des pharisiens de Gennabris, et les avaient tourmentés par leurs interrogatoires. Quelques-uns de ces sadducéens avaient déjà espionné Jésus pendant ses instructions dans l'hôtellerie voisine de Sichar, où il avait blâmé spécialement la dureté des pharisiens et des sadducéens envers les Samaritains. Ils avaient dès lors formé le projet d'induire Jésus en tentation et l'avaient engagé à célébrer le sabbat à Atharoth. Mais il connaissait leurs premières manœuvres et il avait continué son chemin vers Ghinéa. Après s'être consultés avec les pharisiens de cet endroit, ils lui envoyèrent des messagers le samedi matin. "Puisqu'il avait, disaient-ils, si bien prêché sur la charité et si souvent répété qu'on doit aimer son prochain comme soi-même, il devait venir à Atharoth, guérir un malade : s'il leur faisait ce miracle, ils voulaient tous croire en lui, ainsi que les pharisiens de Ghinéa, et propager sa doctrine dans le pays. "

Jésus connaissait leur malice et leur fourberie. L'homme dont ils parlaient, depuis plusieurs jours déjà, gisait immobile et mort, et ils affirmaient devant tous les habitants de la ville qu'il était plongé dans l'extase : sa femme même ne savait pas qu'il fût mort. Si Jésus l'avait ressuscité, ils auraient nié qu'il fût mort. Ils vinrent au-devant de Jésus et le conduisirent devant la maison du défunt. Cet homme avait été un des principaux sadducéens et il avait intrigué très activement contre les disciples. Ils le portèrent dans la rue sur une litière lorsque Jésus arriva. une quinzaine de sadducéens et tout le peuple se tenaient autour de lui. Le corps avait une belle apparence, ils l'avaient ouvert et embaumé pour tromper Jésus. Mais Jésus leur dit : "Cet homme est mort et restera mort ; "alors ils dirent qu'il était seulement ravi en esprit, et que s'il était mort, il venait de mourir à l'instant. Mais Jésus reprit : "il a nié la résurrection et il ne ressuscitera pas ici : vous l'avez rempli d'aromates, mais voyez quels aromates ! découvrez-lui la poitrine ! " Alors je vis l'un d'eux soulever la peau comme une soupape sur la poitrine du mort et il en sortit une quantité de vers qui se tordaient et se pressaient les uns contre les autres. Les sadducéens furent outrés de colère, car Jésus révéla tout haut et publiquement les péchés et les prévarications de cet homme, et il dit que c'étaient les vers de sa mauvaise conscience qu'il avait cachés jusque-là et qui maintenant lui rongeaient le cœur. Il fit entendre aussi des paroles menaçantes sur leurs fourberies et leurs mauvais desseins : il parla très sévèrement des sadducéens et annonça le jugement qui allait frapper Jérusalem et tous ceux qui n'accueilleraient pas le salut. Ils remportèrent en toute hâte le mort dans sa maison et il s'éleva un affreux tumulte avec beaucoup de vociférations et d'injures. Lorsque Jésus se dirigea vers la porte avec ses disciples, la populace excitée leur jeta des pierres par derrière : car la vue des vers et la révélation de leur malice les avaient violemment irrités.

Je vis dans la foule de ces méchantes gens quelques personnes bien intentionnées qui pleuraient. Dans une rue voisine demeuraient, séparées du peuple, des femmes malades, affligées de pertes de sang, qui croyaient en Jésus et l'imploraient de loin : car dans leur état d'impureté légale, elles n'osaient pas s'approcher. Comme il ne l'ignorait pas, touché de compassion, il passa par leur rue : quand il fut passé, elles vinrent après lui et baisèrent les traces de ses pas : il se retourna pour les regarder et elles furent guéries.

Jésus fit encore près de trois lieues jusqu'à une colline dans le voisinage d'Engannim : cet endroit est à peu près sur la même ligne que Ghinéa, mais quelques lieues plus à l'est, dans une autre vallée : c'est le chemin direct de Nazareth par Endor et Naïm. De Naïm il y a environ sept lieues.

Jésus passa la nuit sur cette colline où plusieurs disciples de la Galilée étaient venus à sa rencontre dans un hangar ou hôtellerie ouverte : ils mangèrent quelque chose que les disciples avaient apporté. C'étaient André, Nathanaël le fiancé et deux serviteurs du centurion de Capharnaum. Ceux-ci le prièrent très instamment de ne pas différer d'aller chez cet homme dont le fils était fort malade. Mais il répondit qu"il irait en temps opportun.

Ce centurion après avoir été préposé par Hérode Antipas, à une partie de la Galilée, avait été mis à la retraite. Il était bien disposé, et dans la persécution, excitée récemment contre les disciples, il avait protégé ceux-ci contre les pharisiens, et les avait même assistés de sa bourse. Il n'avait pas encore une foi entière, quoiqu'il crût aux miracles. Il désirait vivement, à cause de son enfant et aussi pour faire honte aux pharisiens, que Jésus fit un miracle en faveur de son fils : les disciples aussi le désiraient : ils avaient dit comme lui : " C'est alors que les pharisiens seront pleins de dépit et verront qui est celui dont nous sommes les compagnons. "

Voilà pourquoi André et Nathanael s'étaient aussi chargés du message, et Jésus le savait. Il leur fit, une instruction le matin, et les deux serviteurs qui ? étaient des esclaves païens se convertirent.

(5 et 6 août.) Aujourd'hui dimanche, dans la matinée, Jésus séjourna encore avec les disciples dans l'hôtellerie qui était sur la colline. Il est arrivé hier, à une heure avancée de la nuit. Après midi les disciples retournèrent es Galilée, et il alla avec Saturnin, le fils de la tante du fiancé de Cana, et un jeune homme d'environ seize ans, fils de la veuve d'Obed de Jérusalem, dans la ville voisine d'Engannim.

Jésus avait là des parents éloignés : c'étaient des Esséniens, alliés à la famille de sainte Anne. J'ai appris de nouveau à cette occasion que les ancêtres de sainte Anne avaient des relations fréquentes avec les Esséniens et qu'il y avait même eu des Esséniens parmi eux. Ces gens reçurent Jésus avec beaucoup d'humilité, de simplicité et de cordialité : ils demeuraient à part dans un quartier de la ville. J'appris beaucoup de choses sur leur manière de vivre. Ceux qui étaient mariés vivaient ensemble très strictement : aussitôt que la femme avait conçu, ils observaient strictement la continence. Plusieurs autres vivaient dans le célibat ; ils se réunissaient pour les repas comme dans un couvent. Cependant ceux de cet endroit n'observaient plus l'ancienne règle dans toute sa rigueur : ils étaient vêtus comme les autres Juifs et allaient avec eux aux écoles. Je vis aujourd'hui Jésus dans la synagogue. Il y avait là des gens de bien et je ne remarquai pas de pharisiens dans cet endroit, si ce n'est quelques espions venus d'ailleurs.

Mardi, Jésus a enseigné tout le jour dans la synagogue d'Engannim. Une très grande quantité de personnes étaient accourues de tout le pays : ils se reposaient par troupes devant la synagogue qui ne pouvait pas les contenir tous et quand une troupe était sortie, une autre la remplaçait. Il enseigna à peu près les mêmes choses que dans tout ce voyage, seulement il ne fit pas autant de menaces, parce que ses auditeurs avaient de bons sentiments. C'était alors comme à présent : chaque petit endroit avait des dispositions différentes suivant les dispositions des prêtres.

Jésus, après avoir enseigné, dit qu'il voulait aussi guérir. Il parla de l'approche du royaume de Dieu et de la venue du Messie. Il cita tous les passages de l'Écriture et des prophètes, et les appliqua à l'époque. Il parla d'Élie, de ce qu'il avait dit et vu et indiqua un calcul d'années que j'ai oublié. Il ajouta que ce prophète avait élevé dans une grotte un autel en l'honneur de la future mère du Messie. Il caractérisa aussi l'époque qui ne pouvait être une autre que l'époque présente, fit remarquer que le sceptre avait été retiré de Juda, et mentionna aussi le voyage des trois rois. Il dit tout cela en termes généraux, comme s'il eût parlé d'un tiers, sans faire une mention expresse de lui-même ni de sa mère. Il parla aussi de la compassion et des bons procédés envers les Samaritains. Il raconta la parabole du Samaritain, cependant il ne nomma pas Jéricho. Il dit aussi qu'il avait éprouvé par lui-même qu'ils étaient plus secourables envers les Juifs que ceux-ci envers eux. Il raconta l"histoire de la femme samaritaine, et comment elle lui avait donné à boire, ce qu'un Juif n'eût pas fait si facilement pour un Samaritain : il parla de la manière bienveillante dont ils l'avaient accueilli. Il annonça encore le jugement et le châtiment de Jérusalem. Du reste, le jour de jeûne du 9 se rattachait au souvenir de la destruction de cette capitale. Il parla en outre des publicains : il y en avait quelques-uns qui résidaient dans le pays.

Je vis que les Esséniens avaient une espèce d'hôpital où ils soignaient les malades : ils donnaient aussi à manger aux pauvres sur de longues tables.

Engannim est une ville de lévites : elle est placée au penchant d'une vallée qui court vers Jezraël, à cheval sur un contrefort de la longue chaîne de montagnes située au levant. Le ruisseau qui arrose la vallée coule dans la direction du nord :Les habitants tissent des étoffes pour les vêtements sacerdotaux. Ils confectionnent aussi des houppes, des franges de soie et des glands qui pendent à l"extrémité de ces vêtements. Il y a ici une très bonne population.

L'hôpital tenu par les Esséniens est rempli de malades et d'infirmes venus de tous les côtés : ils reçoivent tous ceux qui se présentent et, en outre des soins qu'ils leur donnent, ils les instruisent et les rendent meilleurs. Leur établissement est très bien organisé : ils ont toujours soin de placer un méchant homme entre deux bons qui l'exhortent et travaillent à le corriger. Jésus y passa et y guérit quelques malades. Pendant que Jésus enseignait encore dans la synagogue, on avait déjà amené de la ville et de tout le pays une grande quantité de malades. On les plaçait le long des maisons sur des litières et des coussins, là où Jésus devait passer : on avait étendu des toiles sur leur tête, et leurs parents se tenaient près d'eux Les choses étaient ordonnées de manière à ce que les malades de chaque catégorie fussent ensemble. C'était comme une exposition de toutes les misères humaines.

Jésus sortit après l'instruction, et passa le long des malades qui l'imploraient humblement : il guérit, tout en leur donnant des instructions et des avis, une quarantaine de paralytiques, aveugles, muets, goutteux, fiévreux, hydropiques, etc. Je ne vis pas ici de possédés. Il enseigna ensuite en plein air à cause de l'affluence du peuple : la presse était si grande à la fin que les gens entraient dans les maisons, montaient sur les toits et perçaient les murailles. Lorsque ce désordre commença, Jésus se perdit dans la foule, quitta la ville et prit dans la montagne un chemin de traverse très escarpé, où il ne rencontra personne. Ses trois disciples le suivirent : ils le cherchèrent longtemps et ils ne le rejoignirent que dans la nuit ; ils le trouvèrent occupé à prier.

(7 août.) Je crois que Jésus a passé la nuit dans la montagne avec les disciples : je vis qu'ils le trouvèrent en prière et quand ils se reposèrent, ils lui demandèrent comment ils devaient prier, alors que lui-même priait Alors il leur enseigna brièvement quelques-unes des demandes du Pater. Il leur dit : "Que votre nom soit sanctifié, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous offensés et délivrez-nous du mal. "il ajouta : "Bornez-vous maintenant à dire ces prières et agissez en conséquence "Il leur fit d'admirables instructions à ce sujet. Je vis qu"ils observaient fidèlement ce qu'il leur avait prescrit, quand il ne s'entretenait pas avec eux et qu'il marchait seul. Maintenant ils portaient toujours avec eux quelques aliments dans leurs besaces, et je vis que quand d'autres voyageurs passaient, même sur des chemins détournés, Jésus leur avait prescrit d'aller à eux et de leur donner ce dont ils pouvaient avoir besoin, surtout quand c'étaient des pauvres.

Jésus passa près de Jezraël et d'Endor, et vers onze heures ou midi, il arriva devant Naïm Il entra sans bruit dans une hôtellerie qui était devant la ville.

La veuve de Naïm, sœur de la femme de Jacques le Majeur, savait par Nathanaël qu'il viendrait prochainement, et elle avait pris ses mesures pour être avertie de son arrivée Je vis qu'elle vint le trouver dans l'hôtellerie avec une autre veuve que je ne connaissais pas encore. Elles se prosternèrent devant lui, couvertes de leurs voiles, et la veuve de Naim le pria d'accueillir les offres de cette autre bonne veuve qui voulait donner tout son bien à la caisse des saintes femmes destinée à l'entretien des disciples et au soulagement des pauvres : elle désirait aussi se mettre personnellement à son service. Jésus accepta les offres de cette veuve, puis il les instruisit et les consola toutes deux. Elles portèrent aussi quelques dons pour un repas que prirent les disciples, et la veuve leur donna immédiatement une somme d'argent, qu'ils envoyèrent aux saintes femmes à Capharnaum. Jésus se reposa ici avec les disciples, car le jour précédent, à Engannim, il s'était excessivement fatigué à prêcher et à guérir, et depuis lors il avait fait environ sept lieues. Je l'ai vu encore, pendant la nuit, passer près du Thabor ; il laissa Nazareth à sa gauche et je l'entendis de nouveau donner à ses disciples des instructions sur la prière.

La veuve nouvellement arrivée parla à Jésus d'une autre femme, appelée Marie, qui m'est inconnue et qui voulait aussi donner son avoir. Jésus répondit qu'elle devait le conserver jusqu'au temps où il en aurait besoin.

(8 août.) Aujourd'hui dès l'aube du jour, Jésus arriva à Cana et entra chez un scribe près de la synagogue : Il se reposa et prit quelque nourriture : la cour antérieure de la maison fut bientôt remplie de monde, car on avait appris d'Engannim qu'il allait venir, et tous l'attendaient.

Il enseigna toute la matinée et il était entouré d'une grande foule de peuple quand le centurion de Capharnaum arriva. Il vint avec plusieurs serviteurs et plusieurs mulets. Il se hâtait beaucoup, paraissait plein d'inquiétude et de souci, et cherchait en vain de tous les côtés à pénétrer jusqu'à Jésus à travers la foule, mais sans pouvoir y réussir. L'ayant inutilement tenté plusieurs fois, il se mit à crier de toutes ses forces : `` Respectable maître, laissez venir à vous votre serviteur ! Je suis ici comme envoyé de mon maître de Capharnaum, je parle en son nom et comme père de son fils : je vous supplie de venir tout de suite avec moi, car mon fils est très malade et va mourir. "Jésus ne l'entendit pas : mais comme il avait excité l'attention, il chercha à pénétrer plus avant : toutefois il n'y parvint pas et se mit à crier de nouveau. "Venez sans délai avec moi, mon fils est à la mort. "Comme il criait de toutes ses forces, Jésus tourna la tête vers lui et lui dit, de manière à être entendu du peuple : " Si vous ne voyez pas des signes et des miracles, vous ne croyez pas. Je sais ce qui vous amène : vous voulez vous glorifier et défier les pharisiens et vous n'avez pas moins de besoins qu'eux. " Ma mission n'est pas de faire des miracles pour remplir vos vues. Votre témoignage ne m'est pas nécessaire : je me manifesterai quand ce sera la volonté de mon Père, et je ferai des miracles lorsque ma mission le demandera ". Il parla longtemps sur ce ton et gourmanda cet homme devant le peuple, lui reprochant de chercher depuis longtemps une occasion pour faire guérir son fils par lui, afin d'en tirer gloire en face des pharisiens : "il ne fallait pas, ajouta-t-il, demander des miracles pour soi en vue des autres, mais il fallait croire et se convertir "

Ces discours ne produisirent aucun effet sur cet homme : il ne se laissa pas détourner de son dessein, mais s'approcha plus près et cria de nouveau : " Maître, à quoi bon tout cela ! venez avec moi tout de suite, il est peut-être déjà mort. "Alors Jésus lui dit : " Allez, votre fils est vivant ". L"homme répondit : " est-ce bien sûr ? " et Jésus dit : " il est sain et sauf à cette heure, sur ma parole. "

Alors l'homme le crut, il ne lui demanda plus de partir avec lui, et retourna en toute hâte à Capharnaum. Jésus ajouta que cette fois encore il voulait bien faire ce qui lui était demandé, mais que si un cas semblable se représentait, il ne le ferait plus. Je vis en cet homme, non l'officier royal lui-même, mais pourtant le père de son fils. C'était lui qui tenait la première place dans la maison du centurion de Capharnaum. Celui-ci n'avait pas d'enfants, il en avait longtemps désiré, et avait adopté comme sien un fils de cet homme de confiance et de sa femme ; l'enfant avait alors quatorze ans. Le messager vint comme envoyé, et aussi comme s'il eût été lui-même le maître et le père. J'ai vu tout cela et toutes les relations entre ces personnes m'ont été expliquées, et c'est pour cela peut-être que Jésus le laissa si longtemps crier. Du reste ces choses étaient restées secrètes.

L'enfant soupirait depuis longtemps après l'arrivée de Jésus. Dans les commencements la maladie était bénigne, alors c'était à cause des pharisiens qu'on désirait Jésus. Depuis quinze jours l'état du malade était devenu plus grave et le jeune homme, auquel on donnait toute sorte de remèdes, ne cessait de dire : `` Toutes ces boissons ne me servent de rien : c'est Jésus, le prophète de Nazareth, qui seul me guérira. "Comme le danger devenait imminent, ils envoyèrent un message à Samarie avec les saintes femmes, puis André et Nathanaël à Engannim ; enfin l'intendant lui-même partit pour Cana où il trouva Jésus. Jésus fit longtemps attendre son secours en punition de la première intention qu'on avait eue.

De Cana à Capharnaum, il y avait une journée de voyage, mais cet homme fit tant de diligence, qu'il arriva avant la nuit. Deux serviteurs vinrent à sa rencontre à deux lieues avant Capharnaum, et lui dirent que l'enfant était guéri : ils étaient partis pour courir après lui et l'engager, dans le cas où il n'aurait pas trouvé Jésus, à s'épargner la fatigue et les frais d'un nouveau voyage : car à la septième heure l'enfant s'était trouvé guéri subitement, comme si la chose se fût faite d'elle-même : alors il leur raconta ce qu'avait dit Jésus, et ils furent remplis d'admiration et se rendirent avec lui à la maison. Je vis le centurion Zorobabel avec l'enfant le recevoir sous la porte. L'enfant l'embrassa ; il raconta ce qu'avait dit Jésus, et les serviteurs qui l'avaient accompagné attestèrent la vérité de son récit : ce fut pour tous une glande joie. Je vis préparer un repas. Le jeune homme était assis entre son père adoptif et son père véritable : la mère était présente. L'enfant aimait son vrai père autant que son père putatif et le premier avait aussi une grande autorité dans la maison.

Lorsque Jésus eut congédié l'homme de Capharnaum, il guérit encore plusieurs malades qu'on avait amenés dans une cour de la maison. Il y avait là plusieurs possédés, mais non de la pire espèce. On conduisait souvent des possédés à ses instructions : quand ils arrivaient, ils faisaient grand bruit et se démenaient terriblement : mais Jésus leur ordonnait de se tenir tranquilles, et ils devenaient très calmes ; puis au bout d'un certain temps ils paraissaient ne pouvoir plus se maîtriser, et ils recommençaient à entrer en convulsions : alors Jésus leur faisait signe de la main et ils se calmaient de nouveau. Après l"instruction il commandait à Satan de se retirer, sur quoi ordinairement ils tombaient comme sans connaissance pendant quelques instants, puis se réveillaient tout joyeux, le remerciaient, et ne savaient plus rien de ce qui leur était arrivé. Ceux-là sont des gens dont la possession n'est pas d'une mauvaise nature, qui sont possédés sans qu'il y ait de leur faute. Je ne puis pas expliquer cela clairement, mais j'ai vu distinctement cette fois et d'autre fois encore, comment il arrive que près d'un méchant homme qui reste épargné par l'effet de la miséricorde et de la longanimité divine, souvent Satan prend possession d'un homme innocent et faible qui est parent du premier. Il semble que celui-là prenne à sa charge une partie du châtiment dû à l"autre. Je ne puis m'expliquer très clairement sur ce point : cela tient à la relation qui existe entre nous tous comme membres d'un seul et même corps ; et c'est comme lorsqu'un membre sain contracte, en vertu d'un rapport intime et mystérieux, une maladie qui a pour cause les péchés d'un autre membre. Il y avait ici des possédés de cette espèce. Ceux dont la possession est d'une mauvaise nature, sont beaucoup plus effrayants et coopèrent avec Satan : les autres sont purement passifs ; dans l'intervalle des accès, ils sont bons et pieux.

Jésus enseigna encore dans la synagogue où plusieurs scribes de Nazareth qui étaient présents l"engagèrent à venir. Ils lui dirent que le bruit des grands miracles qu'il avait opérés dans la Judée, la Samarie et l'avant veille à Engannim, s'était répandu dans sa patrie. Or il savait bien qu'à Nazareth on ne croyait pas qu"un homme pût être vraiment savant, s'il n'avait pas étudié à l'école des pharisiens. Ils désiraient donc, disaient-ils qu'il vint les visiter et redresser leurs idées. En lui tenant ces discours, ils croyaient qu'il s"y laisserait prendre. Jésus leur dit qu'il n'irait pas encore, et que quand il viendrait, ils n'auraient pas de lui ce qu'ils désiraient. Après la synagogue il assista à un grand repas dans la maison du père de la fiancée de Cana ; sa fille y assistait ainsi que le fiancé Nathanael et la veuve, tante de celui-ci. Nathanael s"était attaché à Jésus comme son disciple, et il avait aidé à maintenir l'ordre lors de ses prédications et de ses guérisons de malades. Le fiancé et la fiancée demeurent seuls ; ils n'ont pas de ménage et reçoivent leur nourriture de chez les parents de la fiancée. (Ce sont des gens de bien : le père est un peu boiteux. Cana est une belle ville, située sur un plateau élevé : plusieurs grandes routes y passent. Il y a un chemin direct d'ici à Capharnaum qui est, je crois, à une distance de sept lieues. Le chemin s'abaisse un peu vers Capharnaüm Après le repas, Jésus revint à son logis et guérit encore plusieurs malades qui l'attendaient. Il ne guérit pas toujours de la même manière. Tantôt il commande, tantôt il impose les mains ou se courbe sur les malades : d'autres fois il leur ordonne de prendre un bain, d'autres fois encore il mêle de la poussière avec sa salive et leur frotte les yeux. Aux uns il donne des avis, aux autres il révèle leurs péchés : il y en a aussi qu'il refuse de guérir.

(9 - 11 août.) Jésus alla mardi de Cana à Capharnaum avec ses disciples : Nathanaël aussi le suivit : sa femme, sa tante et quelques autres personnes étaient allées en avant. La route peut être de sept lieues : elle est assez directe : vers Capharnaum elle descend. Sur ce chemin on laisse à droite un étang ou petit lac qui ressemble à celui d'Ainon : un ruisseau coule au milieu : il y a sur l'eau plusieurs petites barques. à l'entour sont des jardins et des maisons de plaisance : on aperçoit de vieilles tours sur une montagne. C'est là que commence le magnifique et fertile district de Génésareth. Il y a dans la plaine quelques vigies comme celles qui sont autour de la plaine de Magdalum : prés de la montagne où sont les tours, il y a des bains chauds.

Lorsque Jésus arriva dans le voisinage de Capharnaum, plusieurs possédés s'agitèrent devant les portes et dans la ville ; ils criaient : "Le prophète vient, que veut-il ici, qu'a-t-il à faire avec nous ? "Je vis Jésus arriver vers deux heures devant Capharnaum, et les possédés se dispersèrent. un peu en avant de la ville on avait dressé une tente. Le centurion vint avec le père de l'enfant et l'enfant lui-même, placé entre eux deux, à la rencontre de Jésus ; il était suivi de toute sa famille, de ses serviteurs, de ses subordonnés et de ses esclaves : ceux-ci étaient des païens qu'Hérode lui envoyait. C'était toute une procession, tous se prosternèrent devant Jésus et lui rendirent grâces. On lava ici les pieds à Jésus et on lui présenta a boire et à manger. Jésus mit la main sur la tête de l'enfant agenouillé devant lui et lui adressa quelques exhortations : il reçut alors le nom de Jessé au lieu de celui de Joël qu'il portait auparavant : le centurion s'appelait Zorobabel. Celui-ci pria instamment Jésus d'entrer dans sa maison à Capharnaum et d'y accepter un repas, mais Jésus s'y refusa et lui reprocha encore son désir de le voir faire des miracles pour exciter le dépit d'autres personnes. Il lui dit : " Je n'aurais pas guéri l'enfant, si la foi du messager n'avait pas été si énergique et si pressante. "Là-dessus Jésus continua son chemin.

Cependant Zorobabel avait fait préparer un grand festin Tous les serviteurs et les ouvriers qui travaillaient dans les nombreux jardins qu'il possédait dans les environs avaient été convoqués. On leur raconta le miracle ; tous furent profondément émus et crurent en Jésus. Pendant le repas, ces gens, ainsi que beaucoup de pauvres auxquels on avait distribué des présents, chantèrent un cantique de louanges dans le vestibule.

Le miracle avait été connu dès le matin dans Capharnaum. Zorobabel en envoya la nouvelle à la mère de Jésus et aux apôtres que je vis tous occupés de nouveau à leurs pêcheries. Je vis aussi que la nouvelle fut portée à la belle-mère de Pierre qui était malade et gardait le lit.

Jésus tourna autour de Capharnaüm pour gagner l'habitation de sa mère, ou se trouvaient réunies environ cinq femmes avec Pierre, André, Jacques et Jean. Ils allèrent au-devant de Jésus et il y eut une grande joie à cause de son arrivée et de ses miracles. Il prit ici un repas et se rendit aussitôt à Capharnaum pour le sabbat avec ses disciples : les femmes restèrent à la maison. Une grande foule de peuple et beaucoup de malades étaient rassemblés à Capharnaum. Les possédés couraient et criaient dans les rues lorsqu'il arriva. Il leur ordonna de se taire et se rendit à la synagogue en passant au milieu d'eux. Après la prière, un pharisien obstiné, du nom de Manassé, fut appelé à faire la lecture, parce que c'était son tour. Mais Jésus demanda les rouleaux d'écriture, et annonça qu'il allait lire. Il lut d'abord depuis le commencement du cinquième livre de Moïse jusqu'aux murmures des enfants d'Israël : puis il fit une instruction sur l'ingratitude de leurs pères, sur la miséricorde de Dieu à leur égard, et sur l'approche du royaume de Dieu : il dit qu'on devait bien se garder aujourd'hui de suivre leur exemple : il présenta toutes leurs marches et leurs courses vagabondes comme des symboles des erreurs contemporaines et fit des rapprochements entre la terre promise d'alors et le royaume de Dieu, si voisin maintenant. Il lut ensuite le premier chapitre d'Isaïe qu'il appliqua au temps présent : il parla des prévarications des Juifs et de leur châtiment, rappela leur longue attente d'un prophète, et dit comment ils allaient traiter celui qu'ils possédaient maintenant. Il parla d'animaux de diverses espèces qui savent reconnaître leur maître, tandis qu'eux ne reconnaîtraient pas le leur : il dit aussi comment celui qui venait pour les secourir se ferait reconnaître, aux mauvais traitements qu'il souffrirait d'eux, comment Jérusalem serait châtiée, et combien la communauté des saints serait peu nombreuse. Mais le Seigneur devait lui donner l'accroissement, et les autres devaient être exterminés. Il les exhorta à se convertir, à crier vers le Seigneur qui les rendrait purs quand même ils seraient tout couverts de sang. Il parla ensuite du roi Manassé, qui, ayant prévariqué devant Dieu et commis des actes abominables, avait été, pour sa punition, réduit en captivité et emmené à Babylone, mais qui s'était converti, avait imploré Dieu et reçu son pardon. Il déplia aussi comme par hasard un rouleau où il lut le passage d'Isaïe (VII, 14.) "Voici que la Vierge concevra, "et il appliqua ce texte à lui même et à la venue du Messie.

Il avait fait un commentaire semblable lors de son séjour à Nazareth, avant son baptême, et ils s'étaient moqués de lui, disant : "Nous ne l'avons pas vu manger beaucoup de beurre et de miel chez son père, le pauvre charpentier. "

Les pharisiens et beaucoup d'autres personnes de Capharnaum étaient mécontents qu'il leur fit aujourd'hui un enseignement si sévère sur l'ingratitude ; car ils s'étaient attendus à quelques paroles flatteuses pour l"avoir si bien reçu. L'instruction dura assez longtemps, et lorsqu'il sortit, j'entendis deux pharisiens se dire tout bas l'un à l'autre : "ils ont amené des malades, osera-t-il les guérir le jour du sabbat ? "On avait éclairé la rue avec des flambeaux et plusieurs maisons avec des lampes. Quelques habitations de gens mal intentionnés étaient restées dans l'ombre. Là où il passait, on avait placé des malades devant les maisons et de la lumière à côté. Il y avait beaucoup de tumulte et de bruit dans les rues, quelques possédés le poursuivirent de leurs clameurs, et il les délivra par un simple commandement. J'en vis un tout furieux qui s'élançait sur lui et lui criait avec un visage effrayant et les cheveux dressés sur la tète : " C'est toi ! que veux-tu ? qu'as-tu à faire ici ? " Jésus le repoussa en arrière en lui disant : "Retire-toi, Satan ! " Je vis alors cet homme tomber par terre si violemment qu'il aurait dû se rompre le cou et se briser les jambes ; mais bientôt il se releva tout changé et particulièrement calme, s'agenouilla devant Jésus et lui rendit grâces. Jésus lui ordonna de se corriger. Je le vis ainsi en guérir plusieurs comme il passait devant eux.

Je le vis ensuite se diriger dans la nuit avec ses disciples vers la maison de sa mère, et pendant qu'ils marchaient, j'entendis leur conversation qui était toute simple et toute naturelle.

Pierre parlait de son ménage, disait qu'il avait laissé bien des choses en souffrance dans sa pêcherie, à cause de sa longue absence : "Pourtant, disait-il, c'était son devoir de veiller à la subsistance de sa femme, de ses enfants et de sa belle-mère." Jean lui répondit : "que lui aussi, ainsi que Jacques, devaient prendre soin de leurs parents, que c'était là quelque chose de plus important qu'une belle-mère." C'est ainsi qu'ils s"entretenaient avec beaucoup de simplicité, quelquefois mente en badinant, et j"entendis Jésus leur dire que le temps viendrait bientôt ou ils laisseraient entièrement cette pêche, et où ils prendraient d'autres poissons. Jean était plus naïf et plus confiant avec Jésus que les autres : il était aimant et dévoué, ne s'inquiétait pas et ne contredisait pas. Jésus alla chez sa mère, les autres chez eux.

(10 août.) Le jour du sabbat Jésus alla de bonne heure à Capharnaüm avec ses disciples. L'habitation de sa mère est à environ trois quarts de lieue, du côté de Bethsaïde. Le chemin, à partir de là, monte un peu, puis redescend vers Capharnaum. Peu avant la porte, dans un enfoncement, se trouve une maison qu'un pieux vieillard habite en qualité de gardien. Cette maison est destinée à recevoir ici Jésus et ses disciples. Tous les disciples de Bethsaïde et des environs se trouvaient à Capharnaum. Marie et les saintes femmes s'y rendirent plus tard. Lorsque Jésus vint dans la ville, il trouva placés sur son chemin un très grand nombre de malades qui étaient venus la veille et qui n'avaient pas été guéris. Il en guérit beaucoup en se rendant à la synagogue, dans laquelle il enseigna et expliqua entre autres choses une parabole que j'ai oubliée.

Comme, en s'en allant, il enseignait encore devant la synagogue plusieurs personnes se prosternèrent devant lui et demandèrent le pardon de leurs péchés. C'étaient deux femmes adultères renvoyées par leurs maris, et environ quatre hommes parmi lesquels se trouvaient des complices de ces femmes. Ils fondaient en larmes et voulaient confesser leurs péchés devant le peuple assemblé. Jésus leur dit que leurs péchés lui étaient connus, qu'un temps viendrait où la confession publique serait prescrite, mais que, dans la circonstance présente, elle ne pouvait amener que du scandale et des persécutions pour eux. Il les exhorta en outre à veiller sur eux-mêmes afin de ne pas retomber, a ne jamais désespérer, même en cas de rechute, mais à avoir recours à Dieu et à la pénitence. Il leur remit aussi leurs péchés, et comme les hommes demandaient à quel baptême ils devaient aller, s'ils devaient aller à celui de Jean, ou attendre que ses disciples baptisassent, il leur dit d'aller au baptême des disciples de Jean.

Les pharisiens qui étaient présents s'étonnèrent beaucoup qu'il osât remettre les péchés, et ils lui demandèrent des explications à ce sujet. Il les réduisit au silence par ses réponses, et leur dit qu'il lui était plus aisé de remettre les péchés que de guérir : que les péchés étaient remis à celui qui se repentait sincèrement, et qu'il lui devenait facile de ne pas retomber, tandis que les malades qui étaient guéris corporellement, restaient souvent avec l'âme malade et faisaient servir leur corps au péché. Ils lui demandèrent aussi si, maintenant que ces femmes avaient reçu le pardon de leurs péchés, les maris qui les avaient renvoyées, devaient les reprendre. Jésus dit que le temps ne lui permettait pas de s'expliquer à cet égard, qu"une autre fois il donnerait des instructions sur ce point. Ils l'interrogèrent aussi sur les guérisons opérées le jour du sabbat, il se justifia en disant que si une de leurs bêtes de somme tombait dans un puits le jour du sabbat, ils la retireraient, etc.

L'après-midi il se rendit avec tous les disciples dans la maison qui était devant Capharnaum ; les saintes femmes y étaient déjà. Il y eut un repas dont le centurion Zorobabel avait fait les trais : il était au nombre des convives ainsi que Salathiel, le père de l'enfant guéri. Cet enfant qui avait changé son nom de Joël pour celui de Jessé, servait à table ; les femmes étaient à une table séparée. Jésus parla et enseigna. On lui apporta des malades jusque dans cette maison : on forçait l'entrée de la salle où se faisait le repas, en implorant son secours à grands cris. Il en guérit plusieurs. Après le repas, il alla de nouveau à la synagogue, et je l'entendis, entre autres choses, prêcher sur Isaie et sur sa prophétie au roi Achaz : " Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils. "(XII.)

Lorsqu'il quitta la synagogue, il guérit encore plusieurs personnes dans les rues jusqu'à la nuit. Parmi celles-ci se trouvaient plusieurs femmes affligées de pertes de sang qui se tenaient à distance, tristes et voilées, et n'osaient pas s'approcher de lui ni du peuple. Jésus connaissait leur état, il se tourna vers elles et les guérit en les regardant. Il ne touchait jamais ces sortes de malades. Il y a là un mystère que je ne puis pas expliquer maintenant. Ce soir-là commençait un jour de jeûne.

Lorsqu'il revint avec ses disciples dans la maison de sa mère, on y disait que le lendemain il voulait aller au lac avec eux, et j'entendis que Pierre s'excusait à cause du mauvais état de sa barque. Les gens auxquels il avait remis leurs péchés étaient en habits de pénitents et voilés. à l'avant-dernier sabbat, les Juifs étaient vêtus de noir ; tous les derniers jours avaient été des jours de pénitence parce qu'on y faisait commémoration de la destruction de Jérusalem : de là aussi les paroles sévères de Jésus sur le châtiment qui menaçait cette ville.

Lorsque Jésus, le sabbat fini, quitta Capharnaum après ses nombreuses guérisons, pour se rendre dans la maison de sa mère, il passa dans la ville devant un bâtiment entouré d'eau où il y avait un pont j on y enfermait le soir les possédés de la pire espèce. Lorsque le Sauveur passa près d'eux, ils tirent grand bruit et crièrent : " Le voilà qui passe, que veut-il ? pourquoi veut-il nous chasser ? "Mais Jésus leur dit : " Taisez-vous et attendez que je revienne : c"est alors qu'il faudra partir. " Alors ils se tinrent tranquilles.

Lorsqu'il fut parti, je vis que les pharisiens et les principaux de la ville s'assemblèrent : le centurion Zorobabel était présent. Ils délibérèrent sur tout ce qu'ils avaient vu, sur ce qu'ils devaient penser de Jésus et sur les mesures qu'il fallait prendre. a Quelle agitation et quel tumulte excite cet homme ! n disaient-ils. `' Il n'y a plus de tranquillité possible ! Les gens abandonnent leur travail et le suivent partout. Il trouble tout le monde par ses discours et ses invectives. Il parle toujours de son père : mais n'est-il pas de Nazareth, n'est-ce pas le fils d'un pauvre charpentier ? Où prend-il tant de hardiesse et d'assurance ? Sur quel droit s'appuie-t-il ? Il guérit le jour du sabbat et trouble la paix : il remet les péchés : sa force vient-elle d'en haut ? est-ce un art magique dont il fait usage ? D'où tire-t-il toutes ses explications de l'Ecriture ? N'est-il pas allé à l'école à Nazareth j il doit avoir des relations secrètes avec un peuple étranger. Il parle toujours de l"avènement du royaume, de l'approche du Messie, de la ruine de Jérusalem. Son père Joseph était d'origine illustre ; peut-être est-ce un enfant supposé, le fils de quelque homme puissant, qui cherche à se faire un parti dans le pays et à s'emparer de la souveraineté en Judée. Il doit avoir derrière lui des appuis mystérieux, un soutien inconnu sur lequel il compte ; autrement, il ne pourrait pas procéder avec tant d'assurance et de hardiesse, aller à l'encontre de tous les usages et de toutes les autorités, comme si c'était son droit d'en agir de la sorte. Il a fait souvent de longues absences : quelles alliances peut-il avoir formé ? où peut-il avoir pris son art et sa science ? qu'y a-t-il à faire avec lui ? "(XL, 11.) C'est ainsi qu'ils parlaient entre eux dans leur dépit et se livraient à des conjectures de toute espèce. Le centurion Zorobabel restait très calme, et il trouva enfin moyen de les calmer aussi ; il les exhorta à ne pas s"inquiéter à ce sujet : "Si son pouvoir vient de Dieu, " leur dit-il, " il s'affermira certainement : s'il en est autrement, il tombera. Mais tant qu'il nous guérira et nous fera du bien, nous devrons lui en savoir gré et remercier celui qui l'a envoyé. " Jésus passa la nuit dans la demeure de sa mère en avant de Capharnaum.

(11 août.) Les disciples étaient restés tous avec Jésus dans la maison de Marie. Jésus voulait en ce jour qui était un jour de jeûne, se promener avec eux, les instruire et les préparer. Il alla le matin vers le lac avec une vingtaine de disciples. Outre ceux qui étaient du pays, il y avait avec lui ceux de Cana, les fils des veuves, Saturnin et ceux qui l'accompagnaient ordinairement. Il n'alla pas directement au lac, qui est tout au plus à une lieue, mais au midi en contournant la hauteur qui domine au levant la maison de Marie. Cette montagne n'est que le prolongement de celle qui court au nord, mais elle en est un peu séparée par une dépression du terrain. Jésus alla au midi avec les disciples : c'était une promenade destinée à les instruire. Il y avait là plusieurs jolis petits cours d'eau qui des hauteurs coulaient dans le lac : la petite rivière de Capharnaum coulait aussi dans cette direction. Des sources abondantes coupaient ici le pays et coulaient autour de Bethsaïde. Jésus se reposa plusieurs fois avec eux à des endroits agréables : souvent aussi il s'arrêta pour enseigner.

Note : Ce jour de jeûne est présenté comme ayant lieu en commémoration de à lampe du temple qui s'éteignit sous Achaz. Comme ce fut à ce roi qu'Isaïe fit la célèbre prédiction : " Une Vierge enfantera, " la citation de cette prophétie faite hier soir pouvait se rapporter à l'approche de ce jour de jeûne.

Il parla de la dîme : ils se plaignaient de grandes vexations qui avaient eu lieu à Jérusalem à propos des dîmes et se demandaient si cela ne pouvait pas être corrigé. Il répondit que Dieu avait ordonné de donner au temple et à ses ministres la dixième partie de tous les fruits, afin que les hommes se souvinssent qu'ils n'étaient pas propriétaires, mais seulement usufruitiers ; qu'on devait en outre, par esprit de renoncement, donner la dîme des légumes, etc. Ses disciples parlèrent aussi de Samarie et dirent qu'ils regrettaient d'avoir peut-être été cause qu'il avait quitté ce pays, qu'ils ne savaient pas que les habitants fussent aussi avides de son enseignement, et l'eussent si bien accueilli : sans leurs instances, il y serait peut-être resté plus longtemps. Mais Jésus leur dit que les deux jours qu'il y était resté, avaient été suffisants, que les Sichimites étaient très ardents et très prompts à s'émouvoir, que parmi les convertis il n'y en avait peut-être qu'une vingtaine qui persévérât encore, qu'il leur réservait la moisson future, laquelle serait plus abondante.

Les disciples émus par sa dernière instruction parlèrent avec sympathie des Samaritains et rappelèrent à leur louange l'histoire de l'homme qui, allant à Jéricho était tombé entre les mains des voleurs et près duquel le prêtre et le lévite avaient passé sans s'arrêter, tandis que le Samaritain l'avait recueilli et l'avait oint d'huile et de vin. Cette histoire était connue, elle était arrivée réellement près de Jéricho à une époque déjà ancienne. La pitié qu'ils montraient pour le blessé et la joie que leur causait l'action charitable du Samaritain donnèrent occasion à Jésus de leur raconter une parabole du même genre. Il commença par Adam et Eve et par la chute originelle qu'il raconta simplement, comme elle est dans la Bible, dit comment, étant chassés du paradis, ils vinrent eux aussi, avec leurs enfants. dans un désert plein de voleurs et d"assassins, et comment l'homme renversé et blessé par le péché resta gisant dans ce désert. C'est alors que le roi du ciel et de la terre a fait tout ce qui était possible pour venir en aide à l'homme dans son malheur. Il a envoyé sa loi, des prêtres en grand appareil et beaucoup de prophètes, mais tous ont passé et nul n'a secouru le malade, lequel, de son côté, a plus d'une fois refusé toute assistance Enfin à cet homme misérable il a envoyé son propre fils sous un extérieur pauvre (ici il décrivit sa propre pauvreté) : sans chaussures, sans rien pour se couvrir la tête, sans ceinture, etc. ; et celui-ci a versé de l'huile et du vin dans les plaies du blessé pour le guérir. Mais ceux-là mêmes qui, pourvus de tout, n'avaient pas eu pitié du malheureux, se saisirent du fils du roi et le mirent à mort, lui qui avait guéri le pauvre blessé avec de l'huile et du vin. Il leur donna cette parabole pour la méditer et lui dire ce qu'ils en pensaient, après quoi, il la leur expliquerait. Ils ne la comprirent pas, toutefois ils remarquèrent qu'il s'était décrit lui-même dans la personne du fils du roi il leur venait toute sorte de pensées et ils se demandaient entre eux, à voix basse, qui pouvait être son père dont il parlait si souvent ?-il fit aussi allusion à leurs préoccupations de la veille touchant leurs pêcheries, et leur présenta l"exemple de ce fils de roi qui avait tout quitté et qui lorsque les autres regorgeant de tout, avaient laissé languir le pauvre blessé, l"avait oint d'huile et de vin. Il assura que le père n'abandonnerait pas les serviteurs de son fils et qu'ils recevraient tout en abondance quand il les rassemblerait autour de lui dans son royaume.

Tout en disant ces choses et d'autres encore, il arriva avec eux au-dessous de Bethsaïde à l'endroit du lac où étaient les barques de Pierre et de Zébédée ; sur le rivage on avait dressé plusieurs cabanes de terre pour les pêcheurs Sur les navires étaient des esclaves païens occupés à pêcher : il n'y avait pas de juifs parce que c'était un jour de jeûne. Zébédée était dans une cabane sur le rivage. Jésus leur dit de laisser là leur pêche et de venir à terre, ce qu'ils firent. Là aussi il enseigna.

Il remonta ensuite le lac vers Bethsaide qui est à une bonne demi lieue d'ici. Pierre a le privilège de la pêche sur une étendue d'une lieue le long du rivage. Entre la station des barques et Bethsaide on rencontrait une anse : là plusieurs petits ruisseaux se jetaient dans le lac ; c'étaient des bras de la petite rivière qui vient de Capharnaum à travers la vallée et qui reçoit plusieurs autres cours d'eau : devant Capharnaum elle forme un grand étang. Jésus n'alla pas jusqu'à Bethsaïde, mais ils tournèrent à l'ouest et se dirigèrent par la partie septentrionale de la vallée, vers la maison de Pierre, laquelle est adossée au côté oriental de la hauteur qui domine de l'autre côté la maison de Marie.

Jésus alla avec Pierre dans la maison de celui-ci, où Marie et les autres saintes femmes de la contrée étaient réunies, ainsi que celles de Cana. Les autres disciples n'y entrèrent pas, ils se tinrent dans le jardin qui avoisinait, ou allèrent en avant, du côté de l'habitation de Marie. Lorsque Pierre entra dans la maison avec Jésus, il lui dit : " Seigneur, quoique ce fût un Jour de jeûne, vous nous avez rassasiés. " La maison de Pierre était bien tenue, il y avait une cour et un jardin ; elle était longue et on pouvait se promener sur le toit, d'où l'on avait une belle vue sur le lac. Je ne vis ni la belle-fille de Pierre, ni les fils de sa femme, je crois qu'ils étaient à l'école. Sa femme était près des saintes femmes : elle n'avait pas d'enfants avec elle. Sa belle-mère, une femme maladive, grande et maigre, marchait en s"appuyant aux murs.

Jésus s'entretint longtemps avec les femmes des arrangements à prendre sur cette partie du littoral où il avait l'intention de résider souvent. Il les exhorta à ne Pas faire de dépenses inutiles et pourtant a ne s'inquiéter de rien. Il lui fallait peu de chose pour lui-même et il n'avait de besoins que pour les disciples et pour les pauvres. Je pense qu'il se tiendra surtout ici dans la saison d'hiver et avant ce temps, à ce que je crois, il fera encore baptiser. Il alla avec les disciples dans la demeure de Marie où il s'entretint encore avec eux, après quoi il se retira à part.

Le ruisseau de Capharnaum coule le long de la maison de Pierre : Il peut de là aller jusqu'au lac avec ses instruments de pèche sur un petit canot au milieu duquel est un siège.

Lorsque les saintes femmes apprirent de Jésus qu'il voulait aller le surlendemain, pour le sabbat à Nazareth qui est à neuf ou dix lieues d'ici, elles en eurent du déplaisir et témoignèrent le désir qu'il restât ici ou du moins qu'il revînt bientôt. Il dit qu'il ne croyait pas rester longtemps à Nazareth, vu que les habitants seraient mécontents de lui parce qu'il ne pouvait pas faire ce qu'ils désiraient. Il parla de plusieurs choses qu'on lui reprocherait et sur lesquelles il appela attention de sa mère. Il voulait lui dire d'avance ce qui arriverait. Je savais encore ces choses il y a peu de temps, mais je les ai oubliées. Les saintes femmes passèrent la nuit dans la maison de Pierre.

(12 août.) Jésus quitta la maison de Marie avec les disciples et se rendit à Bethsaïde, qui était à peu près à une petite lieue, par le côté septentrional de la vallée, en suivant la pente de la montagne. Les saintes femmes s'y rendirent de la maison de Pierre : elles entrèrent dans la maison d'André, située à l"extrémité de Bethsaide, vers le nord : elle était en bon état, mais moins grande que celle de Pierre. 
Bethsaide est une petite ville de pêcheurs dont la partie centrale est seule tournée vers l'intérieur des terres et qui s'étend en deux bras très minces jusqu"au lac. De la station de la barque de Pierre, on la voit devant soi au nord. Elle est habité en grande partie par des pêcheurs : il y a en outre des gens qui tissent des couvertures et d'autres qui font des tentes : ce sont des gens rudes et simples et ils me font toujours l"effet d"être ce que sont chez nous ceux qui travaillent aux tourbières compares au reste de la population. Les couvertures sont faites de poil de chèvre et de chameau. Les longs poils qu'ont les chameaux sur le cou et sur la poitrine forment sur les bords comme des franges et des galons parce qu'ils ont un brillant agréable.

Le vieux centurion Zorobabel n'était pas ici avec eux : c'était un homme débile et qui ne pouvait pas marcher beaucoup. Il aurait pu venir à cheval, mais alors il n'aurait pas entendu les instructions données en route par Jésus : d'ailleurs il n'était pas encore baptisé. Il y avait ici beaucoup de gens des lieux environnants, et aussi beaucoup d'étrangers venus, de l'autre côté du lac, du pays de Khorosaïn et de Bethsaïde-Juliade qui est en face.

Jésus enseigna ici dans la synagogue qui n'est pas très grande, sur l'approche du royaume de Dieu et il dit assez clairement qu'il était le roi de ce royaume, il excita comme à l'ordinaire l'étonnement de ses disciples et des auditeurs. Il prêcha en termes généraux comme tous ces jours-ci et guérit plusieurs malades qu'on avait amenés devant la synagogue. Il y avait plusieurs possédés qui lui criaient : "Jésus de Nazareth, prophète, roi des Juifs, etc. "Jésus leur ordonna de se taire parce que le temps n'était pas encore venu de révéler ce qu'il était.

Lorsqu'il eut fini d'instruire et de guérir, ils allèrent à la maison d'André pour manger, mais Jésus n'entra pas et dit qu'il avait faim d'une autre nourriture. Il alla avec Saturnin et un autre disciple, en remontant le lac jusqu'à une demi lieue de la maison d'André, dans un hôpital écarté, situé au bord de l'eau, où languissaient des lépreux, des idiots et d'autres malheureux sans ressource et presque entièrement délaissés. Il y en avait parmi eux qui étaient à peu près tout nus. Personne de la ville ne le suivit parce qu'on craignait de se souiller. Les cellules de ces pauvres gens étaient disposées en rond autour d'une cour : ils n'en sortaient jamais et on leur donnait à manger par des trous qui étaient aux portes. Jésus les fit conduire dehors par le surveillant de la maison et il fit apporter par ses disciples des couvertures et des vêtements pour les couvrir. Il les instruisit et les consola, fit le tour en allant de l'un à l'antre et en guérit un grand nombre par l'imposition des mains. Il en laissa plusieurs de côté, et ordonna à quelques-uns de se baigner et leur fit d'autres prescriptions. Ceux qu'il avait guéris se prosternèrent devant lui et le remercièrent en pleurant : c'était un spectacle très touchant. Jésus prit avec lui le directeur de la maison et l'emmena chez André au repas. Il y vint, de Bethsaïde, des parents de quelques-uns de ceux qui avaient été guéris : ils vinrent les prendre, pleins de joie, leur apportèrent des vêtements et les conduisirent chez eux et dans la synagogue pour remercier Dieu.

Il y avait chez André un beau repas de gros et bons poissons. On mangea dans une salle ouverte, les femmes étaient seules à leur table. André s'occupait du service. Sa femme était très affairée et très empressée, elle De sortait guère de la maison. Elle avait une espèce d'industrie pour la confection des cordes de filets et elle employait à cela plusieurs filles pauvres dont elle avait formé un atelier fort bien tenu. Il y avait en outre parmi elles de pauvres femmes mariées rejetées de la société pour quelque faute et qui n'avaient pas d'asile ; elle en prenait pitié, elle les occupait, les ramenait au bien et les faisait prier avec elle.

Le soir, après le repas, Jésus enseigna encore dans la synagogue, puis il partit avec les disciples. Il passa de nouveau devant plusieurs malades : mais il ne les guérit pas, disant que leur temps n'était pas encore venu.

Il avait pris congé de sa mère et il alla avec les disciples dans la maison en avant de Capharnaum, qui est à peu près à une lieue et demie du lac. Cette maison appartient à Pierre qui l"a mise à sa disposition. Jésus s'y entretint encore longtemps avec les disciples et il se retira à part sur une colline terminée en pointe aiguë, comme il y en avait plusieurs dans cette contrée : elle était couverte jusqu'en haut d'une espèce d'arbre semblable au genévrier et d'ifs ou de cyprès : il y passa la nuit en prière.

Au point du jour il revint dans la maison et réveilla les disciples avant de se mettre en route pour Nazareth : ils voulurent l'accompagner jusqu'à une certaine distance. Capharnaüm est située au penchant de la montagne où elle forme un demi arc de cercle. Il y a beaucoup de jardins en terrasses et aussi des vignes : en haut croît une espèce de blé dont la tige a la grosseur d'un roseau : c'est un endroit considérable et d'un agréable aspect. Il y a une grande variété de terrains dans le voisinage. Non loin de là sont des décombres de toute espèce, comme des ruines. La ville était autrefois plus grande ou peut-être qu'il y avait là encore une autre ville.

(13-15 août.) Aujourd'hui mardi, Jésus alla de Capharnaum à Nazareth, les disciples galiléens l'accompagnèrent jusqu'à une distance de cinq lieues. Il ne cessa d'enseigner pendant la marche. Il parla de leur destination future, et comme Pierre lui parlait de son métier qu'il lui faudrait abandonner, il lui conseilla de quitter le voisinage du lac et d'aller dans sa maison en avant de Capharnaum. Ils passèrent devant plusieurs villes et aussi devant le petit lac dont il a été fait mention dernièrement. Sur la roule, dans une maison de bergers, deux possédés coururent vers Jésus et le prièrent de les guérir. Ils avaient des troupeaux dans les environs et étaient seulement tourmentés de temps en temps par le démon ; ils étaient alors dans un de leurs bons intervalles. Jésus ne les guérit pas : il leur ordonna d'abord de changer de vie, et compara leur état à celui d'un homme qui a l'estomac surchargé et qui voudrait guérir de son mal d'estomac pour se livrer à de nouveaux excès. Ces gens se retirèrent tout honteux. Les disciples quittèrent Jésus deux lieues avant Séphoris, Saturnin aussi revint avec eux dans la maison de Pierre. Il ne resta avec Jésus que deux disciples venus de Jérusalem où ils voulaient retourner. Il alla à Séphoris d'en bas qui est une petite ville, et entra chez des parents de sainte Anne. Ce n'est pas la maison paternelle d'Anne, laquelle est située entre ce Séphoris et le haut Séphoris, deux villes situées à une lieue l'une de l'autre. Il y a dans un rayon de cinq lieues beaucoup de maisons dépendantes de Séphoris. Il n'alla pas cette fois au grand Séphoris. Il y a là de grandes écoles de toutes les sectes et des tribunaux.

A Séphoris d'en bas il n'y a pas beaucoup de gens riches : on y confectionne des draps, et les femmes font des houppes de soie et des galons pour le temple. Tout le pays est comme un jardin de plaisance, couvert de petits villages et de maisons de campagne disséminées, séparées par des jardins et des avenues. Le grand Séphoris est un lieu très important, il y a des châteaux à une assez grande distance les uns des autres. Le pays est très beau : on y trouve des fontaines et il nourrit un bétail nombreux.

Les parents de Jésus avaient trois fils dont un nommé Kolaïa était disciple de Jésus: : la mère désirait qu'il prit aussi les autres. Elle parla aussi des fils de Marie Cléophas. Jésus lui donna des espérances à ce sujet. Ces fils après la mort du Christ, furent ordonnés prêtres à Éleutheropolis, par José Barsabas qui y était évêque.

(Mercredi 14 août.) Aujourd'hui Jésus enseigna ici dans la synagogue. Il s'y trouvait beaucoup de personnes du pays environnant. Il alla aussi dans les environs avec ses cousins et enseigna ça et là de petites troupes de gens qui le suivaient ou l'attendaient : en revenant il guérit plusieurs malades devant la synagogue et y fit ensuite une instruction sur le mariage et sur le divorce. Il reprocha aux docteurs d'ajuster toute sorte de choses à la loi, montra à un vieux docteur dans un écrit un passage qu'il y avait intercalé, lui en prouva la fausseté et lui ordonna de l"effacer. Je vis aussi que le docteur s'habilla devant lui, que même il se prosterna à ses pieds, reconnut sa faute et le remercia de son avertissement.

Jésus mangea et dormit chez ses parents, et il fut encore question de l'admission des fils parmi les disciples. Ces gens sont, je crois, alliés à Jésus par un des époux de Marie de Cléophas, car j'entendis parler beaucoup ici de Joses Barabbas qui ne me parait pas être du même père que Jacques Thaddée et Simon le Chananéen.

(15 août.) Dans la nuit du mercredi Jésus sortit à minuit de la maison de ses parents du petit Séphoris, et se retira à part pour prier. Je le vis aujourd'hui entre le petit et le grand Séphoris sur l'ancienne propriété patrimoniale de sainte Anne. Il n'avait qu'un disciple avec lui. Ceux qui en étaient devenus les possesseurs par des mariages n'étaient plus ses proches alliés. Il y avait cependant une vieille femme hydropique alitée qui tenait à lui de plus près ; un petit garçon aveugle se tenait habituellement assis près d'elle. Il pria avec la vieille femme à laquelle il fit répéter ses paroles : il lui tint la main pendant à peu près une minute sur la tête et sur la région de l'estomac, alors elle rentra complètement en elle-même, eut une défaillance qui dura près d'une minute, et se sentit tout à fait soulagée. Alors Jésus lui ordonna de se lever. L'enflure de l"hydropisie ne disparut pas à l'instant, mais la malade put marcher, et elle fut en peu de temps débarrassée de son mal par des sueurs et des évacuations. Cette femme l'implora en faveur de l'enfant aveugle qui avait environ huit ans ; il n'avait jamais vu ni parlé, mais il entendait : elle louait sa piété et son obéissance. Jésus lui mit l'index dans la bouche, et souffla ensuite sur ses deux pouces ou peut-être les humecta avec sa salive ; puis, priant et regardant au ciel, il les tint sur les yeux de l'enfant qui étaient fermés ; celui-ci alors ouvrit les yeux et la première chose qu'il vit fut Jésus, son libérateur. L'enfant était tout bouleversé par la joie et l'étonnement que lui causait un état si nouveau pour lui : il courut d'un pas mal assuré vers Jésus, le remercia en bégayant et pleura à ses pieds. Jésus lui donna des avis sur l'obéissance et la piété filiale, lui dit qu'ayant pratiqué ces devoirs étant aveugle, il devait les pratiquer encore plus fidèlement maintenant qu'il voyait, et ne pas faire servir ses yeux au péché, etc. Alors survinrent les parents et les gens de la maison, et il y eut une grande joie et un concert de louanges.

Jésus ne guérissait pas un malade comme l'autre. Il ne guérissait pas non plus autrement que les apôtres, les saints des temps postérieurs et les prêtres jusqu'à notre époque. Il imposait les mains et priait avec les malades. Mais il faisait cela plus vite que les apôtres. Il faisait aussi ses guérisons et ses miracles pour qu'ils servissent de modèle à ses successeurs et à ses disciples. Il les faisait toujours d'une façon qui était appropriée au mal et aux besoins de chacun. Il touchait les paralytiques, leurs muscles s'assouplissaient, et il les relevait. Dans les cas de fracture, il prenait les membres à l'endroit où ils étaient brisés et les os se rejoignaient ensemble : quant aux lépreux, je voyais qu'aussitôt qu'il les avait touchés, leurs plaies se séchaient et il en tombait comme des écailles, mais il restait des marques rouges qui disparaissaient peu à peu, toutefois plus vite qu'à l'ordinaire et suivant le degré où la guérison avait été méritée. le n'ai jamais vu un homme contrefait devenir à l"instant droit comme un cierge, ni un os disloqué se redresser tout à coup : non qu'il n'eut pu le faire, mais il ne le faisait pas parce que ses prodiges n'étaient pas un spectacle, mais c'étaient des œuvres de miséricorde ; c'était une figure de sa mission, une délivrance, une réconciliation, un enseignement, un développement, une éducation, une rédemption : et de même qu'il voulait la coopération des hommes pour les rendre participants de sa rédemption, de même dans les guérisons la foi, l"espérance, l"amour, le repentir, la conversion des cœurs, devaient se produire comme coopérant à la réception de la grâce. à chaque état était assigné le traitement qu'il réclamait, en sorte que chaque maladie et sa guérison étaient le symbole, l'une d'une maladie spirituelle, l'autre d'une guérison de l'âme, d'un pardon et d'un amendement. Ce ne fut qu'à l'égard des paiens que je le vis faire des miracles plus éclatants et plus extraordinaires. Les miracles des apôtres et des saints qui vinrent ensuite avaient quelque chose de beaucoup plus frappant, et de plus contraire à la marché ordinaire de la nature, car les païens avaient besoin d'être ébranlés, les juifs seulement d'être dégagés, etc. Souvent il guérissait à distance par la prière, souvent par un regard, et cela arrivait surtout pour des femmes affligées de pertes de sang qui n'osaient pas s'approcher de lui, et qui d'ailleurs ne le devaient pas d'après les lois juives. Il se conformait à celles de ces lois qui avaient une signification mystérieuse et non aux autres. J'ai vu à Atharoth dés femmes affligées de perles de sang baiser la trace de ses pieds et guérir. J'en ai vu d'autres à Capharnaum le regarder de loin et guérir.

Jésus enseigna encore ça et là dans les environs. Vers le soir il alla à une école isolée située prés de quelques habitations, à une égale distance de Nazareth et du petit Séphoris. Ici le second disciple dont il se faisait accompagner et le disciple Parménas vinrent de Nazareth le trouver. Ils prirent un peu de nourriture, en plein air, près d'une hôtellerie. Je vis des serviteurs de la synagogue du grand Séphoris y apporter des rouleaux d'écritures : c'est, je crois, parce qu'une instruction doit être faite dans cet endroit le jour suivant. Parménas était déjà un ami d'enfance de Jésus et il l'aurait suivi dès le principe avec les autres disciples, s'il n'avait pas eu à Nazareth des père et mère pauvres qu"il soutenait par toute sorte de moyens, spécialement en portant des messages.

(16 août.) Je vis ce matin plusieurs docteurs et pharisiens du grand et du petit Séphoris et des environs, et quelques autres personnes encore, se réunir dans l'école isolée près de laquelle Jésus s'était trouvé hier. Ils venaient pour disputer avec lui sur le passage relatif au divorce qu'il avait signalé le mercredi dans la synagogue, à l'un des docteurs, comme illicitement intercalé. Ils avaient très mal pris cela au grand Séphoris, car cette explication interpolée provenait de leur enseignement. On divorçait très facilement dans cette ville, et il y avait une maison particulière où l'on faisait entrer les femmes séparées de leurs maris. Ce docteur qui avait confessé sa faute, avait copié un cahier de la loi et y avait intercalé de petites gloses pleines d'erreurs. Ils disputèrent longtemps contre Jésus ; ils ne voulaient pas examiner pourquoi il prenait sur lui d'effacer cela : mais il les réduisit au silence, non toutefois à l'aveu de leur faute comme le premier. Il leur prouva qu'il était détendu de rien interpoler, et que par conséquent il y avait obligation d'effacer : il leur démontra la fausseté de l'explication en question, et leur reprocha vivement la manière dont on éludait la loi sur le divorce dans leur ville. Il dit dans quel cas il était absolument détendu à l'homme de renvoyer sa femme, il ajouta que quand un des conjoints avait une aversion insurmontable pour l'autre, il pouvait y avoir séparation à l'amiable, mais que le plus fort ne devait pas chasser l'autre contre sa volonté et sans qu'il y eût de la faute de celui-ci. Toutefois il eut peu de succès auprès d'eux : ils étaient dépités et enflés d'orgueil, quoiqu'ils ne trouvassent rien a lui répondre.

Le scribe repris et converti précédemment par Jésus se sépara tout à fait des pharisiens : il déclara à sa communauté que dorénavant il enseignerait la loi sans y rien ajouter, et que, s'ils le trouvaient mauvais, il se retirerait. Le passage intercalé dans la loi sur le divorce était ainsi conçu : " Quand l'un des deux époux a eu antérieurement commerce avec une autre personne, le mariage n'est pas valide et cette autre personne peut réclamer le premier comme lui appartenant, quand même les époux vivraient en bonne intelligence. "C'est là ce que Jésus rejeta, et il parla de la loi sur le divorce comme donnée seulement pour un peuple grossier.

Il permettait bien de se séparer, mais non de se remarier. Or deux des principaux pharisiens qui prenaient part à cette dispute se trouvaient en position de profiter de ce commentaire sur la séparation (ici elle raconta longuement, mais un peu confusément leurs rapports matrimoniaux) : c'est pourquoi ils avaient depuis longtemps mis en circulation de semblables additions à la loi. Cela n'était pas connu, mais Jésus le savait et il leur dit : "Dans cette altération de la loi ce ne sont point vos propres convoitises charnelles que vous défendez"". Ces paroles les remplirent d'une rage inexprimable.

(16 et 17 août.) Dans l'après-midi, Jésus alla à Nazareth qui était à environ deux lieues de l'endroit où il se trouvait, à la même distance à peu près que le petit Séphoris qui était situé plus à l'est. En avant de la ville, le Seigneur entra dans la demeure qu'occupaient les héritiers de son ami défunt, l'Essénien Eliud. Ils lui lavèrent les pieds et lui offrirent une réfection. C'étaient des gens paisibles, serviables et affectueux. Ils lui dirent combien les habitants de Nazareth se réjouissaient de son arrivée. Mais il leur répondit que cette joie ne serait pas de longue durée, parce qu'ils ne voudraient pas entendre ce qu'il avait à leur dire.

Il entra ensuite dans la ville : il y avait à la porte des gens chargés de signaler son arrivée. à peine parut-il qu'un certain nombre de pharisiens et de gens de distinction vinrent à sa rencontre, accompagnes d'une grande foule de peuple. On le reçut très solennellement et on voulut le conduire dans une hôtellerie publique ou ils avaient préparé un festin pour le recevoir. Il n'accepta pas, disant qu'il avait pour le moment autre chose a faire ; il se rendit aussitôt à la synagogue où ils le suivirent, et où il y eut une grande affluence de peuple. Ceci se passait un peu avant l'ouverture du sabbat.

Il enseigna sur l"avènement du royaume de Dieu et sur l'accomplissement des prophètes, demanda le volume d'Isaïe, le déroula et lut ce passage : (XXI, 1) a L'esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m'a oint, il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, afin que je guérisse ceux qui ont le cœur oppressé, que j'annonce aux captifs leur délivrance, et aux prisonniers leur élargissement. (Luc, IV, 18, et Matth., V, 3.) il récita ce passage comme s'appliquant à lui-même, faisant entendre clairement que c'était bien sur lui qu'était l'esprit de Dieu, lui qui était venu pour annoncer le salut aux pauvres et aux souffrants, par qui toute injustice devait être supprimée, les veuves consolées, les malades guéris, les pécheurs pardonnés, etc. Cela se trouvait en partie dans le texte, et résultait en partie des explications qu'il donnait. Son discours fut très beau et très attachant. Tous étaient dans l"admiration : et ce soir encore ils lui étaient très favorables. Toutefois ils se disaient de temps en temps les uns aux autres : "il parle absolument comme si lui-même était le Messie. "Mais l'admiration les dominait tellement, qu'ils étaient tout fiers de l'avoir pour compatriote, et ils l'écoutèrent avec grand plaisir. Jésus parla encore, lorsque le sabbat s'ouvrit, sur la voix de celui qui prépare les chemins dans le désert ', et dit comment tout devait être égalisé et aplani.

Il alla ensuite manger avec eux : ils se montrèrent très bienveillants pour lui. Ils lui dirent qu'il y avait là beaucoup de malades, qu'il devrait bien les guérir ! Jésus déclina cette proposition et ils n'insistèrent pas pour le moment, pensant que ce serait pour le lendemain. Après le repas, il alla retrouver les Esséniens.

Note : Isaïe, XL, 3. C'est d'après la tradition juive, la lecture du sabbat d'aujourd'hui.

Comme ceux-ci se réjouissaient fort du bon accueil qu'on lui avait fait, il leur dit d'attendre jusqu'au jour suivant, qu'alors ils verraient tout autre chose.

(17 août.) Le samedi matin Jésus enseigna de nouveau dans la synagogue. un autre 3uif voulut prendre le livre des Ecritures, parce que c'était son tour de lire : mais Jésus demanda le volume et prenant pour texte le Deutéronome (ch. n), il enseigna sur l"obéissance aux commandements auxquels on ne devait rien ajouter ni rien retrancher ; il rappela comment Moïse avait répété aux enfants d'Israel tous les préceptes donnés par Dieu et combien on les avait mal observés. Vint ensuite la lecture des dix commandements et l'explication du premier commandement sur l'amour de Dieu. Jésus parla très sévèrement à ce sujet : il leur reprocha d"ajouter toutes sortes de choses à la loi, et d'imposer de lourds fardeaux au pauvre peuple, tandis qu'eux-mêmes n'accomplissaient point les préceptes. Il les attaqua avec tant de force qu'ils devinrent furieux, car ils ne pouvaient pas dire qu'il parlât contrairement à la vérité. Mais ils murmuraient et se disaient les uns aux autres : " Comme il est impudent ! il a quitté ce pays il y a quelque temps à peine, et voilà qu'il se donne pour un personnage merveilleux ! il parle comme s'il était le Messie, et pourtant nous connaissons bien son père, le pauvre charpentier, et nous le connaissons bien aussi : où a-t-il étudié, Comment ose-t-il nous présenter pareille chose ?, Et ils commencèrent à se mettre en fureur contre lui, mais en secret, car ils étaient confondus et réduits au silence devant tout le peuple.

Jésus continua à enseigner tranquillement, et quand il eut fini, il sortit pour aller retrouver la famille essénienne et prendre quelque nourriture il y fut visité là par les fils d'un homme riche qui, d'autres fois déjà, avaient demandé instamment à être admis parmi ses disciples, mais dont les parents ne cherchaient pour eux que la science et la réputation humaine. Ils l'invitèrent à venir manger chez eux, ce qu'il n'accepta pas. Ils le prièrent encore de lés admettre et dirent qu'ils avaient accompli tout ce qu'il leur avait prescrit. Alors il leur répondit : "Si vous avez fait cela, vous n'avez pas besoin de venir à mon école, vous êtes maîtres vous-mêmes. "Et là-dessus il les congédia.

Il mangea et enseigna dans le cercle de la famille, chez les Esséniens, et ceux-ci lui racontèrent toutes les vexations qu'ils avaient à endurer. Il leur conseilla d'aller à Capharnaum, où il comptait résider dorénavant.

Pendant ce temps les pharisiens s'étaient consultés ensemble et s'excitant les uns les autres, ils résolurent, si ce soir il parlait encore aussi librement, de lui montrer qu'il n'y avait pas ici de privilège pour lui, et de le traiter comme depuis longtemps à Jérusalem on souhaitait qu'il fût traité. Cependant ils espéraient encore qu'il chercherait à rester en faveur auprès d'eux, et qu'il ferait quelque miracle par déférence pour eux. Lorsqu'il vint à la synagogue pour la clôture du sabbat, ils avaient amené des malades devant l'entrée. Mais il passa au milieu d'eux et n'en guérit aucun. Dans la synagogue, il parla comme auparavant, de l'accomplissement des temps, de sa mission, dés derniers jours de grâce, de leur perversité, du châtiment qui les attendait s'ils ne se corrigeaient pas ; et il répéta qu'il était venu pour secourir, pour guérir et pour enseigner. Comme leur colère allait toujours croissant et qu'ils murmuraient, il leur parla ainsi : " Vous dites : médecin, guéris-toi toi-même ; les miracles que tu as faits à Capharnaum et ailleurs, fais-les aussi dans ta patrie ! Mais, nul n'est prophète dans son pays. Ils s"irritèrent et murmurèrent de plus belle : alors, il compara le temps présent à une époque de grande famine, et les différentes villes à de pauvres veuves, et il ajouta : "Lors de la famine qui eut lieu à l"époque d'Elle, il y avait beaucoup de veuves dans le pays, et pourtant le prophète ne fut envoyé à aucune d'elles, mais seulement à la veuve de Sarepta : à l'époque d'Elisée, il y avait beaucoup de lépreux, et il ne guérit que Naaman, le Syrien, "comparant ainsi leur ville à un lépreux qui ne devait pas être guéri. Cette comparaison les mit hors d'eux-mêmes : ils se levèrent de leurs sièges en grand tumulte et voulurent mettre la main sur lui Mais il leur dit : " Observez ce que vous enseignez et ne violez pas le sabbat ! Plus lard, vous ferez ce que vous avez résolu. "Alors, lui répondant par des murmures et des invectives, ils le laissèrent poursuivre sa prédication, quittèrent leurs places et se dirigèrent ers la porte.

Mais Jésus enseigna encore : il ajouta quelques explications à ses dernières paroles, puis il sortit de la synagogue. Devant la porte, une vingtaine de pharisiens furieux l'entourèrent, le saisirent et lui dirent : "Viens maintenant avec nous à une place d'honneur où tu pourras exposer encore ta doctrine : alors nous te répondrons comme il faut te répondre. " Il leur dit de le laisser libre, qu'il allait les suivre de son plein gré, et ils partirent, l'entourant comme une garde, et suivis d'une grande foule de peuple. Il y eut une violente explosion d'injures et d'invectives au moment où le sabbat finit. Ils luttaient à l'envi à qui lui adresserait les insultes les plus grossières : " Nous voulons te répondre ! Va trouver la veuve de Sarepta. a guérir le syrien Naaman ! Si tu es Elie, monte au ciel, nous te montrerons une bonne place ! Qui es-tu ? Pourquoi n'as-tu pas amené ici ta sequelle avec toi, Tu n'en as pas eu le courage ? N'as-tu pas trouvé ici du pain avec tes pauvres parents ? Et maintenant que tu es repu, tu viens nous injurier ! mais nous voulons t'entendre ! il faut que tu parles en plein air devant tout le peuple : nous voulons te répondre ". C'est ainsi qu'on suivit, au milieu des cris de la foule, le chemin qui conduisait au haut de la montagne. Mais Jésus continuait à enseigner avec un grand calme : il répondait à leurs propos par de saintes sentences et des paroles pleines de sagesse qui tantôt les couvraient de contusion, tantôt redoublaient leur rage.

La synagogue était à l'extrémité occidentale de Nazareth : comme il faisait déjà nuit, ils avaient deux falots avec eux. Ils conduisirent Jésus au côté oriental de la synagogue ; puis, s'en éloignant, ils tournèrent dans une large rue qui revenait au couchant et conduisait hors de la ville.

Gravissant la montagne, ils arrivèrent à une haute crête au bas de laquelle était un marais du côté du nord, tandis qu'au midi un rocher en saillie s'avançait au-dessus d'un précipice. Il y avait là une place d'où ils avaient coutume de précipiter les criminels, et c'était en ce lieu qu'ils voulaient encore une fois interroger Jésus, puis le précipiter du haut du rocher. Le précipice aboutissait à une gorge étroite. Comme ils approchaient de cet endroit, je vis Jésus qui était au milieu d'eux comme un prisonnier, s'arrêter pendant qu'ils continuaient à marcher, vomissant des injures et des malédictions. Je vis en cet instant prés de Jésus deux longues figures lumineuses. Je le vis ensuite revenir un peu sur ses pas à travers la foule qui se pressait, puis passer le long du mur de la ville sur l'arête de la montagne de Nazareth et gagner la porte par laquelle il était entré hier. Il revint dans la maison des Esséniens. Ceux-ci n'avaient pas eu d"inquiétudes à son sujet : ils croyaient en lui et l'attendaient. Il prit une petite réfection, parla de ce qui venait de se passer, les engagea de nouveau à se retirer à Capharnaum, leur rappela qu'il leur avait annoncé d'avance comment on le traiterait : puis au bout d'une demi heure, il quitta la ville, se dirigeant d'abord comme s'il eût voulu aller à Cana.

Rien n'était plus risible que l'exaspération dés pharisiens, le trouble où ils furent et le bruit qu'ils firent lorsqu'ils s'aperçurent qu'il n'était plus au milieu d'eux. Tous se mirent à crier : Où est-il ? Arrêtez ! Pendant que la foule compacte se portait en avant, eux cherchaient à revenir sur leurs pas, et il y eut sur l'étroit sentier une presse et un tumulte incroyables. Chacun portait la main sur son voisin : ils se disputaient, criaient, couraient dans tous les ravins, approchaient la lumière du creux des rochers et croyaient qu'il s'était blotti quelque part. Ils s'exposaient eux-mêmes à se rompre le cou et les jambes, et se reprochaient mutuellement de l'avoir laissé échapper par leur faute. Ils finirent par s'en retourner en silence, longtemps après que Jésus fut sorti de la ville. Toutefois ils mirent des hommes en sentinelle sur tous les points de la montagne et ils disaient en revenant. "On voit bien ce que c'est : c'est un escamoteur : le diable est venu à son aide, maintenant il va reparaître inopinément dans un autre coin et mettre le désordre partout."