VIRGINITÉ

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
SACERDOCE
VIE MONASTIQUE
SOLITAIRE ET ROI
COMPONCTION I
COMPONCTION II
COHABITATIONS I
COHABITATIONS II
VIRGINITÉ
SECONDES NOCES
POLÉMIQUES
THÉODORE

TRAITÉ DE LA VIRGINITÉ.

Traduit par l'abbé J. DUCHASSAING

(Voyez tome Ier, chapitre VIII , page 83.)

 

Tome II, p. 125-171

 

ANALYSE. Il n'y a point de véritables vierges parmi les hérétiques, parce qu'elles ne sont point chastes, n'étant pas épouses d'un seul, comme l'ordonne saint Paul. — En second lieu, elles n'embrassent la virginité que par horreur du mariage, qu'elles regardent comme un crime. — Elles ne peuvent donc prétendre à la même récompense que les vierges catholiques. — L'Apôtre, qui conseille la continence, n'en fait point un précepte, et les hérésiarques, qui s'éloignent de sa doctrine, placent leurs disciples dans une condition pire que celle des païens. — Enfin , la virginité des hérétiques est injurieuse à Dieu , car, ayant renoncé à la foi, leurs vierges ne sauraient avoir le coeur pur. — D'ailleurs, la profession de la virginité exige, pour être méritoire, une pleine liberté de se marier, ce qui ne se rencontre pas chez les hérétiques, qui réprouvent le mariage. — L'Église, au contraire, loue le mariage, et le regarde comme le port de la continence pour ceux qui veulent en bien user. — Quant aux personnes qui n'ont pas besoin de ce secours contre l'effervescence des passions, l'Église les exhorte à ne point se marier, mais elle ne le leur défend pas. — Elle ne condamne et ne chasse de son sein que ceux qui profanent la sainteté du mariage. — Car le mariage est bon, mais la virginité est bien meilleure, et elle lui est autant supérieure que les anges le sont aux hommes.

La virginité est avantageuse au catholique selon l'enseignement de l'Apôtre; et dans le plan premier de la création, elle devait seule régner sur la terre, car le péché, qui a été cause de la mort, l'a été également du mariage. — Adam et Eve ne lui doivent point la naissance, les anges n'ont point été multipliés par cette voie, et si nos premiers parents fussent demeurés fidèles, Dieu eût pourvu à la propagation du genre humain par un moyen qui nous est inconnu. — Aujourd'hui même le mariage n'est permis que pour remédier à l'incontinence, en sorte que l'Apôtre veut que les chrétiens, à l'exemple des juifs, s'en abstiennent certains jours, afin de mieux vaquer au jeûne et à la prière. — Mais si ce même apôtre dit que la continence est un don de Dieu, il n'exclut point la coopération de l'homme, et ne parle ainsi que par humilité. — L'auteur trace alors une vive et effrayante peinture des mariages mal assortis, et rappelle aux vierges, ainsi qu'aux veuves, qu'après avoir fait veau de continence, elles ne peuvent se marier sans pécher grièvement. — Il prouve ensuite que le mariage est avec raison appelé une chaîne, parce qu'il est une suite non interrompue de soins et d'inquiétudes, et surtout parce que le devoir conjugal soumet les époux l'un à l'autre. — Cette soumission est pour eux une obligation grave , et dont ils ne peuvent s'affranchir que momentanément et d'un mutuel consentement. — Il se trouvait aussi des vierges qui faisaient consister la virginité à ne point se marier, et qui du reste se permettaient les parures et les amusements du monde ; mais si elles imitent ainsi les vierges folles de l'Évangile, elles seront, comme celles-ci, exclues du royaume des cieux. — L'excellence de la virginité se montre surtout en ce qu'elle nous facilite l'exercice de la prière et des bonnes oeuvres. — Quelques-uns s'autorisaient du nom d'Abraham pour mettre le mariage au-dessus de la virginité, mais l'auteur montre que les apôtres sont plus élevés en gloire que ce patriarche ;et tout en avouant qu'un homme riche, marié et chargé d'affaires, peut mener une vie juste et vertueuse, il affirme que les exemples en sont rares. — Enfin, il termine en disant que dans la loi nouvelle on exige plus de perfection que dans l'ancienne, parce que les dons et les grâces du Saint-Esprit nous y sont donnés plus abondamment.

 

1. Les Juifs méprisent l'éclat et le mérite de la virginité : faut-il s'en étonner? ils ont abreuvé d'outrages le Ch rist, né d'une Vierge. Les Gentils l'admirent et la révèrent ; mais elle ne fleurit que dans l'Église de Dieu. Et qui pourrait en effet nommer vierges les filles des hérétiques? Elles ne sont point chastes, puisqu'elles se montrent infidèles à ce premier époux auquel l'Apôtre les avait unies. Je vous ai fiancées, dit-il, ainsi que des vierges chastes â un seul époux qui est Jésus- Ch rist. (II Cor. XI, 2.) Car, bien que cette parole puisse

s'appliquer à tous les fidèles qui composent le corps de l'Église, elle concerne spécialement les vierges chrétiennes. Comment celles qui osent donner à l'Époux divin un rival mortel, seraient-elles chastes? première raison pour que je leur refuse le titre de vierges; j'en ajoute une seconde : elles ne font profession de la virginité que par horreur du mariage qu'elles condamnent comme mauvais : principe qui détruit d'avance tout le mérite de leur virginité, puisque celui qui s'abstient d'un crime ne peut réclamer la palme et la (126) couronne, et n'a droit qu'à l'exemption du châtiment.

Telle est la base de toute législation. Le meurtrier, dit la loi, sera puni de mort, et le voleur subira la peine de son crime. Mais cette même loi ne décerne aucune récompense à ceux qui n'ont ni tué, ni volé. C'est ainsi encore que le législateur prononce la peine de mort contre l'adultère, sans se croire obligé d'honorer celui qui respecte la couche de son prochain. Eh ! qui blâmerait ces sages dispositions ! et qui n'avouerait que la louange et l'admiration doivent être le partage exclusif de la vertu, tandis que le facile courage de ne pas commettre un crime, est assez récompensé par l'exemption de tout châtiment. Aussi le divin Sauveur qui a menacé de l'enfer celui qui sans un légitime motif s'irriterait contre son frère, et l'appellerait fou (Matth. V, 22), n'a point promis le paradis à quiconque s'abstiendrait uniquement d'injures et de récriminations. Mais il a attaché sa promesse à de plus généreux efforts, par exemple à l'amour de nos ennemis. (Matth. V, 44.) Et en effet!, pour nous montrer de quel faible mérite est à ses yeux cet éloignement de toute animosité contre nos frères, il nous déclare que le degré supérieur qui consiste à les aimer, ne donne par lui-même aucun droit à la récompense céleste. Nous ne faisons rien en cela que ne fassent également les païens. C'est pourquoi une vertu plus haute et plus sublime peut seule mériter le ciel. Sans doute, nous dit-il, je ne vous condamne pas aux flammes de l'enfer, vous qui n'avez proféré contre votre frère ni injures, ni malédictions, mais ne croyez pas en avoir assez fait pour obtenir la couronne immortelle. Je ne saurais, en effet, me contenter de ces témoignages négatifs de haine, et lors même que vous y joindriez des marques de bienveillance et d'amitié, vous resteriez encore dans les rangs inférieurs, et parmi les publicains. Si vous voulez donc devenir parfaits, et acquérir le ciel, élevez-vous au-dessus de la nature jusqu'à cette générosité de coeur qui nous fait aimer nos ennemis.

Ces principes nous permettent de conclure qu'inutilement les hérétiques affligent leur chair, puisqu'ils n'en seront jamais récompensés; ce n'est pas que le Seigneur soit injuste , loin de nous cette pensée, mais c'est qu'ils sont aveugles et coupables. Et en effet n'avons-nous pas prouvé que l'abstention d'un crime ne donne droit à aucune récompense. Or, comme ils ne fuient le mariage que parce qu'ils l'estiment mauvais et criminel, ils ne sont pas plus admis à réclamer l'honneur et la gloire de la virginité que nous tous qui respectons l'intégrité du lit nuptial. Voici le langage que Jésus- Ch rist leur tiendra au jour du jugement : Je ne trouve en vous d'autre mérite que celui de n'avoir point commis le mal; et ce mérite est bien faible à mes yeux. Aussi n'introduirai-je dans l'héritage céleste que ceux qui n'ont négligé aucune vertu. Je m'étonne donc que vous qui repoussiez le mariage comme un acte mauvais et criminel, vous osiez prétendre aux récompenses de la chasteté. Ainsi parlera le souverain Juge qui placera les brebis à sa droite (Matth. XXV, 33), et les louera devant tous. Mais si les justes sont admis en son royaume, c'est moins pour n'avoir point ravi le bien d'autrui que pour s'être dépouillés eux-mêmes en faveur de leurs frères. Nous voyons encore dans l'Evangile que le maître loue le serviteur auquel il avait confié cinq talents de ce qu'il les a fait fructifier au double et non de ce qu'il ne les a pas dissipés. Jusqu'à quand, hérétiques, continuerez-vous donc de vous élancer inutilement dans la carrière, et de vous fatiguer dans une lutte où vos coups ne frappent que l'air. Et plût au ciel que tous vos efforts ne fussent qu'inutiles, quoique ce soit déjà un châtiment bien rigoureux que de voir la stérilité de ses travaux, et, après avoir ambitionné la plus sublime récompense, de ne recueillir que la honte et l'ignominie au jour où l'on avait espéré moissonner la gloire et l'honneur.

2. A cette inutilité de leurs fausses vertus, succéderont des tourments réels et terribles, le feu qui ne s'éteint pas, le ver qui ne meurt point, les ténèbres extérieures et toutes les peines de l'enfer. Aussi la parole de l'homme et même celle de l'ange sont-elles impuissantes à payer à Dieu le tribut de reconnaissance que nous lui devons pour sa bonté envers nous. Pourquoi? Parce que les sacrifices qu'exige la virginité nous sont moins pénibles qu'aux hérétiques, et combien les fruits en sont-ils différents pour eux et pour nous ! Le partage des vierges hérétiques sera la prison de l'enfer, les larmes, les gémissements et les supplices éternels; mais les enfants de l'Eglise posséderont la société des saints anges, les splendeurs (127) du ciel et la présence du divin Epoux qui est le résumé de tous les biens.

D'où vient un sort si dissemblable? c'est que pour les uns la virginité n'est qu'une révolte sacrilège contre Dieu , tandis que pour les autres cette même profession est l'accomplissement de sa volonté sainte. Car le Seigneur voudrait que tous les hommes fussent vierges, comme nous le dit l'Apôtre, ou plutôt comme nous le déclare le Ch rist qui parlait par sa bouche : Je voudrais que vous fussiez tous dans l'état où je suis moi-même. (I Cor. VII, 7.) Mais le Seigneur, qui est indulgent, et qui sait que l'esprit est prompt, et que la chair est faible, n'a point voulu nous prescrire impérieusement la virginité, et il en a laissé le choix à notre volonté ; et, en effet, si elle était une loi expresse et générale , les vierges n'auraient droit à aucune récompense. On leur dirait seulement : Vous avez fait ce que vous deviez faire. Quant à ceux qui auraient enfreint le précepte , ils subiraient la juste peine de leur désobéissance. Mais le Sauveur a dit : Que celui qui peut entendre, entende. (Matth. XIX,  2.) Il n'a donc point condamné ceux qui ne -se sentiraient pas le courage d'embrasser la virginité, et il a néanmoins ouvert aux autres une noble et illustre carrière. Aussi l'Apôtre, fidèle écho des pensées du divin Maître, nous dit-il : A l'égard de la virginité, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je donne. (I Cor. VII, 23.)

3. Mais ni Marcion, ni Valentinien, ni Manès, n'ont connu cette sage modération. C'est qu'ils ne parlaient pas au nom. du divin Pasteur qui compatit à la faiblesse de ses brebis, et qui donne sa vie pour leur salut. Ils n'étaient que les interprètes de Satan qui est le père du mensonge, et qui a été homicide dès l'origine. C'est pourquoi ils entraînent tous leurs disciples dans un double abîme ! Car ils les accablent, durant la vie, de travaux pénibles et infructueux, et ils ne leur préparent pour l'éternité que les feux de l'enfer !

4. Votre malheur surpasse même celui des païens, ô infortunées victimes de l'erreur l Car, s'il n'est pas donné aux païens d'éviter les supplices éternels, du moins ils goûtent sur la terre les plaisirs de la chair, les douceurs du mariage, le rassasiement des sens et l'ivresse de l'opulence ; vous , au contraire, vous n'avez pendant la vie que des peines volontaires, et vous ne rencontrerez au delà du tombeau que des maux involontaires. Le jeûne et la virginité ne seront pour le païen ni un titre à la récompense céleste , ni un sujet de condamnation; mais, à votre égard, ces deux vertus, dont vous attendiez une gloire immortelle, deviendront la cause d'une éternelle réprobation, et Jésus- Ch rist vous dira : Retirez-vous de moi, et avec vos prétendus mérites allez au feu de l'enfer, qui a été préparé pour le démon et ses anges. (Matth. XXV, 41.) Et en effet le jeûne et la virginité sont en eux-mêmes des actes indifférents, et l'intention seule leur donne un caractère moral. C'est ainsi qu'ils sont stériles et infructueux dans les païens, parce qu'ils ne les pratiquent point en vue de Dieu; mais vous , hérétiques, qui ne pratiquez ces oeuvres que pour vous révolter contre Dieu et pour blasphémer ses créatures, non-seulement vous ne serez point récompensés de vos sacrifices, mais vous en serez punis comme d'un crime. Sous le rapport du dogme, vous serez enveloppés dans la même condamnation que les païens, puisque vous avez comme eux renié le vrai Dieu, pour inventer des divinités mensongères. Sous le rapport de la morale, ils seront plus heureux que vous. On ne prononcera contre eux que l'exclusion du ciel, tandis que des tourments affreux s'ajouteront pour vous à cette même exclusion. Du moins ils auront pu , durant la vie, goûter quelques plaisirs , et vous , vous perdez les jouissances du temps et de l'éternité. Mais est-il un sort plus malheureux que celui de l'homme qui ne recueille pour prix de ses travaux et de ses fatigues que d'éternels supplices ?

Au jour du jugement, l'adultère, l'adroit ravisseur du bien d'autrui, et l'opulent usurier trouveront une certaine consolation, quelque faible qu'elle soit, dans la pensée qu'ils ne sont punis que pour des crimes dont ils ont joui mais quelle ne sera pas la douleur de celui qui sur la terre aura embrassé la pauvreté volontaire pour s'acquérir les richesses du ciel, et qui n'aura point reculé devant les sacrifices de la chasteté pour s'assurer une place parmi les anges, lorsqu'il verra ces brillantes espérances s’évanouir pour faire place à la triste réalité des peines de l'enfer. Je n'hésite même pas à penser qu'en cette âme le remords et le désespoir seront plus cuisants que les feux éternels, quand elle contemplera autour du divin Epoux les émules de ses travaux et de ses (128) combats. Hélas! ces mêmes vertus qui leur vaudront alors un bonheur ineffable, ne lui attireront que d'affreux supplices. Qu'il sera du d'être puni plus sévèrement pour ses austérités que d'autres ne le seront pour leur débauche et leur libertinage.

5. C'est qu'en effet il n'y a pas de luxure qu soit aussi coupable que la continence des hérétiques. La luxure est avant tout une injure faite à l'homme, tandis que la continence des hérétiques est une révolte contre Dieu, et outrage son infinie sagesse. C'est un piège que le démon tend à ses adorateurs; et si j'affirme que la virginité est chez les hérétiques un artifice diabolique, je parle d'après l'Esprit-Saint, qui connaît bien toutes les ruses d l'esprit mauvais; or, écoutez ce qu'il dit ouvertement par la bouche de l'Apôtre : Dans la suite des temps, plusieurs abandonneront la foi, pour suivre l'esprit d'erreur et les doctrines des démons, imposteurs pleins d'hypocrisie, qui auront la conscience cautérisée, qui interdiront le mariage et l'usage des viandes que Dieu a créées. (I Timoth. IV, 1-3.)

Serait-elle donc vierge, cette jeune fille qui a trahi sa foi, qui écoute le langage de l'erreur, qui obéit au démon, et qui honore le mensonge? Serait-elle donc vierge, celle dont la conscience est brûlée des poisons de l'hérésie? Eh ! qui ne sait que la vierge destinée au divin Epoux ne doit pas être moins pure dans son âme que chaste dans son corps? Mais quelle peut être la pureté d'une conscience déshonorée par les stigmates de l'enfer? L'honneur et la gloire de cette union céleste exigent que nous renoncions aux jouissances de toute union terrestre; et comment le coeur qui nourrit des pensées impies et sacrilèges verrait-il s'épanouir en lui les grâces et l'éclat de la virginité?

6. J'admets avec vous que la vierge hérétique possède la chasteté du corps; mais elle a perdu celle de l'âme qui est bien plus excellente. Eh ! qu'importe que l'enceinte extérieure du temple subsiste, quand le temple lui-même est détruit ! ou que les abords du trône soient purs et brillants, quand le trône lui-même est profané ! Que dis je? le corps lui-même ne reste pas exempt de souillures; ces pensées de blasphème et d'impiété, qu'enfante une doctrine de mensonge, s'élancent du coeur, et la parole les répand nécessairement au dehors. Alors elles souillent d'abord la langue qui les prononce, et les oreilles qui les écoutent, et puis, s'insinuant au plus intime de l'âme, elles y infiltrent un poison mortel, et comme un ver rongeur elles y piquent la racine de toute vertu. C'est ainsi qu'elles tuent à la fois le corps et l'âme. Mais s'il est vrai que la chasteté de l'un et la pureté de l'autre forment l'essence de la virginité, comment nommer vierge celle en qui ces vertus indispensables ne subsistent plus?

Vous me montrez, je l'avoue, un visage pâle, des membres affaiblis, un vêtement simple et un extérieur modeste. Eh ! que m'importe, si l'oeil de votre âme est plein d'impudence; or, il l'est, puisqu'il envisage comme mauvaises les oeuvres de Dieu. Le Psalmiste a dit que : Toute la gloire de la fille du roi est intérieure. (Ps. XLIV, 44.) Mais par un triste contraste la vierge hérétique brille au dehors, et au dedans elle est souillée. Oui, on ne peut la voir sans indignation affecter devant les hommes la plus grande réserve, et se conduire comme une insensée à l'égard du souverain Etre. Elle n'ose fixer les traits d'un homme, si toutefois sa modestie va jusque-là, et elle ne craint point de braver les regards du Seigneur, ni d'élever contre le Très-Haut une parole de blasphème. Cependant son visage est exténué, et comme empreint d'une pâleur de mort; ah ! cette vierge n'en est que plus digne de larmes et de pitié, puisque pour elle l'inutilité d'une vie austère et pénitente n'enfantera qu'une éternité malheureuse.

Votre vêtement est simple , je le reconnais mais la virginité n'est point dans la simplicité du vêtement, ni dans la pâleur du visage; elle réside dans l'âme et dans le corps. On reconnaît un philosophe à l'énergie de ses pensées et à la sagesse de ses moeurs, bien plus qu'à sa chevelure, à son bâton et à son manteau; ainsi encore le soldat se distingue par sa vaillance et son courage, bien plus que par son armure et son baudrier. Ne serait-il donc pas ridicule d'attacher la gloire de la virginité, vertu sublime et surhumaine, à une chevelure négligée, à un habit modeste, à une contenance réservée? Il faut que notre regard pénètre jusqu'au plus intime de l'âme, et qu'il en scrute les pensées secrètes. C'est ce que nous prescrit cet apôtre, qu'il est permis de nommer le grand législateur de la virginité. Oui, saint Paul veut qu'on juge la vierge non sur ses vêtements, mais sur sa foi et sur sa croyance. (129) Celui, dit-il, qui entre dans la lice, doit s'abstenir de tout (            I Cor. IX, 25) ce qui pourrait ternir la pureté de l'âme; et : Nul n'est couronné, s'il n'a observé les conditions du combat (II Tim. II, 5); mais quelles sont ces conditions? Ecoutez la réponse du même apôtre, ou plutôt celle de Jésus- Ch rist qui a établi ce glorieux combat : Qu'en toutes choses le mariage soit respecté, et que le lit nuptial soit sans tache. (Hébr. XIII, 4.)

8. Ce précepte, dites-vous, ne me concerne point, puisque j'ai renoncé au mariage. Mais, ô vierge infortunée, c'est là une erreur d'autant plus grave qu'elle est la source de tous vos malheurs. Car vous ne pouvez déverser sur le mariage votre superbe dédain, saris blasphémer la sagesse divine, et condamner l'économie de sa providence. Et en effet, si l'union conjugale est un crime,, les enfants qui en proviennent sont donc impurs. Ainsi nous devons reconnaître que.vous du moins, quand il y aurait exception pour les autres, vous êtes, souillée par le fait seul de votre naissance : mais comment alors vous appeler vierge ! Bien plus, à cette première impiété vous en ajoutez une autre plus coupable encore : vous ne fuyez le mariage que parce que vous le considérez comme un crime; de sorte que vous avez trouvé le secret de rendre la virginité plus honteuse que le libertinage.

Où vous placer, ô vierges hérétiques? parmi les Juifs? mais ils honorent le mariage, et ils observent religieusement l'ordre de la Providence. Parmi les catholiques? mais vous refusez d'écouter Jésus- Ch rist qui nous dit par la bouche de l'Apôtre : Respectez le mariage, et la sainteté du lit conjugal. Je ne puis donc vous ranger que parmi les païens, et encore ils vous repoussent eux-mêmes comme des impies; car Platon, le prince de leurs philosophes, a dit que le Créateur de l'univers est un être bon, et qu'il n'a pu vouloir le mal. (Plat. Timée.) Vous, au contraire, vous le considérez comme un être malfaisant, et comme l'auteur du mal. Resterez-vous, donc seules et isolées? non, rassurez-vous; vous avez pour frères de doctrine le démon et ses anges. Ou plutôt ils ne partagent point l'erreur où ils vous ont engagées, et ils n'ignorent point que Dieu est bon;, aussi ils s'écrient dans l'Evangile : Nous savons, ô Ch rist, qui. vous êtes le saint de Dieu. (Marc, I, 24.) Et au livre des Actes, ils appellent les apôtres des hommes qui sont les serviteurs du Dieu Très-Haut, et qui annoncent la voie du salut. (Act. XVI, J 7.)

Jusques à quand vanterez-vous donc votre virginité? Ah ! loin de vous en glorifier, vous devriez pleurer amèrement l'obstination funeste qui vous rend les esclaves du démon, et les victimes de l'enfer. On n'est point vierge pour avoir renoncé au mariage; et celle-là seule mérite ce beau nom qui a pu légitimement se choisir un époux. Mais puisqu'à vos yeux le mariage est criminel et prohibé, la virginité n'est plus en vous l'acte d'une vertu volontaire; elle n'est qu'une soumission forcée à une loi rigoureuse. Ch ez les Perses, il est permis au fils d'épouser sa propre mère; et cette permission. fait qu'on admire ceux qui s'en abstiennent. Mais les Romains n'y trouvent aucun mérite, parce qu'ils flétrissent et réprouvent une semblable union comme le plus abominable de tous les crimes.

Il faut raisonner pareillement du mariage. bous le considérons comme légitime; aussi admirons-nqus ceux qui veulent y renoncer. Vous, au contraire, qui le regardez comme essentiellement mauvais, vous le fuyez sans aucun mérite. Et en effet, s'abstenir de ce qui est défendu, ne révèle pas toujours fine âme grande et élevée. C'est pourquoi la parfaite vertu, peu contente d'éviter les fautes que flétrit l'opinion publique, triomphe dans la pratique de ces actes dont l'omission même n'entraîne aucune culpabilité, et dont l'accomplissement nous met au rang de ceux qu'on appelle les fous et les justes. Les eunuques ne se marient pas, cependant qui songe à leur en faire un mérite ! Or, votre virginité n'est pas plus méritante. Ce' qui est chez lui le résultat forcé d'une mutilation corporelle, est chez vous la conséquence nécessaire de l'altération de votre conscience et , l'oeuvre du démon, qui, s'il a respecté votre corps, vous a fait subir une véritable mutilation morale, et vous tient honteusement engagées dans, les pénibles sacrifices d'une continence inutile et ingrate. Vous condamnez le mariage; ne vous étonnez donc point que votre fausse. virginité ne reçoive aucune récompense,, et soit même sévèrement punie. .

9. Mais vous aussi, m'objecterez-vous, ne défendez-vous pas te mariage ? à Dieu ne plaise que je partage votre erreur ! Eh quoi ! direz-vous encore, n'exhortez-vous pas à garder la continence? oui, je le conseille, parce que je (130) comprends toute l'excellence de la virginité. Mais, loin de condamner le mariage comme mauvais, je le loue, et j'en préconise le légitime usage comme un asile et un port assuré où s'abrite la continence, et où les passions se resserrent en de justes limites. Le Seigneur l'a placé sur le rivage de la vie, comme un rocher protecteur qui brise la vague furieuse, et qui parmi les orages et les tempêtes nous présente une rade calme et paisible; mais avouez aussi qu'il se rencontre des chrétiens auxquels ce secours est inutile, parce qu'ils domptent une chaire rebelle par le jeûne, les veilles, la solitude et la mortification.

Voilà ceux que j'engage à embrasser la virginité, et néanmoins je ne leur défends pas le mariage : or, entre le conseil et la défense, il y a un abîme aussi profond qu'entre la liberté et la nécessité. Un ami qui conseille permet à son ami de suivre un avis opposé; mais le législateur qui défend interdit absolument toute action contraire. Bien plus, en conseillant la virginité, je n'improuve point le mariage, et je ne condamne point celui qui résiste à ma parole. Vous, au contraire, vous qui réprouvez le mariage comme mauvais et criminel, et qui changez ici le conseil en une loi rigoureuse, vous devez en haïr tous les infracteurs. J'admire sans doute l'athlète généreux qui s'élance dans la carrière de la virginité; mais je ne condamne pas celui qui ne s'y présente point. Et, en effet, le blâme n'est permis qu'à l'égard d'une action réellement fautive; or, comment le faire tomber sur le chrétien auquel on ne peut reprocher que de se restreindre dans une sphère plus modeste, et de n'oser tenter les plus sublimes efforts de la vertu ; je ne louerai donc point en lui la force et l'énergie du courage, mais je ne me permettrai point non plus de blâmer sa timide réserve : ainsi je ne condamne point le mariage, dont j'estime l'usage saint et légitime, et je ne condamne que ceux qui l'outragent et qui le profanent; mais quiconque commet ce crime, je le châtie, et je le, chasse de l'Eglise, tandis que je loué ceux qui respectent  le lit conjugal : c'est ainsi que la doctrine catholique sait vénérer l'oeuvre de Dieu et faire resplendir d'un nouvel éclat ! l'honneur et la gloire de la virginité.

10. Celui qui condamne le mariage, blesse la sainte virginité, et celui qui le loue, rehausse le mérite et la dignité de cette vertu. C'est un bien d'une valeur fort douteuse, celui qui ne paraît tel que si on le compare avec un grand mal; or, telle est l'idée que vous avez de la virginité par rapport au mariage. Un bien véritablement excellent, c'est celui qui surpasse ce que tout le monde s'accorde à estimer comme bon : c'est notre doctrine touchant la virginité. Elle proclame le mariage bon, la virginité meilleure. Dire que le mariage est mauvais, c'est faire tort à la virginité ; pareillement, c'est louer celle-ci que d'honorer celui-là. On n'est pas beau, pour être moins laid que tel dont le corps est mutilé; on n'est vraiment beau que si on l'est plus que celui qui est intact et sans difformité , et c'est ainsi que le mariage étant bon en lui-même, nous fait admirer la virginité qui est meilleure. Elle le surpasse en dignité autant que le pilote et le général s'élèvent au-dessus du matelot et du soldat; mais de même que la tempête engloutit le vaisseau qui est dépourvu de rameurs, et que l'ennemi fait prisonnier le générai qui est abandonné de ses soldats, ainsi la condamnation du mariage rejaillit sur la virginité, et en ternit la gloire.

La virginité est donc un bien ; je l'avoue, elle est un bien plus excellent que le mariage; je l'accorde volontiers, et même je ne crains pas d'avancer qu'entre eux la distance est plus grande qu'entre le ciel et la terre, et qu'entre l'ange et l'homme; j'ajouterai encore que le mérite de cette vertu rayonne avec plus de splendeur dans les hommes que dans les anges: ceux-ci sont vierges, il est vrai, mais ils ne sont point comme nous pétris de chair et de sang. Ils n'habitent point la terre, ils ne ressentent point les ardeurs de la concupiscence, et ils n'ont à craindre ni l'intempérance et ses excès, ni la musique et ses accords voluptueux, ni le regard et la séduction de la beauté. Plus purs que le ciel en plein midi, quand aucun nuage n'en ternit l'azur, leurs essences virginales, qu'aucune passion ne trouble, brillent paisiblement d'un éclat immortel.

11. Cependant l'homme, que sa nature place au-dessous de l'ange, sait doubler ses forces ; et par une -généreuse émulation il marche son égal. L'ange est vierge , et l'homme le devient; l'ange est le ministre du Seigneur, et il se tient toujours près de son trône; mais la vierge chrétienne est la servante du Dieu auquel elle s'est consacrée, et saint Paul l'exempte de toute sollicitude temporelle,. afin que rien ne la détourne de (131) son ministère sacré; enfin, si elle ne peut briser les liens de la chair, et s'envoler aux cieux, du moins elle goûte l'ineffable consolation de recevoir le Dieu qui vient reposer dans le chaste- tabernacle de son corps et de son âme. Comprenez donc maintenant toute l'excellence de la virginité : par elle l'habitant de la terre rivalise avec les esprits célestes; l'homme se rend semblable aux pures intelligences, et de faibles mortels deviennent les émules des anges; mais vous êtes étrangères à cet état divin, ô vierges hérétiques ! vous qui déshonorez cette belle vertu, qui blasphémez le Seigneur, et qui le nommez auteur du mal; aussi ne sauriez-vous attendre de sa justice que le traitement sévère qu'il infligera au serviteur infidèle. Au contraire, les vierges catholiques auront en partage ces biens infinis, que mail de l'homme n'a point vus, dont son oreille n'a point entendu la mélodie , et dont son coeur n'a point conçu les charmes; mais sans nous occuper davantage des vierges, filles de l'hérésie, adressons-nous désormais aux vierges , filles de l’Eglise.

12. Je ne saurais mieux commencer qu'en citant les paroles que- Jésus- Ch rist a prononcées par la bouche de saint Paul. Le précepte de l'Apôtre, c'est le précepte même du Seigneur, nous devons le croire. En effet, quand l'Apôtre dit : Pour ceux qui sont dans le mariage, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui leur fait ce commandement, et qu'ensuite il ajoute : Quant aux autres, ce n'est pas le Seigneur, mais c'est moi qui leur dis ceci ( I Cor. VII, 10, 12); cela ne veut pas dire que le premier commandement soit de Jésus- Ch rist et que le second soit de Paul exclusivement. Comment celui qui portait le Ch rist en lui, le Ch rist parlant par la bouche de son Apôtre; celui qui ne voulait plus vivre, pour laisser vivre en lui le Ch rist; celui qui mettait sans peine son amour pour Jésus- Ch rist au-dessus du sceptre du monde, au-dessus de la vie, au-dessus de la félicité et de la sublimité des anges et des puissances, en un mot au-dessus de toutes les choses créées, comment, dis-je, un tel homme, aurait-il pu prononcer une parole, concevoir une pensée qui ne serait pas la parole et la pensée même du Ch rist, surtout quand il s'agissait de l'établissement d'une loi ?

Mais il est facile de comprendre cette double expression : « C'est moi, et, ce n'est pas moi, » quand on observe que tantôt Jésus- Ch rist nous a révélé lui-même ses préceptes, et que tantôt il nous les a fait connaître par ses apôtres. Et la preuve, c'est qu'il leur disait : J'ai encore beaucoup de choses à dire, mais vous ne pouvez pas les porter à présent. (Jean, XVI,12.) C'est pourquoi, comme durant sa vie mortelle il avait établi l'indissolubilité du mariage, saint Paul, en rappelant cette loi, dit : Ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui fait ce commandement. S'agit-il au contraire des infidèles parce que Jésus- Ch rist n'avait rien statué à cet égard, saint Paul dit : « Ce n'est pas le Seigneur, ,mais c'est moi qui leur dis. u Toutefois c'était bien réellement le Ch rist qui inspirait son apôtre; en sorte que cette loi n'était point l'oeuvre d'un homme. Cette diversité de langage signifie seulement que le divin Sauveur n'avait point promulgué ce précepte devant.ses apôtres, et qu'il le publiait alors par le ministère de saint Paul.

Quand l'Apôtre dit : Ce n'est pas moi, mais le Seigneur, tous reconnaissent qu'il parle au nom de Dieu; et il en est de même lorsqu'il dit : C'est moi, et non pas le Seigneur. Il indique seulement, par, cette différence d'expression, que ce précepte est publié pour la première fois et par son organe. C'est ainsi qu'en parlant des veuves, il dit : Elles seront plus heureuses, si elles restent dans le veuvage, selon mon conseil. (I Cor. VII, 40.) Et afin qu'on ne puisse réduire ces derniers mots à une autorité purement humaine, il ajoute aussitôt : Mais je pense que j'ai aussi en moi l'esprit de Dieu. Or, si l'esprit de Dieu inspire ici la parole de l'Apôtre, et lui imprime une sanction divine, pourquoi en serait-il autrement dans le passage que nous discutons? Est-ce que Jésus- Ch rist ne parle pas toujours en son Apôtre? et celui-ci eût-il jamais osé proposer ses propres idées comme un dogme et un précepte? Non, tout ce qu'il nous prescrit lui est inspiré d'en-haut. Autrement on eût pu lui dire : Vous voulez que moi, qui suis chrétien et chaste, je demeure avec une épouse infidèle et impure? Quelle est l'autorité de votre parole, puisque vous avouez vous-même qu'elle n'est que la parole d'un homme. Mais l'Apôtre eût répondu : bannissez toute défiance; car le Ch rist parle en moi, et je possède l'esprit de Dieu. Comment donc soupçonner ma parole de n'être qu'une parole humaine? et si elle n'était réellement inspirée, pourrais-je l'imposer comme une loi? car je sais que les (132) pensées des hommes sont timides, et leurs maximes incertaines. (Sag. IX, 14.)

Ajoutons encore que l'Eglise catholique, qui observe cette loi avec tant de soin, reconnaît par cela seul à la parole de l'Apôtre une autorité divine.

Quel précepte l'Apôtre inspiré par le Seigneur a-t-il donc porté touchant la virginité? Sur ce que vous m'avez écrit, je vous dirai qu'il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme. (I Cor. VII, 1.) Mais ici observons tout d'abord à la louange des Corinthiens, qu'ils n'avaient encore entendu aucune instruction touchant la virginité, et que les premiers ils interrogent l'Apôtre. Nous voyons ensuite quels progrès ils avaient faits dans la perfection chrétienne, puisque la question semblait tranchée par la loi ancienne, qui permettait le mariage aux lévites, aux prêtres, et même au grand prêtre.

13. Mais quel motif les portait donc à interroger l'Apôtre? Le sentiment intime des grâces reçues, et qui, plus abondantes que sous l'ancienne loi, exigeaient aussi une plus haute perfection. Recherchons également quelles raisons avait eues saint Paul de ne point leur parler de la virginité, car la question qu'ils lui adressent prouve de sa part un silence antérieur et absolu. Nous allons avoir ici une nouvelle preuve de la profonde sagesse de saint Paul.

En effet, ce n'était point de sa part oubli ou indifférence; il attendait qu'ils parvinssent d'eux-mêmes d'abord à une certaine notion, puis au désir de la virginité; c'est ce qu'ils firent, et ces heureuses dispositions permirent à l'Apôtre de répandre plus fructueusement la parole du salut, car le zèle de l'auditeur seconde merveilleusement celui du prédicateur. Il voulait en outre, par son silence, rehausser à leurs yeux l'excellence et la sublimité de cette vertu, autrement il eût prévenu leur demande; en leur présentant la virginité, sinon comme un précepte formel, du moins comme un conseil pressant. En agissant avec cette réserve, il nous a donné à entendre combien l'état de la virginité est pénible et laborieux. De plus, saint Paul suivait l'exemple du divin Maître, qui, lui aussi, avait, au sujet de cette même vertu attendu que ses apôtres l'interrogeassent. Si telle est la condition de l'homme dans le mariage, avaient-ils dit, il vaut mieux pour lui de garder le célibat, et c'est alors qu'il leur fit cette réponse : Il y en a qui se sont faits eux-mêmes eunuques à cause du royaume des Cieux. (Matth. IX, 10, 12.) Quand il s'agit, en effet, d'un acte de vertu si grand et si difficile qu'il tombe moins sous le précepte que sous le conseil, la prudence suggère d'attendre que nous manifestions nous-mêmes le désir de l'accomplir; mais il convient néanmoins de ne point négliger l'occasion de faire naître ce désir. Telle est la conduite du Sauveur. Veut-il inspirer à ses apôtres l'amour et le zèle de la virginité, il se garde bien d'en préconiser le mérite, et il se borne à leur montrer paisiblement les divers inconvénients du mariage; mais par cette prudente réserve il tes amène à s'écrier , eux qui n'avaient jamais douté de l'excellence du mariage : Il n'est donc pas bon de se marier !

C'est ainsi que saint Paul, imitant Jésus- Ch rist, commence sa réponse par ces mots : Au sujet de ce que vous m'avez écrit. Il semble s'excuser et dire aux Corinthiens: « Je n'osais vous engager de moi-même à la pratique d'une vertu si haute et si difficile, mais puisque vous m'en avez écrit, je le fais aujourd'hui avec une entière confiance. n Il n'est pas inutile, en effet, d'observer qu'ici seulement il emploie cette précaution oratoire, quoique, dans la même lettre, il réponde à plusieurs autres questions; il leur rappelle donc qu'ils l'ont eux-mêmes interrogé les premiers; afin de se ménager la facilité de leur présenter ses conseils sous une forme plus insinuante, il évite même de les exprimer dans un langage dur et sévère, et il n'emploie que des termes doux et modérés. Le Sauveur Jésus avait ainsi terminé son exhortation à la virginité: Que celui qui peut comprendre cette parole, la comprenne; et l'Apôtre dit tout simplement : Au sujet de ce que vous m'avez écrit, il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme. Tel est le principe posé par saint Paul.

14. Mais, dira-t-on, si la virginité est une vertu si excellente et si belle, pourquoi le mariage? Pourquoi Dieu a-t-il créé la femme, si elle ne doit être ni épouse, ni mère ? Et comment la destruction totale du genre humain n'arriverait-elle pas promptement et infailliblement, puisque la mort le moissonne chaque jour, et que vous lui défendez de se reproduire? Admettez en effet que tous les hommes gardent la continence, et bientôt les maisons et les villes, les arts et les champs, les (133) animaux et les plantes couvriront la terre de leurs débris. La mort du général amène la déroute de son armée; de même, quand l'homme, qui est le roi de l'univers, cessera de se reproduire, tous les éléments, et tous les êtres retomberont dans l'horreur du chaos. Cette vertu, que vous trouvez si belle, n'est donc féconde qu'en ruines et en désastres !

Si les infidèles et les ennemis de l'Église tenaient seuls ce langage , je dédaignerais de leur répondre. Mais il se rencontre sur les lèvres mêmes de ceux qui se disent nos frères. Leur coeur est trop peu généreux pour affronter les luttes de la virginité, et ils la méprisent et la condamnent pour excuser leur propre lâcheté. Ils espèrent déguiser ainsi leurs véritables sentiments, et paraître ne suivre que les lumières de la sagesse et de la raison; je laisse donc à l'écart les ennemis de l'Église, car : L'homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l'Esprit de Dieu : elles lui paraissent une folie (I Cor. II, 14); et je m'adresse directement à ces faux chrétiens. Oui, j'entreprends de leur démontrer l'excellence de la virginité, son utilité, et même sa nécessité. Je veux en outre leur prouver qu'ils ne peuvent impunément la décrier, et qu'au jour du jugement leur châtiment sera aussi rigoureux que la récompense des vierges sera belle et glorieuse.

Entrons en matière. Quand Dieu eut créé l'univers, et quand il eut préparé et disposé toutes choses pour notre bonheur, il créa l'homme, pour lequel il avait créé le monde. Adam d'abord seul, fut placé dans le paradis terrestre , et parce qu'il avait besoin d'une compagne, Eve lui fut donnée, mais cette société n'était point encore celle du mariage. Ils goûtaient l'un et l'autre comme les prémices de la béatitude céleste, et ils jouissaient de l'aimable présence du Seigneur. Ils ne ressentaient point cette ardeur dévorante qui rapproche les sexes, ni cet instinct voluptueux qui les unit. La femme ne connaissait point les douleurs de l'enfantement. Leur vie, semblable à une onde limpide et qui s'épanche d'une source pure, s'écoulait toute brillante d'une virginale chasteté.

Alors la terre n'était point peuplée; et voilà ce que craignent de revoir ceux qui se montrent si inquiets des destinées futures de l'univers. Ah ! ils s'occupent d'intérêts qui leur sont étrangers, et ils négligent le soin de leur salut; ils tremblent que le genre humain ne soit détruit, et ils sont sans crainte sur le sort de leur âme. Insensés ! ils oublient que le même Dieu qui ne leur imputerait point cette destruction, leur demandera un compte rigoureux de la faute la plus légère. Dans les premiers jours d'Adam et d'Eve, on ,ne bâtissait, il est vrai , ni maisons , ni cités; on n'exerçait aucun de ces arts que vous estimez tant; néanmoins la vie était remplie d'un calme et d'un bonheur dont nous n'avons pas même l'idée.

Mais dès qu'ils eurent violé le précepte divin, et que cette désobéissance les eut soumis à la mort, ils virent s'évanouir à la fois les charmes de leur existence et l'éclat de la chasteté. Dieu et la sainte virginité se retirèrent. Aussi longtemps qu'ils demeurèrent innocents, ils vécurent dans la crainte du Seigneur, et la virginité les parait plus glorieusement que le diadème et la pourpre ne parent les rois. En devenant les esclaves du démon, ils perdirent avec la robe de l'innocence les brillants atours dé la chasteté, et ils n'eurent en partage que la mort et la corruption, les douleurs et l'infortune. C'est alors qu'ils usèrent du mariage qui devint comme l'apanage de leur condition mortelle et servile. Car, dit l'Apôtre, celui qui est marié s'occupe des choses du monde. (I Cor. VII, 33.)

Voilà donc la raison d'être du mariage,voilà quels principes l'ont produit: la désobéissance, la malédiction et la mort. 11 n'est institué que pour réparer les désastres de la mort, et un état permanent d'immortalité le rendrait inutile. Il n'en est pas ainsi de la virginité : soit que vous la preniez avant la mort , ou après son apparition dans_ le monde ; soit que vous la considériez avant le mariage , ou après son institution, toujours vous la trouverez utile, heureuse et bénie. Je vous demande si Adam a dû sa naissance à l'usage du mariage , et si Eve. a fait souffrir le sein qui l'a portée. Non sans doute, vous vous alarmez donc vainement sur cette prétendue extinction du genre humain qu'amènerait, selon vous , l'extension de la virginité? Des millions d'anges exécutent les volontés du Seigneur, et des millions d'archanges environnent son trône : aucun d'eux cependant ne doit l'existence à l'union des sexes ; et pourquoi Dieu ne pourrait-il multiplier l'homme par les mêmes moyens qu'il l'a créé?

 

134

 

15. L'accroissement du genre humain vient moins de la fécondité du mariage, que de celle de cette bénédiction divine : Croissez et multipliez, et remplissez la terre. (Gen. I , 28.) Le mariage n'avait donné aucun héritier à Abraham; et après tant d'années d'une union conjugale, il s'écriait amèrement : Que me réservez-vous, Seigneur? je mourrai sans enfants. (Gen. XV, 2.) Mais nous savons que Dieu lui donna dans une vieillesse épuisée le fils qui le rendit père d'une nombreuse postérité. Adam, lui aussi, s'il fût demeuré fidèle, et s'il eût repoussé l'esprit tentateur, n'aurait pas eu à s'inquiéter de la propagation de sa race. Le Dieu qui veut cette propagation, est celui qui peut et rendre la virginité féconde et frapper le mariage de stérilité. Il a donc institué le mariage comme une suite de notre corruption et de notre révolte. Nous ne le voyons en' effet paraître qu'après le péché. Pourquoi nos premiers parents ne connurent-ils point l'union des sexes dans le paradis terrestre? Et pourquoi Eve n'éprouva-t-elle point, avant la sentence de malédiction, les douleurs de l'enfantement? C'est qu'alors le mariage et toutes ses suites étaient inutiles. Mais le péché le rendit nécessaire à notre faiblesse, et avec lui naquirent soudain ces besoins multipliés: construction de villes, culture des arts, nécessité des vêtements, toutes choses qui forment le cortége de la mort. Il serait donc injuste de mettre la virginité au-dessous du mariage qui ne nous a été donné que comme un secours, à défaut de la virginité, et il faut même éviter de les égaler en dignité , autrement vous pourriez soutenir qu'il vaut mieux, selon la tolérance mosaïque, avoir deus femmes qu'une seule, et qu'il est permis de préférer les richesses à la pauvreté volontaire, les plaisirs à la tempérance , et la vengeance au pardon des injures.

16. Vous condamnez donc la loi ancienne, me direz-vous. Non, je ne la condamne pas; car Dieu en est l'auteur; et elle était utile en son temps, mais je la crois imparfaite, et plus appropriée à des enfants qu'à des hommes mûrs. Aussi le Seigneur, voulant amener les chrétiens à un état plus parfait, leur ordonne-t-il de rejeter ces vêtements de l'enfance qui ne peuvent aller à l'homme fait, et qui ne conviennent point à la plénitude de l'âge du Ch rist. C'est pourquoi il leur substitue dans la législation évangélique un vêtement plus splendide; et cependant il ne se contredit point lui-même, car si les préceptes de la loi nouvelle sont plus élevés , l'intention du législateur n'est point changée. Or, cette intention est d'extirper le vice de notre nature et de nous conduire à la perfection. Supposez au contraire que Jésus- Ch rist, loin de promulguer une doctrine plus excellente, eût laissé le genre humain sous le joug pesant d'une loi faible et infirme ; nous serions en droit de censurer l'économie de sa providence. Et en effet, si dette providence n'avait point voulu, dans ces premiers temps, que l'on peut nommer les siècles de l'enfance du genre humain, circonscrire le mariage dans les règles sévères de l'Évangile, l'homme n'eût pu supporter cette rigueur, et il eût infailliblement succombé. Mais aussi lorsque tant de siècles écoulés dans la pratique d'une législation facile, eurent enfin amené pour l'homme un âge nouveau de vertu et de perfection, Jésus- Ch rist se devait à lui-même d'élever nos pensées et nos désirs au-dessus des pensées et des affections de la terre. La condescendance qu'il eût montrée en agissant différemment eût été une inconséquence, puisqu'elle n'aurait pas rempli le but qu'il se proposait : être utile au genre humain en le rendant plus parfait.

17. Ici le Seigneur déploie envers nous cette prévoyante sollicitude , que nous observons dans l'oiseau pour sa jeune couvée. Lorsque la mère a nourri et élevé ses petits, .elle les fait sortir du nid; et si elle les voit encore faibles et délicats, elle les y rappelle aussitôt, et les y retient jusqu'à ce qu'enfin, plus forts et plus confiants dans leurs ailes, ils puissent prendre heureusement leur vol. C'est ainsi que, dès le commencement des âges, le Seigneur a toujours cherché à nous attirer au ciel; il nous en a montré le chemin; il savait bien que nos ailes étaient encore trop faibles pour un tel essor; mais il tenait à nous prouver que nos chutes provenaient de notre faiblesse, et non de sa volonté. Aussi, sous la loi ancienne, laissait-il l'homme se reposer dans la facile jouissance du mariage, ainsi que le jeune passereau repose dans son nid; et il attendait, en toute patience, que notre vertu croissant peu à peu, comme l'aile naissante de l'oiseau, nous puissions quitter la terre et nous élever jusqu'aux cieux.

Cependant aujourd'hui encore, les uns plongés dans une molle indolence, hésitent à quitter les douceurs du nid maternel, et s'attachent (135) aux biens périssables de ce monde; d'autres, au contraire, plus généreux et plus avides d'air et de lumière, s'élancent dans l'espace; ils brisent sans regret tout ce qui pourrait enchaîner leur vol, et, renonçant au mariage non moins qu'aux affaires du siècle, ils dirigent vers le ciel leurs brûlantes aspirations. C'est pourquoi le mariage, accordé autrefois à notre faiblesse, n'est plus sous la loi évangélique un précepte général ; et Jésus- Ch rist nous exhorte à nous en abstenir quand il dit : Que celui qui peut comprendre cette parole, la comprenne. Si Dieu s'est montré plus indulgent dans le principe, n'en soyons pas étonnés, il agissait comme le sage médecin qui diversifie ses prescriptions selon les divers états de son malade. Celui-ci est-il en proie à une fièvre violente, il lui interdit une nourriture trop forte; mais quand il voit que ce feu qui consumait le corps et l'affaiblissait, est devenu moins ardent, il l'affranchit d'un régime désagréable et lui permet de se nourrir comme par le passé. Au reste, nous reconnaissons que nos maladies viennent de ce que l'équilibre des fonctions vitales est altéré par défaut d'une juste abondance dans les éléments hygiéniques, ou par leur trop grande plénitude; et de même l'excès des passions détruit dans notre âme l'harmonie des vertus. Pour la guérison de l'âme comme pour celle du corps, ce n'est pas assez d'approprier le remède au mal, il faut encore l'appliquer en temps convenable. Que l'une ou l'autre de ces deux précautions manque, et la loi, remède de l'âme, sera aussi impuissante à guérir nos infirmités morales, que l'appareil médical à fermer seul une plaie.

Ch aque jour, sous nos yeux, le médecin emploie le fer ou le feu, selon la gravité de la plaie qu'il veut guérir, quelquefois même il laisse la nature agir seul, et semble alors négliger son malade, et cependant nous ne lui demandons aucun compte de sa conduite , quoiqu'il se trompe souvent. Mais s'agit-il du Dieu dont la sagesse atteint infailliblement son but, faible mortel, vous vous élevez contre lui, vous le citez à votre tribunal, et vous blasphémez sa providence, n'est-ce pas le comble de la démence ! Oui, le Seigneur a dit à nos premiers parents : Croissez et multipliez; mais il a accommodé sa loi aux besoins d'un âge où le mariage seul pouvait calmer l'effervescence des passions, et, parmi les violences de la tempête, leur offrir un port paisible et assuré. Voudriez-vous qu'il eût dès lors prescrit la continence et la virginité? Mais un tel précepte eût attisé le feu de la concupiscence, et rendu notre chute plus grave.

Retranchez à l'enfant qui est encore à la mamelle la coupe du sein maternel, pour lui donner la nourriture de l'homme fait, et vous amènerez immédiatement sa mort. Tant le manque d'à-propos est un grand mal l Aussi le Seigneur n'a-t-il point prescrit la virginité dès le commencement, ou plutôt elle a précédé le mariage, et celui-ci, que la fidélité d'Adam eût rendu inutile, n'est devenu nécessaire que par sa désobéissance. Mais, sans le mariage, direz-vous encore, la terre serait-elle aussi peuplée qu'elle l'est aujourd'hui ? Cette idée de l'extinction du genre humain vous poursuit donc toujours comme un spectre effrayant? Eh bien ! je vous le demande, qui a créé Adam et Eve? Quoi donc ! l'homme se serait-il multiplié de la même manière? je l'ignore, et il me suffit de constater qu'en dehors du mariage Dieu eût pu multiplier le genre humain.

18. Le déluge qui aux jours de Noé engloutit les hommes et les animaux nous prouve combien la licence effrénée des passions arrête l'accroissement du genre humain. La virginité est hors de cause, et si les enfants de Dieu se fussent maintenus chastes et pudiques, s'ils n'eussent regardé les filles des hommes d'un aeil de concupiscence (Gen. vi, 2), le Seigneur ne les eût point submergés sous ces flots vengeurs. Loin de moi cependant d'imputer au mariage la cause de cet effroyable châtiment. Telle n'est point ma pensée, je veux seulement montrer que le péché, et non la virginité empêche l'accroissement de la population.

19. Le Seigneur s'est proposé dans l'institution du mariage de pourvoir à la perpétuité du genre humain, et surtout de nous donner un moyen facile d'affaiblir les ardeurs de la concupiscence. C'est ce dernier effet que signale l'Apôtre quand il dit : Que l'homme se marie pour éviter tout dérèglement, et, de peur que l'incontinence ne donne lieu à Satan de le tenter. Nous voyons ici qu'il ne s'agit dans la pensée de saint Paul ni de la perpétuité du genre humain, ni même du désir d'une nombreuse postérité; il se borne à montrer le mariage comme un préservatif contre le péché; C'est pourquoi il ajoute : Que ceux qui ne peuvent garder la continence, se marient. (I Cor. VII, 2, 5, 9.) Sans doute l'institution du mariage (136) avait dans le principe le double but que j'ai indiqué, mais depuis que la race humaine a peuplé le globe, il nous est laissé principalement comme un moyen d'éviter le vice. L'union conjugale présente en effet à tous ceux qui se sentent comme impuissants à maîtriser leurs passions une grande facilité pour se maintenir dans la vertu et la sainteté. Mais n'est-il pas temps de cesser une réfutation inutile? Car vous, qui vous posez en adversaires de la virginité, vous en comprenez tout comme nous le mérite et l'excellence , et toutes vos objections ne tendent qu'à justifier vos propres vices.

20. Mais quand il serait vrai que la virginité donnerait prise à quelques reproches, l'on devrait par respect s'abstenir de les faire. L'homme qui se plaît à déprécier dans ses frères la noblesse de l'âme et la générosité du coeur, se perd lui-même dans l'opinion publique : car tous peuvent apprécier combien son jugement est faux, et son esprit méchant. Ainsi ce premier motif devrait engager nos adversaires à réprimer l'intempérance de leurs discours; il serait plus digne de leur prudence de faire excuser leur faiblesse et leur peu de courage par l'éloge sincère d'une haute et sublime vertu. Celui qui poursuit de ses mépris et de ses outrages le noble héroïsme auquel il ne saurait atteindre, s'attire justement la haine de tous, et il passe aux yeux du monde pour un ennemi de la vertu, et un insensé. Un fou n'est point responsable de ses actes, parce qu'il n'en a pas la conscience; aussi le magistrat qui en serait outragé, loin de le punir, le regarderait avec plus de pitié encore; mais l'homme qui jouirait de toute sa raison, et qui se permettrait une pareille injure, serait poursuivi et condamné comme coupable envers la société.

21. Ces nombreux et graves motifs devraient sans doute suffire pour nous interdire toute parole de mépris contre la sainte virginité, quand même nous pourrions le faire impunément. Mais cette impunité, n'y comptons pas, car le Seigneur enveloppe dans les mêmes châtiments l'imprudent qui élève la voix contre son frère, ou qui scandalise le fils de sa mère, et le téméraire qui blasphème le chef-d'oeuvre de la sagesse divine. Ecoutez plutôt ces paroles d'Isaïe : Malheur à vous, qui appelez mal le bien, et bien le mal; qui changez les ténèbres en lumières, et la lumière en ténèbres; l'amertume en douceur, et la douceur en amertume! (Isaïe. V, 20.) Or, quoi de plus délicieux que la virginité ? de meilleur et de plus brillant? elle rayonne plus splendidement que l'astre du jour, et elle ne détache nos regards de tous les objets créés que pour les fixer sur le divin Soleil de la justice éternelle. Mais si le prophète Isaïe tonne ainsi contre ceux qui s'égarent eux-mêmes dans leurs vains jugements, Habacuc reprend avec non moins de forcé ceux qui répandent au dehors ces doctrines perverses. Malheur, dit-il, lui aussi, malheur à celui qui présente à son ami un breuvage empoisonné ! (Habac. II, 15.) Et notez que ce mot malheur comprend tout un ensemble de calamités et de châtiments irrévocables; et il signifie, dans l'Ecriture, l'exécution prochaine et assurée des menaces divines.

Un autre prophète reproche aux Juifs, comme une faute grave, d'avoir offert du vin aux Nazaréens. (Amos, II, 12.) Mais si cette action mérite un blâme sévère, quel supplice ne doit pas attendre le téméraire qui répand dans un coeur simple et innocent le breuvage empoisonné de l'erreur? Le Seigneur punit avec rigueur sur les Israélites la transgression de sa loi, même dans une de ses moindres prescriptions ; et il ne châtierait pas sévèrement l'audacieux qui par ses discours renverse tout l'ensemble des préceptes évangéliques ! Celui, dit Jésus- Ch rist, qui scandalise un de ces petits qui croient en moi, mériterait qu'on suspendît une meule de moulin à son cou, et qu'on le jetât au fond de la mer. (Matth. XVIII, 6.) Tremblez donc, ô vous qui ne scandalisez pas seulement quelques enfants, mais des multitudes entières ! L'Evangile nous assure que celui qui aura appelé son frère du nom de fou, n'évitera point les flammes de l'enfer : quels trésors de colère armassent donc sur leurs têtes les imprudents qui calomnient cette belle vertu qui nous égale aux anges !

Vous n'ignorez point que Marie, sueur de Moïse, fut sévèrement punie pour avoir murmuré contre son frère. Mais combien ses murmures comparés à vos blasphèmes, paraissent-ils légers et modérés ! Loin de calomnier Moïse et de déprécier son mérite, elle l'entourait d'estime et de vénération , et se bornait à dire qu'elle aussi possédait l'esprit de Dieu. Et cependant le Seigneur jugea que cette seule parole était une faute si grave qu'il repoussa les prières mêmes du frère qu'elle avait offensé, (137) et qu'il ne voulut point abréger la. durée de son châtiment.

22. Mais que parlé-je de Marie? Avez-vous oublié ces quarante-deux enfants des environs de Bethléem, qui par moquerie crièrent au prophète Elisée : Monte, chauve! (IV Reg. II, 23.) Cette raillerie irrita profondément le Seigneur, et sur-le-champ il envoya contre eux deux ours qui les dévorèrent tous. Rien ne les excusa devant lui, ni leur âge, ni leur nombre, ni le prétexte d'un simple badinage. Et certes ils méritaient bien ce châtiment. Supposons en effet que l'homme qui s'est imposé les rudes sacrifices de la virginité, puisse devenir impunément le jouet des grands et des petits; et dites-moi quel est celui dont le courage ne reculera pas en présence d'une perspective assurée de moqueries et de sarcasmes? Il n'y aurait qu'une âme suréminemment forte et généreuse qui pût embrasser une vertu ainsi ridiculisée. Aujourd'hui que la virginité excite dans ceux qui s'y dévouent un pieux enthousiasme, et même dans ceux qui s'en éloignent, une profonde admiration, elle ne rencontre encore trop souvent que des esprits craintifs et des coeurs pusillanimes : qui donc la choisirait pour son partage, si au lieu de respectueux hommages elle ne recueillait que le mépris et le blâme? Sans doute il est quelques âmes grandes et magnanimes, qui vivent déjà dans le ciel, et qui dédaignent les louanges du monde. L'approbation du divin Epoux suffit à leur bonheur. Mais permettons à celles qui sont moins énergiques et moins exercées de s'aider un peu de nos encouragements, jusqu'à ce que l'expérience des combats et de la victoire leur rende ce 'secours inutile. Au reste le châtiment qui vengea l'honneur d'Elisée, et qui punit ces enfants, fut salutaire à ceux-ci même dans sa rigueur, car en les retirant du monde, il les empêcha de commettre de nouvelles fautes.

Ce trait en rappelle un autre du même genre. Si deux ours mirent en pièces quarante-deux enfants pour venger Elisée, deux fois le feu du ciel consuma une compagnie de cinquante soldats pour venger son maître Elie. Ces hommes avaient crié moqueusement à Elie qu'il descendît de la montagne, et voilà que la foudre éclatant soudain les frappa tous ensemble. Ah ! méditez ces effrayantes leçons, ô vous tous qui êtes les ennemis de la virginité ! Cessez du moins vos discours imprudents, mettez une porte et un verrou à votre bouche de peur qu'au jour du jugement vous ne vous écriiez, en voyant la splendeur des vierges : Les voilà ceux que nous avions en mépris et qui étaient l'objet de nos outrages! Insensés, nous estimions leur vie une folie et leur fin un opprobre , et les voilà comptés parmi les enfants de Dieu , et leur partage est entre les saints ! nous avons donc erré hors des voies de la vérité, et la lumière de la justice n'a pas lui à nos yeux. (Sag. V, 3.) Ces regrets seront inutiles, car le temps du repentir et de la pénitence ne sera plus.

23. Mais depuis ces terribles exemples lavertu n'a-t-elle jamais été outragée? Elle l'a été bien souvent, et dans bien des pays. Pourquoi donc tous les coupables n'ont-ils pas été punis? plusieurs ont été atteints par la justice divine, je pourrais erl citer de nombreux exemples, et les autres n'ont échappé que momentanément à son action. Car l'Apôtre nous apprend que : Les péchés de quelques-uns sont connus avant le jugement, et que d'autres ne seront découverts qu'après ce jour. (I Tim. V, 24.) Un législateur n'oublie point, pour effrayer le crime, de consigner dans ses lois les peines diverses dont il sera puni, de même Jésus- Ch rist sévit par intervalles contre les infracteurs de ses préceptes, afin que ce châtiment soit une leçon générale et permanente. Gravés sur l'airain de l'histoire, ces exemples avertissent les générations futures que si les mêmes fautes ne sont pas toujours suivies des mêmes châtiments ici-bas, elles n'en seront que plus sévèrement punies dans l'éternité.

24. Le coupable qui multiplie ses offenses, ét dont le Seigneur diffère la punition a donc bien sujet de craindre, loin qu'il doive s'abandonner à une aveugle confiance. Car le Dieu qui nous épargne dans la vie présente, nous condamnera avec le monde dans la vie future. Et ce n'est pas moi qui vous l'assure, mais l'Apôtre, ou plutôt Jésus- Ch rist lui-même dont il était l'interprète. Voici ce qu'il écrivait aux Corinthiens, au sujet des profanateurs de l'Eucharistie : Il y en a beaucoup parmi vous qui sont malades et languissants, et plusieurs sont morts. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu : mais lorsque nous sommes jugés, c'est le Seigneur qui nous reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde . (I Cor. II, 30-32.) Il est en effet des fautes (138) légères qu'il suffit de punir d'une peine temporelle pour arrêter de nouvelles chutes, et empêcher que les coupables n'imitent le chien qui revient à son vomissement. Mais il est aussi des péchés plus graves qui méritent d'être châtiés dans ce monde et dans l'autre. Enfin, il est des crimes si énormes qu'ils sont entièrement réservés aux feux dé l'enfer. Ceux qui les ont commis, ne sont pas même dignes d'être flagellés avec les hommes, c'est-à-dire en ce monde selon la parole du Psalmiste (Ps. LXXII, 5), et ils sont destinés à partager les supplices du démon. C'est pourquoi ils entendront cette parole foudroyante : Retirez-vous de moi, maudits, allez aux ténèbres extérieures qui ont été préparées pour le diable et ses anges. (Match. XXV, 41.)

Depuis Simon le Magicien (Act. VII), bien des prêtres ont acheté le sacerdoce; et parce qu'un nouveau Pierre ne leur a point reproché cet indigne sacrilège, croyez-vous qu'ils en éviteront le châtiment? Non, sans doute : et je dis même que ce châtiment sera d'autant plus terrible que l'exemple de Simon ne les aura pas corrigés. C'est ainsi encore que plusieurs imitent la faute de Corée (Nomb. XVI), sans partager sa punition, parce que la justice divine leur en réserve une plus grande. Tous ceux qui renouvellent l'impiété de Pharaon (Exod. XIV), ne sont point, comme lui, submergés sous les flots, mais ils seront un jour plongés dans un étang de feu. Enfin la vengeance céleste ne frappe pas immédiatement tous ceux qui blessent la charité fraternelle (Match. v), parce qu'elle se réserve de les atteindre dans l'éternité. Ne croyez donc point que les menaces du Seigneur ne soient qu'une vaine parole; il les réalise même quelquefois 'sous nos yeux, comme nous le voyons à l'égard de Saphire (Act. V), de Ch armi (Jos. VII), , d'Aaron et de plusieurs autres (Nomb. III), afin de détromper, les esprits incrédules. Ainsi le pécheur serait bien téméraire s'il continuait à s'abuser lui-même, en se promettant une heureuse impunité. Sans doute, Dieu est indulgent, mais c'est pour nous donner le temps de nous repentir, et jamais il n'a promis l'impunité au coupable endurci.

Je pourrais poursuivre ce sujet, et montrer quel sort funeste se préparent les détracteurs de la virginité. Je m'arrête néanmoins : ces quelques mots suffisent pour contenter des esprits sages; et de nouveaux développements ne sauraient ramener des esprits rebelles et insensés. C'est pourquoi je ne veux désormais m'adresser qu'aux premiers, et j'aborde enfin avec eux l'explication de ces paroles de l'Apôtre : Sur ce que vous m'avez écrit, je vous dirai qu'il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme. (I Cor. VII, 1.)  Ecoutez donc, ô vous qui condamnez le mariage, et vous aussi, qui l'élevez au-dessus de la virginité ! ces paroles de saint Paul, et celles qui les suivent, vous imposent également un respectueux silence.

25. Le mariage est bon, puisqu'il retient l'homme dans le devoir, et l'empêche de tomber dans la fornication. Ne le condamnez donc point, car il est fécond -en heureux résultats. Par lui les membres de Jésus- Ch rist ne deviennent point les membres d'une vile prostituée, et le temple saint de notre corps n'est point profané. Oui, le mariage est bon; il soutient le faible, et il affermit ses pas. Mais cet .appui est inutile à l'homme fort et robuste, et loin de lui être nécessaire , il ne ferait que semer sur sa route mille obstacles qui entraveraient sa marche, et diminueraient sa gloire et son mérite.

26. Donner une armure au combattant qui peut vaincre sans ce secours, ce n'est pas lui rendre service, c'est au contraire lui faire injure, c'est lui ravir l'admiration des spectateurs, et dépouiller sa couronne de son plus bel éclat. Elle ne permet en effet ni à ses forces de se déployer tout entières, ni à sa victoire de briller de toute sa splendeur. Mais le mariage est encore bien plus funeste au mérite de la vertu, puisqu'il la prive des applaudissements de la foule, et, ce qui est plus grave, des récompenses réservées à la virginité. Aussi l'Apôtre conseille-t-il le célibat. Il permet néanmoins le mariage pour empêcher le dérèglement des moeurs. Je n'ose, semble-t-il nous dire, vous élever jusqu'à l'état sublime de la virginité, de peur que vous ne tombiez dans l'abîme de la fornication, car les ailes de votre âme sont encore trop faibles pour atteindre ces hauteurs célestes. Eh quoi ! ô bienheureux apôtre, ne voyez-vous pas cet essaim nombreux de vierges qui s'élancent au combat et à la couronne? pourquoi donc ces craintes et cette inquiétude? ah ! je crains, me répond-il, que le principe de cette ardeur ne soit l'ignorance: des périls et des difficultés. C'est l'expérience qui me rend si timide, et même si réservé à donner un conseil.

 

139

 

27. Je connais, poursuit l'Apôtre, les difficultés de cette lutte, la violence de ces combats et les dangers de cette guerre. On ne peint vaincre l'ennemi que par une grande énergie de courage, et une entière mortification des sens. Il faut fouler des charbons ardents sans se brûler (Prov. VI, 28.), marcher sur un glaive sans se blesser. Les passions sont en effet un feu dévorant, et un glaive acéré; aussi notre âme ne peut se conserver pure et chaste qu'à la condition d'être invulnérable. C'est pourquoi nous devons donner à notre coeur la dureté du diamant, défendre le sommeil à nos paupières, et prescrire à notre esprit une exacte vigilance. Nous devons comme entourer notre âme de murs et de remparts sur lesquels seront placées de nombreuses sentinelles. Mais surtout il faut implorer la protection divine, car : Si le Seigneur ne défend une cité, inutilement veillent ses gardiens. (Ps. CXXVI,1.)

Ainsi parle l'Apôtre. Mais voulons-nous obtenir ces secours divins, soyons exacts à consulter des hommes sages, à nous fortifier par le jeûne et les veilles, à garder fidèlement les préceptes du Seigneur, et à ne mettre aucune confiance en nos propres forces. Et en effet quelque grands que soient nos travaux, nous devons toujours dire : Si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, les ouvriers auront travaillé en vain. (ibid.) Car nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus. dans l'air. (Eph. VI, 12.) Il faut donc que nuit et jour notre âme soit disposée pour le combat, et toujours prête à repousser les attaques de l'ennemi. Eh ! ne voyez-vous pas le démon qui nous épie insidieusement, et qui, la torche à la main, s'apprête à incendier le temple de Dieu. C'est pourquoi soyons sur nos gardes, et ne nous permettons aucune négligence , car nous devons résister aux penchants de la nature, devenir les émules des anges, et disputer la palme de la pureté à ces pures intelligences. Terre et cendre, nous devons égaler les habitants des cieux, et faibles mortels- rivaliser avec des êtres immortels.

Qui serait donc assez insensé pour élever le mariage et ses jouissances au-dessus des nobles sacrifices de la virginité? C'est parce qu'il en comprenait toute la sublimité que l'Apôtre disait aux Corinthiens : Que chaque homme vive avec sa femme, et chaque femme avec son mari. (I Cor. VII, 2.) Il hésite à leur parler directement de la virginité, et semble n'insister que sur les devoirs du mariage. Son but est certainement de les amener à un état plus parfait, mais il n'en glisse d'abord que quelques -mots, il craindrait qu'une instruction trop prolongée ne blessât par sa sévérité des oreilles encore délicates. En effet l'orateur qui n'ourdit la trame de son discours qu'avec des sentiments austères et des pensées ardues, finit infailliblement par fatiguer son auditoire et par provoquer dans les esprits une réaction fâcheuse. Celui au contraire qui varie son discours, qui le compose de manière que les choses difficiles et pénibles qu'il est obligé de dire se fassent accepter à la faveur et sous l'enveloppe des choses aisées et commodes qu'il fait dominer à dessein dans la composition, celui-là s'attire la bienveillance de l'auditeur et réussit d'autant mieux à le persuader et à lui communiquer ses sentiments et ses pensées. C'est ainsi que l'Apôtre, après avoir dit que l'homme ferait bien de s'abstenir de la femme, parle aussitôt du mariage , et le conseille comme un moyen d'éviter le vice. On dirait qu'il ne se propose que d'expliquer les motifs de ce conseil, mais cette explication devient elle-même un éloge tacite de la virginité. Son silence parle éloquemment à la conscience de chacun; en effet, si vous comprenez que le mariage vous est conseillé non comme un état meilleur, mais seulement comme un frein à la violence de vos passions, vous rougirez de cette opinion injurieuse , et pour en secouer toute la honte, vous embrasserez la virginité.

28. Saint Paul nous dit encore: Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et la femme ce qu'elle doit à son mari: car, poursuit-il en expliquant sa pensée, le corps de la femme n'est point à elle, mais à son mari; de même le corps du mari n'est pas à lui, mais à sa femme. (I Cor. VII, 3, 4.) Ces paroles qui semblent au premier abord ne se rapporter qu'au mariage, sont néanmoins comme un hameçon adroitement présenté pour attirer les Corinthiens à la virginité. Et en effet, puisque l'union conjugale nous ôte la libre disposition de nous-mêmes, qui ne se révolterait contre une loi aussi tyrannique? ou plutôt qui ne voudrait s'y soustraire par la profession de la virginité? Car, dès que le mariage est conclu, son joug ne peut être brisé. La réponse que firent (140) les apôtres au divin Maître, nous aide ici à pénétrer sûrement la pensée de saint Paul. Ils ne reconnurent les peines inhérentes au mariage qu'au moment où Jésus- Ch rist en prononça l'indissolubilité. C'est ce que l'Apôtre fait également. Jésus- Ch rist avait dit : Quiconque renverra sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère, la rend adultère (Matth. V, 32) ; et saint Paul dit qu'aucun des deux époux n'est maître de lui-même. Les expressions sont différentes, mais la pensée est la ,même, bien plus le précepte de l'Apôtre aggrave le joug du mariage; car Jésus- Ch rist défend seulement au mari de renvoyer sa femme, et saint Paul veut qu'il lui soit assujetti. Mais n'est-ce pas river sur lui une chaîne plus pesante que celle d'un esclave? Celui-ci peut se racheter à prix d'argent; tandis que, du vivant de sa femme, fût-elle un tyran, le mari ne peut espérer sa liberté.

29. L'Apôtre poursuit son raisonnement; et après avoir dit que les deux. époux n'ont point la libre disposition de leur corps, il ajoute : Ne vous refusez point l'un à l'autre, si ce n'est d'un consentement mutuel, et pour un temps, afin de vaquer à' la prière; et ensuite vivez ensemble comme auparavant. (I Cor. VII, 4, 5.) Peut-être ici, plusieurs parmi les vierges s'effrayeront de cette excessive indulgence. Je les prie d'être sans inquiétude, et de ne pas blâmer témérairement le saint Apôtre. Cette recommandation paraît tout d'abord plus favorable au mariage qu'à la virginité, mais quand on l'examine de près on voit qu'elle revient parfaitement à ce que nous avons vu être la pensée intime du Docteur inspiré. Il importe donc de l'approfondir sérieusement, afin d'y trouver, non le propos d'une matrone instruisant de nouveaux époux, mais une communication vraiment apostolique. Mais pourquoi l'Apôtre s'arrête-t-il aussi longtemps sur ce sujet, et pourquoi ne se borne-t-il pas à ce qu'il a dit précédemment? Ces paroles : Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement , et pour un temps, sont-elles plus impératives que celles-ci: Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, car le corps du mari n'est pas à lui, mais à sa femme? non sans doute; elles sont seulement plus claires et plus explicites. C'est ainsi qu'autrefois Samuel énumérait aux Israélites les privilèges de la royauté, bien moins pour les engager à choisir et préférer cette forme de gouvernement que pour les en détourner, et leur en inspirer du dégoût. L'Apôtre insiste donc sur les lois tyranniques du mariage, afin d'en éloigner les Corinthiens. Aussi après avoir dit que les deux époux ne sont point maîtres de leur corps, ajoute-t-il: ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement, et pour un temps, afin de vaquer à la prière.

Voyez donc avec quelle prudente habileté il amène les époux eux-mêmes à aimer la continence; il a d'abord loué cette vertu, et proclamé qu'il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme, et il exhorte maintenant à la pratiquer en disant : Ne vous refusez point l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement. Pourquoi insinue-t-il, sous forme d'exhortation, ce qu'il veut dire, au lieu de le proposer résolument sous forme de précepte? car, remarquons-le, il ne dit pas Refusez-vous l'un à l'autre pourvu que ce soit d'un consentement mutuel, mais ne vous refusez pas l'un à l'autre à moins que ce ne sort d'un consentement mutuel. C'est que cette manière de s'exprimer est plus douce, et qu'elle rend ainsi plus parfaitement la pensée de l'Apôtre. Il est en effet bien éloigné d'exiger impérieusement la pratique d'une vertu qui doit être toute de bonne volonté. Enfin, pour gagner de plus en plus la bienveillance des Corinthiens, il abrège les enseignements austères, il n'y insiste pas de peur d'affliger les auditeurs, il se hâte de passer à quelque chose de plus agréable, s'arrêtant avec complaisance sur une matière qu'il sait conforme à leur goût.

30. II n'est pas sans intérêt de rechercher pourquoi l'Apôtre, qui veut que le mariage soit honoré, et le lit nuptial sans tache, recommande la continence aux époux pendant le temps qu'ils consacrent au jeûne et à la prière. Et d'abord rappelons-nous que les Juifs qui étaient tout charnels, qui pouvaient avoir deux femmes à la fois, et auxquels il était permis de les répudier et d'en prendre d'autres, durent néanmoins s'abstenir du mariage pendant plusieurs jours, afin de se rendre moins indignes d'entendre la promulgation de la loi. Eh ! quoi, nous qui vivons sous le règne de la grâce et de l'amour, nous qui avons reçu les dons de l'Esprit-Saint, nous qui, morts et ensevelis avec le Ch rist, avons été élevés à la dignité de l'adoption divine, nous ne saurions imiter l'exemple d'un peuple grossier et ignorant l Mais voulez-vous presser encore la question, et demander (141) pourquoi Moïse prescrivit alors la continence aux Juifs? Je vous répondrai que le mariage, quelque honorable qu'il soit, se borne à préserver l'homme du vice, et que la continence seule le rend pur et le sanctifie.

Ce sentiment au reste n'est point particulier à Moïse et à saint Paul; le prophète Joël ordonne également qu'aux jours du jeûne le peuple se réunisse, que les vieillards se rassemblent, et que l'époux sorte de sa couche, et l'épouse de son lit nuptial. (Joël, II, 15, 16). Cette parole du prophète aggrave même beaucoup la rigueur du précepte mosaïque, et, lorsqu'elle prescrit à deux jeunes époux de surmonter l'ardeur d'un plaisir nouveau, et de combattre l'instinct brûlant de la jeunesse et de l'amour, pour mieux vaquer au jeûne et à la prière , quelle excuse pourraient alléguer l'homme mûr ou le vieillard? Nous ne saurions en effet remplir convenablement le double devoir du jeûne et de la prière, si notre esprit ne se dégageait de toute pensée terrestre, non moins que de toute préoccupation d'affaires, et ne se recueillait profondément en la présence de Dieu. Le jeûne est souverainement efficace pour écarter toute sollicitude trop distrayante, et pour concentrer notre attention sur nousmêmes. C'est pourquoi l'Apôtre, qui envisage ces avantages, conseille la continence aux époux; mais admirez l'heureux euphémisme de son langage. Abstenez-vous du mariage, leur dit-il, non dans la vue d'une plus grande pureté, mais afin de vaquer plus librement au jeime et à la prière; il évite ainsi de leur présenter la continence sous tout autre aspect que celui du repos de l'esprit et de la tranquillité de l'âme.

31. Notre propre expérience nous apprend assez que, malgré tous nos efforts, pour nous tenir recueillis pendant la prière, le démon parvient à nous distraire; mais que ne ferat-il pas, s'il nous trouve tout dissipés, et tout préoccupés des plaisirs de la chair. Aussi, l'Apôtre conseille-t-il aux époux d'observer alors la continence, afin qu'ils se rendent plus facilement le Seigneur favorable, et qu'ils ne s'exposent point à l'irriter par une prière vaine et futile.

32. Nous voyons que le sujet en présence du prince, le particulier devant le magistrat, et l'esclave en face de son maître, ne parlent que les yeux baissés et l'esprit attentif. Viennent-ils, ou se plaindre d'une injure reçues ou solliciter une grâce , ou demander le pardon d'une faute, toujours ils se tiennent profondément recueillis. Ils savent, en effet, que la moindre légèreté empêcherait le succès de leur démarche, et même serait sévèrement punie. Mais s'il faut tant de précautions pour apaiser la colère d'un homme; que deviendrons-nous, malheureux et infortunés , nous qui abordons avec une insouciante légèreté le Dieu souverain, contre lequel nous avons si souvent péché ! Oui, quel est l'esclave qui offense son maître, ou le sujet son roi, comme nous offensons le Seigneur? Jésus- Ch rist, pour nous le faire comprendre, compare les péchés contre le prochain à une dette de cent deniers, et les offenses à la Majesté divine à une dette de dix mille talents. C'est pourquoi l'Apôtre agit avec sagesse, quand il exhorte les époux à s'abstenir du mariage, dans les jours où ils veulent fléchir la colère du Seigneur, et obtenir le pardon de leurs fautes. Mes chers amis, semble-t-il leur dire, il s'agit du salut de votre âme; et plus ce salut est important, plus aussi vous devez être saisis de crainte, de trouble et d'effroi. Nous nous présentons devant un maître sévère, que nous avons souvent offensé, et qui exigera un compte rigoureux; ce n'est donc plus le temps des tendres caresses et des molles voluptés, mais bien celui des larmes et des gémissements, de l'humiliation et de la confession, du repentir sincère et de la prière fréquente. Heureux encore si nous pouvons, à ce prix, nous rendre le Seigneur propice et favorable. Ah ! sans doute, loin d'être dur et cruel, il est la douceur et la bonté même, mais la grièveté de nos fautes ne lui permet pas, malgré sa bonté, sa clémence et sa miséricorde, de nous accorder facilement notre pardon.

Telles sont les raisons pour lesquelles l'Apôtre prescrit la continence, pour vaquer au jeûne et à la prière. Comprenez-vous maintenant combien le joug du mariage est lourd et pesant. Je voudrais réaliser quelques progrès dans la -vertu, et m'exercer à la pratique du jeûne et du recueillement. Je voudrais purifier mon âme, et sur l'aile de la prière m'envoler aux cieux, mais mon épouse n'y consent point, et je dois m'incliner devant son caprice. Qu'elle est donc vraie cette parole de saint Paul : Il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme! et les apôtres, eux aussi, avaient bien raison de s'écrier : Si telle (142) est la condition des époux, il n'est pas bon de se marier. (Matth. XIX, 40.) Cette exclamation était comme le cri d'une âme, qui comprend tout ce que l'union conjugale apporte avec elle d'entraves et de difficultés.

33. L'Apôtre n'insiste donc tant sur le mariage, que pour en mieux faire sentir tous les inconvénients. Que chaque homme, dit-il, vive avec sa femme, et chaque femme avec son mari. Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et la femme ce qu'elle doit à son mari. Le corps de la femme n'est point à elle, mais à son mari : de même le corps du mari n'est point à lui, mais à sa femme. Ne vous refusez point l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement, vivez ensemble. (I Cor. VII, 2-8.) Les Corinthiens ne saisirent pas d'abord le but et l'intention de saint Paul, mais insensiblement ils pénétrèrent le sens caché de ses paroles. Le divin Maître avait aussi inspiré à ses apôtres le désir de la continence en leur exposant les lois du mariage dans son sermon sur la montagne, et dans plusieurs autres occasions. Car :un enseignement souvent répété ne peut manquer de se graver profondément dans l'esprit. Aussi l'Apôtre, à l'exemple de Jésus- Ch rist, revient-il fréquemment sur la question du mariage. S'il le permet, ce n'est jamais sans en expliquer les motifs; et ces motifs sont la fuite du péché, de la tentation et du vice. Jamais il n'oublie de mêler adroitement l'éloge de la virginité à ce qu'il dit du mariage.

34. Nous venons de voir que l'Apôtre n'ose conseiller aux époux une trop longue séparation, de peur que Satan ne les circonvienne. Quelles palmes et quelles couronnes ne méritent donc pas ceux qui, sans ce secours, savent toujours vaincre et triompher, et contre lesquels cependant le démon déploie toutes ses ruses et toute son audace ! Il est moins violent envers les personnes mariées, parce qu'il sait qu'au plus fort de la tempête elles trouvent dans le mariage un port et un refuge assuré. D'ailleurs l'Apôtre ne leur permet qu'une courte navigation, et il veut qu'ils reviennent promptement au rivage pour s'y reposer de leurs fatigues, et s'y abriter contre l'orage. Mais les vierges ne peuvent ni ralentir leur course à travers les ondes et les écueils, ni aspirer, au milieu des tempêtes, au calme d'une rive hospitalière. Les pirates craignent d'attaquer les vaisseaux qui ne s'éloignent qu'à une

faible distance du port ou de la rade, car ils s'exposeraient eux-mêmes à un très-grand péril. Mais s'ils rencontrent un navire en pleine mer, son isolement accroît leur audace. Ils l'abordent, et le combat ne cesse que par la prise et la perte des uns ou des autres. C'est ainsi que le démon, cet implacable ennemi de toute vertu, déchaîne contre les vierges les vents, les flots et les orages, et qu'il soulève tous les éléments afin de submerger leur frêle nacelle. II sait en effet qu'elles ne peuvent reculer, (Ephés. VI, 42.) et qu'il leur, faut sans cesse lutter contre les puissances du mal, jusqu'au jour où la mort les déposera au rivage sûr et paisible de l'éternité. Pour l'Apôtre, les vierges sont comme ces vaillants soldats qui dans une sortie voient les portes de la ville se refermer sur eux. La seule voie du salut qui leur reste est de vaincre un ennemi farouche, avec lequel elles ne peuvent conclure ni paix, ni trêve.

Attaquées parle démon avec une rage particulière , les personnes non mariées sont encore tourmentées par l'aiguillon de la concupiscence plus violemment que les autres. Il est évident pour tout le monde que la liberté d'user d'un plaisir, en ralentit le goût et l'ardeur. Et en effet rien de plus vrai que ce proverbe Ce qui est en notre pouvoir, émeut faiblement notre vouloir. Le contraire a lieu lorsqu'après avoir été à notre disposition, une chose nous est interdite : rien n'enflamme le désir comme la privation. Sous ce rapport le mariage offre donc un avantage; il procure plus de paix; si le feu de la concupiscence se rallume dans le coeur des époux, ils peuvent l'éteindre. Mais cette ressource est interdite aux vierges, elles voient les flammes s'élever autour d'elles et les entourer d'un réseau brûlant, et sans qu'il leur soit permis d'arrêter l'incendie, elles doivent se préserver de ses ravages. Etrange condition de la vierge chrétienne ! elle porte au-dedans d'elle-même un brasier ardent, et ne doit pas en être brûlée. Elle nourrit dans son sein une flamme dévorante, et doit en éviter les atteintes. Elle n'est pas libre d'en affaiblir les brûlantes ardeurs, en là laissant se répandre au dehors, et il faut qu'elle réalise dans son âme le prodige que l'auteur des proverbes déclare impossible dans le corps : Qui marchera sur des charbons ardents et ne se brûlera pas les pieds? Or, la vierge chrétienne est soumise à cette épreuve et elle la supporte. Le Sage (143) ajoute : Qui portera du feu dans son sein sans enflammer ses vêtements? (Prov. VI, 27, 28.) Et le coeur de la vierge est le foyer d'une flamme plus vive encore et plus dévorante, et vous oseriez égaler le mariage à la sainte virginité ! L'Apôtre vous le défend, et il trace nettement la ligne qui sépare ces deux états, quand il dit que : Le second s'occupe de Dieu, et le premier du monde.

Nous trouvons même un éloge tacite de la virginité dans l'obligation qu'il impose aux époux de ne point se refuser l'un à l'autre, de peur que l'incontinence ne donne lieu à Satan de les tenter. Ce mot incontinence nous révèle toute la pensée de l'Apôtre; il explique le principal motif de la loi du mariage, et il est en même temps la critique de notre lâcheté. Oui, qui ne rougirait de mériter ce reproche, et qui ne tiendrait à s'en justifier? Car saint Paul ne s'adresse pas ici à tous les époux; il parle seulement à ceux qui sont moins courageux, et il semble leur dire : Si vous êtes dominés par la chair et le plaisir, et si vous ne respirez que la volupté, connaissez votre épouse. Mais certes il y a dans ce langage plus d'ironie et de blâme que de louange et d'approbation. S'il n'eût voulu atteindre fortement l'époux voluptueux, il eût employé le mot de faiblesse, et non celui d'incontinence qui renferme un reproche, et presque un outrage. Une expression plus modérée et plus indulgente n'aurait pas aussi énergiquement stigmatisé notre lâcheté. Ainsi il regarde comme incontinents les époux qui ne peuvent clé temps à autre vivre comme frère et sueur.

Que peuvent maintenant alléguer ceux qui considèrent la virginité comme inutile? Plus elle est rigoureusement observée, et plus elle est glorieuse. Le mariage au contraire mérite d'autant moins notre estime qu'on en use avec moins de modération. En effet l'Apôtre a dit : Je permets le mariage, et je ne l'ordonne pas. (I Cor. VII, 6.) Ce qui n'est que toléré peut-il être méritoire? Mais le même apôtres objecterez-vous, a dit, en parlant des vierges : A leur égard je n'ai point de précepte du Seigneur. (Ibid. V, 25.) Pouvez-vous conclure dé là qu'il place au même. rang le mariage et la virginité? nullement. Il conseille la virginité et il tolère le mariage. Sans doute il ne présente comme obligatoire, ni la virginité, ni le mariage; mais que les motifs de cette double réserve sont différents ! Saint Paul ne fait point une obligation du mariage, afin de laisser toute liberté à ceux qui veulent s'en abstenir, et il n'impose point la virginité, afin de ne pas induire dans le péché ceux qui ne seraient pas assez forts pour en porter le fardeau. Je ne commande pas la virginité, dit-il, parce que j'en connais les difficultés, mais je ne prescris pas non plus l'usage indéfini du mariage, ce qui serait porter une loi d'incontinence. J'ai dit seulement aux époux : Ne vous refusez pas l'un à l'autre, pour vous empêcher de vous dégrader par le péché, mais non de vous élever à un état plus parfait. Ainsi le but et l'intention de l'Apôtre est bien moins de permettre indéfiniment l'usage du . mariage, que de tolérer la lâcheté des époux. Et si vous désirez connaître toute sa pensée, écoutez cette parole: Je voudrais que vous fussiez tous en l'état ou je suis moi-même. (I Cor. VII, 7.) Voudriez-vous donc abolir le mariage, ô grand Apôtre? Non sans doute, répond-il, puisque je ne le blâme, ni ne le condamne, puisque même je le permets comme un remède contre l'incontinence , néanmoins je souhaite que tous soient vierges comme moi. c'est pourquoi j'ai. dit en commençant : Il est avantageux à l'homme de ne s'approcher de la femme.

35. Mais pourquoi l'Apôtre se propose-t-il lui-même en exemple ? n'eût-il pas été plus modeste de ne point ajouter : Je voudrais que tous fussent dans l'état où je suis ? Ah ! gardons-nous de l'accuser d'orgueil et de présomption ; car il est ce même Paul qui, après avoir plus travaillé que tous les autres Apôtres, s'estimait indigne de ce nom : Je suis le dernier des Apôtres (I Cor. XV, 9), disait-il, et craignant encore d'avoir parlé trop magnifiquement de lui-même, il ajoutait aussitôt : Je ne mérite pas d'être appelé Apôtre. Pourquoi donc se pose-t-il ici en modèle ? ce n'est pas sans un juste et légitime motif. Il savait que l'exemple d'un maître est tout-puissant sur l'esprit de ses disciples pour les porter à l'amour et à la pratique des plus hautes vertus. Un philosophe, dont la conduite dément les maximes, n'impressionne que peu son auditoire; au contraire il le gagne infailliblement, si l'autorité de l'exemple confirme ses discours. De plus, l'Apôtre laisse ici paraître une douce et modeste bienveillance. Il veut communiquer à ses chers enfants un don si précieux, et en partager avec eux toute l'excellence. Enfin je puis encore justifier sa conduite par (144) un troisième motif. Et quel est-il? L'état de virginité semble au premier abord si difficile et si ardu, qu'il cite son propre exemple pour prouver que ces obstacles ne sont pas insurmontables. Les Corinthiens ne sont donc plus admis à se décourager, et il leur suffit désormais de considérer l'Apôtre et de marcher résolument sur ses traces.

C'est ainsi encore que le même saint Paul voulant détourner les Galates de certaines pratiques de la loi mosaïque, leur écrivait : Soyez comme moi, puisque j'ai été moi-même comme vous. (I Gal. IV, 12.) Ne semble-t-il pas leur dire : je ne suis point un gentil récemment converti , et je ne vous prêche point la doctrine nouvelle de l'amour par ignorance de la loi de crainte, car moi aussi j'ai vécu sous cette servitude, j'ai obéi à ces préceptes, et j'ai accompli ces observances; mais dès que la loi de grâce m'a été révélée, je me suis rangé sous son obéissance; et il n'y a de notre part ni révolte, ni rébellion, puisque nous devenons les sujets d'un Maître plus excellent. Nul d'entre vous ne saurait donc m'objecter que ma conduite n'est pas.en rapport avec mes paroles, et que je vous entraîne en des périls dont je me tiens moi-même éloigné; car s'il y avait le moindre danger, est-ce que je voudrais trahir les intérêts de mon âme, et exposer mon salut éternel? — Ces paroles de l'Apôtre se joignant à son exemple, suffirent pour rassurer les Galates ; et de même ici cet exemple prouve aux Corinthiens que l'état de virginité n'est point impraticable.

36. Mais n'est-ce point le même apôtre qui a dit que Dieu distribue à chacun des dons différents ? ( I Cor. VII, 7.) Oui, sans doute, il a prononcé cette parole; et combien elle nous révèle son humilité ! Une vertu qui lui a coûté tant d'efforts, il l'appelle un don du Seigneur, et il lui en rapporte toute la gloire. Mais pourquoi nous étonner d'un langage si,,modeste au sujet de la virginité, puisqu'il ne parle pas autrement de ses travaux apostoliques?  Qui ne sait au prix de quelles fatigues et de quelles afflictions se poursuivaient ces travaux qui l'exposaient chaque jour à la mort? Et cependant il se contente de dire : J'ai travaillé plus que les autres, non pas moi seul, mais la grâce de Dieu avec moi. (I Cor. XV, 10.) Pouvait-il mieux nous faire comprendre qu'il ne veut ici s'attribuer aucun mérite, et qu'il en réserve à Dieu tout l'honneur. Il est vraiment ce serviteur reconnaissant qui ne possède rien en propre, et qui fait hommage à son maître de, tout ce qu'il semble posséder. C'est ainsi encore que dans l'Epître aux Romains, après avoir dit que nous avons tous des dons différents, selon la grâce, qui nous a été départie, il met au nombre de ces dons la charité et la libéralité. (Rom. XII, 6. ) Or, nous savons tous que ces deux vertus ne sont point des dons , mais des mérites personnels. Evitons donc de donner aux paroles de l'Apôtre ce sens faux et irrationnël ; si la virginité est un don du ciel, il est inutile que je travaille à l'acquérir, car saint Paul ne parle ainsi que par modestie.

Eh quoi ! aurait-il voulu se mettre en contradiction avec Jésus- Ch rist et avec lui-même? avec Jésus- Ch rist qui a dit : Il y a des eunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du royaume des cieux: que celui qui peut entendre, entende (Matth. XIX, 12) ; avec lui-même, quand il condamne les veuves qui n'observent pas leur voeu de continence. Mais si cette vertu est un pur don du ciel, pourquoi les menace-t-il de la colère divine, et pourquoi , dit-il, qu'elles sont coupables, parce qu'elles ont violé leurs premiers serments? ( I Tim. V, 12.) Jésus- Ch rist a-t-il jamais condamné en nous la simple privation des dons célestes? il ne condamne que nos vices, et il n'exige qu'une vie sans tache et irréprochable. Quant aux dons du ciel, ils ne dépendent point de celui qui les reçoit, mais de celui qui les accorde. Aussi le Sauveur se garde-t-il bien de louer dans ses apôtres le don des miracles. Il leur défend même de s'en glorifier, et de se réjouir de ce que les démons leur étaient soumis. Quels sont au contraire ceux qu'il proclame heureux ? les miséricordieux, les purs et les pacifiques.

Observons encore que l'Apôtre énumérant les travaux et les gloires de son apostolat, y comprend la chasteté, ce qu'il n'eût pas fait, si elle n'eût été en lui qu'un simple don. Nous nous montrons, dit-il, tels que doivent être, les, ministres de Dieu, par une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons, dans les veilles, dans les jeûnes et dans la chasteté. (II. Cor. VI, 4, 5, 6.) Nous entendons le même apôtre flétrir le vice impur du nom d'incontinence, louer le père qui laisse sa fille se consacrer au saint (145) état de la virginité, et préconiser la veuve qui persiste dans la continence. Mais ce langage ne peut être rationnel qu'autant que. le mérite et le démérite d'une action sont attachés à notre volonté, et non à une faveur extraordinaire de. Dieu. Enfin, pourquoi saint Paul nous exhorterait-il à devenir chastes, s'il suffisait de le demander à Dieu, sans y ajouter une active coopération? Je voudrais, dit-il, que tous fussent comme moi, et je déclare aux personnes qui ne sont point mariées, ou qui sont veuves, qu'il leur est bon de demeurer dans cet état. (I Cor. VII, 7, 8.) Ici encore il se propose pour modèle, afin que les Corinthiens -excités par un exemple si connu, si familier, se dévouent plus généreusement aux luttes de la virginité; et s'il ne donne aucune explication d'un langage qui vous paraît si étrange, ne vous en étonnez pas, car ce n'est point par orgueil qu'il parle ainsi , mais par la conviction que son exemple suffit à établir sa proposition.

37. Mais voulez-vous connaître quels motifs portaient l'Apôtre à recommander le célibat aux veuves, consultez l'expérience et l'opinion publique. Sans doute nos lois ne condamnent point les secondes noces, elles les autorisent même; et néanmoins celui qui se les permet, devient pour ses amis et pour le public le sujet d'une amère raillerie. On le regarde comme un parjure et on l'évite comme un ami déloyal, on hésite à lui confier un dépôt, et l'on craint de contracter avec lui un engagement quelconque. En effet, quand on le voit rejeter si facilement de son coeur le souvenir d'un noeud aussi fort, d'une liaison aussi intime, d'une communauté aussi étroite que le mariage , peut-on ne pas s'indigner de sa conduite, et ne point le considérer comme un homme léger et versatile ! Mais parlerai-je de l'indécence qui accompagne les secondes noces? Voici que soudain la joie bruyante et les apprêts de l'hymen succèdent aux larmes, aux soupirs, aux gémissements, aux habits de deuil, et à tout l'appareil de la douleur; on croirait presque assister à une de ces représentations théâtrales, où le même acteur est tantôt un roi opulent, et tantôt un malheureux esclave. N'est-ce pas ainsi que cet homme, qui hier, dans sa douleur, se roulait sur un tombeau, s'avance aujourd'hui en grande pompe vers l'autel. Hier, il s'arrachait les cheveux, et aujourd'hui il se couronne de fleurs. Hier, triste et abattu, il répétait à tous l'éloge d'une épouse chérie , refusait de lui survivre, et repoussait même avec indignation toute parole de consolation; mais voilà qu'aujourd'hui il paraît au milieu de ces mêmes amis tout rayonnant de plaisir et de joie. Ses yeux, naguère pleins de larmes, brillent du feu de la gaieté, et ses lèvres qui tout à l'heure juraient de ne plus s'ouvrir qu'à la plainte et à la douleur, sourient gracieusement à tous, et ne savent plus articuler que l'expression de la joie et du bonheur.

Mais si cet homme a des enfants de sa première épouse, la présence d'une seconde introduit fatalement la guerre et la discorde au sein de la famille. Qu'est-ce qu'une belle-mère pour des filles d'un premier lit? une tigresse. Ce sont en effet chaque jour contre la première épouse des critiques nouvelles et des récriminations nouvelles. La jalousie qui nous divise pendant la vie, s'apaise ordinairement en face d'un tombeau, mais une seconde épouse s'acharne contre une froide poussière et une cendre inanimée, en sorte que sa haine, ses outrages et ses calomnies poursuivent sa rivale jusque sous la pierre sépulcrale : comment caractériser une conduite si insensée et si barbare ? Cette nouvelle épouse ne peut pas se plaindre que la première lui ait causé aucun tort, ni aucun mal : que dis-je ? elle jouit de ses biens et du fruit de ses travaux; n'importe, elle s'acharne sur une ombre, et, cent fois le jour, maudit celle dont elle n'a reçu aucune offense, et que peut-être elle n'a jamais connue. Enfin elle fait retomber sur les enfants une vengeance qui ne peut atteindre leur mère, et elle force un époux trop complaisant à servir ses cruels ressentiments.

Il se rencontre cependant des personnes qui affrontent les périls d'une telle situation, afin d'y trouver un abri contre la tyrannie de leurs propres passions. Mais la vierge ne craint pas d'engager le combat contre ces mêmes passions, elle ne refuse pas une lutte qui paraît si difficile à la plupart des chrétiens, elle s'arme donc de courage, et résiste énergiquement aux assauts de la chair. Aussi son mérite est-il au-dessus de nos éloges. Tandis que d'autres cherchent dans un second mariage un remède contre les ardeurs de la concupiscence, la vierge se maintient, même sans le secours d'un premier mariage, toujours pure, et toujours chaste. N'oublions pas toutefois qu'il est au ciel une récompense spécialement réservée (146) aux veuves. C'est pourquoi l'Apôtre leur dit au nom de Jésus- Ch rist: Il vous est bon de demeurer dans cet état comme moi. Vous n'avez pu atteindre le premier rang d'honneur dans la sainte virginité, du moins ne désertez pas le second. La vierge chrétienne n'a jamais connu l'ascendant de la chair et du sang, vous qui l'avez éprouvé, renoncez à l'éprouver de nouveau. La vierge a toujours triomphé, vous qui avez été une fois vaincue, faites que désormais la profession d'une même chasteté réunisse celles qu'une carrière différente avait d'abord séparées.

38. L'Apôtre qui montre tant d'indulgence envers les personnes mariées, qui ne veut pas priver les époux l'un de l'autre, excepté dans le cas d'un mutuel consentement; qui a peur de trop prolonger ce sacrifice volontaire, qui leur permet les secondes noces pour éteindre le feu de leurs passions, est bien éloigné de traiter les vierges avec autant de condescendance. Il accorde quelque relâche aux époux, mais il ne laisse. pas respirer la vierge un seul instant. Il lui ordonne de toujours combattre, de toujours résister à la violence de ses passions, et de ne conclure avec elles ni trêve, ni paix. Pourquoi n'a-t-il pas dit aux vierges : Si vous ne pouvez vivre dans la continence, mariez-vous? Eh quoi ! lorsqu'un athlète se présente dans l'arène le corps nu, les membres frottés d'huile et couverts de poussière, est-ce le moment de lui crier : fuyez le combat? non sans doute; les deux adversaires sont en présence, il faut que l'un se retire vainqueur et couronné, et l'autre vaincu et humilié. Si vous luttez contre un ami par manière de jeu et de récréation , il vous est permis de suspendre le combat et de céder la victoire. Mais quand vous avez donné votre nom, quand le président des jeux a pris place, quand le peuple est réuni, et que votre adversaire s'avance, vous ne pouvez reculer; il faut combattre. De même le chrétien est libre de choisir le mariage, ou la virginité; mais dès qu'il s'est volontairement prononcé pour la continence, il est entré dans la carrière, il ne peut plus reculer. Pour lui, le jour du combat est arrivé; le Ch rist a préparé la couronne, les anges sont accourus, le démon frémit, la lutte va s'engager: qui oserait donc s'élancer dans l'arène, et séparer les combattants? qui oserait dire à la vierge chrétienne . évitez votre antagoniste, retirez-vous du combat, et cédez à un adversaire déjà à demi vaincu la palme et la victoire? mais un tel langage lui serait injurieux. Il n'est pas même permis de l'adresser aux veuves qui ont fait veau de continence; et si elles sont infidèles à ce voeu, elles méritent de plus terribles reproches. Car, après s'être dissipées sous l'autorité de Jésus- Ch rist, elles veulent se remarier ; encourant ainsi la condamnation, et rendant vaine la fidélité qu'elles lui avaient engagée auparavant. (I Tim. V, 11, 12. )

39. Vous m'objecterez peut-être ces paroles de saint Paul : Je dis aux personnes qui ne sont pas mariées, ou qui sont veuves, qu'il leur est bon de demeurer dans cet état, comme moi. Que, si elles ne peuvent garder la continence, qu'elles se marient. Quant à la femme, si son mari meurt, elle est libre; qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur. (I Cor. VII, 8, 9, 39.) Pourquoi donc blâmer, me direz-vous, la veuve qui use de cette permission, et pourquoi condamner comme criminel un mariage qui se contracte selon le Seigneur? ne vous y trompez point; il y a ici une double question. Quand l'Apôtre dit qu'une vierge peut se marier sans péché, il parle non de celle qui a fait voeu de virginité, et qui ne peut violer ce voeu sans commettre un sacrilège, mais de celle qui n'a pas encore fixé son choix, et qui balance entre le mariage et la continence. Et de même, il permet les secondes noces à'Ia veuve qui ne s'est point décidée pour un veuvage perpétuel, mais il les défend expressément à celle qui s'y est engagée. Observons, en effet, que dans l'Eglise le rang et la dignité de veuve sont attachés au voeu de continence. C'est pourquoi l'Apôtre écrit à son disciple Timothée : Que la veuve choisie n'ait pas moins de soixante ans, et qu'elle n'ait eu qu'un mari. (I Tim. V, 9.)

Toute veuve peut donc se marier, si elle le désire, mais saint Paul blâme sévèrement celle qui convole à de secondes noces après s'être engagée à vivre dans la continence, et qui foule ainsi aux pieds son alliance avec le Seigneur. Vous entendez maintenant à qui s'adresse cette parole : Si les veuves ne peuvent garder la continence, qu'elles se marient, car il vaut mieux se marier que de brûler. (I Cor. VII, 9.) Remarquez en outre que jamais l'Apôtre ne recommande le mariage pour lui-même, mais toujours comme moyen d'éviter (147) le vice, la tentation et le péché. Mais parce qu'il s'en était précédemment expliqué avec un peu de sévérité, il emploie ici une expression toute bienveillante. Il veut, dit-il, empêcher qu'elles se consument en désirs brûlants. Observons néanmoins que ce langage est encore empreint d'une certaine sévérité, car il ne dit point : qu'elles se marient si la passion les presse trop fortement, et si elles ne peuvent résister à la tentation, cela supposerait une faute digne de pardon, mais : si elles ne peuvent garder la continence. Or, n'est-ce pas leur reprocher de perdre par lâcheté et inertie les mérites d'une vertu qu'il leur serait facile de pratiquer? cependant il ne les condamne point, et ne les menace d'aucun châtiment : il se borne à les priver de ses éloges. Du reste, ses paroles sont sévères; elles ne mentionnent pas le motif ordinaire du mariage qui est de se voir revivre en ses enfants, et laissent apercevoir que l'Apôtre ne le permet que comme un moyen d'éviter le vice, la tentation et le péché.

40. Mais qu'importe ! direz-vous: l'essentiel est que l'Apôtre ne nous condamne point, en sorte que les jouissances du mariage nous adouciront l'amertume de ses reproches. Ah ! est-il bien sûr que l'union conjugale ne vous apporte que plaisir et jouissance? Puis-je en douter, me répondrez-vous, puisque l'Apôtre dit: Qu'elles se marient, si elles ne peuvent garder la continence. Oui, il le dit, et vous le bénissez de son indulgence; mais lisez quelques lignes encore, et vous rencontrerez cet autre précepte que vous devez admettre également comme règle de conduite : Ce n'est pas moi, dit saint Paul, mais le Seigneur qui fait aux époux ce commandement, que la femme ne se sépare point de son mari. Si elle s'en sépare, qu'elle demeure sans se marier, ou qu'elle se réconcilie avec son mari. Que le mari de même ne quitte point sa femme. (I Cor. VII, 10, 11.)

Vous venez d'entendre les paroles de l'Apôtre; mais supposez qu'un mari doux et patient est uni.à une femme méchante, acariâtre, médisante et aimant , comme presque toutes les femmes, la dépense et le luxe, comment supportera-t-il chaque jour ses caprices, son orgueil et son insolence ? Si au contraire une femme d'un caractère modeste et tranquille est unie à un mari irascible, fier et orgueilleux de ses richesses ou de ses emplois, et si ce mari, la traitant comme une esclave, ne lui témoigne aucun égard, ni aucun respect, comment supportera-t-elle ces violences et ces duretés ? que fera-t-elle encore si ce même mari ne lui laisse voir qu'un sentiment de haine et de dégoût? Prenez patience, lui dit l'Apôtre , la mort de votre mari vous rendra votre liberté. Ainsi pour cette infortunée, c'est une triste mais inévitable nécessité d'apprivoiser ce caractère farouche par sa complaisance et ses délicates attentions, ou de soutenir courageusement cette lutte intestine, cette guerre domestique.

L'Apôtre avait dit précédemment aux époux : Ne vous refusez point l'un à l'autre, si ce n'est d'un mutuel consentement; et ici il ordonne impérativement à la femme qui a quitté son mari, d'observer la continence, ou de se réconcilier avec lui. Quelle cruelle alternative ! il faut qu'elle résiste à toute l'effervescence de la passion, ou qu'elle se résigne à supporter le ressentiment d'un tyran impérieux : et jusqu'où ne portera-t-il pas sa vengeance ? Il multipliera envers elle les plus durs traitements, il l'accablera d'insultes, et en fera même le jouet de ses esclaves. Mais si elle préfère abandonner le domicile conjugal, elle se condamne à une continence qui est bien peu méritoire, parce qu'elle n'est point volontaire. Et en effet elle ne l'observe que pour se dérober à la domination d'un maître cruel. Cependant l'Apôtre ne lui offre que cette alternative, de demeurer chaste, ou de se réconcilier avec son époux: et que faire si celui-ci s'y refuse? attendre une mort qui seule peut la rendre à la liberté. Au contraire la vierge chrétienne ne voit jamais se briser les liens qui l'unissent à son divin Epoux, parce que cet Epoux est immortel. Ainsi la femme devient libre par la mort du mari; mais, excepté le cas de mort, le lien conjugal est indissoluble, car s'il en était autrement, il n'y aurait entre les époux qu'une union illicite et passagère, et nullement un véritable mariage. Aussi Jésus- Ch rist a-t-il condamné le divorce, comme une source de désordres, et l'a-t-il flétri du nom d'adultère.

41. Pourquoi donc Dieu l'a-t-il permis aux Juifs? pour les empêcher de souiller leurs maisons par l'effusion du sang, et par le meurtre : ne valait-il pas mieux les autoriser, convenez-en, à éloigner une épouse devenue odieuse, que d'exposer celle-ci à être égorgée? car, sans le divorce , ils n'eussent pas reculé devant ce crime; c'est pourquoi le Seigneur (148) leur dit par la bouche de Moïse : Si votre épouse vous est odieuse, renvoyez-la. (Deuter. XXIV, 4.) Mais quand il s'adresse par le grand Apôtre à des chrétiens auxquels l'Évangile interdit toute parole d'aigreur et de colère, il prescrit le célibat au mari qui se sépare de sa femme. (I Cor. VII, 11.) Comprenez donc combien le joug du mariage est dur et pesant: il enchaîne les deux époux l'un à l'autre par les mille inquiétudes du ménage, et surtout par une dépendance qui est un véritable esclavage. Sans doute Dieu a dit que l'homme commanderait à la femme (Gen. III, 16); mais tout maître qu'il est, il devient à son tour, par une étrange vicissitude , l'esclave de sa femme. Voyez-vous ces esclaves fugitifs qu'une même chaîne rive étroitement ? ils ne peuvent faire que quelques pas, parce que leurs mouvements sont subordonnés les uns aux autres. C'est ainsi que le mariage lie forcément les deux époux, et ajoute au poids de leurs chagrins personnels celui des fers qui les enchaînent l'un à l'autre, et qui donnent à chacun d'eux pouvoir et autorité sur l'autre.

Paraissez donc, ô vous que l'amorce du plaisir entraîne à tout braver ! Des haines mutuelles et des querelles incessantes, voilà donc les voluptés du mariage. Ah ! s'il en existait quelqu'une, cette nécessité seule de se supporter l'un l'autre avec tous ses défauts , suffirait pour la détruire entièrement. C'est pourquoi l'Apôtre a cherché d'abord à modérer en nous le désir du mariage, en ne le, présentant que comme un moyen d'éviter le vice, et de réprimer la concupiscence. Mais parce que ce motif fait peu d'impression sur la plupart des hommes, il en produit un autre bien plus grave, en sorte qu'il les amène à s'écrier : Il vaut mieux ne pas se marier. (Matth. XIX, 40.) Que dit-il donc? nul des époux n'est maître de sa personne. Et ici ce n'est point une exhortation, ni un conseil, mais un ordre formel et précis. Et en effet il nous est loisible de ne point nous engager dans le mariage, mais- si nous le contractons, il faut bon gré, mal gré , que nous en subissions la dure servitude: toute plainte nous est même justement interdite, parce qu'en agissant, nous avions conscience de notre action, et que nous n'avons embrassé cet état qu'avec une entière liberté et une pleine connaissance de ses lois et de ses obligations.

Cependant l'Apôtre ne néglige point, comme pour épuiser la question du mariage, d'in' truire les époux dont l'une des parties serait encore infidèle, et il adresse ensuite aux es. clavés quelques paroles de consolation : il leur rappelle que la servitude du corps ne saurait dégrader en eux la noblesse de l'âme, et puis il aborde enfin le sujet de la virginité. C'est son sujet de prédilection qu'il produit au grand jour après l'avoir longtemps conçu et médité. Nous avons même déjà observé qu'en parlant du mariage, il n'a pas laissé d'effleurer la virginité et d'en faire indirectement l'éloge. Il préparait ainsi les Corinthiens à recevoir ses instructions avec plus de bienveillance, et dès qu'il les voit heureusement disposés, il entre hardiment en matière. Quant aux esclaves, il leur rappelle d'abord : Qu'ayant été achetés d'un grand prix par Jésus- Ch rist, ils doivent pas se rendre esclaves des hommes (I Cor. VII, 23); et parce que ces paroles ont réveillé en tous le souvenir des bienfaits du Seigneur et la pensée du ciel, il ajoute incontinent : A l'égard de la virginité, je n'ai reçu de Dieu aucun commandement; mais voici le conseil que je donne, comme ayant reçu du Seigneur la grâce d'être son fidèle ministre. (I Cor. VII, 25.) Mais le même apôtre n'avait également reçu aucun commandement au su jet des époux dont l'une des parties était encore infidèle, et voyez néanmoins comme il leur parle en maître et en législateur : Ce n'est pas le Seigneur, mais c'est moi qui dis que si un mari fidèle a une femme qui soit infidèle, et qu'elle consente à demeurer avec, lui, il ne doit pas la quitter. (Ibid. V, 41) Pourquoi donc ne s'exprime-t-il pas avec ce même ton d'autorité en parlant de la virginité? C'est que Jésus- Ch rist qui a introduit dans son Eglise le saint état de la virginité, n'a pas voulu en faire un précepte rigoureux. Que celui, dit-il, qui peut entendre, entende. (Matth. XIX, 12.) Or, cette parole prouve que cet état est laissé au choix et à la volonté de l'homme; aussi l'Apôtre ne se cite-t-il lui-même en exemple que sous le rapport, de la chasteté: Je voudrais, dit-il, que vous fussiez tous en l'état où je suis moi-même. Et encore : Je dis aux personnes qui ne sont pas mariées, ou qui son veuves, qu'il leur est bon de demeurer dans cd état, comme moi. (I Cor. VII, 7, 8.) Mais s'agit-il de porter les Corinthiens à embrasser l'état de virginité, il ne se propose plus comme modèle; son silence et sa modestie à cet égard (149) sont d'un homme qui né veut pas se vanter de posséder cet avantage. Je n'ai pas de précepte à donner, dit-il, ce n'est donc ici qu'un simple conseil. Mais combien ne gagne-t-il pas la bienveillance des Corinthiens, en leur laissant ainsi toute la liberté, non moins que le mérite d'un choix volontaire !

Et en effet, qui dit virginité, dit une lutte rude et pénible. Aussi l'Apôtre a-t-il soin d'éviter tout d'abord une exhortation directe et précise; et il ne nous présente cet état que comme pleinement volontaire. Mais après avoir ainsi rassuré et préparé les esprits, il n'hésite plus à nous le proposer fortement. La virginité, nous dit-il, réveille en vous l'idée de travaux, de fatigues et de combats; mais rassurez-vous, elle n'est ni de précepte, ni de nécessité. Elle ne s'impose point à notre volonté, et si elle réserve à ceux qui la choisissent librement de magnifiques récompenses et de glorieuses couronnes, elle ne menace d'aucun châtiment ceux qui s'en éloignent et qui la repoussent. Tel est le langage de l'Apôtre, et ce langage est d'autant plus modeste et plus gracieux qu'il semble moins lui appartenir qu'à Jésus- Ch rist lui-même. Car il ne dit point, au sujet de la virginité : je ne fais pas de commandement, mais : je n'ai pas reçu de précepte. Oui, si je ne vous parlais que comme homme, vous seriez en droit de récuser mes paroles, mais puisque je vous parle au nom du Seigneur, vous pouvez me croire en toute assurance. Sans doute, je ne saurais établir une loi, ni un précepte; du moins je puis vous donner un conseil de frère et d'ami, comme ayant reçu du Seigneur la grâce d'être son fidèle ministre. Mais qui n'admirerait la prudence consommée de saint Paul? placé entre ces deux exigences opposées, ou de se louer lui-même pour autoriser sa parole, ou de ne donner qu'un simple et modeste conseil, comme étant lui-même étranger à l'état de virginité, il tranche d'un seul mot cette double difficulté : J'ai reçu du Seigneur, dit-il, la grâce d'être son fidèle ministre : parole qui est tout ensemble et une louange de lui-même, et un humble aveu de sa faiblesse personnelle.

42. Ainsi saint Paul, ne parle ici, ni en qualité de prédicateur de l'Evangile, ou d'Apôtre des Gentils, ni en qualité de docteur, de chef, ou de maître, mais en qualité de pécheur à qui Dieu a fait grâce et miséricorde. Admirable modestie, qui lui fait choisir le rang de simple disciple, quand il pourrait prendre celui de législateur. Cela ne lui suffit pas, il trouve le moyen de s'humilier encore davantage, car il ne dit pas : Je suis le fidèle ministre du Seigneur, mais: J'ai reçu là grâce d'être un fidèle ministre. Ne considérez donc pas en moi, semble-t-il dire; l'apostolat et la mission évangélique, comme les seules faveurs que j'aie reçues de la munificence divine; la foi elle-même ne m'a été donnée que par grâce et par miséricorde; je ne la dois point à mes mérites personnels, car, qui dit grâce et miséricorde, exclut toute idée de mérites antérieurs, et si le Seigneur n'était un Dieu véritablement miséricordieux, loin d'être apôtre, je serais encore infidèle.

Comprenez-vous maintenant combien est vive la reconnaissance de l'Apôtre, et combien son humilité est profonde. Bien loin de s'élever au-dessus des simples fidèles, il ne se fait pas même un mérite personnel de partager leur foi et leur croyance, et il en renvoie toute la gloire à la miséricorde divine., Il semble donc dire aux Corinthiens : Ne dédaignez pas de recevoir mes conseils, puisque le Seigneur n'a point dédaigné de me faire miséricorde. D'ailleurs, ce n'est qu'un conseil, et non un précepte, je parle en ami, et non en législateur. Or, n'est-il pas permis à un ami, de répondre à la question de son ami, et de lui être utile: C'est ce que je fais ici, en vous disant : Je crois qu'il est bon de demeurer vierge.

Que ce langage est humble et modeste ! ne pouvait-il pas dire aux Corinthiens: Je ne vous fais point un précepte de la virginité, puisque Jésus- Ch rist ne l'ordonne pas, mais je vous la conseille, et je vous y exhorte avec toute l'autorité de mon apostolat, car, si je ne suis pas apôtre pour d'autres, je le suis pour vous. (I Cor. IX, 2.) Ce n'est pas ainsi que parle l'Apôtre

ses paroles sont toutes pleines de modération et de retenue. Il ne donne qu'un simple conseil, et il hésiterait même à le donner, s'il n'avait reçu du Seigneur la grâce d'être un fidèle ministre. Voyez encore comme il expose les raisons de son avis, afin d'ôter à ses paroles jusqu'aux plus légères nuances d'un ton magistral. Je crois, dit-il, qu'il est bon de demeurer vierge, à cause des périls imminents de la vie présente. (I Cor. VII, 26.) Mais quand il a parlé de la chasteté, il s'exprimait bien différemment, et n'alléguait aucun motif de sa décision. Je dis aux personnes qui ne sont (150) point mariées, ou qui sont veuves, qu'il leur est bon de demeurer dans cet état, comme moi. Ici au contraire, il dit : je crois; non qu'il doute des avantages et de l'excellence de la virginité, mais parce qu'il veut en laisser le choix à la libre élection des Corinthiens. Il donne un conseil, et le rôle d'un conseiller est de proposer son avis, et non de l'imposer.

43. Mais quels sont les périls dont nous délivre la virginité ? Sont-ce les périls inséparables de la fragilité de l'homme? nullement ; et si l'Apôtre les avait en vue, il les alléguerait contrairement à son but et à sa pensée. Et en effet on nous objecte ces périls comme une absolue justification du mariage. De plus il ne les appellerait pas imminents, car ce n'est pas d'aujourd'hui, mais dès l'origine des siècles qu'ils sont l'apanage de l'humanité. Ils étaient même sous la loi ancienne plus grands et plus insurmontables ; et nous devons à la venue du divin Rédempteur la vertu et la force de les vaincre plus facilement. Saint Paul veut donc parler de ces périls si nombreux et si divers que tout mariage entraîné inévitablement. Oui, telle est la tyrannie des sens, et telle est l'inextricable mélange de soucis et d'inquiétudes au milieu desquels vivent les époux qu'ils sont exposés à une multitude de fautes.

44. La loi ancienne ne se proposait point de conduire l'homme à la perfection des vertus. Elle lui permettait de venger une injure, de rendre un outrage, de rechercher les richesses et de jurer par les choses saintes. Elle tolérait même la peine du talion, la haine de ses ennemis, et la colère ; une vie voluptueuse et la répudiation d'une première épouse pour en choisir une seconde. Ajoutez encore que sa condescendance presque illimitée en tout, tolérait même la polygamie. Mais la loi évangélique a rendu plus étroit le sentier du ciel. Elle a resserré le mariage dans les bornes sévères de l'unité et de l'indissolubilité du lien conjugal. Ainsi un époux chrétien ne peut, sans devenir adultère , répudier son épouse, quand même celle-ci lui serait une occasion comme inévitable d'erreurs et de péchés. Outre ces premières difficultés, la vertu nous devient dans le mariage d'autant moins aisée que le soin d'une épouse et l'inquiète sollicitude des enfants arrêtent notre âme dans ses aspirations vers le ciel, et la ramènent forcément aux préoccupations de la terre. Un époux voudrait mener une vie retirée et tranquille : mais il voit autour dé lui des enfants à établir, une épouse qui aime le luxe et la dépense; et malgré lui, il se jette dans le tourbillon du monde. Dès lors que de péchés s'accumulent chaque jour ! péchés de colère et de parjure, t       de calomnie et de vengeance, de dissimulation et d'hypocrisie. Comment en effet rester pur et irréprochable au milieu de la corruption dont les flots l'environnent de toutes parts?

            Parlerai-je maintenant de ces chagrins si cuisants et si nombreux que la présence d'une épouse amène au foyer domestique? Le célibat nous en garantit ; et s'ils sont inévitables même avec une femme d'un caractère doux et paisible, ne deviennent-ils pas un dur et réel supplice avec une épouse d'une humeur difficile et acariâtre. Comment pourra-t-il gravir la route du ciel? Il faut, pour y marcher, des pieds sans entraves et vigoureux, un esprit équipé convenablement et portant, pour ainsi parler, la ceinture des voyageurs; et il succombe sous le poids des affaires, il est enlacé de mille liens, il traîne une chaîne qui l'accable par sa pesanteur : je veux dire une méchante femme dont il lui est défendu de se séparer.

45. Mais la vertu de l'homme, nous répondent ici nos sages, devient d'autant plus méritoire, qu'elle se maintient pure et victorieuse parmi les difficultés du mariage. — Et pourquoi, mon cher ami ? — parce que ces difficultés augmentent son éclat et sa gloire. Mais qui vous contraint à vous y engager ? vous auriez raison si Dieu avait fait du mariage un précepte et une loi , car le célibat serait alors défendu. Aujourd'hui, au contraire, vous pouvez vous soustraire au joug du mariage, et vous ne vous précipitez volontairement dans ses périls et ses embarras, qu'afin d'accroître pour vous les pénibles efforts de la vertu. Mais qu'importe au juge du combat? tout ce qu'il exige, c'est que nous triomphions du démon et de nos passions. Vous n'êtes donc point reçu à lui alléguer les embarras du mariage, ou ses plaisirs, ses sollicitudes, ou ses douleurs, car il nous a dit que le chemin qui nous conduit le plus sûrement à la victoire, est celui qu'obstruent le moins les soucis et les inquiétudes de la vie.

Cependant vous vous présentez au combat avec l'embarrassant attirail d'une femme et de nombreux enfants; et vous prétendez déployer (151) la même valeur que le célibataire, et cueillir une palme plus belle. Que dis-je? vous nous accusez d'orgueil, si nous disons que vous n'atteindrez jamais en gloire ét en vertu la même sublimité que vos rivaux. Mais au jour des récompenses vous comprendrez qu'une modeste sécurité est préférable à une vaine ambition, et qu'il vaut mieux s'attacher à la parole de Jésus- Ch rist que de suivre les égarements de son propre esprit. Le Sauveur a dit qu'après avoir renoncé à toutes les jouissances du monde et de la famille, il fallait encore nous renoncer nous-mêmes; et vous espérez vaincre malgré tous les embarras du mariage ! Mais, je le répète, vous connaîtrez au jour du jugement combien il apporte d'obstacles à la vertu.

46. Eh quoi ! m'objecterez-vous, peut-on soutenir que la femme soit un obstacle au salut de l'homme, puisque l'Ecriture nous dit que Dieu l'a créée pour être son aide et son appui. ( Gen. II, 18. ) Et moi je vous demanderai quel secours il peut en attendre. N'est-ce pas elle qui l'a dépouillé de la paix et de l'immortalité, qui l'a fait exiler du séjour de délices, et l'a précipité dans, toutes leg misères de la vie présente? Ah ! elle ne lui a offert son aide que pour lui tendre des piéges et des embûches. Par la femme, dit l'Ecclésiastique, le péché a eu son commencement, et, nous mourrons tous. (Eccli. XXV, 33.) Et l'Apôtre ajoute : Que ce n'est point Adam qui a été séduit, mais que la femme ayant été séduite est tombée dans la prévarication. (1 Tim. II, 24.) Direz-vous encore que la femme est le soutien de l'homme ? mais il faudrait oublier qu'elle a attiré sur nos têtes une sentence de malédiction et de mort, et qu'elle a été la cause de ce déluge universel qui submergea les hommes et les animaux. N'est-ce pas la femme qui eût fait pécher le juste Job, s'il n'eût fortement résisté à ses perfides insinuations ? N'est-ce pas elle qui perdit Samson, qui initia les Hébreux au culte de Belphégor, et qui en fit périr vingt-quatre mille par le glaive de leurs proches ? N'est-ce pas elle encore qui livra Achab à Satan, comme elle lui avait déjà livré le sage et pieux Salomon? Enfin elle multiplie chaque jour pour l'homme l'occasion du péché, et le Sage a dit avec raison que toute malice est légère auprès de la malice de la femme. (Eccli, XXV, 26.)

Pourquoi donc, répondrez-vous, Dieu a-t-il dit : Il n'est pas bon que l'homme soit seul, faisons-lui une aide semblable à lui. (Genès. II, 18). Est-ce que la parole de Dieu serait trompeuse? non certes; mais la femme a failli à sa mission, non moins que l'homme à la sienne. Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (Ibid. I, 26), avait dit le Seigneur; et voilà que l'homme s'est dégradé lui-même de cette sublime dignité. Il perdit la ressemblance divine en se laissant séduire par l'attrait de coupables voluptés, et il chercha vainement à conserver intacts les traits de la majesté céleste. Le Seigneur brisa entre ses mains le sceptre de sa puissance, et celui qui naguère commandait en maître à toutes les créatures, leur devint, comme serviteur ingrat et rebelle, un objet de mépris et de raillerie. Au commencement tous les animaux obéissaient à l'homme, car Dieu les lui avait amenés, et nul n'eût osé l'attaquer parce que la majesté divine rayonnait sur son front. Le même péché qui a effacé en lui cette auguste empreinte a ruiné son empire; et aujourd'hui devant combien d'animaux ne tremble pas ce roi détrôné ! Toutefois cette parole de Dieu : Que l'homme domine sur tous les animaux (Ibid. V, 28), ne laisse pas que d'être vraie : car Dieu n'a point retiré cette domination à l'homme, mais c'est l'homme qui l'a perdue par sa faute. Et de même les nombreux péchés où la femme entraîne l'homme ne détruisent point la vérité de cette autre parole :  Il n'est pas bon que l'homme soit seul, faisons-lui une aide semblable à lui. Telle était en effet la mission de la femme, mais elle s'y est montrée infidèle. Sans doute il est permis de soutenir qu'elle contribue aux charmes de la vie présente par sa fécondité et les chastes voluptés du mariage, et néanmoins j'estime peu ces avantages parce qu'ils n'ont qu'un rapport indirect avec la vie éternelle. Aussi est-il vrai de dire que si l'homme trouve dans la femme quelque secours pour la pratique d'une vertu faible et médiocre, elle lui est un obstacle dès qu'il veut marcher rapidement dans la voie de la perfection.

47. Mais saint Paul, objecterez-vous encore, n'a-t-il pas dit: Que savez-vous, femme, si vous ne sauverez pas votre mari? (I. Cor. VII, 16.) Il juge donc que son concours n'est pas inutile dans les choses du salut: je le reconnais bien volontiers, et je suis loin de lui interdire toute coopération spirituelle. Mais j'affirme que, pour être véritablement utile à l'homme, (152) elle doit sacrifier les droits du mariage, et, femme, déployer le mâle courage des saints. Ce n'est pas la femme délicate, et amie de la parure, du luxe et de la dépense qui arrachera son époux à la tentai;ion et au péché; ce sera celle qui saura s'élever au-dessus des affections terrestres, se conformer aux préceptes évangéliques, et se montrer probe, modeste, désintéressée et patiente. Oui, elle aidera puissamment son époux, si elle dit sincèrement avec l'Apôtre : Ayant de quoi nous nourrir, et nous couvrir, nous devons être contents (I Tim. VI, 8), et si, méditant les vérités éternelles, elle méprise la mort et les jouissances de la vie présente , et s'écrie avec le Prophète : Tous les plaisirs du monde sont comme l'herbe de la prairie. (Isaïe XI, 7.)

Non, encore une fois, ce n'est pas la femme qui ne sait que jouir du mariage qui contribue au salut de l'homme: cette mission est réservée à celle qui pratique l'Evangile dans toute sa sévérité. C'est ainsi qu'en dehors même du mariage, plusieurs femmes, comme nous le lisons de Priscille à l'égard d'Apollon (Act. 18), ont enseigné à des hommes les voies de la vérité, et aujourd'hui, quoique tout enseignement public leur soit interdit, elles peuvent encore montrer le même zèle, et produire les mêmes fruits. Car, ce n'est pas en qualité d'épouse que la femme devient apôtre auprès de son mari; autrement l'époux infidèle serait soudain un fervent chrétien, s'il suffisait pour le devenir d'habiter et de vivre avec une femme pieuse et fervente. Mais le salut d'un mari ne s'obtient pas ainsi, et il n'est accordé qu'à la sagesse et à la.prudence de la femme, à sa douceur inaltérable, à une force d'âme qui la rend supérieure aux misères de la vie conjugale, et lui fait poursuivre sans relâche le but souverain qu'elle se propose, le salut de son mari. Mais une femme, qui ne s'élève pas au-dessus des sentiments de son sexe, est plus nuisible qu'utile à un homme.

Au reste, nous pouvons préjuger toutes les difficultés d'une telle oeuvre par le ton interrogatif que l'Apôtre donne à sa phrase : Que savez-vous, femme, dit-il, si vous ne sauverez pas votre mari ? Or, nous n'employons cette façon de parler que pour exprimer un sentiment de défiance et de doute. Et puis, lisez ce qui suit : Etes-vous lié avec une femme ? ne cherchez point à vous délier; n'avez-vous point de femme ? ne cherchez point à vous marier.

C'est ainsi que saint Paul passe adroitement d'un sujet à un autre, et varie délicatement ses conseils et ses avis. En parlant du mariage, il a su amener l'éloge de la virginité pour élever nos pensées au-dessus de la chair et du sang; et maintenant il revient au mariage pour délasser notre attention. Son point de départ est la virginité, et avant même de traiter ce sujet, il discute celui du mariage. N'est-ce pas en effet le permettre, et même nous y exhorter que de dire : Pour ce qui regarde la virginité, je n'ai point de précepte à donner. Et de même après avoir dit que la virginité est un état excellent, il s'arrête brusquement, il craint que le mot seul ne blesse l'oreille trop délicate des Corinthiens. C'est pourquoi il s'abstient de le répéter : bien plus , quoiqu'il ait allégué les périls imminents de la vie, comme un motif puissant de surmonter les difficultés de la continence, il n'ose nommer de nouveau la virginité, et il se contente de dire : Il est bon à l'homme de demeurer ainsi. Puis il s'interrompt encore, s'explique par phrases incidentes, et en revient au mariage, comme à un sujet plus agréable. Si vous êtes lié avec une femme, dit-il, ne cherchez pas à vous délier. (I Cor. VII, 27.) Mais si son intention n'était pas de gagner par ces précautions la bienveillance des Corinthiens, comment à l'occasion du mariage parlerait-il de la virginité ? et néanmoins, c'est ce qu'il fait indirectement quand il ajoute N'avez-vous pas de femme? ne cherchez point à vous marier. Mais ici encore né vous effrayez point; il ne vous fait pas une loi de la continence, et il vous rassure par ces deux mots : Au reste, si vous épousez une femme, vous ne péchez point. (Ibid. V, 28.) D'un autre côté cependant modérez votre joie, car de nouveau il vous exhorte à embrasser la virginité par le tableau dès tribulations qui accompagnent le mariage.

Le médecin bon et compatissant divise en plusieurs coupes une potion amère, ou suspend à plusieurs intervalles une opération douloureuse afin de ménager au patient quelques instants de repos. C'est ainsi que l'Apôtre, sans insister exclusivement sur l'excellence de la virginité, mêle à son discours diverses questions touchant le mariage, et sait, par d'habiles précautions, plaire à l'esprit, et toucher le coeur. Voilà comment s'explique ce mélange de préceptes divers ; mais il n'est pas sans intérêt d'apprécier les expressions mêmes qu'il (153) emploie.... Etes-vous lié avec une femme ? dit-il, ne cherchez point à vous délier. Certes ces paroles engagent bien moins l’homme à respecter le lien conjugal, qu'elles ne lui en montrent toute la solidité. Pourquoi saint Paul n'a-t-il pas dit : Vous avez une épouse, ne la quittez pas : Vous êtes uni à une femme, ne vous en séparez pas? Pourquoi affecte-t-il au contraire de nommer l'union conjugale un lien, et une chaîne ? n'est-ce point pour en symboliser toutes les duretés? Et en effet parce que la plupart ne courent au mariage que comme vers un état de vie moins pénible, il déclare que les époux sont de véritables esclaves. Enchaînés l'un à l'autre, ils n'ont plus la liberté de leurs mouvements; et tout désaccord d'action ou de volonté entraîne leur perte mutuelle. En vain une épouse chaste et vertueuse voudrait garder la continence; elle doit se soumettre aux exigences d'un époux voluptueux; la chaîne du mariage, cette chaîne qui d'abord semblait si douce et si légère, la retient, et l'entraîne bon gré mal gré sur les pas d'un mari; toute résistance devient inutile. La séparation même, loin de briser, pour cette infortunée, le joug de la captivité, ne fait qu'en augmenter la rigueur, sans compter qu'elle l'expose à une punition terrible.

48. Ne voyez-vous pas en effet qu'en voulant garder la continence, malgré son mari, cette femme s'expose à être plus que lui-même, punie de ses crimes et de ses désordres? Et comment, me direz-vous? — Parce qu'en lui refusant le légitime usage du mariage, elle le porte à se précipiter dans le vice. Saint Paul exige pour ce refus le consentement mutuel des deux parties ; comment donc excuser la femme qui prétend imposer à son mari le sacrifice absolu de ses droits? — Mais c'est là une odieuse servitude ! — Je l'avoue; mais qui vous forçait à vous y soumettre? C'était avant le mariage, et non après qu'il fallait faire toutes ces réflexions. Aussi l'Apôtre , qui vient de nous représenter combien la chaîne du mariage est lourde et pesante, se hâte-t-il de nous indiquer les moyens de nous y soustraire. N’avez-vous point de femme ? dit-il, ne cherchez point à vous marier. C'est ainsi qu'il nous amène indirectement à mieux accueillir la virginité en faisant ressortir les tribulations du mariage; toutefois il ajoute : Si vous épousez une femme, vous ne péchez point: et si une fille se marie, elle ne pèche point. Voilà donc le grand mérite du mariage, on peut le contracter sans péché ! La virginité seule mérite l'admiration; tout l'avantage des époux, c'est de pouvoir se dire qu'ils n'ont point failli, point violé la loi. Nous étonnerons-nous maintenant que l'Apôtre nous exhorte à garder la continence, puisque le lien conjugal, quelque dur qu'il soit, demeure indissoluble.

49. Eh quoi ! me direz-vous, la virginité ne produit-elle d'autres fruits que l'éloignement de toutes ces tribulations? une si faible récompense est-elle en proportion avec une vertu aussi élevée? et qui voudrait, pour un prix aussi modique, en embrasser la pratique, et en affronter les luttes? Le combat va s'engager contre les puissances infernales, car ce n'est pas seulement contre la chair et le sang, contre la nature et la concupiscence qu'il nous faut résister (Ephés. VI, 12) ; mais; créatures faibles et mortelles, nous devons, nous vierges, rivaliser avec les intelligences célestes, et vous ne nous proposez que des avantages terrestres Vous ne connaîtrez pas , dites-vous, les tribulations du mariage. Ce langage ne nous satisfait point; voici celui qu'aurait dû tenir l'Apôtre : La vierge qui se marie , ne pèche point, mais elle rejette elle-même cette palme glorieuse, et ces ineffables récompenses qui sont l'apanage exclusif de la virginité. Ne devait-il point retracer ce triomphe éclatant qui couronne, dans le ciel la victoire des vierges? Elles s'avancent au-devant de l’Epoux divin, et tiennent des lampes étincelantes de lumière. Elles forment autour de son lit nuptial une garde d'honneur et de fidélité, et brillent au premier rang près de son trône royal. Mais au lieu de nous tenir ce sublime langage, il ne nous parle que du frivole avantage de ne pas connaître les misères humaines. Je crois, dit-il, que la virginité, est un bien, parce qu'elle nous délivre des maux de la vie présente. Il ajoute encore : Si une fille se marie, elle ne pèche point, mais elle souffrira des tribulations dans la chair. Entendez-vous ce silence complet et absolu sur tout motif spirituel et divin, et cette double omission de toute récompense céleste? Bien plus , dans toute la suite de son Epître, nous retrouvons toujours cette même absence de pensées religieuses: on dirait qu'il n'envisage et n'estime que les choses de la terre : Le temps est court, dit-il; et au lieu d'ajouter: je désire donc que vous en profitiez pour vous assurer dans le ciel la gloire

(154) et les honneurs de la virginité, il se contente de dire : Je désire que vous soyez sans inquiétude.

Ma première réponse à votre objection sera de vous faire observer, qu'en parlant du pardon des injures, l'Apôtre suit également une marche qui semble toute contraire à son but : Si votre ennemi a faim, dit-il, donnez-lui à manger. S'il a soif, donnez-lui à boire. (Rom. XII, 20.) Mais quels seront les motifs de cette héroïque charité, de cette latte violente contre l'entraînement de la colère , et de ces efforts généreux qui peuvent seuls éteindre les feux de la haine et de la vengeance? Sans doute la pensée du ciel et la vue de ses récompenses. Nullement; il ne nous propose que le plaisir de nuire à notre ennemi : Par ce moyen, ajoute-t-il, vous amasserez des charbons ardents sur sa tête. (Ibid.) Pourquoi donc parle-t-il ainsi? est-ce qu'il ignorait l'art de la persuasion? Non, c'est ici surtout que je comprends à quel degré il possédait le secret de gagner les cœurs. Comment cela, me direz-vous? je m'explique; il parlait aux Corinthiens, auprès desquels il se glorifiait de ne savoir que Jésus, et Jésus crucifié, aux Corinthiens qui, encore charnels, et peu avancés dans les voies de l'esprit, avaient besoin d'être nourris du lait des faibles. Il leur écrivait : Je ne vous ai point nourris de viandes solides, parce que vous ne pouviez les supporter; à présent même, vous ne le pouvez pas encore, parce que vous êtes toujours charnels, et que vous vous conduisez selon l'homme. (I Cor. III, 2, 3.) Voilà pourquoi il n'allègue, pour les éloigner du mariage et les porter à la virginité, que des motifs tirés d'intérêts humains et terrestres. Il n'ignorait pas en effet que- ces motifs seraient puissants sur des esprits peu élevés, et sur des coeurs attachés aux sens et à la chair.

Ne voyons-nous pas chaque jour des hommes grossiers et ignorants se-faire comme un jeu de mêler le saint nom de Dieu à leurs serments et à leurs parjures? Mais proposez-leur de jurer par la vie de leurs enfants : ils s'y refuseront obstinément. Ce second péché est moins grave que le premier, et entraîne un châtiment moins sévère : cependant il tombe davantage sous les sens., et la matière en est plus présente, c'est pourquoi on craint beaucoup plus de le commettre. C'est ainsi encore qu'auprès d'un pauvre et d'un affligé, l'espérance d'un avantage présent pour eux-mêmes, ou pour leurs enfants, est une consolation bien plus efficace que la promesse réitérée du royaume des cieux. Oui, ils sont principalement sensibles à une guérison inespérée, à un emploi lucratif, et à un grand danger évité. Tant il est vrai que presque tous les hommes n'estiment que les biens présents et sensibles. Ces biens et ces maux que nous voyons, que nous ressentons excitent plus fortement soit nos désirs, soit nos craintes , parce que les uns et les autres. sont plus près de nous, plus à notre portée.

Vous comprenez maintenant la marche que suit l'Apôtre pour amener les Corinthiens à l'estime de la virginité, et les Romains à la pratique du pardon des injures. Un chrétien encore faible dans la foi, renoncera moins aisément au funeste plaisir de la vengeance par la perspective éloignée du royaume des cieux que par la certitude présente de nuire à son ennemi. C'est pourquoi saint Paul voulant déraciner dans les coeurs le souvenir des injures et l'explosion de la colère, présente d'abord les motifs qu'il estime les plus capables de faire impression. Toutefois ne croyons point qu'il fasse ici.entièrement abstraction des récompenses futures; non, le grand Apôtre ne commet pas cet oubli, mais il s'attache à nous inspirer d'une manière ou d'une autre le goût de la générosité, et comme à ouvrir une porte à la réconciliation. Car dans toute grande entreprise; le plus difficile est de commencer, et quand on a bien commencé, on a déjà levé presque tous les obstacles.

Jésus- Ch rist, il est vrai, adopte une méthode toute différente, et ne parle que des récompenses célestes. S'agit-il de la virginité? Il y a des eunuques, dit-il, qui se sont rendus tels pour le royaume des cieux. S'agit-il de prier pour nos ennemis? Soyez, dit-il, semblables à votre Père qui est dans les cieux. (Matth. XIX, 12.) C'est ainsi qu'il laisse de côté, comme bon seulement pour des esprits faibles et pusillanimes, les motifs d'une vengeance légitime, et ces charbons ardents que nous amassons sur la tête de nos ennemis. Il ne propose donc à ses auditeurs que les considérations de l'ordre le plus élevé. Mais quels étaient ses auditeurs? C'étaient Pierre, Jacques, Jean et les autres Apôtres. Est-il étonnant qu'il ne leur parle que de récompenses célestes? et l'Apôtre, lui aussi, eût tenu le même langage, s'il eût eu les mêmes auditeurs. Mais parce que les Corinthiens étaient (155) encore tout charnels, il leur promet le genre de récompenses qui peut les exciter le plus fortement à la vertu. C'est ainsi encore que le Seigneur proposait aux Juifs pour prix de leur obéissance, l'abondance des prospérités temporelles, et se taisait sur les biens de la vie future. Il les menaçait également, non des supplices éternels de l'enfer, s'ils transgressaient sa loi, mais de leur envoyer des pestes, des famines, des guerres et l'exil , parce que des hommes tout terrestres désirent vivement ces biens, et ne redoutent pas moins ces maux, tandis qu'ils sont peu touchés de ceux qu'ils n'aperçoivent que de loin.

Saint Paul s'attache de .préférence aux motifs qui pouvaient le plus aiguillonner ses auditeurs. Il voulait encore leur montrer un mérite particulier de la virginité. Les autres vertus nous coûtent ici-bas beaucoup de fatigues, et en sont récompensées. que dans le ciel ;mais celle-ci nous offre encore ce précieux, avantage, qu'elle nous affranchit de mille inquiétudes. Enfin il se proposait un troisième, but, celui de prouver que malgré une apparente impossibilité, la virginité est d'une pratique facile : c'est ce but qu'il atteint pleinement en énumérant toutes les difficultés et les tribulations du mariage. La virginité, semble-t-il nous dire, vous paraît pénible et difficile; eh bien ! je vous engage à l'embrasser, parce qu'elle est plus douce et plus aisée que le mariage : et comme je souhaite votre bonheur, je désire que vous viviez tous dans la continence.

Mais ici vous m'arrêtez soudain, et vous me reprochez de dépeindre le mariage comme une source de peines et d'ennuis; il enfante au contraire, dites-vous, la joie et le plaisir. N'est-ce pas lui qui prépare une voie facile aux instincts de la nature, et aux voluptés des sens? Sa présence bannit de la vie la tristesse et le chagrin et amène la gaieté, le ris et les délices. Festins splendides, riches parures, parfums exquis et vins délicieux, voilà son cortége ; nommez une jouissance que ne produise pas le mariage?

50. Vous vous trompez: en permettant l'union des sexes, le mariage n'excuse pas la volupté. Saint Paul dit que la femme qui vit dans les délices est morte, quoiqu'elle paraisse vivante. (I Tim. V, 6.) Et si vous repoussez cette sentence comme ne concernant que les veuves, écoutez le commandement que le même apôtre fait à toutes les femmes : Je veux qu'elles se parent de modestie et de chasteté; et non avec des cheveux frisés, ni des ornements d'or, ni des perles, ni des habits somptueux; mais comme il convient à des femmes qui montrent leur piété par les bonnes oeuvres. (1 Tim. II, 9, 10.) Observons. encore que ces recommandations se rencontrent fréquemment dans ses diverses Epîtres, tant il s'attache à nous détourner de toutes ces vanités. Mais peut-être expliquerez-vous ce langage par l'influence du siècle où saint Paul vivait; en effet, l'Evangile avait déjà répandu parmi les fidèles un certain esprit de modestie chrétienne et de spiritualité. Eh bien ! écoutez le prophète Amos. qui parlait aux enfants d'Israël et dans un temps où l'on pouvait se permettre le luxe, les plaisirs et toutes les superfluités de la vie. Avec quelle sévérité ne condamne-t-il pas ces moeurs efféminées ! Malheur à vous! s'écrie-t-il, qui êtes réservés pour le jour mauvais, et qui profanez les fêtes du Seigneur ! malheur à vous, qui dormez sur des lits d'ivoire, et vous étendez mollement sur votre couche; qui mangez les agneaux choisis et les génisses lés plus grasses; qui chantez aux accords de la lyre; qui vous enivrez de plaisirs fugitifs; qui buvez les vins les plus délicats, et qui vous parfumez des huiles les plus précieuses! (Am. VI, 3-6.)

51. Ainsi, je le répète, une vie molle et sensuelle est interdite aux époux; mais quand même le mariage leur en donnerait le droit, il est si fécond en chagrins et en tribulations que le sentiment de la douleur ferait bientôt évanouir en eux celui du plaisir.

52. Supposons qu'un mari soit naturellement jaloux, ou qu'il le devienne, même sans aucun motif réel; est-il un être plus malheureux? Le toit conjugal sera désormais un vrai champ de bataille, et une mer furieuse tout y est plein de tristesse et de soupçons , de querelles et de troubles. Cette passion insensée produit tous les effets d'une démence furieuse : celui qu'elle possède est inquiet, agité, brusque, violent et emporté contre tous ceux qui l'entourent, coupables ou innocents, esclaves ou enfants. Pour lui plus de plaisirs; il ne rencontre sous ses pas que le deuil, la tristesse et l'amertume. Au seuil du foyer domestique , sur la place publique et en voyage, un noir chagrin l'accompagne; l'aiguillon de la jalousie déchire son coeur, et une douleur poignante trouble son repos. Faut-il donc s'étonner que cette humeur sombre et (156) mélancolique amène souvent une véritable frénésie? Une seule de ces tortures si diverses et si nombreuses suffirait pour rendre un homme malheureux : que sera-ce donc si elles se réunissent pour l'attaquer et le presser sans relâche? est-il une mort plus cruelle? Oui, la plus extrême indigence, la maladie la plus douloureuse, et le supplice du glaive ou du bûcher ne sont rien en comparaison de telles souffrances : il faut les avoir éprouvées pour les comprendre.

Hélas ! il suspecte une épouse qu'il aimé, et pour laquelle il donnerait son sang; qui pourrait guérir la blessure de son coeur? Les mets de sa table lui semblent receler un perfide poison, et le sommeil ne visite jamais une couche sur laquelle il se roule dans sa douleur et dans son angoisse comme sur des charbons ardents. C'est en vain que l'amitié l'entoure, que lés affaires l'appellent, que la crainte de périls imminents le presse, et que le plaisir l'entraîne; rien ne saurait dissiper sa constante inquiétude , et le tourment qui l'agite le rend insensible à tous les maux de la vie, non moins qu'à toutes ses fêtes. Aussi Salomon avait-il bien raison d'assurer que la jalousie est inflexible comme l'enfer. (Cant. VIII, 6.) L'époux outragé, dit-il encore, est implacable dans sa fureur; il ne pardonnera pas au jour de la vengeance; les prières ne pourront le fléchir, et les présents ne le désarmeront point. (Prov. VI, 34, 35.) Tel est même le caractère particulier de cette passion que la vengeance devient impuissante à cicatriser les blessures du coeur. Plusieurs ont frappé un rival odieux, et n'ont pu bannir la douleur, ni le souvenir de l'affront reçu. Plusieurs ont égorgé une épouse soupçonnée et n'ont fait qu'alimenter la flamme qui les dévorait.

Mais si de simples soupçons sans fondement suffisent pour amener à ce triste état un époux prévenu, comment dépeindre la situation de sa malheureuse épouse? elle est mille fois plus pénible encore. Celui qui devrait être son consolateur et son soutien, dans ses peines et ses chagrins, est devenu pour elle un tyran barbare et un ennemi cruel. Infortunée ! où aller? quel asile s'ouvrira à sa détresse? et quel refuge abritera son malheur? Hélas ! tout port de salut lui est fermé; et elle se heurte aux nombreux écueils du désespoir. Ses serviteurs eux-mêmes l'humilient bien plus encore que son époux, car ils sont naturellement ingrats et soupçonneux, et ils exploitent la mésintelligence de leurs maîtres pour secouer le joug de l'obéissance, et satisfaire leurs instincts méchants. Ils peuvent mentir impunément; et ils s'étudient à entretenir par la calomnie les soupçons d'un mari jaloux; et celui-ci n'est que trop disposé à prêter une oreille facile à tous leurs rapports. Il ne sait plus distinguer la vérité d'avec le mensonge, ou plutôt il admet comme réel tout ce qui entretient son aveuglement, et rejette comme faux tout ce qui pourrait le dissiper. Ainsi cette malheureuse épouse craint et redoute ses serviteurs non moins que son mari; elle est même contrainte de céder à leur influence, et de se rendre leur esclave. Mais quand cessera pour elle l'amertume des larmes? Quelle nuit, quelle journée et quelle fête ne s'écoulent pas dans les pleurs, les gémissements et la douleur? Que dire des menaces, des insultes et des reproches dont l'accablent un époux qui se croit offensé, et une troupe de valets insolents? Elle est comme gardée à vue, et dominée par la crainte et la terreur. Tous ses mouvements sont épiés, son regard et ses paroles sont observés, et ses soupirs eux-mêmes sont interrogés avec- une scrupuleuse curiosité. Il faut donc que, froide comme un marbre, elle dévore silencieusement tous ces outrages, et qu'elle vive prisonnière et enchaînée dans sa maison. Elle ne peut faire un pas, ni dire une parole, ni pousser un soupir, sans en rendre compte aux juges corrompus qui l'entourent et la surveillent. Et maintenant mettez en parallèle, avec ces tribulations, la fortune, le luxe des festins, et le grand nombre des esclaves, l'éclat de la naissance, la splendeur des dignités, la gloire personnelle et l'illustration de la famille; ajoutez encore tout ce qui peut rendre l'existence douce et agréable, et dites-moi si en face de ces douleurs multipliées, le plaisir ne s'évanouit pas promptement tout entier : ah ! une goutte d'eau est moins perdue dans l'abîme de l'Océan !

Tels sont les maux que cause la jalousie dans le coeur d'un époux. Si elle attaque celui de la femme, et combien en voyons-nous d'exemples ! le mari sera moins malheureux, je l'avoue; quant à son épouse, elle verra ses douleurs s'accroître comme dans une progression indéfinie. Elle ne peut soutenir la lutte à armes égales; quel mari supporterait qu'on lui interdît toute sortie au dehors? Et (157) quel serviteur oserait surveiller un maître qui pourrait le châtier rigoureusement? Ainsi pour elle nulle consolation, pas même celle de l'espionnage, ou des récriminations. Et en effet son époux lui permettra peut-être quelques reproches une ou deux fois; mais si elle les renouvelle, il lui apprendra que le meilleur pour elle est de ronger son frein en silence. J'ai supposé jusqu'ici que les soupçons des deux époux sont également injustes : admettons au contraire qu'ils sont fondés à l'égard de la femme. Qui pourra l'arracher à l'implacable vengeance d'un mari offensé? Nos. lois le favorisent, et il livrera à toute leur rigueur cette femme qu'il aime avec passion. Mais est-ce lui qui est le coupable? il échappe facilement à la justice humaine, et ne ressort que du tribunal du souverain Juge. Cette certitude n'est d'ailleurs pour cette infortunée qu'une bien faible consolation; et elle s'éteint chaque jour sous l'action délétère du philtre que lui verse une main perfide. Souvent même il devient inutile d'employer tous ces charmes; le chagrin la tue, et. prévient un crime.

Je conseillerais donc à une femme de refuser tous ceux qui prétendraient à sa main, quel qu'en fût le nombre. Elle ne peut être admise à dire que les joies du mariage l'entraînent irrésistiblement, puisque ces prétendues joies ne recèlent que de véritables douleurs. Je viens de le prouver. Mais ces tribulations, dira-t-on, se rencontrent-elles dans tous les mariages? presque dans tous; tandis que l'état de virginité en est entièrement exempt. Si une épouse n'est point présentement malheureuse, elle redoute de le devenir. Et qui peut se marier sans s'exposer à tous les inconvénients du mariage? Une vierge au contraire jouit de son bonheur, et ne craint point de le perdre. Sans doute, je le reconnais, tous les époux ne sont pas jaloux; mais l'union conjugale ne connaît-elle que ces tribulations? Si vous en évitez une, vous vous heurtez contre vingt autres. Quand on suit un sentier étroit et.bordé d'épines, on ne peut se garantir des unes qu'en se déchirant aux autres; c'est ainsi que dans le mariage une souffrance évitée en amène une autre plus grande encore, et que vous n'échappez à une douleur que pour tomber dans un malheur plus sensible. Ah ! qu'il est difficile de trouver une union parfaitement heureuse !

53. Mais laissons-là, je le veux bien, tous les inconvénients du mariage, et parlons de ce qu'il offre de plus séduisant, et de ce que presque tous recherchent. Un homme est pauvre, d'une famille obscure et d'une condition vulgaire; et voilà que tout-à-coup il épouse une femme noble, riche et puissante. Eh bien ! cette union qui vous paraît si belle, ne lui apporte en réalité que les plus amères déceptions. Car si l'orgueil est le vice commun de tous les hommes , on peut assurer que dans la femme il s'accroît en raison même de la faiblesse de son sexe. C'est pourquoi elle est plus facilement orgueilleuse, et dès qu'un motif plausible semble l'excuser, elle franchit toutes limites. Comme la flamme qui dévore un bois sec et aride, elle tend toujours à s'élever, renverse toute subordination, et trouble toute harmonie. C'est en vain que Dieu a établi l'homme chef de la femme; son orgueil fier et hautain se révolte et change les rôles. L'époux devient un serviteur humble et soumis , tandis que l'épouse marche en reine et en maîtresse. Mais n'est-ce point pour u n homme la pire des conditions , sans parler des injures, des affronts et de mille dégoûts qu'il lui faut essuyer?

54. Peu m'importe cette fierté de caractère , me répondrez-vous avec la plupart des hommes. Donnez-moi seulement une femme riche, et je me charge de la faire plier. Ce langage prouve que vous ne connaissez point la difficulté d'une telle entreprise ; et d'ailleurs le succès en, serait malheureux. Lorsque la force et la contrainte sont nécessaires pour faire obéir une épouse, il vaut encore mieux pour le bonheur du. ménage qu'elle commande. La violence détruit tout sentiment d'affection et de tendresse; et quand le dévouement et l'amour sont remplacés par la crainte et la nécessité, que devient l'union conjugale?

55. En regard de ce premier tableau, peignons celui de la femme pauvre qui a épousé un homme riche. Elle est moins sa compagne que son esclave; elle a perdu sa liberté, et l'on croirait presque que son mari l'a achetée sur la place publique. Aussi quels que soient à son égard les sévices de son époux; quelque coupable que soit sa conduite, et quelque nombreux que soit l'essaim d'odieuses rivales , il lui faut tout souffrir en silence ou quitter le domicile conjugal. Ajoutez à ces premiers malheurs la dure position que les dédains de son mari lui créent auprès des serviteurs. Loin de leur commander librement, elle vit comme (158) étrangère dans sa maison, n'use de ses propres biens que comme à titre d'emprunt, et parait moins unie à un époux qu'attachée au service d'un maître.

Admettez-vous au contraire égalité de rang et de fortune dans les deux époux. Cette égalité même rendra leur condition plus malheureuse, parce qu'elle leur laissera le même pouvoir de résistance et de contradiction. Que faire donc en présence de ces graves et nombreuses difficultés ? Il est inutile de citer les quelques mariages qui en sont exempts , puisqu'ici le malheur est la règle générale, et que le bonheur n'est qu'une rare exception. Mais autant il est difficile que ces tribulations diverses ne se rencontrent plus ou moins dans toute union conjugale, autant il est certain que la virginité nous en préserve.

56. Nous venons de voir que sous l'illusion et l'apparence du bonheur le mariage recèle les plus amères tribulations : et maintenant que dire des maux évidents pour tous et que nul ne conteste ? Et d'abord la femme, en devenant épouse et mère , n'a plus à redouter pour elle seule les coups de la mort; elle tremble pour son époux, ses enfants et ses petits-fils. Plus sa famille s'étend et se multiplie, et plus elle sent augmenter ses craintes et ses inquiétudes. Un revers de fortune, une maladie et un accident quelconque l'affligent et la désolent non moins que ceux qu'ils atteignent. Si elle survit à tous ses enfants, quelle n'est point sa douleur et son affliction ! Si la mort en épargne quelques-uns, leur présence lui devient une faible consolation, car elle craint sans cesse de les perdre, et cette crainte est plus douloureuse que le regret même de ceux qui ne sont plus. Le temps adoucit à l'égard des morts l'amertume des larmes et de la séparation; mais l'inquiète sollicitude d'une mère se nourrit et s'accroît par la vue même du fils qu'elle tremble de perdre, et elle l'accompagne jusqu'au tombeau.

Si notre faiblesse succombe sous le poids de nos malheurs personnels, que sera-ce quand nous y aurons joint ceux de toute une famille ! D'ailleurs il arrive souvent que des femmes nobles et élevées délicatement, et mariées à des hommes riches et puissants, connaissent l'adversité avant le bonheur. Le malheur s'est précipité soudain sur leur maison comme une tempête subite, et l'infortune les a enveloppées dans le naufrage de leur époux. C'est ainsi que vierges elles étaient heureuses, et qu'épouses elles sont malheureuses. Vous m'objecterez peut-être que ces grands revers ne sont ni communs, ni inévitables, et moi je vous répondrai que pas un mariage n'en saurait être entièrement exempt; ou ils vous atteignent, ou vous craignez qu'ils ne vous arrivent, et toujours vous en souffrez cruellement. Mais la virginité est trop élevée pour en redouter le choc, et même la simple menace.

57. Mais, je le veux bien encore, ne parlons plus de ces maux qui sont comme accidentels dans le mariage, et discutons ceux qui en sont inséparables. Quels sont-ils? d'abord les douleurs de l'enfantement, et l'éducation des enfants : je dois même, pour plus d'exactitude, remonter jusqu'aux jours qui précèdent le mariage. Au reste, il faudrait avoir éprouvé toutes ces tribulations pour en parler sciemment. Le temps des fiançailles approche, et avec lui les soucis et les inquiétudes. Quel est l'homme auquel on va s'unir? Sa réputation est-elle intacte, et son caractère heureux? Est-il trompeur et arrogant, emporté et jaloux? peut-être est-il commun dans ses manières, peu instruit, méchant, dur, ou sans énergie d'action et de volonté? Sans doute, toutes les femmes ne font pas un mauvais choix, mais toutes peuvent appréhender de mal rencontrer; et parce que l'avenir leur est inconnu, elles flottent entre la crainte et l'espérance. Aussi les voyons-nous agitées de mille pensées, se troubler de tout, et s'alarmer d'un rien. Mais une agréable illusion peut également leur offrir les plus riantes perspectives. Ah ! vous ignorez que l'attente d'un bien est moins douce que la crainte d'un mal n'est pénible. Une pleine et entière certitude nous fait seule goûter un bonheur parfait; et il suffit de craindre un malheur pour en éprouver d'avance toutes les amertumes. L'esclave exposé en vente s'inquiète de connaître son nouveau maître; ainsi la jeune fille, à la veille de se marier, sent son coeur ému et troublé comme la nacelle que les vagues agitent. Cependant ses parents n'ont pas encore fixé un choix, qui change chaque jour. Hier un prétendant avait triomphé de ses rivaux , et aujourd'hui il est vaincu par un second qui demain sera lui-même renversé. Souvent encore, au moment même du mariage, le futur époux est éconduit, et sa fiancée donnée à un autre.

Cependant n'allez point croire que de son côté l'homme soit exempt de toute (159) préoccupation. Une femme peut assez facilement savoir quelque chose de son futur époux, tandis que la retraite où elle vit, dérobe à celui-ci toute connaissance de son caractère et de ses mœurs. Telles sont les tribulations des jours qui précèdent le mariage; et quand le moment décisif arrive, l'inquiétude de l'avenir alarme la jeune épouse, et trouble sa joie. Elle craint de déplaire à son mari dès le soir même de leurs noces, et de ne point réaliser toutes ses espérances. Est-il donc si rare de voir dans le mariage le mépris succéder à l'amour? Lorsqu'une union conjugale commence sous de si tristes auspices, quel avenir s'ouvre devant les deux époux. Mais la femme, direz-vous, est belle et pleine d'attraits. Je l'accorde, et néanmoins elle ne saurait bannir tout fâcheux pressentiment. Eh ! combien d'épouses, riches de tous les dons de la nature, n'ont pu captiver le cœur d'un mari, et se sont vues supplantées par d'indignes rivales ! Ajoutez maintenant les chagrins qui accompagnent le paiement de la dot. Le beau-père qui donne sans recevoir, ne paie qu'avec répugnance, et le gendre, qui voudrait tout avoir, exige poliment tous ses droits. Et au milieu de ces débats, sa jeune épouse rougit de honte, et ne voit plus dans son époux qu'un impitoyable créancier.

Mais ces difficultés sont à peine surmontées que soudain la perspective d'une honteuse stérilité vient l'effrayer. Elle ne redoute pas moins une trop grande fécondité, et l'incertitude de l'avenir la trouble de tous côtés; devient-elle mère, sa joie n'est point sans inquiétudes, car dans le mariage, nul plaisir n'est pur et parfait. Elle craint donc, pour l'enfant qu'elle porte, les suites de quelque accident, et, pour elle-même, les périls de la maternité. Plusieurs années s'écoulent-elles sans espérance d'héritier, elle devient timide, troublée et comme toute confuse de sa stérilité. Le moment de la délivrance est-il au contraire arrivé; elle n'enfante qu'avec des douleurs qui suffiraient pour faire évanouir toutes les joies du mariage. Cependant ces douleurs déjà si aiguës s'accroissent de nouvelles et bien cruelles angoisses ; elle redoute de donner le jour à une fille au lieu d'un garçon, ou à un enfant infirme et contrefait, au lieu d'un enfant fort et bien constitué. Cette crainte n'est pas le moindre de ses maux, tant elle s'inquiète de déplaire à son mari, même dans un événement qui ne dépend pas d'elle. Aussi oublie-t-elle alors le soin de sa propre conservation pour ne songer qu'à ce qui peut faire la joie de son époux.

Mais l'enfant est né heureusement, et déjà il s'annonce par un premier cri : eh bien ! voici venir d'autres soucis; ceux de sa santé et de son éducation. Je lui suppose un esprit facile, et d'heureuses dispositions pour le bien, motif nouveau de craindre pour lui une mort prématurée, ou la séduction du mauvais exemple. Car si un mauvais naturel se corrige, un bon peut également se pervertir. Mais alors quelle cruelle déception ! et quelle triste réalité succède à l'illusion de l'espérance ! Admettez, au contraire, que tout semble garantir une pleine sécurité, et promettre une heureuse persévérance, arracherez-vous la crainte du cœur des parents, cette crainte qui, toujours vive et pressante, empoisonne leurs joies? — Mais tous les mariages ne sont pas féconds, je l'accorde; et votre objection prouve seulement que la stérilité est une des mille tribulations du mariage. Ainsi que le mariage soit fécond, ou stérile, et que les enfants soient vertueux, ou vicieux, il n'en est pas moins une source de peines et d'inquiétudes. Pourrions-nous donc vanter le bonheur d'une union conjugale, puisqu'en la supposant heureuse, il faut toujours craindre que la mort n'en brise les liens et les douceurs. Que dis-je? c'est un malheur certain et inévitable, car il est comme impossible que les deux époux expirent le même jour et au même instant. Si l'époux perd son épouse, après plusieurs années de mariage, ou après quelques mois seulement , il ne trouve plus dans la vie qu'une mort cruelle et prolongée. Car ou son isolement lui devient d'autant plus douloureux que le laps des années l'avait accoutumé aux douceurs de l'union conjugale; ou ses regrets s'augmentent de toute l'ardeur d'un premier amour, et de toute l'énergie d'un désir qui a été trompé. Ainsi deux causes opposées et contraires le rendent également malheureux. Faut-il signaler encore les séparations momentanées que nécessitent les voyages, et les maux qu'elles produisent. Vous en accusez donc le mariage? me dira-t-on, certainement, et avec raison. Eh ! combien d'épouses l'absence d'un mari ne rend-elle point malades par chagrin, et par inquiétude ! Cette même présence qui faisait leur bonheur, cause leur malheur quand un voyage, les en prive. Mais enfin taisons-nous là-dessus, et ne jugeons pas trop sévèrement (160) l'état du mariage. Il est toutefois un reproche auquel il ne peut échapper : lequel ? celui de nous créer en pleine santé les soucis et les inquiétudes que nous apportent le lit et la maladie.

58. Mais, supposons par impossible, un mariage qui réunisse toutes les conditions de bonheur. Les enfants sont nombreux, distingués et vertueux ; la femme est belle, modeste et le modèle des mères de famille; l'union des cours est parfaite, la vieillesse heureuse, la famille noble et illustre, et les emplois hauts et élevés. Ajoutez encore que l'inquiétude de l'avenir, ce ver rongeur de tout bonheur humain, n'atteint point ces fortunés époux, qu'ils ne connaissent ni la crainte, ni le chagrin, ni la douleur, qu'ils sont assurés de mourir au même instant, et de couronner une longue vie par la plus grande comme par la plus douce des jouissances, celle de laisser de dignes héritiers; quel sera le résultat final de tous ces avantages? et que recueilleront-ils au delà du tombeau de toutes ces prospérités de la vie? Et en effet une nombreuse postérité, une épouse belle et aimable, une union heureuse, et une longue vieillesse ne nous seront d'aucune utilité auprès du souverain Juge, et en présence des biens véritables de l'éternité. Toute la félicité du mariage n'est donc qu'une ombre et qu'un songe, puisque ce bonheur passé ne doit point nous suivre dans cette éternité qui s'ouvrira devant nous, et que sa jouissance, ou sa privation ne seront comptées pour rien. Je suppose, que, dans le cours d'une vie de mille ans, vous ayez pendant une seule nuit, fait un rêve délicieux, vous estimeriez-vous beaucoup plus heureux que celui qui n'aurait pas eu ce rêve ? Mais que dis-je ? Le bonheur du ciel diffère plus.de toutes les joies de la terre qu'un rêve de la réalité; et une seule nuit est plus longue dans une vie de mille ans, que cette même vie comparée à l'éternité. La virginité au contraire possède des avantages réels, grands et durables. Il importe de les examiner en détail.

59. La vierge qui se consacre à Dieu, ne craint aucune erreur dans le choix de son époux. Car cet époux est un Dieu, et non un homme; il est Seigneur et Maître souverain, et non un simple serviteur. Voilà pour les personnes; et quant aux biens qui constitueront sa dot, ce ne seront ni des esclaves, ni des terres, ni des trésors, mais les richesses du ciel et de l'éternité. Enfin une épouse redoute la mort qui doit et lui enlever sa fortune, et l'arracher des bras de son époux. Une vierge au contraire désire la mort et s'ennuie de la vie. Il lui tarde de voir son céleste Epoux, et de partager sa gloire.

60. La pauvreté n'est point pour une vierge, comme pour une femme mariée, une cause de défaveur auprès de son époux : elle ne lui en devient que plus chère, si elle supporte patiemment son indigence. Ici encore l'on ne considère ni l'illustration du sang, ni la beauté du corps, ni tous ces avantages que le monde estime; et ne fût-elle qu'une pauvre esclave, elle n'est point rejetée : une belle âme lui suffit pour obtenir la première place dans le cour du divin Époux. Ajoutez qu'elle ne connaît ni l'anxiété de la jalousie, ni les regrets d'une plus brillante alliance, puisque nul n'est semblable à son époux, et ne peut même en approcher. Dans le mariage au contraire, quelque riche et quelque puissant que soit le mari, sa femme en trouvera toujours une autre mieux partagée. Elle se croira donc malheureuse, car la comparaison des avantages qu'elle ne possède point, amoindrira ceux dont elle jouit. Enfin j'admets que son coeur, soit rassasié par la plénitude du luxe, des richesses et des plaisirs; combien peu de femmes atteignent ce prétendu bonheur ! Eh ! ne voyez-vous pas que la plupart des hommes vivent dans le travail, la peine et les privations? Elles sont donc en si petit nombre, ces femmes privilégiées, qu'il est facile de les compter; et même elles ne se plongent ainsi dans les délices que contrairement à la loi divine. Car, comme je l'ai prouvé, il n'est permis à personne de vivre dans les délices.

61. Mais je veux bien encore discuter avec vous et supposer que cette défense n'existe point. Oui, je vous accorde que ni Saint Paul, ni  aucun prophète n'a condamné une vie molle et luxueuse, et je vous demande quels avantages vous produisent vos trésors ? Au dehors ils excitent contre vous l'envie et la cupidité; et au dedans ils vous remplissent de craintes et d'inquiétudes. Quand votre coffre-fort est bien garni, l'approche de la nuit vous rend soupçonneuses et méfiantes. Et lorsque vous étalez en plein jour vos superbes parures, ne craignez-vous pas la main d'un adroit filou? et en effet les bains publics, et même nos églises ne favorisent que trop cette (161) coupable industrie. Bien plus, il n'est pas rare que pressées par une foule compacte et tumultueuse, vous ne perdiez, sans vous en apercevoir, quelque bijou précieux. C'est ainsi que souvent vous pleurez la disparition d'une perle ou d'un diamant.

62. J'admets cependant que vous soyez à ce sujet sans crainte et sans inquiétude, et je vous demande à quoi vous sert tout ce luxe. — Il m'attire les regards et l'admiration. — Oui, c'est votre parure qui attire les regards; mais votre personne ne provoque que le dédain et la raillerie, car on vous reproche un faste au-dessus de votre condition. Si la nature vous a douée de grâces et de beauté, la somptuosité de votre parure en détruit l'aimable simplicité et en ternit l'éclat. Si au contraire la nature vous a peu favorisée, vous cherchez vainement à couvrir ces disgrâces sous une éblouissante parure : tout ce luxe et toute cette recherche n'aboutissent qu'à les faire mieux ressortir. L'éclat de vos mille pierreries ne rayonne sur vos défauts corporels que pour les présenter au grand jour, tout comme dans un tableau le jeu de la lumière fait remarquer les objets sombres et hideux. C'est ainsi encore que la difformité de la taille se dessine plus nettement sous lés plis d'une robe richement nuancée, et que l'art et l'industrie la plus délicate, loin de dissimuler les défauts de la figure; les font encore ressortir par la comparaison qu'elles donnent lieu d'établir entre la parure empruntée et factice, et la laideur naturelle d'une personne. Ces étoffes chargées d'or, ces pierreries tout étincelantes, et tout ce luxe que vous étalez, me représentent assez bien un robuste et vigoureux athlète qui repousserait dédaigneusement un nain difforme et disgracieux. N'est-ce pas en effet ce qui vous arrive? On admire votre parure, mais on la sépare de votre personne : et vous ajoutez ainsi le ridicule à votre laideur première.

63. Mais la parure de la vierge est tout intérieure et toute spirituelle : aussi ne saurait-elle jamais lui nuire. L'incomparable beauté de la sainte virginité corrige en elle les disgrâces de la nature ou en relève les charmes et les agréments. L'or et les diamants, les plus somptueuses étoffes , et les fleurs les plus délicates ne parent point son corps d'un vain et fut-il éclat; mais son âme brille par les charmes divins dont l'embellissent le jeûne et les veilles, la douceur et la modestie, la force et l'humilité , la patience , la pauvreté et le mépris des richesses. Son regard est si suave et si limpide qu'il lui gagne l'affection des Anges et celle de Dieu; il est si pur et si pénétrant qu'il lui est donné de contempler l'éternelle beauté, il est enfin si doux et si serein qu'il ne s'irrite jamais et qu'il ne considère même un ennemi qu'avec bonté et bienveillance. Bien plus, l'humble modestie de ce regard arrête l'oeil trop hardi du libertin , et le saisit lui-même de honte et de respect. Nous voyons une esclave reproduire , même involontairement, les vertus d'une sage et prudente maîtresse, c'est ainsi que le corps de la vierge chrétienne reflète au dehors la sainte beauté de son âme; en elle le regard et la parole , le vêtement et la démarche obéissent aux règles sévères du recueillement intérieur. Un parfum précieux laisse échapper du vase qui le contient un arôme exquis et répand au loin les plus odorantes émanations : de même dans la vierge, la secrète vertu de l'âme se trahit au dehors par une douce suavité. La chasteté gouverne tous ses sens, comme avec un frein d'or, et les contient dans l'ordre. La langue ne prononce aucune parole peu réservée, l'oeil s'interdit tout regard peu modeste, et l'oreille se ferme à tout entretien peu décent, la démarche elle-même évite toute mollesse et toute afféterie ; elle sait être simple sans paraître affectée. Quant aux habits , cette même chasteté en retranche toute parure inutile, et elle répand sur le visage une douce gravité. Ainsi la vierge chrétienne se montre toujours sérieuse , réservée et plus portée aux larmes qu'aux éclats de la joie.

64. Mais gardez-vous bien de considérer ces larmes comme mêlées de tristesse et d'amertume. Elles sont plus douces que tous les plaisirs du monde ; et si vous en doutez, écoutez saint Luc qui nous dit que les apôtres, ayant été battus de verges, s'en allèrent pleins de joie hors du conseil. (Act. V, 40. ) Sans doute un tel supplice ne pouvait produire par lui-même la joie et l'allégresse, et il ne devait amener que la souffrance et la douleur. Qui le nie ? mais la foi est plus puissante que la nature ; et si, dans les apôtres, elle a changé les supplices en délices, pourquoi ne rendrait-elle pas douces et suaves les larmes de la vierge chrétienne ? C'est ainsi encore que Jésus- Ch rist lui-même appelle son joug doux et léger, quoiqu'il nous dise que la route qui (162) mène au ciel est étroite et pénible. Et en effet, cette route est naturellement difficile, mais le zèle et l'espérance la rendent aisée et facile. Aussi voyons-nous ceux qui ont choisi la voie étroite, marcher avec plus d'ardeur que ceux qui ont préféré la voie large et commode. Ce n'est point que nul obstacle ne se rencontre sous leurs pas; mais leur courage les élève au-dessus de toute affliction, ils paraissent invulnérables à la douleur. Oui, la virginité a, elle aussi , ses tribulations; mais qu'elles sont légères, si on les compare à celles du mariage !

65. Une vierge, durant tout le cours de sa vie, éprouvera-t-elle aucune affliction qui approche des douleurs de l'enfantement? et ces douleurs, une épouse les voit se renouveler presque chaque année. Tel est même alors l'excès de ses souffrances que 1'Ecriture nomme douleurs de l'enfantement l'exil et la famine, la peste et les plus affreuses calamités. C'est que Dieu les a imposées à la femme, comme punition de son péché; tu enfanteras, lui a-t-il dit, dans la douleur (Gen. III, 16), cette malédiction ne saurait atteindre la vierge; et l'épouse seule y est soumise, parce que seule elle a transgressé la loi.

66. Mais une femme mariée ne jouit-elle point de se montrer en public sur un char que traînent deux mules magnifiques? — Triste jouissance et sotte vanité. C'est préférer les ténèbres à la lumière, l'esclavage à la liberté et la pauvreté à la richesse. Cette femme s'est habituée à ne plus faire usage de ses pieds ; et de là que de contrariétés! Elle ne saurait sortir ni selon ses désirs , ni même toutes les fois qu'elle en aurait besoin; elle demeure renfermée dans sa maison, comme ces estropiés qui ne peuvent se mouvoir. Son mari a-t-il employé les mules à quelqu'autre service; la voilà qui s'irrite, se fâche, et puis garde un silence boudeur. Elle-même a-t-elle oublié de les demander; la voilà qui tourne son dépit contre elle-même, et qui se consume de chagrin. Eh ! ne vaudrait-il pas cent fois mieux faire usage de ses pieds, comme Dieu le veut, que de se créer par mollesse tant de peines et de contrariétés ?Ajoutons encore que ces chances de captivité se multiplient par la maladie d'une des deux mules ou- de toutes les deux, et par la saison assez longue de les mettre au vert. Ainsi cette belle dame reste comme une prisonnière dans ses appartements ; et les affaires les plus urgentes ne peuvent l'en tirer. — Mais alors, direz-vous , elle évite une foule importune, et des regards qui la feraient rougir. — Ah ! vous ignorez ce qui exposé et ce qui garde la pudeur de la femme. Ce qui la garde, ce n'est point la solitude, mais la chaste gravité des sens et des manières; ce qui l'expose, ce n'est pas la foule au milieu de laquelle on se montre, mais la légèreté du caractère et des manières. Aussi combien de femmes qui secouent cet esclavage d'une honteuse mollesse et ne craignent point de paraître en public et qui, loin de s'exposer au moindre soupçon, font admirer leur modestie ! Leur vertu se reflète au dehors par la simplicité de la démarche et de la parure. Combien au contraire que la retraite ne soustrait point à une mauvaise renommée ! car la solitude favorise le mal et le secret invite à la légèreté.

67. Mais n'est-il point doux , direz-vous encore, de commander à une foule de domestiques? - Triste plaisir, ou plutôt soucis continuels. L'un d'eux est-il malade, vous êtes inquiète; et s'il vient à mourir, vous êtes troublée et affligée. — Nullement, répondrez-vous; et même je ne me préoccupe point de choses plus graves, comme de surveiller ma maison, d'exciter la paresse de mes gens , d'apaiser leurs querelles, et de maintenir parmi eux l'ordre et les bonnes moeurs. — Eh bien ! qu'arrivera-t-il, si dans le nombre de vos esclaves il s'en trouve une seule dont la rare beauté attire le coeur de votre époux, ou seulement même ses regards, et c'est ce qui se voit presque nécessairement, car les riches recherchent les belles esclaves. Or, je vous le demande, pourrez-vous sans douleur descendre au second rang dans l'amour, ou dans l'estime de votre époux? Mais si les prétendus avantages du mariage recèlent tant d'afflictions , que sera-ce des peines avouées de cet état ?

68. Cependant la vierge est à l'abri de ces mille tribulations : sa modeste demeure ne connaît ni le tumulte, ni les cris d'un nombreux domestique; et sa solitude, où règne un paisible silence, lui est un port tranquille et assuré : que dirai-je de la sérénité de son âme ! Elle est plus profonde que le calme qui l'environne. Car la vierge s'élève au-dessus de tous les intérêts de la terre; et Dieu seul devient l'objet de ses contemplations, non moins que de ses entretiens. Aussi, qui pourrait mesurer l'étendue de son bonheur, et quelle parole humaine exprimerait sa joie? Ceux-là seuls qui (163) placent en Dieu toutes leurs délices, savent combien elle est heureuse , et combien sa félicité s'éloigne de toute comparaison.-L'éclat de l'or, me direz-vous, réjouit notre oeil. — Et moi, je vous répondrai que la splendeur du ciel est mille fois plus agréable ; et ne rayonne-t-il pas plus délicieusement à nos regards que l'or, l'argent et les diamants, tout comme l'or lui-même l'emporte sur le plomb et sur l'étain? Ajoutez encore que la possession des richesses est pleine d'inquiétudes , tandis que la vue du ciel est libre de toute sollicitude , et nous affranchit des soucis de l'avarice. — Mais nous ne voulez pas élever vos regards vers le ciel. — Alors je vous le dis à votre honte , ainsi que s'exprime l'Apôtre : contemplez sur nos places publiques cet or dont vos yeux et votre coeur sont épris. Hélas ! je m'égare, et je ne m'aperçois pas que presque tous les hommes rejettent de faciles jouissances pour ne concentrer leurs joies que dans la peine, l'inquiétude et l'affliction ; car, pourquoi cet or et cet argent qui resplendissent sur le forum ne flattent-ils point votre regard, comme si vous les aviez en bourse? L'éclat en est cependant ravissant, et la vue en est libre et permise. Ah ! c'est que cet or et cet argent ne vous appartiennent point; et que vous n'aimez que celui que vous possédez. C'est donc l'avarice seule qui fait briller l'or à vos yeux; autrement, si c'était sa valeur intrinsèque, il vous plairait en tous lieux.

Serait-ce son utilité qui vous charmerait? mais le cristal est plus utile, puisque les riches le préfèrent pour en faire des coupes. Celles même qu'un excès de luxe fait ciseler en or, ou en argent, ne servent qu'à enchâsser une coupe de cristal : en sorte que celle-ci est reconnue plus utile et plus commode, et que celle-là n'est employée que comme un ornement, et une satisfaction donnée à la vanité. Mais que signifient ces mots : le mien et le tien. Véritablement, lorsque j'en pèse le sens, je n'y trouve que néant et vanité. Et en effet que de gens perdent, de leur vivant, ce droit de propriété ! et s'ils le conservent pendant la vie, peuvent-ils empêcher que la mort ne le leur ravisse violemment? Or, cela est vrai non-seulement de l'or et de l'argent, mais des bains, des jardins et des palais. L'usage en est commun à tous ; et l'unique avantage du propriétaire est l'obligation d'un onéreux entretien. Le peuple en jouit gratuitement, tandis que le propriétaire est contraint d'acheter cette même jouissance au prix de mille peines et de mille inquiétudes.

69. Peut-être enviez-vous aux riches la somptuosité de leurs festins, le nombre des plats, la délicatesse des vins, la pompeuse ordonnance de la table, et la foule des convives et des flatteurs : mais apprenez que leur sort n'est pas meilleur que celui du cuisinier. Ce dernier craint les reproches de son maître, et, au milieu de toute cette somptuosité, le maître redoute la critique de ses convives. Ainsi, sous un rapport ils sont égaux; mais sous un autre, le maître est bien plus malheureux, car ses censeurs ne deviennent que trop souvent des rivaux implacables, dont la basse jalousie le poursuit jusqu'à une ruine entière.-Qu'importe, direz-vous? du moins les plaisirs de table sont de joyeux plaisirs. — Ah ! parlez-vous ainsi quand vous sortez de ces brillantes orgies l'estomac surchargé, la tête appesantie, les yeux éblouis et tout le corps affaibli et languissant ; et plût à Dieu que vous n'eussiez à endurer que ces douleurs passagères ! mais qui pourrait énumérer toutes les maladies incurables dont ces festins sont la source et le principe? La goutte, la paralysie, l'hydropisie, et mille autres infirmités punissent le riche de son intempérance, et le conduisent au tombeau par une recrudescence de douleurs et de souffrances. Et maintenant, quels plaisirs peuvent compenser de pareils maux? et qui, pour les fuir, n'embrasserait la vie la plus dure?

70. La frugalité n'a rien à craindre de ces terribles maladies, et elle est la mère d'une heureuse santé. J'ajoute même que si vous cherchez le plaisir, vous l'y trouverez bien plus que dans l'intempérance. Elle est en effet un préservatif assuré contre ces maux innombrables qu'enfante la débauche, et dont un seul suffit pour ruiner toutes les jouissances possibles. De plus, en aiguisant l'appétit, elle sait rendre nos repas délicieux ; or, l'appétit est un fruit de la frugalité, et non de la satiété; c'est à la table du pauvre, et non à celle du riche qu'il vient assaisonner une nourriture commune bien mieux que les plus habiles cuisiniers. Le riche s'étudie à prévenir les besoins de la faim et de la soif, et même la nécessité du sommeil : mais le pauvre, qui ne cède qu'aux cris de la nature, trouve un plaisir réel à la satisfaire. C'est ainsi que Salomon vante la douceur du sommeil de l'esclave. Il s'endort avec délices, dit-il, qu'il ait beaucoup (164) ou qu'il ait peu mangé. (Ecclé. V, 11.) Est-ce que l'esclave repose sur une couche délicate? le plus souvent son lit est la terre nue, ou un peu de paille. Est-ce qu'il est libre pendant son sommeil? mais il sait bien qu'aucun instant de la nuit comme du jour ne lui appartient. Est-ce enfin parce qu'il peut se promettre désormais une condition plus tranquille? mais il n'ignore pas que sa vie entière ne doit être qu'une continuité de peines et de souffrances. Qui lui procure donc un si doux sommeil? le besoin de la nature qui l'y force impérieusement. Le riche, au contraire, ne connaît point d'autre repos que l'assoupissement de l'ivresse, et il ne trouve sur un moelleux duvet que l'agitation et la souffrance.

71. Il me serait facile de continuer ce tableau et de montrer combien plus honteuses et plus dangereuses sont pour l'âme que pour le corps les maladies qu'engendre l'intempérance. Et en effet quiconque se livre aux délices de la table, devient mou, efféminé et orgueilleux, arrogant, impudique et colère, dur, égoïste , avare et incapable de toute action bonne et honnête. La frugalité au contraire enseigne les vertus opposées. Mais mon sujet m'entraîne, et je reprends l'explication des paroles de l'Apôtre. Je n'ajoute donc qu'un seul mot. Si les jouissances du mariage recèlent tant de maux pour l'âme et pour le corps, que penser, et que dire des mille tribulations qui lui sont inhérentes, la crainte des magistrats, le soulèvement du peuple, les embûches des jaloux, et les attaques des envieux? Tous ces périls environnent les riches, et les femmes surtout en sont d'autant plus affectées,, qu'elles les supportent avec moins dé courage.

72. Mais l'homme lui-même n'est point privilégié contre ces dangers; et si le pauvre qui se contente de peu , ne redoute point les caprices de la fortune, le riche qui vit parmi les aises et les délicatesses du luxe, préférerait la mort à une indigence qu'il ne saurait supporter. Aussi l'Apôtre dit-il en parlant des époux : Qu'ils souffriront des tribulations dans leur chair. Or, ajoute-t-il, je voudrais vous les épargner, car le temps est court. (I Cor. VII, 28, 29.)

73. Eh ! quel rapport, direz-vous, cette parole offre-t-elle avec le mariage? un rapport intime: car, puisque d'un côté le mariage n'est institué que pour la vie présente, et qu'il sera inconnu dans le ciel, et puisque de l'autre le cours des siècles se précipite vers son terme,

et que la résurrection est pour ainsi dire à nos portes, ce n'est plus le moment de rechercher les plaisirs, ni d'amasser des richesses. Toute notre préoccupation doit être de nous acquérir les biens réels de l'éternité. La jeune fille qui n'a point encore quitté le toit paternel, ni le regard de sa mère, peut se livrer aux amusements de son âge, et donner à des puérilités et à des jouets une grave attention, et une sévère vigilance. Elle les tient sous clé, et elle en dispose à son gré. On dirait une mère de famille occupée d'affaires importantes. Mais le mariage lui amène bien d'autres sollicitudes. Elle abandonne la maison paternelle, rejette. tous les amusements de son enfance, et se livre tout entière à la surveillance de sa maison, de ses domaines et d'un nombreux domestique. Désormais tous ses soins seront de plaire à son époux, et de remplir ses devoirs d'épouse. Et nous aussi, nous avons atteint l'âge des occupations sérieuses; il nous faut donc dire adieu à tous ces intérêts terrestres qui furent comme les jouets de notre jeune âge, et ne plus songer qu'à la gloire du ciel, et aux splendeurs de l'éternité. Car nous sommes fiancés à un époux qui pour preuve de notre amour exige le sacrifice de tous ces frivoles amusements et même celui de notre vie. Nous devons bientôt quitter ce monde, pourquoi donc nous attacher à ces biens périssables ? Bientôt nous échangerons l'humble demeure de la terre contre le palais brillant des cieux; et nous nous préoccuperions encore de quelques ustensiles de bois, ou d'argile ! Oui, le moment est venu de ne plus songer aux choses d'ici-bas, et de concentrer toute notre attention sur les choses d'en-haut. N'entendez-vous pas cette parole de l'Apôtre : Nous sommes plus prés de notre salut que lorsque nous avons reçu la foi : la nuit est déjà avancée, et le jour s'approche. Le temps est court; ainsi il faut que ceux mêmes qui .? ont des femmes, soient comme s'ils n'en avaient point. (Rom. XIII, 11, 12;  I Cor. VII, 29.) Pourquoi donc tant se préoccuper de contracter par le mariage des liens qui bientôt seront brisés? pourquoi amasser des richesses, acheter de, vastes domaines et s'entourer de toutes les jouissances de la vie, puisqu'ici-bas tout est éphémère et caduc? Le criminel qui doit comparaître devant le tribunal où se décidera pour lui une question de vie, ou de mort, oublié la tendresse d'une épouse, les besoins du corps, (165) et toute autre affaire, afin de ne songer qu'à sa défense; de même le chrétien qui doit comparaître devant le Seigneur, et lui rendre compte de ses pensées, de ses paroles et de ses actions, serait insensé de s'attacher encore aux . biens de ce monde, à ses joies ou à ses tristesses. L'attente de ce jour terrible peut seule occuper sagement son esprit.

Jésus- Ch rist a dit : Si quelqu'un vient avec moi, et ne hait point son père et sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple; et celui qui ne porte pas sa croix, et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. (Luc. XIV, 26, 27.) Vous, cependant, vous recherchez les plaisirs de la chair, et les délicatesses d'une vie molle et efféminée. Le Seigneur est proche, nous dit l'Apôtre, ne vous inquiétez donc de rien (Phil. IV, 5, 6); et la soif des richesses tourmente votre âme ! Le royaume des cieux approche; et vous n'ambitionnez que le luxe de la table, les vastes palais et toutes les jouissances de la vie ! La figure de ce monde passe; et, oublieux des biens de l'éternité, vous vous fatiguez à ramasser ceux de la terre ! Oui, bientôt il n'y aura pour tous les hommes ni mariage, ni famille, ni plaisirs de la chair, ni union conjugale; bientôt s'évanouiront leurs trésors et leurs possessions; et les arts eux-mêmes, l'agriculture, le commerce et la navigation disparaîtront sous les ruines de nos demeures et de nos cités. La face de l'univers sera renouvelée, et tout ce qui est mortel périra, car la figure de ce monde passe. Pourquoi donc, comme si la vie de la terre devait être éternelle, nous consumer inutilement pour acquérir des biens que peut-être nous quitterons avant la fin du jour? Pourquoi préférer le travail et la fatigue au calme et au repos que Jésus- Ch rist nous promet? N'est-ce pas lui qui nous dit par la bouche de l'Apôtre : Je veux que vous soyez sans inquiétudes; celui qui n'est point marié s'occupe du soin des choses du Seigneur ? (I Cor. VII, 32.)

74. Mais l'Apôtre, direz-vous, ne nous délivre d'une inquiétude que pour nous plonger dans une autre. — Et moi, je vous assure que s'inquiéter pour le ciel c'est une inquiétude bien douce, de même que souffrir pour Jésus- Ch rist est une aimable souffrance. Sans doute, nous souffrons, car nous restons hommes; mais l'ardeur de l'esprit surmonte les répugnances de la nature, et nous fait aimer la souffrance: Il est juste de nommer inquiétude l'acquisition pénible d'un bien que peut-être nous ne posséderons jamais, ou du moins dont nous ne jouirons que quelques instants; mais est-il raisonnable d'appeler de ce nom le travail qui nous procure des fruits certains et immortels? Au reste, telle est ici la différence de la paix et du succès, que la possession du ciel nous devient mille fois plus aisée et plus facile que celle de toutes les jouissances de la terre. Il est inutile d'en réitérer la preuve, et il suffit de répéter avec l'Apôtre : Celui qui n'est point marié, s'occupe du soin des choses du Seigneur; et celui qui est marié s'occupe du soin des choses du monde (I Cor. VII, 32, 33). Or, le monde passe, et Dieu est éternel. Cela ne suffit-il pas pour démontrer l'excellence de la virginité, puisqu'elle s'élève au-dessus du mariage autant que Dieu lui-même est supérieur à sa créature? Comment donc l'Apôtre permet-il un état qui nous rive à mille inquiétudes, et nous éloigne du salut? il le permet sans doute, mais il veut que ceux mêmes qui ont des épouses soient comme s'ils n'en avaient.pas, afin que dans tous les temps les époux puissent conserver quelque liberté. Et en effet si le lien conjugal est indissoluble, il n'est point défendu de le rendre moins dur. C'est ce qui arrive quand les époux retranchent généreusement ces mille inquiétudes que notre lâcheté ajoute à celles qui sont inhérentes au mariage.

75. Voulez-vous mieux comprendre encore ces paroles de l'Apôtre: avoir une épouse et vivre comme si l'on n'en avait pas? Examinons ensemble la conduite de l'homme qui s'est voué à la sainte virginité : il s'inquiète peu d'acheter de nombreux esclaves, d'amasser des trésors , de réunir de riches parures, de bâtir des palais magnifiques, et d'agrandir ses vastes domaines ; il dédaigne toute cette vaine opulence : un simple vêtement, et une nourriture commune suffisent à son bonheur. Or, l'homme marié peut imiter cette sage tempérance, car ce précepte de l'Apôtre : Ne vous refusez point l'un à l'autre, ne concerne que le devoir du mariage; et c'est seulement en ce point que les deux époux sont soumis l'un à l'autre. Mais pour ce qui regarde l'habillement, la nourriture et mille autres détails de la vie, chacun demeure entièrement libre. Ainsi l'époux peut, sans l'agrément de son épouse , (166) s'abstenir de vivre délicatement, et de s'occuper d'une multitude de soins superflus. Rien non plus n'oblige une femme à aimer la parure, la vaine gloire, à porter le joug de mille préoccupations frivoles. J'ajoute qu'ici le langage de l'Apôtre est juste et légitime, parce que la nature exige l'accomplissement du devoir conjugal : c'est pourquoi cet acte est privilégié et commandé, de sorte qu'un dés époux n'a pas le droit d'en priver l'autre; mais la paresse seule et la mollesse, et non la nature, enfantent l'amour des plaisirs, la recherche du vêtement et les mille frivolités du luxe. Aussi dans toutes ces choses les époux sont-ils indépendants l'un de l'autre. Etre marié, et se conduire comme si on ne l'était point, c'est donc s'épargner tous les soucis qu'exigent la parure et la sensualité d'une femme, et se borner aux soins raisonnables d'un modeste entretien et d'une table frugale; et l'Apôtre lui-même nous explique sa pensée quand il ajoute : Que ceux qui pleurent, soient comme s'ils ne pleuraient pas; et ceux qui jouissent de grandes richesses, comme s'ils n'en jouissaient pas. (I Cor. VII, 30.) Et en effet celui-là ne recherche pas les biens de la terre, qui n'y place point son estime, ni ses complaisances; et il ne craint point la médiocrité, ni même l'indigence, celui qui ne pleure point la perte de sa fortune.

Il est facile maintenant de saisir le sens de cette parole: Que ceux qui sont mariés, soient comme s'ils ne l'étaient pas. Elle signifie qu'ils doivent user des choses de ce monde, et n'en pas abuser: L'homme marié est contraint de s'en occuper. Sans doute la virginité, pas plus que le mariage, n'est exempte de peines et de sollicitudes; mais dans le mariage elles sont inutiles et superflues, souvent même dangereuses et funestes, car l'Apôtre dit que les époux souffriront des tribulations dans leur chair. Celles au contraire qui accompagnent la virginité produisent des biens infinis. N'est-il point sage dé choisir un état, où les peines sont et plus légères en elles-mêmes, et plus magnifiquement récompensées ? Quelles sont en effet les préoccupations d'une vierge ? Le soin de surveiller ses revenus , ses esclaves , ses intendants , ses cuisiniers et ses fournisseurs? Nullement: elle s'est délivrée de tous ces soucis. Serait-ce le soin de friser artistement ses cheveux, de les orner d'or et de pierreries, et de relever l'éclat de son visage par des pâtes odorantes? (I Tim. II, 9.) Nullement encore: elle ne songe qu'à pa

rer de vertu et de piété le temple saint de sol corps et de son coeur. (I Cor. III, 17.) Mais le femme mariée s'occupe de plaire à son mari (I Cor. VII, 34.) Et admirez ici la sagesse de l'Apôtre : il évite de descendre dans le détail de toutes les souffrances auxquelles ce soin de plaire soumet le corps et l'esprit; il faut contrarier l'un, le parfumer et le torturer de mille manières, et il faut façonner l'autre à l'avarice et à la flatterie, au mensonge et à la dissimulation , et à mille pensées aussi fatigantes qu'inutiles. Toutes ces misères, l'Apôtre les indique d'un seul mot, et il nous laisse le soin de les approfondir, il lui suffit d'avoir constaté l'excellence de la virginité ; et parce qu'il l'a exaltée au-dessus du mariage, il craint qu'on ne le soupçonne d'en faire une obligation. C'est pourquoi après avoir déjà dit: Quant aux vierges, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, et encore : Si une fille se marie, elle ne pèche pas, il ajoute : Je ne vous dis pas ceci pour vous tendre un piège. (I Cor. XXV, 28,35.)

76. Peut-être vous étonnez-vous de ce langage : en effet l'Apôtre nous a précédemment représenté la virginité comme un état de liberté, et il nous l'a conseillée dans nos propres intérêts; il nous a dit qu'elle nous délivrerait de mille peines et de mille inquiétudes; il nous en a indiqué les avantages et la facile exécution, et voilà qu'il ajoute : Je ne vous dis pas ceci pour vous tendre un piège. Eh quoi ! la virginité serait un piège ? à Dieu ne plaise ! Ce mot ne porte que sur la contrainte et la violente qui nous y engageraient, et ce serait alors vraiment un piège, puisque les choses les plus faciles nous deviennent extrêmement pénibles, quand nous ne les faisons que par force. C'est alors un véritable supplice, c'est un cordon qui nous étrangle. Aussi l'Apôtre ajoute-t-il : Je ne vous dis pas ceci pour vous tendre un piège. C'est comme s'il disait : je vous ai montré toute l'excellence de la virginité, je vous en ai expliqué tous les avantages , et maintenant vous êtes libres de la choisir, ou de la rejeter. Je vous l'ai conseillée non pour vous y contraindre et vous faire violence, mais parce que j'ai craint que votre vertu ne vînt à se briser contre les écueils du monde. Et admirons encore ici la sagesse de l'Apôtre. Il joint l'exhortation à la prière, et le conseil à la permission. Car après avoir dit : Je ne force point, mais j'exhorte, il ajoute un mot qui montre l'excellence et la beauté de la (167) virginité, et le grand avantage qu'on y trouve pour mener une vie selon Dieu , en vue de l’assiduité au service de Dieu, assiduité précieuse que permet la virginité, et que le mariage rend impossible. Comment une femme mariée pourrait-elle ne s'occuper que de Dieu, au milieu des soins multipliés que réclament son mari, ses enfants et les diverses obligations du mariage ?

77. Mais une vierge doit-elle tant redouter de s'immiscer dans les affaires du monde? Oui, car elle cesserait d'être vierge. La virginité est une fleur précieuse qui demande pour s'épanouir et se conserver la chasteté de l'esprit plus encore que celle du corps. Or, cette chasteté n'embrasse pas seulement tout renoncement aux plaisirs de la chair, aux futilités de la parure, et aux désirs du monde, mais aussi l'exemption pleine et entière de tous les embarras du siècle. Autrement à quoi servirait la chasteté du corps? s'il est honteux pour un soldat de quitter son poste, et de s'attabler dans une taverne, il n'est pas moins inconvenant pour une vierge de se plonger dans le chaos des affaires. Telles furent ces vierges folles qui tenaient leurs lampes, et qui avaient conservé leur virginité : double précaution qui leur fut inutile, car la porte du festin nuptial ne s'ouvrit point à leurs prières, et elles périrent misérablement. C'est que le principal mérite de la virginité est de nous enlever à toute préoccupation vaine et superflue, pour concentrer en Dieu seul notre temps et notre zèle. S'il n'en était ainsi, la vierge chrétienne serait au-dessous de la femme mariée, et les épines étoufferaient dans son coeur la semence divine.

78. Si quelqu'un, poursuit l'Apôtre, croit qu'il est honteux pour lui que sa fille passe sa jeunesse sans être mariée, et qu'il juge la devoir marier, qu'il fasse ce qu'il voudra, il ne pèche point si elle se marie. (I Cor. VII, 36.) — Eh quoi ! vous donnez à ce père toute latitude, et loin de l'éclairer sur son erreur, vous lui permettez d'en suivre les fausses lumières ! Pourquoi ne pas lui dire : celui qui se croit déshonoré par le célibat de sa fille est véritablement malheureux, puisqu'il regarde comme une honte ce qui devrait faire sa gloire? Pourquoi ne pas l'aider de vos conseils, et le dissuader de marier sa fille? mais les Corinthiens, me répond l'Apôtre, étaient encore faibles et attachés aux biens de la terre. Aussi n'eussent-ils pu goûter mes conseils au sujet de la virginité. Comment convaincre l'homme qui se préoccupe des soins de ce monde, et qui s'enthousiasme des prospérités de la vie au point d'estimer vil et honteux un état qui est au-dessus de tout éloge, qui nous rapproche des anges, et qui nous mérite le ciel?

Mais ne nous étonnons point de cette condescendance de l'Apôtre dans une chose permise, puisque nous la retrouvons dans une autre plus grave et contraire à la loi. Le choix des viandes et leur distinction en viandes pures et impures dénotaient chez les Juifs, et même chez quelques chrétiens de Rome, une foi faible et peu éclairée. Cependant l'Apôtre ne les condamne pas. Que dis-je ? il semble oublier leur faute, tant il blâme vivement leurs sévères censeurs. Pourquoi, leur dit-il, jugez-vous votre frère? (Rom. XIV, 10.) Mais quand il écrit aux Colossiens, ce n'est plus le même langage c'est un maître qui parle avec autorité : Que personne, dit-il, ne vous condamne pour le manger, ou pour le boire; car si vous êtes morts avec Jésus- Ch rist à ces premiers éléments du monde, pourquoi vous en faites-vous encore des lois, comme si vous viviez dans le monde ? Ne touchez point, vous dit,-on, ne goûtez point, ne mangez point. Cependant les choses que l'on vous défend, se détruisent par l'usage même que l'on en fait. (Col. II, 16, 20, 21.) D'où provient donc cette différence dans la parole et la conduite de l'Apôtre ? c'est que les uns étaient affermis dans la foi, tandis que les autres avaient besoin d'indulgence et de ménagements. La prudence lui commandait d'attendre que la piété eût jeté dans leurs âmes de profondes racines; il pouvait craindre qu'en arrachant trop tôt l'ivraie, il ne déracinât aussi le bon grain. C'est pourquoi sans les blâmer sévèrement, il ne laisse point de les reprendre indirectement. Sans doute il impose silence à leurs téméraires censeurs par cette vive apostrophe: Qui êtes-vous pour condamner le serviteur d'autrui? s'il tombe, bu s'il demeure ferme, cela regarde son maître. (Rom. XIV, 4.) Mais par le fait même il réveille également l'attention de celui qui est censuré, et il lui montre qu'une volonté faible et inconstante peut seule attacher quelque importance à ces minuties. Son esprit est donc encore chancelant dans la foi et la religion; aussi s'il ne se tient ferme, court-il risque de tomber.

Il observe ici ces mêmes ménagements à l'égard de ceux qui seraient encore assez (168) faibles pour rougir de la virginité : il ne les condamne pas directement, mais les éloges qu'il donne au père qui conserve sa fille vierge sont une censure indirecte de leur lâcheté : Celui, leur dit-il, qui prend une ferme résolution dans son coeur. Cette première parole trace déjà toute une ligne de démarcation entre le chrétien ferme et généreux, et celui qui compte trop légèrement sur ses propres forces, et qui oublie que ses pas sont encore faibles et mal assurés. Mais parce qu'il sait bien que ce reproche a été compris, et qu'il a produit une vive impression, il s'efforce d'en atténuer la force par une légitime excuse: Celui, dit-il, qui sans nécessité, et pouvant faire ce qu'il voudra, prend une ferme résolution dans son coeur, et juge qu'il doit conserver sa fille vierge, fait bien. Il semble qu'il eût dû dire : Celui qui prend une ferme résolution, et qui ne rougit pas de la virginité. Mais cette seconde parole eût paru trop tranchante. Il lui en substitue donc une autre plus douce, et moins rigoureuse. Il nous suggère lui-même un prétexte plausible de préférer le mariage. Et en effet, il y a bien moins de mal à se marier par nécessité que par honte et dégoût de la virginité. Dans le premier cas, on montre, il est vrai, peu de courage et d'énergie; mais dans le second on fait preuve d'un manque de jugement et de bon sens. Aussi quelle prudence dans le silence de l'Apôtre ! Vous n'ignorez pas qu'il vous est interdit d'entraver la vocation de la vierge qui veut se consacrer à Dieu. Vous devez au contraire lui aplanir toutes les difficultés qui s'opposeraient à son noble dessein. Car Jésus- Ch rist a dit : Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi. (Matth. X, 37.) Ainsi lorsque la volonté de Dieu nous est connue, quiconque voudrait s'y opposer, fût-il notre père, ou notre mère, devient, à notre égard, un adversaire et un ennemi.

C'est donc par indulgence pour la faiblesse des Corinthiens que l'Apôtre dit : Celui qui sans nécessité, et pouvant faire ce qu'il voudra. Ce second membre de phrase n'est en réalité que la répétition du premier; mais saint Paul se complaît à répéter sa pensée, et comme à nous réitérer la permission de nous marier. Il console ainsi de plus en plus notre faiblesse et notre déshérence. Il produit même un nouveau motif d'excuse; il ajoute : Celui qui prend une ferme résolution dans son coeur; car il ne suffit pas d'être libre; il faut encore se déterminer à un choix, et alors seulement on a bien fait. Cependant comme on pourrait abuser de son extrême indulgence, en pensant qu'il place sur la même ligne le mariage et la virginité; il se hâte d'en marquer la différence, timidement, il est vrai, mais avec netteté. Celui, dit-il, qui marie sa fille, fait bien, et celui qui ne la marie point, fait encore mieux; mais en quoi consiste ce mieux? L'Apôtre le tait par prudence et par discrétion : et si vous désirez le savoir, écoutez cet oracle du Sauveur : Les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. ( Matth. XXII, 30.) Voyez-vous maintenant, et quelles limites séparent ces deux états, et à quelle hauteur la virginité vraie et sincère élève une faible créature ?

79. En effet, en quoi différaient des anges Elie, Elisée et Jean-Baptiste, ces héros de la virginité, si ce n'est en ce qu'ils étaient soumis à la mort? En tout le reste, vous ne découvrirez rien d'inférieur, quelque exactes que soient vos recherches , et leur mérite s'augmente même de toute l'inégalité de notre nature. Oui, vivant sur la terre, et soumis aux dures lois de l'humanité, ils n'ont pu atteindre cette sublimité de vertu, sans un héroïque courage et une énergique volonté. Or, qui peut nier qu'ils ont dû leur perfection à la virginité? Avec une épouse et des enfants eussent-ils été libres d'habiter les déserts, d'abandonner les cités, et de renoncer à tous les soins de la vie? Mais dès qu'ils eurent brisé ces chaînes, ils vécurent sur la terre, comme les anges du ciel, ne recherchant aucune des commodités de l'existence, ni palais, ni abri, ni couche, ni table. Le ciel était leur abri, la terre nue leur lit, et la solitude leur table. La stérilité même du désert, qui nous effraie tant par la crainte d'y mourir de faim, fournissait abondamment à tous leurs besoins. Sans doute la vigne ne leur présentait point ses grappes fécondes, ni la moisson ses gerbes nourrissantes; mais les fontaines, les ruisseaux et les fleuves leur versaient un délicieux breuvage; et un ange apportait à l'un d'eux un pain miraculeux, et bien plus exquis que le nôtre : Un seul pain, dit-il, suffit à me préserver de la mort pendant quarante jours. (III Rois, XIX, 8.) Nous savons encore que souvent la grâce de l'Esprit-Saint soutint Elisée et ses disciples par un prodige non moins étonnant; et (169) Jean-Baptiste lui-même, le premier de tous les prophètes, et le plus grand parmi les enfants des femmes, ne connut jamais la nourriture ordinaire de l'homme. Etranger à tout usage du pain, du vin et de l'huile, il ne se nourrissait que de sauterelles et de miel sauvage. Voilà les vrais anges de la terre; et voilà jusqu'où s'étend la puissance de la virginité. Elle fait que l'homme, pétri de chair et de sang, et soumis ici-bas aux dures lois de l'humanité, dépouille, pour ainsi dire, sa mortalité, et semble déjà habiter dans les cieux, tant il reflète dans toute sa conduite les splendeurs de l'immortalité.

80. Ces héros de la sainte virginité dédaignaient ces biens réellement superflus, le plaisir et les richesses, la gloire et tous les rêves d'un bonheur terrestre; et ils méprisaient même ces autres biens que nous- estimons indispensables, les habitations, les villes et les divers produits des arts. C'est ce que l'Apôtre entend par cette sainteté et cette ardeur soutenue, qui sont l'apanage exclusif , de la virginité. S'il est beau et s'il est glorieux de maîtriser les désirs des sens, et de comprimer l'effervescence des passions, il est vraiment admirable de persévérer dans une vie de ce genre. Sans cela, la vertu demeure stérile, et ne peut opérer le salut. Nous le voyons tous les jours dans le nombre infini de ceux qui ne sont véritablement vierges que de nom, tant ils se rapprochent peu d'Elie, d'Elisée et de Jean-Baptiste; ils en sont plus éloignés que la terre ne l'est du ciel. Reconnaissons donc que toute virginité qui ne s'appuie pas sur une sainteté soutenue, et une ardeur constante, s'affaiblit bientôt et dégénère; mais avouons aussi qu'avec l'aide de ces deux vertus, elle devient le germe et la source de tous les biens. L'arbre grandit et se développe, quand les racines plongent dans un sol vigoureux et fertile; et de même la virginité, plantée pour ainsi dire dans une vie vertueuse, produit des fruits admirables de sainteté. C'est à une vie pénitente et crucifiée qu'elle demande sa force et son accroissement ; et c'est cette vie elle-même qui imprima à ces saints prophètes un si généreux essor. Elle dégagea leurs pieds de toute entrave, et leur donna des ailes pour s'envoler aux cieux. Combien la pauvreté devient facile et légère quand on n'a ni une épouse à soigner, ni des enfants à élever; et combien cette même pauvreté nous rapproche du ciel, en nous délivrant de toute crainte , de tout péril et de toute inquiétude !

81. Le pauvre fait aussi peu de cas des richesses que s'il les possédait réellement; et il parle avec une sainte liberté aux magistrats, aux grands, et au prince lui-même. Quiconque méprise les biens de ce monde, ne peut redouter beaucoup la mort; supérieur à tous, il ne craint personne, et il s'exprime toujours en toute hardiesse. Celui au contraire qui se préoccupe d'entasser l'or et l'argent, se rend esclave de la fortune, de la gloire, de l'honneur, de l'existence et de tous les divers besoins. C'est pourquoi l'Apôtre dit que l'avarice est la racine de tous les maux. (I Tim. VI, 10.) Eh bien l la virginité est assez puissante pour arracher cette racine mauvaise, et la remplacer par le germe fécond de toutes les vertus. Liberté, confiance, force, zèle, ferveur, amour du ciel, et mépris de la terre, nommez une vertu qu'elle ne développe dans la sainteté et la constante ardeur de la foi.

82. Mais ici quelques sages me diront : quoi ! Abraham a eu une épouse, des enfants, des richesses, des troupeaux, des possessions, et Jean le précurseur, et Jean l'évangéliste, vierges l'un et l'autre, non moins que Pierre et Paul, ces deux modèles de continence, se réjouissent de reposer en son sein ! — Eh ! qui vous l'a révélé, mon cher ami? quel prophète ou quel évangéliste? — Jésus- Ch rist lui-même, me répondrez-vous. Voyant la foi du centurion, il lui dit : Plusieurs viendront de l'orient et de l'occident, et ils se reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob. (Matth. VIII, 2.) Vous pourriez même ajouter que le mauvais riche vit Lazare glorifié dans le sein de ce patriarche. Mais où est-il parlé de Paul, de Pierre et de Jean? Lazare n'est pas plus Paul ou Jean, que ces hommes de l'orient et de l'occident ne sont le collége apostolique. Votre objection tombe d'elle-même : et si vous voulez savoir quelle sera la récompense particulière des apôtres, écoutez cette parole du divin Maître : Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël. (Matth. XIX, 28.) Cette gloire est bien au-dessus de celle que possède Abraham, et jamais ni lui-même, ni ses enfants, ni aucun de ceux qui lui seront réunis, ne pourront y atteindre. Les paroles alléguées ne concernent point les apôtres; elles prouvent seulement que plusieurs venus de l'orient (170) et de l'occident, partageront la récompense d'Abraham, et reposeront en son sein avec Isaac et Jacob. Mais ces trônes resplendissants sont réservés aux seuls apôtres.

Et vous viendrez encore me parler de mariage, de famille, de troupeaux et de possessions? - Pourquoi pas, puisque le sein d'Abraham est le repos que les vierges souhaitent comme récompense de leurs travaux. — Et moi, je vais plus loin, et je vous dirai que même parmi les vierges, plusieurs n'obtiendront ni cette récompense, ni aucune autre, mais seront à la suite des vierges folles, exclues du festin, et précipitées dans les flammes de l'enfer. — Le mariage vaut donc la virginité, direz-vous encore, et même l'exemple que vous citez lui assure la supériorité, puisque Abraham marié est dans les délices, et que les vierges folles sont dans les tourments. Cette conclusion n'est-elle pas juste?-Non; elle est fausse; et la virginité, loin d'être au-dessous du mariage, lui est bien supérieure. Comment cela? c'est qu'Abraham ne doit pas son bonheur au mariage, ni les vierges folles leur malheur à la virginité. Celui-ci est glorieux au ciel, parce qu'il fut vertueux, et celles-là sont malheureuses, parce qu'elles furent coupables. L'un au milieu des embarras du mariage cultiva les heureux fruits de la virginité, la sainteté, et la constance du zèle; et les autres parmi le calme et la sérénité de leur saint état, firent naufrage contre les écueils de la vie et du mariage. — Mais cette sainteté constante et soutenue, est-elle donc aujourd'hui incompatible avec le mariage, la famille et les richesses? —  Oui, parce qu'on ne saurait trouver un second Abraham, ni même quelqu'un qui en approche. Quoique riche et marié, il sut mépriser les richesses, et dompter ses passions bien mieux que ceux qui font les veaux de pauvreté et de chasteté. Il n'est pas rare de rencontrer des vierges qui brûlent de feux impurs, et Abraham avait si entièrement éteint la flamme des sens et du plaisir que non-seulement il respecta la couche de sa concubine, qu'il l'éloigna même de sa maison pour ôter tout sujet de dispute et de dissension. Où trouver aujourd'hui de pareils exemples?

83. Au reste, il n'est pas inutile de répéter ici que Dieu demande de nous plus de perfection qu'il n'en exigeait sous la loi ancienne. Aujourd'hui, pour être parfait, il faut vendre tous ses biens, quitter les plus somptueux palais, et se renoncer soi-même. Du temps d'Abraham, il fallait moins de sacrifices. — Eh quoi ! Vivons-nous donc plus saintement qu'Abraham? - Nous le devrions; et Dieu nous l'ordonne. Mais, loin de le faire , nous ne le suivons qu'à un immense intervalle. Toutefois il n'est pas douteux que nous n'ayons de plus rudes combats à soutenir. L'Ecriture remarque, en louant Noé, qu'il était juste, moins d'une justice absolue, que d'une justice relative à son époque. Noé, dit-elle, homme juste et parfait pour son siècle, fut agréable à Dieu. (Gen. VI, 9.) Il est donc vrai que les degrés de la perfection s'élèvent ou s'abaissent selon la diversité des temps, et que ce qui fut parfait autrefois, ne l'est plus aujourd'hui. Le juif qui accomplissait les préceptes de la loi était parfait, puisqu'il y trouvait la vie. Mais Jésus- Ch rist nous enseigne une bien plus haute perfection, quand il nous dit : Si votre justice n'est plus parfaite que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. (Matth. V, 20.) L'homicide seul était alors condamné, aujourd'hui la colère et l'injure nous rendent passibles des feux éternels. L'adultère seul était réprouvé par la loi ancienne; aujourd'hui l'Evangile réprime même un regard indiscret. Alors le parjure seul était défendu, et aujourd'hui il nous est interdit même d'affirmer avec serment : Tout ce qu'on ajoute, dit Jésus- Ch rist, à ces simples mots, oui et non, est mal. (Matth. V, 37.) Enfin, le Juif n'était tenu qu'à aimer ceux qui l'aimaient; mais le chrétien qui se bornerait à ce sentiment de réciprocité, sentiment qui paraissait alors si beau et si parfait, ne serait lui-même que bien imparfait, et ne s'élèverait point au-dessus d'un publicain.

84. Pourquoi donc une seule et même récompense est-elle réservée aux justes de l'antienne et de la nouvelle alliance ? Pourquoi plus d'efforts de vertus ne nous obtiennent-ils pas un plus grand bonheur? C'est que la grâce de l'Esprit-Saint s'est répandue plus abondamment, que l'avènement de Jésus- Ch rist a été un insigne bienfait, et que d'enfants, l'Evangile nous a fait devenir hommes. Nous demandons nous-mêmes plus à l'adolescence qu'au jeune âge, et nous blâmons dans l'homme mûr ce que nous avions approuvé dans l'enfant, parce que nos obligations croissent avec les années. De même, lorsque l'homme était encore dans l'enfance des premiers siècles, Dieu n'en exigeait (171) que de faibles sacrifices. Mais depuis qu'il a entendu la voix des prophètes et des apôtres, et reçu l'effusion des dons célestes, le Seigneur lui a commandé une vertu plus haute et plus élevée. C'était justice; les promesses sont plus magnifiques et la récompense plus belle. La loi ancienne promettait la terre et les biens de la terre; l'Evangile nous assure le ciel et ses ineffables délices. D'ailleurs ne rougirions-nous pas de conserver dans la maturité de l'âge les sentiments et la conduite de notre première enfance? La nature humaine, dans son enfance, révoltée contre elle-même, soutenait une cruelle guerre intestine; ce sont ces combats que décrit ainsi l'Apôtre : Je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Mais aujourd'hui, ce qui était impossible à la loi, affaiblie par la chair, Dieu l'a fait, lorsqu'ayant envoyé son propre Fils revêtu d'une chair semblable à celle du péché, il a condamné le péché dans la chair. Aussi ajoute-t-il dans le transport de sa reconnaissance : Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? la grâce de Dieu par Jésus- Ch rist. (Rom. VII, 23, 24; VIII, 3.)

C'est donc en toute justice que le Seigneur nous punit, si, rendus à la liberté, nous continuons la vie lâche et oiseuse de l'esclavage. Il ne suffit même pas de quelques efforts pour éviter tout reproche, car nous devons, au sein d'une paix profonde, ériger des trophées bien plus glorieux et plus illustres que ceux des malheureux qu'opprime encore le fléau de la guerre. Et si nous nous préoccupons sans cesse de richesses, de plaisirs, de mariage et de soucis terrestres, quand deviendrons-nous véritablement hommes? quand vivrons-nous de cette vie spirituelle qui se voue au service du Seigneur? Sera-ce après la mort? Mais alors le temps des épreuves et des combats sera passé, et celui des récompenses ou des châtiments commencera; la vierge folle ne pourra acheter l'huile qui lui manque, et elle sera exclue de la salle du festin : celui qui sera entré sans avoir la robe nuptiale, ne pourra la prendre, et il sera jeté dans les flammes de l'enfer : en vain implorerait-il Abraham, sa prière serait inutile. Le jour fatal est donc arrivé, le tribunal est dressé, le juge s'avance, et sous ses pieds coule un fleuve de feu. Il faut rendre compte de notre conduite, et, bon gré mal gré, subir incontinent la peine de nos péchés; il ne nous est plus donné de les racheter, nulle intercession ne saurait nous délivrer, fût-ce l'intercession des plus grands saints. Oui, Noé, Job et Daniel ne pourraient eux-mêmes sauver leurs fils ou leurs filles : il faudra nécessairement que les réprouvés commencent leurs supplices éternels, et les justes leur bonheur immortel. Au reste, rien de plus formel que la parole de Jésus- Ch rist sur l'éternité du ciel et de l'enfer. Après avoir loué les bons placés à sa droite, condamné les méchants placés à sa gauche, il clôt ainsi l'acte du jugement général : Ceux-ci iront aux supplices éternels, et les justes à la vie éternelle. (Matth. XXV, 46.) Il nous importe donc de mettre activement la main à l'oeuvre, en sorte que l'homme marié vive comme s'il ne l'était pas, et que la vierge rehausse sa virginité par l'éclat des autres vertus chrétiennes. C'est ainsi qu'après la mort nous n'aurons pas à répandre des larmes inutiles.

 

(Traduit par l'abbé J. DUCHASSAING.)

 

Haut du document