L'ACCORD DES DIAPASONS





   Chaque corps tend à reproduire sa forme ; toute vibration éveille dans la matière la résonance de vibrations semblables, car les forces de la vie sont indéfiniment expansibles, et le royaume de leur action n’a pas de limites.

   Lorsqu'un diapason d'acier chante sous la baguette qui le frappe, le diapason voisin entre spontanément en mouvement et fait entendre un son, s'il possède le même accord. Parce que les deux instruments occupent le même degré dans l'échelle d'harmonie et qu'ils ont, en quelque sorte, une même âme musicale, la voix de l'un provoque sympathiquement la réponse de l'autre.

   Qu'on remplace la vibration du son, vite éteinte dans l'air pesant, par celle, plus subtile, d'une onde électrique et le télégraphe sans fil sera créé. Les physiciens savent établir la même sympathie entre les circuits de métal où tressaille la foudre asservie qu'entre les diapasons de même note ; il leur suffit, pour converser à des milliers de kilomètres sans lien matériel, d'accorder leurs appareils l'un sur l'autre comme les violons d'un orchestre. C'est cet accord et lui seul qui permet d'entendre le langage mystérieux que l'étincelle fait rayonner dans l'espace ; il suffit au poste récepteur de modifier ce qu'on appelle sa « longueur d'ondes » - qui n'est pas autre chose que son rythme de vibration, comme la note de son chant personnel - pour que la voix du poste émetteur s'étouffe et lui devienne imperceptible. En utilisant ce phénomène pour se mettre en communication sympathique avec New-York, Londres ou Rome, un même observateur perçoit le verbe de tous les peuples du monde.

   Le phénomène de résonance n'est point limité aux forces matérielles : on le reconnaît, à peine différent d'aspect, dans le jeu de cette énergie mal connue, mais formidable, qu'est la pensée humaine. Lorsqu'une idée, formulée par l’un de nous en paroles ou en écrit, en lignes ou en couleurs, rencontre et frappe d'autres intelligences, d'où vient que son action s’exerce si inégalement que ses effets paraissent tellement relatifs ? Une même doctrine ou une même oeuvre d'art qui éclate dans l'âme de tel individu en révélation foudroyante, qui la conquiert d'un coup et l'oriente pour jamais, n'a d'effet sur un autre homme qu'un superficiel mouvement d'attention et de curiosité, tôt éteinte ; il en est pour lesquels elle demeure étrangère, totalement et aussi inintelligible que serait le langage des habitants de Sirius. L'expérience, amère éducatrice, nous apprend que tous les hommes ne répondent point de la même manière aux vibrations de la Vérité et de la Beauté, tandis qu'ils reçoivent tous aisément l'influence des cupidités et des appétences animales. Il faut une préparation, spéciale à l'âme humaine pour qu'elle devienne un récepteur sensible à la voix des sphères célestes : aussi, chaque époque ne produit-elle qu'un petit nombre d'élus capables de recueillir et de faire fructifier les trésors qu’apportent ici-bas les maîtres spirituels et les véritables poètes ; les foules sont autour d'eux comme un désert de sable.

   Notre génération se croit réaliste ; elle est dans l'erreur, car elle méconnaît que l'Esprit soit la seule réalité du monde. Ce n'est pas avoir le sens du vrai ni de l'utile que laisser tomber dans l'oubli les enseignements de nos pères qui pouvaient nous aider à sortir du royaume de l'illusion pour approcher de la Vérité. Tous les sages n'ont-ils point répété en termes divers les mêmes promesses ? Soyez simples et purs comme des enfants, disent-ils. Réunissez-vous en esprit dans l'unité des mêmes études, des mêmes prières. Cherchez également en toutes choses le royaume de Dieu et sa justice. Alors vos âmes seront en harmonie et l'Esprit Saint descendra dans votre cercle. Vous serez élevés au-dessus des doutes et des vanités de la terre. Vous saurez, que l'homme est un être de raison et de justice pour qui la folie et l'iniquité sont des poisons mortels. Vous saurez que l'amour de son Créateur le guide et l'accompagne dans quelque chemin qu'il suive, pourvu que le chemin s'oriente sur l'étoile polaire. Vous saurez que le monde n'est abandonné ni aux caprices du hasard, ni aux fantaisies d'un démiurge, mais soumis aux lois établies par l'éternelle Sagesse et que cette Sagesse même peut découvrir à ses enfants.

***

Pauvre passant, je songe à ces préceptes perdus en contemplant la chaîne d'or qui est la parure de Psyché(1) et que tissent les pensées de tous ses amis, connus ou inconnus, fraternellement unies et sagement harmonisées sur le canon du Vrai et du Beau. Chaîne d'or qui trace l'enceinte d'un petit sanctuaire, où tout verbe de beauté et de vérité résonne et se répercute en délicates harmonies, cependant qu'au dehors du cercle magique l'oreille est assourdie des cris des adorateurs du Veau d'Or et du tintamarre des fouets et des chaînes que brandissent les marchands d'esclaves ! Grâce vous soit rendue, amis de Psyché qui faites vibrer dans le coeur du voyageur découragé les mots d'espérance et d'éternelle consolation, les mots purs et légers comme les notes angéliques du carillon de Malines lorsqu'elles tombent en cascade de perles du haut du lourd beffroi et qu'elles ruissellent dans les ténèbres de la vieille cité sur les fronts pieusement inclinés dans la nuit.

Mai 1922

1) Revue dans laquelle fut publiée cette méditation.