La religion de combat par labbé Joseph Lémann Livre Troisième La physionomie des fils de ténèbres, Chapitre Deuxième
- I. Les fils de Satan à présent, et dans l’avenir: le monstre décrit par Job. I «Vous avez pour père le diable.» Cette terrible apostrophe est du Christ lui-même; il ladressait aux pharisiens hypocrites qui allaient devenir déicides. De tout temps, Satan a exprimé sa physionomie et ses désirs dans ceux qui lui appartenaient, parce quun père reproduit sa ressemblance dans ses enfants. Mais il est effrayant de constater que sa physionomie et ses désirs saccusent davantage dans ceux qui lui appartiennent aujourdhui: ce qui donnerait à penser que le temps nest peut-être plus éloigné où celui qui sera lexpression dernière et définitive de Satan, lAntechrist, apparaîtra. Le cortège se forme, en vue daccueillir le monstre! Cette expression de monstre ne veut pas dire que le fils de Satan sera dépourvu, dans sa personne et dans les moyens quil emploiera, de séduction; bien au contraire, il les aura toutes: séduction du langage, séduction de la science, séduction de lor, séduction de la puissance; mais il sera un monstre par ses tentatives contre Dieu et les saints. Or, pour la venue de ce géant du mal, un cortège ne sorganise-t-il pas, en rapport? Job a décrit un monstre, auquel il donne le nom de Léviathan. Les naturalistes ont reconnu, dans la description faite par lécrivain sacré, le crocodile; mais saint Cyrille, saint Éphrem, saint Grégoire, saint Athanase et saint Jérôme nhésitent pas à enseigner que, sous le symbole du monstre des eaux, lauteur sacré a voulu exprimer les attributions du prince des enfers. Frappé et couvert dulcères par Satan, Job na-t-il pas eu, mieux que personne, qualité et énergie pour dénoncer et signaler lennemi du genre humain? Voici les principaux traits de sa description: Il dort à lombre, dans lépaisseur des roseaux et des marécages. Les ombres (les buissons) couvrent son ombre. Qui soulèvera le coin de son armure? Qui se présentera à lui avec le rude mors qui lui convient? Son corps est semblable aux lames dun bouclier. Il est de toutes parts aussi fermé par ses écailles que si on y avait mis un sceau. Elles se tiennent ensemble et adhèrent lune à lautre, et pas un souffle ne peut passer entre elles. Il sort de sa gueule comme des flambeaux allumés, il en part des étincelles de feu. Une fumée se répand de ses narines comme celle dune chaudière qui bout sur un brasier. Son haleine allume des charbons. La famine marche devant sa face. Les membres de son corps sont liés les uns aux autres; les foudres tomberont sur lui sans quil sen remue dun côté ni dautre. Son cur sendurcira comme la pierre, et il se resserrera comme lenclume sur laquelle on bat sans cesse. Lorsquil sera élevé, les anges craindront et, dans leur frayeur, ils se purifieront. Il méprisera le fer comme de la paille, et lairain comme du bois vermoulu. Larcher ne le mettra point en fuite, et il se rira des dards lancés contre lui. Les rayons du soleil seront sous lui; et il marchera sur lor comme sur la boue. Il fera bouillonner la mer comme une chaudière, et il la mettra au même état que les liqueurs huileuses qui servent aux parfums et que le feu fait élever. Il ny a point de puissance sur la terre qui puisse être comparée à la sienne. Cest lui qui est le roi de tous les enfants dorgueil. Cette description effrayante désignait donc, dans la pensée de lécrivain sacré, moins le crocodile que le prince des abîmes infernaux. Toujours vraie et toujours actuelle, elle sapplique dune manière saisissante aux fils de ténèbres des sectes modernes et elle explique comment Satan est bien leur père. Quon en juge par le commentaire des versets énumérés: Il dort à lombre, dans lépaisseur des roseaux et des marécages. Les ombres (les buissons) couvrent son ombre. Un mystère profond nenveloppe-t-il pas la plupart des initiations de la secte maçonnique? Des couches dombres successives cachent leurs grades et leurs impures cérémonies. Satan ne saurait conseiller que limpureté: aussi les pratiques les plus honteuses forment-elles le limon où les adeptes se plongent et dorment, ainsi que fait le monstre écaillé, dans les marécages du Nil. Il semble que le Christ ait tracé lui-même le commentaire de ce verset de Job, lorsquil signalait les préférences de Satan et de sa troupe pour les lieux écartés, pleins daridité et dinquiétude: lEsprit impur va par des lieux arides, cherchant du repos, et il nen trouve pas (S. Matth., xii). Qui soulèvera le coin de son armure? Qui se présentera à lui avec le rude mors qui lui convient? Qui sera assez hardi, assez intrépide, pour arracher et faire voler à droite et à gauche les simulacres sous lesquels la secte se dissimule et trompe tant de malheureuses victimes? Qui arrêtera cette bête furieuse en lui présentant un frein? Léon XIII a eu ce courage: il a dénoncé la Bête; dans ses encycliques puissantes, il va droit à elle avec le mors. Son corps est semblable aux lames dun bouclier. Il est de toutes parts aussi fermé par ses écailles que si on y avait mis un sceau. Elles se tiennent ensemble et adhèrent lune à lautre, et pas un souffle ne peut passer entre elles. De même que le corps du crocodile est couvert décailles si serrées quelles lui servent de boucliers impénétrables: de même, tous les adeptes de la secte maudite se tiennent les uns aux autres par des engagements si serrés, si étroits, si terribles, que rien, jusquà ce jour, na réussi à passer au travers: le sceau de lEnfer y semble apposé. Il sort de sa gueule comme des flambeaux allumés, il en part des étincelles de feu. Une fumée se répand de ses narines comme celle dune chaudière qui bout sur un brasier. Son haleine allume des charbons de feu. Combien sont exactes ces comparaisons pour exprimer et dépeindre ce qui se passe dans lintérieur de ces exécrables sociétés secrètes. Ne dit-on pas la gueule de lEnfer? Et nen sort-il pas des torches enflammées pour éclairer ces sombres conciliabules? Ceux qui y participent ne sentent-ils pas le sang bouillonner dans leurs veines, et la fureur dans leur cur, comme un pot qui bout sur un brasier? Au rapport de témoignages dignes de foi, lhaleine du Diable allume véritablement des charbons de feu en eux tous. La famine marche devant sa face. Sinistre image, en train de se réaliser. Nassiste-t-on pas à ce spectacle, sans précédents dans les siècles passés, où, par centaines de mille, ouvriers, employés, patrons, pères de famille, nobtiennent de louvrage, et par conséquent du pain, quà la condition de faire partie de la secte? Celle-ci est déjà maîtresse des principaux centres de travail, des grandes artères du commerce, et des réseaux des chemins de fer. Qui oserait assurer quelle ne vise pas à la possession des boulangeries? Lidée de boulangeries municipales a circulé; quelle vienne à se réaliser, et la famine marcherait devant sa face. On ne pourrait plus acheter du pain quà la condition dêtre membre de la secte et de présenter sur soi le signe de la Bête. Les membres de son corps sont liés les uns aux autres; les foudres tomberont sur lui sans quil sen remue dun côté ni dautre. Son cur sendurcira comme la pierre, et il se resserrera comme lenclume sur laquelle on bat sans cesse. La structure du corps maçonnique apparaît vraiment impénétrable. Les coups, jusquà ce jour, nont-ils pas glissé sur lui? Les foudres de Pie VII, de Pie VIII, de Léon XII, de Grégoire XVI, de Pie IX, même de Léon XIII, nont pu lentamer par aucun endroit. Comme lenclume sur laquelle on bat sans cesse, son endurcissement et son impénitence expriment bien la haine inflexible de Satan qui lanime et le maintient. Lorsquil sera élevé, les anges craindront, et dans leur frayeur, ils se purifieront. Hélas! ces terrifiantes expressions ne concordent que trop avec ce que lÉvangile annonce de la puissance de faire tomber que possédera lAntechrist et que la secte prépare! LÉvangile annonce en effet: sil était possible, les élus eux-mêmes seraient séduits; et Job dit: dans leur frayeur, les anges se purifieront! Il méprisera le fer comme de la paille, et lairain comme du bois vermoulu. Larcher ne le mettra point en fuite, et il se rira des dards lancés contre lui. Les rayons du soleil seront sous lui; et il marchera sur lor comme sur la boue. Il fera bouillonner la mer comme une chaudière, et il la mettra au même état que les liqueurs huileuses qui servent aux parfums, et que le feu fait élever. Il y aurait une exagération infinie dans les termes dont se sert ici lÉcriture, sils désignaient uniquement quelque monstre des mers, le crocodile ou la baleine. Mais tout est exact dans ces termes, sils sappliquent au monstre dimpiété que prépare les sectes. Saint Paul confirme les prodiges diaboliques quil accomplira: Il doit venir accompagné de la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs. Il ny a plus alors à sétonner si les rayons du soleil doivent être sous lui, et sil doit faire bouillonner la mer. Il ny a point de puissance sur la terre qui puisse être comparée à la sienne. Cest lui qui est le roi de tous les enfants dorgueil. Ce dernier verset est comme la clef du chiffre. Il ne faut plus se demander avec indécision quel est le monstre visé par Job: cest le roi de tous les superbes, cest lorgueil éternellement subsistant, cest le Diable! Dautre part, La ressemblance des fils de ténèbres, nés de lapostasie moderne, avec le type maudit, a été suivie trait par trait, verset par verset: en conséquence, sur eux tombe aussi, de tout son poids, lapostrophe du Christ aux pharisiens de son temps: Vous avez pour père le Diable. II «Exagérations mystiques! dira-t-on peut-être en lisant ce qui précède; cela rappelle les descriptions du moyen âge où lon dépeignait le Diable sous la forme dun monstre couvert décailles avec des torches dans la gueule.» Or, cest auprès de cette très noble race franque et en usant de sa langue franche, que la hideuse hypocrisie pharisaïque a fait sa réapparition. Lesprit sectaire ne pouvait trouver de milieu plus favorable pour mieux faire ressortir le contraste que sa haine a rêvé. On sait ce qui a caractérisé lhypocrisie des pharisiens au temps de Jésus. Non seulement elle senveloppait des apparences de la vertu, de la probité et de lhonneur pour cacher ses vilenies, ce qui est lhypocrisie ordinaire, mais projetant sur Jésus les infamies quelle commettait, elle laccusait de violation de la loi et de pacte avec le diable, pour le noircir devant le peuple et le perdre. Impudente, elle fut encore homicide, elle fit mourir le Juste. Cest ce mélange dimpudence et de meurtre qui a constitué la hideuse hypocrisie pharisaïque, et cest à elle principalement quil faut attribuer lincroyable aveuglement et la réprobation de la nation juive. À la fin de sa vie, durant la Semaine sainte, le Christ nayant plus de ménagements politiques à garder, prononça huit fois malheur contre cette hypocrisie des Pharisiens. «Malheur à vous, Pharisiens hypocrites,» et, pour apprendre que cest ce vice qui tue les patries, il termina les huit terribles anathèmes par lannonce de la destruction de Jérusalem. Cette hypocrisie abominable et dangereuse vicie la France et les autres patries chrétiennes: Les justes, les chrétiens, les honnêtes gens ne sont-ils pas accusés? Laccusation ne les désigne-t-elle pas comme dénués de patriotisme, de science, de capacités, de vertus? Et qui les accuse? Des sectaires dont la conduite privée et la conduite publique ne sont trop souvent que pourriture, impéritie ou scandale. Ô impudence! les descendants des Turenne et des Noailles ne sont-ils pas accusés de ne plus comprendre la France et de la desservir? Les papes qui ont amassé, sur lItalie, tant de gloire, ne sont-ils pas désignés et honnis comme destructeurs de lItalie? Les surs de Saint-Vincent de Paul ne sont-elles pas expulsées comme des aventurières? La langue française ne senrichit-elle pas ou plutôt ne senlaidit-elle pas, pour tuer la vertu et le dévouement, de cette étrange signification désaffecter? et le siège du chancelier Lhôpital ne voit-il pas passer des juges que Caïphe eût embrassés? Hypocrisie maçonnique, tu sues lancien crime de Judée: en toi revit le pharisien au cur retors et aux ongles cruels! Rougis, Sidon, a dit la mer, rougis de honte; ô France, rougis de tant de fils que lapostasie a défigurés! III Lhypocrisie pharisaïque en Judée dissimulait derrière elle une honteuse dépravation de moeurs. Derrière lhypocrisie maçonnique se dissimule également une débauche qui nest plus un secret, mais quon dit indescriptible dans certains mystères des loges. Saint Paul a caractérisé lépoque dapostasie par lexpression de mystère diniquité: évidemment la débauche y occupera une large place. Il y a, en effet, cette différence entre le christianisme et la maçonnerie, que le christianisme admet bien des mystères dans les connaissances, mais nullement dans les actes, tandis quauprès de la maçonnerie cest lopposé: elle ne veut pas de mystères pour lesprit; par contre, elle en enveloppe les actes, et ces actes recouvrent, dans lépaisseur de certaines loges, les plus monstrueux excès de débauche. Ô religion catholique, tu enseignes des mystères transparents en quelque sorte, tant ils sont suaves et doux à porter! Longtemps les peuples leur ont dû leur bonheur, ne connaissant que ceux-là. Maintenant, ils en connaissent dautres, et ceux qui les acceptent sont exposés à devenir des personnes affreuses, en nayant plus que des préoccupations abominables. Débaucher et embaucher, ce sont, en effet, les deux préoccupations de la milice diabolique: débaucher, par des murs bestiales; embaucher, pour mener à lassaut de lÉglise et de la société. Le nombre des recrues est déjà incalculable. On ne rencontre plus seulement, comme autrefois, dans les carrefours écartés, mais dans toutes les rues et sur toutes les places publiques, de ces vieillards précoces à trente ans, chez qui la croyance à lexistence de lâme a disparu. Le front chauve, les joues haves et creuses, le corps chancelant, ils ont encore du feu dans le regard pour haïr et conspirer; cest la laideur de la débauche! À leur aspect, a-t-on dit dans une phrase célèbre, on croit entendre les pas du fossoyeur se hâtant de venir enlever le cadavre: encore sil ne sagissait que de leur seul cadavre; mais en bêtes méchantes, ils veulent sentir celui de la société à côté du leur: la faire sauter et pourrir ensemble! Parmi ces débauchés, les plus lettrés étalent, dans leur haine contre lÉglise, une effronterie qui consiste à accuser de mal leurs victimes qui sont pures et belles; impudiques, ils se montrent impudents: limpudence est le caractère de la débauche apostate. Se rappelle-t-on le signal de persécution qui, il y a vingt ans, fut donné contre les congrégations religieuses? Le journal lOpinion nationale ne les comparait-il pas à une vermine immonde qui infecte la société? Citons textuellement: De la vermine, les Petites Surs des pauvres! De la vermine, les Surs de Saint-Vincent de Paul! Le Livre des Proverbes dit du châtiment réservé à certains débauchés que: lil qui, dans ses débauches, insulte à son père et méprise lenfantement de sa mère, sera arraché par les corbeaux des torrents, et dévoré par les petits de laigle; serres des corbeaux et des aigles, quelle dureté vengeresse naurez-vous pas, au jugement de Dieu, pour punir les yeux impudiques qui, outrageant lÉglise leur mère, ont aperçu des poux et de la vermine là où il ny avait que la pureté des anges et la charité des séraphins! Cette débauche de langage de lOpinion nationale a été, pourtant, dépassée: Renan a écrit lAbbesse de Jouarre; nous pouvons nommer, nous ne pouvons pas citer. IV Le cur de lapostat est dur; sa physionomie lest aussi. La dureté fait suite à lhypocrisie et à la débauche. Examinons les sombres exercices de cette dureté, chez ces fils dégénérés. Elle sexerce dabord contre le Christ leur Dieu et bienfaiteur de leur patrie. Ils consomment sur Lui un attentat qui lui avait été épargné dans sa douloureuse Passion. Quel attentat? «Les juifs, dit lÉvangile, ne voulant pas que les corps demeurassent à la croix le jour du sabbat, prièrent Pilate quon leur rompît les jambes et quon les ôtât. «Les soldats vinrent donc et rompirent les jambes du premier larron, et de lautre qui était crucifié avec lui. «Étant venus à Jésus, voyant quil était déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes.» Voilà le récit de lÉvangile, rapprochons-le dun autre récit du Vieux Testament: Il était défendu de briser aucun des os de lagneau pascal. La veille de la fameuse sortie dÉgypte, lorsque les familles dIsraël reçurent lordre dimmoler, chacune en son particulier, lagneau pascal et de le manger, il y eut cette défense de la part de lÉternel: Vous immolerez chacune un agneau, mais en ayant bien soin de ne briser aucun de ses os. Cétait une annonce prophétique de ce qui se passerait sur le Golgotha, alors que, au soir du Vendredi Saint, le véritable Agneau qui efface les péchés du monde serait immolé, mais non brisé. Avancez vers les croix, soldats romains armés de barres de fer! Quinze cents années avant que vous arriviez, la prophétie annonçait votre démarche aux familles dIsraël: Vous ne briserez aucun de ses os! Au bout des quinze cents années, les soldats passaient devant les croix, brisaient les larrons, mais ne touchaient pas à lAgneau. Nest-ce pas saisissant de grandeur lugubre? Dieu est le maître des volontés et des événements! Mais pourquoi donc V La dureté de lapostasie envers le Christ nest pas suffisamment expliquée par les maillets du Golgotha; évoquons une autre scène qui appartient au paganisme: le crime de la Voie scélérate. Cétait dans les commencements de la fondation de Rome, Servius Tullius était roi. Sa fille Tullia avait épousé Tarquin le Superbe, qui détrôna son beau-père, laccabla doutrages et le précipita du haut des degrés du palais. À ce moment, Tullia accourait à la hâte sur son char pour saluer roi son époux. Elle aperçut le corps du malheureux Tullius étendu à terre au milieu du chemin. Cette fille atroce défendit au conducteur de se détourner, et fit passer les roues du char sur le corps de son père. La rue où saccomplit cette horrible scène reçut et garde encore le nom de Voie scélérate. De la Voie scélérate qui est à Rome, passons à la Voie douloureuse qui est à Jérusalem. La Voie douloureuse est ainsi nommée parce que lHomme-Dieu y a souffert, et quau sommet de cette montée des douleurs se trouve le Golgotha. Chose remarquable et admirable (et cependant, pas assez remarquée et admirée), la Voie douloureuse qui est à Jérusalem sest en quelque sorte prolongée chez toutes les nations du globe, à travers toutes les directions de lespace: car partout où sest élevée une croix, cest la Voie douloureuse prolongée. Chacun de nos calvaires, chacun des emplacements où plane la majesté dune croix peut être véritablement regardé comme un mémorial, plus que cela, comme un prolongement de la Voie où a passé lamour du bon Dieu. Or, soyez dans létonnement, ô cieux, et commencez votre dérangement annoncé pour la fin des temps; une oeuvre scélérate sest accomplie sur cette Voie où a passé lAmour: des enfants dénaturés ont employé les forces de leur patrie chrétienne à mutiler la Croix, à disloquer le lit de mort sur lequel le Fils de Dieu a expiré en leur ouvrant ses bras et en leur léguant tout ce quil avait. Ils ont piétiné sur ce lit de mort! Fille dénaturée de lancienne Rome, infâme Tullia, que cette consolation te parvienne: tu es dépassée! Il y a, au cinquième chapitre du prophète Isaïe, cette description, et ces malédictions, concernant certains péchés: Malheur à vous qui vous servez de mensonges comme de cordes pour traîner une longue suite diniquités, et qui tirez après vous le péché comme les traits emportent le chariot. Malheur à vous qui dites que le mal est bien et que le bien est mal, qui donnez aux ténèbres le nom de lumière, et à la lumière le nom de ténèbres; qui réputez pour doux ce qui est amer, et pour amer ce qui est doux. Oh! comme ces paroles du prophète sappliquent dune manière saisissante aux scènes lugubres qui se sont multipliées sur nos voies douloureuses: Malheur à vous qui tirez après vous le péché comme les traits emportent le chariot. Le voyez-vous passer, ce chariot, ce lourd tombereau traîné par le péché dapostasie? il vient emporter les débris de nos chères croix mutilées, il les écrase même en passant sur elles. Cest pire que le char de Tullia de Rome passant sur le corps de son père! Malheur à vous qui dites que le mal est bien et que le bien est mal; qui réputez pour doux ce qui est amer, et pour amer ce qui est doux. Vous appelez mal laction de se mettre à genoux devant un crucifix, et vous appelez bien la sauvagerie qui blasphème et repousse la Croix. Cruels, qui appelez amer ce qui est doux! Vos aïeux nont-ils pas connu une douceur inénarrable à sagenouiller au pied de la Croix? Pour une pauvre mère dont les bras sont chargés et dont lesprit est enfiévré du matin au soir, ny a-t-il pas une trêve, un apaisement, à venir confier au crucifix ses soins et ses peines? Pour une innocente jeune fille qui na pas de travail et que les périls assiègent, ny a-t-il pas une consolation, une force à venir lui confier les angoisses de son avenir? Et vous appelez cela amer! Le pied de la Croix où les peines de tant de générations de travailleurs se sont dulcifiées, vous appelez cela amer! Ingrats, ce sont vos procédés qui sont amers, insupportables damertume: nous ne pouvons plus les supporter! VI Dure envers le Christ, lapostasie tourne ensuite sa dureté contre les âmes, pour les déchristianiser. Quelles nouveautés funèbres ninvente-t-elle pas comme moyens de corruption. La corruption a toujours existé: corrompre et être corrompu, voilà le siècle, disait Tacite; mais ce qui ne sétait pas encore vu, ce sont les proportions effroyables, vastes comme la mer, que la corruption a atteintes, et les nouveautés funèbres que lapostasie a inventées. Il sest formé une ligue infernale pour empêcher les hommes de rester chrétiens et enfants de Dieu: il faut quils tombent! Quelquun nous disait avec tristesse et accablement: «Oh! quil est difficile aujourdhui de rester honnête homme!» Cest vrai. Défense est faite par la secte, sous peine de manquer de travail et de moyens dexistence, de recourir à lÉglise et aux sacrements, et de paraître chrétien. Il existe des sociétés organisées qui ont pour mission publique, avouée hautement, de détourner les âmes de Dieu; et ce quil y a de redoutable, cest que des gouvernements de grandes nations sont associés à cette mission diabolique. Le Sauveur du monde et son Église disaient: Allez, instruisez et baptisez; la nouvelle mission est: Allez, corrompez et débaptisez. Et tandis quon favorise la corruption et la perdition, on prend les moyens de supprimer et de faire disparaître le prêtre, ministre de miséricorde et sauveur de la perdition. Aussi, voici lépouvantable tragédie de la fin de la vie; une comparaison dont sest servie la Bible aidera à la faire comprendre: En Orient, les citernes où lon conserve leau de la pluie sont des fosses larges et profondes; elles se terminent à leur partie supérieure par une ouverture si étroite quon peut la couvrir avec une pierre, tandis que leurs murailles souterraines sont escarpées et vont en senfuyant, en sélargissant. Cette forme de citernes fait quil est absolument impossible den sortir sans le secours dautrui, lorsquon a eu le malheur dy tomber. Et la Bible dit: Le mal, le péché, ressemble souvent à une citerne profonde, mais dont louverture est étroite, fovea profunda, puteus angustus. Eh bien, jusquà ce jour, lorsquon avait le malheur de tomber dans le mal, fosse profonde! il y avait le prêtre, lami dévoué, qui accourait à votre secours et vous sauvait. Mais aujourdhui que sétablit une farouche interdiction de recourir au ministre de miséricorde, lorsquon tombe, on est perdu! Ô mon Dieu, que cest terrible! De pauvres malades dans les hôpitaux, dont lâme agonise sous le poids du péché comme sous la pierre de la fosse, réclament avec supplications un prêtre; mais on sarrange de façon à ce que ce sauveur ne vienne pas, et les malheureux entrent dans léternité sans avoir pu remonter la fosse aux murailles escarpées et fuyantes. Autre nouveauté funèbre: Japerçois de pauvres petits innocents qui sont entraînés par la haine à lécart de la crèche de Bethléem. On respecte leur corps, mais on va tuer leur âme. Prêtez loreille, on leur apprend à rire de Jésus, à bafouer le Dieu qui, de sa crèche, pour conserver leur candeur, leur tend ses petits bras. La corruption cruelle et savante nexcepte plus les enfants. Les Innocents chez le peuple dIsraël, quand ils furent immolés par Hérode, devinrent des anges; mais les vôtres, ô pauvres mères, les vôtres, destinés à une immolation plus barbare, doivent, de par lapostasie, devenir des démons. Lamentez-vous, ô mères, lamentez-vous plus fort que Rachel! Il y a dans lÉcriture, sur la malédiction, ces paroles: Il a aimé la malédiction et elle viendra en lui; il a rejeté la bénédiction et elle sera éloignée de lui; il sest revêtu de la malédiction ainsi que dun vêtement: elle a pénétré comme leau au dedans de lui, et comme lhuile dans ses os; Or, Jusquà ce jour, quand on commettait le crime, on recherchait la malédiction pour soi, on repoussait la bénédiction de soi, on acceptait la malédiction comme un vêtement particulier et personnel, on la buvait ainsi que de leau en solitaire, et on la sentait entrer dans ses os sans en rien dire; Mais à présent, on recherche la malédiction pour les enfants, pour les vieillards, pour les pauvres, pour les infirmes. Cest le vêtement quon vient leur fournir, cest leau dont on abreuve leurs entrailles, cest lhuile avec laquelle on vient brûler leurs os! Juste ciel, comment supportez-vous cette effroyable propagande! Ne pas préserver les enfants de la corruption, cest abominable; mais les y exposer, les y enfoncer, oh! cest atroce! Un tableau moderne dun grand effet représente la scène du déluge: les eaux ont tout recouvert, les plus hautes montagnes ont disparu; seule, une cime escarpée se voit encore, une tigresse fuyant le cataclysme y a porté ses petits; elle les défend contre les flots qui montent, et dans un effort désespéré elle élève, avec sa patte, au-dessus de sa tête un de ses petits. Sectaires aux entrailles de tigre, pires que la bête cruelle, vous nadmettez plus dabri contre la corruption, pour les enfants!
Faut-il sétonner après cela que de jeunes monstres se préparent qui terroriseront la société lorsquils seront devenus grands. Il y a des traits de cynisme et de cruauté qui promettent! Dans une école de village, un enfant, assis sur un banc, est occupé à tout autre chose quà ses devoirs, ses doigts armés dun canif tailladent fiévreusement un objet. Le maître sapproche et lui demande ce quil fait; et lenfant, avec une joie diabolique dans le ton et le regard, répond: Je déchiquette le Galiléen. Avec son canif, il taillait et coupait, membre par membre, un crucifix À Monceau-les-Mines, une cartouche de dynamite disposée par le crime fait voler en éclats les murs dune chapelle où se trouve la sainte Réserve, et un jeune vaurien se vante en ces termes à un camarade: Va, quand le Bon Dieu a sauté, je ne tremblais pas. Tous les journaux racontent des meurtres denfants par dautres enfants où la précocité décuple lhorreur. En présence de ces faits monstrueux et dautres analogues quil est prudent de passer sous silence, on se reporte avec tristesse et épouvante à cette apostrophe du Christ: Race de vipères! Ce reproche sévère sadressait à des pharisiens vieillis dans lhypocrisie, à de vieux débauchés; il peut maintenant sadresser aux enfants: race de vipères! Il y a des enfants qui sont élevés en vipères, tant ils ont déjà la haine de Dieu et des choses saintes! Si un pareil état de choses dure encore quelques années, et si le venin de la haine continue à être inoculé à des troupes denfants, on se demande avec effroi ce dont ces jeunes monstres seront capables. Une scène de martyre à Imola, sous lempereur Valérien, fournirait-elle la réponse? «Un maître décole, le chrétien Cassianus, fut livré, les mains liées derrière le dos, à de jeunes enfants quil instruisait. Ils déchirèrent son corps en le perçant avec les stylets dacier qui leur servaient à écrire leurs devoirs sur des tablettes enduites de cire. La faiblesse même de ces enfants rendit plus cruelles, en les prolongeant, les souffrances de son martyre.» Telle fut la scène dautrefois: on se la représente aisément avec ses détails de cruauté. Lapostasie contemporaine éprouvera une joie féroce le jour où, pareillement, les écoliers serviront sa haine contre les chrétiennes et, au besoin, contre les maîtres chrétiens. Que les jeunes vipères se multiplient; que le cri de ni Dieu ni maître continue à se propager; et lon verra le retour de la scène païenne dImola, sous une forme ou sous une autre, avec aggravation. Le paganisme livra le maître aux écoliers; les écoliers de demain nattendront pas quon leur livre leurs maîtres pour sen jouer et sen débarrasser. VIII Lapostasie, qui sest emparée de lenfance, savoure une autre volupté cruelle: elle sassure les derniers soupirs. On fait signer à de pauvres affamés, à des pères de famille pressés par le besoin, la promesse déloigner la religion de leur couche mortuaire, et, quand lheure du trépas est arrivée, le pacte sexécute avec férocité, malgré le repentir du moribond et malgré les supplications et les sanglots des familles. Je ne sache pas quon puisse inventer de dureté plus diabolique: barrer le passage à la miséricorde divine au moment de la mort. LÉvangile contient cette recommandation pressante: Ne brisez pas le roseau à demi rompu, néteignez pas la mèche qui fume encore. Cest sur cette recommandation céleste, comme sur une pierre angulaire, quavaient été bâtis les hôpitaux, où les surs gardes-malades et les aumôniers parvenaient à force de ménagements, de prévenances et de soins délicats, à refaire les vies brisées, à rallumer les courages éteints: aussi, quand la mort passait dans les rangs, derrière elle le ciel recueillait Mais à présent, il y a des administrations civiles, où, de gaieté de coeur, on arrête sur le seuil la Miséricorde qui se présente; ou ne laisse entrer que la mort; et alors le roseau à demi rompu est complètement cassé, et la mèche qui fumait encore est complètement éteinte: et pour léternité! Si une scène denfer fait trembler, cest particulièrement dans un hôpital. Un témoin oculaire nous a raconté quil avait vu, dans la grande salle dun Hôtel-Dieu, quatre moribonds repousser le ministre du Seigneur qui sapprochait pour leur offrir le pardon et le ciel; et à mesure que lun deux détournait la tête du prêtre, les autres francs-maçons malades qui se trouvaient dans la salle battaient des mains, applaudissaient à ces fières sorties de la vie. Le témoin, lui, sortit en frissonnant, car il avait vu une chose qui nappartient quà lenfer: lendurcissement final encouragé par des applaudissements. Et cela se passait dans un Hôtel-Dieu! Lapostasie savoure la vengeance contre Dieu. Les annales du crime rapportent quun brigand des Abruzzes mettait le genou sur la poitrine de ses victimes, leur enfonçait lentement un poignard dans la gorge, promettant de ne pas achever si elles blasphémaient; mais, le blasphème achevé, il enfonçait rapidement le fer avec la satisfaction davoir précipité chaque fois une âme dans lenfer. Lapostasie éprouve cette satisfaction. Mais en parlant de lapostasie, je nai pas mentionné une abstraction: jai dépeint les apostats! Fils du diable, hypocrites, débauchés, affreusement durs pour le Christ leur bienfaiteur, acharnés à la perte des âmes, sans pitié pour les enfants, implacables devant les lits de mort, voilà les fils de ténèbres, nés de lapostasie: puissé-je réussir à faire éviter leur exécrable compagnie! |