LA RELIGION DE COMBAT par l'abb Joseph Lmann Certa bonum certamen. Combats le bon combat. (S. Paul Timothe.) Paris Librairie Victor Lecoffre 90, rue Bonaparte, 90 1891 PRSENTATION
I Une apologie du catholicisme sous une forme un peu belliqueuse ne dplaira pas au public. Les temps la rclament. Religion de prire, de pardon, de paix, de fraternit, le catholicisme est aussi la religion de combat. Ce nom n'est pas une nouveaut. L'glise sur terre n'est-elle pas appele militante? Elle est le camp militaire du Dieu des armes. Elle combat les erreurs, les vices, l'orgueil, la barbarie. Elle ordonne tous ses enfants de faire comme elle; de transporter dans leur for intrieur, d'abord, la lutte contre leurs passions; puis de l'aider, en tous lieux, dans sa douloureuse mais superbe lutte. Lon XIII le rappelait hier, en gnralissime du Roi du Ciel : L'glise, socit parfaite, trs suprieure toute autre socit, a reu de son Auteur le mandat de combattre pour le salut du genre humain, comme une arme range en bataille... A sa garde ont t confis l'honneur de Dieu et le salut des hommes... Les chrtiens sont ns pour le combat. (Encyclique sur les principaux devoirs des chrtiens - 1890). La Religion de combat n'est donc pas une chose nouvelle; mais la mettre en relief sous cet aspect serait une manire nouvelle de prsenter l'apologie de la Religion. Non nova, sed nov. Nous l'avons essay. Ce relief donner la grande combattante nous a sembl trouver son encouragement dans une leon venue du ciel en des temps qui rappellent les ntres. La perscution allait s'ouvrir contre les chrtiens, pour durer trois sicles. Le diacre tienne avait t cit devant le Sanhdrin. Les membres de ce Grand Conseil avaient cout avec rage, et en grinant des dents, le plus beau rsum qui ait jamais t fait du peuple d'Isral comme prparateur du Christ. A la proraison, tienne, rempli du Saint-Esprit, s'cria: Je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme qui est debout la droite de Dieu! (Actes des Aptres, VII,55.). Ses auditeurs endurcis le lapidrent. Mais le saint diacre avait eu le temps de contempler et d'annoncer l'glise de Dieu ce spectacle, jamais fortifiant pour elle: le Fils de l'homme, nagure mpris et condamn, dsormais environn de la puissance divine, dans la majest de Dieu, et debout! "Il tait debout, dit saint Grgoire le Grand, parce que se tenir debout est l'attitude qui convient un combattant et celui qui porte secours.» Voil quelle fut (et elle demeure!) l'attitude du Christ, dans le pril de son glise. Voil quelle est prsentement, en union avec son Chef invisible, l'attitude de l'glise, dans le pril de la civilisation et de la socit. La civilisation et la socit sont menaces, et l'glise est debout! Debout doivent tre galement tous les enfants de l'glise! En clbrant cette attitude sous la belle dnomination des enfants de lumire, l'apologie rendra donc service. La Religion des enfants de lumire est, avec eux, genoux pour prier, assise pour enseigner, et debout pour combattre! II Quel est donc l'adversaire? A la faveur, soit de la dissimulation dont il s'est envelopp, soit de la peur qu'il inspire, son nom, jusqu' ce jour, n'a pas t authentiquement formul; ou bien on ne l'a prononc qu' voix basse. Mais l'heure est venue de le jeter dans le public et d'adjurer tous les chos rests fidles de le rpter : L'APOSTASIE! "Cette dnomination est bien vague, bien abstraite,» affecteront de dire, pour donner le change, l'impit, la lgret et l'indiffrence; et elles ajouteront cette interrogation maligne: "Par l'apostasie, entendez-vous la Rpublique en France?» Nous rpondons clairement : Toutes les formes de gouvernement sont bonnes. Lon XIII vous l'a dit. Mais l'apostasie peut les dnaturer toutes. Rpublique catholique, Rpublique apostate, le choix est faire. Elle est catholique l'quateur, trs respectueuse pour le catholicisme aux tats-Unis, mais elle est en France ce que nous voudrions qu'elle ne ft pas. Il y a quelques annes, l'illustre dput du Finistre, Monseigneur Freppel, adressait la majorit hostile du Parlement ce vif et patriotique reproche : Vous pouvez faire apostasier la Rpublique, vous ne ferez pas apostasier la France! L'adversaire n'est donc nullement la forme de gouvernement, mais bien l'apostasie qui dflore, dnature et envenime la forme de gouvernement. De ce monstre-l, douce Religion catholique, n'attends ni trve ni merci. Le croirait-on? on a, un jour, russi persuader Caphe: Le rus et cruel Prsident se trouvait encore la tte du Grand Conseil qui allait juger les aptres coupables d'avoir enseign au nom de Jsus et d'avoir miraculeusement guri des malades. On dlibrait de les faire mourir. Mais un docteur de la Loi, Gamaliel, qui faisait partie du Grand Conseil, se leva et dit: "Voici mon avis. Ne vous mlez point de ce qui regarde ces gens-l et laissez-les; car si leur entreprise vient des hommes, elle se dtruira; mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la dtruire, et vous seriez en danger de combattre contre Dieu mme." (Actes des Aptres, V,38-38.). ILS SE RENDIRENT A SON AVIS. (Ibid,39.). Caphe prsidait, il fut donc persuad comme les autres. Ce qu'on a obtenu de Caphe, qu'on renonce l'obtenir des Conseils maonniques et de leurs prsidents, qui savent que la mort du catholicisme a t dcide et qui ont reu l'ordre d'y cooprer (1). Tous les Gamaliels seraient impuissants! Oui, certes, on serait tent de leur dire, en renouvelant, sous une autre forme, l'avis du pacifique et bienveillant docteur de la Loi : "Laissez, au moins, aux catholiques le droit commun; la rclamation est bien modeste! Si leur vieux christianisme, qui vous dplat tant, n'est plus utile la socit, il se dtruira de lui-mme; sinon, gardez-vous de le dtruire, car vous mettriez en danger la socit humaine.» Ils n'couteraient pas! Ils laisseraient plutt s'effondrer la socit. On ne peut pas leur dire, non plus, comme fit Gamaliel : Vous seriez en danger de combattre contre Dieu mme... C'est ce qu'ils font, ce qu'ils veulent: combattre contre Dieu! On voit par l combien l'effroyable Caphe est distanc. Il ne reste donc qu'une ressource : combattre soi-mme. Et qu'on comprenne jusqu' quel point la Religion est contrainte de se montrer combattante. Que veut dire le mot Religion? Il signifie lien : le lien qui unit l'homme Dieu. Or, c'est ce lien qu'on veut couper, briser, mettre en pices partout. Dj il est bris dans les administrations, dans les coles, dans les hpitaux, l'arme, dans les prtoires de la justice : plus de Dieu, plus de lien, plus de religion... Et la Religion n'aurait pas le droit de se hrisser comme la poule qui l'on arrache ses petits en cherchant, de plus, lui casser les ailes? "Halte-l! dit-elle, je suis la Religion de combat!» III Son intervention est d'autant plus secourable qu'elle est l'unique combattante, pour conjurer le pril social. Quelle est, en effet, l'attitude de la religion protestante, de la religion juive, et des autres socits religieuses? Le silence, la peur et, par certains endroits, la connivence. Il y a de belles mes, de nobles curs, parmi les protestants et les isralites qui dplorent la guerre acharne faite aux catholiques; mais le vice radical du protestantisme et du judasme condamne ces religions l'impuissance, l'inertie, en face du pril. D'autre part, le complot les ddaigne. Moleste-t-on les rabbins, les ministres protestants? A-t-on ferm une seule synagogue, un seul temple? Toutes les rigueurs sont rserves, recherches, savamment chelonnes, pour la religion catholique, parce qu'on sent bien qu'elle seule possde ce qu'il faut pour organiser la rsistance. Et c'est vrai! Elle seule versera dans les veines des peuples de l'Europe le remde qui convient leur constitution si profondment atteinte. Elle seule armera les courages, en disant comme Dieu disait autrefois au prophte qu'il envoyait : J'ai rendu ton visage plus ferme que leur visage, et ton front plus dur que leur front. Je t'ai donn un front de pierre et de diamant. Ne crains pas, et n'aie point peur devant eux. (Ezechiel, III,8-9). Elle seule rendra la France capable d'tonner et de dconcerter l'apostasie par une vigueur de rsistance qui rappellera un des miracles les plus admirs du IVe sicle. La vierge Lucie, dont le nom signifie fille de lumire, illustre par sa naissance et sa pit, avait t dnonce comme chrtienne au prfet de Syracuse. Celui-ci, l'ayant appele devant son tribunal, essaya par des promesses et des menaces, mais inutilement, de lui faire adorer les idoles. Elle rpondait avec une foi vive et une merveilleuse prsence d'esprit. Le prfet fit ce cruel jeu de mots : La langue se taira quand le fouet parlera! Et pour l'affliger plus amrement, il ordonna qu'on la conduist d'abord dans un lieu infme. La vierge reprit : Si je suis dshonore malgr moi, cette violence que j'aurai soufferte doublera le prix et le mrite de ma virginit. Les excuteurs et les gardes voulurent l'entraner; mais alors, quoi qu'on ft, il ne fut pas possible de la mouvoir et de l'arracher du lieu o elle se trouvait, Dieu le permettant ainsi. Colonne immobile tiez-vous, Lucie, pouse du Christ, alleluia! Ainsi chante l'glise, au jour de sa fte. (Columna es immobilis, Lucia sponsa Christi, alleluia! (Brv. Rom, 13 dc.). O France, toi aussi, comme la noble chrtienne des premiers sicles, tu es d'illustre origine et fille de lumire; et voici qu'on t'a saisie comme elle, pour te prcipiter aux pieds des idoles, et te dshonorer! Mais le miracle de rsistance qui transforme en colonne immobile est devenu familier dans l'glise. La religion catholique apprend se raidir contre les obstacles et les difficults qui menacent la foi. Ô France, noble France, tu tiendras ferme, tu te raidiras contre l'apostasie. Tu te raidis dj : Vous ne ferez pas apostasier la France! Puisse ce livre qui a demand son souffle la vrit, la charit et la justice, obtenir cette prcieuse rcompense de contribuer, en France et ailleurs, l'organisation des volonts et des forces catholiques! Et s'il avait la bonne fortune de s'garer dans des mains peu favorables la Religion, puisse-t-il suggrer son lecteur une rsolution semblable celle qu'exprimait ainsi un membre de la Convention : Je suis las de la portion de tyrannie que je suis contraint d'exercer. (Rabaut-Saint-tienne, ministre protestant, n Nmes). Lyon, le 6 janvier 1891. En la fte de l'piphanie.
(1) Lon XIII dit de la secte qui leur intime ses ordres : " Elle pris, au sein des tats modernes, une puissance qui quivaut presque la souverainet. " Encyclique sur la Franc-Maonnerie.
|