LE MINISTÈRE DE L'HOMME ESPRIT

PREMIÈRE PARTIE

De la Nature

L'intelligence humaine, à force de ne se fixer que sur les choses de l'ordre externe, dont elle ne parvient pas même à se rendre un compte qui la satisfasse, se ferme bien plus encore sur la nature de son être, que sur celle des objets visibles qui l'environnent ; et cependant, dès que l'homme cesse un instant de porter ses regards sur le vrai caractère de son essence intime, il devient bientôt entièrement aveugle sur l'éternelle source divine dont il descend, puisque si cet homme, ramené à ses éléments primitifs, est le témoin par excellence et le signe positif par lequel cette source suprême et universelle puisse être connue, elle doit s'effacer de notre esprit, dès qu'on fait disparaître le véritable miroir qui ait la propriété de nous la réfléchir.

Quand ensuite de louables écrivains et d'estimables défenseurs de la vérité veulent essayer de prouver qu'il y a un Dieu, et déduire de son existence toutes les conséquences qui en résultent, ne trouvant plus cette âme humaine assez régulièrement harmonisée pour leur servir de témoignage, ils se reportent sur la nature et sur des spéculations puisées toutes dans l'ordre externe. C'est pour cela que dans nos siècles modernes, nombre d'excellents esprits ont employé toutes les ressources de la logique, et ont mis à contribution toutes les sciences extérieures, pour tâcher d'établir solidement l'existence de la Divinité ; et cependant, malgré ces nombreux témoignages, jamais l'athéisme n'a eu plus de vogue et n'a autant étendu son empire.

Ce serait donc déjà une grande gloire pour notre espèce, comme ce serait une grande sagesse dans la Providence, que toutes les preuves prises dans l'ordre de ce monde fussent si défectueuses. Car si ce monde avait pu nous offrir des témoignages complets de la Divinité, elle se serait contentée de ce témoin ; et elle n'aurait pas eu besoin de créer l'homme. En effet, elle ne l'a créé que parce que l'univers entier, malgré toutes les magnificences qu'il étale à nos yeux, n'aurait jamais pu manifester les véritables trésors divins.

Aussi quelles autres couleurs on remarque dans les arguments des grands écrivains, défenseurs de l'existence de Dieu, lorsqu'ils prennent pour preuve et pour base de leurs démonstrations cet homme lui-même, sinon tel qu'il est, au moins tel qu'il devrait être ! Leurs témoignages acquièrent alors une force réelle, une abondance et une plénitude qui satisfait à la fois toutes nos facultés. Ces témoignages qu'ils puisent dans l'homme, sont doux et semblent nous parler le langage de notre propre nature.

Ceux qu'ils puisent dans l'ordre externe de ce monde sont froids et secs, et paraissent comme un langage à part et dont il nous faut faire une laborieuse étude : d'ailleurs, plus ces témoignages froids et secs sont décisifs et péremptoires, plus ils humilient nos antagonistes, et leur font, en quelque sorte, haïr leurs vainqueurs.

Ceux, au contraire, qui sont puisés dans la nature de l'homme, quand même ils obtiendraient une victoire complète sur l'incrédule, ne lui occasionneraient cependant point d'humiliation, puisqu'ils le mettraient à portée de sentir et de partager toute la dignité attachée à sa qualité d'homme.

En outre, celui qui ne serait point subjugué par ces sublimes témoignages, pourrait tout au plus les couvrir quelquefois de ses dérisions ; mais d'autres fois il pourrait bien aussi regretter intérieurement de ne savoir pas atteindre à leur supériorité, et certainement il ne pourrait jamais s'indigner, ni même murmurer contre la main qui les lui aurait présentés ; ce qui est suffisant pour nous montrer avec quel soin nous devrions scruter l'être de l'homme, et constater la sublimité de son essence, pour pouvoir démontrer l'essence divine, puisque après lui, rien dans le monde ne peut nous en offrir une démonstration immédiate.

Aussi, malgré la célébrité des beaux génies qui ont fait la glorieuse entreprise de défendre la Divinité par les simples lois de la nature, il n'y a pas une de leurs démonstrations prises dans cet ordre externe, qui ne laisse quelque chose à désirer, non pas par l'insuffisance de ceux qui les ont avancées, mais par l'ordre nécessairement limité dans lequel ils les ont puisées, et parce qu'elles ne peuvent tout au plus prouver, dans le suprême Agent, que ce qui n'est, pour ainsi dire, que la moins saillante de ses facultés, savoir, la puissance.

Je n'en excepte ni les preuves géométriques de Leibnitz, ni l'axiome fondamental de la mécanique de Newton, ni les raisonnements de Nieuwentyt sur cet axiome, ni les superbes observations d'autres auteurs distingués, soit sur la combinaison des chances à l'infini qui cependant n'opèrent rien, soit sur le mouvement qui, tendant à s'étendre dans tous les sens, est commandé, dans sa direction, par une force supérieure.

Mais je ne choisirai ici qu'un seul exemple de ce genre, et ce sera l'objection de Crouzas, au sujet de la combinaison régulière qui aurait eu enfin son tour dans la suite infinie des temps, et qui dès lors admettrait une infinie régularité dans la confusion, puisque ce serait supposer que toutes les combinaisons différentes à l'infini se seraient succédées par ordre.

L'objection est forte sans doute, et quoiqu'il y ait loin de là au terme où l'on voudrait amener l'incrédule, je suis cependant persuadé qu'elle peut le tenir en échec ; mais en même temps je crois qu'elle ne tire tout son avantage que de la fausse supposition sur laquelle elle repose.

Les incrédules et les athées s'arrêtent peu à cette longue et vague série de combinaisons antérieures à la formation des choses. Leur esprit, qui a besoin de fixer un point de vue plus déterminé, ne s'accommoderait pas longtemps de cet aperçu ténébreux, et qui suppose même déjà quelque pouvoir existant d'où ces séries puissent recevoir leur puissance, leur rang et leur cours.

Aussi ils se portent tout de suite à quelque chose de plus positif, c'est-à-dire, à l'éternité du monde, n'importe même qu'il ait ou non changé plusieurs fois de forme pendant cette longue durée, parce qu'ils ne peuvent admettre l'éternité du monde sans admettre aussi l'éternité de ce mouvement qui est une de leurs ressources, et parce qu'ils veulent la regarder comme la cause opérante de toutes les formes et de tous les phénomènes qui, selon leur système, se sont succédés et se succéderont éternellement dans le monde. Ainsi, se réfugiant, comme ils le font, dans l'idée de l'éternité du monde, toute la série des combinaisons successives ne les atteint plus et manque tout son effet.

Ce ne serait donc plus que sur la nature de ce mouvement prétendu qu'on pourrait les attaquer, et encore ce ne serait pas une chose aisée de les battre sur cet article, parce que tous les mouvements quelconques de cet univers ayant des lois fixes, lors même qu'ils n'ont pas un cours uniforme, pourraient, selon ces incrédules, être une suite du mouvement éternel et primitif, ou être ce mouvement éternel lui-même.

J'avoue cependant qu'il doit leur être extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de concevoir et de nous faire comprendre, comme éternel et sans commencement, ce monde matériel que nous voyons, ainsi que tout ce qui le compose, parce que le premier attribut que nous présente l'idée d'une source éternelle, qui serait Dieu, est celui d'être une chose parfaite : au lieu que ce monde, malgré les merveilles qu'il renferme, nous offre l'idée d'une chose dont la perfection est incomplète et mêlée d'incohérences et d'oppositions très répugnantes, quoique les doctes se soient réduits à nier ces incohérences ou à les dissimuler, quand ils n'ont pas pu les expliquer.

Au reste, ceux qui croient Dieu éternel, seraient-ils plus en état de comprendre cette éternité divine et de la démontrer, s'ils ne s'appuyaient que sur des témoignages pris dans le temps ; et, quelque forte que fût leur persuasion ne seraient-ils pas dans un grand travail, s'ils voulaient, par des moyens aussi inférieurs, porter l'esprit de l'homme au sommet de cette imposante vérité ?

Je pense donc que les incrédules et les athées ne nient pas un principe éternel, mais seulement qu'ils le transposent : ils veulent que ce principe soit dans la matière ; les défenseurs de la vérité veulent qu'il soit hors de la matière. C'est en cela que consiste toute la difficulté, ainsi que je l'ai écrit dans ma Lettre à un ami sur la révolution française.

Mais je crois que pour leur faire adopter le principe divin, éternel et supérieur à l'univers, l'argument tiré des séries infinies des combinaisons est insuffisant, comme étant trop facile à neutraliser de la part de ceux qu'il attaque.

J'en pourrais dire autant de celui tiré des mouvements indéterminés, comparés aux mouvements réguliers que nous présente la marche universelle de tout ce qui se meut dans le monde, puisque ces mouvements indéterminés ne s'offrent jamais à nos yeux.

Enfin j'en pourrais dire autant de celui tiré du mouvement infini en ligne droite que suppose l'axiome de Newton ; car ce phénomène, quoiqu'il ne soit point nié par les mathématiciens, n'existe cependant que métaphysiquement, et il n'y a pas un seul exemple dans la nature, puisque même le moindre projectile ne peut procéder dans son cours sans décrire une parabole.

Je crois donc, je le répète, que pour atteindre le but en question, toutes les ressources tirées de l'ordre de ce monde et de la nature, sont précaires et fragiles.

En effet, comme nous venons de le voir, nous prêtons à ce monde des suppositions, pour arriver à un être fixe et en qui tout est vrai ; nous lui prêtons des vérités abstraites et figuratives, pour établir un être réel et entièrement positif ; nous prenons à témoin des substances non intelligentes, pour monter à un être qui est l'intelligence même ; des substances qui n'aiment point, pour démontrer celui qui n'est qu'amour ; des substances liées dans des limites, pour faire connaître celui qui est libre ; enfin des substances qui meurent, pour expliquer celui qui est la vie.

Ne craignons-nous point qu'en nous livrant à cette imprudente et fragile tentative, nous ne nous remplissions nous-mêmes de toutes les défectuosités inhérentes aux moyens dont nous nous servons, au lieu de démontrer à nos antagonistes tous les trésors de celui que nous voudrions faire honorer ?

Nous allons voir naître de tout ceci une clarté qui pourra paraître extraordinaire, mais qui n'en sera pas moins réelle ; c'est que si l'homme (qui, remarquons-le bien, n'est point de ce monde) est un moyen sûr et direct de démontrer l'essence divine ; si les preuves que nous tirons de l'ordre externe de ce monde, sont défectueuses et incomplètes ; enfin, si les suppositions et les vérités abstraites que nous prêtons à ce monde, sont prises dans l'ordre métaphysique, et n'ont point d'existence dans la nature ; il résulte évidemment que nous ne comprenons rien dans ce monde où nous sommes, que par les lueurs du monde où nous ne sommes pas ; qu'il nous est bien plus facile d'atteindre aux lumières et aux certitudes qui brillent dans le monde où nous ne sommes pas, que de nous naturaliser avec les obscurités et les ténèbres qui embrassent le monde où nous sommes ; qu'enfin, puisqu'il faut le dire, nous sommes bien plus près de ce que nous appelons l'autre monde, que nous ne le sommes de celui-ci.

Il n'est même pas bien difficile de convenir que c'est par abus que nous nommons l'autre monde le monde où nous ne sommes pas, et que c'est celui-ci qui véritablement est l'autre monde pour nous.

Car si, à la rigueur, deux choses peuvent être autres respectivement l'une pour l'autre, il y a cependant entre elles deux une priorité, soit de fait, soit de convention, qui oblige de regarder la seconde comme autre par rapport à la première, et non pas la première comme autre par rapport à la seconde ; puisque ce qui est premier est un et ne peut offrir de différence, comme n'ayant pas de point de comparaison antérieur à soi ; au lieu que ce qui est second, trouve avant soi ce point de comparaison.

Tel est le cas des deux mondes en question. En effet, je laisse au lecteur à comparer les lumières et les certitudes que nous trouvons dans l'ordre métaphysique, ou dans ce que nous appelons l'autre monde, avec les obscurités, les approximations et les incertitudes que nous trouvons dans celui que nous habitons ; et je le laisserai également prononcer si le monde où nous ne sommes pas n'a pas quelques droits à la priorité sur celui où nous sommes, tant par les perfections et les connaissances qu'il nous offre, que par le rang d'ancienneté qu'il paraît avoir sur ce monde d'un jour où nous sommes emprisonnés.

Car il n'y a que les esclaves de l'ignorance et des jugements précipités, qui pourraient imaginer de faire descendre l'esprit de la matière, et par conséquent ce que nous appelons l'autre monde de celui-ci, tandis que celui-ci paraîtrait au contraire dériver de l'autre, et ne venir qu'après lui.

Ainsi donc si le monde où nous ne sommes pas, enfin si ce que nous appelons l'autre monde, a, dans tous les genres, la priorité sur celui-ci, c'est vraiment ce monde-ci, ou le monde où nous sommes, qui est l'autre monde, puisqu'il a avant lui un terme de comparaison dont il est la différence ; et ce que nous appelons l'autre monde, étant un ou le premier, entraîne nécessairement avec soi-même tous ses rapports, et ne peut être qu'un modèle et non pas un autre monde.

Cela nous montre également combien l'Homme-Esprit doit se trouver extraligné en étant emprisonné par les éléments matériels, et combien ces éléments matériels ou ce monde-ci est insuffisant pour signaler la Divinité : aussi, rigoureusement parlant, nous ne sortons jamais de l'autre monde ou du monde de l'Esprit, quoique si peu de gens croient à son existence. Nous ne pouvons douter de cette vérité, puisque, même pour faire valoir les preuves que nous tirons de la matière ou de ce monde-ci, nous sommes obligés de lui prêter les qualités de l'esprit ou de l'autre monde. La raison en est que tout tient à l'esprit, et que tout correspond à l'esprit, comme nous le verrons par la suite.

Ainsi la seule différence qu'il y ait entre les hommes, c'est que les uns sont dans l'autre monde en le sachant, et que les autres y sont sans le savoir : or voici, à ce sujet, une échelle progressive.

Dieu est dans l'autre monde en le sachant, et il ne peut pas ne pas le croire et ne pas le savoir, puisque lui-même étant l'Esprit universel, il est impossible qu'il y ait pour lui, entre cet autre monde et lui, quelque séparation.

Les esprits purs sentent bien qu'ils sont dans l'autre monde, et ils le sentent perpétuellement et sans interruption, parce qu'ils ne vivent que de la vie de cet autre monde ; mais ils sentent qu'ils ne sont que les habitants de cette autre vie, et qu'un autre qu'eux en est le propriétaire.

L'homme, quoiqu'étant dans ce monde terrestre, est bien toujours dans cet autre monde qui est tout ; mais tantôt il en ressent la douce influence, tantôt il ne la sent pas ; souvent même il ne ressent et ne suit que l'impulsion du monde mixte et ténébreux qui est comme coagulé au milieu de cet autre monde, et qui est, par rapport à cet autre monde, comme une plaie, une loupe ou une apostume. De là vient qu'il y a si peu d'hommes qui croient à cet autre monde.

Enfin les esprits égarés, dont l'homme réfléchi peut se démontrer invinciblement l'existence par la simple lumière de sa raison, et sans le secours des traditions, en sondant jusqu'au vif cette source du bien et cette source du mal qui se combattent dans lui et dans sa pensée ; ces esprits égarés, dis-je, sont bien aussi dans cet autre monde, et ils croient à cet autre monde.

Mais non seulement ils ne sentent pas sa douce influence, non seulement ils ne goûtent pas non plus le repos et le rafraîchissement que le monde apparent lui-même laisse passer jusqu'à l'homme ; mais ils ne connaissent l'autre monde que par l'inépuisable supplice que leur cause la fontaine âpre qu'ils ont ouverte, et ils ne connaissent celui-ci que par le poids que ses puissances laissent tomber sur eux. Si l'homme, par sa négligence, leur laisse goûter quelque moment de répit, ce n'est que pour un temps, et, à chaque instant, il leur faut rendre au centuple ces biens mal acquis ou usurpés.

Quelle idée devons-nous donc nous faire de cette nature, ou de cet univers qui nous rend si aveugles sur cet autre monde, ou sur ce monde spirituel, soit bon, soit mauvais, dont nous ne sortons point ? On peut le savoir en deux mots.

Sans le monde spirituel mauvais, la nature serait une durée éternelle de régularité et de perfection ; sans le monde spirituel bon, la nature serait une durée éternelle d'abomination et de désordre. C'est la sagesse ou l'amour suprême qui, pour tempérer l'éternité fausse, a jugé à propos d'y opposer un rayon de l'éternité vraie. Le mélange de ces deux éternités compose le temps qui n'est ni l'une ni l'autre, et qui cependant offre une image successive de l'une et de l'autre, par le bien et le mal, par le jour et la nuit, la vie et la mort, etc.
L'amour suprême n'a pu employer ainsi à cette œuvre que des puissances descendues de l'éternité vraie ; voilà pourquoi, d'un côté, tout est mesuré dans le temps ; et de l'autre pourquoi le temps, soit général, soit particulier, doit nécessairement passer.

Mais comme l'éternité vraie est, pour ainsi dire, sortie d'elle-même pour contenir l'éternité fausse, et qu'au contraire l'éternité fausse a été forcée par là de rétrograder ; voilà pourquoi nous avons tant de peine à reconnaître dans le temps ces deux éternités qui n'y sont à leur place ni l'une ni l'autre ; voilà pourquoi il est si difficile de prouver le Dieu complet par cette nature où tout est morcelé et mixte, et où les deux éternités ne se montrent que sous le voile externe de la corruptible matière.

Dans l'état d'apathie où l'homme se plonge par ses propres illusions journalières, et par ses études appliquées uniquement à l'ordre externe de la nature, il ne voit pas en elle la source de sa régularité apparente, ni la source cachée de son désordre ; il s'identifie avec cet univers extérieur ; il ne peut se défendre de le prendre pour un monde et même pour un monde exclusif et seul existant.

Aussi, dans cet état de choses, l'idée qui a le plus de peine à trouver accès dans l'homme, est celle de la dégradation de notre espèce, ainsi que de l'altération de la nature elle-même dans laquelle il se trouve placé, et sur laquelle les droits qu'il devait exercer ne le touchent plus à force de les avoir laissé tomber en désuétude ; et il a fini par confondre cette nature aveugle et ténébreuse, avec lui-même et avec sa propre essence.
Cependant, s'il voulait considérer un instant l'ordre externe sous une face plus vraie et plus profitable, une simple remarque lui servirait pour lui faire observer à la fois et la dégradation effective de son espèce, et la dignité de son être, et sa supériorité sur l'ordre externe.

Les hommes pourraient-ils nier la dégradation de leur espèce, quand ils voient qu'ils ne peuvent exister, vivre, agir, penser, qu'en combattant une résistance ? Notre sang a à se défendre de la résistance des éléments ; notre esprit, de celle du doute et des ténèbres de l'ignorance notre cœur, de celle des faux penchants ; tout notre corps, de celle de l'inertie ; notre acte social, de celle du désordre, etc.

Une résistance est un obstacle ; un obstacle dans la classe de l'esprit est une antipathie et une inimitié ; mais une inimitié en action est une puissance hostile et combattante : or cette puissance étendant sans cesse ses forces autour de nous, nous tient dans une situation violente et pénible, dans laquelle nous ne devrions pas être, et hors de laquelle cette puissance serait pour nous comme inconnue et comme n'existant pas, puisque nous sentons intérieurement que nous sommes faits pour la paix et le repos.

Non, l'homme n'est pas dans les mesures qui lui seraient propres ; il est évidemment dans une altération. Ce n'est pas parce que cette proposition est dans les livres, que je dis cela de lui ; ce n'est pas parce que cette idée est répandue chez tous les peuples ; c'est parce que l'homme cherche partout ce lieu de repos pour son esprit ; c'est parce qu'il veut conquérir toutes les sciences, et jusqu'à celle de l'infini, quoiqu'elle lui échappe sans cesse, et qu'il aime mieux la défigurer et l'accommoder à ses ténébreuses conceptions, que de se passer d'elle ; c'est parce que, pendant son existence passagère sur cette terre, il semble n'être au milieu de ses semblables que comme un lion vorace au milieu des brebis, ou comme une brebis au milieu des lions voraces ; c'est que, parmi ce grand nombre d'hommes, à peine en est-il un qui se réveille pour autre chose que pour être la victime ou le bourreau de son frère.

Néanmoins l'homme est un grand être ; car s'il n'était pas grand, comment aurait-il pu se trouver dégradé ? Mais indépendamment de cette preuve de l'ancienne dignité de notre être, voici ce que la réflexion aurait pu faire naître dans la pensée de l'homme, pour lui montrer même aujourd'hui sa supériorité sur la nature.

La nature astrale et terrestre opère les lois de la création, et n'a pris naissance et n'existe que par la virtualité de ces lois.

Le végétal et le minéral ont à eux l'effet de ces lois, car ils renferment les propriétés de toutes les essences élémentaires, astrales et autres, et cela avec plus d'efficacité et de développement que les astres eux-mêmes, qui contiennent seulement une moitié de ces propriétés, et que la terre qui n'en contient que l'autre moitié.

L'animal a l'usage de ces lois de la création, puisqu'il est chargé de se substanter, de se reproduire, et de s'entretenir, et qu'en lui résident tous les principes qui lui sont nécessaires pour concourir au maintien de son existence.

Mais l'Homme-Esprit a à la fois l'effet, l'usage et la libre direction ou manipulation de toutes ces choses. Je ne veux donner de tout ceci qu'un exemple de matière, et même très commun, mais au moyen duquel la pensée pourra monter plus haut dans celui qui en sera susceptible.

Cet exemple sera, 1.) un champ de blé qui a en soi-même l'effet de toutes ces lois de la nature. 2.) Un animal broutant, qui a l'usage de ce blé, et qui peut s'en nourrir. 3.) Un boulanger qui a en soi la direction et la manipulation de ce blé, et qui peut en faire du pain ; ce qui indique très matériellement que toutes les puissances de la nature ne sont que partielles pour les êtres qui la constituent, mais que l'Homme-Esprit embrasse à lui seul l'universalité de ces puissances.

Quant à tous ces droits matériels que l'Homme possède et que nous avons terminés à la manipulation du boulanger, si nous nous portons en pensée dans la région réelle de l'homme, nous pressentirons, sans doute, que tous ces droits se peuvent justifier d'une manière plus vaste et plus virtuelle encore, en sondant et découvrant les merveilleuses propriétés qui constituent l'Homme-Esprit, et quelles sont les hautes manipulations qui en peuvent provenir.

Car si l'homme a si évidemment le pouvoir d'être ouvrier et manipulateur des productions terrestres, pourquoi ne pourrait-il pas être aussi ouvrier et manipulateur des productions de l'ordre supérieur ? Il doit pouvoir comparer ces productions divines avec leur source, comme il a le pouvoir de comparer l'effet total de la nature avec la cause qui l'a formée et qui la dirige, et il est le seul qui ait ce privilège.

Toutefois l'expérience seule peut donner l'idée de ce droit sublime, et encore cette idée même doit-elle sans cesse paraître nouvelle à celui qui y serait le plus accoutumé.

Mais hélas ! l'homme connaît ses droits spirituels, et il n'en jouit pas ! A-t-il besoin d'autre preuve pour attester sa privation, et par conséquent sa dégradation ?

Homme, ouvre donc un instant les yeux ; car avec tes jugements inconséquents, non seulement tu ne recouvreras pas tes privilèges, mais tu pourras encore moins les anéantir. Les êtres physiques ne cessent même de te donner des leçons qui devraient t'instruire. Les animaux sont tout cœur ; et il est bien clair que quoiqu'ils ne soient pas des machines, ils n'ont cependant point d'esprit, puisqu'il est comme distinct d'eux, hors d'eux et à côté d'eux. Ils n'ont point, par cette raison, à établir comme nous une alliance entre eux et leur principe. Mais vu la régularité de leur marche, on ne peut nier, à la honte de l'homme, que l'ensemble des êtres non libres ne manifeste une alliance plus suivie et plus complète que celle que nous sommes les maîtres de former en nous-mêmes avec notre principe. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'excepté l'homme, l'universalité des êtres se montre à nous comme autant de cœurs dont Dieu est l'esprit.

En effet, le monde ou l'homme égaré veut être tout esprit, et croit pouvoir se passer de son vrai cœur, ou de son cœur sacré et divin, pourvu qu'il mette avant son cœur animal et sa superbe.
Dans Dieu, il y a aussi un cœur sacré et un esprit, puisque nous sommes son image ; mais ils ne font qu'un, comme toutes les facultés et puissances de cet être souverain.

Or, nos droits peuvent aller jusqu'à former, comme la suprême sagesse, une éternelle et indissoluble alliance entre notre esprit et notre cœur sacré, en les unissant dans le principe qui les a formés ; et même ce ne sera qu'à cette condition indispensable que nous pourrons espérer de nous rendre de nouveau images de Dieu, et c'est en y travaillant que nous nous confirmons dans la conviction douloureuse de notre dégradation, et dans la certitude de notre supériorité sur l'ordre externe.

Mais en travaillant à nous rendre de nouveau images de Dieu, nous obtenons l'avantage inexprimable, non seulement de faire disparaître par intervalle notre privation et notre dégradation ; mais en même temps celui d'approcher et de jouir réellement de ce que les hommes avides de gloire appellent l'immortalité ; car le désir vague de l'homme du torrent, de vivre dans l'esprit des autres, est la preuve la plus faible et la plus fausse de toutes celles que le vulgaire emploie en faveur de la dignité de l'âme humaine.

En effet, quoique l'homme soit esprit, quoique dans tous ses actes, soit réguliers, soit désordonnés, il ait toujours un mobile spirituel quelconque, et que dans ce qui émane de lui, il ne puisse jamais travailler que par l'esprit et pour l'esprit ; cependant il n'est porté à ce désir d'immortalité que par un mouvement d'amour-propre, et par le sentiment présent d'une supériorité sur les autres, et d'une admiration de leur part, dont le tableau actuel, le frappe et le remue ; et s'il ne voit pas jour à effectuer ce tableau, son désir et les œuvres qui en sont souvent les suites courent le risque de se ralentir.

Aussi peut-on assurer que ce mouvement-là repose plutôt sur une velléité d'immortalité, que sur une véritable conviction, et la preuve qu'on en peut donner, c'est que ceux qui se livrent à ce mouvement, sont communément ceux qui, pour le réaliser, n'ont que des œuvres temporelles à produire ; ce qui annonce assez que la base sur laquelle ils s'appuient est dans le temps, attendu que les fruits indiquent l'arbre.

S'ils avaient une véritable conviction de cette immortalité, ce serait en cherchant à travailler dans le Dieu réel et pour le Dieu réel, et par conséquent en s'oubliant eux-mêmes, qu'ils donneraient une preuve authentique de cette conviction ; et en même temps leurs espérances de vivre dans l'immortalité, ne seraient point déçues, parce qu'ils sèmeraient alors dans un champ où ils seraient bien sûrs de retrouver leur grain ; au lieu que ne travaillant que dans le temps, et ne semant que dans l'esprit des hommes, dont une partie aura bientôt oublié leurs œuvres, et dont l'autre n'en aura peut-être jamais connaissance, c'est s'y prendre de la manière la plus désavantageuse et la plus maladroite pour s'établir, comme ils s'en flattent, dans les demeures de l'immortalité.

Si nous voulions un peu réfléchir, nous verrions qu'il se présenterait tout auprès de nous des preuves péremptoires de notre immortalité. Il ne faut en effet que considérer la disette habituelle et continuelle où l'homme laisse son esprit ; et cependant cet esprit ne s'éteint pas pour cela. Il s'échauffe, il se dévoie, il se livre à des erreurs, il devient méchant, il devient fou, il fait du mal au lieu du bien qu'il devrait faire, mais proprement il ne meurt pas.

Si nous traitions nos corps avec la même maladresse et la même négligence ; si nous les laissions jeûner aussi exactement et d'une manière aussi absolue, ils ne feraient pas le mal, ils ne feraient pas le bien, ils ne feraient rien, ils mourraient.

Un autre moyen d'apercevoir au moins des indices de notre immortalité, ce serait d'observer que sous tous les rapports, l'homme marche journellement ici bas à côté de sa fosse, et que ce ne peut être que par un sentiment quelconque de son immortalité, que dans tous ces cas il cherche à se montrer supérieur à ce danger.

C'est ce que l'on peut dire des guerriers, qui à chaque moment peuvent recevoir le coup de la mort. C'est ce qu'on peut dire de l'homme corporel, qui en effet peut à tout instant être retiré de ce monde : il n'y a d'autre différence, sinon que le guerrier n'est pas nécessairement la victime de ce danger, et que plusieurs en réchappent ; au lieu que les hommes naturels y succombent tous, sans qu'il leur soit possible de s'en préserver.

Mais il y a dans ces deux classes la même tranquillité, pour ne pas dire la même insouciance, qui fait que le guerrier et l'homme naturel vivent comme si le danger n'existait pas pour eux. C'est-à-dire, que leur insouciance même est un indice qu'ils sont comme pleins de l'idée de leur immortalité, quoiqu'ils marchent l'un et l'autre sur le bord de leur fosse.

Sous le rapport spirituel, le danger pour l'homme est encore plus grand, et son insouciance est encore plus extrême ; non seulement l'Homme-Esprit marche sans cesse à côté de sa fosse, puisqu'il est toujours près d'être englouti ou dévoré par l'immortelle source du mensonge ; mais même y en a-t-il beaucoup parmi l'espèce humaine qui ne marchent pas continuellement dans leur fosse ? et l'homme aveugle ne s'occupe pas même des moyens d'en sortir, et ne s'informe pas si jamais il en sortira !

Quand il a le bonheur d'apercevoir un seul instant qu'il marche dans cette fosse, c'est alors qu'il a une preuve spirituelle bien irrésistible de son immortalité, puisqu'il a spirituellement la preuve de son épouvantable mortalité, et même de ce que nous appelons figurément sa mort. Or, comment pourrait-il sentir le tourment et l'horreur de sa mortalité spirituelle, s'il n'avait pas en même temps le sentiment énergique de son immortalité ?

Ce n'est que dans ce contraste que se trouve son supplice ; comme les douleurs physiques ne se sentent que par l'opposition du désordre et du dérangement avec la santé. Mais ce genre de preuve ne peut également s'acquérir que par l'expérience, et elle est un des premiers fruits du travail de la régénération ; car si nous ne sentons pas notre mort spirituelle, comment pourrons-nous songer à appeler la vie ?

C'est là aussi où nous apprenons de nouveau, qu'il y a un être encore plus malheureux sans doute, c'est le prince du mensonge, puisque sans lui nous n'aurions pas même idée de lui, attendu que chaque chose ne peut être révélée que par elle-même, comme on a pu le voir dans l'esprit des choses

Non seulement il marche sans cesse dans sa fosse, non seulement il n'aperçoit jamais qu'il marche dans cette fosse, puisqu'il lui faudrait pour cela le secours d'un rayon de lumière ; mais en nous approchant de cette fosse, nous sentons qu'il y est dans une dissolution et une corruption continuelles, c'est-à-dire qu'il y est perpétuellement dans la preuve et le sentiment effectif de sa mort ; que jamais il ne conçoit la moindre espérance d'en être délivré, et qu'ainsi son plus grand tourment est le sentiment de son immortalité.

Au reste, mes écrits antérieurs ont assez établi la dignité de notre être, malgré notre avilissement dans cette région de ténèbres.

Ils ont assez appris à distinguer l'homme, cet illustre malheureux, d'avec la nature entière, qui est sa prison, en même temps qu'elle est son préservatif.

Ils ont assez indiqué la différence des pouvoirs mutuels que le physique et le moral ont l'un sur l'autre, en observant que le physique n'a sur le moral qu'un pouvoir passif qui ne consiste qu'à l'obstruer, ou à le laisser simplement dans sa mesure naturelle, tandis que le moral a sur le physique un pouvoir actif, ou celui de créer, pour ainsi dire, dans ce physique, malgré notre dégradation, mille dons, mille talents qu'il n'aurait point eus par sa nature.

Quoique je ne me flatte pas du bonheur d'avoir persuadé beaucoup de mes semblables de notre lamentable dégradation, depuis que je m'occupe de défendre la nature de l'homme, cependant j'ai souvent tenté cette entreprise dans mes écrits, et même je me plais à croire qu'à cet égard la tâche est remplie de ma part, quoiqu'elle ne le soit pas de la part de tous ceux qui m'ont lu.

Ces écrits ont assez montré combien la suprême sagesse dont l'homme descend, a multiplié pour lui les voies qui pourraient le faire remonter vers sa région primitive ; et après avoir fondé ces bases sur l'être intégral et radical de l'homme, de manière qu'il ne puisse pas les suspecter, et qu'au contraire il puisse à tout moment les vérifier lui-même par ses propres observations, ils lui ont peint l'univers entier céleste et terrestre, les sciences de tout genre, les langues, les mythologies et les traditions universelles des peuples, comme étant autant de dépositions qu'il peut consulter à sa volonté, et qui lui rendront un témoignage authentique de toutes ces vérités fondamentales.

Ils ont surtout appuyé sur une précaution indispensable, quoiqu'universellement négligée, celle de ne regarder tous les livres traditionnels quelconques que comme des accessoires postérieurs à ces vérités importantes qui reposent sur la nature des choses, et sur l'essence constitutive de l'homme.

Ils ont essentiellement recommandé de commencer par s'assurer soi-même, et en soi-même, de ces vérités premières et inexpugnables, sauf ensuite à recueillir dans les livres et dans les traditions, tout ce qui pourra venir à l'appui de ces vérités, sans jamais se laisser aveugler, jusqu'à confondre les témoignages avec le fait, qui doit d'abord être constaté dans sa propre existence, avant d'admettre les dépositions testimoniales, puisque là où il n'y aurait point de faits avérés, les témoins ne peuvent prétendre ni à aucune confiance, ni à aucun emploi.

Je n'ai plus à démontrer à l'homme son effroyable transmigration ; je l'ai dit : un seul soupir de l'âme humaine est sur ce point un témoignage plus positif et plus péremptoire que toutes les doctrines de l'ordre externe, et que tous les balbutiements, et toutes les bruyantes clameurs de la philosophie de l'apparence.

Prêtres de l'Inde, vous avez beau étouffer par vos chants fanatiques, et par le son tumultueux de vos instruments, les cris de la veuve que vous brûlez sur vos bûchers, en est-elle moins en proie aux plus horribles supplices ? et est-ce à elle que vos impostures et vos atroces acclamations feront oublier ses douleurs ?

Non, il n'y a que ceux qui se font matière, qui se croient dans leur mesure naturelle. Après ce premier écart de leur esprit, le second en devient comme une suite nécessaire : car la matière, en effet, ne connaît point de dégradation ; dans quelque état qu'elle se trouve, elle n'a que le caractère de l'inertie. Elle est ce qu'elle doit être. Elle ne fait point de comparaisons. Elle ne s'aperçoit ni de son ordre, ni de son désordre.

Les hommes qui se font matière, ne discernent pas plus qu'elle ces contrastes si marqués et si repoussants attachés à leur existence. Mais la nature est autre chose que la matière, elle est la vie de la matière ; aussi a-t-elle un autre instinct et une autre sensibilité que la matière ; elle s'aperçoit de sa propre altération, et elle gémit de son esclavage.

C'est pour cela que si les hommes égarés se contentaient de se faire nature, ils ne douteraient pas de leur dégradation ; mais ils se font matière. Aussi ils n'ont plus pour guide et pour flambeau que l'aveugle insensibilité de la matière, et sa ténébreuse ignorance.

D'ailleurs ce qui fait demeurer au rang des fables cet âge d'or dont la poésie et la mythologie nous offrent de si belles descriptions, c'est que ces descriptions sembleraient nous retracer des jouissances auxquelles nous aurions participé jadis, ce qui n'est point ; au lieu qu'elles nous retracent seulement les droits que nous pourrions même recouvrer aujourd'hui à ces jouissances, si nous faisions valoir les ressources qui sont toujours inhérentes à notre essence. Et moi-même, lorsque je parle si souvent du crime de l'homme, je n'entends parler que de l'homme général d'où toute la famille est descendue.

Aussi, comme je l'ai exposé dans le tableau naturel, nous avons des regrets au sujet de notre triste situation ici-bas ; mais nous n'avons point de remords sur la faute primitive, parce que nous n'en sommes point coupables ; nous sommes privés, mais nous ne sommes pas punis comme le coupable même. C'est ainsi que les enfants d'un grand de la terre et d'un illustre criminel, qui lui seront nés après son crime, pourront être privés de ses richesses et de ses avantages temporels, mais ne seront pas, comme lui, sous la loi de la condamnation corporelle, et même peuvent toujours espérer par leur bonne conduite d'obtenir grâce, et de rentrer un jour dans les dignités de leur père.

J'ai suffisamment montré aussi dans mes écrits, que l'âme humaine était encore plus sensible que la nature qui, dans le fait, n'est que sensitive. C'est pourquoi j'ai dit que cette âme humaine, ramenée à sa sublime dignité, était le véritable témoin de l'agent suprême, et que ceux qui ne savaient prouver Dieu que par le spectacle de l'univers, n'employaient là qu'une démonstration précaire et fragile, puisque l'univers est dans la servitude, et que l'esclave n'est point admis en témoignage.

J'ai assez fait connaître que la pensée de l'homme ne pouvait vivre que d'admiration, comme son cœur ne pouvait vivre que d'adoration et d'amour. Et j'ajoute ici que ces droits sacrés se partageant dans l'espèce humaine entre l'homme qui est plus enclin à admirer, et la femme qui l'est plus à adorer, perfectionnent ces deux individus l'un par l'autre dans leur sainte société, en rendant à l'intelligence de l'homme la portion d'amour dont il manque, et en couronnant l'amour de la femme par les superbes rayons de l'intelligence dont elle a besoin ; que par là l'homme et la femme se trouvent ralliés visiblement sous la loi ineffable de l'indivisible unité.

(Ceci, pour le dire en passant, expliquerait pourquoi le lien conjugal emporte partout avec lui-même un caractère respectable, excepté aux yeux de ceux qui sont dépravés, et pourquoi ce même lien, malgré notre dégradation, est la base de l'association politique, celle de toutes les lois morales, l'objet de tant de grands et de petits événements sur la terre, en même temps que le sujet de presque tous les ouvrages de littérature, soit de l'Épopée, soit des pièces de théâtre, soit des romans ; enfin, pourquoi le respect porté à ce lien, ainsi que les atteintes qui lui sont faites, deviennent, sous tous les rapports civils et religieux, une source d'harmonie ou de désordres, de bénédictions ou d'anathèmes, et semblent lier au mariage de l'homme le ciel, la terre et les enfers ; car il serait étonnant qu'il résultât de là de si grands effets, si cette unité conjugale n'avait pas eu primitivement, par son importance, le pouvoir de décider du bonheur ou du malheur du cercle des choses et de tout ce qui peut avoir des rapports avec l'homme. Aussi ce mariage, le péché l'a rendu sujet à des conséquences bien fâcheuses pour l'homme et la femme. Ces conséquences consistent à ce que tout étant dévoyé pour l'être spirituel de l'un et de l'autre, cela oblige leur esprit à sortir de lui-même, s'ils veulent parvenir mutuellement à cette unité sainte qui leur est destinée par leur alliance. Aussi il n'y a pas jusqu'aux entretiens, encouragements et exemples qu'ils ne se doivent respectivement pour se soutenir, et pour que par ce moyen-là la femme rentre dans l'homme dont elle est sortie, que l'homme étaye la femme de la force dont elle a été séparée, et pour que lui-même puisse retrouver cette portion d'amour qu'il a laissée sortir de lui. Oh ! si le genre humain savait ce que c'est que le mariage, il en aurait à la fois un désir extrême et une frayeur épouvantable ; car il est possible aux hommes de se rediviniser par là, ou de finir par se perdre tout à fait. En effet, si les époux priaient, ils se rétabliraient dans le jardin d'Eden ; et s'ils ne prient pas, je ne sais comment ils pourraient se supporter, tant est grande l'infection et la corruptibilité qui nous constituent tous aujourd'hui, soit au moral, soit au physique ; surtout si à leurs propres imperfections et fragilités morales et physiques, ils joignent les néants corrosifs et destructeurs de l'atmosphère du monde frivole qui attire continuellement tout en dehors, puisqu'il ne sait pas vivre en lui-même et de lui-même).

J'ai assez fait remarquer que nous étions les seuls sur la terre qui jouissions de ce privilège d'admirer et d'adorer, sur lequel doit reposer le mariage de l'homme ; que cette seule idée démontrait à la fois notre supériorité sur tous les êtres de la nature, la nécessité d'une source permanente d'admiration et d'adoration, pour que notre besoin d'admirer et d'adorer pût se satisfaire ; et enfin nos rapports et notre analogie radicale avec cette source, pour que nous pussions discerner et sentir ce qui dans elle est capable d'attirer notre admiration et nos hommages.

Je me suis assez expliqué sur les livres, en disant que l'homme était le seul livre écrit de la main de Dieu ; que tous les autres livres qui nous sont parvenus, Dieu les avait commandés, ou bien les avait laissé faire ; que tous les autres livres quelconques ne pouvaient être que des développements et des commentaires de ce texte primitif, et de ce livre originel ; qu'ainsi notre tâche fondamentale et de première nécessité était de lire dans l'homme, ou dans ce livre écrit de la propre main de Dieu.

Je me suis également expliqué sur les traditions, en disant que chaque chose devait faire sa propre révélation ; qu'ainsi, au lieu de ne prouver la chose religieuse que par des traditions écrites ou non écrites, ce qui est la seule ressource des instituteurs ordinaires, nous aurions droit d'aller puiser directement dans les profondeurs que nous portons avec nous-mêmes, puisque les faits les plus merveilleux ne sont que postérieurs à la pensée ; qu'ainsi il aurait fallu s'occuper de l'Homme-Esprit et de la pensée, avant de s'occuper des faits, et surtout des faits simplement traditionnels ; que par là nous aurions pu faire germer ou sortir de sa propre révélation, et le baume restaurateur dont nous avons tous un besoin indispensable, et la chose religieuse elle-même qui ne doit être que le mode et la préparation de ce baume souverain ; mais qui ne doit jamais se mettre à sa place, comme elle l'a fait si souvent en passant par la main des hommes.

J'ai assez fait sentir que c'était là l'unique voie sûre d'atteindre aux témoignages naturels, positifs et efficaces, auxquels seule notre intelligence puisse donner véritablement sa confiance.

Ainsi, je puis me dispenser de revenir sur ces premiers éléments, d'autant que si l'on observe avec attention les dispositions diverses où se trouve la pensée des hommes, on reconnaîtra qu'il faut bien moins songer à ramener les êtres endurcis, qu'à leur arracher quelques-unes de leurs proies ; surtout quand on réfléchira combien le nombre de ces êtres endurcis est réduit, en comparaison de ceux qui sont encore susceptibles de recouvrer la vue ; car c'est une chose frappante que les détracteurs de la vérité soient comme un infiniment petit à l'égard de ceux qui la défendent, ne fût-ce que maladroitement ; ils sont dans un rapport bien moindre encore à l'égard de ceux qui la croient, fût-ce même sans la connaître, comme c'est le cas le plus général.

D'ailleurs, un auteur allemand, dont j'ai traduit et publié les deux premiers ouvrages, savoir, l'Aurore naissante et les trois principes, peut suppléer amplement à ce qui manque dans les miens. Cet auteur allemand, mort depuis près de deux cents ans, nommé Jacob Boehme, et regardé dans son temps comme le prince des philosophes divins, a laissé dans ses nombreux écrits, qui contiennent près de trente traités différents, des développements extraordinaires et étonnants sur notre nature primitive ; sur la source du mal ; sur l'essence et les lois de l'univers ; sur l'origine de la pesanteur ; sur ce qu'il appelle les sept roues ou les sept puissances de la nature ; sur l'origine de l'eau ; (origine confirmée par la chimie, qui enseigne que l'eau est un corps brûlé) ; sur le genre de la prévarication des anges de ténèbres ; sur le genre de celle de l'homme ; sur le mode de réhabilitation que l'éternel amour a employé pour réintégrer l'espèce humaine dans ses droits, etc.

Je croirai rendre un service au lecteur en l'engageant à faire connaissance avec cet auteur ; mais en l'invitant surtout à s'armer de patience et de courage pour n'être pas rebuté par la forme peu régulière de ses ouvrages, par l'extrême abstraction des matières qu'il traite, et par la difficulté qu'il avoue lui-même avoir eue à rendre ses idées, puisque la plupart des matières en question n'ont point de noms analogues dans nos langues connues.

Le lecteur y trouvera que la nature physique et élémentaire actuelle n'est qu'un résidu et une altération d'une nature antérieure, que l'auteur appelle l'éternelle nature ; que cette nature actuelle formait autrefois dans toute sa circonscription, l'empire et le trône d'un des princes angéliques, nommé Lucifer ; que ce prince ne voulant régner que par le pouvoir du feu et de la colère, et mettre de côté le règne de l'amour et de la lumière divine, qui aurait dû être son seul flambeau, enflamma toute la circonscription de son empire ; que la sagesse divine opposa à cet incendie une puissance tempérante et réfrigérante qui contient cet incendie sans l'éteindre, ce qui fait le mélange du bien et du mal que l'on remarque aujourd'hui dans la nature ; que l'homme formé à la fois du principe de feu, du principe de la lumière, et du principe quintessentiel de la nature physique ou élémentaire, fut placé dans ce monde pour contenir le roi coupable et détrôné ; que cet homme, quoiqu'il eût en soi le principe quintessentiel de la nature élémentaire, devait le tenir comme absorbé dans l'élément pur qui composait alors sa forme corporelle ; mais que se laissant plus attirer par le principe temporel de la nature que par les deux autres principes, il en a été dominé, au point de tomber dans le sommeil, comme ledit Moïse ; que se trouvant bientôt surmonté par la région matérielle de ce monde, il a laissé, au contraire, son élément pur s'engloutir et s'absorber dans la forme grossière qui nous enveloppe aujourd'hui ; que par là il est devenu le sujet et la victime de son ennemi ; que l'amour divin qui se contemple éternellement dans le miroir de sa sagesse, appelée par l'auteur, la vierge SOPHIE, a aperçu dans ce miroir, dans qui toutes les formes sont renfermées, le modèle et la forme spirituelle de l'homme ; qu'il s'est revêtu de cette forme spirituelle, et ensuite de la forme élémentaire elle-même, afin de présenter à l'homme, l'image de ce qu'il était devenu et le modèle de ce qu'il aurait dû être ; que l'objet actuel de l'homme sur la terre est de recouvrer au physique et au moral sa ressemblance avec son modèle primitif ; que le plus grand obstacle qu'il y rencontre est la puissance astrale et élémentaire qui engendre et constitue le monde, et pour laquelle l'homme n'était point fait ; que l'engendrement actuel de l'homme est un signe parlant de cette vérité, par les douleurs que dans leur grossesse les femmes éprouvent dans tous leurs membres, à mesure que le fruit se forme en elles, et y attire toutes ces substances astrales et grossières ; que les deux teintures, l'une ignée et l'autre aquatique, qui devaient être réunies dans l'homme et s'identifier avec la sagesse ou la SOPHIE, (mais qui maintenant sont divisées), se recherchent mutuellement avec ardeur, espérant trouver l'une dans l'autre cette SOPHIE qui leur manque, mais ne rencontrent que l'astral qui les oppresse et les contrarie ; que nous sommes libres de rendre par nos efforts à notre être spirituel, notre première image divine, comme de lui laisser prendre des images inférieures désordonnées et irrégulières, et que ce sont ces diverses images qui feront notre manière d'être, c'est-à-dire, notre gloire ou notre honte dans l'état à venir, etc.

Lecteur, si tu te détermines à puiser courageusement dans les ouvrages de cet auteur, qui n'est jugé par les savants dans l'ordre humain, que comme un épileptique, tu n'auras sûrement pas besoin des miens.

Mais si, sans avoir percé dans toutes les profondeurs qu'il peut offrir à ton intelligence, tu n'es pas au moins affermi sur les principaux points que j'ai fait passer en revue devant tes yeux ; si tu doutes encore de la sublime nature de ton être, quoiqu'au simple examen que tu en voudras faire, tu puisses en apercevoir en toi des signes si tranchants ; si tu n'es pas également convaincu de ta dégradation écrite en lettres de feu dans les inquiétudes de ton cœur, aussi bien que dans les ténébreux délires de ta pensée ; si tu ne sens pas que ton oeuvre absolue et exclusive, est de consacrer tous tes moments à la réhabilitation de ton être dans la jouissance active de tous ces antiques domaines de la vérité qui devraient t'appartenir par droit d'héritage, ne va pas plus loin, mon écrit n'a point pour objet d'établir de nouveau toutes ces bases ; elles l'ont été précédemment avec solidité.

J'ai droit de supposer ici toutes ces données admises, et il ne s'agit plus maintenant de les prouver, mais d'apprendre à nous en servir : en un mot, cet ouvrage-ci n'est point un livre élémentaire : j'ai payé ma dette en ce genre. Celui-ci exige toutes les notions que je viens de t'exposer ; et il ne pourra convenir qu'à ceux qui les ont, ou à ceux qui au moins n'en sont pas venus au point de s'en déclarer absolument les adversaires.

Je m'y occuperai principalement à contempler les sublimes droits originels qui nous furent accordés par la main suprême ; et en même temps à déplorer avec mes semblables la condition lamentable où il languit, comparée à sa destination naturelle.

Toutefois je lui peindrai aussi les consolations qui lui restent, et surtout l'espoir qu'il peut concevoir encore de redevenir ouvrier du seigneur, conformément au plan primitif ; et cette partie de mon oeuvre ne sera pas la moins attachante pour moi, tant je souhaiterais qu'au milieu des maux qui le rongent, loin de se décourager et de se livrer au désespoir, il cherchât d'abord à faire naître en lui la force de les supporter, même de les vaincre, et de s'approcher assez de la vie, pour que la mort rougît de honte d'avoir cru pouvoir le subjuguer, et faire de lui sa proie et sa victime ; tant je souhaiterais en outre qu'il remplît en esprit et en vérité, l'objet pour lequel il a reçu l'existence !

Vous tous qui lirez cet ouvrage, vous tous même qui vous laisserez entraîner au goût d'écrire, apprenez cependant à réduire à leur juste valeur, et vos propres livres, et les livres de vos semblables ; apprenez que toutes ces productions ne doivent se regarder que comme des peintures, et que les peintures, pour avoir quelque prix, supposent, avant elles, et des modèles réels dont elles nous transmettent les véritables traits, et des faits substantiels et positifs dont elles nous transmettent le récit.

Oui, les annales de la vérité ne doivent être que les recueils de ses éblouissantes clartés et de ses prodiges, et l'homme qui aurait le bonheur d'être appelé à être véritablement son ministre, ne devrait jamais écrire qu'après avoir agi virtuellement sous ses ordres, et que pour nous retracer les merveilles qu'il aurait opérées en son nom.

Telle a été dans tous les temps la marche des ministres de la chose divine, en esprit et en vérité. Ils n'ont jamais écrit que d'après des œuvres. Ainsi telle devrait être la marche de l'homme, puisqu'il est spécialement destiné à l'administration de la chose divine.

Aussi, que sont ces énormes amas de livres produits par la fantaisie et l'imagination humaine, et qui non seulement n'attendent point pour se montrer, qu'ils aient des œuvres à peindre, mais se présentent à nous avec la puérile et coupable prétention de tenir lieu de toutes les œuvres, et de tous les prodiges !

Que sont tous ces écrivains qui ne cherchent qu'à nous rendre les contribuables de leur bruyante et vaine renommée, au lieu de se sacrifier eux-mêmes à notre véritable utilité ? Que sont tous ces faux amis de l'homme, qui consentent bien à lui parler de la vertu et de la vérité, mais qui ont grand soin de le laisser en paix dans l'inaction et le mensonge, tant ils craindraient que s'ils cherchaient à l'en arracher par leurs austères paroles, il ne se retirât de leur école, qu'il ne mît par là un obstacle à leur gloire, et qu'il ne les condamnât à l'oubli, en les réduisant au silence ?

Homme ! Homme ! laisse-là ces livres si infructueux pour toi, et jette-toi dans la voie des oeuvres, si tu es assez heureux pour comprendre le vrai sens de ce mot. Jettes-y toi au prix de tes sueurs et de ton sang, et ne prends point la plume que tu n'aies à nous retracer quelque découverte dans l'ordre de la véritable science ; quelqu'expérience instructive dans les oeuvres de l'esprit, ou quelque glorieuse conquête opérée sur le royaume du mensonge et des ténèbres.

C'est là ce qui fait que les livres des véritables administrateurs de la chose divine, offrent dans tous les temps à l'homme de désir, un esprit de vie toujours prêt à étancher la soif qu'il a de la vérité ; ils sont comme ces belles routes qui servent de communication entre de grandes villes, et qui offrent à la fois d'intéressants aspects, de bienfaisants asiles, et même de vigilants défenseurs contre les dangers et les gens mal intentionnés. Ils sont comme ces coteaux riants et féconds, posés par la main de la nature au long des fleuves qui les fertilisent, et auxquels ils procurent, à leur tour, d'utiles limites pour que le navigateur puisse faire sur leurs ondes un voyage aussi paisible qu'enchanteur.

Aussi tous les hommes de Dieu sont comptables au monde de toutes leurs pensées. Car s'ils sont véritablement hommes de Dieu, il ne leur en vient aucune qui n'ait pour but le perfectionnement des choses, et l'extension du règne du Maître.

Autant donc celui qui n'est pas administrateur des choses divines, doit se défier de ses pensées, et en épargner la connaissance aux autres hommes ; autant celui qui est au nombre de ces administrateurs, doit-il avec soin recueillir les siennes, et les répandre dans le commerce de l'esprit des hommes, ne fussent-elles que comme des germes que le Maître lui envoie pour ensemencer le jardin d'Eden.

Il rendra un compte sévère de tous ceux de ces germes qu'il aura reçus, et qui, par sa négligence et sa tiédeur, ne seront pas parvenus à leur floraison, et n'auront point orné la demeure de l'homme.

Mais si les livres des administrateurs de la chose divine peuvent rendre tant de services à la famille humaine, que ne devrait-elle donc pas attendre de l'homme lui-même, s'il s'était réhabilité dans la jouissance de ses droits naturels ? Les livres des administrateurs de la chose divine ne sont que comme les belles routes qui servent de communication entre de grandes villes. L'homme est lui-même une de ces grandes villes ; l'homme est le livre primitif, il est le livre divin ; les autres livres ne sont que les livres de l'Esprit. Ces autres livres ne font que contenir les eaux du fleuve ; l'homme tient en quelque sorte à la nature de ces eaux elles-mêmes.

Hommes, mes frères, lisez donc sans relâche dans cet homme, dans ce livre par excellence ; ne rejetez pas pour cela la lecture de ces autres livres écrits par les administrateurs de la chose divine, et qui peuvent vous rendre journellement de si grands services ! Avec tous ces puissants moyens qui vous sont offerts, ouvrez les régions de la nature, ouvrez les régions de l'esprit, ouvrez les régions mêmes de la divinité, que nous pouvons appeler d'avance les régions de la parole ; et venez ensuite nous raconter toutes les merveilles vivifiantes et salutaires que vous aurez rencontrées dans ces régions où tout est merveille.

Mais n'oubliez pas que, dans l'état d'aberration où l'homme se trouve, vous avez une tâche plus pressante encore à remplir auprès de vos semblables, que de leur composer des livres : ce serait de faire en sorte, par vos efforts et vos désirs, qu'ils acquissent des oreilles pour les entendre. C'est là ce qu'il y a de plus urgent pour l'espèce humaine. Si son intelligence ne marche pas en proportion avec vos écrits, vous ne lui rendrez aucun service, vous n'aurez fait qu'une oeuvre morte ; et votre propre contemplation, ou votre propre admiration, sera malheureusement pour vous tout le fruit que vous retirerez de votre entreprise.

Que dis-je, l'intelligence de l'homme ? Serait-ce même avec les plus parfaits des livres qu'elle pourrait s'ouvrir ? Elle s'est obscurcie, elle s'est assimilée à celle de l'enfance. L'enfant, comme le sauvage, ne peut rien comprendre que par des signes substantiels ou même grossiers, et que par la vue de l'objet même qu'on veut lui faire connaître. Sa pensée n'est encore que dans ses yeux. Ne cherchez pas à traiter l'intelligence de l'homme autrement que celle de l'enfant et du sauvage. Développez en lui et devant lui les puissances actives de la nature, les puissances actives de l'âme humaine, les puissances actives de la Divinité, si vous voulez qu'il connaisse Dieu, l'homme et la nature. Sa raison est morte sur tous ces objets ; vous perdrez tous vos soins, si vous vous bornez à lui en parler.

En effet, il est comme passé le temps des livres. L'homme est blasé par leur abondance, comme ces hommes intempérants à qui les mets les plus succulents ne font plus aucune impression.

Il est comme passé, non seulement le temps des livres produits par la fantaisie et l'imagination humaine ; mais même on pourrait dire qu'il est comme passé aussi le temps des livres des hommes de Dieu ; car les livres produits par la fantaisie humaine leur ont ôté leur prix, et ont presque annulé totalement leur pouvoir ; et il n'y a plus que des oeuvres imposantes qui puissent réveiller la terre de son assoupissement.

On sait que les extrêmes se touchent : aussi l'homme et le sauvage, en retombant, par leur état d'enfance et d'ignorance, dans l'impossibilité d'être réveillés autrement que par des oeuvres imposantes, nous retracent, en sens inverse, la véritable et primitive nature de l'homme, qui aurait été continuellement alimentée par d'imposantes merveilles, et qui n'a été réduite à faire des livres et à en lire, que quand elle a eu perdu de vue les vivants modèles qui n'auraient pas dû cesser d'agir devant ses yeux.

Enfin, le temps marche vers sa vieillesse : l'âge de l'esprit doit s'avancer, puisque des prodiges opérés par la puissance suprême, sont les seuls moyens qu'elle ait aujourd'hui à employer pour se faire reconnaître et respecter des mortels.

Voilà pourquoi je vous ai tant engagés à vous jeter dans la voie des oeuvres, si toutefois vous vous y sentez appelés ; sinon priez au moins pour que le Maître envoie des ouvriers.

Mais si vous êtes du nombre de ces ouvriers, n'oubliez pas, quand vous aurez ouvert les régions de la nature, les régions de l'esprit, les régions même de la Divinité : quand vous viendrez nous en raconter les merveilles, quand vous prendrez la plume pour nous les décrire ; n'oubliez pas, dis-je, à quel prix vous en aurez obtenu la connaissance ; n'oubliez pas que vous n'avez acquis le droit d'en parler, qu'après avoir versé dans ces laborieuses et utiles recherches vos sueurs et votre sang ; n'oubliez pas même que vous ne devez pas cesser, en les décrivant, de verser ces sueurs et ce sang pour recueillir de nouvelles perles dans cette mine inépuisable à laquelle vous êtes condamnés de travailler tous les jours de votre vie.

Votre tâche est double aujourd'hui ; vos consolations ont la douleur pour mère et pour compagne. Les sons de l'allégresse ne se séparent plus pour vous d'avec les sons des gémissements. Nous avons beau les distinguer ; ils sont liés puissamment les uns aux autres, et toutes les jouissances même de votre esprit ne permettent pas à vos sanglots de s'interrompre.

De tous les titres qui peuvent servir à caractériser l'homme ramené à ses éléments primitifs, nous n'en trouvons point qui remplisse mieux toute l'étendue de la pensée, et qui satisfasse autant les vastes et louables désirs de l'âme humaine, que celui d'améliorateur universel. Car elle éprouve, cette âme humaine, un besoin pressant jusqu'à l'importunité de voir régner l'ordre dans toutes les classes et dans toutes les régions, pour que tous les points de l'existence des choses concourent et participent à cette souveraine harmonie qui peut faire éclater la gloire majestueuse de l'éternelle unité.

C'est même le pressentiment secret de cette universelle et éternelle harmonie qui a entraîné, dans tous les temps, des hommes célèbres à regarder l'état actuel de la nature comme étant éternel, malgré les maux et les désordres dans lesquels elle est plongée.

Oui, tout est éternel dans les bases fondamentales des choses, mais non pas dans la douleur et dans cette horrible confusion qui se montrent dans toutes les parties de la nature : oui, il y a sans doute une nature éternelle, où tout est plus régulier, plus actif et plus vivant que dans celle où nous sommes emprisonnés ; et la plus forte preuve que la nature actuelle où nous sommes emprisonnés n'est plus éternelle, c'est qu'elle souffre et qu'elle est la demeure de la mort dans tous les genres, tandis qu'il n'y a d'éternel que la vie.

Aussi, je veux bien en convenir, vous m'enseignez de grandes et d'utiles doctrines, vous, estimables écrivains, qui, par vos préceptes, ramenez l'homme à la charité fraternelle, au zèle de la maison de Dieu, et au soin de sortir de cette fange terrestre, sans s'être souillé de son infection.

Mais avez-vous porté jusqu'à sa mesure complète le sens de ces louables et salutaires documents ? Pour moi, je sens qu'il leur manque encore quelque chose pour remplir l'immensité des désirs qui me dévorent. Les prières et les vérités qui nous sont données et enseignées ici-bas sont trop petites pour nous ; ce ne sont que les prières et les vérités du temps : nous sentons que nous sommes faits pour autre chose.

Je conçois que la charité fraternelle semble n'avoir rien de plus sublime à exercer que de pardonner à nos ennemis, et de faire du bien à ceux qui nous haïssent. Mais les hommes qui ne nous haïssent pas, ceux même qui nous sont inconnus et qui le seront toujours pour nous, notre charité serait-elle condamnée, à leur égard, à l'inaction ? ou bien se bornerait-elle à ces prières vagues dont on parle quand on se dit qu'il faut prier pour tous les hommes ? En un mot, l'espèce humaine toute entière, soit passée, soit présente, soit future, ne peut-elle pas être l'objet de notre véritable bienfaisance ?

J'avoue que le zèle de la maison de Dieu semble n'avoir rien de plus saint que de publier les lois divines, et de les faire honorer encore plus par notre exemple que par nos prédications. Mais ce Dieu si éminemment cher à toutes les facultés de notre être, ce Dieu qui pourrait porter, à tant de titres, le nom de : notre père par excellence, n'a-t-il pas un cœur qui est peut-être dans l'angoisse et la souffrance de ce que toutes les merveilles qu'il a semées dans l'homme et dans l'univers nous sont cachées par des nuages ténébreux ? Et devrions-nous nous donner un moment de relâche, que nous ne lui eussions procuré le repos ?

Enfin le devoir de nous garantir de cette fange terrestre semble n'avoir rien de plus important pour nous que de rentrer dans notre mère-patrie, sans avoir rien pris des mœurs et des coutumes de cette terre d'iniquité. Mais après avoir échappé à ses souillures, ne serait-il pas plus beau encore de neutraliser son venin corrosif, ou même de le transmuer en un baume vivificateur ? Ne nous est-il pas recommandé de faire du bien à nos ennemis ? Et pouvons-nous nier que, sous plusieurs faces, la nature ne soit de ce nombre ?

Quant à ceux que l'on nomme les ennemis de Dieu, c'est à Dieu, et non à nous, à leur faire la justice qu'ils méritent ; et même ne nous arrêtons pas à ce que Dieu nous paraît déclarer une guerre ouverte et implacable à ceux que l'on nous désigne sous le nom de ses ennemis. Dieu n'a point d'ennemis : il est trop doux et trop aimable pour pouvoir jamais en avoir. Ceux qui se disent des ennemis de Dieu, ne sont que les ennemis d'eux-mêmes, et ils sont sous leur propre justice.

Homme de désir, je viens m'entretenir avec toi sur ces différents privilèges qui constituent l'éminente dignité de l'homme, quand il est régénéré. Que ton intelligence seconde les efforts de la mienne. Les droits que je défends peuvent être réclamés par tous mes semblables. Nous aurions dû avoir tous primitivement la même tâche, celle de développer le grand caractère d'améliorateurs, comme étant émanés de l'auteur de toute bienfaisance et de tout ce qui est bon. Homme de désir, je ne sais que trop que ton intelligence peut être obscure ; mais je ne te ferai jamais l'injure de dire qu'avec une volonté bien prononcée, avec une marche régulière et conforme à cette volonté, tu ne puisses obtenir de ton souverain principe les clartés qui te manquent, et qui reposent sur tes titres originels.

L'on voit clairement ici qu'il y a plusieurs tâches à remplir dans la carrière spirituelle. La plupart des hommes qui se présentent pour la parcourir, n'y cherchent, soit des vertus, soit des connaissances, que pour leur propre amélioration et leur propre perfectionnement. Heureux encore ceux qui, en y venant, sont pénétrés de ces bons sentiments ! Et combien ne serait-il pas à souhaiter que ce bonheur fût commun à tous les individus de la famille humaine !

Mais ces hommes de bien, ces hommes pieux, même ces hommes éclairés, s'ils réjouissent le Père de famille en cherchant à être admis parmi ses enfants, ils le réjouiraient encore davantage en cherchant à être admis parmi ses ouvriers ou ses serviteurs : car ceux-ci lui peuvent rendre de véritables services ; les autres se bornent à en rendre à eux-mêmes.

Quoique je sois bien loin de pouvoir me compter au nombre de ces sublimes ouvriers ou de ces puissants serviteurs, cependant ce sera d'eux dont je m'occuperai principalement dans cet écrit, m'étant déjà occupé amplement, selon mes faibles moyens, de ce qui pouvait concerner les simples enfants du Père de famille.

J'engage donc de nouveau l'homme de désir à considérer le champ du Seigneur, et à chercher à y travailler selon ses forces, et selon l'espèce d'ouvrage auquel il sera propre, soit aux œuvres vives, s'il lui est donné d'en opérer ; soit au développement de la nature de l'homme, s'il lui est donné d'en apercevoir les profondeurs ; soit même à arracher les ronces et les épines que les ennemis de la vérité et les faux docteurs ont semées et sèment tous les jours sur l'image humaine de l'éternelle sagesse.

Car c'est être aussi en quelque sorte ouvrier du Seigneur, que d'instruire ses semblables de leurs véritables devoirs et de leurs véritables droits : c'est être utile à l'agriculture, que de préparer et mettre en état les instruments du labourage ; seulement il faut avoir grand soin d'examiner scrupuleusement ce que l'on est en état de faire dans tous ces genres. Celui qui prépare ou distribue des instruments aratoires, répond de ce qu'il fournit, comme le semeur répond de ce qu'il sème.

Mais, comme il est impossible d'être véritablement ouvrier dans le champ du Seigneur, sans être renouvelé soi-même et réintégré dans ses droits, je retracerai souvent aussi les voies de restauration par lesquelles nous devons nécessairement passer pour pouvoir être admis au rang des ouvriers.

Je dois également un avis à tous mes frères, en les invitant à se mettre en état d'être employés parmi les ouvriers du Seigneur.

Le commun des hommes, quand ils entendent parler des œuvres vives et spirituelles, ne conçoivent autre chose par là que l'idée de voir des esprits ; ce que le monde ténébreux appelle voir des revenants.

Dans ceux qui croient à la possibilité de voir des esprits, cette idée n'enfante souvent que la terreur ; dans ceux qui ne sont pas sûrs de l'impossibilité d'en voir, cette idée n'enfante que la curiosité ; dans ceux qui sur cela récusent tout, cette idée n'enfante que le mépris et les dédains, tant de ces opinions en elles-mêmes, que de ceux par qui elles sont mises au jour.

Je me crois donc obligé de dire à ceux qui me liront, que l'homme peut avancer infiniment dans la carrière des œuvres vives spirituelles, et même atteindre à un rang élevé parmi les ouvriers du Seigneur, sans voir des esprits.

Je dois dire en outre à celui qui, dans la carrière spirituelle, chercherait principalement à voir des esprits, que non seulement en y parvenant, il ne remplirait pas le principal objet de l'œuvre, mais qu'il pourrait encore être très loin de mériter d'être au rang des ouvriers du Seigneur.

Car s'il faisait tant que de croire à la possibilité de voir des esprits, il devrait croire à la possibilité d'en voir de mauvais comme de bons.

Ainsi pour être en mesure, il ne lui suffirait pas de voir des esprits ; mais il lui faudrait en outre pouvoir discerner d'où ils viennent, pour quel objet ils viennent, si leur mission est louable ou illégitime, utile ou funeste, et il lui faudrait examiner d'ailleurs et avant tout, si, lui-même, dans le cas où ils seraient de la classe la plus parfaite et la plus pure, il se trouverait en état d'accomplir les œuvres dont ils pourraient le charger pour le vrai service de leur Maître.

Le privilège et la satisfaction de voir des esprits ne seront jamais que très accessoires relativement au véritable objet que l'homme peut avoir dans la carrière des œuvres vives, spirituelles, divines, et en étant admis parmi les ouvriers du Seigneur ; et celui qui aspire à ce sublime ministère, n'en serait pas digne s'il ne s'y portait que par le faible attrait, ou la puérile curiosité de voir des esprits ; surtout si pour obtenir ces témoignages secondaires, il se reposait sur les mains incertaines de ses semblables, et particulièrement de ceux qui n'auraient que des puissances partielles, que des puissances usurpées, ou même que des puissances de corruption.

Quel est parmi les différents privilèges de l'âme humaine, celui que nous devons chercher d'abord à mettre en valeur comme étant le plus éminent de tous, et celui sans lequel nos autres droits seraient comme nuls ? C'est celui de pouvoir retirer Dieu, pour ainsi dire, de la magique contemplation où il est, de ses intarissables merveilles, qui ont été éternellement devant lui, qui naissent éternellement de lui, qui sont lui, et desquelles il ne peut pas plus se séparer, qu'il ne peut se séparer de lui-même.

C'est de l'arracher en quelque sorte à l'impérieux et attachant attrait qui l'entraîne éternellement vers lui-même, et qui fait que ce qui est, se détourne continuellement de ce qui n'est pas, et se porte continuellement vers ce qui est, comme par un effet nécessaire d'une naturelle analogie.

C'est de le réveiller et de le faire sortir, s'il est permis de s'exprimer ainsi, de cet enivrement que lui fait sentir perpétuellement la vive et mutuelle impression de la douceur de ses propres essences, et le délicieux sentiment que lui fait éprouver l'active source génératrice de sa propre existence. C'est enfin d'attirer ses regards divins sur cette nature extralignée et ténébreuse, afin que par leur pouvoir vivifiant, ils lui rendent son ancien éclat.

Mais quelle est la pensée qui pourrait pénétrer jusqu'à lui, si elle n'était redevenue analogue avec lui ? Quelle est la pensée qui pourrait opérer sur lui cette espèce de réveil, si elle n'était redevenue vive comme lui ? Quelle est la pensée qui pourrait faire jaillir de lui des fleuves doux et restaurateurs, si elle n'était redevenue douce et pure comme lui ? Quelle est la pensée qui pourrait se réunir à ce qui est, si elle n'était redevenue semblable à celui qui est, en se séparant de tout ce qui n'est pas ? Quel est celui qui pourrait être admis dans la maison du père et à l'intimité du père, s'il ne s'était pas montré comme étant le véritable enfant de ce père ?

Homme, si tu trouves ici le plus sublime de tes droits qui est de faire sortir Dieu de sa propre contemplation, tu trouves aussi à quelle condition tu peux parvenir à exercer un pareil droit. Si tu parvenais jamais à réveiller ce Dieu suprême et à l'arracher à sa propre contemplation, crois-tu que ce fût pour toi une chose indifférente que l'état où il te trouverait ?

Que ton être redevienne donc un nouvel être ! Que chacune des facultés qui te constituent soit revivifiée jusque dans ses racines les plus profondes ! que l'huile vive et simple se subdivise en une immensité infinie d'éléments purificateurs, et qu'il n'y ait rien en toi qui ne se sente stimulé et réchauffé par un de ces éléments régénérateurs et toujours vivant par eux-mêmes !

S'il n'y avait pas un agent puissant et consolateur, qui pût t'aider à devenir comme lui le fidèle enfant de ton Père céleste, comment pourrais-tu atteindre au moindre degré de ta régénération ? Aussi tu n'ignores pas que cet agent existe, puisqu'il n'est autre chose que ce foyer vivant sur lequel reposait ton être lors de ton origine, et qui ne t'a pas plus abandonné qu'une mère n'abandonne son fils dans quelqu'affliction qu'il se trouve. Unis-toi à lui sans réserve et sans délai, et aussitôt tes souillures vont disparaître, et ta disette va cesser.

Mais cependant le poids de l'œuvre ne cessera pas pour cela de se faire sentir, et même il pourra devenir encore plus pesant pour toi ; car lorsque le poids de la main de Dieu est sur l'homme, et que ce n'est pas pour sa punition, il faut que ce soit pour l'avancement de l'œuvre.

En effet, Dieu ayant destiné l'homme à être l'améliorateur de la nature, ne lui avait pas donné cette destination sans lui donner l'ordre de l'accomplir ; il ne lui avait pas donné l'ordre de l'accomplir sans lui en donner les moyens ; il ne lui en avait pas donné les moyens sans lui donner une ordination ; il ne lui avait pas donné une ordination sans lui donner une consécration ; il ne lui avait pas donné une consécration sans lui promettre une glorification ; et il ne lui avait promis une glorification, que parce qu'il devait servir d'organe et de propagateur à l'admiration divine, en prenant la place de l'ennemi donc le trône était renversé, et en développant les mystères dé l'éternelle sagesse.

Mais il y a deux espèces de mystères. L'une renferme les mystères naturels de la formation des choses physiques, de leurs lois et de leur mode d'existence, aussi bien que de l'objet de cette existence. L'autre renferme les mystères de notre être fondamental et de ses rapports avec son principe.

Le but final d'un mystère en général ne peut pas être de rester entièrement inaccessible. soit à l'intelligence, soit à ce doux sentiment d'admiration pour lequel notre âme est faite, et que nous avons déjà reconnu comme étant pour notre être immatériel un aliment de première nécessité.

Le but du mystère de la nature est de nous élever par la découverte des lois des choses physiques, à la connaissance des lois et des puissances supérieures par lesquelles elles sont gouvernées. La connaissance de ce mystère de la nature et de tout ce qui la constitue ne doit donc pas nous être interdit même aujourd'hui, et malgré notre chute ; sans quoi le but final de ce mystère serait manqué.

Le but final du mystère des choses divines et spirituelles, qui est lié avec le mystère de notre être, est de nous émouvoir et d'exciter en nous le sentiment de l'admiration, de la tendresse, de l'amour et de la reconnaissance. Le mystère de ces choses divines et spirituelles doit donc pouvoir percer jusque dans notre être fondamental lui-même, sans quoi ce double mystère qui nous lie aux choses divines, et qui lie les choses divines avec nous, manquerait absolument tout son effet.

Mais il y a une grande différence entre ces deux sortes de mystères. Le mystère de la nature peut entrer dans nos connaissances, mais la nature par elle-même touche faiblement, ou même point du tout, notre être essentiel et fondamental ; et si nous éprouvons tous du plaisir en la contemplant et en pénétrant dans ses mystères, c'est qu'alors nous montons plus haut qu'elle, et que nous nous élevons, par son moyen, jusqu'à des régions vraiment analogues avec nous, tandis qu'elle paraît n'être là que comme un fanal qui nous indique bien le chemin de ces hautes régions, mais ne peut par lui-même nous en communiquer les douceurs.

Au contraire, ces choses divines et spirituelles touchent infiniment plus nos facultés aimantes et admirantes, qu'elles ne se prêtent à toutes les avidités de notre intelligence ; il semble même que ce soit pour nous ménager une plus vaste mesure de cette admiration, qu'elles ne se livrent pas, selon notre gré, à nos perceptions ; car si nous les soumettions ainsi à notre connaissance, nous ne les admirerions plus autant, et par conséquent nous aurions moins de plaisir, puisque s'il est vrai que notre bonheur soit d'admirer, il est vrai aussi qu'admirer c'est moins connaître que sentir, ce qui fait que Dieu et l'esprit sont si doux et en même temps si peu connus.

On peut dire par la raison opposée, que la nature est plus froide pour nous, parce qu'elle est plus propre à être connue qu'à être sentie ; ainsi les plans de la sagesse sont disposés de manière que les choses sur lesquelles repose notre véritable plaisir, ne se livrent point assez à notre intelligence pour faire tarir notre admiration, et que les choses qui ne sont point principalement destinées à nourrir notre admiration, c'est-à-dire, à nos véritables plaisirs, comme ayant moins d'analogie avec nous, nous permettent en quelque sorte une espèce de dédommagement dans les plaisirs de l'intelligence.

Par la manière dont les hommes ont administré ces deux différents domaines, ils ont laissé dessécher ces deux sources qui nous auraient produit des fruits délectables chacune selon son genre, c'est-à-dire, que la philosophie humaine qui a traité des sciences de la nature, à force de ne marcher qu'à leur surface, nous a empêchés de les connaître, et ne nous a pas mis dans le cas de goûter même les plaisirs de l'intelligence qu'elles eussent été toujours prêtes à nous procurer ; et que les instituteurs des choses divines, à force de les rendre ténébreuses et inabordables, nous ont empêché de les sentir, et par conséquent nous ont privé de l'admiration qu'elles nous auraient infailliblement apportée, si on les eût laissé approcher de nous. Le complément de la perfection du mystère est de réunir dans une juste et harmonieuse combinaison, ce qui peut à la fois satisfaire notre intelligence et nourrir notre admiration ; c'est celui dont nous aurions joui perpétuellement si nous avions conservé notre poste primitif. Car la porte par où Dieu sort de lui-même, est la porte par où il entre dans l'âme humaine.

La porte par où l'âme humaine sort d'elle-même, est la porte par où elle entre dans l'intelligence.

La porte par où l'intelligence sort d'elle-même, est la porte par où elle entre dans l'esprit de l'univers.

La porte par où l'esprit de l'univers sort de lui-même, est celle par où il entre dans les éléments et dans la matière. C'est pourquoi les savants qui ne marchent point par toutes ces voies, n'entrent jamais dans la nature.

La matière n'avait point de porte pour sortir d'elle-même, ni pour entrer dans aucune autre région plus inférieure qu'elle ; voilà pourquoi l'ennemi ne pouvait avoir d'accès dans aucune région régulière, soit matérielle, soit spirituelle.

Au lieu de veiller soigneusement à son poste, l'homme ne s'est pas contenté d'ouvrir toutes ces portes à ses ennemis ; mais ensuite il les a fermées sur lui, de façon qu'il se trouve dehors, et que les voleurs sont dedans. Est-il de situation plus lamentable ?

On voit pourquoi les superbes titres qui firent de l'homme primitif un être si privilégié, auraient rendu son ministère si important dans l'univers, puisqu'il aurait pu y faire connaître cette divine unité triple, avec laquelle nombre d'observateurs ont fait remarquer notre similitude, nous enseignant par là que nous ne serions pas ainsi son image, si nous n'avions pas le droit de la représenter. Aussi il n'est pas jusqu'aux anges qui n'eussent été grandement intéressés à ce que l'homme remplît le poste qui lui avait été confié.

En effet, de même que les êtres animés répandus dans la nature, ne connaissent en lui-même, ni l'esprit de cet univers, ni les germes des végétaux qui ne sont que le résultat et l'expression sensibilisée des propriétés de cet esprit de l'univers, et qu'ils ne connaissent toutes ces choses que dans les saveurs des fruits dont ils se nourrissent ; de même les anges ne connaissent le père que dans le fils. Ils ne le connaissent ni dans lui-même, ni dans la nature, qui, surtout depuis la première altération, est bien plus rapprochée du père que du fils, par la concentration qu'elle a éprouvée ; et ils ne peuvent le comprendre que dans la divine splendeur du fils, lequel à son tour n'a son image que dans le cœur de l'homme, et ne l'a point dans la nature.

Voilà pourquoi l'homme qui, lors de son origine dans l'univers, était lié principalement au fils, ou à la source du développement universel, connaissait le père à la fois et dans le fils et dans la nature. Et voilà pourquoi les anges recherchent tant la compagnie de l'homme, puisque c'est lui qu'ils croient encore en état de leur faire connaître le père dans la nature. Ils sont fondés à le croire, puisque c'est à nous que le père s'est rendu visible, et que ses éternelles merveilles se sont montrées sous ce phénomène temporel qui constitue la nature périssable.

Notre tâche serait donc, depuis l'époque où Adam a été retiré du précipice où il était tombé, de découvrir par tous nos moyens possibles, les merveilles éternelles du père, manifestées dans la nature visible ; et cela nous est d'autant plus possible, que le fils qui les contient toutes, et qui les ouvre toutes, nous les a rendues en incorporant nos premiers parents dans la forme naturelle que nous portons aujourd'hui, et qu'il en a apporté la clef avec lui quand il s'est fait semblable à nous.

Oh ; combien de choses profondes nous pourrions enseigner, même aux anges, si nous rentrions dans nos droits ! et il ne faudrait pas s'étonner de cette idée, puisque selon saint Paul (1.ere cor. ch. 6 : 3. ), nous devons juger les anges. Or, le pouvoir de les juger suppose le pouvoir de les instruire. Oui, les anges peuvent être administrateurs, médecins, redresseurs des torts, guerriers, juges, gouvernants, protecteurs, etc. ; mais sans nous, ils ne peuvent être profonds dans la connaissance des merveilles divines de la nature.

Ce qui s'y oppose, c'est non seulement parce qu'ils ne connaissent le père que dans la splendeur du fils, et qu'ils ne renferment pas dans leur enveloppe, comme le premier homme, des essences qui soient prises dans la racine de cette nature ; mais aussi parce que nous leur fermons en nous l'œil central, ou l'organe divin par lequel ils auraient le moyen de considérer les trésors du père dans les profondeurs de la nature ; et c'est là la raison pour laquelle les hommes de Dieu pourraient et devraient en instruire ces anges, et développer devant leurs yeux les profondeurs qui sont cachées dans la corporisation de la nature, et dans toutes les merveilles qu'elle renferme.

C'est aussi pour cela que dans la carrière des sciences et des lettres, les hommes mettent au premier rang ceux qui découvrent les grandes lois de la nature ; et dans la carrière religieuse, ceux qui ont été revêtus des grandes puissances de l'esprit.

Depuis la dégradation, ces précieux privilèges de pénétrer dans les profondeurs de la nature, et d'en devenir pour ainsi dire les possesseurs, nous ont été rendus en partie ; ils devaient même former comme un héritage inhérent à la nature de l'homme, en ce qu'ils constituaient sa vraie richesse et ses propriétés originelles ; et les testaments des patriarches nous en ont fourni de nombreux exemples.

Mais les hommes de la pure matière ont transposé le sens de ces droits sublimes, aux simples testaments des biens de la terre. Toutefois on aurait pu leur objecter avec beaucoup de raison, qu'un homme ne pouvait disposer d'un bien qu'il ne posséderait plus au moment de sa mort, et avant même que le testateur pût exécuter ses dispositions.

C'était donc sur de vraies possessions que la loi des testaments devait tomber, parce que là, le testateur investit ses successeurs d'un droit vivant qu'il ne perd point pour cela, et qu'il emporte avec lui dans une région où ce droit doit s'accroître encore au lieu de diminuer ; et c'est là où la pensée peut s'étendre et s'enrichir en considérant les testaments des patriarches.

L'homme est l'arbre, Dieu en est la sève. Il n'est pas étonnant que quand la sève vive coule en lui, elle transforme chacune de ses branches en de nouveaux arbres ; il n'est pas étonnant non plus que si des branches sauvages sont entées sur ces rameaux, elles participent bientôt à ses excellentes propriétés.

Oui, l'homme, depuis la chute, a été posé de nouveau sur la racine vive qui doit opérer en lui toutes les végétations spirituelles de son principe. C'est pour cela que s'il s'élevait jusqu'à la source vive de l'admiration, il pourrait en communiquer, par sa seule existence, les vifs témoignages.

C'est aussi le seul moyen par lequel les plans divins peuvent se remplir, puisque l'homme est né pour être le principal ministre de la Divinité ; car aujourd'hui même le corps matériel que nous portons est bien supérieur à la terre. Notre esprit animal est bien supérieur à l'esprit de l'univers par sa jonction avec notre esprit animique, qui est notre vraie âme ; et notre esprit animique est bien supérieur aux anges.

Mais l'homme s'abuserait s'il prétendait avancer dans l'œuvre de l'Homme-Esprit, sans avoir réavivé en lui cette sève sainte qui s'est comme épaissie et congelée par l'universelle altération des choses.

Ainsi, homme de désir, il faut que tout ce que tu as laissé se coaguler et s'obscurcir en toi, se dissolve et se révèle aux yeux de ton esprit. Tant que tu y apercevras la moindre tache, et que la moindre substance y opposera une barrière à tes regards, n'aie point de relâche que tu n'aies dissipé cet obstacle : plus tu perceras dans les profondeurs de ton être, plus tu reconnaîtras sur quelle base l'œuvre repose.

Il n'y a que cette base, retaillée de nouveau, qui puisse servir de fondement à ton édifice. Si elle n'est pas unie et d'aplomb, jamais cet édifice ne pourra s'élever. Non, ce n'est que dans la lumière interne de ton être, que la Divinité et les puissances merveilleuses qui la suivent partout, puissent se faire sentir de toi dans leur vive efficacité.

Si tu n'oses pas habiter toi-même dans cet asile, si tu ne peux y faire pénétrer tes regards, ou si tu crains même de les y porter, tant ils auraient de peine à y rencontrer un libre accès, comment voudrais-tu que la Divinité y fût plus à son aise que toi, et qu'elle s'accommodât mieux que toi à tes propres ténèbres et aux obstacles qui te repoussent, elle qui est si entièrement et si radicalement pure et lumineuse ; elle qui ne peut développer les merveilles de son existence que dans des atmosphères qui soient affranchies de toute entrave, et qui soient libres comme elle-même ?

La science de la vérité ne ressemble point aux autres sciences : elle devait n'être que jouissance autrefois pour l'homme, aujourd'hui elle n'est plus pour lui qu'une bataille ; et c'est ce qui fait que les doctes et les savants du monde n'en ont pas même la moindre idée, parce qu'ils la confondent avec leurs notions ténébreuses, et qui s'acquièrent par un inactif enseignement.

L'univers est sur son lit de douleurs, et c'est à nous, hommes, à le consoler. L'univers est sur son lit de douleurs, parce que, depuis la chute, une substance étrangère est entrée dans ses veines, et ne cesse de gêner et de tourmenter le principe de sa vie ; c'est à nous à lui porter des paroles de consolation qui puissent l'engager à supporter ses maux ; c'est à nous, dis-je, à lui annoncer la promesse de sa délivrance et de l'alliance que l'éternelle sagesse vient faire avec lui.

C'est un devoir et une justice de notre part, puisque c'est le chef de notre famille qui est la première cause de la tristesse de l'univers ; nous pouvons dire à l'univers que c'est nous qui l'avons rendu veuf : n'attend-il pas à chaque instant de la durée des choses, que son épouse lui soit rendue ?

Oui, soleil sacré, c'est nous qui sommes la première cause de ton inquiétude et de ton agitation. Ton oeil impatient ne cesse de parcourir successivement toutes les régions de la nature ; tu te lèves chaque jour pour chaque homme ; tu te lèves joyeux, dans l'espérance qu'ils vont te rendre cette épouse chérie, ou l'éternelle SOPHIE, dont tu es privé ; tu remplis ton cours journalier en la demandant à toute la terre avec des paroles ardentes où se peignent tes désirs dévorants. Mais le soir tu te couches dans l'affliction et dans les larmes, parce que tu as en vain cherché ton épouse ; tu l'as en vain demandée à l'homme ; il ne te l'a point rendue, et il te laisse séjourner encore dans les lieux stériles, et dans les demeures de la prostitution.

Homme, le mal est encore plus grand. Ne dis plus que l'univers est sur son lit de douleurs ; dis : l'univers est sur son lit de mort ; et c'est à toi de lui rendre les derniers devoirs ; c'est à toi à le réconcilier avec cette source pure dont il descend, cette source qui n'est pas Dieu, mais qui est un des éternels organes de sa puissance, et dont l'univers n'eût jamais dû être séparé ; c'est à toi, dis-je, de le réconcilier avec elle, en le purgeant de toutes les substances de mensonge dont il ne cesse de s'imprégner depuis la chute, et à le laver d'avoir passé tous les jours de sa vie dans la vanité.

Il ne les eût pas vus s'écouler ainsi dans la vanité, si tu fusses resté toi-même dans le siège de la splendeur où tu avais été placé par ton origine, et chaque jour tu aurais oint l'univers d'une huile de joie qui l'eût préservé de l'infirmité et de la douleur ; tu aurais fait pour lui ce qu'il fait aujourd'hui pour toi en te procurant journellement la lumière et les fruits des éléments auxquels tu t'es assujetti, et qui sont nécessaires à ton existence. Approche-toi donc de lui, demande-lui de te pardonner sa mort ; car c'est toi qui la lui as donnée.

Homme, le mal est encore plus grand. Ne dis plus que l'univers est sur son lit de mort ; dis que l'univers est dans le sépulcre, que la putréfaction s'est emparée de lui, et qu'il répand l'infection par tous ses membres, et c'est à toi de te le reprocher. Sans toi, il ne serait pas ainsi descendu dans la tombe ; sans toi, il ne répandrait pas ainsi l'infection par tous ses membres.

Sais-tu pourquoi ? c'est que tu t'es rendu toi-même son sépulcre ; c'est qu'au lieu d'être pour lui le berceau perpétuel de sa jeunesse et de sa beauté, tu l'as enseveli dans toi comme dans un tombeau, et tu l'as revêtu de ta propre putréfaction. Injecte promptement dans tous ses canaux l'élixir incorruptible, car c'est à toi de le ressusciter ; et malgré l'odeur cadavéreuse qu'il exhale de toutes parts, tu es chargé de le faire renaître.

La lumière naturelle même, ce superbe type qui nous reste de l'ancien monde, n'a-t-elle pas en elle une force dévorante qui consume tout ? Aussi nos lumières artificielles que nous employons pour la remplacer, ne peuvent subsister qu'aux dépens des substances qui les alimentent. Aussi nous n'aurions point dû avoir de ces lumières-là, et elles sont une monstruosité pour la nature. Aussi n'y aurait-il point d'insectes qui se brûlassent à la lumière naturelle, comme ils se brûlent à nos lumières artificielles qu'ils prennent pour elle, parce que les êtres naturels ne connaissent pas ce qui est désordonné.

Oui, nos industries elles-mêmes sont une preuve des maux que nous avons faits au monde, puisque ces maux et nos industries se trouvent sortir de la même source, et voilà comment la nature est universellement notre victime. Oh ! comme elle se plaindrait cette nature, si elle pouvait s'exprimer, du peu de bien que lui procurent les vaines sciences des hommes, et tout l'échafaudage des pénibles travaux qu'ils font pour la mesurer, la décrire et l'analyser pendant qu'ils auraient en eux les moyens de la guérir et de la consoler !

Mais l'homme n'est-il pas lui-même sur son lit de douleur ? N'est-il pas sur son lit de mort ? N'est-il pas dans le sépulcre et en proie à la putréfaction ? Qui le consolera ? qui lui rendra les derniers devoirs ? qui le ressuscitera ?

L'ennemi fut ambitieux dès le commencement, parce qu'il lisait dans les merveilles de la gloire, et qu'il voulut en détourner la source vers lui et la dominer. L'homme ne commença point ses écarts par ce crime, car il ne devait parvenir aux merveilles de la gloire, qu'à mesure qu'il aurait rempli sa mission, et il ne connaissait point encore ces merveilles au moment où il reçut l'existence. Mais il commença ses écarts par la faiblesse, comme font encore aujourd'hui tous ses enfants dans leur bas âge, où les objets d'ambition ne les touchent point ; et cette faiblesse fut de s'être laissé frapper, attirer et pénétrer par l'esprit de l'univers, tandis que le malheureux homme était d'un ordre et d'une région au-dessus de la région de ce monde.

Quand il fut descendu à ce degré inférieur, l'ennemi eut beau jeu pour lui faire naître les idées de l'ambition qu'il n'aurait pas eues sans cela, et sans qu'on lui parlât de ces objets d'ambition qui lui étaient inconnus. Ainsi par son premier écart, il fut victime de sa faiblesse ; par le second, il fut à la fois victime et dupe de celui qui avait intérêt de l'égarer, et il devint entièrement assujetti à ce monde physique, dont il aurait dû être le dominateur.

C'est alors que ses crimes se sont accrus dans une mesure à laquelle il ne peut plus penser sans frayeur. Oui, homme, tu es devenu mille fois plus coupable depuis ta chute : dans ta chute, tu devins dupe et victime ; mais depuis ta chute, tu es devenu instrument universel du mal, tu es devenu l'esclave absolu de ton ennemi, et combien de fois même ne finis-tu pas par être son complice ?

Et c'est dans cet état que tu aurais cependant à aller visiter l'univers sur son lit de mort, et à lui rendre la vie qui lui manque, sans oublier que le plan primitif de ta destination originelle resterait encore à remplir !

O homme ! arrête-toi au milieu des abîmes où tu t'es plongé, si tu ne veux pas t'y plonger encore davantage. Songe que ton oeuvre était simple en sortant des mains de ton principe ; songe qu'elle est devenue triple par tes imprudences et tes abominations ; car tu as désormais, premièrement, à te régénérer toi-même ; secondement, à régénérer l'univers ; troisièmement, à monter ensuite au rang d'administrateur des trésors éternels, et à admirer les vivantes merveilles de la Divinité.

Dans l'ordre physique, nous voyons que les remèdes ne viennent qu'après les maladies, et les maladies qu'après la santé. Or si dans cet ordre là, les maladies font naître ou découvrir les remèdes, il faut qu'il en soit de même dans l'ordre spirituel et moral de l'homme ; et si dans ce genre sa santé a aussi précédé son état d'infirmité, il faut également que ses infirmités lui fassent chercher des remèdes analogues, comme les médecins en cherchent pour nos maladies physiques.

Le premier degré de la cure que l'homme a à opérer sur lui-même, est donc de séparer de lui toutes ces humeurs viciées et secondaires qui se sont accumulées sur lui depuis la chute ; et ces humeurs sont celles qui se sont fixées sur l'espèce humaine par les divers égarements de la postérité du premier homme ; celles que nous tenons de nos parents par les fausses influences des générations dépravées ; enfin, celles que nous laissons nous-mêmes accumuler sur nous par nos négligences et nos prévarications journalières.

Tant que nous n'avons pas chassé de nous toutes ces diverses humeurs, nous ne pouvons pas seulement commencer à marcher dans la ligne de notre restauration, qui consiste particulièrement à traverser l'épaisse région de ténèbres où la chute nous a précipités, et à faire renaître en nous l'élixir naturel avec lequel nous pourrions ranimer les sens de l'univers qui est évanoui.

Ainsi, homme, une nouvelle condition se présente ici, si tu veux poursuivre. Il ne s'agit plus de savoir si tu es convaincu de la nature spirituelle de ton être ; de tes rapports essentiels avec ton principe ; de ta dégradation par un écart, primitif volontaire ; de cet ardent amour de ta source génératrice qui l'a engagée, lors de ta chute, et qui l'engage encore tous les jours à venir te trier au milieu des immondices les plus dégoûtantes ; (merveille que l'homme du torrent, et qui ne se retourne point, ne saurait comprendre, quoiqu'il la sente, comme l'enfant qui fait une chute sent bien la main qui le relève, mais ne la peut voir sans se retourner) ; enfin, de l'immensité des témoignages de toute espèce qui déposent en faveur de ces vérités fondamentales, et prouvées par elles-mêmes ; il ne s'agit plus, dis-je, de s'arrêter à tous ces points, sans lesquels je t'avais prévenu de ne pas aller plus loin, et sans lesquels, par conséquent, tu ne serais pas probablement venu jusqu'ici.

Mais il s'agit de voir si tu as purgé ton être de toutes les immondices secondaires que nous amassons tous journellement depuis la chute, ou au moins si tu te sens l'ardeur de t'en délivrer à quelque prix que ce soit, et de ranimer en toi cette vie éteinte par le crime primitif, sans laquelle tu ne peux être ni le serviteur de Dieu, ni le consolateur de l'univers.

Tâche même de sentir que peut-être la seule science qu'il y aurait à étudier, serait de devenir sans péché ; car si l'homme en était là, il se pourrait qu'il manifestât naturellement toutes les sciences et toutes les lumières.

Sonde-toi donc profondément sur ces nouvelles conditions, et si non seulement tu n'as pas chassé de chez toi tous les fruits de tes écarts secondaires, mais même si tu n'as pas déraciné en toi jusqu'au moindre penchant étranger à l'œuvre, je te le répète formellement, ne va pas plus loin : l'œuvre de l'homme demande des hommes nouveaux. Ceux qui n'en sont pas là essaieraient en vain d'entrer dans la construction de l'édifice ; en présentant ces pierres à leur place, on verrait qu'elles n'ont ni le poli, ni les dimensions requises, et on les renverrait à l'atelier jusqu'à ce qu'elles fussent en état d'être employées.

Il y a un signe pour savoir si l'on a réellement fait ce dépouillement dont je viens de parler.

C'est d'observer si l'on se sent au-dessus de toute autre crainte et de toute autre inquiétude quelconque que celle de n'être pas universellement anastomosé avec l'impulsion et l'action divine.

C'est quand, bien loin de regarder nos maux particuliers dans ce monde comme des malheurs, nous avouons que nous n'en pouvons pas éprouver qui ne nous soient dus, et que tous ceux que nous n'éprouvons pas sont autant de grâces que l'on nous fait, et autant de ménagements que l'on a pour notre faiblesse ; de façon qu'avant de nous plaindre de ce qu'on nous enlève nos joies et nos consolations dans ce monde, nous devrions commencer par remercier de ce qu'on ne nous les a pas enlevées plutôt, et de ce qu'il en est encore qu'on veut bien nous laisser.

Supposant donc remplies ces deux classes de conditions que nous venons d'exposer, voici quelle est l'initiative à la régénération de l'homme dans ses droits, vertus et titres primitifs.

Nous voyons que dans nos corps matériels, nous éprouvons souvent des douleurs dans des membres que nous n'avons plus : or, comme dans ce qui constitue notre véritable corps, nous n'avons plus un seul de nos membres, le premier témoignage que nous puissions avoir de notre existence d'êtres spirituels, c'est de sentir, soit successivement, soit tout à la fois des douleurs vives dans tous ces membres que nous n'avons plus.

Il faut que la vie régénère tous les organes que nous avons laissé dépérir ; et elle ne le peut qu'en les substituant par sa puissance génératrice à tous les organes étrangers et débiles qui nous constituent aujourd'hui.

Il faut que nous sentions l'esprit nous sillonner de la tête aux pieds, comme avec de robustes socs de charrue qui arrachent en nous les vieux troncs d'arbres, les racines entrelacées dans notre terre, et tous les corps étrangers et nombreux qui s'opposent à notre végétation et à notre fertilisation.

Il faut que tout ce qui est entré en nous par la voie du charme et de la séduction, en sorte par la voie de la douleur et du déchirement : or, ce qui est entré en nous n'est rien moins que l'esprit de cet univers même avec toutes ses essences et toutes ses propriétés ; elles y ont fructifié avec abondance ; elles s'y sont transformées en sels corrosifs, en humeurs infectes, et tellement coagulées, qu'elles ne peuvent se séparer de nous que par des curatifs violents et des transpirations excessives.

Homme, ces essences et ces propriétés de l'univers se sont emparées de tout ton être ; voilà pourquoi les douleurs vives de la régénération doivent se faire sentir dans tout ton être, jusqu'à ce que ces bases fausses et sources de tes écarts, de tes ténèbres et de tes angoisses, étant disparues, elles puissent être remplacées par l'esprit et les essences d'un autre univers, dont tu aies à attendre des fruits plus doux et plus salutaires, c'est-à-dire, par les fruits du premier et véritable univers, ce que Jacob Boehme désigne sous le nom de l'élément pur.

Car en observant simplement ta situation physique dans ce monde, tu ne peux douter que toutes ces bases douloureuses ne soient en toi, et ne te constituent par les besoins journaliers qu'elles te font sentir, et les soins continuels qu'elles te donnent.

On voit en effet que tes jours sont employés à te mettre au-dessus du froid, au-dessus du chaud, au-dessus des ténèbres, même au-dessus de ces astres élevés que tu sembles soumettre à ton empire par tes sciences hardies, et par les ressources de tes instruments d'optique et d'astronomie.

Cela prouve assez que ta place n'était pas d'être au-dessous de toutes ces intempéries, de toutes ces influences qui te tourmentent, ni au-dessous non plus de tous ces superbes ouvrages de la nature, qui, malgré leur magnificence, sont obligés de ne prendre rang qu'après toi parmi les êtres.

Comme c'est dans ton être même le plus intérieur que toutes ces bases étrangères se sont implantées ; c'est aussi dans ton être le plus intérieur que les véritables douleurs doivent se faire sentir ; c'est là où se développe douloureusement le sens réel de l'humilité et de la contrition qui nous fait gémir de nous trouver liés à des essences aussi peu relatives à nous.

C'est là où tu apprends à te promener dans l'univers comme dans un chemin bordé de sépulcres, où tu ne peux faire un pas sans entendre des morts qui te demandent la vie.

C'est là où, par tes gémissements et tes souffrances, tu attires sur toi la substance du sacrifice, sur laquelle le feu du Seigneur ne peut manquer de descendre, et doit à la fois consumer la victime et vivifier le sacrificateur en le remplissant de puissants appuis, ou de continuelles virtualités pour poursuivre l'universalité de son oeuvre.

Car c'est par l'union de cette vive et douce substance du sacrifice avec nous, que notre régénération commence ; les douleurs purifiantes dont nous venons de parler n'en pouvant être que l'initiative, puisqu'elles ont pour objet de retrancher de nous ce qui nous nuit, mais non pas de nous donner ce qui nous manque.

Lors donc que nous nous sentons tout déchirés par ces cuisantes amputations, et que le sang coule par toutes nos plaies, c'est le moment où le baume salutaire vient l'étancher, qu'il se porte à toutes nos blessures et s'injecte dans tous nos canaux.

Or, comme c'est la vie même que ce baume nous apporte, nous ne tardons pas à nous sentir renaître dans toutes nos facultés, dans toutes nos vertus, et dans tous les principes actifs de notre être.

Car tous ces principes actifs de notre être sont tellement oppressés par le poids de l'univers, et tellement desséchés par le feu qui les brûle intérieurement, qu'ils attendent, dans l'ardeur de leur impatience, le seul rafraîchissement qui puisse leur rendre le mouvement et l'activité.

Ce rafraîchissement se fait petit avec les petits. Aussi commence-t-il très faiblement pour l'homme qui est si faible et si petit ; il porte le soin et l'amour jusqu'à se faire enfant avec nous, puisque nous sommes moins que des enfants, et qu'il faut généralement qu'à chaque acte de notre croissance, il prenne un degré voisin du nôtre.

Il fait avec nous comme une mère avec son enfant qui se serait blessé, ou qui souffrirait dans quelque membre ; elle occupe toutes ses pensées à chercher les moyens de le guérir ; elle se porte pour ainsi dire toute entière dans ses blessures et dans ses membres souffrants.

Mais elle s'y porte en prenant comme la forme, et en se substituant elle-même à ce qui est altéré et brisé dans son fils ; enfin, elle s'y porte en quelque façon avec l'industrie de son amour créateur ; et pour cette industrieuse tendresse, il n'y a rien de trop pénible, rien de trop petit ; tout ce qui peut être bon lui paraît nécessaire.

Ces moyens de tout genre, et gradués selon toutes les mesures, agissent dans les langues restauratrices, et dirigées par la vraie parole. Les diverses merveilles qu'on y rencontre renferment plus ou moins de cette activité appropriée aux besoins des époques où elles ont paru.

Car ce rafraîchissement après lequel nous languissons tous, quoiqu'il puisse entrer directement en nous, ne dédaigne cependant pas d'y entrer aussi par toutes sortes de voies ; et les langues restauratrices avec toutes les dénominations et expressions qu'elles renferment, sont un des moyens qu'il chérit le plus, et qu'il emploie de préférence.

On ne s'étonnera point de la nécessité que cette force vivante et active entre en nous, pour nous disposer à son oeuvre. Quiconque connaît l'état des choses, sent qu'il faut que nous devenions vifs et puissants pour que cette oeuvre s'accomplisse, puisque le mal est une puissance, et non pas une simple histoire.

Ce n'est point par des discours qu'on détruit son règne, soit dans la nature, soit dans l'esprit des hommes.

Aussi les hommes et les docteurs ont beau discourir, le mal ne fuit pas pour cela ; au contraire, il ne fait que plus de progrès à l'ombre de cet apparent palliatif.

Dans cet état de mort où languit l'univers, et toutes les régions déchues, s'il n'y avait pas une substance de vie répandue partout, est-ce que les choses pourraient subsister, dans quelque genre et de quelque ordre qu'elles fussent ? C'est sûrement cette substance de vie qui empêche leur destruction, et qui les soutient au milieu de toutes les secousses et des ébranlements qu'elles éprouvent continuellement.

C'est elle qui soutient la nature contre les forces ennemies qui la harcèlent ; c'est elle qui soutient le monde universel, malgré les ténèbres qui l'environnent, comme c'est le soleil qui soutient la terre, malgré les nuages qui nous le dérobent si souvent.

C'est elle qui soutient les nations politiques, malgré les désordres et les ravages qu'elles ne cessent d'exciter entre elles et contre elles-mêmes.

C'est elle qui soutient l'homme au milieu des ignorances, des extravagances, et des abominations qu'il ne cesse de verser autour de lui.

Cette substance de vie ne peut être que l'éternelle parole qui ne cessant de se créer elle-même, comme les écrits de Boehme l'ont amplement enseigné, ne cesse aussi de soutenir, par ses puissances, toutes les régions qu'elle a créées.

Cette substance est ensevelie partout dans des abîmes profonds, et soupire à chaque instant après sa délivrance, et cela sans que la nature le sache ; et c'est parce que cette substance de vie ne cesse de gémir, que les choses subsistent malgré l'étendue et la continuité des abominations qui les souillent, les environnent et les arrêtent ; et ces maux sont tels, que si nous les racontions aux esprits, nous les ferions pleurer et ils s'en iraient de douleur.

Mais comme l'âme ou le foyer radical de l'homme est le premier et le principal siège de cette substance, c'est en lui qu'elle cherche spécialement à se développer et à se montrer. Et si l'homme concourait avec elle par son action persévérante ; s'il sentait qu'il n'est, par sa nature première, rien moins qu'un oratoire divin où la vérité voudrait pouvoir à toute heure venir offrir l'encens pur à l'éternelle source de toutes choses, il n'est pas douteux qu'il verrait bientôt cette substance de vie étendre en lui de nombreuses racines, et répandre sur lui et tout autour de lui de nombreux rameaux chargés de fleurs et de fruits.

Bientôt les esprits enivrés de ces douceurs que nous leur procurerions, porteraient la charité jusqu'à oublier les maux que nous leur aurions faits auparavant par nos écarts ; car chacun des actes de cette substance est une floraison qui doit commencer par la racine de notre être, ou par ce qu'on peut appeler notre germe animique ; de là elle passe à la vie de notre esprit ou de notre intelligence, et ensuite à la vie de notre corps, et chacune de ces choses étant liée à sa région correspondante, chaque floraison qui se fait en nous se doit communiquer à son atmosphère particulière.

Mais comme cette substance ne peut opérer dans ces trois actes que pour nous donner partout une vie nouvelle, elle ne peut faire ce grand oeuvre que par une triple transmutation, et en nous donnant une nouvelle âme, un nouvel esprit et un nouveau corps.

Cette transmutation ne se peut faire que par de douloureuses opérations, parce qu'elle ne peut procéder que par un combat de ce qui est sain contre ce qui est malade, et par l'acte physique de la volonté vraie, contre notre volonté qui est fausse.

Aussi nos volontés n'opèrent rien si elles ne sont pas comme injectées de la volonté divine elle-même, qui est la seule qui veuille le bien, et qui puisse le produire ; remarque simple en apparence, mais qui n'en est pas moins féconde et spirituelle.

C'est par ces différents actes que la vie parvient à substituer à l'essence corrompue de notre âme, de notre esprit et de notre corps, une essence pure.

Par là, notre désir ne fait qu'un avec le désir divin, ou avec ce que je pourrais appeler la faim divine pour la manifestation et le règne de la vérité dans l'univers ;

Par là notre intelligence ne fait qu'un avec l'œil divin qui voit en arrière de soi comme en avant ;

Par là enfin, notre corps laissant s'anéantir en lui toutes les substances de mensonge, de corruption et de souillure qui le constituent, les sent remplacer par des substances diaphanes, qui font que, dans tous ces points, il est comme le transparent d'autant de clartés et de merveilles divines, de même que les corps matériels sont les transparents des merveilles naturelles ; et voilà ce que doivent espérer ceux qui croient que cette substance de vie n'est point une substance stérile.

En outre, s'ils croient qu'elle n'est pas une substance stérile, voilà la tâche qui leur est imposée à tous, s'ils veulent recouvrer leur première existence et en accomplir la destination.

Comment cette substance de vie serait-elle une substance stérile ? Elle provient, et participe du mouvement générateur, de ce mouvement sans temps, dans lequel par conséquent les mobiles ne peuvent pas être séparés, sans quoi il y aurait un intervalle ; mais dans lequel cependant les mobiles ne peuvent pas n'être point distincts, sans quoi il n'y aurait point de vie ni de diversité de merveilles.

Homme, homme qui est capable de concevoir de semblables sublimités, anime-toi ; car il t'est donné aussi de les atteindre, et de tellement les identifier avec tout ton être, que leur région et la sienne ne soient qu'une même région, et n'aient qu'une même langue.

C'est alors que la faim divine s'empare de l'homme ; et cette faim divine, en nous faisant clairement sentir là distinction de nos deux substances, ranime toute notre ardeur, et coordonne tous nos mouvements.

Nous ne respirons plus que pour un seul objet, celui de ne pas laisser faner et s'éteindre la substance de vie que cette faim divine nous fournit de jour en jour avec plus d'abondance ; celui enfin d'empêcher que cette substance divine ne tombe dans les fers et sous le joug des tyrans qui habitent en nous.

Tel devrait être même l'esprit de notre régime alimentaire ; et si l'homme était prudent, il ne se permettrait jamais de prendre ses repas matériels, qu'il n'eût commencé à ressusciter en lui la faim divine, et qu'il ne l'eût sentie.

Par là il éviterait cet inconvénient si funeste et si fréquent dans nos ténèbres, par lequel nous étouffons de plus en plus cette faim divine en nous, par nos aliments, tandis que nos aliments ne seraient censés devoir nous servir qu'à renouveler nos forces corporelles, pour chercher ensuite plus ardemment cette faim divine, et pour en supporter le feu lorsqu'elle viendrait à s'allumer en nous dans toute sa vigueur, et à tellement nous substanter, que notre faim corporelle en devînt moins pressante à son tour.

Aussi y a-t-il deux degrés dans ce régime alimentaire. L'un remis à l'industrie de nos intentions spiritualisées, et qui devrait être celui de tous les jours, sans que cependant il y ait des temps, des heures, des aliments à lui interdire, ou à lui marquer, puisque c'est cette industrie qui doit tout régler.

L'autre, celui de l'œuvre active lorsqu'elle nous emploie, et qu'elle juge à propos de nous prendre à son service, parce qu'alors elle nous sert à la fois de guide et de soutien.

Ce que je viens de dire là au sujet du premier degré de notre régime alimentaire, se peut dire de tous les autres actes de notre vie temporelle, auxquels nous ne devrions jamais nous livrer, que nous n'eussions auparavant réveillé en nous la faim divine, puisque cette faim divine devant nous procurer la vraie substance de vie, nous ne devons pas avoir d'autre but, d'autre attrait, d'autre pensée que de ne jamais laisser passer cette faim divine, par laquelle seule se peuvent manifester en nous les merveilles de Dieu, mais au contraire, de nous occuper sans cesse de la ranimer, afin qu'elle ait la délicieuse joie de se rassasier de la substance de vie.

Je ne te surprendrai point, homme, en te disant ici, que cette substance de vie ne se trouve que dans les douleurs d'une angoisseuse amertume, ou dans une profonde et complète désolation sur nos écarts, sur nos privations, sur les écarts et les réelles privations de nos semblables, sur les malheurs de ceux qui souffrent et plus encore, sur les malheurs de ceux qui ne souffrent point ; sur l'état sépulcral de la nature, et sur les lamentables et continuelles douleurs aiguës de l'universelle parole qui cherche par nous à rétablir partout l'équilibre et la plénitude, tandis qu'à la manière d'être que nous nous sommes créée par le crime, nous tenons le cœur de Dieu lui-même en nous, comme sur son lit de mort, et comme dans le tombeau le plus infect. Or, pourquoi la désolation est-elle ainsi la source génératrice de la substance de vie ? C'est qu'il n'y a que cette désolation qui soit aujourd'hui pour nous la source génératrice de la parole, comme nous voyons que dans nos maladies, ce sont nos souffrances qui nous arrachent des cris, et que ce n'est que de ces cris que naissent les soulagements et les secours qu'on nous apporte.

C'est pour cela que l'homme qui est appelé à l'œuvre, n'a plus besoin de se transplanter ni de changer de lieu, parce que le mal et le remède se trouvent partout, et l'homme n'a autre chose à faire que de crier. Car ce n'est point le changement de lieu terrestre qui nous est utile, c'est le changement de lieu spirituel.

Aussi sans bouger de notre place matérielle, devrions-nous sans cesse considérer douloureusement le lieu spirituel, froid et ténébreux, que nous habitons, pour aller établir notre demeure dans un lieu spirituel plus chaud, plus lumineux, et plus salutaire.

C'est depuis que nous nous sommes assujettis aux climats de l'esprit, que nous sommes exposés à ces différentes températures. Nous étions faits primitivement pour le climat pur et uniforme, où la température est douce et le printemps perpétuel.

Dès que nous remarquons que l'univers n'a point de parole, il n'est pas difficile d'observer que c'est là une des principales causes du tourment qu'il éprouve.

Car ces langueurs qui le fatiguent, ce poison pestilentiel qui le ronge et que nous avons reconnu comme n'étant entré dans ces substances, que par la faute et la négligence de l'homme, tous ces obstacles, dis-je, ne lui seraient pas sensibles, s'il n'était dans la privation de la parole, parce qu'elle aurait par elle-même tout le pouvoir nécessaire pour empêcher qu'ils n'approchassent, ou pour les dissiper s'ils étaient une fois approchés.

C'est donc cette privation qui fait réellement que la nature est dans une tourmente perpétuelle, ou dans ce que les hommes de l'esprit ont appelé la vanité.

Ils savaient, ces hommes-là, que la parole devait tout remplir, et ils gémissaient de ce qu'il y avait quelque chose où cette parole ne se montrait point.

Ils savaient que l'univers étant vide et sans parole, ne pouvait rien signifier pour eux, puisque Dieu seul était plein et signifiait tout ; qu'ainsi ce qui ne participe pas à la plénitude de son être divin, ne peut montrer que l'opposé de ses universelles propriétés.

Ils savaient que l'homme ne pouvait prier sans préparation, c'est-à-dire, sans que son atmosphère ne fût remplie de la parole, ou bien, dans le sens vaste et complet, sans que la parole ne fût rendue à l'univers.

Aussi ils se lamentaient dans leur tristesse, et ils disaient au nom de l'homme : l'univers, ce superbe tableau que nous admirerions avec transport, si nous ne sentions pas ce qui lui manque, l'univers n'a point la parole, il ne peut prendre part à la prière ; il est même un obstacle à la prière, puisque nous ne pouvons prier qu'au milieu de nos frères. Hélas ! nous ne pourrons donc prier à loisir que quand l'univers sera passé ! et il nous faudra attendre la fin des choses, pour pouvoir donner un libre cours à cette ardeur qui nous oppresse ! Qui pourrait tenir à cette douleur ! et ils passaient leurs jours dans cette angoisse.

Homme, puisque tu es dans l'univers, il n'est pas une seule des tourmentes qu'il éprouve que tu ne puisses sentir et partager à ton tour, puisque ton corps même participe aux influences et aux diverses températures dont les éléments sont à la fois les sources et les instruments.

Oui, tu es susceptible d'éprouver les douleurs de l'univers, puisque c'est toi qui as été capable de les occasionner ; et ce n'est qu'autant que tu seras admis à participer à ses douleurs, que tu pourras concourir au développement de ses facultés comprimées : ce ne peut être que par des mouvements coordonnés avec ses souffrances, que tu parviendras à le ramener à la joie, et que ta prière pourra espérer de recouvrer un libre cours.

Il faudra bien même un jour que tu entres aussi dans les tourmentes de l'esprit et dans les tourmentes de Dieu et de la parole, tant dans l'ordre particulier que dans l'ordre universel ; car les droits de ton être t'appellent à agir également par des mouvements coordonnés dans ces deux régions ; et c'est alors que tu avanceras dans ta renaissance, et que l'œuvre s'agrandira pour toi.

L'homme trouve communément quelque chose de solennel et de majestueux dans des lieux solitaires, couverts de forêts ou arrosés de quelque vaste fleuve ; ces tableaux sérieux et imposants semblent accroître leur empire sur lui quand il les contemple dans l'ombre et le silence de la nuit.

Mais il peut aussi en recevoir d'autres impressions, et y faire des observations d'une autre espèce ; c'est que le silence de tous ces objets porte sur l'âme une empreinte lamentable, et qui nous montre clairement la véritable cause de ce que nous avons désigné ci-dessus par le nom de la vanité.

En effet, toute la nature ressemble à un être muet, qui peint de son mieux, par ses mouvements, les principaux besoins dont il est dévoré, mais qui manquant de parole, laisse toujours son expression bien au-dessous de ses désirs, et laisse toujours percer au travers de sa joie même, quelques traits sérieux et tristes qui nous empêchent de jouir de la nôtre complètement.

Aussi sent-on réellement au milieu de ces grands objets, que la nature s'ennuie de ne pouvoir parler, et une langueur qui l'emporte sur la mélancolie, vient succéder en nous à l'admiration, quand nous ouvrons notre âme à cette pénible pensée.

C'est assez nous faire comprendre que tout devrait parler, comme aussi la persuasion que tout devrait parler, nous donne celle que tout devrait être fluide et diaphane, et que l'opacité et la stagnation sont les causes radicales du silence et de l'ennui de la nature.

Qu'est-ce que c'est donc que ton séjour, homme, au milieu de tous ces objets qui ne manifestent ni joie ni parole ? Et ce besoin si impérieux que tu sens de la parole et de la joie, ne te montre-t-il pas quel est son terme, quel est le but qui t'attend quand tu seras délivré de la prison de cette nature, comme aussi quelle est l'espèce d'emploi que tu as à exercer dans l'univers, si tu conserves toujours l'intention et l'espoir d'en être le consolateur ?

Etudie la transsudation universelle de la nature ; cette huile d'amertume t'apprendra assez puissamment que toute cette nature n'est qu'une douleur concentrée.

Mais quoique la nature soit condamnée à l'ennui et au silence, observe cependant qu'elle parle plus haut le jour que la nuit ; vérité que la moindre expérience te confirmera, et ton intelligence t'en apprendra aisément la raison ; elle t'apprendra que le soleil est le verbe de la nature, que quand il la prive de sa présence, elle ne jouit plus de l'usage de ses facultés ; mais que quand il vient lui rapporter la vie par sa parole de feu, elle redouble ses efforts pour manifester tout ce qui est en elle.

Tous les êtres qui la composent se disputent alors à qui prouvera le mieux le zèle et l'activité qui le pressent, pour concourir par son action, à la louange et à la gloire de cette ineffable source de la lumière. Ils nous indiquent assez par là le travail que nous devons faire dans cet univers, et ce qui nous attend lorsque nous serons sortis de cette maison de change, qui n'est rien moins que le sépulcre de l'éternité, et où nous avons pour tâche de changer nos monnaies étrangères contre la monnaie du pays, c'est-à-dire la mort contre la vie.

Consolez-vous, hommes de désir, si le silence de la nature est la cause de l'ennui qu'elle manifeste, rien ne peut devenir pour vous plus éloquent que ce silence ; car c'est le silence de la douleur, et non celui de l'insensibilité. Plus vous observerez attentivement cette nature, plus vous reconnaîtrez que si elle a ses moments de tristesse, elle a aussi ses moments de joie, et il n'est donné qu'à vous de les découvrir et de les apprécier. Elle sent la vie circuler secrètement dans ses veines ; et même elle est prête à entendre par votre organe les sons de la parole qui la soutient et l'oppose à l'ennemi comme une barrière insurmontable.

Elle cherche dans vous le feu vivant qui s'exhale de cette parole, et qui veut apporter par vous un baume salutaire dans toutes ses plaies.

Oui, quoique l'homme terrestre n'aperçoive que le silence et l'ennui de la nature, vous, hommes de désir, vous êtes sûrs que tout chante en elle, et prophétise par de sublimes cantiques sa délivrance.

Aussi vous avertissez dans votre saint zèle, et par les ordres souverains, qu'il faut auparavant que tout chante dans l'homme pour coopérer à cette délivrance, et pour que tous les hommes de la terre puissent un jour dire comme vous : tout chante dans la nature.

Vous êtes comme les précurseurs de ce règne de vérité après lequel soupire l'ordre des choses. Vous marchez dans cette progression majestueuse et divinement restauratrice, qui rend à chaque époque la progression opposée si criminelle.

C'est par là que le mal dévorant la substance de vie à chacune de ces grandes périodes qui ont commencé dès l'origine des choses et ne finiront qu'à la dernière heure, ne cesse de s'engraisser de l'iniquité jusqu'à ce que ses mesures étant combles, il soit livré à l'exécution de son jugement.

Car pendant la durée du temps, il n'est qu'en privation ; et encore a-t-il su bien étendre les limites de sa prison en corrompant son geôlier, qui était le seul par lequel il pouvait parvenir à avoir connaissance de ce qui se passait au dehors.

Mais au milieu de ces douloureux progrès de l'ennemi, vous triomphez d'avance, parce que vous voyez marcher aussi la progression restauratrice vers son terme de gloire et de victoire.

Vous la voyez d'avance prononcer l'arrêt d'exécution sur le criminel qui l'ignore encore et l'ignorera jusqu'au moment de son supplice définitif.

Enfin vous la voyez d'avance chanter dans toute la nature et dans l'âme des hommes de vérité, les cantiques de jubilation qui couronneront tous ses désirs et tous les travaux de la prière. Car s'il est vrai que tout chante dans la nature, il est encore plus vrai que tout y prie, puisque tout y est dans le travail et dans la tourmente.

Comment pouvoir être employé au soulagement d'un être, sans connaître auparavant la structure et la composition de cet être ? Et comment en connaître réellement la composition et la structure si l'on ne connaît pas les diverses substances qui le constituent, ainsi que les qualités et les propriétés attachées à ces substances ? Enfin, comment connaître les qualités et les propriétés attachées à ces substances, si l'on ne connaît pas les sources radicales d'où ces substances tirent leur origine ?

Au lieu de scruter profondément ces bases radicales, les hommes ont laissé errer vaguement leur pensée sur des questions oiseuses qui ne pouvaient rien leur apprendre, et les écartaient d'autant des vraies sentiers qu'ils auraient dû suivre. Telle est, par exemple, cette puérile question de la divisibilité de la matière qui retient comme dans l'enfance toutes les écoles.

Ce n'est point la matière qui est divisible à l'infini ; c'est la base de son action, ou, si l'on veut, les puissances spiritueuses de ce qu'on peut appeler l'esprit de la matière ou de l'esprit astral. Ces puissances sont innombrables. Dès l'instant qu'elles doivent se transformer en caractères et figures sensibles, elles ne manquent pas de substances pour cela, puisqu'elles en sont imprégnées et qu'elles les produisent de concert avec le pouvoir élémentaire auquel elles s'unissent. C'est par là qu'ici-bas tout ce qui existe, se crée la substance de son propre corps.

Or, la petitesse infinie des corps, telle que dans certains insectes, ne doit point surprendre. quoiqu'ils soient complètement organisés pour leur espèce. Tous les corps ne sont qu'une réalisation du plan de l'esprit astral et de la puissance spiritueuse particulière opérative de chaque corps ; et c'est ici qu'il faut se pénétrer d'une vérité qui est que, dans toutes les régions, l'esprit ne connaissant point d'espace, mais seulement de l'intensité dans ses vertus radicales. il n'y a pas une seule puissance spiritueuse de l'esprit, qui, quand même elle ne se rendrait pas sensible matériellement, ne le soit selon l'élément caché, ou selon la corporisation supérieure que nous avons présentée précédemment sous le nom de l'éternelle nature.

Le passage de cette région-là à la région matérielle n'a lieu que par la plus extrême concentration et atténuation de cette puissance spiritueuse de l'esprit, sur laquelle le pouvoir élémentaire étend ses droits pour lui aider à former son corps ou son enveloppe. Ce pouvoir élémentaire a une puissance complète dans sa région ; il l'exerce avec un empire universel sur toutes les bases spiritueuses qui se présentent à lui : elles et lui ne se joignent que par leur minimum, qui ici se trouve en sens inverse, puisque l'un est le minimum de l'atténuation, et l'autre, le minimum de la croissance ou du développement. La base spiritueuse opère à son tour par son action vive une réaction sur le pouvoir élémentaire ; ce qui fait qu'à mesure que cette base se développe, le pouvoir élémentaire se développe aussi pour la poursuivre, comme on le voit à la croissance des arbres et des animaux.

Quand cette base a acquis par ce moyen un degré de force qui l'affranchisse de l'empire du pouvoir élémentaire, elle s'en sépare ; ce qui se voit à toutes les floraisons, à toutes les manifestations des odeurs, des couleurs, ou enfin à la maturité de toutes les productions. Chacune abandonne son matras lorsqu'il n'a plus le pouvoir de la retenir, et alors ce matras retombe dans son minimum, pour ne pas dire dans son néant, puisqu'il n'a plus de bases spiritueuses qui le réactionnent.

Ainsi, premièrement, la matière n'est pas divisible à l'infini, en la considérant sous le rapport de la divisibilité de sa substance, opération que nous avons démontrée ailleurs ne pouvoir pas même commencer, comme on le voit aux corps organiques qui ne peuvent se diviser sans périr ; secondement, elle n'est pas même divisible à l'infini dans chacune de ses actions particulières, puisque chacune de ces actions particulières cesse dès que la base spiritueuse qui lui sert de sujet, est retirée ; aussi la limite de cette action est la retraite et la disparition de cette même base.

Quant à cette divisibilité, considérée abstractivement et dans notre pensée, elle a encore moins de possibilité, puisque ce n'est que notre propre conception qui sert de base à cette prétendue matière que nous nous forgeons continuellement ; et en effet, tant que notre esprit présente à la matière un pareil substratum ou un pareil germe, cette matière s'en empare dans notre pensée, et lui sert de forme et d'enveloppe.

Ainsi, tant que nous nous arrêtons à cette divisibilité, ou que nous en concevons les résultats sensibles, nous trouvons cette divisibilité possible et réelle, puisque la forme sensible suit toujours la base que nous lui offrons ; mais dès que nous détournons les yeux de notre esprit de ce foyer d'action dont nous ne nous rapprochons qu'intellectuellement, cette forme disparaît, et il n'y a plus pour lui ni pour nous de divisibilité de la matière.

Si les doctes anciens et modernes depuis les Platon, les Aristote, jusqu'aux Newton et aux Spinoza, avaient su faire attention que la matière n'est qu'une représentation et une image de ce qui n'est pas elle, ils ne se seraient pas tant tourmentés, ni tant égarés pour vouloir nous dire ce qu'elle était.

Elle est comme le portrait d'une personne absente ; il faut absolument connaître le modèle pour pouvoir s'assurer de la ressemblance. Sans quoi ce portrait ne sera plus pour nous qu'un ouvrage de fantaisie, sur lequel chacun fera toutes les conjectures qu'il lui plaira, sans que l'on soit sûr qu'il y en ait une de vraie.

Néanmoins dans cette série de la formation des êtres qui vient de nous occuper, il y a un point important qui se refuse à notre connaissance ; c'est le magisme de la génération des choses, et encore ne s'y refuse-t-il que parce ce que nous cherchons à atteindre, par l'analyse, ce qui en soi n'est appréhensible que par une impression cachée ; et même on peut dire que sur ce point Jacob Boehme a levé presque tous les voiles en développant à notre esprit les sept formes de la nature, jusque dans la racine éternelle des êtres.

Le vrai caractère du magisme est d'être le médium et le moyen de passage de l'état de dispersion absolue ou d'indifférence, que Boehme appelle abyssale, à l'état de sensibilisation quelconque caractérisée, soit spirituelle, soit naturelle, tant simple qu'élémentaire.

La génération ou ce passage de l'état insensible à l'état sensible est perpétuelle. Elle tient le milieu entre l'état dispersé et insensible des choses, et leur état de sensibilisation caractérisée, et cependant elle n'est ni l'un ni l'autre, puisqu'elle n'est, ni la dispersion comme l'état abyssal, ni la manifestation développée comme la chose que cette génération veut nous transmettre et nous communiquer.

Dans ce sens, la nature actuelle a son magisme ; car elle renferme tout ce qui est au-dessus d'elle en dispersion, ou toutes les essences astrales et élémentaires qui doivent contribuer a la production des êtres ; et en outre, elle renferme toutes les propriétés cachées du monde supérieur à elle, et vers lequel elle tend à rallier toutes nos pensées.

Dans ce sens, chaque production particulière de la nature a aussi son magisme ; car chacune d'elles en particulier, telle qu'une fleur, un sel, un animal, une substance métallique, est un médium entre les propriétés invisibles et insensibles qui sont dans sa racine, dans son principe de vie, ou dans ses essences fondamentales, et entre les qualités sensibles qui émanent de cette production, et qui nous sont manifestées par son moyen.

C'est dans ce médium que s'élabore et se prépare tout ce qui doit sortir de chaque production ; or, c'est ce lieu de préparation, c'est ce laboratoire enfin dans lequel nous ne pouvons pénétrer sans le détruire, et qui par cette raison est un véritable magisme pour nous, quoique nous puissions connaître le nombre des ressorts qui concourent à le produire, et même la loi qui en dirige l'effet.

Le principe de cette marche cachée est fondé sur la génération divine elle-même, où le médium éternel sert à jamais de passage à l'infinie immensité des essences universelles. C'est dans ce passage que ces essences universelles s'imprègnent respectivement, afin qu'après cette imprégnation, elles se manifestent, dans leur vive ardeur, avec toutes leurs qualités individuelles, et avec celles qu'elles se sont communiquées les unes et les autres par leur séjour dans ce médium, ou dans ce lieu de passage.

Or, sans ce médium, sans ce lieu de passage, il n'y aurait rien de manifesté, rien qui pût nous être appréhensible ; ainsi tous les médium de la nature actuelle, tous ceux de la nature spirituelle ne sont que des images de ce médium éternel et primitif ; ils ne font que nous en répéter la loi, et voilà comment tout ce qui est dans le temps, est le démonstrateur, le commentateur et le continuateur de l'éternité.

Car l'éternité, ou ce qui est, doit se regarder comme étant le fond de toutes choses. Les êtres ne sont que comme les cadres, les vases, ou les enveloppes actives où cette essence vive et vraie vient se renfermer pour se manifester par leur moyen.

Les uns, tels que tout ce qui compose l'univers, manifestent les puissances spiritueuses de cette suprême essence. Les autres, tels que l'homme, en manifestent les puissances spirituelles, c'est-à-dire, ce qu'il y a de plus intime dans cette essence une, ou dans cet être de tous les êtres.

Ainsi, quoique nous ignorions la génération des choses, cependant toutes les connaissances auxquelles nous tendons, et dont nous nous prévalons quand nous les avons obtenues, n'ont que l'essence vraie pour base et pour objet : ainsi les beautés de la nature, et les propriétés utiles et suaves, qui depuis que Dieu l'a retenue dans sa chute, se trouvent encore dans cette nature, malgré sa dégradation, tiennent aussi à cette essence vraie, et peuvent encore lui servir d'organe, de cadre et de conducteur.

Lors donc que nous prenons le change sur l'existence de ces objets, comme le font sans cesse les fausses sciences, c'est que nous ne nous donnons pas la peine et le temps de chercher en eux cette essence vraie qui y doit être, et qui ne tend qu'à se faire connaître ; encore moins pourrions-nous alors la ranimer dans ceux de ces objets où elle se trouverait assoupie ; et c'est par là que nous prolongeons les maux que nous avons faits à la nature, tandis que nous devrions nous occuper de les soulager.

Répétons-le donc, s'il était vrai que l'univers fût sur son lit de mort, comment pourrions-nous apporter du soulagement à l'univers, si nous ignorons non seulement ce qui constitue l'univers, mais même les rapports que doivent avoir entre elles toutes les différentes parties qui le composent, et les différents rouages qui forment l'ensemble de cette grande machine et en facilitent les mouvements ?

Mais quoique l'homme s'occupe journellement à rétablir dans son petit cercle, l'harmonie et le tempérament parmi les éléments et les puissances de l'univers qui sont en combat ; quoiqu'il cherche à faire disparaître autour de lui cette pénible discordance qui travaille la nature, cependant l'idée de concourir au soulagement de l'univers, est sans doute une conception qui surprendra, et qui au premier abord paraît être exagérée et surpasser de beaucoup nos pouvoirs, tant l'instruction commune, et surtout le poids de l'univers lui-même, qui nous oppresse et nous accable, répand un voile épais sur nos véritables droits.

Toutefois la simple idée de connaître la structure et la composition de l'univers, quel a été le mode de sa formation, et ce que peuvent être ces différents corps qui circulent dans l'espace avec une marche si imposante, cette idée, dis-je, ne doit pas être en bute aux mêmes reproches.

Car on peut dire que dans tous les siècles, l'étude de ces questions a été l'objet de la curiosité et des recherches des hommes avides de connaissances, quoique dans tous les siècles il semble n'être résulté que de médiocres lumières de ces importantes recherches, si l'on juge simplement par les doctrines diverses que la renommée nous a transmises sur ces matières.

En effet, les philosophes de l'Antiquité qui en ont parlé, ne paraissent pas avancer beaucoup sur cet objet nos connaissances, et c'est nous apprendre peu de choses que de venir nous dire, les uns, comme Thalès, que l'univers devait son origine à l'eau ; les autres comme Anaximène, qu'il la devait à l'air ; d'autres, comme Empédocle, qu'il était composé de quatre éléments qui se faisaient entre eux une guerre continuelle, mais sans pouvoir jamais se détruire, en supposant toutefois, je le répète, que nous puissions juger de pareilles doctrines, dénuées pour nous de tous les développements, qui jadis pouvaient justifier leurs partisans et leurs auteurs.

Il n'est pas jusqu'aux qualités d'Anaximandre, et même jusqu'aux formes plastiques des Stoïciens, sur lesquelles je ne crusse devoir suspendre mon jugement. J'accorderai volontiers qu'elles peuvent paraître très obscures, mais je craindrais de m'avancer trop en les taxant hautement de folies et de rêveries philosophiques. Ce n'est pas dans de pareilles contestations qu'il est permis de porter des sentences par défaut, et si ces folies apparentes ont été combattues par les incrédules, comme on le croit, ce n'a été peut-être qu'en substituant à de simples obscurités des absurdités démontrées.

Aussi les opinions des modernes ont peu étendu nos connaissances sur ces grandes questions : car que nous apprennent et le système de Telliamed qui fait tout provenir de la mer, et les monades de Leibniz, et les molécules intégrantes et les agrégats de la physique de notre siècle, qui sous de nouveaux noms, ne sont que les atomes d'Épicure, de Leucippe et de Démocrite ?

L'esprit de l'homme, ou ne pouvant percer dans ces profondeurs avec autant de succès qu'il le désirerait, ou ne pouvant faire concevoir aux autres hommes le vrai sens des progrès qu'il y faisait, et des découvertes qu'elles lui offraient, s'est rejeté dans tous les temps vers l'étude des lois qui dirigent la marche extérieure, soit du globe que nous habitons, soit celle de tous les autres globes accessibles à notre vue : c'est ce qui nous a valu, dans les siècles anciens et modernes, toutes les connaissances astronomiques dont nous jouissons.

Quoique ces superbes connaissances, qui se sont si étonnamment étendues de nos jours, tant par le secours des instruments perfectionnés, que par celui des merveilles modernes de l'analyse algébrique, nous aient procuré une jouissance d'autant plus douce, qu'elle a pour base la rigueur de la démonstration ; cependant, comme elles ne nous apprennent que les lois externes de l'univers, elles ne semblent ne nous remplir complètement, qu'autant que nous étouffons et paralysons le désir secret que nous nourrissons tous d'un aliment plus substantiel.

Aussi, malgré les brillantes découvertes de Kepler sur les lois des corps célestes, Descartes, qui lui-même s'est rendu si célèbre par l'application qu'il a faite de l'algèbre à la géométrie, cherchait encore la cause et le mode des mouvements célestes et de la marche des astres.

Tandis que Kepler démontrait, Descartes cherchait à expliquer : tant l'esprit de l'homme a d'attrait pour connaître non seulement le cours de ces grands corps de la nature, et la durée et les lois de leurs mouvements périodiques, mais encore la cause mécanique de ces mouvements ; et c'est ce qui néanmoins a mené ce beau génie à ces infortunés tourbillons qu'on a rejetés, sans avoir encore rien mis en leur place. Car la connaissance des lois astronomiques, et l'attraction elle-même embrassent les règles du mouvement des astres, et n'en expliquent pas le mécanisme.

Des hommes célèbres, postérieurs à Descartes, ont cherché à pénétrer encore plus avant que lui dans les profondeurs de l'existence des corps célestes : en effet, il n'a essayé que d'en expliquer le mécanisme ; mais pour eux, ils ont cherché à en expliquer l'origine et la formation primitive.

Je n'entends point parler ici de Newton ; car, malgré la beauté de sa découverte sur la pesanteur et l'attraction qui s'appliquent si heureusement à toutes les parties du système théorique de l'univers, il ne nous a offert cependant là qu'une loi secondaire qui suppose auparavant dans les plus petites parties des corps de la nature, une loi primaire dont cette pesanteur est dérivée, et qui ne peut en être que l'organe, comme elle n'en est que le résultat.

Mais je veux parler de Buffon qui, aux yeux des savants du premier rang (Exposition du système du monde par Laplace, tome 2, page 298), a essayé le premier, depuis la découverte du vrai système des mouvements célestes, de remonter à l'origine des planètes et des satellites. Il suppose qu'une comète, en tombant sur le soleil, en a chassé un torrent de matière qui s'est réunie au loin en divers globes plus ou moins grands et plus ou moins éloignés de cet astre. Ces globes sont, selon Buffon, les planètes et les satellites qui, par leur refroidissement, sont devenus opaques et solides.

Le savant Laplace n'admet point cette hypothèse, parce qu'il trouve qu'elle ne satisfait qu'au premier des cinq phénomènes dont il fait l'énumération, même page 298. Mais il essaie à son tour, page 301, de s'élever à leur véritable cause, en ayant la modestie toutefois de ne présenter qu'avec une sage défiance ce qui n'est point un résultat de l'observation et du calcul.

Il se réduit, au sujet de cette véritable cause, à penser que, pour avoir donné aux planètes, dans le même sens, un mouvement presque circulaire autour du soleil, il faut qu'un fluide immense ait environné cet astre comme une atmosphère ; il prétend que l'atmosphère du soleil s'est primitivement étendue au-delà des orbes de toutes les planètes, et qu'elle s'est resserrée successivement jusqu'à ses limites actuelles.

Il prétend que la grande excentricité des orbes des comètes conduit au même résultat, et qu'elle indique évidemment la disparition d'un grand nombre d'orbes moins excentriques ; ce qui suppose autour du soleil une atmosphère qui s'est étendue au-delà du périhélie des comètes observables, et qui, en détruisant les mouvements de celles qui l'ont traversée pendant la durée de sa grande étendue, les a réunies au soleil.

Alors, dit-il, on voit qu'il ne doit exister présentement que les comètes qui étaient au-delà dans cet intervalle ; que, comme nous ne pouvons observer que celles qui approchent assez près du soleil dans leur périhélie, leurs orbes doivent être fort excentriques ; mais qu'en même temps on voit que leurs inclinaisons doivent offrir les mêmes inégalités que si ces corps ont été lancés au hasard, puisque l'atmosphère solaire n'a point influé sur leurs mouvements ; qu'ainsi la longue durée des révolutions des comètes, la grande excentricité de leur orbe et la variété de leurs inclinaisons s'expliquent très naturellement au moyen de cette atmosphère.

Mais, se demande-t-il, comment a-t-elle déterminé les mouvements de révolution et de rotation des planètes ? Il se répond : que si ces corps avaient pénétré dans ce fluide, sa résistance les aurait fait tomber sur le soleil ; qu'on peut donc conjecturer qu'ils ont été formés aux limites successives de cette atmosphère, par la condensation des zones qu'elle a dû abandonner dans le plan de son équateur, en se refroidissant et se condensant à la surface de cet astre... qu'on peut conjecturer encore que les satellites ont été formés d'une manière semblable, par les atmosphères des planètes ; enfin, que les cinq phénomènes qu'il a exposés précédemment, découlent naturellement de ces hypothèses auxquelles les anneaux de Saturne ajoutent un nouveau degré de vraisemblance.

Observons ces deux hypothèses. Celle de Buffon, indépendamment des défectuosités qui ont été remarquées par le savant Laplace, offre une difficulté majeure, qui serait de savoir d'où proviendrait cette comète qui aurait frappé le soleil pour en faire sortir la matière des planètes, d'autant que les planètes et les comètes sembleraient avoir eu une grande affinité dans l'origine de leurs mouvements.

En effet, si ces deux ordres de corps célestes diffèrent par leur excentricité, par la direction de leurs cours et par leurs inclinaisons, ils se ressemblent par leur assujettissement aux mêmes lois de la pesanteur, aux mêmes lois de l'attraction, et aux mêmes lois de proportionnalité dans les vitesses et les distances, et dans l'égalité des aires parcourues en temps égaux ; ce qui donne le moyen de calculer, par la même méthode, le cours des comètes et celui des planètes, et de leur appliquer également les magnifiques découvertes de Kepler et de Newton.

Quant à l'hypothèse du savant Laplace, s'il reconnaît que les cinq phénomènes dont il a fait mention, en découlent naturellement, il doit avouer aussi que, malgré ces avantages que je ne conteste pas, elle laisse cependant beaucoup de choses à désirer.

Dans le vrai, on ne concevra pas sans peine, comment l'atmosphère solaire, qui n'a laissé se former les planètes qu'en se resserrant jusqu'à ses limites actuelles, et qui n'a laissé, sans doute, nos comètes se former également qu'en se retirant, puisqu'elle s'était étendue primitivement au-delà du périhélie des comètes observables, et que la grande excentricité de leurs orbes conduit, selon lui, aux mêmes résultats ; on ne concevra pas, dis-je, comment l'atmosphère solaire qui, d'après son hypothèse, s'est étendue au-delà du périhélie des comètes observables, a cependant été traversée pendant la durée de sa grande étendue, par un grand nombre d'orbes moins excentriques dont elle a détruit les mouvements, et qu'elle a réunis au soleil, puisque l'existence et la formation de ces orbes ou de ces comètes, moins excentriques au sein de cette même atmosphère, contrarierait son propre système.

On ne concevra pas pourquoi, si des comètes ont pu pénétrer dans cette atmosphère solaire, les planètes, vu leur peu d'excentricité, n'auraient pas pu y pénétrer et y trouver également leur destruction, et même y circuler exclusivement jusqu'à ce qu'elles fussent à leur tour précipitées sur la masse solaire, puisque les unes et les autres, selon son hypothèse, doivent leur origine à la même cause ; ce qui ferait que depuis longtemps nous ne devrions plus avoir de planètes, d'autant qu'il est dit, page 301, qu'il faut que ce fluide d'une immense étendue, ait embrassé tous les corps, c'est-à-dire, les planètes et les satellites.

Enfin, on ne concevra pas comment les planètes ne devant leur formation qu'à la retraite ou au resserrement de l'atmosphère solaire, après qu'elles en auront été embrassées à leur tour, les satellites devraient la leur à la retraite, ou au resserrement de l'atmosphère de leur planète principale, puisque ces satellites paraissant être absolument de la même nature que leur planète principale, sembleraient avoir dû leur origine à une cause simultanée, et que l'atmosphère solaire en se retirant et se resserrant, n'est pas censée laisser d'autre atmosphère après soi.

Sans porter plus loin l'examen de ces hypothèses défectueuses, je dirai qu'en général, ce qui nuit à la justesse et à la vérité des hypothèses enfantées par l'esprit humain, c'est le penchant secret qui l'entraîne à chercher aux phénomènes de la nature un mécanisme uniforme et un élément unique, comme lui paraissant ce qu'il y a de plus régulier et de plus parfait.

En fait d'explications, celle qui est la plus parfaite, c'est celle qui est la plus vraie, quelque multipliées et quelque compliquées que puissent être les causes dont cette explication essaie de rendre compte. L'oubli de cette vérité, on peut le dire, est ce qui a retardé en tout genre le développement de nos connaissances, et il n'y a pas une science qui n'en ait éprouvé et n'en éprouve peut-être tous les jours un préjudice sensible.

De même que les progrès de l'astronomie ont souffert de l'opinion où les savants ont été jusqu'à Kepler, que les astres ne décrivaient que des orbes circulaires, parce que cette courbe était regardée comme la plus parfaite et la plus simple ; de même la persuasion de l'unité des causes radicales et des données qui servent de base à la formation des astres et à leur mouvement, pourrait retarder la connaissance des véritables sources dont ils dérivent.

Une autre observation qui vient à l'appui de celle-ci, et qui n'est pas moins certaine, c'est que la loi des résultats extérieurs est plus facile à saisir que celle des organes qui les transmettent, et celle des organes qui les transmettent, plus facile à saisir que celle des causes qui dirigent et constituent ces organes eux-mêmes ; parce qu'à mesure qu'on pénètre au-delà de la surface des êtres, leurs facultés sont plus prononcées et offrent par conséquent plus de diversité et d'opposition.

C'est ainsi que pour déterminer la marche et les périodes que les aiguilles d'une montre tracent sur son cadran, il suffit de les considérer des yeux et d'en suivre les mouvements monotones, parce que, comme il n'y a là qu'un seul fait, on n'a besoin aussi que d'une seule formule pour le décrire et l'expliquer.

Si l'on veut pénétrer dans l'intérieur de la montre, on va y trouver plusieurs agents divers, dont les lois seront nécessairement plus nombreuses et l'explication moins simple que celle de la marche des aiguilles, puisqu'il y a entre eux une sorte de combat et d'opposition.

Si l'on veut aller encore plus loin et scruter ce qui met en jeu tous les rouages de cette montre, calculer la somme de mouvement, et celle de la force et de la résistance qui gouvernent tous ces agents, et décomposer les diverses substances qui sont employées à ce mécanisme pour juger celles qui peuvent le mieux en remplir l'objet, on verra combien les branches de la science vont se multiplier, et combien on serait éloigné de la vérité, si l'on voulait embrasser ces différentes branches dans une seule loi, et les soumettre à une seule explication.

C'est pour cela que quand le génie de l'homme a observé avec une profonde attention les mouvements extérieurs des astres, il est parvenu à ces découvertes admirables de nos siècles modernes, et à ces magnifiques axiomes, par le moyen desquels, avec les lois les plus simples, il a décrit la véritable marche des corps célestes.

Mais il ne s'est occupé là que du cadran de la montre ; et au lieu de nous avoir donné ce que les savants appellent le vrai système du monde, il ne nous en a réellement donné que l'itinéraire ; et encore dans cet itinéraire a-t-il oublié ce qu'il y aurait de bien essentiel en fait de voyages, qui serait de nous dire d'où le voyageur est parti et où il va.

Aussi, lorsque après avoir décrit les mouvements des corps célestes, l'homme a voulu essayer de décrire leur mobilité organique et primitive, c'est-à-dire pénétrer dans l'intérieur de la montre, on voit par les deux hypothèses ci-dessus, combien il a trouvé de difficultés et combien il est resté en arrière.

Ces difficultés se sont multipliées bien davantage encore pour lui, lorsque ne se contentant pas de scruter la mobilité organique et primitive des corps célestes, il a voulu se rendre compte de la formation originelle de ces corps célestes eux-mêmes ; et les deux hypothèses en question peuvent nous servir de témoignage.

Je ne crains point d'en répéter la raison ; c'est qu'à mesure que nous pénétrons au-delà de la surface des opérations de la nature, des mobiles divers se caractérisent, se prononcent, et se refusant à l'unité de loi comme à l'unité d'action, ils se refusent par conséquent à l'explication générale, applicable à la monotonie et à l'uniformité des phénomènes extérieurs qui ne sont que de serviles résultats.

Si les auteurs des deux hypothèses ci-dessus n'ont pas laissé de les publier, quoiqu'elles fussent loin de nous expliquer le système de l'origine des astres, j'oserai demander qu'il me soit permis à mon tour d'en proposer une troisième, quand même elle ne devrait pas avoir plus de succès. Je me déterminerai d'autant plus volontiers à exposer cette hypothèse, qu'elle ne vient pas de moi, et que par cette entreprise, je ne m'établis point le rival des deux auteurs en question.

Toutefois cette hypothèse ne pourra pas mériter les reproches des analystes, puisque à l'imitation des deux précédentes, qui n'ont point prétendu être appuyées sur une démonstration rigoureuse, elle ne se montrera point comme étant le fruit de l'observation et du calcul.

D'ailleurs elle n'aura point pour objet de décrire le cours et les mouvements des astres, ce qui serait aujourd'hui superflu, puisque dans ce genre nous devons avouer que les sciences exactes ont porté les connaissances à un point de perfection qu'il faut se contenter d'admirer, si l'on n'est pas en état d'en étendre encore les limites, maïs qu'il n'est plus permis de combattre et de contester.

Elle ne se montrera point non plus comme voulant expliquer l'espèce d'ébranlement ou d'impulsion qui a pu mettre en mouvement les corps célestes, et cela dans le sens où nous les voyons circuler. Pour faire cette tentative, il me faudrait être d'accord avec les doctes du monde, sur l'objet de savoir d'où ce monde vient et où il va, et c'est ce dont ils ne s'occupent point, ne croyant pas possible d'en avoir connaissance. L'hypothèse en question suivra donc simplement le principe exposé ci-dessus, relativement à l'accroissement de l'énergie des propriétés des êtres et du nombre de leurs lois, à mesure que nous pénétrons dans leurs profondeurs.

Mais elle aura principalement pour but de présenter un aperçu sur l'origine des corps célestes et la formation de ces masses que nous appelons planètes ; et c'est alors qu'elle aura tous les droits d'user du principe en question.

Avant d'exposer cette hypothèse, je dois rappeler que son auteur qui est Jacob Boehme, était attaché à toutes les opinions que nous avons énoncées précédemment sur l'existence d'un principe universel, à la fois dominateur suprême et source de tout ce qui est au nombre des êtres ; sur la nature de l'homme pensant et distinct de la classe animale ; sur la dégradation de l'espèce humaine, dégradation qui s'est étendue jusqu'à l'univers lui-même, et a fait que cet univers n'est plus que comme notre prison et notre tombeau, au lieu d'être pour nous une demeure de gloire, etc.

Il était persuadé, comme le savant Laplace, page 261, que tout se tient dans la chaîne immense des vérités : voilà pourquoi il emploie dans les développements de son système toutes les bases et toutes les données qui embrassent l'universalité des choses ; parce que nous aurions beau, par notre pensée, retrancher une partie du système universel, et en faire un système à part, nous ne pourrions jamais retrancher avec succès, de ce système partiel, les ressorts qui le lient avec le système général.

Il croyait que la nature primitive, qu'il appelle l'éternelle nature, et dont la nature actuelle, désordonnée et passagère, est descendue violemment, reposait sur sept fondements principaux, ou sur sept bases qu'il appelle tantôt puissances, tantôt formes, et même tantôt roues, sources et fontaines spirituelles, parce qu'il écrivait dans un temps où toutes ces dénominations n'étaient pas proscrites, comme le sont de nos jours les formes plastiques, et les qualités des anciens philosophes ; expressions toutefois qui n'ont peut-être pas été plus entendues que ne le seront celles de notre auteur.

Il croyait que ces sept bases, ou ces sept formes, existaient aussi dans la nature actuelle et désordonnée que nous habitons, mais qu'elles n'y existaient que comme à la gêne, et contrariées par de puissantes entraves, d'où elles tendaient avec effort à se dégager pour vivifier les substances mortes des éléments, et produire tout ce que nous voyons de sensible dans l'univers.

Ces sept qualités fondamentales, ou ces sept formes, il essaie de leur donner des noms pour faire comprendre ce qu'il avoue n'en avoir point de suffisants dans nos langues qui, selon lui, sont dégradées comme l'homme et l'univers.

Je voudrais m'abstenir de présenter cette nomenclature, par la difficulté qu'elle aura à trouver accès auprès du lecteur ; mais comme sans elle on pourrait encore moins comprendre la formation originelle des planètes, selon le système de l'auteur, je vais me déterminer à parler son langage.

Il appelle donc astringence, ou puissance coercitive, la première de ces formes, comme resserrant et comprimant toutes les autres. C'est ainsi que tout ce qui, dans la nature, est d'une qualité dure, les os, les noyaux des fruits, les pierres, lui paraissent appartenir principalement à cette première forme ou à l'astringence. Il étend aussi cette dénomination jusqu'au désir qui, dans tous les êtres, est la base et la source de tout ce qu'ils opèrent, et qui, par sa nature, attire et embrasse tout ce qui doit tenir à leur oeuvre, chacun dans sa classe.

La seconde forme, il l'appelle le fiel ou l'amertume, et il prétend que c'est elle qui, cherchant par son activité pénétrante à diviser l'astringence, ouvre la voie de la vie, sans quoi tout resterait mort dans la nature.

La troisième forme, il l'appelle l'angoisse, parce que la vie est comprimée par la violence des deux puissances antérieures ; mais, dans leur choc, l'astringence s'atténue, s'adoucit, et se tourne en eau, pour livrer le passage au feu qui était renfermé dans l'astringence.

La quatrième forme, il l'appelle le feu, parce que du choc et de la fermentation des trois premières formes, il s'élève au travers de l'eau comme un éclair qu'il nomme éclair igné, chaleur, etc. : ce qui s'accorde avec ce qui se passe sous nos yeux, lorsque le feu s'élance en éclairs au travers de l'eau de nos nuées orageuses.

La cinquième forme, il l'appelle la lumière, parce que la lumière ne vient qu'après le feu, comme nous l'observons dans nos foyers, dans la pyrotechnie, et dans d'autres faits physiques.

La sixième forme, il l'appelle le son, parce qu'en effet le son vient après la lumière, comme nous le voyons lorsqu'on tire une arme à feu, ou, si l'on veut, comme nous sommes censés ne parler qu'après avoir pensé.

Enfin la septième forme, il lui donne le nom de l'être, de la substance, ou de la chose elle-même ; parce qu'il prétend que ce n'est qu'alors qu'elle nous découvre le complément de son existence : et, en effet, les oeuvres que nous faisons naître par notre parole, sont censées être le complément de toutes les puissances qui les ont précédées.

Ces sept formes que, dans le cours de ses ouvrages, l'auteur applique à la puissance suprême elle-même, à la nature pensante de l'homme, à ce qu'il appelle la nature éternelle et primitive, à la nature actuelle où nous vivons, aux éléments, aux animaux, aux plantes, enfin à tous les êtres, chacun dans les mesures et les combinaisons qui conviennent à leur existence et à leur emploi dans l'ordre des choses ; ces formes, dis-je, il ne faut pas être étonné qu'il les applique également aux planètes et aux autres corps célestes quelconques qui tous renferment individuellement en eux ces sept bases fondamentales, comme le fait la moindre production de l'univers.

En les appliquant à la nature des planètes, il les a appliquées aussi à leur nombre ; et en cela il a partagé une opinion qui a régné universellement sur la terre, et qui n'a disparu que depuis les nouvelles découvertes, c'est-à-dire, près de deux siècles après la mort de l'auteur.

Mais l'application qu'il a essayé de faire de sa doctrine au nombre prétendu de sept planètes, n'était que secondaire à son système ; et si l'existence des sept formes ou des sept puissances était réelle, son système demeurerait toujours dans son entier, quoique le nombre des planètes à nous connues se soit augmenté depuis qu'il a écrit, et puisse s'accroître encore à l'avenir.

En effet, lorsque l'on croyait aux sept planètes, rien n'était plus naturel à cet auteur que de penser que chacune d'elles, quoique renfermant en soi les sept formes en question, exprimait cependant plus particulièrement une de ces sept formes, et tirait de là les caractères divers que ces planètes elles-mêmes sembleraient annoncer par leurs apparences extérieures, ne fût ce que par la diversité de leur couleur.

Quand même actuellement le catalogue des planètes dépasserait le nombre de sept, la prédominance de l'une ou de l'autre des sept formes de la nature, ne cesserait pas pour cela d'avoir lieu dans chacun de ces corps célestes ; seulement plusieurs de ces planètes pourraient être constituées de manière à offrir à nos yeux l'empreinte et la prédominance de la même forme ou propriété.

Le nombre des fonctions ne varierait point, il n'y aurait que le nombre des fonctionnaires qui s'étendrait, et cela sans doute avec des proportions qui pourraient toujours aider à distinguer les grades des différents fonctionnaires employés à la même fonction ; car ils ne seraient probablement pas tous dans des degrés d'une égalité absolue, puisque la nature ne nous présente rien de semblable. A présent nous allons exposer l'hypothèse en question.

Selon l'auteur, la génération ou la formation originelle des planètes et de tous les astres, n'a pas eu d'autre mode que celui selon lequel la vie, et les merveilleuses proportions harmoniques de la suprême sagesse, se sont engendrées de toute éternité.

Car, lorsque l'altération s'introduisit dans une des régions de la nature primitive, la lumière s'éteignit dans cette région partielle qui embrassait alors tout l'espace de la nature actuelle ; et cette région qui est la nature actuelle, devint comme un corps mort, et n'eut plus aucune mobilité.

Alors l'éternelle sagesse, que l'auteur appelle quelquefois amour, SOPHIE, lumière, douceur, joie et délices, fit renaître dans le lieu central, ou dans le cœur de ce monde, un nouveau régime pour en prévenir et en arrêter l'entière destruction.

Cette place, ce lieu central, est, selon l'auteur, le lieu enflammé de notre soleil. De ce centre, ou de ce lieu, se sont engendrées et produites toutes les espèces de qualités, formes ou puissances qui remplissent et constituent cet univers, le tout selon les lois de l'éternelle génération divine ; car il admet dans tous les êtres, et éternellement dans la suprême sagesse, un centre où se fait une production, ou subdivision septénaire. Il appelle ce centre le séparateur.

En outre, il regarde le soleil comme étant le foyer et l'organe vivificateur de toutes les puissances de la nature, de même que le cœur est le foyer et l'organe vivificateur de toutes les puissances des animaux.

Il le regarde comme étant la seule lumière naturelle de ce monde, et prétend que, hors ce soleil, il n'y a plus aucune véritable lumière dans la maison de la mort ; et que, quoique les étoiles soient encore les secrets dépositaires d'une partie des propriétés de la nature primitive et supérieure, et quoiqu'elles luisent à nos yeux, cependant elles sont fortement enchaînées dans le bouillonnement âpre du feu, qui est la quatrième forme de la nature ; aussi elles portent tout leur désir vers le soleil, et prennent de lui tout leur éclat. (Il ne connaissait point alors l'opinion reçue, qui fait de toutes les étoiles autant de soleils ; opinion toutefois qui n'étant point susceptible d'être soumise à un calcul rigoureux, laisse la carrière libre à d'autres opinions).

Pour expliquer cette restauration de l'univers qui n'est que temporaire et incomplète, il prétend que lors de l'altération, il se forma par la puissance supérieure une barrière entre la lumière de l'éternelle nature, et l'embrasement de notre monde ; que par là ce monde ne fut alors qu'une vallée ténébreuse ; qu'il n'y avait plus aucune lumière qui eût pu briller dans tout ce qui était renfermé dans cette enceinte ; que toutes les puissances ou toutes les formes furent comme emprisonnées là dans la mort ; que par la forte angoisse qu'elles éprouvèrent, elles s'échauffèrent surtout dans le milieu de cette grande circonscription, lequel milieu est le lieu du soleil.

Il prétend que quand leur fermentation "angoisseuse" parvint dans ce lieu au plus haut degré par la force de la chaleur, alors cette lumière de l'éternelle sagesse, qu'il appelle amour, ou SOPHIE, perça au travers de l'enceinte de séparation, et vint balancer la chaleur ; parce qu'à l'instant la lumière brillante s'éleva dans ce qu'il appelle la puissance de l'eau, ou l'onctuosité de l'eau, et alluma le cœur de l'eau, ce qui la rendit tempérante et restauratrice.

Il prétend que par ce moyen la chaleur fut captivée, et que son foyer, qui est le lieu du soleil, fut changé en une convenable douceur, et ne se trouva plus dans l'horrible angoisse ; qu'en effet, la chaleur étant embrasée par la lumière, déposa sa terrible source de feu, et n'eut plus le pouvoir de s'enflammer davantage ; que l'éruption de la lumière, au travers de la barrière de séparation, ne s'étendit pas plus loin dans ce lieu, et que c'est pour cela que le soleil n'est pas devenu plus grand, quoique après cette première opération, la lumière ait eu d'autres fonctions à remplir, comme on le verra ci-dessous.

LA TERRE. Lorsque au temps de l'altération, la lumière s'éteignit dans l'espace de ce monde, alors la qualité astringente fut, dans son action la plus âpre et la plus austère, et elle resserra fortement l'opération des autres puissances ou formes. C'est de là que proviennent la terre et les pierres.

Mais elles ne furent pas encore rassemblées en masse, seulement elles erraient dans cette immense profondeur ; et par la puissante et secrète présence de la lumière, cette masse fut promptement conglomérée et rassemblée de l'universalité de l'espace.

Aussi la Terre est-elle la condensation des sept puissances, ou des sept formes ; mais elle n'est regardée par l'auteur, que comme l'excrément de tout ce qui s'est substantialisé dans l'espace, lors de l'universelle condensation ; ce qui ne s'oppose point à ce qu'il se soit fait des condensations d'un autre genre dans les autres lieux de l'espace.

Le point central, ou le cœur de cette masse terrestre conglomérée, appartenait primitivement au centre solaire. Mais maintenant cela n'est plus. La Terre est devenue un centre particulier. Elle tourne, en vingt-quatre heures sur elle-même, et en un an autour du soleil dont elle reçoit la vivification, et dont elle recherche la virtualité. C'est le feu du soleil qui la fait tourner. Lorsque à la fin de son cours elle aura recouvré sa plénitude, elle réappartiendra de nouveau au centre solaire.

MARS. Mais si la lumière contint le feu dans le lieu du soleil, cependant le choc et l'opposition de cette lumière occasionna aussi dans ce même lieu une terrible éruption ignée, par laquelle il s'élança du soleil comme un éclair orageux et effrayant, et ayant avec soi la fureur du feu. Lorsque la puissance de la lumière passa de l'éternelle source de l'eau supérieure au travers de l'enceinte de séparation dans le lieu du soleil, et enflamma l'eau inférieure, alors l'éclair s'élança hors de l'eau avec une violence effrayante : c'est de là que l'eau inférieure est devenue corrosive.

Mais cet éclair de feu n'a pu s'élancer que jusqu'à la distance où la lumière qui se portait aussi après lui et le poursuivait, a eu le pouvoir de l'atteindre. C'est à cette distance-là qu'il a été emprisonné par la lumière. C'est là qu'il s'est arrêté, et il a pris possession de ce lieu ; et c'est cet éclair de feu qui forme ce que nous appelons la planète de Mars. Sa qualité particulière n'est autre chose que l'explosion d'un feu vénéneux et amer qui s'est élancé du soleil.

Ce qui a empêché que la lumière ne l'ait saisi plutôt, c'est l'intensité de la fureur de l'éclair, et sa rapidité ; car il n'a pas été captivé par la lumière avant que la lumière l'eût tout à fait imprégné et subjugué.

Il est là maintenant comme un tyran ; il s'agite et est furieux de ne pouvoir pas pénétrer plus avant dans l'espace ; il est un aiguillon provocateur dans toute la circonscription de ce monde : car il a en effet pour emploi d'agiter tout par sa révolution dans la roue de la nature, ce dont toute vie reçoit sa réaction.

Il est le fiel de toute la nature, il est un stimulant qui concourt à allumer le soleil, comme le fiel stimule et allume le cœur dans le corps humain. De là résulte la chaleur à la fois dans le soleil et dans le cœur ; de là aussi la vie dans toutes choses prend son origine.

JUPITER. Lorsque l'âpre éclair de feu fut emprisonné par la lumière, cette lumière, par son propre pouvoir, pénétra encore plus avant dans l'espace, et elle atteignit jusqu'au siège rigide et froid de la nature. Alors la virtualité de cette lumière ne put pas s'étendre plus loin, et elle prit ce même lieu pour sa demeure.

Or, la puissance qui procédait de la lumière, était bien plus grande que celle de l'éclair de feu ; c'est pour cela aussi qu'elle s'éleva bien plus haut que l'éclair de feu, et qu'elle pénétra jusqu'au fond dans la rigidité de la nature. Alors elle devint impuissante, son cœur étant comme congelé par la rigidité âpre, dure et froide de la nature.

Elle s'arrêta là, et devint corporelle. C'est jusque-là que la puissance de la vivante lumière s'étend maintenant hors du soleil, et non pas plus loin ; mais l'éclat ou la splendeur qui a aussi à soi sa virtualité, s'étend jusqu'aux étoiles et pénètre le corps universel de ce monde.

La planète de Jupiter est provenue de cette puissance de la lumière congelée ou corporisée, et de la substance de ce même lieu où cette planète existe ; mais elle enflamme continuellement ce même lieu par son pouvoir.

Toutefois Jupiter est dans ce lieu-là, comme un domestique qui doit sans cesse valeter (pour son office) dans la maison qui ne lui appartient pas, tandis que le Soleil a sa maison à soi. Hors lui, aucune planète n'a sa maison à soi.

Jupiter est comme l'instinct et la sensibilité de la nature. Il est une essence aimable et gracieuse ; il est la source de la douceur dans tout ce qui a vie ; il est le modérateur de Mars, qui est un furieux et un destructeur.

SATURNE. Quoique Saturne ait été créé en même temps que la roue universelle de la nature actuelle, cependant il ne tient point son origine ni son extraction du Soleil ; mais sa source est l'angoisse sévère, astringente et âpre du corps entier de ce monde.

Car comme la puissance lumineuse du Soleil ne pouvait pas détendre ni tempérer la qualité âpre et rigide de l'espace, principalement dans la hauteur au-dessus de Jupiter, dès lors, cette même circonférence entière demeura dans une terrible angoisse, et la chaleur ne pouvait pas s'éveiller en elle à cause du froid et de l'astringence qui y dominaient.

Néanmoins, comme la mobilité avait gagné jusqu'à la racine de toutes les formes de la nature par l'éruption et l'introduction intérieure de la puissance de la lumière, cela fit que la nature ne pouvait pas demeurer en repos ; aussi elle eut les angoisses de l'enfantement, et la région rigide et âpre, au-dessus de la hauteur de Jupiter, engendra de l'esprit de l'âpreté le fils astringent froid et austère, ou la planète Saturne.

Car il ne pouvait pas s'enflammer là cet esprit de chaleur d'où résultent la lumière, l'amour et la douceur, et il n'y eut qu'un engendrement de la rigidité, de l'âpreté et de la fureur. Aussi Saturne est l'opposé de la douceur.

(J'observerai, en passant, que les anneaux de Saturne, détachés du corps de la planète, et offrant, dans leur épaisseur, comme des lézardes et des brisures, sembleraient seconder cette explication de son origine dans l'âpreté et la rigidité. Le froid isole les puissances génératrices, au lieu de les harmoniser ; il n'opère que par contrainte, comme par intervalles et par saccades ; et même sur les corps qu'il peut produire, il engendre des morcellements et comme des gerçures, par une suite de la division et de la violence où sont ses puissances productrices ).

Saturne n'est point lié à son lieu comme le Soleil ; ce n'est point une circonscription étrangère, corporifiée dans l'immensité de l'espace ; c'est un fils engendré de la chambre de la mort, de l'angoisse rigide, âpre et froide.

Il est néanmoins un membre de la famille dans cet espace dans lequel il fait sa révolution ; mais il n'a à soi que sa propriété corporelle, comme un enfant quand sa mère lui a donné la naissance. C'est lui qui dessèche et resserre toutes les puissances de la nature, et qui amène par ce moyen chaque chose à la corporéïté ; c'est son pouvoir astringent, qui surtout engendre les os dans la créature.

De même que le Soleil est le cœur de la vie, et une origine de ce qu'on appelle les esprits dans le corps de ce monde ; de même aussi Saturne est celui qui commence toute corporéïté. C'est dans ces deux astres que réside la puissance du corps entier de ce monde. Hors de leur puissance, il ne saurait y avoir dans le corps naturel de ce monde aucune créature ni aucune configuration.

(Uranus ou Herschell, qui n'était pas connu du temps de l'auteur, et qui est encore plus enfoncé dans l'espace de la rigidité et du froid que Saturne, aura pu avoir, suivant la doctrine qu'on vient de voir, la même origine que cette planète. Quant aux deux nouvelles planètes, Cérès et Pallas qui sont entre Mars et Jupiter, elles peuvent tenir plus ou moins de la cause originelle de leurs deux voisins, c'est-à-dire, de la lumière et du feu).

VENUS. Vénus la gracieuse planète, ou le mobile de l'amour dans la nature, tient son origine de l'effluve du Soleil.

Lorsque les deux sources de la mobilité et de la vie se furent élevées du lieu du Soleil par l'enflammement de l'onctuosité de l'eau, alors la douceur, par la puissance de la lumière, pénétra dans la chambre de la mort par une imprégnation suave et amicale, en descendant au-dessous de soi comme une source d'eau, et dans un sens opposé à la fureur de l'éclair.

De là sont provenus la douceur et l'amour dans les sources de la vie. Car lorsque la lumière du Soleil eut imprégné le corps entier du Soleil, la puissance de la vie qui s'éleva de la première imprégnation, monta au-dessus de soi comme quand on allume du bois, ou bien lorsqu'on fait jaillir du feu d'une pierre.

On voit d'abord de la lueur, et de la lueur sort l'explosion du feu ; après l'explosion du feu vient la puissance du corps enflammé ; la lumière, avec cette puissance du corps enflammé s'élève à l'instant au-dessus de l'explosion, et règne beaucoup plus hautement et plus puissamment que l'explosion du feu ; et c'est ainsi qu'il faut concevoir l'existence du Soleil et des deux planètes Mars et Jupiter.

Mais comme le lieu du Soleil, c'est-à-dire, le Soleil, ainsi que tous les autres lieux, avaient en eux toutes les qualités à l'imitation de ce qui existe dans l'éternelle harmonie, c'est pourquoi aussitôt que ce lieu du soleil fut enflammé, toutes les qualités commencèrent à agir et à s'étendre dans toutes les directions ; elles se développèrent selon la loi éternelle qui est sans commencement.

Alors la puissance de la lumière, qui dans le lieu du Soleil avait rendu souples et expansives comme de l'eau, les qualités ou formes astringentes et amères, descendit au-dessous de soi comme ayant un caractère opposé à ce qui s'élève dans la fureur du feu. C'est de là qu'est provenue la planète Vénus, car c'est elle qui dans la maison de la mort introduit la douceur, allume l'onctuosité de l'eau, pénètre suavement dans la dureté, et enflamme l'amour.

Dans Vénus, le régime radical ou la chaleur amère qui est fondamentale en elle comme dans toutes choses, est désireuse de Mars, et la sensibilité est désireuse de Jupiter ; la puissance de Vénus rend traitable le furieux Mars ; elle l'adoucit, et elle rend Jupiter modéré et retenu ; autrement la puissance de Jupiter percerait au travers de l'âpre chambre de Saturne, comme au travers de la boîte osseuse des hommes et des animaux, et la sensibilité se changerait en audace contre la loi de l'éternelle génération.

Vénus est une fille du Soleil ; elle a une grande ardeur pour la lumière ; elle en est enceinte : c'est pourquoi elle a un éclat si brillant en comparaison des autres planètes.

MERCURE. Dans l'ordre supérieur des lois harmoniques des sept formes éternelles, Mercure est ce que l'auteur appelle le son. Ce son ou ce mercure est aussi, selon lui, dans toutes les créatures de la terre, sans quoi rien ne serait sonore, et même ne rendrait aucun bruit. Il est le séparateur ; il éveille les germes dans chaque chose ; il est le principal ouvrier dans la roue planétaire.

Quant à l'origine de Mercure dans l'ordre des planètes, l'auteur l'attribue au triomphe remporté sur l'astringence par le pouvoir de la lumière, parce que cette astringence, qui resserrait le son ou le mercure dans toutes les formes et les puissances de la nature, l'a rendu libre en s'atténuant.

Ce Mercure, qui est le séparateur dans tout ce qui a vie ; qui est le principal ouvrier dans la roue planétaire ; qui enfin est comme la parole de la nature, ne pouvait dans l'enflamement prendre un siège éloigné du Soleil qui est le foyer, le centre et comme le coeur de cette nature, parce qu'étant né dans le feu, ses propriétés fondamentales s'y opposaient et le retenaient auprès de ce Soleil, d'où il exerce ses pouvoirs sur tout ce qui existe dans ce monde.

Il envoie ses puissances dans Saturne, et Saturne commence leur corporisation.

L'auteur prétend que Mercure s'imprègne et s'alimente continuellement de la substance solaire ; que dans lui se trouve renfermée la connaissance de ce qui était dans l'ordre supérieur, avant que la puissance de la lumière eût pénétré au travers de l'enceinte dans le centre solaire et dans l'espace de cet univers, (ce qui pourrait être la cause secrète des recherches de tant de curieux sur le mercure minéral).

Il prétend en outre que mercure ou le son stimule et ouvre, surtout dans les femmes, ce que dans tous les êtres il appelle la teinture, et que c'est là la raison pour laquelle elles parlent si volontiers.

LA LUNE. L'auteur ne parle que de ce seul satellite. Il dit que lorsque la lumière eut rendu matérielle la puissance dans le lieu du Soleil, la Lune parut, comme cela s'était opéré pour la terre ; que la Lune est un extrait de toutes les planètes ; que la terre lui cause de l'épouvante, vu son effroyable état d'excrément depuis l'altération ; que la Lune, dans sa révolution, prend ou reçoit ce qu'elle peut de la puissance de toutes les planètes et des étoiles ; qu'elle est comme l'épouse du Soleil ; que ce qui est subtil et spiritueux dans le Soleil, devient corporel dans la Lune, parce que la Lune concourt à la corporisation, etc.

L'auteur ne parle point des comètes. Je les ai comparées, dans l'esprit des choses, à des espèces d'aides de camp qui communiquent dans l'exercice de leurs fonctions à tous les points d'une armée et d'un champ de bataille. Cela pourrait diminuer notre surprise de voir se tracer dans tous les sens les directions de ces comètes, ce qui n'est point propre aux planètes.

D'ailleurs le système exposé ci-dessus, s'il était réel, pourrait nous aider à concevoir l'origine de ces comètes et leur destination. Car l'auteur nous fait assez entendre que la puissance de la lumière a joué un grand rôle dans la formation de notre système planétaire, comme la puissance du feu en a joué un principal dans la formation des étoiles que l'auteur regarde comme étant dans le bouillonnement âpre du feu.

Or, l'harmonie ne pouvant exister que dans l'union de la puissance du feu et de celle de la lumière, les comètes auraient pu être originairement composées de l'une et de l'autre, mais en degrés divers, comme on pourrait le présumer à la grande variété de leurs apparences et de leurs couleurs.

De là on pourrait imaginer que la fonction de ces comètes serait de servir d'organes de correspondance entre la région solaire et la région des étoiles ; et on pourrait s'affermir dans cette conjecture, en voyant que dans leur périhélie elles s'approchent plus ou moins du soleil, et que par l'immense excentricité de leurs ellipses elles peuvent porter vers la région des étoiles la réaction solaire, et rapporter au Soleil la réaction des étoiles.

Il ne serait pas même nécessaire que ces comètes approchassent de près la région des étoiles quand elles monteraient vers cette région ; comme nous voyons que lorsqu'elles viennent dans notre région solaire, elles se tiennent même dans leur périhélie à une assez grande distance du Soleil.

Telle est l'hypothèse que j'ai cru pouvoir exposer à côté de celles des deux auteurs célèbres dont nous avons parlé ci-dessus. Je ne l'ai présentée toutefois que très en abrégé. Pour en donner une idée complète, il faudrait analyser tous les ouvrages de l'écrivain qui l'a mise au jour ; et encore ne me flatterai-je pas de la mettre par là à l'abri de toutes les objections.

Mais je pourrais dire aux savants en question ; que si elle avait des défectuosités. les leurs en ont peut-être encore davantage, en ne nous offrant aucune des bases vives qui semblent servir à la fois de principe et de pivot à la nature ; qu'ils ont d'ailleurs assez de gloire dans celles de leurs sciences qui ne sont point conjecturales, pour n'être point humiliés si un autre avait frappé plus près du but dans celles qui ne sont point l'objet de l'analyse.

Il y a plusieurs branches dans l'arbre de l'intelligence humaine ; toutes ces branches, quoique distinctes, ne servent, au lieu de se nuire, qu'à étendre nos connaissances.

Prenons une lyre pour exemple, et plaçons-la sous les yeux de plusieurs hommes. L'un d'eux pourra m'en représenter exactement les dimensions extérieures.

Si un autre va plus avant, et en démontant toutes les pièces de cette lyre, me donne une idée juste de toutes les matières dont elles sont composées, et de toutes les préparations et manipulations qu'on leur a fait subir pour les rendre propres à remplir l'emploi qui leur est destiné, cela n'empêchera point que la description qu'aura faite le premier démonstrateur, ne soit très juste et très estimable.

Enfin, si un troisième est en état de me faire entendre les sons de la lyre et de charmer mon oreille par une harmonieuse mélodie, son talent ne nuira pas davantage au mérite des deux démonstrateurs précédents.

C'est pour cela que je présente avec confiance aux savants hommes dans les sciences exactes, l'hypothèse dont il s'agit, parce que, malgré le champ immense qu'elle embrasse, elle n'empêchera jamais que leurs découvertes dans les faits astronomiques extérieurs ne soient de la plus grande importance, et que les merveilleuses puissances de l'analyse ne les conduisent journellement, et d'un pas assuré, dans la connaissance des lois fixes qui dirigent non seulement les corps célestes, mais même tous les phénomènes physiques de l'univers.

Et même plus ils feront de progrès dans ce genre, plus j'éprouverai de satisfaction, persuadé, comme je le suis, que par là ils avanceront d'autant vers la frontière des autres sciences, et qu'ils n'hésiteront plus à former entre elles une alliance indissoluble, quand ils auront reconnu qu'elles offrent tous les titres de la fraternité.

Je leur ferai remarquer en outre, que si malgré ses couleurs neuves et inattendues, l'hypothèse en question laissait cependant encore des lacunes, il ne faudrait pas en être étonné ; celui qui ouvre une carrière extraordinaire, peut bien être pardonnable de ne pas la parcourir toute entière.

L'histoire des sciences nous apprend que quoique la théorie du mouvement de la terre eût fait disparaître la plupart des cercles dont Ptolémée avait embarrassé l'astronomie, cependant Copernic en avait laissé subsister plusieurs pour expliquer les inégalités des corps célestes.

Elle nous apprend que Kepler, égaré par une imagination ardente, négligea d'appliquer aux comètes les superbes lois qu'il avait trouvées sur le rapport du carré des temps des révolutions des planètes et des satellites, et les cubes des grands axes de leurs orbes, parce qu'il croyait, avec le vulgaire, que les comètes n'étaient que des météores engendrés dans l'éther, et qu'il négligea dès lors d'en étudier les mouvements.

Elle nous apprend enfin que Newton lui-même, malgré les trésors qu'il a recueillis sur les phénomènes du système du monde, sur les mouvements des comètes, sur les inégalités des mouvements de la lune qui sont dues aux actions combinées du soleil et de la terre sur ce satellite, n'a fait presque qu'ébaucher ces découvertes ; et que parmi les perturbations qu'il a observées dans les mouvements de la lune, l'évection de cet astre a échappé à ses recherches.

D'ailleurs, je leur dirai que si cette hypothèse était vraie, quelques lacunes ou même quelques erreurs ne s'opposeraient point à ce que l'on pût retirer quelques fruits de sa justesse, puisque même dans la science des mouvements célestes, qui est une science exacte, on a pu aller très loin et calculer juste, quoiqu'on ne connût point tous les astres qui composent notre système planétaire.

C'est ainsi qu'avant la découverte des trois nouvelles planètes, l'ignorance où l'on était de leur existence, n'empêchait point que les astronomes ne sussent nous annoncer d'une manière assez exacte le retour des comètes, parce que ces planètes inconnues étant ou trop éloignées, ou trop petites, leur attraction ne pouvait produire une perturbation sensible dans les comètes qui auraient passé auprès d'elles.

Je ne laisserai point là l'article de l'astronomie, sans examiner la conjecture généralement reçue que les autres planètes ayant nombre de rapports de similitude avec la terre, sont très probablement habitées comme elle.

J'ai dit dans l'esprit des choses, que la Terre n'en existerait pas moins, quand même elle ne serait pas habitée, puisque cette propriété qu'elle a d'être habitée, n'est que comme secondaire et étrangère à son existence. Ainsi, quoique nous la voyions habitée, ce n'est pas une raison décisive pour conclure que les autres planètes le soient, malgré l'analogie qui autorise à en former la conjecture.

On peut aussi observer que la végétation n'est point pour la terre une propriété constitutive et nécessaire, puisqu'on la voit stérile dans plusieurs de ses climats, et puisque les sables et les rochers, qui sont tous des substances terreuses, sont néanmoins le symbole de la stérilité.

On voit en même temps que le Soleil est le moyen direct qui développe en elle cette végétation, puisqu'elle végète en raison de sa proximité de cet astre, et qu'elle est stérile lorsqu'elle s'éloigne de lui ; mais on voit aussi que quand elle s'en approche trop, et qu'il prend la prépondérance, elle se calcine, se convertit en sable et en poussière, c'est-à-dire qu'elle devient stérile.

D'après cela on peut présumer qu'étant susceptible de végétation, elle a été placée dans la série des planètes au rang qu'il lui fallait, et à la juste proximité nécessaire du Soleil, pour qu'elle pût remplir le plan secondaire de végétation ; et de là on pourrait induire que les autres planètes sont trop près ou trop loin de lui pour végéter.

En outre, il y aurait sans doute relativement à la végétation quelque grande lumière à recueillir de la différence de densité des planètes ; et peut-être cette lumière pourrait nous éclairer sur la nature même de ces corps célestes, auxquels d'ailleurs nous ne pouvons guère refuser une identité de substance fondamentale, puisque nous trouvons entre la Terre et les autres planètes une analogie parfaite dans les lois de leurs mouvements, dans les lois de leur pesanteur et dans les lois de leur attraction ; ce qui sert de guide dans les superbes observations que l'astronomie et les mathématiques font tous les jours sur la marche de ces grands corps, et sur toutes leurs propriétés extérieures.

Mais en attendant la découverte de cette lumière, il nous faudrait au moins supposer en général aux autres planètes une destination individuelle et diverse, soit qu'elles fussent habitées ou non, si nous voulions arriver à quelque chose de satisfaisant sur leur existence ; car la stérilité probable des autres planètes, pour être trop près ou trop loin du Soleil, semblerait une raison de plus pour présumer qu'elles ne sont point habitées.

Or, aucun système sur ce point ne saurait être présenté, qu'au préalable on ne supposât aussi une destination à l'univers, et qu'on ne la connût ; et les sciences humaines la prétendent impossible à connaître.

Par la même raison, on ne pourrait reconnaître une destination à l'univers, que l'on ne fût bien d'accord sur la nature de l'homme, afin de savoir si cette destination et l'homme n'auraient pas quelques rapports.

Or, les sciences humaines prétendent également que la nature de l'homme est impossible à connaître, ou, pour mieux dire, elles la confondent avec celle des bêtes ; ce qui replonge l'homme dans la mesure ténébreuse et incertaine où ces mêmes sciences placent la nature entière, c'est-à-dire, sous l'arrêt qui déclare impossible la connaissance de la destination de cette nature.

Enfin, pour connaître la destination de l'homme, il faudrait aussi savoir à quoi s'en tenir sur le principe général des choses, ou sur cette suprême puissance à laquelle on a donné la dénomination de Dieu, et les sciences humaines ont rayé cette puissance supérieure de l'ordre des êtres. Peu encouragées par les écoles religieuses, où on affirme plus qu'on n'explique, elles ont confondu le principe avec l'abus que les hommes en faisaient, et les ont proscrits l'un et l'autre.

D'ailleurs les maîtres dans ces sciences humaines, appliquant avec tant de succès leurs connaissances physiques, mathématiques et analytiques aux propriétés extérieures de l'univers, n'employant que ces moyens externes, étant enthousiasmés, avec raison, des résultats que ces moyens leur procurent, non seulement ne connaissant pas d'autres moyens que ceux-là, non seulement n'ayant pas besoin d'en connaître d'autres pour l'objet externe qu'ils se proposent, mais refusant dédaigneusement toute espèce d'observation qui sortirait de ce cercle où ils se renferment ; comment parvenir, je ne dis pas à les naturaliser avec des questions et des vérités d'un autre ordre que celles qui les occupent, mais même à obtenir d'eux, à cet égard, un moment d'audience et un instant d'attention ?

Je m'en tiendrai donc, au sujet des autres planètes, aux simples observations que je viens de faire.

Néanmoins, condamné pour ainsi dire depuis que je pense, à marcher dans des sentiers peu battus et remplis de ronces, je crois devoir me soumettre encore à mon sort, en traitant selon mes forces l'important sujet de la destination de notre globe. J'offrirai aux doctes de la terre quelques voies de conciliation, qui, sans rien ôter de la gloire qu'ils méritent, et sans rien rejeter des connaissances dont ils jouissent, pourront les engager à convenir de la possibilité que le cercle où ils se renferment fût moins exclusif, et moins resserré que leurs sciences ne l'annoncent.

Je tâcherai de leur faire observer que les régions où l'homme a le droit et le besoin d'atteindre, ne doivent point être aussi inaccessibles qu'ils le prétendent, et que même pour remplir la mesure de notre intelligence, il nous faut un complément qu'ils ne nous donnent point, malgré les merveilleuses découvertes dont ils nous enrichissent journellement.

L'homme se fait souvent une objection remarquable sur la modique place que notre Terre occupe parmi les corps célestes, et sur la supériorité que dans l'ordre de sa destination nous sommes accoutumés à lui donner, habitude dont l'immense spectacle de l'univers ne permettrait à notre raison que l'orgueil pour explication, si nous ne prenions l'avis que de nos yeux.

Les raisons qui engagent les observateurs à refuser à notre terre une destination distinguée parmi les autres corps célestes, se réduisent toutes à dire que nous nous trouvons sur une petite planète presque imperceptible dans la vaste étendue du système solaire, qui lui-même, d'après la découverte des nébuleuses, et d'après l'opinion régnante, que les étoiles sont autant de soleils, n'est qu'un point insensible dans l'immensité de l'espace.

Si la grandeur visible des êtres était le seul signe et la seule règle pour juger de leur valeur réelle, cette objection serait invincible. Mais nous avons bien des exemples qui prouvent que cette loi est bien loin d'être universelle et sans exception.

L'œil n'est pas l'organe qui occupe le plus de place dans le corps humain, et cependant il ne tient pas le moindre rang parmi les autres organes, puisqu'il est comme le gardien, la sauvegarde et l'éducateur de tout le corps. Le diamant est comme d'une petitesse infinie par rapport à la masse terrestre, et cependant il est pour nous de la plus grande valeur auprès de toutes les autres matières terrestres beaucoup plus volumineuses que lui.

Ces simples réflexions ne font autre chose, je l'avoue, que d'arrêter la difficulté et ne la résolvent pas. Passons donc à des réflexions qui pour certains esprits pourront avoir un plus grand poids. Mais comme selon les savants célèbres que j'ai cités ci-dessus, toutes les vérités se touchent, je serai obligé d'employer ici toutes les données que j'ai déjà présentées et que j'ai supposées admises par le lecteur, comme elles sont admises pour moi.

Je m'appuierai donc sur cet homme dégradé, dont je n'ai cessé de rappeler l'altération et la situation humiliante.

Je m'appuierai à la fois sur l'amour et sur la justice suprême, gravant tour à tour leurs décrets sur la triste demeure que nous habitons.

Je m'appuierai enfin sur les privilèges religieux dont l'Homme-Esprit peut développer en lui les puissants témoignages, sans emprunter le secours d'aucune espèce de tradition, et qui étant inconnus de l'Homme-Matière, prouvent au moins par là que la cause que défend le matérialiste, n'est pas assez instruite pour prétendre, de sa part, à un jugement décisif en sa faveur.

En partant du principe que l'homme est un être dégradé et revêtu des habits de l'ignominie, nous pouvons sans inconséquence regarder notre Terre comme étant pour nous une prison ou un cachot ; et ici, indépendamment du torrent de misères humaines qui se répand sans cesse sur tous les mortels, quel est l'homme qui en descendant dans son être intime et secret, ne témoignerait pas en faveur de cette douloureuse opinion ?

Or, si la Terre est une prison pour l'homme, il n'est pas étonnant qu'elle soit peu remarquable parmi les autres astres ; car même selon les usages de notre justice humaine, nous ne donnons pour prison aux détenus que des lieux abjects et de médiocre étendue.

La Terre, qui n'est présentée par notre auteur allemand que comme l'excrément de la nature, et qui d'après le principe de la dégradation de l'homme, n'est qu'une prison, n'a pas besoin non plus d'être le centre des mouvements des astres, comme l'ont cru les anciens et Tycho Brahé ; car un fumier et une prison ne sont pas ordinairement le centre ou le chef lieu d'un pays.

Nous voyons en outre qu'à la vérité les gouvernements nourrissent leurs prisonniers, mais qu'ils ne les nourrissent pas d'un pain recherché et délicat ; aussi nous voyons que notre terre végète, et est féconde et productrice, puisque, malgré notre qualité de prisonniers, la justice suprême veut bien nous donner notre nourriture.

Mais en même temps nous voyons qu'en qualité de prisonniers, cette justice suprême ne laisse produire naturellement à notre terre que des fruits imparfaits, et qu'elle ne nous nourrit que d'un pain d'angoisse, ou d'un pain sauvage, et que ce n'est qu'au prix de nos sueurs que nous améliorons un peu notre genre de vie, comme dans nos justices humaines le prisonnier est réduit aux aliments les plus grossiers, et n'a rien au-dessus de sa ration qu'il ne le paye.

Si dans nos justices humaines les prisonniers sont réduits à une si misérable existence, on voit de temps en temps aussi pénétrer dans leur prison les secours de la bienfaisance et de la charité ; on voit que journellement les consolations saintes et religieuses arrivent jusqu'à eux, quelque infect que soit leur cachot. En un mot, il n'est pas jusqu'à l'autorité la plus éminente, dont l'œil et la compassion ne visitent quelquefois ces demeures du crime, quelque vile que soit la condition des coupables. Que doit-ce donc être lorsqu'il arrive que le prisonnier a de proches rapports de parenté avec le souverain ?

Tout cela est un indice pour nous, que si, d'un côté, nous sommes soumis à la sévérité d'un joug rigoureux, il est tempéré de l'autre par le règne de l'amour et de la douceur, comme en effet cela nous est figuré physiquement par le lieu qu'occupe la Terre, étant placée, ainsi que chacun le sait, entre Mars et Vénus.

Si l'Homme-Esprit voulait donc ouvrir les yeux, il reconnaîtrait bientôt en lui-même les secours innombrables que la bienfaisance de la suprême autorité divine fait arriver jusqu'à lui dans le lieu de sa détention. Il verrait que si d'après la petitesse de la Terre, il avait eu tort de la prendre pour le centre des mouvements célestes, cette méprise était pardonnable, en ce qu'il devait être lui-même le centre des mouvements divins dans la nature, et que tous ces torts prennent leur source dans ce sentiment secret de sa propre grandeur, qui lui a fait mal à propos appliquer à sa prison les privilèges qu'il ne devait appliquer qu'à sa personne, et qui même ne laissaient plus que de tristes souvenirs dans sa mémoire, au lieu des traces glorieuses qu'elles auraient dû lui offrir.

Je crois donc que si l'Homme-Esprit suivait attentivement et avec constance le fil secourable qui lui est tendu dans son labyrinthe, il parviendrait à résoudre d'une manière positive tous les problèmes qui existent encore sur la prison où il est renfermé.

Car les développements qu'il acquerrait par là lui feraient sentir que s'il n'est plus aujourd'hui au premier rang des êtres de l'univers, sous les rapports de la gloire, il est placé de nouveau à ce premier rang en se considérant sous les rapports de l'amour, et que sa prison ayant dû se ressentir de cet allégement, elle doit porter encore en elle-même quelques traces attachantes de la destination à laquelle elle est appelée.

Or cette destination n'est rien moins que d'être le temple purificateur où l'homme non seulement peut se réhabiliter par les secours qui lui sont prodigués, mais peut encore recevoir et manifester tous les trésors de la suprême sagesse qui l'a formé, et qui ne dédaigne pas de verser sur lui son propre amour et sa propre lumière, tant elle désire de ne pas laisser effacer en lui son image.

Mais pour parvenir à connaître vraiment ce qu'est la Terre sous tous les rapports où nous l'avons présentée ; il faudrait bien plus essentiellement encore étudier l'homme sous les rapports qui le concernent, et s'il ne cultive pas avec un zèle opiniâtre les germes sacrés qui se sèment en lui journellement à ce dessein, il retombera, soit à son égard, soit à l'égard de la Terre, dans les ignorances vulgaires et dans les aveugles décisions qui en sont la suite.

L'univers et l'homme forment deux progressions qui sont liées l'une à l'autre, et qui marchent de front, et le dernier terme de la connaissance de l'homme le conduirait au dernier terme de la connaissance de la nature. Or, comme les sciences humaines éloignent entièrement cette connaissance active et positive de l'homme, qui seule peut et doit tout nous apprendre, il n'est pas étonnant qu'elles restent si loin en deçà des vraies connaissances de la nature.

En effet, quoique les merveilles des sciences naturelles, et surtout les merveilles de l'astronomie nous procurent des plaisirs qui nous élèvent pour ainsi dire au-dessus de ce monde étroit et ténébreux, et qui nous font goûter la supériorité de notre pensée sur notre être purement sensible ; cependant ces merveilles elles-mêmes, il faut en convenir, ne satisfont pas à tous les besoins de l'Homme-Esprit ; et il semble que si nous avons le pouvoir de connaître sensiblement la nature par tous nos sens, si nous avons le pouvoir de la mesurer par nos sciences, il nous faudrait un troisième pouvoir qui serait celui de la mettre en jeu.

Car si nous avons des désirs, de l'intelligence et un grand fond d'activité intérieure, comme cela est évident par tous nos actes, il faudrait qu'il n'y eût rien en nous qui ne fût employé, d'autant que cette nature étant au rang de nos apanages, nous ne devrions pas, comme suzerains, nous borner à lever la carte de nos domaines, et que nous devrions avoir le droit de les disposer selon notre gré.

Ainsi nos plus fameux savants dans la nature, nos plus fameux astronomes devraient par cette seule observation être persuadés qu'ils ne jouissent pas du complément des droits de l'Homme-Esprit.

Que sera-ce donc si nous jetons les yeux sur ce qu'on appelle les causes finales ?

Chaque chose a,
1.) un principe d'action que nous pouvons appeler la base de son existence, et qui répond, dans le social, à la qualité de membre de la famille politique.

2.) Un mode d'action selon lequel elle doit opérer ce qui lui est confié par sa base ; et ce mode d'action répond, dans le social, au pouvoir administratif.

3.) L'instrument ou l'agent qui opère cette action, et qui répond, dans le social, au pouvoir exécutif, et dans le physique, à tous les pouvoirs aveugles de la nature.

4.) Un but, un plan, un objet où tend cette action, et pour lequel cette action est proposée ; ce qui peut aisément se comprendre dans quelque classe que l'on veuille en chercher des exemples.

De ces quatre parties il n'y en a aucune dont nous ne dussions avoir connaissance, surtout en ce qui regarde l'existence de l'homme, puisqu'il est naturel que comme puissance active et pensante, nous sachions d'où nous recevons cette puissance ; comment nous la devons opérer ; avec quel agent nous la devons opérer ; pour quel but et à quelle fin nous la devons opérer. Mais nous avons aussi le droit de contempler, d'analyser et de connaître ces quatre parties dans tous les ordres d'existence quelconque.

C'est là ce qu'en général on peut appeler les causes finales ; et l'on voit qu'elles ne se bornent pas, ainsi qu'on le croit communément, à connaître la raison de l'existence d'une chose, soit générale, soit particulière, puisqu'on peut aller jusqu'à en connaître le principe, ainsi que le mode de son action.

Les sciences humaines circulent autour de ces foyers de connaissance, mais elles n'y entrent jamais, et prétendent ensuite qu'on n'y saurait jamais entrer. Elles cherchent bien en quelque sorte le mode d'action, et c'est là l'objet de toutes les recherches mathématiques et physiques, soit pures, soit d'application. Et même par une suite de ce droit naturel que nous avons, elles voudraient monter jusqu'au principe de cette action, mais ne le cherchant que dans les résultats et non dans sa source ; en un mot, que dans la forme et non dans la base cachée de cette forme, elles perdent de vue et la base de l'existence des choses, et le mode d'action, et l'agent qui opère cette action, et enfin le but de cette même existence.

Alors, au lieu de scruter d'où viennent les êtres, où ils tendent, et comment ils tendent à leur terme, elles se concentrent uniquement dans la recherche de savoir comment les êtres sont construits. Elles ne connaissent dès lors ni la source de ces êtres, ni leur vrai mode d'action, ni le pourquoi de leur action, ni leur vrai comment qui est interne et caché, et elles s'épuisent à nous peindre leur faux comment.

Plus elles trouvent de difficultés à marcher dans ces sentiers, plus elles s'y obstinent. Et c'est là ce qui les fait demeurer à poste fixe dans ces voies d'erreur, et les rend si ennemies et si dédaigneuses du pourquoi des êtres ; lequel pourquoi est cependant la première des connaissances que nous devrions rechercher avant même de nous occuper de leur vrai comment.

Que devons-nous donc attendre des recherches exclusives que l'on nous fait faire journellement de leur comment faux ?

Toutes les productions de nos arts ont un pourquoi, et nous avons grand soin de le faire connaître, afin de donner cours à nos oeuvres. Celui à qui nous les présentons ne s'informe de leur comment, qu'après s'être informé de leur pourquoi.

L'artiste lui-même qui les produit se propose toujours en première ligne leur pourquoi, et ce n'est que d'après ce pourquoi qu'il s'occupe du comment de leur exécution ; et sûrement en y travaillant, il ne s'arrête pas au comment faux et purement de forme, mais il cherche le comment vrai et actif qui puisse le mieux seconder et réaliser le but ou le pourquoi qu'il se propose.

Ceux qui croient à une source suprême de l'existence des choses, devront supposer qu'elle a bien au moins autant d'esprit et d'intelligence que nous, et qu'ainsi elle doit avoir dans la production de ses oeuvres la même marche, la même sagesse, la même méthode, et la même conduite que nous avons dans la production des nôtres.

Or, si dans nos oeuvres, non seulement nous annonçons toujours un pourquoi, mais encore un comment intérieur qui est le pivot de l'œuvre, et un mode d'action qui lie ces deux comment ; si, dis-je nous laissons connaître tous ces secrets aux personnes à qui nous montrons nos oeuvres, la Providence ne peut pas avoir eu l'intention de nous cacher ces mêmes secrets dans les oeuvres qu'elle offre à nos yeux, et notre ignorance sur cela ne peut être attribuée qu'à notre maladresse.

Vous qui aimeriez à connaître la raison des choses, souvenez-vous qu'elle ne se trouve point dans leurs surfaces ; elle ne se trouve pas même dans leur centre extérieur qui est le seul que sachent ouvrir les sciences humaines. Elle ne doit se trouver que dans leur centre intérieur, parce que c'est là où leur vie demeure ; mais comme leur vie est le fruit de la parole, ce n'est aussi que par la parole que leur centre intérieur peut s'ouvrir, et sans ce moyen-là je ne crains point de dire que l'on pourra bien obtenir les prix proposés au sujet d'un fluide très fameux de nos jours, mais qu'on ne pourra pas les gagner, parce que ce fluide-là, quoiqu'on ait raison d'en faire une étude sérieuse, et quoiqu'il puisse en effet conduire aux plus grandes découvertes, est encore, pour parler le langage de Boehme, renfermé dans les quatre premières formes de la nature, et qu'il n'y a que la parole qui puisse ouvrir la porte de sa prison.

Je terminerai là ce que j'avais à dire sur ce qui concerne les corps astronomiques, et je passerai au but principal de cet ouvrage, qui est de traiter du repos de la nature, du repos de l'âme humaine et du repos de la parole ; repos auquel doit concourir le ministère de l'Homme-Esprit.

L'homme prend un caractère différent à chacun des degrés de cette sublime entreprise : au premier degré, il peut se regarder comme maître de la nature, et il le doit être en effet pour qu'elle puisse recevoir de lui du soulagement.

Au second degré, il n'est plus que le frère de ses semblables, et c'est moins comme maître que comme ami qu'il se livre à leur soulagement.

Enfin, au troisième degré, il n'est plus que comme serviteur et comme mercenaire de cette parole à laquelle il doit essayer de porter du soulagement ; et ce n'est que quand il rentre ainsi au rang le plus subordonné, qu'il devient spécialement ouvrier du Seigneur.

Mais le premier devoir que l'homme aurait à remplir pour concourir au soulagement de la nature, ce serait de commencer par ne pas la tourmenter et ne pas lui nuire. Avant que son haleine eût recouvré le pouvoir de la purifier et de la vivifier, il faudrait qu'il se rendît lui-même assez sain pour ne pas infecter l'univers comme il le fait tous les jours.

Qu'opère-t-il en effet habituellement sur la terre ? Si l'air pur nous vient chercher et s'insinue dans nos demeures, serait-ce seulement pour apporter un nouveau véhicule à notre vie ? Ne serait-ce pas peut-être aussi pour recevoir lui-même de nous l'affranchissement et la délivrance de l'action corrosive qui le travaille depuis le crime ? Et nous, non seulement par nos exhalaisons putrides et nos miasmes vénéneux, mais plus encore par l'infection de nos pensées, nous ne faisons que le rendre plus corrompu et plus destructeur.

La terre où nous marchons nous offre dans tous ses pores comme autant de bouches qui nous demandent un baume consolateur pour guérir les plaies qui la rongent : et nous, au lieu de lui rendre le repos et la vie, nous ne savons apaiser sa soif qu'avec le sang des hommes que nous versons dans nos fureurs guerrières et fanatiques, et qui ne peut qu'irriter les douleurs qu'elle éprouve, en ne parvenant dans son sein que tout fumant de la rage et des féroces passions de l'homme.

Semblables à cette Déesse qui sur le mont Ida faisait fleurir la terre sous ses pas, nous accumulons dans nos superbes jardins de nombreux végétaux et des arbres magnifiques ; mais, au lieu de leur rendre la vie des productions du jardin d'Eden, nous venons en foule promener autour d'eux notre nonchalance et notre oisiveté.

Nous remplissons de nos paroles mortes ou mortifères l'atmosphère qui les environne ; nous interceptons les fortes influences que la nature s'empresse de leur apporter ; et de peur même que dans ces superbes jardins publics qui nous représentent presque en nature l'Elysée des poètes, les beaux arbres qui font la principale partie de leurs merveilleux ornements ne conservent trop longtemps leur vigueur, nous les brûlons jusque dans leur racine avec ce qu'il y a de plus corrosif, sans songer même s'il n'y aurait pas autour de nous des yeux chastes et pudiques que nous fissions rougir par notre immorale et révoltante indécence.

Oh ! non, homme dépravé, parmi cette cohue qui, dans ces jardins publics, erre vaguement, comme toi, sous l'ombre hospitalière, à peine reste-t-il de ces yeux chastes et pudiques que tu fasses rougir par ton immorale et révoltante indécence. La mort qui est dans tes mœurs, est aussi dans celles de la plupart de ces êtres désœuvrés dont tu viens augmenter le nombre.

Mais enfin il peut s'en trouver qui soient conservés ; alors si tu ne sais plus même respecter ou leur délicatesse, ou leur innocence, je ne murmurerai plus de te voir infecter des arbres, si ce n'est pour te reprocher ton inconséquence, puisque ces arbres sont destinés à réjouir ta vue, et à te garantir des ardeurs d'un soleil brûlant.

Avec nos instruments d'astronomie, nous pénétrons dans les vastes profondeurs des cieux ; nous y découvrons chaque jour des merveilles qui attirent notre admiration ; et lorsque les sources puissantes qui animent tous ces corps célestes, ainsi que l'espace où ils nagent, ne semblent s'ouvrir à nos yeux qu'afin que nous rapprochions d'elles, autant qu'il est en nous, ces sources plus puissantes encore dont elles sont séparées, que faisons-nous ?

Au lieu d'employer notre zèle à rétablir leur antique alliance, nous mettons le comble à leur tristesse, en leur disant qu'elles auraient tort de soupirer après un autre état, qu'elles ont tout le repos auquel elles peuvent prétendre, et que c'est en vain qu'elles invoquent une autre puissance que la leur ; en un mot, lorsqu'elles viennent nous demander de les rapprocher de cet Être qui est si élevé au-dessus de leur demeure, de cet Être sans lequel nulle créature ne jouit de la paix, notre profond savoir nous conduit à faire retentir de nos blasphèmes leurs majestueuses enceintes, et à proclamer hautement, sous leurs célestes portiques, qu'il n'y a point de Dieu.

Est-ce à des hommes, dans une aussi grande aberration morale et intellectuelle, qu'il faut parler du véritable ministère de l'homme dans la nature ? Seraient-ils propres à le remplir ? Ils ne seraient pas même capables de comprendre un seul mot de ce qui aurait rapport à cet important ministère, et toute instruction en ce genre ne ferait que les irriter et réveiller leurs dédaigneux mépris.

Mais pour ceux qui auront résisté au torrent, je les entretiendrai de ce grand objet avec confiance, et je me servirai avec eux de toutes les notions et de toutes les croyances qui nous sont communes.

Le grand crime des Juifs fut, selon Moïse, de n'avoir point procuré le repos ou le sabbat à la terre. En effet, j'ouvre le Lévitique, (26 : 24.) et je vois qu'après la dispersion entière et toutes les calamités dont Moïse vient de les menacer, il ajoute : alors la terre se complaira dans ses sabbats pendant tous les jours qu'elle passera dans sa solitude ; lorsque vous serez transférés dans le pays de vos ennemis, elle sabbatisera, et se reposera dans les sabbats de sa solitude, parce qu'elle n'a point trouvé le repos dans vos sabbats pendant que vous l'habitiez.

Rapprochons de ce passage l'idée que nous devons prendre du peuple d'Israël qui est l'héritage du Seigneur (Isaïe, 19 : 25.) Rapprochons de l'idée de ce peuple, et du beau titre qu'il porte, l'idée que nous devons prendre de l'homme qui doit être par excellence l'héritage du Seigneur, lorsque cet univers qui nous possède encore aura atteint le terme de son existence.

Enfin rapprochons du superbe ministère que nous cherchons à retracer aux yeux de l'homme, la tâche que le peuple d'Israël avait à remplir dans la Judée, et qui consistait à faire sabbatiser la terre, ou à lui procurer le repos, et nous verrons dans le peuple juif et dans l'homme la même destination et le même emploi, comme nous voyons dans l'un et dans l'autre, le même titre et la même qualification.

S'il s'y trouve quelque différence, elle est toute à l'avantage de l'homme. Israël n'est que l'esquisse et l'abrégé de l'homme. L'homme est l'Israël en grand. Israël n'était chargé que de faire sabbatiser la terre promise ; l'homme est chargé de faire sabbatiser la terre entière, pour ne pas dire tout l'univers.

Mais c'est le mot sabbatiser dont il serait essentiel de nous rendre compte, afin de mieux sentir ce que nous devons comprendre par le ministère de l'Homme-Esprit.

Nous ne pouvons guère nous dispenser de croire, qu'indépendamment des fruits terrestres que la terre nous prodigue tous les jours, elle a encore d'autres fruits à produire. Le premier des indices que nous en ayons, est de voir la différence qui se trouve entre les fruits sauvages que la terre porte naturellement, et ceux que nous lui faisons produire par notre culture, ce qui pourrait annoncer à des yeux pénétrants, que la terre n'attend que le secours de l'homme pour faire sortir de son sein des merveilles encore plus intéressantes.

Un second indice est, qu'il y a eu peu de nations païennes qui n'aient rendu un culte religieux à la terre.

Enfin, la mythologie vient appuyer notre conjecture, en nous offrant les pommiers d'or placés dans le jardin des Hespérides, en faisant enseigner aux hommes, par une Déesse, l'art de l'agriculture, et en nous apprenant, selon Hésiode, que la terre naquit immédiatement après le chaos, qu'elle épousa le Ciel, et qu'elle fut mère des Dieux et des Géants, des biens et des Maux, des Vertus et des Vices.

Si de ces observations naturelles et mythologiques, nous passons à des traditions d'un autre ordre, nous verrons dans la Genèse (4 : 11 et 12.) qu'après le meurtre d'Abel, il fut dit à Caïn : désormais tu seras maudit sur la terre qui a ouvert son sein, et qui a reçu de ta main le sang de ton frère. Lorsque tu la cultiveras, elle ne te rendra point ses fruits.

Or, nous ne remarquons pas que la terre ne puisse être labourée que par la main d'un juste, sous peine de demeurer stérile. Nous ne remarquons pas non plus que ce soit le sang des hommes qui s'oppose à sa fécondité. Les champs de la Palestine étaient tout imbibés du sang de ses habitants que le peuple d'Israël avait ordre d'exterminer ; et la fertilité de ces champs était au nombre des promesses et des récompenses auxquelles les Juifs avaient droit de prétendre, s'ils se conformaient aux lois qui leur étaient prescrites.

Nous ne voyons pas non plus que dans nos guerres, les terrains où nous enfouissons des monceaux de cadavres, soient frappés de stérilité. Au contraire, ils se font remarquer par leur étonnante abondance. Ainsi, tandis que le sang humain, versé injustement, crie vengeance jusqu'au ciel, nous ne nous apercevons pas que les lois terrestres de la végétation du globe soient interverties ni suspendues par les suites des homicides, soit généraux, soit particuliers.

Lors donc qu'il fut dit à Caïn, après son crime, que quand il travaillerait la terre, elle ne lui rendrait point ses fruits, tout nous engage à penser qu'il était question, dans ce travail, d'une autre culture que de la culture commune et ordinaire ; or, cette autre culture, quelle idée pourrions-nous nous en former qui ne rentrât pas dans le véritable ministère de l'Homme-Esprit, ou dans cet éminent privilège qui lui est donné de pouvoir faire sabbatiser la terre ? privilège toutefois qui est incompatible avec le crime, et qui doit cesser et être suspendu dans ceux qui ne marchent pas selon la justice.

Mais nous ne pouvons guère pénétrer dans le sens du mot sabbatiser, sans recourir aux notions antérieures dont nous avons déjà présenté le tableau, et sans regarder, sinon comme vraies, au moins comme admises, les sept formes ou les sept puissances que notre auteur allemand établit pour base de la nature.

Il nous faut en outre reconnaître avec lui que par suite de la grande altération, ces sept formes ou ces sept puissances sont ensevelies dans la terre comme dans les autres astres, qu'elles y sont comme concentrées et en suspension ; et que c'est cette suspension qui tient la terre en privation et en souffrance, puisque ce n'est que par le développement de ces puissances ou de ces formes qu'elle pourrait produire elle-même toutes les propriétés dont elle est dépositaire, et qu'elle désire de manifester ; observation que l'on peut appliquer à toute la nature.

Enfin, il nous faudrait retracer le tableau de l'homme qui annonce universellement une tendance à tout améliorer sur la terre, et qui fut chargé par la sagesse suprême, selon Moïse (Genèse 2 : 15.) de cultiver le paradis de délices, et de veiller à sa conservation.

Or, quelle pouvait être cette culture de la part de l'homme, sinon de maintenir en activité, selon les mesures et proportions convenables, le jeu de ces sept puissances ou de ces sept formes, dont le jardin de délices avait besoin comme tous les autres lieux de la création ?

Il fallait donc par conséquent que l'homme fût dépositaire du mobile de ces sept puissances, pour pouvoir les faire agir selon les plans qui lui étaient tracés, et pour maintenir ce lieu choisi dans son repos, ou dans son sabbat, puisqu'il n'y a de repos ou de sabbat pour un être, qu'autant qu'il peut librement développer toutes ses facultés.

Aujourd'hui, quoique le mode de l'existence de l'homme ait prodigieusement changé par l'effet de la grande altération, l'objet de la création n'a pas changé pour cela, et l'Homme-Esprit est encore appelé à la même oeuvre, qui est de faire sabbatiser la terre.

Toute la différence, c'est qu'il ne peut plus opérer cette oeuvre que d'une manière pénible et douloureuse ; et surtout il ne le peut que par le seul et même moyen actif qui jadis devait donner le mouvement aux sept puissances fondamentales de la nature.

Tant qu'il ne remplit pas ce sublime emploi, la terre souffre, parce qu'elle ne jouit pas de son sabbat.

Elle souffre bien plus si l'homme la réactionne dans un sens criminel, en cherchant à développer en elle des puissances coupables et corrompues, entièrement opposées au plan qu'il a reçu. Dans la première supposition, elle supporte l'homme malgré toutes ses négligences ; dans la seconde, elle le rejette de son sein, et tel a été le cas du peuple d'Israël.

Quant à ces sept puissances renfermées aujourd'hui dans la terre comme dans toute la nature, nous en voyons une image sensible dans le phénomène physique que notre atmosphère offre à nos yeux, quand par la présence du soleil, les nuages se fondent en eau.

Cette substance aqueuse, (qui, selon de profondes et justes observations, est, dans toutes les classes, le vrai conducteur ou le propagateur de la lumière), présente, en remplissant l'espace, un miroir naturel aux rayons solaires.

Ceux-ci, en pénétrant dans le sein de cet élément, marient leurs propres puissances avec celles dont il est lui-même dépositaire ; et par cette féconde union, le soleil et l'eau, c'est-à-dire, la région supérieure et la région inférieure manifestent aussitôt à notre vue le signe septénaire de leur alliance, qui est en même temps le signe septénaire de leurs propriétés, puisque les résultats sont analogues à la source qui les engendre.

Ce fait sensible et physique nous offre en nature l'enseignement le plus instructif sur l'état de concentration et d'invisibilité où sont ces sept puissances dans la nature ; sur la nécessité que leurs entraves se rompent pour qu'elles puissent rentrer dans leur liberté ; sur l'action constante du soleil, qui ne travaille qu'à faciliter leur délivrance, et à montrer ainsi à tout l'univers qu'il est ami de la paix, et qu'il n'existe que pour le bonheur des êtres.

Lorsque cette pluie, ainsi fécondée par le soleil, descend sur la terre, elle vient y opérer, en se mariant avec elle à son tour, les salutaires résultats de la végétation que nous secondons par notre travail, et dont nous recueillons les heureux fruits ; et c'est ainsi que la vie ou le sabbat matériel de la nature se propage par des progressions douces depuis le chef solaire jusqu'à nous.

Mais ce phénomène physique et figuratif, et tout ce qui en est le résultat, s'opère sans le ministère spirituel de l'homme, et cependant c'est à l'homme à faire sabbatiser la terre ; aussi avons-nous reconnu ci-dessus qu'elle attendait de lui une autre culture, et que ce n'était plus que par de pénibles travaux qu'il pouvait aujourd'hui la lui procurer.

Je ne craindrai point de dire que ce glorieux sabbat que l'Homme-Esprit est chargé de rendre à la terre, est de lui aider à célébrer les louanges de l'éternel principe, et cela d'une manière plus expressive qu'elle ne le peut faire par toutes les productions qu'elle laisse sortir de son sein.

Car c'est là le terme réel auquel tendent tous les êtres de la nature. Leurs noms, leurs propriétés, leurs sept puissances, leur langue enfin, tout est enseveli sous les décombres de l'univers primitif ; c'est à nous à les seconder dans leurs efforts, pour qu'ils puissent redevenir des voix harmonieuses et capables de chanter chacun dans leur classe les cantiques de la souveraine sagesse.

Mais comment chanteraient-ils ces cantiques, si cette souveraine sagesse n'employait un intermède pour pénétrer jusqu'à eux, puisqu'elle leur est si supérieure, et si par son représentant, et une image d'elle-même, elle ne leur faisait pas ainsi parvenir ses douceurs ?

Nous ne cherchons plus à établir ici que l'homme est cet intermède ; tout ce qui a précédé n'a eu pour objet que de nous amener à cette persuasion ; et malgré les nuages ténébreux qui environnent la famille humaine, malgré le poids énorme du fardeau qui l'accable depuis qu'elle a été plongée dans la région de la mort, je me plais à croire que parmi mes semblables, il s'en trouvera encore qui, dans cette sublime destination, n'apercevront rien que leur véritable nature désavoue ; et peut-être même, ne fût-ce qu'en perspective, ils n'en envisageront pas le charme sans tressaillir. Ne nous occupons donc ici que de chercher à quel prix l'homme peut parvenir à s'acquitter de cet important ministère.

Ce ne peut être qu'en employant ces mêmes puissances qui sont cachées dans son être corporel, comme dans tous les autres êtres de la nature ; car l'homme étant l'extrait de la région divine, de la région spirituelle et de la région naturelle, les sept puissances ou les sept formes, qui servent de base à toutes choses, doivent agir en lui, mais d'une manière diverse et graduée, selon son être naturel, selon son être spirituel, et selon son être divin ou divinisé.

Mais pour qu'elles puissent agir en lui dans quelques-unes de ces classes qui le constituent, il faut que ces puissances elles-mêmes soient ramenées en lui à leur état de liberté originelle.

Or, quand l'homme se contemple sous ce rapport, quand il considère à quel état de désordre, de disharmonie, de débilité et d'esclavage, ces puissances sont réduites dans tout son être, la douleur, la honte et la tristesse s'emparent de lui, au point que tout pleure en lui, et que toutes ses essences se transforment en autant de torrents de larmes.

C'est sur ces torrents de larmes, représentées matériellement par les pluies terrestres, que le soleil de vie dirige ses rayons vivificateurs, et que, par l'union de ses propres puissances avec le germe des nôtres, il manifeste à notre être intime le signe de l'alliance qu'il vient contracter avec nous.

C'est alors, homme, que tu deviens susceptible de sentir les douleurs de la terre, ainsi que celles de tout ce qui constitue l'univers ; c'est alors qu'en vertu de l'énorme différence qui se trouve entre l'état infirme des sept puissances cachées dans la terre, et entre tes propres puissances revivifiées, tu peux apporter du soulagement à ses souffrances, parce que tu peux répéter à son égard ce qui vient de s'opérer sur toi.

Enfin ce n'est qu'en jouissant toi-même de ton propre sabbat ou de ton propre repos, que tu peux parvenir à la faire sabbatiser à son tour.

Ce n'est que par là que tu deviens réellement le maître de la nature, et que tu peux l'aider à manifester tous les trésors qu'elle gémit de voir concentrés dans son sein, ainsi que tous ces prodiges et tous ces faits merveilleux dont les mythologies de tous les peuples et toutes les traditions, soit profanes, soit sacrées, sont remplies, et qu'elles attribuent les unes à des dieux imaginaires, les autres aux droits réels qui appartiennent à l'homme revivifié, dans ses facultés, par le principe même qui lui a donné l'être.

C'est par là que tu peux en quelque sorte soumettre les éléments à ton empire, disposer à ton gré des propriétés de la nature, et contenir dans leurs bornes toutes les puissances qui la composent, afin qu'elles n'agissent que dans leur union et leur harmonie.

Car ce n'est qu'en agissant dans leur désordre et dans leur disharmonie, qu'elles produisent ces formes monstrueuses que l'on remarque dans les différents règnes de la nature ; de même que ces formes de bêtes, et ces voix animales qui se manifestent quelquefois dans les orages et les tempêtes, et qu'il n'est point nécessaire d'attribuer à l'intervention des esprits, ni à des apparitions, comme la crédulité vulgaire est toujours prête à le supposer.

Mais si, d'un côté, la superstition exagère sur cet article ; de l'autre, l'ignorance ou la précipitation philosophique condamne trop dédaigneusement ces sortes de faits. Les puissances de la nature sont contenues les unes par les autres, quand elles jouissent de leur harmonie. Leur frein se brise dans les temps d'orage ; et comme elles portent en elles-mêmes les germes et les principes de toutes les formes, et surtout le son ou le mercure, il n'est pas étonnant que quelques-unes d'entre elles se trouvant alors plus réactionnées que les autres, elles produisent à notre vue des formes caractérisées, et à nos oreilles des voix d'animaux à nous connus.

Il ne faut pas être surpris non plus de ce que ces voix et ces formes, n'ont qu'une courte durée, et qu'une existence éphémère ; elles ne peuvent avoir ni la vie, ni les qualités substantielles dont elles jouissent, quand elles sont le résultat de l'union harmonique de toutes les puissances génératrices.

Toutefois je n'exclus point ici généralement le concours de la main supérieure qui, selon les plans qu'elle se propose dans sa sagesse, peut joindre et a joint souvent en effet son action à celles des puissances de la nature. Néanmoins, si la main supérieure peut intervenir elle-même dans les grandes scènes, dont l'espace est le théâtre, et dont nous sommes les témoins, il n'en est pas moins vrai que les puissances élémentaires sont habituellement sous leur propre loi dans ce monde, et qu'étant toujours prêtes à se mettre en jeu selon l'espèce de réaction qui les stimule, elles sont toujours susceptibles de produire telle ou telle forme, tel ou tel son, enfin tel ou tel autre signe analogue à cette réaction.

Il est également vrai que quand la main suprême se joint ainsi aux puissances élémentaires, elle a alors plus particulièrement l'homme pour objet dans ces importantes conjonctures, soit pour l'instruire et le réveiller s'il est coupable, soit pour l'employer comme médiateur s'il est ouvrier du Seigneur ; car le ministère de l'Homme-Esprit revivifié s'étend sur tous les phénomènes qui peuvent se manifester dans la nature.

Comment le Ministère de l'Homme-Esprit revivifié, ne s'étendrait-il pas sur toutes les espèces de phénomènes qui peuvent se manifester dans la nature, puisque notre véritable régénération consiste à être réintégrés dans nos droits primitifs, et que les droits primitifs de l'homme l'appelaient à être l'intermède et le représentant de la Divinité dans l'univers ?

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