La COMMUNION
de JESUS-CHRIST avec L'HOMME


     Dieu doit redevenir tout en tous, comme il le fut avant la désobéissance d'Adam, l'homme universel.

     Aussi, pour que notre âme retrouve sa béatitude première, il faut qu'elle revête ses qualités et ses facultés originelles dont la chute la dépouilla.

    Dieu est la source infinie, incompréhensible, de toute béatitude et, tant que l'âme est séparée de lui, elle ne connaît que la douleur. Elle connaît aussi, il est vrai, les plaisirs de ce monde, mais ceux-ci n'engendrent finalement que corruption, regrets et douleurs nouvelles. La satiété des sens survient alors que le désir demeure inassouvi et inassouvissable. Entre ces tristes plaisirs et la béatitude sans déclin, il y a un abîme.

     Il faut donc que l'homme renaisse, il faut qu'il subisse un changement absolu dans tout son être, afin qu'il s'attache à l'éternel et rejette le transitoire.

     Ce changement, cette conversion au sens technique du mot, ne peut s'opérer que par l'action du Verbe, de la Parole divine, en nous.

     La figure sous laquelle est proférée cette divine Parole, c'est pour nous celle du Christ éternellement vivant en nous. Et la première étape sur le « chemin du retour », c'est justement, la conscience de cette divine présence.

     L'homme de la nature ne la sent pas et il la nie. Ou, parfois, quand la miséricorde divine écarte un instant pour lui certains voiles, il la sent, de loin en loin, mais ce monde a encore pour lui trop d'attraits, et il la nie encore. D'autres la nient par faiblesse. Ce sont les paresseux qui mettent leur plus haute volupté dans l'inertie. Ceux-là sont les plus à plaindre car ils s'opposent directement à la loi de la vie qui est l'action. Cette action, c'est la vie elle-même qui se chargera de la leur enseigner brutalement car plus profond est le mal, plus amer est le remède.

    La cime de l'âme, notre esprit, ne possède pas de lumière propre. Pour être éclairé, il ne peut être illuminé que par les chauds rayons de l'Esprit divin ou par le feu sombre et glacé de l'Adversaire.

     Le coeur de l'homme déchu est le champ clos où ces deux principes contraires s'affrontent, dans une lutte sans répit, jusqu'à ce que l'homme ait opté définitivement pour le Bien ou pour le Mal.

     Dans le premier cas, nous suivons l'inspiration divine et délaissons progressivement la vie de la chair pour celle de l'Esprit. Le Verbe se manifeste alors à nous, y naît, y souffre avec nous, meurt et ressuscite dans son disciple afin que celui-ci ressuscite en lui. Enfin, la gloire du Fils lui est révélée afin qu'il y participe. Ceci, c'est la dernière étape du chemin du retour. Mais, de la première à la dernière, à des degrés divers, le disciple expérimente une seule chose : la communion avec le Christ.

     C'est cette communion que décrivent sans cesse les saints qui en ont éprouvé la pleine réalité.

     Ce sont ces étapes que relate, dans son sens spirituel, le Cantique des Cantiques. Le symbolisme, tout oriental, du Cantique a permis à certains d'y voir une simple « pastorale ». Mais le Christ lui-même n'a-t-il pas employé, notamment dans la parabole des dix vierges, la même image ? De même que dans le Cantique où l'âme, l'« épouse », cherche son Seigneur, caché et cependant pressenti tout proche, nous voyons dans la parabole la même anxiété, la même attente, la même révélation fulgurante : « À la nuit, l'Époux vint »…

     Ce qui caractérise en effet la première partie du Cantique c'est l'anxiété entrecoupée d'espérance. Invinciblement on pense à chaque page à la magnifique exclamation de Pascal : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé » !

     Puis, nous voyons l'âme à une autre étape, cherchant et voyant Dieu en tout, retrouvant partout et d'abord en elle sa présence, d'abord intermittente puis plus nette. Et encore une fois, elle n'est pas satisfaite, impatiente même des grâces et des dons, désirant la source seule d'où ils affluent : Que je monte jusqu'à votre trône et que, là, je vous cherche sans cesse jusqu'à ce que j'aie le bonheur de vous trouver. Faites que mon amour soit si parfait que je quitte tout pour me perdre en vous, mon adorable Époux ! …

     Mais, hélas, plus cette âme s'approche de Dieu, plus elle reconnaît, sous l'inaltérable clarté de la lumière divine, l'étendue de sa propre misère, de sa propre obscurité. Comment ne succombe-t-elle pas au désespoir ? Pourquoi ne se rejette-t-elle pas dans cette ombre qu'elle vient de quitter et où, dit moins, elle ne verrait plus sa propre laideur ? Le mystère de ce courage, de cette persévérance et de cet acharnement, c'est le Christ qui en détient les clefs. Dans tout appel de l'âme en tourment il est Celui qui inspire la demande, comme il est Celui qui formule la réponse.

     Dans la lumière divine, l'âme apprend à sonder ses propres abîmes, mais elle apprend aussi ce qui les peut combler.

     Vaincre l'amour-propre et l'égoïsme, créer le vide parfait où s'engouffrera irrésistiblement, le jour venu, la plénitude divine, tel est le long, le rude, l'irremplaçable travail auquel elle se livre. Lorsqu'il est achevé, l'âme est ornée des sept dons du Saint-Esprit et délivrée des sept fardeaux de l'Esprit de ce monde.

     Jusque-là, l'épouse est noircie par les épreuves et brûlée par son soleil : « Nigra sum, sed formosa » dit le Cantique et tous les alchimistes reconnaissent à ce signe la matière du grand oeuvre, tant matériel que spirituel.

     Il faut que cette noirceur devienne parfaite afin qu'y éclate enfin le « fiat Lux » créateur.

     Dans ces ténèbres, l'âme est privée de la présence sensible de l'Époux mais elle n'en demeure pas moins fidèle. Elle connaît d'ailleurs une autre présence : celle du Précurseur, de celui qui va « préparant les chemins du Seigneur » et appelant l'âme à la pénitence et ait repentir. Puis l'âme reste seule, dans une paisible résignation, se détachant fibre à fibre de tout ce qui n'est pas son Seigneur. Extérieurement, elle est déjà incompréhensible au monde. Rien ne l'en distingue pourtant qu'une humilité puisée dans la notion exacte du peu qu'elle est. Les dons et les vertus qu'elle possède virtuellement, elle ne s'y attache pas car c'est le Donateur, le Père des vertus qu'elle veut chérir, imiter et connaître. Ce n'est pas dans sa gloire mais dans sa croix qu'elle le recherche. Elle le sait là, invisible mais immuablement présent, plus proche d'elle à chaque amertume qu'elle subit joyeusement à cause de lui.

     Lorsque le calice d'épreuves est vidé jusqu'à la lie, elle reçoit la consolation, la lumière et la paix intérieure. Mais, quelles grâces qui lui soient accordées, elle ne perd jamais le sentiment de sa faiblesse et demeure dans l'humilité. Cette humilité est le signe le plus certain de son élection, le seul, peut-être, qui ne trompe jamais. On peut être vertueux par orgueil, brave par amour-propre. Fausse vertu, faux courage peuvent faire illusion à tous, sauf au Maître des consciences. Mais l'humilité vraie - qu'il ne faut pas confondre avec la fausse modestie fille de l'orgueil le plus subtil et le plus dangereux - voila la marque distinctive des enfants du Ciel.

     L'âme connaît et confesse son ignorance, aussi l'Esprit de Vérité peut-il l'illuminer sans rencontrer, l'obstacle de la fausse science. Elle connaît et confesse ses faiblesses, aussi l'Esprit de Force peut-il la soutenir jusqu'au terme de ses tribulations. Le bien qu'elle fait, elle en reporte la gloire Sur l'Auteur de tout bien, connaissant sa faiblesse et sa tiédeur.

     Est-ce à dire qu'elle soit parfaite ? Pas encore. Elle a parfois ses défaillances, ses rechutes qui la désolent sans la désespérer car l'orgueil seul se désespère. Dans ces crises elle entend la voix de soi, Maître, l'encourageant et lui rappelant qu'elle n'en est ni au temps ni au lieu des délices, mais à ceux du travail et du combat, jusqu'à la définitive victoire. Cette présence voilée de son Seigneur, cet appel silencieux, proche et lointain à la fois, ce halo d'amour qui la baigne, ces épreuves crucifiantes où son espérance ne faiblit pas, ce sont les prémices de la communion totale avec le Christ, en attendant l'heure de la communion parfaite dans la Gloire et la Béatitude.