LA LUMIERE INTERIEURE

Chapitre III

    Abandonner la direction de notre vie à la Lumiere intérieure, ce n'est pas seulement - comme on le croit trop souvent -nous sentir appelés à des tâches spéciales. C'est, en premier lieu, nous livrer à une révision totale de nos réactions envers le monde extérieur. En adorant Dieu dans la lumière, nous devenons "de nouvelles créatures" : nos réactions à notre milieu sont entièrement nouvelles, surprenantes. Elles ne sont pas raisonnées : ce sont, pour la plupart, des réactions spontanées, nées de l'incompatibilité qui nous frappe entre les jugements de valeur portés par le "monde" et la Valeur suprême que nous adorons dans les profondeurs du Centre. De la Lumière intérieure il nous vient, en effet, un enseignement général, aussi bien que des enseignements particuliers. L'illumination provenant du niveau profond éclaire les jugements formés au niveau superficiel : "les choses anciennes sont passées ; voici que toutes choses sont devenues nouvelles ".

    Cet enseignement général suit à la fois deux directions opposées. Il nous détache des affections et des ambitions terrestres - contemptus mundi. Et il nous anime d'une sollicitude divine, mais douloureuse, pour le monde - amor mundi. Dieu arrache le monde de notre cœur, déliant les chaînes qui nous y attachaient, et il précipite le monde dans notre cœur, où Lui et nous le portons ensemble avec un amour infiniment tendre.

    Aujourd'hui, on accepte plus volontiers le second courant que le premier dont on craint qu'il nous engage à nous retirer du monde, à le fuir. Nous avons peur de nous complaire à une extase de sensualisme religieux et de fermer les oreilles aux cris d'un monde en détresse. Et certaines pages d'histoire renforcent nos craintes.

    Mais il est un contemptus mundi sain et justifié, que la Lumière intérieure fait naître dans les âmes, entièrement consacrées. Combien les situations en vue, les cimes les plus élevées de la considération sociale, que nous nous proposions jadis d'atteindre, nous semblent maintenant mesquines et triviales. Anciennes ambitions... rêves d'héroïsme... Que d'années nous avons perdues à nourrir notre insatiable vanité, alors que, seule, Sa volonté importe ! Nos richesses et nos possessions, notre sécurité d'aujourd'hui et la sécurité de notre vieillesse.. sur quels roseaux brisés nous nous sommes appuyés, alors que Dieu " sera toujours le rocher de notre cœur, notre partage ".

    Mais une fois éclairés sur ce point nous envisageons les appréciations, les valeurs terrestres avec une sainte indifférence, un détachement complet.

    Sommes-nous placés dans une situation enviable ou comblés d'honneurs ? " Nous regardons ces choses comme une perte ", elles n'existent même pas.

    Sommes-nous, au contraire, placés dans l'ombre ? Nous nous estimons heureux de ramasser un brin de paille pour l'amour de Dieu. Aucune tâche n'est assez humble pour nous rebuter, aucun honneur assez élevé pour nous tourner la tête.

    Dans les moments où un sentiment d'ineffable intimité avec Dieu nous est accordé, ce détachement nous est facile A ces heures-là, que ne quitterions-nous pas pour Lui ? En Lui, que signifient honneur ou déshonneur, richesse ou indigence ? Pour certains, à des heures différentes, le contemptus mundi fait plutôt l'effet d'une obligation intellectuelle, d'une épée de Damoclès suspendue sur leur tête ; il n'est pas devenu la joyeuse libération qui accompagne la pauvreté absolue. D'autres, enfin, s'opposent au détachement, le rejettent comme absurde ou inutile : ils souhaitent de s'attacher à Dieu, mais ils ne veulent pas l‚cher Mammon.

    Cet attachement contradictoire détruit complètement la vie spirituelle. Jésus-Christ a des exigences totalitaires. Aucune parcelle de " nos droits " ne peut être réservée. Les arrangements opportunistes, les compromis entre la fidélité au niveau superficiel et la fidélité au Centre ne sont pas viables. A moins d'être prêts à nous laisser dépouiller des derniers lambeaux de notre dignité, du dernier de nos espoirs terrestres, et à louer Dieu malgré tout, nous n'avons pas de message à apporter à notre monde de déracinés, de " réfugiés" - au sens matériel et au sens spirituel - nous n'avons pas suivi les enseignements du Moniteur intérieur.

    Mais il est beaucoup plus difficile d'atteindre au détachement complet que d'y viser. Dissimulées sous des " rationalisations ", il est des restrictions inavouées qui nous échappent. Si nous voulons être absolument sincères, nous n'avons qu'une chose à faire, nous tenir constamment devant la Présence divine et prier : " Pardonne-moi les égarements que j'ignore". A la lumière pénétrante de l'Eternité, il nous sera peut-être donné d'apercevoir les côtés sombres de notre vie, et de bénéficier de la grâce divine qui renforcera notre volonté de nous abandonner complètement à Dieu. Car rien n'échappe à la Lumière qui dirige notre vie, elle discerne tout, elle est plus pénétrante qu'une épée à deux tranchants. Dieu demande tout, mais Il donne tout.