La religion de combat par labbé Joseph Lémann
Livre premier
La séparation des ténèbres et de la lumière au sein de la societé moderne
Chapitre premier
Le Pape illuminateur et la séparation de la lumière d’avec les ténèbres – I. Comme quoi le nom de cité de lumière convient à l’Église romaine, et le titre d’illuminateurs, à tous les Papes. – II. Irradiation exceptionnelle de ce titre sur Pie IX et sur Léon XIII. Dons célestes qui éclatent en l’un et en l’autre. L’Épiphanie de la papauté à l’occasion des Noces d’or de Léon XIII. – III. Vicissitudes temporelles et politiques qui ont contribué à rehausser leur mission d’illuminateurs. – IV. Quel était le plus grand mal de la société moderne depuis bien des années: la confusion. – V. Elle cesse. Division des ténèbres et de la lumière sous le pontificat de ces deux papes. L’ordre dans les idées. La droite et la gauche en doctrine, acheminement au jugement dernier. – VI. Agglomération plus épaisse des ténèbres depuis cette division; nulle frayeur à avoir: un procédé du Tout-Puissant. I La grande uvre de Dieu ici-bas est une cité qui se construit; aussi la nomme-t-on la cité de Dieu. Elle est à la fois spirituelle et visible: spirituelle comme les âmes, visible comme les visages. Par son côté visible, elle devait occuper, remplir, en le dépassant, le lieu le plus célèbre du monde, exposée quelle serait à tous les regards, comme sur une montagne. En effet, le prophète du Seigneur navait-il pas annoncé : Dans les derniers temps, la montagne sur laquelle sera bâtie la maison du Seigneur dominera toutes les autres collines; les nations y accourront en foule, elles se diront lune à lautre: Allons, montons ensemble à la montagne du Seigneur, et à la maison du Dieu de Jacob. (Isaïe, II,2,3.). Quel est ce lieu, visible comme le visage, élevé comme une montagne, sur lequel la cité de Dieu a été placée, et doù elle sétend par toute la terre? Le voici: Il est une ville fameuse sous le nom de ville aux sept collines, qui est le centre naturel du monde, et qui fut son centre effectif à toutes les époques de lhumanité: cest Rome. On a fait justement remarquer que lItalie qui savance comme un long promontoire entre lAsie, lAfrique et lEurope, confinant à tout et ouverte à tous, était un centre qui navait point de circonférence personnelle parce quelle nétait quun long promontoire; et que, ne pouvant être par elle seule un grand empire, elle était admirablement faite pour être le centre et lunité du monde. Elle lest devenue, en effet, non pas une fois, et par hasard, mais constamment et sous plusieurs formes: par la guerre au temps des Romains, par le commerce et les arts au moyen âge, enfin par la religion avec lÉglise catholique. Cétait à la fois le lieu le plus illustre et le plus exposé, et cest pour cela même quil fut choisi, miracle de grandeur et de péril, digne de servir de trône à la Vérité (Lacordaire, Lettre sur le Saint Siège) . Or, cest en ce lieu, sur Rome aux sept collines, que se laisse apercevoir, dans sa partie visible, la cité de Dieu, imposant son aspect à tous les yeux. Des briques dor auraient mérité de former ses toits et ses murs; mais elle offre aux regards mieux que des briques dor, elle offre le dépôt des vérités éternelles et la dispensation des sacrements damour dont les hommes ont besoin. LÉglise catholique, en effet, part de là, se nommant à Rome le Saint-Siège, et, de Rome, sétend et se dilate par toute la terre. Avant dêtre placée à Rome, la cité de Dieu, toujours dans sa partie visible, sétait longtemps construite à Jérusalem, durant lexistence politique et religieuse du peuple hébreu. Mais quand Rome fut substituée à Jérusalem, elle hérita de lhonneur de devenir le point central de la construction de la cité divine, et avec cet honneur lui furent transmises et appliquées toutes les prophéties bibliques relatives à cette construction, entre autres la fameuse prophétie dIsaïe: Lève-toi et sois illuminée, Jérusalem, parce que ta lumière est venue et que la gloire du Seigneur sest avancée sur toi
Les nations marcheront à la lueur de ta lumière, et les rois, à la splendeur de ton lever.(Isaïe LX,1,3.) Rome, transformée en Jérusalem spirituelle, devenait la cité de lumière annoncée par les prophètes. Que les jeux de la toute-puissance de Dieu sont admirables! Il ny a, pour sen convaincre, quà considérer le contraste harmonieux qui unit ces deux villes mystérieuses, Rome et Jérusalem : Jérusalem a formé les substructions de la cité de Dieu, sortes de catacombes sacrées où sest célébré le culte mosaïque; les substructions une fois achevées, Rome, devenue le centre et le sanctuaire du culte chrétien, a dilaté dans toutes les directions de lespace la cité de Dieu ouverte à toutes les nations. À Jérusalem, il a été dit, après quelle eut donné le Messie au monde: «Ta fécondité est finie, repose-toi dans les sabbats de ta solitude;» À Rome, il a été dit, après quelle eut subjugué le monde par les armes: «Dans tes murs, est roulée la roche solide qui va porter lhumanité jusquaux cieux! Terre délite, région couronnée regrette ton sort, si tu loses!» Jérusalem, enveloppée dombre et de silence, ressemble à une lampe qui brûle auprès dun sépulcre; Rome est le chandelier qui éclaire lunivers! De Rome au Pape, la transition est facile. Il y a une telle connexité, une telle appartenance entre lhomme à la soutane blanche et la ville aux sept collines, quil est impossible de penser à lun sans penser à lautre. De sa Rome chandelier du monde, le pape est illuminateur. Tous les papes lont été. Doù leur vient cet éclat héréditaire, cette transmission du chandelier? La réponse noffre plus de difficulté depuis le Concile du Vatican : Tous les papes sont infaillibles, lorsquils exercent leur magistère. Il en résulte que tous ont ajouté au patrimoine des lumières; les uns ont dissipé danciennes ténèbres, les autres ont repoussé leur retour et leur envahissement. Dès quun pape est créé par le choix du Saint-Esprit et par le vote des cardinaux, le Tu es Pierre, le Confirme tes frères, le Pais mes brebis, fondent sur lui, volée céleste, avec des capacités de lumière et des immensités damour en rapport avec les besoins de chaque siècle. Lhistoire ecclésiastique rapporte et la peinture la reproduite la scène où saint Grégoire le Grand écoute une colombe venue du ciel qui lassiste visiblement, tandis que ses lèvres dictent des oracles de vérité; pour être restée invisible auprès des autres papes, la colombe na fait défaut à aucun deux. Ils tiennent les clefs. Avec ces clefs, ils introduisent dans le royaume des cieux; mais de plus, par voie de conséquence, ils ouvrent à la société chrétienne des horizons nouveaux; et sil arrive que la société civile fourvoyée, ne trouvant plus dissues, a lheureuse pensée de recourir au merveilleux passe-partout romain, elle sort avec satisfaction de ses difficultés. Les portes de laurore (charmante image de lordre physique) relèvent, dans lordre moral, de saint Pierre: que de fois la papauté na-t-elle pas suscité laurore? «Le jour commence à se mêler avec les ombres de la nuit; mais lombre sélève insensiblement: les astres qui y sont attachés pâlissent et semblent se reculer à lapproche du jour, tandis que, du côté du couchant, la nuit étend encore sous les voûtes des cieux un voile semé de saphirs; les étoiles brillantes qui léclairent semblent ranimer tout leur feu pour sopposer au lever de laurore, mais leurs efforts sont vains; tout lorient se pare des plus riches couleurs, la nature annonce son réveil à la terre par la voix de tous les animaux
(Chateaubriand)» Cette victoire de lastre royal au sein de la nature appartient aussi, sur lhorizon des siècles, à la papauté. Les ténèbres ne tiennent plus dès que Rome a parlé; et nulle illustration, si brillante soit-elle, na garde de jouter contre les lumières du Saint-Siège. Chaque pape étant illuminateur, lhorizon se renouvelle avec chaque pontificat; des questions capitales sont éclaircies; des fêtes sont décrétées; des Te Deum sont chantés; des bienheureux sont proclamés. Le ciel de lÉglise étincelle de rubis, et sempourpre, avec la canonisation des martyrs; il se pare de blancheur et dazur avec celle des Vierges et des Docteurs; et, dans la réunion de ces couleurs surnaturelles, laurore des éternelles clartés se laisse entrevoir aux yeux de la foi. II Il y a des pontificats plus illuminateurs les uns que les autres, comme il y a des aurores plus brillantes les unes que les autres. Les pontificats de Pie IX et de Léon XIII auront occupé, dans lhistoire de lÉglise, une place exceptionnelle, laissant sur lhorizon de ce siècle des traînées de lumière majestueuses. «Vous êtes immaculée, lhonneur de la race humaine», proclamait dogmatiquement, en 1854, Pie IX, agenouillé, avec lunivers catholique, aux pieds de la Vierge Marie; et depuis lors, le culte de lauguste Mère de Dieu et des hommes, déjà si radieux, a obtenu un accroissement dirradiation tellement pur, tellement protecteur, quil doit, assurément, faire oublier auprès de Dieu bien des laideurs des pauvres humains. «Vous êtes infaillible, la clef de voûte de lordre social,» était-il répondu en 1870 au Pontife de lImmaculée Conception; ce fut en quelque sorte la réponse de la Vierge Marie à Pie IX. La tiare du Pontife romain, symbole de la triple autorité royale, doctrinale, pontificale, en fut affermie: trouvant, dans cette définition dogmatique de lInfaillibilité, le scintillement de ses plus beaux feux. À la même heure, la couronne pâlissait au front des rois
Et Pie IX se coucha dans sa tombe. Alors monta sur le trône de saint Pierre un Pontife qui devait être la plus éloquente justification du Concile du Vatican et du dogme de lInfaillibilité. On avait dit, de ce dogme, avant et même après sa définition, quil était inopportun et quil surgissait comme un défi à la société moderne. Léon XIII fut la réponse du ciel à ces alarmes et à ces contradictions. Dès quil a ceint la tiare, il enseigne en docteur infaillible, sans lassistance dun concile; son enseignement brille comme un astre, au firmament, lumen in clo, et le monde écoute dans le silence de ladmiration. On avait redouté un conflit entre la société moderne et le dogme de lInfaillibilité, et il advient que la théologie de Léon XIII, écho de celle de saint Thomas dAquin, présente la solution radieuse et rassurante des formidables problèmes sociaux. Sa belle théologie correspond si parfaitement aux besoins de lumière et de paix, que le monde éprouve, que cette désignation le pape illuminateur est, pour la première fois, employée authentiquement pour désigner et caractériser son pontificat. Tous les papes lont été, mais il lest au superlatif. Aussi, la reconnaissance des catholiques et des amis de lordre ne sest-elle pas fait attendre. Les noces dor de Léon XIII étant providentiellement survenues, la Papauté a eu un jour tellement beau, une année tellement mémorable, quon la nommée, à juste raison, lÉpiphanie de la Papauté. De laveu de toutes les bouches, et pour les yeux les moins bienveillants, lÉglise romaine, captivant lattention, imposant le respect, a brillé alors en cité de lumière qui avait la colline Vaticane pour point culminant, et tous les chemins des Nations pour carrefours illuminés. Consignons ici quelques fragments des innombrables feuilles publiques qui ont décrit le mouvement de lunivers et le pèlerinage des peuples : --------------------- Lannée 1888 se lève sur le monde civilisé dans les splendeurs dapothéose du Jubilé de Léon XIII. Cest un grand, un incomparable spectacle que présente en ce moment la capitale de lItalie, restée malgré tout et plus que jamais la Ville éternelle, la Ville des Papes. Par toutes les routes de lunivers sacheminent, vers Rome, les présents et les députations des nations, affluant aux pieds du vieillard auguste qui domine la chrétienté du haut du Vatican. Tous les peuples catholiques se trouvent rangés autour du trône de saint Pierre, confirmant, par leur présence et léclatant témoignage de leur fidélité, la magnifique unité de cette religion divine qui tient de Dieu son prestige éternel. Jamais la puissance du Saint-Siège navait été proclamée avec une spontanéité semblable et au milieu dun concours aussi universel. Le 1er janvier, le captif du Vatican, véritable roi de Rome et du monde catholique, célèbre la messe jubilaire pour le monde. La Basilique vaticane contient 33.000 personnes, dont 45 cardinaux et 300 évêques, venus de tous les coins de la terre. Lunivers entier, par ses représentants, assiste à cette fête sans pareille. Les fidèles, les évêques, les souverains ont été pris dune noble émulation; on sest partout ingénié à préparer des présents étonnamment variés et dune grande richesse. Les arts, les sciences, les métiers, tout a été mis à contribution. Et des îles lointaines, pour nous servir dune image de lÉcriture sainte, comme des pays plus rapprochés, sont venus des présents magnifiques, témoignage daffection, de respect, de dévouement et de piété filiale pour le Vicaire de Jésus-Christ. LAmérique nest point en arrière, lAsie la suivie, voire même lOcéanie. Ce nest pas tout. Cette grande manifestation nest pas limitée par les frontières des pays catholiques. Des souverains hétérodoxes, comme lempereur dAllemagne et la reine dAngleterre; dautres qui ne sont pas même chrétiens, comme le sultan de Constantinople et le shah de Perse, ne sont pas les moins empressés à envoyer leurs présents à Léon XIII. Sans doute ces souverains ont voulu rendre hommage au chef de lÉglise qui, élu à lheure où la Révolution croyait à une victoire définitive sur la papauté temporelle, a su prendre une place si élevée au milieu des empereurs et des rois quils le choisissent pour arbitre dans leurs différends, et dont le premier homme dÉtat dEurope a sollicité lintervention dans une question délicate entre lempereur dAllemagne et son peuple.
Ce sont là de ces coïncidences uniques, de ces harmonies providentielles qui ne se rencontrent quà de longues distances. Il faudrait la langue de Bossuet ou la poésie en relief de Dante pour en résumer laccord merveilleux et en traduire le sens divin. Quelle date! et quelle grandeur! Jamais fête jubilaire ne sest accomplie avec cette beauté éblouissante et douce à la fois, avec cette éloquence retentissante, rappelant à tous les uvres accomplies et présageant les uvres à venir. Lhistoire a enregistré des événements plus singuliers. Il y a eu des commotions religieuses plus vibrantes; on a vu des rapprochements plus intimes entre Rome et les princes; des pèlerinages plus nombreux; un éclat extérieur plus rayonnant; ou, encore, des pompes plus riches et des gestes qui ont frappé plus vivement limagination. Mais ce que lon na jamais vu peut-être dans les annales de la Papauté et de lÉglise, cest cet ensemble, cest cette harmonie de toutes les grandeurs et de toutes les forces humaines: les souverains, les princes, les gouvernements, les députations des peuples, les évêques, les prêtres, les fidèles venant de tous les hémisphères acclamer dun culte fait damour et dadmiration, Celui qui, des hauteurs du Vatican, illumine les esprits, gouverne les âmes, touche les curs. Cette unité imposante dans cette riche diversité, cette synthèse supérieure dans la multiplicité des détails, cette rencontre de la grandeur et de lobscurité, de la force et de la faiblesse, dans une même vénération: cet élan universel, cette attraction sans nom et sans exemple, voilà la marque historique, la sublime majesté de la fête du 1er janvier 1888. Date unique, dans lhistoire de la Papauté, «temps fécond en miracles», comme chante le poète, et qui restera sans perdre sa lumière. Toutes ces acclamations parties de tous les points du ciel forment comme un arc de triomphe au-dessus du Vatican et du Pontificat dont les splendeurs brillent au loin. Léon XIII a mérité cette consolation suprême. Ces grandes choses sont la moisson bénie et dorée des semences quil a jetées à travers son pontificat. Ces ambassades des souverains et des princes ne sont-elles pas sorties de larche de réconciliation que Léon XIII a voulu ramener sur la terre? Ces adresses des Diètes et des Parlements, ces hommages de toutes les autorités constituées, ne sont-elles pas lexpression naturelle des grandes idées politiques et modératrices du Pape? Ces dons des évêques, ces manifestations des peuples, cette marche sur Rome de toutes les nations, tout cela na-t-il pas jailli, comme dune source féconde, des travaux, des sacrifices, des enseignements, des prières de Sa Sainteté? (Extr. du Moniteur de Rome, de l'Univers, du Nouvelliste de Lyon) À côté des récits de lhistoire, la poésie a eu ses strophes remarquables, par exemple : La fortunée aurore, à la chevelure dorée, douce espérance et soupir du pieux croyant, nétait pas encore sortie des profondeurs de lOrient, que déjà sur la convexité des deux hémisphères, en effleurant à peine son sentier de fer, une longue file de chars de feu vole, ô Léon, vers ta Rome, la sublime cité, que Dieu prédestina comme le grand centre damour pour tous les âges: des plages lointaines, mais fidèles, ils amènent les hommages de tes enfants. LInde tenvoie les blanches perles, dont son sein est si fécond; la Méditerranée toffre les plus beaux buissons de ses forêts de coraux; à toi la malachite des montagnes moscovites, à toi les plus précieux marbres dÉgypte, les fourrures tachetées et les admirables plumes aux couleurs darc-en-ciel dont se glorifie la faune américaine; lAustralie jette à tes pieds les trésors de sa poudre dor, et le genre humain est content de tapporter tout ce que la terre produit. LArt, aux formes variées, toffre la fleur de ses prodiges, embellis de mille et mille manières; et la Poésie, qui est le battement de lamour, descendue des sommets de lOlympe, jonche de lauriers ton chemin glorieux; lindustrieux agriculteur toffre lhumble tribut des sillons arrosés de ses sueurs et les prémices de ses gras pâturages; la divine Science, qui est ici-bas la suprême consolation de lhomme, te consacre les fruits sacrés de ses veilles, éclairées par le Soleil dAquin, qui est, ô Léon, lastre lumineux de ta carrière. Tandis que lEurope entière a la fièvre des armements, et quon allume les fourneaux pour couler les vases qui vomissent le feu et sont pour lhomme les instruments des plus grandes ruines; tandis que des accents menteurs dune concorde, que la Terre invoque, résonnent sur les lèvres de ceux qui nont que la colère dans le coeur, toi, puissant Père damour, tu célèbres les fastes de la véritable paix: lUnivers étonné applaudit, il tient inclinée vers la terre la sinistre torche de Mars, et te salue, ô Léon, grand Roi de la paix! (Stances de Domenico Panizzi). Nous aurions pu multiplier les citations; celles-là suffisent pour rappeler, quoique faiblement, ce qua été «lannée triomphale» de la Papauté et de lÉglise romaine. La célèbre prophétie biblique, citée plus haut : Dans les derniers temps, la montagne sur laquelle sera bâtie la maison du Seigneur dominera toutes les autres collines; les nations y accourront en foule, elles se diront lune à lautre: Allons, montons ensemble à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob, (Isaïe, II,2,3.) cette prophétie a obtenu un accomplissement, bien des fois remarqué, à travers tous les siècles du christianisme mais jamais laccomplissement na été plus magnifique, ni plus unanime quen 1888; toutes les nations de la terre se sont dit à cette date, en se montrant à lenvi la colline Vaticane: Allons, montons ensemble auprès du Pontife -Roi! III Un contraste contribuait à rendre plus vif léclat de lÉglise romaine cité de Dieu, ce contraste: des ténèbres environnantes. Les peuples se disaient donc : Allons, montons ensemble
Et pourtant à ce pèlerinage des peuples étaient mêlées des clameurs discordantes; de la même nation et de toutes les nations, sortaient simultanément les vapeurs de lencens et les fumées de limpiété. En effet : La France mettait aux pieds de Léon XIII une tiare ornée de pierres précieuses, et la même France se débarrassait officiellement, dans ses lois et dans ses moeurs publiques, des hommages et même du plus simple respect dus à Jésus-Christ; LAngleterre, par les soins de sa reine, présentait au Souverain Pontife une superbe aiguière dor à lusage des cérémonies religieuses, et la même Angleterre demeurait protestante et faisait pleurer la catholique Irlande; LAllemagne obtenait, au milieu des cadeaux des rois, la place dhonneur pour sa mitre étincelante de pierreries, et la même Allemagne, obéissant à lesprit de Luther, proclamait, au milieu de lEurope tremblante et barricadée de fer, la primauté de la force sur le droit; LAutriche offrait les plus merveilleuses dentelles, travail de ses archiduchesses, et la même Autriche se désagrégeait par loubli des saintes lois du mariage; La Turquie nétait pas la dernière à briller par lenvoi dun diamant, dune grosseur extraordinaire, que le Sultan avait choisi dans ses écrins, et la même Turquie, usée par le Coran de Mahomet, nétait plus quun vieillard de peuple; Et ainsi des autres nations; leurs présents étaient accompagnés de contrastes. Mais le contraste le plus affligeant venait de lItalie. Il avait été dit par la Providence à lItalie: «Dans tes murs a été roulée la roche solide qui porte lhumanité jusquaux cieux. Terre délite, région couronnée, regrette ton sort, si tu loses;» et lItalie lavait osé! À lheure où saccomplissait le pèlerinage des nations, lItalie, à lencontre du précepte de lÉvangile, servait deux maîtres à la fois: elle sagenouillait avec de riches présents aux pieds du Pontife-Roi, et elle obéissait au roi dItalie; des sept collines de Rome, six étaient sécularisées autour de la colline Vaticane, restée sainte. Le contraste existait donc chez toutes les nations, et, à loccasion des noces dor de Léon XIII, il saccusait dune façon saisissante et pleine de mélancolie. Or, de ce contraste sortait, chose admirable! un surcroît déclat pour lÉglise romaine, cité de Dieu. En effet, elle seule ne se révélait-elle pas, une fois de plus, comme étant le royaume de lumière, au milieu des autres royaumes affligés de lenvahissement des ténèbres: elle seule, comme la cité indéfectible, au milieu des autres États qui déclinent vers le couchant, semblables à des astres fatigués? Ce contraste, au profit de lÉglise romaine, a été décrit en termes que personne na osé contredire; tous les journaux catholiques lont signalé dans un parallèle entre le Pontife-Roi et le roi dItalie : À mesure que le fanatisme antireligieux monte et menace denvahir les régions gouvernementales, la foi des peuples se rejette, comme par un besoin touchant de protection, aux pieds du chef de la catholicité. À mesure que les rivalités de nations à nations saccentuent, au point que lEurope semble un immense camp retranché, lidée du Pape arbitre des luttes internationales grandit et saffirme. On dirait vraiment que plus la Papauté est dépouillée et réduite à rien au point de vue des possessions temporelles, plus les peuples sempressent de lui accorder des témoignages exceptionnels de fidélité et de respect. Sans se préoccuper le moins du monde de la présence de lhéritier de Victor-Emmanuel au Quirinal, les représentants de toutes les nations du monde arrivent à Rome et vont droit au Pape. Malgré labus de la force qui a installé la maison de Savoie dans la Ville éternelle, violée un jour où la fille aînée de lÉglise était vaincue et désarmée, il ny a quun souverain à Rome, et ce souverain sans armée, vieillard débile, prisonnier de fait, habite le Vatican. La conscience humaine est plus forte que les bersaglieri qui ont franchi les portes romaines quand le dernier régiment français était loin de Civita-Vecchia. Elle réduit à néant lodieuse conquête de Victor-Emmanuel. Dix-sept ans se sont écoulés depuis le jour où le Quirinal, volé au Pape, abrite le roi dItalie; et la question romaine reste intacte. La violation du droit est flagrante comme au début: laffluence des envoyés de toutes les puissances à Rome sentoure de tous les caractères dune protestation universelle contre latteinte portée à lindépendance de Celui dont tous réclament lappui parce que tous en ont également besoin. Le roi Humbert aura beau se claquemurer derrière les portes de son palais et se boucher les oreilles pour ne pas entendre le bruit de cette multitude qui se dirige vers le Vatican, les enseignements sévères que lui donne lunivers ne lui échapperont pas. Isolé et inquiet, lui qui a une armée nombreuse et des vaisseaux énormes, il faudra bien quil sincline devant cette dure leçon que lui inflige le monde civilisé. Qui donc parmi tous ces pèlerins accourus les mains pleines de présents, autour de ce prêtre de soixante-dix-huit ans, se détournera de son chemin pour saluer le roi dItalie qui habite le Quirinal comme on loge en garni? (Nouvelliste de Lyon) Vingt années auparavant, le génie de Louis Veuillot, agrandissant le parallèle et le posant non plus seulement entre le Pontife-Roi et le roi dItalie, mais entre lempire du Pontife et les autres empires, avait écrit dune plume inspirée par la foi: Il nest pas superflu dobserver que ce siècle, commencé par la révolte et si glorieux dêtre par excellence le siècle de la révolte, se tord et gémit vers sa fin, en travail de deux sortes dempire: lempire de la force, lempire de lesprit; lun qui veut unifier par la violence, lautre qui veut unir par lamour; lun, de ceux qui veulent commander et dominer, lautre, de ceux qui veulent obéir et aimer. Et des deux côtés ces mouvements si contraires sont inspirés par le besoin même de la vie; seulement, le besoin matériel dirige le premier et légare, le besoin moral dirige lautre et le fait triompher. Caro enim concupiscit adversus spiritum: spiritus autem adversus carnem. Comme dans lancien paganisme, mais avec une rapidité vertigineuse, les empires matériels se succèdent et se précipitent dans notre société moderne, matérialisée et paganisée. Il y a eu lempire violent de Napoléon, lempire politique et marchand de lAngleterre, menacé en ce moment dun terrible déclin; voici peut-être lempire orgueilleux et brutal de la Prusse, et lon peut déjà prévoir quil aura pour adversaire et probablement pour vainqueur lempire sauvage de la Russie. Tous ces empires sont révolutionnaires, et Voltaire, véritable image de «celui qui fut homicide dès le commencement», nétait pas moins Russe que Prussien. Tous ces empires ont été ennemis du Christ et se sont armés contre son Vicaire; tous ont promis de proscrire un jour la guerre, tous ont fait la guerre païenne et répandu plus de sang quil nen a été versé sur la terre dans le même espace de temps à aucune époque de lhistoire. Et cependant lempire de lesprit, lempire du Christ, sans armes, sans appui, réduit à rien, enfermé tout entier durant des années dans les prisons de Valence, de Savone et de Fontainebleau, sest relevé et sest agrandi. Nous avons vu au Concile les évêques de la Chine, du Japon, du Tibet, de la Polynésie, nous avons vu les évêques de Londres et de Genève qui nétaient pas au concile de Trente, et tous ont décerné ou plutôt reconnu au Pape une dictature qui ne sera point ébranlée. Le poignard italien et le canon prussien, par un accord de brève durée, pourront enlever au Pape son territoire, ils ne lui ôteront pas un sujet, et lui en amèneront au contraire davantage. Dieu donne à son Église lépave de tous les naufrages, et tôt ou tard le laurier de tous les triomphes. Il le fait ainsi, et cette perpétuelle vaincue est éternellement victorieuse, parce quelle nabandonne jamais la vérité. En ce temps, Dieu aussi se pique de vitesse et ne fait pas attendre laccomplissement de ses décrets. Dans ces magnifiques citations, et les événements soudains quelles célèbrent, ny a-t-il pas léloquent commentaire de cette autre prophétie biblique citée plus haut : Lève-toi et sois illuminée, nouvelle Jérusalem, ô Église romaine, parce que ta lumière est venue et que la gloire du Seigneur sest avancée sur toi. Car voici que les ténèbres couvriront la terre, et une nuit sombre enveloppera les peuples, mais le Seigneur se lèvera sur toi, et lon verra sa gloire éclater au milieu de toi.(Isaïe, IX,1,2.). Jamais léclat de lÉglise romaine cité de Dieu na été plus vif, parce que jamais lenvahissement des ténèbres chez les autres cités de la terre na été plus général. IV En effet, quel est le mal qui afflige présentement toutes les nations? Nest-ce pas la confusion, cest-à-dire la coexistence, chez elles, dun reste de lumière avec beaucoup de ténèbres? Quon comprenne bien, cest important: La confusion moderne nest pas le mélange des bons et des mauvais qui a toujours existé et existera jusquà la consommation des siècles, ainsi que la déclaré la Vérité éternelle elle-même, comparant ce mélange à celui que présente un champ de blé, où la tige divraie pousse à côté des tiges dépis: non, la confusion moderne nest pas ce mélange; mais elle est le mélange, dans les idées et dans les murs, du bien et du mal, de la vérité et du mensonge, de la lumière et des ténèbres, comme si, sur la même tige, le blé et livraie pouvaient pousser de concert. Le mélange des mauvais avec les bons est de permission divine, lil de Dieu discerne les uns et les autres, et son tribunal les attend pour les ranger à droite et à gauche; en ce mélange permis et passager, il ny a donc pas de confusion. Mais le mélange du bien et du mal en doctrine et en morale, dans les idées et dans les murs, constitue une confusion abominable devant son regard. Or, la société moderne présente le spectacle de ce détestable mélange, arrivé à son dernier tournoiement; il y a longtemps, hélas! quil était en voie de formation, voici de quelle manière : Il avait eu ses débuts, encouragés, à la cour de Louis XIV. Ce superbe XVIIe siècle est double. À côté de lÉvangile, on aperçoit, revenue, la mythologie; et les grands hommes de cette époque offrent, jusque dans leur génie, un regrettable et redoutable dualisme. Pascal a écrit les Pensées, mais également les Provinciales; la Fontaine charme par ses Fables, mais scandalise par ses Contes; Montesquieu a une main posée sur lEsprit des Lois, mais lautre main badine avec les Lettres Persanes; et du grand Bossuet lui-même descend, sur son incomparable Discours sur lHistoire universelle, lombre de la Déclaration de 1682. Chaque homme remarquable est double: cest le début de la confusion. À la date de 1789, la confusion est, en quelque sorte, érigée en principe, par la reconnaissance de légalité des droits pour toutes les religions, pour tous les systèmes de philosophie et de morale indépendante. Aussi, depuis lors, vers quel chaos, grand Dieu! la société civile et politique ne savance-t-elle pas, la France en tête, et les autres nations à la suite de la France! Chaos dans les idées. On ne sentend plus sur les notions les plus élémentaires; les idées du droit, de lhonneur, de la liberté, de la paternité, nont plus leur signification antique et sacrée; les parlements et les autres réunions semblent se tenir à Babel, tant leurs explications sont tumultueuses et confuses! Chaos dans les affaires. Des catastrophes, vastes comme les abîmes des mers menacent la fortune publique et toutes les fortunes privées. Les budgets des nations ne sont pas sûrs du lendemain. Le seul avantage est pour les voleurs: car lagiotage et lombre mettent la cupidité à laise et permettent de faire des profits déshonnêtes en bravant le déshonneur. Chaos dans les murs. LÉvangile est mis, ici, au rabais, là, au rebut. Les murs sont menacées par les lois. Linterrogation anxieuse de Massillon devant la cour de Louis XIV, ne devient-elle pas cent fois plus anxieuse devant les licences de la démocratie: «Paraissez maintenant, justes! où êtes-vous? Restes dIsraël, passez à la droite; froment de Jésus-Christ, démêlez-vous de cette paille destinée au feu. Ô Dieu! où sont vos élus? et que reste-t-il pour votre partage?
» Que reste-t-il pour le partage de Dieu, dans les assemblées démocratiques? Chaos dans les décisions politiques. Louis Veuillot a décrit, ainsi quil suit, le débat, si souvent stérile, des conservateurs: «Par un privilège de son génie, Dante, cinq ou six siècles à lavance, avait ouï ce débat lorsquil dépeint le perpétuel et stérile bruit de sable qui grince autour des portes de lenfer. Des soupirs, des plaintes, des langages horribles et divers, les cris sourds du désespoir, les cris rauques de la colère, les froissements de mains entrechoquées gémissent comme la rafale dans limplacable nuit
Cest le misérable tourment des âmes incomplètes, anime triste, qui vécurent sans honte et sans infamie, uniquement occupées de se tirer daffaire au meilleur marché. On ne peut mieux peindre le gros du parti conservateur se débarrassant des principes pour rester à flot. Selon le poète théologien, ces âmes chassées du repos pour lui avoir tout sacrifié, nobtiendront pas même la grâce dentrer dans lenfer. À leur aspect, les damnés se glorifieraient davoir au moins aimé le mal.» Chaos dans les convenances diplomatiques. La Correspondance de Genève écrivait en 1871: «Aujourdhui lon ne sindigne plus de rien. Tout semble naturel, tout semble licite, et on assemble les contraires sans paraître même soupçonner leur contrariété. On va au Quirinal et on va au Vatican, comme on passe dune orgie à léglise. À cette vue, qui ne se rappellerait involontairement ces Césars païens, qui, après avoir trop mangé, débarrassaient leur estomac pour pouvoir se remettre à manger? Quand Hegel a proclamé lidentité du bien et du mal, on sest indigné, et lindignation était juste et noble; mais on sest aussi moqué, et la moquerie était sotte. Le bien et le mal ne sont, en effet, quune seule chose aux yeux dêtres qui nont point de jugement. La Secte qui a voulu imposer à lhumanité la doctrine de Hegel, qui est à toute doctrine ce que les ténèbres sont à toute lumière la Secte qui a tenté de plonger lhumanité dans cette nuit profonde, navait pas dautre moyen darriver où elle voulait. Pour assurer le triomphe du mensonge, il faut que la faculté de juger soit ôtée à lhumanité. Cest à ce travail que nous assistons depuis longtemps, et ceux qui lont entrepris croient quils lont mené à terme et que cen est fait de lEurope. Ont-ils raison, ont-ils tort dans leur exécrable joie?» Ces réflexions de 1871 nont rien perdu de leur justesse, lexécrable travail a seulement vingt ans de plus. Voilà le chaos, la confusion! Dans ce chaos on aperçoit bien un reste de lumière luttant contre lagglomération des ténèbres; mais les ténèbres croissent et sépaississent de jour en jour, dheure en heure, et les frissons que lon éprouve ne décèlent que trop les lugubres résultats qui sont attribués à leur noire agglomération; ces résultats: Dans la nature, les ténèbres glacent latmosphère. Dans la société, les courages ne sont-ils pas glacés? Les ténèbres font perdre de vue le but vers lequel on chemine dans un voyage, elles le supprimeraient si elles en étaient capables. Les nations si longtemps chrétiennes nont-elles pas, en perdant de vue le christianisme, perdu leur but: elles ne savent plus où elles vont, elles ne se rappellent plus leur histoire et leurs nobles destinées. Les ténèbres divisent et séparent les voyageurs; elles empêchent quon marche ensemble. Dieu! quelles divisions, quelles séparations entre les citoyens dun même pays! Les mains se cherchent dans cette nuit politique, et ne se rencontrent plus. Les ténèbres ne sont favorables quà un seul être, à labîme qui borde la route. En effet, ou bien elles empêchent dapercevoir les précipices, ou bien elles les exagèrent; car, chose étrange! pendant lobscurité, les trous, les gouffres semblent toujours sagrandir, se dilater. Labîme vers lequel les peuples sont entraînés nest que trop favorisé de la double manière que nous venons de dire: il est dissimulé pour les uns, ils ne laperçoivent pas, ils y vont en riant; il est exagéré pour les autres: à les entendre, il ny a plus quà senvelopper dans la désespérance comme dans un linceul, parce que la catastrophe est inévitable. Cest ainsi que, à la faveur de la confusion, les ténèbres ont acquis cette puissance formidable dont parle lÉvangile : lheure de la puissance des ténèbres. Heureusement que, pour faire cesser la confusion et refouler les ténèbres, deux Souverains Pontifes se sont levés contre le chaos, commençant un travail de discernement et de séparation que dautres Souverains Pontifes continueront. V En effet les pontificats de Pie IX et de Léon XIII auront été souverainement illuminateurs, non seulement parce que lÉglise catholique et romaine, cité de Dieu, aura brillé, sous ces deux pontifes, dun exceptionnel éclat, mais encore parce quils ont entrepris, adversaires du chaos, de faire cesser dans la société civile et politique la confusion, qui est le grand mal de notre époque. Pie IX a lancé, comme un éclair, le Syllabus, cest-à-dire le catalogue des erreurs modernes, avec leur condamnation: publication doctrinale qui a exaspéré les hommes de ténèbres. Un jour que lillustre cardinal de Fribourg et de Genève, Mgr Mermillod, prosterné aux pieds du saint et intrépide vieillard, lui demandait avec une douce familiarité : Très Saint Père, comment Votre Sainteté a-t-elle eu le hardi courage de lancer le Syllabus dans la société moderne? Pie IX lui répondit : Mon fils, jai voulu trancher les camps. Depuis lors, en effet, les camps ont commencé à se trancher. Devant la précision doctrinale du Syllabus, tout homme a été contraint de se définir. Nulle intelligence na plus osé tirer profit de la confusion, se tenir entre la vérité et lerreur, et rester neutre. Les événements, en même temps, ont aidé puissamment à ce travail de séparation. Les événements, qui sont les anges de Dieu, ont acquis une logique et une promptitude irrésistibles pour forcer les hommes à se ranger vers la droite ou vers la gauche; les centres seffacent, campement des timides, centre droit ou centre gauche; cest comme un acheminement au jugement dernier où il ny aura plus de centres, mais uniquement ces deux côtés avec leur séparation éternelle: la droite et la gauche. Cette situation est déjà un triomphe. Dès là, en effet, que les centres disparaissent, la confusion nest plus aussi facile; le bien a son côté, le mal a le sien, et le mal y perd, car la confusion sert ses perfidies. De plus, la solidité des convictions et léclat des vertus gagnent à la démarcation: nétant plus exposés à des compromis, les hommes de bien se montrent catholiques résolus, catholiques de roche, catholiques de la tête aux pieds. Le reproche de ressembler à la statue dor aux pieds dargile nest plus à leur adresse, ils sont la statue dor dune seule coulée, solide sur sa base de diamant, qui est lobéissance à la Papauté. Honneur à Pie IX davoir, par son précis et vigoureux catalogue, notifié aux ténèbres: Refoulez-vous à gauche! Le travail de séparation a été continué, plus brillamment peut-être encore, par Léon XIII; car si Pie IX dit aux erreurs modernes : Entassez-vous à gauche, Léon XIII a invité, une à une, les belles vérités modernes à se ranger et à briller à droite. En effet, quels flots de lumière se sont avancés sur la philosophie chrétienne, avec lencyclique Æterni Patris; quels flots de lumière, sur le mariage, avec lencyclique Arcanum divinæ sapientiæ; sur la propagation de la Foi, avec lencyclique Sancta Dei civitas; sur lorigine du pouvoir civil, avec lencyclique Diuturnum illud; sur la constitution chrétienne des États, avec lencyclique Immortale Dei; sur la liberté humaine, avec lencyclique Libertas; sur les murs de la société chrétienne, avec lencyclique Auspicato; et quels flots de lumière, sur les principaux devoirs des chrétiens, avec lencyclique Sapientiæ christianæ! En vérité, dans lenseignement de Léon XIII, la cité de Dieu a été reprise depuis la base pour être démontrée cité de lumière jusquau sommet. Cest un travail darchitecture colossal. Michel-Ange a jeté la coupole dans les airs; Léon XIII la jetée dans les idées et dans la société! Telle est son opération à droite. Aussi, après avoir rappelé et stigmatisé à gauche, dans les deux encycliques Quod apostolici muneris sur le socialisme, et Humanum genus sur la Franc-Maçonnerie, les ténèbres déjà refoulées par Pie IX, a-t-il eu le droit de réveiller lattention du monde à légard de la solennelle division énoncée par saint Augustin: Deux amours ont fondé deux cités: lamour de Dieu qu va jusquau mépris de soi, et sa cité est celle du bien; lamour de soi qui va jusquau mépris de Dieu, et sa cité est celle du mal; les deux cités sont désormais bien visibles, et le genre humain nest plus exposé, par la confusion des idées et des principes, à prendre lune pour lautre. Mais la sollicitude de Léon XIII ne sest point bornée à tracer la ligne de séparation et à illuminer, du haut en bas, la cité du bien: quels moyens de tendresse et dhonneur na-t-il pas employés pour y ramener les peuples fourvoyés dans la cité adverse? Il y a un principe de morale qui dit: quil faut détester lerreur, mais être plein de ménagement et de compassion pour la personne. Or, considérant les gouvernements et les peuples comme daugustes personnalités, Léon XIII les a traités avec une souveraine révérence; condamnant leurs erreurs, il a eu, pour eux, des égards infinis. LAngleterre est un pays fourvoyé, lAllemagne est un pays fourvoyé, la Russie aussi, lOrient aussi: eh bien, de quelles majestueuses négociations et de quelles exquises prévenances le pape na-t-il pas usé à légard de lAngleterre et de sa reine, de lAllemagne et de son empereur, de la Russie et du tzar, de lOrient et du sultan. Tous ces pays et tous ces princes ont été saisis de respect. Il se fait, chez eux, un ébranlement de gauche à droite. Si les erreurs ont été foudroyées, les personnes ont été captivées! Voilà comment la cité de Dieu se montre non seulement illuminatrice, mais attractive; non seulement phare, mais nourrice et mère
Quoi quil advienne, la séparation des deux cités ira toujours en saccentuant. Les Papes futurs, veilleurs immenses, prépareront le Jugement général, avec sa droite et sa gauche, sans passage de lune à lautre. LÉglise réalisera, dune manière plus saisissante encore que par le passé, lingénieuse fiction de la Fable: cette montagne daimant, qui avait la puissance denlever et dattirer à elle tout le fer des vaisseaux qui sen approchaient, en sorte que le bois restait seul, et coulait dans les flots. À lattractive cité du bien viendront sadjoindre et se réunir tous les éléments de vérité et de bonté dont les sectes schismatiques et hérétiques ont si longtemps vécu: le reste tombera de soi, coulera à pic, et sera entraîné à gauche. VI Par le fait seul de la séparation, les ténèbres deviendront plus effrayantes. Il faut sattendre à ce surcroît de frayeur dans les esprits. La nuit impressionne davantage que le jour, parce que nous sommes faits pour la lumière et que sa privation affecte péniblement notre être. Ce phénomène ayant son retentissement dans lordre moral, les âmes élevées, les consciences nobles et délicates trouveront de grands troubles devant lagglomération des ténèbres; et puis, les ténèbres démasquées, refoulées et coalisées nont-elles pas déjà répondu: Nous sommes le soir du christianisme, son dernier soir!
Âmes chrétiennes, nayez pas peur; Il y a dans le récit de la Genèse, à lendroit de la création du monde, une particularité à laquelle, ce me semble, on na pas assez pris garde, et qui exprime un procédé du Tout-Puissant capable de nous rassurer; le voici : Pour chacun des six jours de la création, le récit biblique apprend que Dieu partait du soir pour aboutir au matin; ainsi : Dieu dit : que la lumière soit et la lumière fut; et du soir et du matin se fit le premier jour. Dieu dit : que le firmament soit fait au milieu des eaux, et quil sépare les eaux davec les eaux, et il donna au firmament le nom de ciel: et du soir et du matin se fit le second jour. Dieu dit encore: Que la terre produise de lherbe verte qui porte de la graine, et des arbres fruitiers qui portent du fruit. Et cela se fit ainsi. Et du soir et du matin se fit le troisième jour. Et de même pour les autres jours. Le Créateur partait donc du soir pour aboutir au matin; mais doù vient que son point de départ na pas été le matin pour aboutir au soir? Ceût été contraire à son infinie perfection, lacte créateur ne pouvant aboutir au déclin, au soir, aux ténèbres. Mais il y a encore une autre raison, pleine de miséricorde et de consolation : Le Créateur prévoyait que lhomme, par des faiblesses, des erreurs et des dépravations, ramènerait fréquemment la nuit dans son uvre de lumière; que les riches couleurs de lordre physique et les belles vertus de lordre moral seraient souvent comme anéanties par les ombres du soir; et que, là où circulait la vie, sétendraient lhorizon noir, et leffroi: et alors, infiniment bon, le Créateur daigna, dans les six jours de sa création, partir constamment du soir, afin de nous apprendre que sa Providence ne se laisserait pas vaincre par lobscurité, et que, quelles que fussent les époques de décadence et de ténèbres que produiraient, dans le cours des âges, la faiblesse et la perversité humaines, la Providence, elle, dans les jeux de sa sagesse et de son amour, aboutirait toujours au matin. Ô ténèbres, vous aurez donc beau vous entasser, vous coaliser, et envelopper le bien: de vous sortira une aurore.
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