RUYSBROECK - TOME 6 : LE LIVRE DES DOUZE BÉGUINES

TROISIÈME PARTIE

L'UNIVERS EN RELATION AVEC LA VIE
SPIRITUELLE DE L'HOMME



CHAPITRE XXIX

COMMENT DIEU NOUS A CRÉÉS CORPS ET ÂME, ET DE LA TRIPLE VIE,
A SAVOIR CONTEMPLATIVE, INTÉRIEURE ET
ACTIVE.


   Nous croyons et confessons de Dieu tout-puissant, notre Père céleste, qu'il est par nature être éternel, vie, connaissance et volonté ; et que c'est par libre volonté, et moyennant sa sagesse éternelle, qu'il a créé toutes choses de rien, d'après l'exemplaire qu'il est lui-même. Or, il nous a donné, quant au corps, une vie mortelle comme aux animaux, car ce corps est composé de divers éléments. Et il nous a donné selon l'âme une vie immortelle, semblable à celle des anges au-dessus du firmament. Voyez, Dieu a donc créé l'homme avec deux natures qui ne se ressemblent pas et se contrarient l'une l'autre : c'est l'âme et le corps, la chair et l'esprit, l'animalité et la raison, la vie et la mort, le temps et l'éternité, une nature qui meurt sur la terre et une autre qui vit au ciel, inférieure à Dieu et semblable à lui, image de Dieu et sa figure. Et Dieu est lui-même éternel et incréé, sa propre béatitude et celle de tous ceux qui l'aiment. Il est aussi la superessence de tous les êtres et la félicité de tous les bienheureux, le premier objet des esprits élevés dépouillés d'images.
Cette pure et superessentielle béatitude embrasse en elle-même les personnes divines et, selon leur superessence, tous les esprits élevés, sans distinction, dans une simplicité vide de toute composition. Là, il n'y a ni temps ni lieu, ni avant ni après, ni voie ni sentier, ni possession ni désir, ni donner ni prendre, ni vices ni vertus, ni pratique d'amour, rien de léger ni de lourd, d'obscur ni de clair, de nuit ni de jour, rien enfin qu'on puisse exprimer en paroles. Là nous sommes morts à nous-mêmes en Dieu et notre vie est cachée en Dieu ; là il n'y a ni commencement ni fin, personne n'y peut nous trouver ; notre demeure n'est nulle part ; c'est au-dessus de tout le créé que nous sommes ravis avec Dieu dans notre superessence, dans une béatitude toute simple qui n'est jamais connue autrement que par elle-même. Car personne ne peut trouver ou posséder ce repos dans la superessence si ce n'est les seuls hommes aimants, éclairés par la lumière divine, unis à Dieu en amour et ravis avec lui dans la béatitude superessentielle et en repos qui est Dieu même. Car Dieu est un être éternellement en repos selon l'essence ; sa nature est toute-puissante ; connaître, aimer et vouloir sont son œuvre éternelle, qu'il est lui-même : en lui rien n'est passé ni futur, mais toutes choses lui sont à découvert et présentes.

   Voyez, de cette manière son être est en repos selon l'essence et sa nature opère toutes choses par sa fécondité. Or, c'est pour cette même dignité que Dieu a fait les anges et les hommes ; dès l'origine du monde il nous a donné son royaume, si nous voulons bien vivre pour lui : et son royaume c'est lui-même. Il est tout nôtre si nous voulons le servir seul. Il a formé le ciel et la terre, et toutes les créatures pour nous. Et il nous donne au-dessus de la raison liberté de l'esprit et dépouillement d'images de la pensée. Si donc d'un esprit amoureux nous nous attachons librement à lui, nous sommes élevés au-dessus de notre propre nature et devenons un seul esprit avec lui, et nous nous unissons à lui par l'amour éternel qu'il est lui-même.

   Voyez, cela s'appelle une vie contemplative, qui est à la portée de tous ceux qui savent s'affranchir d'images et qui servent et aiment Dieu seul dans la liberté de leur esprit : et ainsi il demeure en nous et nous en lui. Il nous a donné de même une âme raisonnable et une volonté libre. Et si nous abandonnons et rejetons les péchés, notre raison est illuminée et éclairée d'en haut, et ainsi nous possédons une vie gracieuse dans laquelle Dieu se complaît. Dieu vit en nous par ses grâces et nous en lui par nos vertus, et ainsi nous pouvons toujours croître et grandir dans sa complaisance et orner toutes nos facultés intérieures, les faire resplendir et les enrichir par de nouvelles vertus : c'est là une vie intérieure et vertueuse, dont nous avons tous besoin pour être sauvés.

   Il nous a créés aussi sensibles et mortels, de chair et de sang, et il a revêtu notre âme vivante d'un corps mortel, né d'un père et d'une mère, afin que nous vivions pour lui et le servions dans l'abstinence et la pénitence, dans l'honnêteté de mœurs et dans les saintes œuvres extérieures, de même qu'il est venu nous servir, Dieu et homme, en vivant et en mourant, jusqu'à expirer sur la croix. Or, de même que le Christ était obéissant envers son Père céleste, de même nous devons le suivre, si nous voulons être ses disciples et porter notre croix, et nous renoncer en toute manière. Ainsi pouvons-nous aller librement, par le Christ, en lui et avec lui, vers son Père et notre Père, le servir et lui obéir jusqu'à la mort, obéir aussi à ses commandements et à notre raison, aux Évangiles et aux saintes Écritures, à la foi et à la loi chrétienne, humblement, et en nous soumettant aux bons usages et à toutes les bonnes coutumes qu'on pratique parmi les bons chrétiens.

   Voyez, c'est là une vie active, qui nous est à tous nécessaire, si nous voulons suivre le Christ et régner avec lui dans son royaume éternel.

   Lorsque ces trois modes de vie se rencontrent dans un homme et sont pratiqués par lui, il ressemble au Christ et il est son disciple, et il le suit jusqu'à la vie éternelle. C'est ce que je veux maintenant prouver par la nature, par la raison et par les saintes Écritures, par des exem-ples et par toutes les créatures, par la vérité qui est Dieu même, et par tout ce qu'il a créé depuis le commencement du monde.


CHAPITRE XXX

POURQUOI TOUT A ÉTÉ CRÉÉ PAR DIEU ; DU CIEL EMPYRÉE
ET DU PREMIER MOBILE ; QUELQUES REMARQUES SUR
L'UNITÉ DE DIEU ET LA TRINITÉ DES PERSONNES.

   En tête des saintes Écritures le prophète Moïse nous apprend qu'à l'origine du monde Dieu créa le ciel et la terre pour notre service, afin que nous le servions à notre tour ici-bas, sur terre, par de bonnes œuvres et des mœurs honnêtes à l'extérieur ; au ciel, c'est-à-dire dans la partie supérieure, par des vertus spirituelles, une sainte vie et des exercices intérieurs ; enfin, au ciel le plus élevé de l'âme, par une vie contemplative et l'union à Dieu, en jouissant de lui et en l'aimant c'est pour cela que toutes choses ont été créées. Et de cela nous témoignent notre nature, les exemples et les figures, la sainte Écriture et la vérité éternelle qui est Dieu même.

   Dieu, en effet, a créé le ciel le plus élevé, à sa propre ressemblance, clarté simple, sans mélange, toute de feu ; de par sa nature et son essence, éternellement silencieux et immobile ; immuable dans sa simple essence, mais mû sans cesse dans la nature ; transparent, lumineux et clair, grand, haut et large au-dessus de tout ; incorruptible, sphère éternelle qui enveloppe tout ce que Dieu a fait de matériel. Voyez, ceci est le ciel dans sa plus haute nature, demeure, siège et trône de la divine Majesté, où Dieu vit et règne avec tout ce qui forme sa famille. Mais lui-même est un ciel caché et spirituel dans l'unité et la trinité de sa nature ; et ainsi est-il au-dessus de tous les cieux, de toutes les créatures et de tout ce qu'il a créé à sa ressemblance ; et ainsi pouvons-nous le suivre au-dessus de notre nature créée, dans la fruition de l'éternel amour et dans notre béatitude superessentielle qu'il est lui-même.

   Et encore qu'il soit au-dessus de tous les cieux et de tout ce qu'il a créé de corporel et de spirituel, il est aussi présent à tous les cieux, au monde entier et à toutes les créatures, qu'il régit et ordonne selon sa volonté. Mais d'une façon toute spéciale et par-dessus tout, il est au ciel le plus élevé, dans la nature sublime de ce ciel, qu'il a créé à son exemple et à sa ressemblance, l'ornant de lui-même et de sa propre gloire. Car la pure essence du ciel le plus élevé est immobile, inactive, tranquille et oisive, stable au-dessus de tout ce que Dieu a créé de matériel au ciel et sur la terre. Mais cette nature sublime du ciel le plus élevé, appelée aussi le premier moteur, meut elle-même tout ce qui est mobile dans les créatures matérielles ; et ainsi la nature suprême du ciel et à la fois mobile et immobile, transparente et pénétrée d'une clarté sensible, qui est si grande et si singulièrement claire, qu'aucun œil ne peut la contempler, sinon les yeux glorieux des bienheureux.

   Voyez, c'est là le royaume des cieux où Dieu vit et règne avec tous les saints ; car ce royaume ressemble à Dieu de trois manières : il est éternellement en repos selon l'essence, mais sans cesse agissant selon la nature, et ces deux sont toutes remplies et pénétrées d'une clarté simple. Or, c'est ainsi qu'il faut considérer et entendre que l'être souverain de la divine Trinité est éternellement dans le repos, inactif et immobile selon l'essence. Mais cette nature des personnes est féconde, éternellement agissante quant aux personnes. Car le Père engendre de sa nature le Fils comme une seconde personne, et le Fils naît du Père comme la Sagesse éternelle de Dieu, distincte en tant que personne et un avec le Père par la nature ; et du Père et du Fils émane le Saint-Esprit qui est une seule nature avec les deux et ainsi on trouve là l'unité de nature et la distinction des personnes.

   Car dans les relations des personnes il y a connaissance et amour réciproques, flux et reflux entre le Père et le fils par le moyen du Saint-Esprit qui est leur amour mutuel. Cette unité du Saint-Esprit dans laquelle vivent et règnent les personnes, lorsqu'elle s'écoule au dehors, est active et féconde, formant toutes choses selon la libre générosité, la sagesse et la puissance des personnes. Mais dans le reflux des personnes, cette unité du Saint-Esprit est attirance fruitive et inhabitation des personnes, au-dessus de distinction, dans une fruition d'amour sans fond, qui est Dieu lui-même dans son être et sa nature. Voyez, de la sorte Dieu vit avec lui-même en lui-même, par la connaissance, l'amour, la possession et la fruition de lui-même au-dessus de toutes les créatures.

   C'est là le plus haut degré de vie qu'on puisse exprimer de Dieu. De cette façon il vit dans la nature suprême du ciel, et, pour ce qui est de nous, d'une manière plus proche et plus noble, dans le plus haut de notre nature créée. Il nous a appelés et élus : si donc nous le cherchons, nous le trouverons en nous-mêmes et au-dessus de nous-mêmes, là où il jouit de lui-même dans sa gloire, avec ses élus, contemplant, connaissant et aimant, jouissant et s'écoulant en tous en béatitude éternelle.

   Et maintenant je laisse ce sujet de la vie contemplative, que Dieu est lui-même et qu'il confère à ceux qui ont renoncé à eux-mêmes, et ont suivi son Esprit là où il jouit de lui-même en ses élus dans la gloire éternelle.

   Si vous voulez monter par votre entendement de la terre jusqu'au ciel suprême, vous devez dépasser les éléments et tous les cieux qui se trouvent entre les deux alors vous trouverez par votre foi Dieu dans son royaume.

   De même, si vous voulez monter au-dessus de la foi jusqu'au sommet de votre nature créée, qui est un ciel caché, vous devez être orné de toutes les bonnes œuvres au dehors et des vertus et saintes pratiques au dedans alors vous dépasserez vos sens et votre imagination, et toutes les images, corporelles et spirituelles, raisonnement et concept, et toute observation. Élevé ainsi jusqu'au regard sans images ni voile, dans la lumière divine, vous contemplerez le royaume de Dieu en vous et Dieu dans son royaume ; et vous pourrez le remarquer clairement dans l'exemple qui suit.


CHAPITRE XXXI

DU CIEL ÉTOILÉ, DES ÉTOILES FIXES ET ERRANTES ET DE
LEUR INFLUENCE.

   Moïse nous apprend que Dieu a formé le firmament, c'est-à-dire le ciel avec ses étoiles. Ce ciel est au-dessus des éléments, car il fait la division et se trouve comme intermédiaire entre la nature des éléments et la nature du ciel, entre les eaux d'ici-bas sous le ciel et les eaux qui sont au-dessus du ciel, c'est-à-dire le ciel cristallin qui est comme de l'eau glacée. C'est le ciel qui est intermédiaire entre le firmament et le premier mobile dans le ciel ; et il s'écoule en clartés et poussières célestes tel qu'une mer sauvage : et il est d'une clarté transparente, comme le firmament où se trouvent les étoiles. Les planètes, elles, ne sont pas transparentes, mais, elles sont illuminées par la clarté du soleil et du ciel, qu'elles reflètent. Les étoiles tournent avec le firmament, montent et descendent, chacune à sa place selon qu'elles ont été rangées par Dieu. Les sept planètes, au contraire, sont fixées dans les sept cercles, qui sont mus par le premier mobile du ciel, et non à la façon et selon la marche du firmament ; chacune est mue pour soi, selon que l'a ordonné la sagesse divine, qui a bien ordonné toutes les créatures conformément à nos besoins. C'est pourquoi les planètes ne sont pas semblables, mais différentes les unes des autres, selon leur nature, leur opération, leur forme et leur figure ; et cela devait être nécessairement, puisqu'elles doivent régir les éléments et les natures de toutes les créatures qui sont ici-bas. Ce n'est pas néanmoins que les planètes et les étoiles soient elles-mêmes chaudes ou froides, sèches ou humides ; mais elles répandent ici-bas leur vertu dans toutes les créatures et opèrent en elles tout ce qui arrive, et se fait selon le cours du ciel et les propriétés de chacune. Et c'est pourquoi selon que les hommes sont inclinés plus ou moins, par complexion et par nature, au bien ou au mal, c'est la nature supérieure du ciel qui opère pour qu'ils puissent agir selon l'inclination de leur nature. Mais sur notre volonté libre personne n'a de pouvoir, ni la nature du ciel, ni aucune créature, mais seulement Dieu et nous-mêmes. Il nous incline toujours à tout bien, et nous retire et nous garde de tout mal, pourvu que nous consentions à le suivre selon qu'il nous enseigne par lui-même et par ses créatures.


CHAPITRE XXXII

QUE TOUTES LES CRÉATURES NOUS ENSEIGNENT COMMENT IL FAUT VIVRE ;
 DE LA VIE SPIRITUELLE ET INTÉRIEURE, AINSI QUE DE
LA MAUVAISE ET DE LA BONNE VOLONTÉ.

   Vous devez comprendre et remarquer avec attention que toutes les créatures nous montrent et nous enseignent comment il faut vivre. Ainsi la nature des cieux et l'ordre que Dieu y a établi nous sont un exemple et une figure fidèle de la façon dont nous devons vivre pour Dieu au-dessus des éléments qui sont dans le ciel, au moyen d'une vie spirituelle intérieure et cachée, que personne ne connaît et ne ressent que celui qui la vit, l'exerce et la pratique. Et cette vie spirituelle intérieure commence ainsi.

   Notre Père céleste crée au plus profond de nous-mêmes un firmament intérieur spirituel, pourvu que nous suivions l'inclination naturelle de notre âme, que Dieu nous a donnée à tous, et qui par nature désire toujours le bien c'est la première chose que Dieu a créée en nos âmes, et qui de sa nature propre tend toujours vers le bien. Mais elle est souvent obscurcie par la grossièreté des péchés. Et bien que la nature que Dieu a créée soit bonne, et que par pure nature elle plaise à Dieu, elle a besoin néanmoins du secours de la grâce pour pouvoir s'élever au-dessus d'elle-même. Et c'est pourquoi, si nous cessons de pécher gravement et si nous recherchons et souhaitons la grâce divine, c'est le plus que nous puissions faire par nature. Mais tant que la volonté est mauvaise et veut rester mauvaise, l'homme s'oppose à Dieu et à tous ses dons, et il ne peut pratiquer ni comprendre la vertu, la sagesse ni la vérité. Il est dès lors rejeté de Dieu et il n'a aucune part à tout le bien qui s'accomplit au ciel et sur la terre.

   Une volonté mauvaise est le fondement et le principe de tout mal, et celui qui y persévère et y meurt, ne trouve de place nulle part qu'en enfer avec les esprits damnés.

   D'autre part la volonté bonne, où Dieu vit et règne avec ses dons, est en tout semblable au firmament du ciel, car elle est toujours mue d'en haut par le Saint-Esprit, qui est le premier mobile de toute sainteté. Ce firmament est transparent et enveloppé de la clarté de l'inhabitation de Dieu et du soleil de la sagesse qui y vit. Aussi ce firmament est-il un intermédiaire spirituel qui établit la division et la séparation entre les eaux du ciel et les eaux de la terre, c'est-à-dire, entre les vertus et les œuvres de vertu, entre le temps et l'éternité, entre la vie active au dehors et la vie spirituelle à l'intérieur, entre la grâce et la nature, entre le signe et la réalité, entre les œuvres des sens qui périssent, et les œuvres de l'esprit faites par la grâce qui demeurent éternellement.


CHAPITRE XXXIII

TRIPLE DESCRIPTION DU CIEL ET DES ÉTOILES.

   Le monde céleste se compose de trois cieux principaux : le premier est appelé firmament ; le deuxième est le ciel cristallin, et le troisième le ciel empyrée : et ils sont tous d'une clarté transparente, la demeure et le séjour où Dieu règne et vit avec tous les saints. Le ciel supérieur, avec l'inhabitation divine, est pour nous la figure de la vie contemplative, comme je l'ai dit plus haut. Les deux autres cieux représentent la vie spirituelle intérieure et cachée, où nous vivons avec Dieu et Dieu avec nous par le moyen de sa grâce ou de la gloire.

   Le premier ciel auquel sont fixées les étoiles, figure la puissance éternelle de notre Père céleste, qui nous attire et nous élève au-dessus de toutes les opérations des sens jusqu'à une expérience intérieure et spirituelle, où toutes les vertus vivent et se pratiquent. Là nous ressemblons aux étoiles du ciel, toutes grandes là-haut devant Dieu, mais qui semblent petites ici-bas aux yeux des hommes, parce qu'ils ne connaissent que les indices des vertus aperçues par eux dans les bonnes œuvres extérieures.

   Les étoiles ne sont pas transparentes comme les cieux elles ont une forme ronde et tournent avec le firmament dans lequel elles sont fixées, chacune à sa propre place, plus haut ou plus bas, différentes de grandeur, de nom et d'apparence, de puissance et de clarté, ici-bas et là-haut, selon qu'elles ont été ornées et ordonnées par Dieu. Elles ne donnent pas la lumière par elles-mêmes comme font les cieux, mais elles reçoivent leur lumière et leur clarté du soleil et des cieux, et elles brillent et resplendissent comme des vases d'or dans la clarté du soleil. Elles éclairent la nuit et indiquent aux navigateurs le port désiré ; mais pendant le jour elles s'effacent devant la clarté du soleil, et elles donnent leur vertu ici-bas aux éléments et à tout ce qui vit et croît sur la terre et, au-dessus de la terre, aux eaux et à l'air.

   Écoutez maintenant et apprenez comment les cieux et les étoiles renferment pour nous un enseignement de vie intérieure et céleste.


CHAPITRE XXXIV

DE L'ENSEIGNEMENT DE VIE INTÉRIEURE ET CÉLESTE,
QUE NOUS DONNENT LES CIEUX ET LES ÉTOILES.

   Les cieux sont de clarté transparente, et de même notre vie intérieure possède une clarté spirituelle toute transparente, en raison de la grâce et de l'inhabitation de Dieu en nous, qui nous unit à lui. Mais les puissances de notre âme ne sont pas transparentes ; semblables à des vases d'or ou à un miroir de cristal, en face du Soleil de la Sagesse éternelle de Dieu, elles reçoivent clarté et couleur, chacune différemment, selon leur nature et selon la noblesse des vertus qu'elles présentent à Dieu.

   Les étoiles tournent avec le firmament où elles sont fixées ; et de même les puissances intérieures des âmes de bien suivent toujours par les vertus et les bonnes œuvres la sagesse et la puissance de Dieu en qui elles ont fixé leur vie. Les étoiles du ciel ont une forme sphérique qui n'a ni fin ni commencement : et les puissances des âmes nobles dans leurs œuvres sont de même, car toutes les vertus qu'elles pratiquent viennent de Dieu et vont vers Dieu, et ainsi vivent-elles en Dieu qui n'a ni commencement ni fin. Toute vie intérieure qui n'a pas cette forme présente des saillies et des angles, qui viennent d'intentions et d'affections étrangères ; et cela est faux et trompeur ; Dieu ne peut s'y complaire.

   Quelques étoiles sont plus pâles, d'autres brillantes, et telles autres encore d'un rouge de feu. C'est ainsi que lorsque nous rappelons dans notre mémoire nos péchés et nos défauts en face de la justice souveraine de Dieu, le courage s'en va de notre cœur et la pâleur apparaît sur nos traits, par l'anxiété de savoir comment nous pourrons porter le jugement de Dieu à l'heure de notre mort et au dernier jour : et ainsi sommes-nous semblables aux étoiles du ciel qui sont plus pâles. Mais lorsque nous élevons notre faculté raisonnable au-delà des images vers la sagesse éternelle de Dieu, la vérité qui est Dieu brille sur la face de notre âme. Voyez, il y a là des regards réciproques entre nous et Dieu, comme si le soleil se reflétait dans un cristal entre deux montagnes d'or et c'est pour nous source d'innocence, de pureté et de clarté, à l'égal des étoiles qui se tiennent dans le ciel. Et quand nous élevons notre puissance amoureuse pleine de désirs jusqu'à la bonté de Dieu, notre esprit s'enflamme. Alors jaillissent des étincelles d'ardeur et d'impatience d'amour, qui doivent brûler jusqu'à ce que l'esprit défaille dans l'amour : et ainsi les esprits aimants ressemblent-ils aux étoiles de feu qui brillent au ciel.


CHAPITRE XXXV

DES SEPT PLANÈTES, ET EN PREMIER LIEU DE SATURNE
ET DE SA SIGNIFICATION MYSTIQUE.

   Dieu a fait au firmament comme sept anneaux, où ont été fixées les sept planètes qui ornent et gouvernent le ciel et la terre, et leur donnent la fécondité, selon que l'ordonne la sagesse divine.

   La principale planète du firmament est cause de froid et de sécheresse. C'est Saturne, dont la nature est froide et sèche, de couleur pâle, mauvaise, dure et cruelle. C'est lui qui produit ici-bas la grêle et la neige, les grandes pluies, les orages et qui cause de nombreux maux aux créatures ; car il exerce son influence au milieu de l'hiver, alors que le soleil se trouve au signe du Capricorne, ou des cornes du bouc, et au signe de l'Aquarius, ou du Verseau, ce qui arrive au dixième et onzième mois de l'année (1).

   Au sens spirituel, on peut dire que Saturne règne maintenant sur le monde entier, aussi bien en hiver qu'en été ; car la charité s'est bien refroidie, les hommes se sont desséchés, n'ont plus l'ornement des mœurs honnêtes ; ils sont cupides, avares, remplis de haine et d'envie, orgueilleux, mauvais et habiles à se tromper les uns les autres. Vraiment pour ceux qui ne vivent que pour le péché et pour la nature, le soleil se tient toujours dans le Capricorne, dans les cornes du bouc, cet animal fétide par nature, semblable au pécheur, qui répand devant Dieu et tous ses saints une vraie puanteur. La corne de sa puissance et de sa beauté s'est desséchée : elle n'est plus bonne qu'au feu éternel. Ses fruits, c'est-à-dire les petits du bouc seront à gauche au jugement de Dieu et ils seront tous damnés et envoyés au feu éternel.

   En hiver le soleil poursuit sa course dans un autre signe, appelé Aquarius, c'est-à-dire, le Verseau. C'est pour nous la figure de ceux qui vivent selon les penchants de la nature, lents et paresseux au service du Seigneur, gloutons, de goûts superflus, désordonnés dans le boire et le manger, impurs dans leur vie et adonnés à tout ce qui flatte le corps. Ceux qui, en possession de la jeunesse et de la santé du corps, vivent en dehors de la grâce, suivant sans conscience ni crainte de Dieu les inclinations de leur nature, ressemblent bien au Verseau, car toute leur vie se verse et s'écoule dans le péché et dans les désirs de leur volonté perverse, contrairement à la volonté et à l'enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ, dont le nom soit éternellement loué et béni.


CHAPITRE XXXVI

DU NOM GLORIEUX DE JÉSUS ET DE QUELQUES FÊTES
PRINCIPALES EN SON HONNEUR ; DE LA CRÉATION ET DE
LA CHUTE DES ANGES ET DES HOMMES.

   Le glorieux nom de Jésus est exalté, honoré et vénéré au-dessus de tout nom, au ciel et sur la terre, plus que toutes les créatures et au-delà de toute mesure, éternellement et sans fin. Notre Père céleste et notre Mère de la terre nous ont donné leur Fils dont le nom est Jésus. Notre Père éternel a envoyé son Fils, avec son nom, à la vierge Marie, par l'intermédiaire de l'ange Gabriel, et celle-ci a accueilli le Fils ainsi nommé en son sein précieux, d'un cœur plein d'humilité et en grand respect. Car Jésus avec son nom est notre louange, notre honneur et notre titre de noblesse, le commencement et la fin de toute dignité. Ce fut au printemps, au premier mois de l'année, selon la Loi ancienne. C'est au même temps que Dieu avait créé le ciel et la terre, le temps, le cours des astres, les étoiles et les planètes, le tout selon son bon plaisir. En cette même saison il a voulu renouveler et faire monter toutes choses en lui-même, jusqu'à un état sublime et c'est pourquoi il a envoyé son Fils prendre chair au sein de Marie, et il lui a donné un nom nouveau comme jamais l'on n'en avait entendu auparavant.

   Et la noble Vierge cacha neuf mois son Fils et le nom qu'il avait reçu dans le secret de son corps très pur et précieux, durant le printemps, tout l'été et jusqu'au milieu de l'hiver. Puis de son sein tout pur elle enfanta son Fils, sans douleur ni souillure, et les anges chantaient dans les airs louange et gloire à Dieu ; et le monde entier était en paix.

   Huit jours après, lorsque conformément à la loi de Moïse, on devait circoncire l'enfant, Marie livra son Fils et manifesta le nom qu'elle avait entendu et reçu de Dieu, par l'intermédiaire de l'ange Gabriel. L'enfant fut circoncis et versa son sang pour nos péchés, et on l'appela Jésus c'est ainsi que Dieu l'avait prévu de toute éternité.

   La première fête et la plus grande qui fut jamais célébrée en l'honneur du nom de Jésus, eut donc lieu au printemps, lorsque le Père céleste envoya son Fils au sein de Marie avec le nom qu'il avait indiqué. À cette fête nul n'assistait sinon Jésus et Marie, ainsi que l'ange Gabriel, envoyé de Dieu pour la célébrer. Si grande que fut cette fête, en tant que principe de tout notre salut, elle demeurait cachée et ignorée du monde entier.

   La seconde fête eut lieu en hiver, lorsque Marie enfanta son Fils à Bethléem, la ville de David. À cette fête étaient présents Jésus, Marie et Joseph, tandis que les anges chantaient louange et gloire à Dieu, et paix à tous les hommes de bonne volonté. Les pasteurs vinrent adorer l'enfant et lui rendre hommage ainsi qu'à sa mère en grand respect.

   Cette fête a un jour octave le plus grand et le plus joyeux de tous, tel qu'il n'y en avait pas eu de figure dans l'Ancien Testament. Car Marie apporta son Fils pour qu'il fût circoncis, et pour qu'au monde entier fût manifesté ce nom qui lui avait été révélé par Dieu et par l'ange, et qu'elle avait caché dans son cœur jusqu'à ce jour. À cette fête étaient Jésus, Marie et Joseph, les juifs et les parents de Marie, qui donnaient la circoncision à l'enfant selon la loi et la coutume des juifs depuis le temps d'Abraham. L'enfant fut appelé Jésus, et ce nom est si glorieux et si grand, qu'il a rempli le ciel et le monde entier d'une nouvelle joie, qui ne périra jamais.

   Le Père nous a envoyé son Fils au printemps c'était le moment de l'année où il avait créé le ciel, la terre et toutes choses, moment où il voulut aussi tout restaurer et renouveler. En ce temps de l'année le soleil court dans le signe appelé Bélier, du nom de la bête qui engendre les brebis. Et Jésus n'est-il pas le père et le pasteur de ses brebis, nous ayant acquis et nous donnant le pâturage et la nourriture des aliments célestes, pour nous conduire ensuite dans le bercail de sa gloire ?

   Mais lorsque Jésus naquit et fut circoncis, c'était l'hiver, et en cette saison le soleil court dans le signe appelé Aquarius, c'est-à-dire, le Verseau. Et de fait Jésus est une source vivante de qui coulent et se répandent au ciel et sur la terre les eaux de sa grâce et de sa miséricorde. C'est pourquoi, lorsque Jésus reçut la circoncision et que son nom fut manifesté au monde entier, ce fut un renouvellement universel.

   Lors de la création du premier homme, toutes choses étaient nouvelles et ne faisaient que commencer, le ciel et la terre, le soleil et la lune, le temps, les années, les mois et les jours, les mouvements du ciel, des étoiles et des planètes. Mais lorsque Dieu lui-même se fit homme à Nazareth, en cette fleur blanche comme le lis qu'était Marie la Vierge toute pure, le monde entier, qui avait vieilli dans le péché, fut renouvelé. Et à sa naissance, une étoile nouvelle se leva en Orient et conduisit les trois mages à Bethléem où ils présentèrent des dons précieux et rendirent gloire et hommage à l'enfant et à sa mère.

   L'enfant fut circoncis, et son nom de Jésus lui demeura pour toujours. Et la sainte Église y a si grande joie, qu'elle fait commencer la nouvelle année, les nouveaux mois et les nouveaux jours à cette même date, ce qui ne se faisait pas auparavant. Ainsi pouvez-vous remarquer que Jésus dès sa naissance et sa circoncision réjouit la sainte Église, en se donnant lui-même avec son saint nom. Ce nom est une huile répandue qui a pénétré le monde entier de signes et de miracles, pour le salut de tous ceux qui l'invoquent et le désirent.

   Lorsque Jésus entra dans la trentième aimée de sa vie humaine, il fut baptisé par saint jean Baptiste dans le Jourdain. Saint jean dit alors : « Voici l'Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde (2) » Et la voix du Père se fit entendre dans les airs : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais (3) », tandis que le Saint-Esprit se montra sous la forme d'une colombe et rendit témoignage de cette vérité.

   Et Jésus baptisé des mains de saint jean sanctifiait les eaux par lui-même et il rendait honneur en cette figure à notre baptême né de ses eaux et de son sang précieux.

   À la même époque, une autre année, il changea l'eau en vin aux noces de Cana, ainsi que nous l'apprend saint jean, et les disciples en le voyant s'en réjouirent tous et crurent en lui.

   Une autre fois, mais toujours au même temps, il nourrit cinq mille hommes avec cinq pains d'orge et deux poissons.

   Néanmoins le premier jour où Dieu s'est fait homme demeure la principale fête de toute l'année, car ce jour-là est principe et terme de tout notre salut, et vous allez le comprendre.

   Au commencement, lorsque Dieu créa le monde, il institua une grande fête solennelle qui devait durer éternellement. Et c'est pour la célébrer qu'il établit des rois, des princes et de grands seigneurs, les anges dans le ciel et les hommes sur la terre. Leur office devait être de rendre grâces à Dieu, de le louer, de l'aimer et de l'adorer comme il le mérite : et ainsi régneraient-ils avec lui dans la béatitude éternelle, et toutes les créatures sans raison devaient être à leur service et leur être soumises selon l'ordre établi par la Sagesse divine.

   Lors de ce commencement de toutes choses un grand nombre d'anges s'enflèrent d'orgueil et voulurent dominer, contre l'honneur dû à Dieu ; mais au même moment ils furent précipités du ciel dans les ténèbres extérieures, c'est-à-dire dans ces péchés sans fin ni repentir, qui ne seront plus jamais pardonnés.

   Adam, le premier homme de notre race, fut aussi désobéissant, et parce qu'il renonça au service du Seigneur, il fut jeté hors du paradis en cet exil, comme s'il ne devait plus jamais contempler la face de Dieu, portant en lui et en sa descendance la peine de son péché selon la gravité de la faute et les exigences de la justice divine. C'est ainsi que nous sommes tous tombés en notre premier père dans le péché originel et sous la vengeance du Seigneur.

   Mais tout héréditaire que fût ce péché, il ne devait pas durer toujours pour ceux qui se repentaient et recherchaient de leurs désirs la grâce auprès du Seigneur ; car il devait se passer plus de cinq mille ans avant que Dieu se fît homme, et pendant ce temps il y eut beaucoup de saints qui plaisaient à Dieu et menaient une vie vertueuse : des patriarches et des prophètes, comme David, Abraham, Isaac et Jacob, Moïse et bien d'autres grands prophètes et saints personnages, qui prophétisèrent ce qui s'est passé et ce qui devait arriver depuis le commencement du monde jusqu'au dernier jour. Ils prédirent d'avance la venue du Seigneur, sa vie, ses œuvres, sa passion et sa sainte mort, et toutes ses souffrances, avec clarté et précision ; sa résurrection, son ascension, la descente du Saint-Esprit, et pour le dernier jour le jugement de Dieu. Quant aux pratiques de la sainte chrétienté, ils les accomplissaient sous des symboles et des figures. Ils payaient la dîme et tous les prémices de leurs fruits en l'honneur de Dieu. Abraham et sa race furent circoncis en figure de notre baptême. Moïse établit un tabernacle à la gloire de Dieu ; il constitua des prêtres selon la volonté du Seigneur et ordonna les sacrifices, prescrivant la manière et le cérémonial qu'il fallait suivre dans le service de Dieu en son tabernacle, selon les préceptes divins, en figure de la sainte Église où désormais l'on sert Dieu. David et Salomon construisirent un temple à Jérusalem pour y servir Dieu, en figure de la sainte chrétienté.

   Maintenant comprenez-moi bien et faites attention, afin que toutes les figures d'alors et la vérité qui est maintenant soient unies en une seule loi chrétienne. Il nous faut remarquer avec soin que les enfants d'Israël, nés de la race d'Abraham, eurent à subir, dans la terre d'Égypte, de durs traitements et un grand mépris.

   Lorsque vint le temps où Dieu voulait les délivrer, il envoya Moïse en Égypte, et lui dit d'ordonner de la part de Dieu à tout le peuple d'Israël, qu'en chaque maison et famille fût immolé un agneau mâle, âgé d'un an, que l'on devait rôtir et manger debout, le bâton à la main, afin d'être prêt à suivre Moïse dans le désert. Ce fut la première Pâque célébrée dans le monde et la figure de la nôtre. Cette nuit-là même un ange, envoyé de Dieu, mit à mort tous les premiers-nés d'Égypte tant des hommes que des animaux ; et Moïse fit passer son peuple à pied sec à travers la mer, pour le conduire au désert ; et le roi Pharaon voulant le suivre, fut englouti avec toute son armée dans la mer Rouge. Cinquante jours après, Moïse reçut sur le mont Sinaï la loi des préceptes, écrite sur deux tables de pierre par le doigt de Dieu. Durant quarante ans le peuple vécut dans le désert d'un pain céleste que Dieu leur donna. Puis ils vainquirent tous leurs ennemis et prirent possession de la terre que Dieu avait promise à Abraham et où coulaient le lait et le miel.

   Ensuite comme le dit saint Paul : « Lorsque vint la plénitude des temps, que Dieu avait fixés de toute éternité, le Père céleste envoya son Fils en ce monde, né de la race de David et d'Abraham selon l'humanité (4) » et il fit sortir son peuple de l'Égypte, c'est-à-dire, des ténèbres des ennemis et du péché pour le conduire dans ce désert, où nous vivons nous-mêmes d'un pain céleste. Jésus, en effet, lorsqu'il eut trente-trois ans écoulés depuis le jour où il avait pris l'humanité (ainsi compte-t-on ses années dans les chartes, les lettres et tous les contrats) Jésus réunit ses disciples sur la montagne de Sion et mangea avec eux l'agneau pascal selon la loi juive, et ensuite il se donna lui-même dans le Sacrement comme vivant agneau pascal, dûment rôti dans le feu de l'amour. Le jour suivant ce saint agneau fut torturé, mis à mort et comme rôti sur la croix pour nos péchés, afin qu'il fût bien à notre goût. Et ainsi nous a-t-il conduits à travers la mer Rouge de sa passion, de sa mort et de son précieux sang. Là tous nos péchés et tous nos ennemis ont été engloutis et mis à mort dans la mer Rouge, c'est-à-dire, dans sa mort et l'effusion de son sang précieux : si nous le suivons dans le désert de sa grâce, il nous donnera en nourriture la manne céleste de son corps et le glorieux breuvage de son sang. Et ainsi il est mort par amour à cause de nos péchés et il est ressuscité dans sa gloire et c'est pourquoi si nous mourons au péché, nous pouvons vivre en lui par les vertus et avec lui mourir et ressusciter glorieusement en notre âme et notre corps.

   Le quarantième jour après sa résurrection le Seigneur est monté au ciel, où il a préparé une place dans sa gloire pour ceux qui le servent. Dix jours plus tard Jésus envoya son Esprit Saint à ses disciples et à nous tous qui vivons de sa vie ; et il demeurera avec nous comme notre vie, notre enseignement, notre loi dans la charité. Et il fait couler pour nous le miel et le lait, c'est-à-dire, la douceur et la pureté, jusqu'au dernier jour, alors que Jésus viendra juger les vivants et les morts, c'est-à-dire, les bons et les mauvais.

   En ce jour-là Saturne, la planète terrible, régnera sur tout le monde, lorsque Jésus viendra avec les anges et les saints juger selon la justice et sans merci tous ceux qui n'auront pas vécu pour lui et seront morts en péché mortel. Les cieux s'ébranleront, la terre tremblera et toute créature frémira à l'approche de la justice divine. Les pécheurs souhaiteront que les montagnes et la terre s'entr'ouvent, afin de s'y cacher devant la face terrible du Seigneur.

   Maintenant c'est le temps opportun, où tous les hommes doivent en toute justice craindre le dernier jour, abandonner le péché et poursuivre la grâce de leurs désirs, partout où on peut la rencontrer. Actuellement Jésus-Christ est tout prêt à donner sa grâce à quiconque abandonne le péché et se convertit à la vertu et à la vérité. Votre crainte ne doit donc pas être trop excessive, car la crainte désordonnée engendre la défiance et le désespoir : et c'est là un grand péché mortel, car la source en est un fond mauvais et pernicieux, qui s'oppose au Saint-Esprit.

   Voilà ce que nous enseignent la nature du ciel et le cours des planètes ; car tout ce que Dieu a fait dans la nature et dans la grâce est en tout bien ordonné : et c'est ainsi que la plus élevée des étoiles du ciel, Saturne, préside à l'hiver ; elle est mauvaise, néfaste, impitoyable, froide et sèche, ne fait produire aucun fruit ; elle engendre l'orgueil, la colère, la haine et l'envie chez tous les hommes qui, en dehors de la grâce, vivent simplement selon la nature.


CHAPITRE XXXVII

DE LA PLANÈTE JUPITER ET DE SA SIGNIFICATION
MYSTIQUE. - DES ANGES ET DES HOMMES. - DES QUATRE
ESPÈCES D'HOMMES MAUVAIS ; DES FILS DE DIEU ET DE
CEUX DE LA NATURE.

   Vient ensuite la planète plus proche, que Dieu a créée, et qui est Jupiter. Elle préside au printemps et elle est d'une blancheur éclatante et claire, chaude et humide ; elle rend fécondes toutes les créatures, elle est gracieuse et bienfaisante, utile à toutes choses et ne nuisant à aucune. Il faut remarquer que ces deux planètes si opposées entre elles par leur nature et leur influence, ont cependant leur utilité et leurs bons effets, chacune en son temps ; car toutes les créatures sont parfaites, en accomplissant leurs opérations, selon l'ordonnance établie par Dieu.

   Au commencement Dieu a créé deux natures pour le louer, l'une au ciel et l'autre sur la terre ; et tous ceux qui leur appartenaient étaient nobles, libres et parfaits selon leur nature ; ils mettaient en Dieu leurs complaisances et ils avaient la connaissance du bien et du mal, et Dieu leur avait donné le pouvoir et le libre arbitre pour choisir et faire ce qu'ils aimaient le mieux. Ceux qui mettaient leurs complaisances en eux-mêmes et s'aimaient d'un amour désordonné, désobéirent à Dieu et le, rejetèrent, lui et sa grâce, méprisant sa volonté et refusant de le servir ils tombèrent du ciel comme des éclairs de feu, et leur péché dure à jamais, sans possibilité de repentir, puni des peines de l'enfer. Ceux, au contraire, qui en toute liberté de volonté rendaient gloire à Dieu, l'aimaient et l'adoraient, reçurent la grâce et la gloire ; et ils demeurent fixés pour l'éternité devant la face du Seigneur, chacun en son ordre, de plus en plus haut, selon la noblesse de sa nature, le mérite de son service, et la grandeur de ses œuvres.

   Le premier homme de notre race fut désobéissant, par mépris de Dieu, de sa volonté et de son commandement ; et c'est pourquoi il fut jeté hors du paradis ; mais son péché ne devait pas durer toujours, car il rentra en grâce et nous tous avec lui, pourvu que nous recherchions par repentir et bonne volonté le pardon de nos péchés.

   Quatre espèces de péchés règnent aujourd'hui dans le monde : ceux qui s'y adonnent pendant leur vie et meurent en cet état seront tous damnés. La première catégorie de pécheurs se compose des païens, des juifs et des mauvais chrétiens, qui soutiennent des choses contraires à la commune foi chrétienne en quelque point. La deuxième est propre à ceux qui volontairement et sciemment vivent en péché mortel contre les préceptes divins et sans conformité avec la sainte chrétienté. La troisième espèce ce sont les hommes dissimulés et hypocrites, qui sans avoir de vertu intérieure font montre au dehors d'une apparence de sainteté, non pas pour Dieu, mais en vue de choses périssables. La quatrième espèce comprend ceux qui servent non par amour, mais pour eux-mêmes et en vue de leur propre gain : ce sont des mercenaires et des serviteurs à gage.

   Celui qui sert Dieu pour un motif qui n'est pas Dieu même, n'aime pas Dieu ; celui qui veut toujours avoir et jamais donner, n'est ni sage ni bon. Celui qui aime Dieu trouve dans cet amour son contentement : il ne désire rien d'autre. Servir Dieu c'est aimer Dieu, et celui qui sert Dieu pour quelque gain ou pour quelque avantage, n'aime pas Dieu, car le véritable amour ne cherche pas son propre intérêt. Celui qui s'aime lui-même ou quelque créature plus que Dieu, n'aime pas Dieu, car celui qui se cherche et se poursuit toujours lui-même en toutes choses, agit selon la nature et par un orgueil secret, même si lui-même l'ignore. Ce qui est né de la chair est chair et nature charnelle, et ne peut voir Dieu ni le trouver. Mais l'esprit qui est né de Dieu, s'élève au-dessus de la nature, de la chair et de toutes choses, il voit Dieu et trouve son royaume caché en lui-même.

   Voyez, c'est ainsi que les fils selon la nature s'opposent à ceux qui sont nés de Dieu. ; car la nature sans la grâce est comme une bâtarde ; mais les enfants qui sont nés de Dieu sont les héritiers légitimes du royaume de Dieu.

   Comprenez-vous maintenant qui sont les enfants selon la nature ? Ce sont tous ceux qui sont soumis aux éléments et demeurent sous l'influence du cours des cieux et des planètes ; mais les fils qui sont nés de Dieu dominent la nature et sont affranchis de ces influences des cieux et des planètes, et toutes choses leur sont soumises.


CHAPITRE XXXVIII

COMMENT DANS LA NATURE DES HOMMES ON DISTINGUE
SEPT SORTES DE TEMPÉRAMENTS ET PREMIÈREMENT DES
FILS DE SATURNE.

   Dans la nature des hommes on peut distinguer sept sortes de tempéraments, qui sont reçus à la naissance, sous l'influence des sept planètes, dont on porte ensuite la ressemblance. Ces planètes dominent, en effet, notre nature, mais non pas notre esprit qui, par la grâce, est né de Dieu et élevé au-dessus de la nature.

   Les fils de Saturne, la plus élevée des planètes, en portent la ressemblance dans leur nature ; car ils n'ont que froideur vis-à-vis de l'amour, sécheresse, stérilité de vertus, mauvaise volonté, méchanceté et malice ; ils sont sans clarté ni beauté, adonnés à leur propre volonté et remplis de superbe. Et lors qu'ils veulent devenir spirituels, ils ne savent ordonner leurs craintes, leurs soucis et l'anxiété qu'ils ont d'être damnés ; car ils ne recherchent et n'aiment qu'eux-mêmes et seulement leur propre intérêt, selon les goûts de la nature. Et c'est pourquoi leur volonté est froide, leur zèle et leur sens spirituel sans ferveur ; ils sont souvent comme froids et humides, c'est-à-dire sans goût ni ferveur divine, foncièrement inquiets de nature, toujours sous le poids de doutes et de craintes vaines ; car leur vie est une sorte d'hiver, sous le signe de Saturne. Cette planète est froide et sèche, dès le commencement de son cours, comme une corne de bouc ; froide et humide à son déclin, lorsqu'elle entre dans le signe du Verseau, générateur de pluie et de neige, de grandes inondations et de maint ravage. C'est pourquoi ces hommes doivent détester et mépriser le triste tempérament qu'ils ont reçu en naissant ; il leur faut renoncer à leur volonté et à leur jugement propre, ainsi qu'à une crainte désordonnée de la justice divine ; ils doivent fermer les yeux vis-à-vis de la justice de Dieu, et n'avoir pour le Saint-Esprit et sa grâce, ni dédain, ni défiance ; car la défiance est un péché d'enfer que Dieu déteste plus que tout autre péché. Ils doivent avoir foi en la sainte Écriture, toute remplie de consolation céleste, et croire que le Christ est mort pour tous les pécheurs, sans aucune exception, se soumettre enfin aux gens de bien et les croire plus qu'eux-mêmes : alors ils ouvriront leur cour et toutes leurs puissances, désireux de recevoir la grâce divine.


CHAPITRE XXXIX

DE JUPITER ET DE SES FILS.

   La deuxième planète s'appelle Jupiter, et à la différence de la première elle est de nature chaude et fraîche, blanche et claire, douce et suave comme du lait. Jupiter préside au mois de février, quand le soleil se trouve dans le signe qui s'appelle les Poissons. Le soleil alors monte au zénith, l'air se réchauffe et les eaux se répandent, tandis que les poissons, qui pendant le froid de l'hiver dormaient en groupe, nagent gaiement. Cette planète est gracieuse et plaisante, elle a d'heureux effets sur toutes les créatures qui sont sur terre, et ceux qui sont nés sous son signe lui ressemblent, c'est-à-dire qu'ils ont l'ardeur des bons désirs, la fraîcheur des bonnes œuvres extérieures, la beauté et la blancheur d'une vie aimable, humble, douce et bienfaisante, joyeuse, sociable et aisée de rapports, polie, attirante et de nature affectueuse.

   Remarquez toutefois que si la naissance corporelle est noble et bonne, elle est cependant chair et sang, et non point sagesse éternelle ni prudence ; car par elle-même elle ne se range pas du côté de Dieu, de son royaume et des biens éternels, mais elle poursuit, choisit et aime dans le monde ce qui passe et ce qu'elle devra perdre. Ceux, au contraire, qui se renoncent eux-mêmes, meurent au monde et au péché, et abandonnent toutes choses, reçoivent de Dieu nouvelle naissance et deviennent pleins de grâce, de richesse et de joie, et avec les saints et les anges ils sont héritiers de la gloire divine.


CHAPITRE XL

DE MARS ET DE CEUX QUI SONT NÉS SOUS SON SIGNE.

   La troisième planète venant d'en haut s'appelle Mars ; c'est un astre chaud et sec, mauvais, nuisible et malfaisant, qui ressemble en beaucoup de points à Saturne. Les hommes qui sont nés sous ce signe sont secs de nature, passionnés, impatients, inquiets, peu sociables, sans amis, ne faisant du bien qu'à ceux qui leur semblent être des amis et leur faisant du bien à eux-mêmes. Ils sont emportés et mauvais de caractère, impatients par nature, susceptibles, irritables, vite courroucés, amers, lents à pardonner, désireux de vengeance, facilement troublés, durs en paroles ils pensent toujours avoir raison, car un orgueil aveugle se cache en eux.

   Lorsque ces hommes veulent être dévots, ils prennent des manières extérieures pour plaire aux autres ce sont de grandes œuvres de pénitence peu communes aux hommes de bien, un silence affecté, ou une recherche de paroles sublimes. S'ils sont subtils de nature, ils jugent tous les autres hommes de bien et condamnent ceux qui n'aiment pas leur genre de sainteté. Voyez, ce sont là d'orgueilleux hypocrites, incapables de recevoir la grâce divine. Pourtant ce qui est impossible aux hommes est encore possible au Dieu tout-puissant.


CHAPITRE XLI

DU SOLEIL ET DE CEUX QUI SONT NÉS SOUS SON SIGNE.

   Le quatrième astre qui paraît en suite au ciel, est le soleil, qui occupe le centre de tous les autres et leur est commun. Il est brillant et clair, de couleur d'or, sec et ardent quand il se trouve en son signe qui est le Lion, au milieu de l'été. Il tire sa lumière de lui-même et il éclaire les trois planètes qui sont au-dessus de lui et les trois qui sont au-dessous, ainsi que toutes les créatures au-dessus et au-dessous. Il fait germer les fruits, et il donne la vie, la croissance et la maturité ; il est l'œil et la lumière du monde et la source vivante de toute clarté et de toute chaleur ; et sans lui aucun fruit ne peut croître, ne donner de saveur ni de profit. Il fait pour nous le jour et la nuit, l'été et l'hiver ; il est huit fois plus grand que la terre ; il éclaire toutes les étoiles mais pendant le jour, lorsque le soleil lui-même brille et luit dans toute sa clarté, nous ne pouvons pas les apercevoir. Il fait mal aux yeux infirmes et pour ceux qui sont sains il est agréable à voir.

   Ses enfants, c'est-à-dire ceux qui sont nés sous son signe, participent à sa clarté, à son éclat et à sa beauté : ils sont sobres, mesurés dans le manger et le boire, réservés dans toutes leurs manières, sachant vaincre les désirs désordonnés ; ils ont de l'ardeur dans le sang, sont intrépides et hardis, courageux comme le lion qui est le prince et le roi de tous les animaux sauvages ; et c'est de même que le soleil est roi et prince de tout ce qui vit et croît dans la nature. Ces hommes se montrent prêts et disposés à rendre service à tous ceux qui ont besoin d'eux, surtout à ceux qui en sont plus dignes ; car ils désirent tout ce qui est bon et bien ordonné, et ils sont doux et humbles de tempérament et de nature. Ils aiment le jour de la vertu et de la vérité, et ont en horreur la nuit des péchés et du mal. Ils sont joyeux d'esprit, généreux de cœur, polis, aimables et bienveillants dans la conversation ; souvent ils sont aimés des grands et atteignent un rang élevé. Ils sont dociles, habiles et sages pour comprendre la vertu et la vérité, et par nature ils sont aptes à recevoir la grâce divine.


CHAPITRE XLII

DE VENUS ET DE CEUX QUI NAISSENT SOUS SON
SIGNE.

   Au-dessous du soleil il y a une cinquième planète qui s'appelle Vénus. Elle est très brillante, claire et aux reflets lumineux, sèche et froide de nature. Elle se nomme aussi Lucifer, c'est-à-dire qui porte la lumière, parce qu'elle se lève à l'aurore, et se montre lumineuse et claire, et le soleil la suit ; c'est pourquoi on l'appelle encore l'étoile du matin. Mais le soir, comme elle suit le soleil, elle est appelée Vesperus ou Hesperus, c'est-à-dire l'étoile du soir ; Vénus est la plus brillante des étoiles.

   Elle est bienveillante, douce et bienfaisante. Elle arrête et tempère la malice de Saturne et tout autre maléfice des planètes. Elle brille lorsque le soleil court dans le signe du Taureau, et aussi lorsqu'il se trouve dans la Libra, c'est-à-dire la balance, au mois de septembre.

   Elle adoucit durant sa course la colère et l'envie ; elle fortifie et confirme l'amour et la fidélité chez tous les hommes, autant que son pouvoir naturel le permet. Les enfants nés sous son signe ressemblent en beaucoup de points aux fils de Jupiter. Ils sont brillants, clairs, gracieux et d'aspect joyeux, aimables, distingués et libres dans leurs manières, d'un naturel bouillant et plein d'humeur, ce qui les rend facilement impurs et gourmands, inclinés vers tous les plaisirs désordonnés et les désirs des sens. Ils craignent la haine et l'envie, et autant qu'ils le peuvent, ils établissent la paix et la concorde entre les hommes.

   Cependant, malgré qu'ils soient nobles et bons de nature, et bien ordonnés selon le monde et aux yeux des hommes, ils ne peuvent pas plaire à Dieu sans la grâce. Ils sont nés à l'aurore et ils ont reçu le tempérament de l'étoile du matin ; car ils ont ouvert leurs yeux sensibles à la lumière du soleil et du ciel, et ils vivent selon les penchants des sens ; car ils sont chauds et ardents. C'est pourquoi ils aiment le monde avec tout ce qu'il contient. À cause de cela ils sont aveugles d'esprit et l'œil de leur intelligence ne peut recevoir la lumière de la grâce.

   L'étoile du matin précède la lumière du soleil et le jour qui éclaire le monde. Ceux qui, jeunes et pleins de santé, servent le monde sans crainte ni conscience, sont joyeux de cœur et font tout ce qu'il leur plaît. Ils chantent et dansent et cherchent comment passer le jour jusqu'au soir.

L'étoile du soir se couche : elle suit toujours le soleil.
Ses fils disparaissent à leur tour :
ceux qui meurent en péché mortel
restent éternellement enchaînés.
Plus jamais ils ne verront de jour joyeux ;
être damné, tel est leur sort.
À vous bien observer vous-même, vous avez sagesse :
la prudence intérieure est utile à tout.


CHAPITRE XLIII

COMMENT LA NATURE INCLINE VERS LES VICES ET
COMMENT ON PEUT LES EXPULSER ET OBTENIR LA GRÂCE.


   La nature fait connaître à l'homme le péché. Verser le sang pour le péché était une coutume de la loi juive. Prière intime, pénitence constante et ferme confiance en Dieu, voilà qui peut expulser les péchés, obtenir la grâce et donner à l'homme l'union avec Dieu. Nous en sommes instruits par notre nature, par les figures de la loi juive et surtout par la Sainte Écriture.

   Que la nature nous fasse connaître le péché, c'est ce que l'on peut observer lorsque le soleil entre en conjonction avec la planète Vénus, dans le signe appelé le Taureau, qui est un animal impur et de nature impétueuse. Quand cette conjonction a lieu au mois d'avril, ce temps de l'année est chaud et humide, et toutes les créatures se réjouissent de l'été qui approche. La terre se couvre de verdure et de plantes multiples, les arbres donnent des feuilles et des fleurs ; les poissons nagent dans les eaux avec entrain ; les oiseaux volent dans les airs et chantent.

   Tous les êtres de la nature sont dans la joie à l'approche de l'été et les hommes qui sont pleins de santé, de chaleur et de gaieté, se sentent aisément enclins au péché. C'est pourquoi Dieu avait ordonné aux juifs d'immoler, de brûler et d'offrir à Dieu des taureaux, des boucs et des béliers, tous animaux impurs et fétides. Et la sainte Église nous ordonne au nom de Dieu de faire pénitence en cette époque de l'année, de jeûner, de veiller et de prier pendant quarante jours pour nos péchés passés, présents et futurs. Moïse jeûna durant quarante jours sur le mont Sinaï sans manger ni boire, afin de se rendre digne de recevoir la loi divine. Le prophète Élie jeûna lui aussi quarante jours, après lesquels il fut conduit dans un char de feu jusqu'au paradis terrestre. Jésus-Christ jeûna à son tour dans le désert durant quarante jours et quarante nuits pour nos péchés ; et ensuite il choisit ses disciples et leur apprit par sa vie à jeûner, à veiller et à prier, en même temps qu'à pratiquer la pauvreté, la sobriété et la pureté. Après son Ascension ses disciples vécurent et enseignèrent de la même façon, et ainsi agit la sainte Église dès son berceau, ainsi que tous les ordres religieux. Mais maintenant cette grâce première s'est bien refroidie : car dans tous les ordres religieux l'on mange et l'on boit volontiers ce qu'il y a de meilleur, ce qui coûte le plus cher et ce qui plaît davantage. L'on s'habille comme dans le monde, d'étoffes de laine et de couleur, si l'on peut s'en procurer. Malgré l'apparence de réguliers, l'on n'a plus la règle des apôtres. Qu'ils les suivent dans la gloire de Dieu, les saints Évangiles n'en témoignent nullement.

   Nous recevons encore du ciel un enseignement, lorsqu'en septembre la planète Vénus entre en conjonction avec le soleil dans le signe appelé la Balance. À cette époque de l’année la terre est riche, toute couverte de froment et de vignes et de tout ce qui est nécessaire à notre nature : c'est un effet de l'amour de Dieu qui l'emporte sur toutes choses et qui donne à ses serviteurs pleine abondance.


CHAPITRE XLIV

DE LA QUADRUPLE BALANCE DE L'AMOUR DE DIEU, ET
PLUS SPÉCIALEMENT DE LA PREMIÈRE.

   La noble balance de l'amour de Dieu se divise en quatre modes distincts, que Dieu a ordonnés, bénis et sanctifiés pour sa gloire et notre salut éternel.

   Le premier mode, c'est-à-dire la première balance d'amour qui ait jamais été employée, nous révèle que Dieu nous a tirés du néant, et qu'il s'est donné lui-même à nous avec tout ce qu'il a fait. Cet amour, qui est Dieu, est commun à nous tous, et particulier et tout entier à chacun de ceux qui aiment. Cet amour est un, au-dessus et en dehors de tout nombre ; il est éternel, au-dessus et en dehors de tout temps, au-dessus de toute mesure et sans mesure, et il est un pur esprit, en dehors de tout bien. Voyez, c'est là la noble balance de l'amour, qui nous a donné Dieu et tout ce qui est en son pouvoir : et c'est pourquoi nous devons abandonner et quitter toute chose, si nous voulons répondre à la balance du plus haut amour.

Car amour est un flot jaillissant
et il s'élève au-dessus de toute vertu :
son action est un brasier ardent
qui tout brûle dans l'âme aimante.

   Il est de la nature de l'amour de donner et de prendre sans cesse ; mais il est lui-même un être inactif. Donner et prendre sont éternellement distincts dans l'exercice de l'amour.

   Telle est la plus haute balance d'amour que nul étranger ne peut connaître, ni ressentir, ni imaginer.



(1) Dans l'antiquité on commençait la nouvelle année au mois de mars : le dixième et onzième mois correspondent donc à décembre et janvier.
(2) JOA. I, 19.
(3) MATTH., III, 17.
(4) Gal. IV, 4.



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