QUE L'ÉCLAT DE SA RENOMMÉE ATTIRA A LUI PLUSIEURS PERSONNAGES ILLUSTRES DANS LE MONDE ET LES LETTRES,
PARMI LESQUELS D. J . THAULÈRE THÉOLOGIEN INSIGNE.
Comme ses écrits et la sainteté de sa vie propageaient sa renommée dans les régions extérieures, beaucoup de puissants et de nobles, de l'un et l'autre sexe, beaucoup de docteurs et de clercs, jeunes gens et vieillards, vinrent en foule vers lui. A tous, sans nulle préméditation, il donna des conseils et des exhortations si opportuns et si salutaires, qu'on aurait dit que longtemps auparavant il avait été avisé de leur venue. Beaucoup d'hommes remarquables de Flandre, de Strasbourg, de Bâle et principalement des autres villes du Rhin vinrent à lui, désireux de le voir, et ces personnages jouissaient d'une haute estime et étaient élevés en dignité.
D. Jean Thaulère.
Parmi eux, l'un des principaux fut un certain docteur théologien, de l'ordre de St-Dominique, du nom de Jean Thaulère, très célèbre tant à cause de sa rare érudition que de sa grande sainteté de vie. Celui-ci, visitant fréquemment J. Rusbroch, l'eut en grande vénération. Ses écrits, dans lesquels on peut remarquer bien des points empruntés, sans aucun doute, au vénérable Rusbroch, attestent combien il progressa auprès de lui dans la connaissance de la vie intérieure et contemplative. Comparaison de Thaulère et de Rusbroch. Bien qu'il fût en effet doué d'une plus grande connaissance de la Théologie (qu'on appelle) scolastique, que Rusbroch, il lui était bien inférieur dans la Théologie mystique et dans la vie conternplative. Ce qui cependant ne doit pas paraître étonnant, puisque Thaulère s'adonna enfin à la contemplation, lorsqu'il était déjà quinquagenaire, et mourut peu d'années après ; tandis que Rusbroch presque dès l'enfance, se consacra à cette vie, ayant été prévenu d'une grâce singulière du Saint Esprit, et persévéra en elle jusqu'à la quatre-vingt-huitième année de son âge, non sans un merveilleux progrès quotidien. Une femme, qui jouissait d'une très grande autorité, avait coutume de venir,
fréquemment visiter le saint homme, faisant deux milles, pieds nus, (pour ce pieux pélerinage). Elle fut enfin, par lui, confirmée dans le mépris du monde et l'amour de Dieu, à tel point, qu'abandonnant toutes ses richesses et tous ses biens, elle se rendit à Cologne et embrassa la vie monastique dans l'ordre des Clarisses, où les religieuses de ce monastère avec lesquelles elle persévéra constamment et religieusement jusqu'à sa dernière heure, rendent même encore témoignage de ses progrès dans les vertus. Une autre femme, vouée au Christ, fut disciple de ce saint Père : Elle était tourmentée d'une grave maladie corporelle, et sous le coup d'une grande affliction de l'âme, comme si elle eût été abandonnée de Dieu et, ne pouvant visiter l'homme vénérable, elle désirait vivement sa présence.
Lorsqu'il fut venu, elle s'informa de ce qu'elle devait faire, et comme elle ajoutait qu'elle ne pouvait déjà plus secourir les infirmes, ni même se livrer aux exercices de la dévotion intérieure, le Prieur lui répondit : Ma fille, soyez persuadée que vous ne pouvez offrir à Dieu un sacrifice plus agréable, que de vous soumettre pleinement à sa volonté, et de vous efforcer de lui rendre grâces en toutes choses, en abdiquant la volonté propre... Cette matrone fut tellement ranimée par ces paroles, que dans la suite elle supporta, non seulement avec patience, mais même volontiers, pour l'amourdu Christ, toutes les adversités.
Un autre jour deux clercs parisiens vinrent voir le saint homme, désireux d'entendre quelque parole de sa bouche, capable de les porter à l'amour de Dieu. Il leur répondit ce peu de mots : Vous êtes aussi saints que vous le voulez.
Apophtegme de Rusbroch.
Comme ils n'avaient pas compris ces paroles, ils se retirèrent scandalisés ; et en l'absence de l'homme de Dieu, ils rapportèrent, dans le trouble de leur âme, les paroles qu'ils avaient entendues de lui aux autres Frères. Ils pensaient en effet que ceux-ci se moqueraient de lui. C'est pourquoi les Frères ramenèrent (les deux clercs) auprès du Prieur, le suppliant de leur expliquer le sens de ses paroles. Le Prieur se laissant aisément persuader, dit aux Clercs : Ne vous ai-je pas dit la vérité, mes bien-aimés en vous affirmant que vous êtes aussi saints que vous le voulez ? Et c'est en vérité ainsi que je le pense : Votre sainteté, en effet, est aussi grande que la bonté de votre volonté. Considérez donc vous-mêmes combien bonne est votre volonté, et vous saurez la mesure de votre sainteté.
Car chacun est saint, en effet, suivant sa bonté d'âme. Ayant écouté ces paroles, ils se retirèrent profondément édifiés.
