LE LIEU SAINT


     Le Christ est venu sur cette terre afin d'établir le culte intérieur que nous devons rendre à Dieu, étant le seul médiateur qui puisse nous relier directement, à l'Être suprême.

     Par leur exemple et leur vie, les saints nous ont apporté la preuve que tout était possible à celui qui invoque l'Éternel avec une filiale confiance. Par leur prière, leur foi vivante en la médiation de l'Emmanuel, du « Dieu en nous », ils ont triomphé de leurs ennemis, conquis pacifiquement des cités et répandu les dons divins autour d'eux, manifestant, en un mot, tout ce que saint Paul assigne à la puissance de la foi (hébr. XI, 10).

     Deux éléments concourent à nous faire obtenir les vrais biens : ce sont les mouvements volontaires de notre âme et les secours du Ciel. De ces deux éléments, le premier dépend de nous ; le choix est libre et rien ne peut nous contraindre absolument parlant dans un sens ou dans un autre.

    La jonction de ces deux éléments : grâce divine et volonté humaine, c'est la communion avec le Verbe de Dieu. Mais pour que cette communion soit effective, il faut agir selon l'Esprit et non selon les impulsions des sens. Telle est la raison pour laquelle les saints brisent systématiquement leurs préférences et prennent le contre-pied de leurs tendances natives et de leurs goûts.

    Pour obtenir la paix du Seigneur, il ne faut pas repousser l'esprit de sacrifice qu'exige son obtention. Ce détachement de toutes choses extérieures, cette rupture des liens qui nous rattachent au monde sensible, nous en avons une image dans les paroles du Seigneur à Moïse : « ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte ».

     Le geste symbolique du guide d'Israël équivalait donc à se dégager de toutes les entraves extérieures qui pouvaient l'empêcher d'entendre la voix d'En-Haut et d'accomplir sa mission. Les souliers, ce sont les vieilles habitudes, les faux savoirs, les préjugés. Moïse, homme, devait et pouvait l'accomplir. Il appartiendra au Christ, comme médiateur, d'aller plus loin. Lorsqu'il lava les pieds de ses disciples (« Si je ne vous lave, vous n'aurez point de part avec moi »), il compléta le geste de Moïse au pied du buisson ardent. Moïse n'avait pu accomplir que le geste négatif de l'homme, le travail préparatoire à la réception de la Grâce. Il fallait que vînt l'Homme-Dieu pour que l'oeuvre reçût son couronnement et que soit instaurée l'ère de la communion parfaite entre l'humain et le divin.

     Se retirer dans le Saint des Saints en union intime avec Dieu, c'est là l'oraison à laquelle nous sommes tous appelés. Sans doute, ce mode de vie transcendante apparaît trop simple, trop peu compliqué aux yeux des intellectuels qui mettent leur orgueil dans l'acquisition d'un savoir disparate. En ce siècle fourmillant de cerveaux compliqués, les hommes n'ont en général qu'un goût modéré pour les fraîches maximes de l'Évangile. Du temps de Jésus aussi, les intellectuels, pharisiens subtils et sadducéens rationnant, ne manquaient pas une occasion d'exercer leur verve sarcastique sur les enseignements du Maître. Comme de tous temps, les secrets de Dieu restent et resteront cachés aux pédants et aux orgueilleux, mais ils seront immédiatement accessibles aux coeurs humbles et sincères qui les recevront avec simplicité.

     Celui qui vit avec l'Éternel ne se met pas en peine d'autre chose que de demeurer en communion avec le Maître souverain de toutes choses.

     Cette présence de Dieu en l'homme, tel est l'aboutissement de toutes les recherches, l'apaisement de toutes les inquiétudes, la clef de toutes les énigmes et la source de toutes les béatitudes. Elle s'offre donc comme le but le plus grandiose que l'homme puisse espérer et comme le plus haut moteur de ses actes. Tout le reste, pour celui qui a bien compris cette vérité, n'est que détours et gaspillage de temps.

     Toute l'Écriture n'a qu'une voix pour nous rappeler cette réalité fondamentale, pressentie par tous les vrais sages de tous les temps.

     « Dieu n'a besoin de rien et l'âme du fidèle n'a besoin que de Dieu », dit Sextius, résumant en une ligne la plus simple et, à la fois, la plus haute des doctrines.

     Platon, qui n'était certes pas nourri de la Bible, nous dit, excellemment : « Vous vous gouvernerez sagement et justement, si vous vous contemplez toujours dans la Divinité, dans cette lumière resplendissante, seule capable de faire connaître la vérité ».

     Mais, nulle part, l'affirmation de la divine présence n'est plus nettement formulée que dans les paroles du Sauveur, lorsqu'il nous déclare que « le royaume de Dieu est au-dedans de nous » ; or, comme il n'y a pas de royaume sans roi et que notre âme constitue ce royaume, c'est donc que le Christ, son roi, fait réellement de nous sa demeure, comme il l'indique dans plusieurs passages des Évangiles. C'est par son Esprit que Jésus règne en nous et s'y manifeste dans la mesure où nous accomplissons sa loi : « si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole ; mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui. » (Jean, XIV, 23).

     Dieu en nous, opérant en nous et par nous, voilà la base de toute vérité et le couronnement de l'effort du chrétien.

     On peut dire de notre âme, lieu saint devrait rayonner la face du Seigneur, ce que le Christ dit du Temple de Jérusalem : « N'est-il pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière… Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs ».

     Si nous nous réclamons du beau nom de chrétiens, si nous aspirons à la réalisation des promesses du Fils de Dieu, ne nous faut-il pas d'abord chasser les « marchands du temple » et purifier le sanctuaire de notre âme, si souvent profané ?