Vous êtes sur le site de livres-mystiques.com ©




Tome I - Livre 1 – Chapitres 1 - 60

P.1 à 203

Révélations Célestes de Sainte Brigitte de Suède
Apparitions, extases et locutions approuvées par trois papes et par le concile de Bâles,



INDEX: Chapitre 12345678910111213141516171819 2021222324252627 2829303132333435363738 39 4041424344454647484950 51525354555657585960

 

Chapitre 1

 

Comment Notre-Seigneur Jésus-Christ certifie sa très-excellente incarnation ; en quelle manière il improuve ceux qui profanent et faussent la foi et le baptême, et en quelle sorte il invite son épouse bien-aimée à le chérir.

 

JE suis le créateur du ciel et de la Terre, un en déité avec le Père et le Saint-Esprit, je suis celui qui parlait aux patriarches et aux prophètes et celui qu'ils attendaient. C'est pour accomplir leurs désirs, selon ma promesse, que j'ai pris la chair humaine sans péché ni concupiscence, entrant dans les entrailles de la Vierge comme un soleil resplendissant passe par la vitre pure et transparente. En effet, comme le soleil, en passant par la vitre, ne l'offense pas, de même la virginité de Marie n'a été
ni lésée ni offensée, quand j'ai pris d'elle mon humanité. Or, j'ai pris l'humanité de telle sorte que je n'ai pas laissé la divinité.

Et bien que je fusse dans le ventre de la Vierge avec l'humanité, je n'étais pas moindre en déité avec le Père et le Saint-Esprit, conduisant et emplissant toutes choses, d'autant que, comme la splendeur ne se sépare jamais du feu, de même ma déité ne s'est jamais séparée de l'humanité, pas même dans la mort. D'ailleurs, j'ai voulu que mon corps, pur de tout péché, fût déchiré pour les péchés de tous, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, et qu'il fût attaché et cloué sur la croxs. Certes, il est maintenant immolé tous les jours sur l'autel, afin que l'homme m'aime davantage, et se ressouvienne plus souvent des bienfaits et des faveurs dont je l'ai comblé. Mais maintenant, je suis oublié de tous, négligé, méprisé, et chassé de mon propre royaume comme un roi à la place duquel le larron pernicieux (le diable) est élevé et honoré. Enfin, j'ai voulu que mon royaume fût en l'homme, et je devais à bon droit être son Roi et son Seigneur, puisque je l'avais créé et racheté.

 

Or, maintenant, il a enfreint et profané la foi qu'il m'avait promise au baptême, violé et méprisé les lois que je lui avais données ; il aime sa propre volonté et dédaigne de m'ouïr ; en outre, il exalte le diable, ce pernicieux larron, et il lui a donné sa foi. Il est vraiment larron, attendu qu'il me ravit, par ses suggestions mauvaises et par ses fausses promesses, l'âme que j'avais rachetée de mon sang. Il ne me la ravit pas parce qu'il est plus puissant que moi, puisque je suis tellement puissant que je puis tout par ma parole, et je suis si juste que, quand bien même tous les saints me supplieraient, je ne
ferais rein qui serait tant soit peu contraire à ma justice ; mais il me la ravit d'autant que l'homme, doué du libre arbitre, cède au diable, ayant méprisé mes commandements : il est donc juste et raisonnable que l'homme expérimente sa tyrannie. Car le diable a été créé bon après moi ; mais tombant par sa mauvaise volonté, il m'est comme serviteur pour la vengeance des méchants.

 

Or, bien que je sois si méprisé maintenant, néanmoins, je suis si miséricordieux, que quiconque demandera ma miséricorde et s'humiliera, je lui pardonnerai tout ce qu'il aura commis, et l'affranchirai et le délivrerai de ce larron pernicieux ; mais celui qui persistera à me mépriser, je le visiterai en ma justice, de telle sorte qu'il temblera de peur à ma voix ; et quiconque l'expérimentera dira : Malheur ! pourquoi a-je donc provoqué la Majesté divine à l'ire et à l'indignation ?

 

Or, vous, ma fille, que j'ai choisie pour moi, et avec qui je parle de mon Esprit, aimez-moi de tout votre coeur. non pas comme un fils ou une fille, ou bien comme les parents aiment leurs enfants, mais plus que tout ce qui est au monde ; car moi, qui vous ai créée, je n'ai pardonné à aucun de mes
membres pour l'amour de vous, et j'aime tellement votre âme que j'aimerais mieux encore être crucifié une autre fois, si c'était possible, que de m'en priver.

Imitez mon humilité ; car moi, qui suis le Roi de gloire et le Roi des anges, j'ai été revêtu de vieux haillons et attaché nu à la colonne. J'entendis tous les opprobres, toutes les calomnies qu'on vomissait contre moi. Préférez ma volonté à la vôtre, car ma Mère, votre Dame, depuis le commencement de sa vie jusqu'à la fin, n'a jamais fait autre chose que ce que je voulais.

 

Si vous faites cela, votre coeur sera dans mon coeur et sera enflammé de mon amour ; et comme ce qui est sec et aride est facilement enflammé par le feu, de même votre âme sera remplie par moi, et je serai en vous, de sorte que toutes les choses temporelles vous seront amères, et toute volupté charnelle vous sera comme un poison.

Vous vous reposerez dans les bras de ma divinité, où il n'y a aucune volupté charnelle, mais où il y a joie et délectation d'esprit ; car l'âme qui se remplit de joie intérieurement et extérieurement, ne pense ni ne désire autre chose que la joie dont elle tressaille. Aimez-moi donc tout seul ; et vous
aurez à foison tout ce que vous voudrez.

Eh quoi ! n'est il pas écrit que l'huile de la veuve ne défaillit point ? que Notre-Seigneur a donné de la pluie à la terre, selon la parole du Prophète ? Or, je suis le vrai Prophète. Si vous croyez à mes paroles et les accomplissez, l'huile, la joie, l'exultation ne vous manqueront jamais.

 

Chapitre 2

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à sa fille prise maintenant pour épouse. Il traite des vrais articles de la foi, et quels sont les ornements, les signes et les volontés que l'épouse doit avoir en comparaison de l'Époux.

 

Je suis le Créateur du ciel ; de la terre, et de la mer, et de tout ce qui y est renfermé, un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit (ego et Pater unum sumus. Joan.10.30), non pas comme on disait autrefois, dieux de pierre et d'or, mais un Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ; trine en personnes et un en substance; créant toutes choses et n'étant créé par aucune ; immuable et tout-puissant ; étant sans principe et sans fin.
Je suis celui qui est né de la Vierge, sans perdre ma divinité, mais l'associant à l'humanité, afin qu'en une seule personne je fusse vrai Fils de la Vierge.
Je suis celui qui a été suspendu à la croix, mort et enseveli sans altération de ma divinité ; car bien que je fusse mort en l'humanité et en la chair que j'avais seul prise, je vivais néanmoins en la Divinité, en laquelle j'étais un avec le Père et le Saint-Esprit.

Je suis celui qui est ressuscité des morts, qui est monté au ciel, et qui vous parle maintenant avec mon Esprit. Je vous ai choisie et prise pour mon épouse, afin de vous manifester mes secrets, car cela me plaît ainsi.

Vous m'appartenez aussi par quelque droit, puisqu'en la mort de votre mari, vous avez résigné votre volonté en mes mains, vu que même après son décès, vous avez pensé et m'avez demandé avec prière comment vous pourriez être pauvre, et vous avez voulu tout laisser pour l'amour de moi. C'est pourquoi vous m'appartenez de droit. Il a fallu que, pour un si grand amour, j'aie eu soin de vous ; et partant, je vous prends en épouse et pour mon propre plaisir, tel que Dieu doit le prendre avec une âme chaste.

 

L'épouse doit donc être prête lorsque l'époux voudra solenniser les noces, afin qu'elle soit décemment enrichie, ornée et purifiée.

Vous vous purifiez, lorsque vous pensez incessamment à vos péchés, lorsque vous pensez comment, dans le baptême, je vous ai purifiée du péché d'Adam ; combien de fois, étant tombée dans le péché, je vous ai supportée et soutenue.

L'épouse doit aussi avoir sur sa poitrine les signes et les livrées de son époux, c'est-à-dire, vous
devez faire attention aux bienfaits dont je vous ai comblée, aux oeuvres que j'ai faites pour vous, savoir : combien noblement je vous ai créée en vous donnant un corps et une âme ; combien éminemment je vous ai douée, en vous donnant la santé et les choses temporelles ; combien doucement je vous ai ramenée, quand je suis mort pour vous et vous ai ramené l'héritage, si vous le voulez avoir.

 

L'épouse doit aussi faire la volonté de son époux. Quelle est ma volonté, si ce n'est que vous m'aimiez par-dessus toutes choses et ne désiriez autre chose que moi ? J'ai créé toutes choses pour l'amour de l'homme, et je lui ai toutes assujetties : mais lui, il aime toutes choses, excepté moi, et il ne hait que moi. J'ai de nouveau racheté l'héritage qu'il avait perdu ; mais l'homme est tellement
aliéné de sens et de raison qu'il aime mieux cet honneur passager, qui n'est qu'écume de mer, qui monte en un moment comme une montagne, et est soudain réduit à rien, que l'honneur éternel, où est le bien sans fin.

 

Or, vous, mon épouse, si vous ne désirez que moi ; si vous méprisez tout pour l'amour de moi, non seulement je vous donnerai en douce et précieuse récompense des enfants et des parents, mais aussi des richesses et des honneurs, non pas l'or et l'argent, mais moi-même, moi qui suis Roi de gloire, je me donnerai à vous en époux et en prix. Si vous avez honte d'être pauvre et d'être méprisée, considérez que moi, votre Dieu, vous ai précédée en cela, car mes serviteurs et mes amis m'ont laissé en terre, d'autant que je n'ai pas recherché les amis de la terre, mais du ciel.

Que si vous craignez le faix du labeur et de l'infirmité, considérez combien il est douloureux de brûler dans le feu.

 

Que mériteriez-vous, si vous aviez offensé quelque seigneur temporel comme vous m'avez offensé ? Car bien que je vous aime de tout mon coeur, néanmoins je ne porte pas la moindre atteinte à ma justice : comme vous m'avez offensé en tous vos membres, en tous vous y satisferez. Cependant, pour la bonne volonté et pour les propos qu'on fait de s'amender, je change ma justice en ma miséricorde, remettant, pour un petit amendement, les plus cuisants supplices.

 

Embrassez donc franchement un petit labeur, afin qu'étant purifiée, vous obteniez plus tôt une grande récompense ; car il est raisonnable que l'épouse souffre et travaille avec l'époux, afin que plus fidèlement elle se repose avec lui.

 

Chapitre 3

 

Paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse touchant la doctrine de l'amour, et de l'humeur de l'épouse envers son époux. De la haine des méchants contre Dieu et de la dilection du monde.

 

JE suis votre Dieu et le Seigneur que vous honorez. Je suis celui qui, par sa puissance, soutient le ciel et la terre, et qui n'est soutenu par aucun appui ni par aucunes colonnes.
Je suis celui qui, sous les espèces du pain et du vin, vrai Dieu et vrai homme, est immolé tous les jours.

 

Je suis le même qui vous ai choisie. Honorez mon Père ; aimez-moi ; obéissez à mon Esprit ; déférez à ma Mère un grand honneur comme a votre Dame.
Honorez tous mes saints ; gardez la foi droite que vous enseignera celui qui a éprouvé en soi le conflit de la vérité et de la fausseté, et qui a vaincu par mon secours.

Gardez mon humilité vraie. Quelle est l'humilité vraie, si ce n'est se manifester tel qu'on est, et louer Dieu des biens qu'il nous a donnés ?

 

Mais maintenant, plusieurs me haïssent et réputent mes oeuvres et mes paroles à douleur et à vanité, et ils embrassent et aiment l'adultère, le diable ; car tout ce qu'ils font pour moi, ils le font avec murmure et amertume, et ils en confesseraient pas mon nom, s'ils n'étaient pas confondus par la crainte des hommes.

Or, ils aiment si sincèrement le monde, que le labeur et les peines qu'il leur donne ne les lassent jamais, et qu'ils sont toujours plus fervents en son amour. Leur service me plaît ni plus ni moins que si quelqu'un donnait de l'argent à son ennemi pour faire tuer son propre fils.
Ceux-ci font la même chose, car ils donnent une petite aumône, et m'honorent seulement de leurs lèvres, afin que la prospérité mondaine leur soit favorable, et qu'ils jouissent des honneurs et des voluptés. De là vient que leur esprit est mort pour le profit et l'avancement du vrai bien. Or, si vous me voulez aimer de tout votre coeur et ne désirer rien que moi, je vous attirerai à moi par la charité, comme l'aimant attire le fer ; et je vous placerai en la force de mon bras, qui est si puissant qu'aucun ne peut l'étendre, si ferme que quand il est étendu, aucun ne peut le plier ni courbe ; il est encore si doux qu'il surpasse toutes les choses aromatiques, et n'entre pas en comparaison avec les délectations du monde ; parce qu'il les surpasse toutes.

 

Chapitre 4

 

Paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse, par lesquelles il lui dit qu'elle ne doit craindre rien de ce qui lui a été révélé, ni penser que ce soit du malin esprit. Il dit aussi de quelle manière on peut connaître le bon et le malin esprit.
 

Je suis votre Créateur et votre Rédempteur. Pourquoi avez-vous eu crainte de mes paroles, et pourquoi avez-vous réfléchi, pour savoir si elles étaient du bon ou du mauvais esprit ? Dites-moi, qu'avez-vous trouvé en mes paroles que la conscience ne vous ai pas dicté de faire ? Où vous ai-je commandé quelque chose contre la raison ?

 

A cela Sainte Brigitte, épouse, répondit : "Non ; mais toutes ces choses sont vraiees, et je me suis malheureusement trompée."

 

L'Esprit, ou bien l'époux, répondit : Je vous ai commandé trois choses par lesquelles vous puissiez connaître le bon esprit :

1° je vous ai commandé d'honorer Dieu, qui vous a créée et qui vous a donné tout ce que vous avez. La raison vous dicte que vous l'honoriez par-dessus tout.

2° Je vous ai commandé de tenir une fois droite, savoir, que sans Dieu il n'y aurait rien de fait, et que, sans lui, rien ne peut être fait.

3° Je vous ai commandé aussi d'aimer la juste et raisonnable continence en toutes choses, car le monde a été fait pour l'homme afin qu'il en usât à sa nécessité, de sorte aussi que, par les trois choses contraires à celles-ci, vous pouvez connaître l'esprit immonde, car le diable vous pousse à la recherche de votre propre louange et à vous enorgueillir de ce qui vous est donné. Il vous pousse aussi à la perfidie et à la déloyauté ; il vous enflamme aussi d'incontinence dans tous les membres, et embrase le coeur de la concupiscence de toutes choses. Il déçoit parfois sous prétexte de bien.

 

C'est pourquoi je vous ai commandé d'examiner tous les jours votre conscience et de la découvrir à ceux qui sont sages et spirituels. Partant, ne doutez plus que le bon Esprit ne soit avec vous, quand vous ne désirerez que Dieu et que vous serez tout enflammée de son amour. Je puis seul faire cela, et il est impossible que le diable d'approche de vous ; même aucun mal ne peut s'approcher de l'homme sans que je le permette, ou à cause de ses péchés, ou bien pour quelque occulte jugement connu de moi seul, car il est ma créature, comme tout le reste, et je l'ai fait bon ; mais il est mauvais par sa malice, et c'est pourquoi je suis le Seigneur sur lui.

 

Partant, plusieurs m'imputent à faute, disant que ceux qui me servent avec grande dévotion, sont fous ou possédés du démon. Ils me font semblable à l'homme qui, ayant une femme chaste qui se confie à son mari, l'expose à un adultère.
J'en ferais de même, si je permettais qu'un homme juste et qui m'aime, fût donné au diable. Mais parce que je suis fidèle, le diable ne dominera en rien l'âme qui me sert fidèlement et dévotement.

 

Or, bien que quelquefois mes amis semblent des fous, cela n'arrive pas pourtant par l'instigation du diable, ni parce qu'ils me servent avec une fervente dévotion, mais bien, ou par la faiblesse du cerveau des hommes, ou pour quelque sujet occulte et secret qui sert à les humilier. Il se peut faire aussi parfois que je donne puissance au diable sur la chair des hommes justes, pour leurs plus grandes récompenses, ou bien qu'il obscurcisse leurs consciences ; mais dans les âmes de ceux qui ont la foi et la dilection envers moi, il n'a ni domination, ni pouvoir.

 

Chapitre 5

 

Paroles d'un très grand amour adressées à l'épouse de Jésus-Christ, en la figure admirable d'un camp bien rangé, par lequel l'Église militante est désignée. Comment, par les prières de la bienheureuse Vierge et des saints, l'Église de Dieu est encore réédifiée.

 

Je suis le Créateur de toutes choses. Je suis le Roi de gloire et le Seigneur des anges. Je me suis fait un noble camp où j'ai mis mes élus. Mes ennemis ont percé le fondement de ce camp, et ils ont tellement prévalu sur mes amis, qu'ils ont fait sortir la moëlle de leurs pieds liés et attachés à la colonne. Leur bouche a été froissée avec des pierres, et ils ont été opprimés de faim et de soif ; et d'ailleurs, ils poursuivent leur Seigneur. Maintenant, mes amis demandent secours avec gémissement; la justice crie veangeance, et la miséricorde néanmoins veut le pardon.

 

Alors Dieu même dit à l'armée céleste qui est debout devant lui : Que vous semble-t-il de ceux-ci, qui ont envahi et occupé mon camp ? L'armée céleste répondit unanimement : Seigneur, en vous est toute justice, et en vous nous voyons toutes choses. Vous êtes Fils de Dieu, sans principe et sans fin ; tout jugement vous est donné ; vous êtes leur juge. Et Notre-Seigneur leur dit : Bien que vous sachiez et voyiez tout en moi, néanmoins, pour l'amour de cette épouse (sainte Brigitte), prononcez un juste jugement. Et eux répondirent : Telle est la justice et l'équité : que ceux qui ont percé la muraille soient punis comme des larrons ; que ceux qui persistent en leur malice, soient châtiés comme ceux qui entrent par assaut ; que les captifs soient affranchis et les faméliques rassasiés.

 

Alors la Mère de Dieu, la Sainte Vierge Marie, s'étant tue au commencement, parla en ces termes : Mon Seigneur et mon très cher Fils, vous avez été en mon ventre vrai Dieu et vrai homme; vous m'avez sanctifiée par votre bonté, moi qui n'étais qu'un vase de terre. Je vous en prie, ayez pitié d'eux encore une fois.

 

Alors Notre-Seigneur répondit à sa Mère : Bénie soit la parole de votre bouche ! elle s'est élevée vers Dieu comme une odeur très aromatique.
Vous êtes la gloire et la Reine des anges et des saints, attendu que vous avez en quelque sorte consolé la divinité et réjoui tous les saints. Et parce que votre volonté a été, dès le commencement de votre jeunesse, unie à la mienne, je ferai encore une fois ce que vous voulez. Et il dit à l'armée
céleste : D'autant que vous avez généreusement combattu, je serai encore apaisé à raison de votre charité. Voilà que je réédifierai ce mur pour l'amour de vos prières. Je sauverai et guérirai ceux qui ont été opprimés par violence; je les honorerai au centuple au-delà des calomnies qu'ils ont
souffertes. Mais je donnerai paix et miséricorde à ceux qui se feront violence et qui me demanderont miséricorde ; et ceux qui la mépriseront sentiront et éprouveront ma justice.

 

Il dit ensuite à son épouse : Mon épouse, je vous ai choisie et j'ai versé mon Esprit dans le vôtre, ou bien je vous ai attirée dans le mien. Vous entendez mes paroles et celles de tous mes saints, qui, bien qu'ils voient toutes choses en moi, ont néanmoins parlé pour l'amour de vous, afin que vous compreniez mieux ; car vous, qui êtes encore en la chair, vous ne pouvez voir toutes choses en moi, comme eux, qui sont des esprits épurés et dégagés de la matière. Maintenant aussi, je vous dirai ce que ces choses signifient : le camp dont nous avons parlé ci-dessus est l'Église militante, que j'ai édifiée de mon sang et de celui de mes saints ; je l'ai liée et conjointe par mon amour et j'ai mis en elle mes élus et mes amis. La foi en est le fondement, savoir, de croire que je suis juge juste et miséricordieux.

Or, maintenant, le fondement est creusé, d'autant que tous croient en moi et publient ma miséricorde, mais presque pas un ne me publie juste juge ni ne croit que je juge justement. Car le juge serait inique, qui, ému de miséricorde, renverrait les méchants impunis, afin que les méchants oppriment de plus en plus les justes. Or, je suis juge juste et miséricordieux, de sorte que je ne laisse pas le moindre péché impuni ni le moindre bien sans récompense. Ceux qui pèchent sans crainte, qui nient
que je sois juste, et troublent de la même manière mes amis qui ont troublé ceux qui sont liés au cep, sont entrés en la sainte Église par le ceux de la muraille, car mes amis n'ont point de joie ni de consolation, mais on vomit sur eux mille sorte d'opprovres, et on les tourmente comme des
démoniaques. S'ils parlent de moi avec vérité, on les repousse et on les accuse de mensonge. Il y en a qui désirent grandement d'ouïr parler ou dire des choses bonnes, mais il n'y a personne qui les écoute ou qui leur parle des choses justes.

 

On vomit des blasphèmes contre moi, qui suis Seigneur et Créateur : ils disent en effet : Nous ne savons pas s'il y a un Dieu ; et, s'il y en a un, ne nous en soucions point. Ils jettent par terre l'étendard de ma croix et le foulent aux pieds, disant : Pourquoi a-t-il souffert ? A quoi cela nous sert-il ? S'il veut satisfaire ici nos appétits et nos désirs, nous en
sommes contents : qu'il garde son royaume et son ciel. Je veux aussi entrer dans leurs coeurs, mais ils disent : Nous aimons mieux mourir que de quitter nos volontés. Voyez, ô mon épouse ! de quelle trempe ils sont : je les ai faits, et avec une parole, je pourrais les effacer et détruire : néanmoins, regardez comme ils s'enorgueillissent contre moi.

 

Or, maintenant, à raison des prières de ma Mère et de tous les saints, je suis encore si miséricordieux et si patient, que je veux leur envoyer les paroles qui sont sorties de ma bouche, et leur offrir ma miséricorde. S'ils le veulent recevoir, je serai apaisé et je les aimerai, sinon, je leur ferai ressentir ma
justice, et ils seront confondus publiquement devant les anges et les hommes, et ils seront jugés de tous comme des larrons. Car comme des larrons pendus au gibet sont dévorés par les corbeaux, de même ceux-ci seront dévorés par les démons sans jamais se consommer ; et comme aussi ceux qui sont punis par le cep de bois ne trouvent aucun repos, de même ceux-ci seront en tout et partout environnés de douleur et d'amertume. Un fleuve ardent coulera en leur bouche, et leur ventre ne sera pas rempli et rassasié, mais de jour en jour ils seront en proie à de nouveaux supplices.

Or, mes amis seront sauvés, et seront consolés par les paroles qui sortent de ma bouche. Ils verront ma justice et ma miséricorde. Je les revêtirai des armés de l'amour, et les rendrai tellement forts, que les adversaires de la foi tomberont à la renverse comme de la boue ; et ils auront honte éternellement, quand ils verront ma justice, parce qu'ils ont abusé de ma patience.

 

Chapitre 6

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse. Comment son Esprit ne peut être avec les iniques. De la séparation des mauvais d'avec les bons. De la mission des bons, et de ceux qui sont armés spirituellement contre le monde.

 

Mes ennemis sont comme des bêtes farouches qui ne peuvent jamais rassasier ni s'apaiser ; leur coeur est tellement vide de charité que la pensée de ma passion n'y entre jamais. Jamais cette parole n'est sortie une fois de l'intime de leur coeur : Seigneur, vous nous avez rachetés : louange vous soit pour votre amère passion ! Comment mon Esprit peut-il être avec eux ? ils n'ont aucun amour envers moi ; ils trahissent librement les autres afin d'accomplir leurs volontés ; leur coeur est plein de vile vermine, c'est-à-dire, d'affections du monde ; le diable a mis en leur bouche la fiente du péché :
c'est pourquoi mes paroles ne leur plaisent point.

 

Partant, je les séparerai des mes amis avec la scie tranchante ; et comme il n'y a pas de mort plus amère que celle qui est faite avec la scie, de même il n'y aura pas de supplice qu'ils n'expérimentent et n'éprouvent ; et le diable les sciera par le milieu ; et ils seront séparés de moi parce qu'ils me sont odieux ; tous ceux aussi qui sont unis avez eux, seront séparés de moi : c'est pourquoi j'envoie mes amis pour séparer de mes membres les membres du diable, car ils sont vraiment mes ennemis.

 

Je les envoie donc comme mes soldats à la guerre, car celui qui afflige sa chair et s'abstient des choses illicites, est en vérité mon soldat. Ils ont pour lance les paroles que j'ai dites ; pour glaive en leur main la foi ; pour cuirasse sur leur poitrine l'amour, afin qu'en toute sorte de rencontre, ils m'aiment de même manière. Ils ont au côté le bouclier de la patience, afin de supporter toutes choses patiemment, car je les ai ensserrés comme l'or dans le vase, et maintenant ils doivent sortir et marcher par ma voie. Et moi, je ne pouvais entrer, selon la justice bien ordonnée, en la gloire majestueuse avec mon humanité sans tribulation ; comment donc y entreront-ils ? Si leur Seigneur souffrait, est-ce extraordinaire qu'ils souffrent ? Si Notre-Seigneur a supporté les coups de fouets, ce n'est pas grand chose s'ils endurent les paroles. Qu'ils ne craignent pas, car je ne les laisse jamais ; car comme il est impossible au diable de toucher le coeur de Dieu et de le diviser, de même il lui est impossible de séparer de moi mes amis. Et d'autant qu'ils sont devant moi comme l'or précieux, s'ils sont éprouvés par un petit feu, je ne les abandonne pas pourtant, mais cela réussit pour une plus grande récompense.

 

Chapitre 7

 

Paroles de la glorieuse Vierge Marie à sa fille sainte Brigitte, qui lui enseignent la manière d'être vêtue. Quels sont les vêtements et ornements dont une vierge doit être revêtue et parée.

 

Je suis Marie, qui ai enfanté le vrai Dieu et le vrai homme, le Fils de Dieu. Je suis la Reine des anges. Mon Fils vous aime de tout son coeur, c'est pourquoi aimez-le aussi.

Vous devez être ornée et revêtue de vêtements honnêtes ; je vous montrerai quels et comment ils doivent être ; car comme vous avez eu premièrement une chemise, puis une tunique, des souliers, un manteau, et un collier sur votre poitrine, de même maintenant, spirituellement, vous devez avoir la chemise de contrition : car comme elle est plus proche de la chair, de même la contrition et la confession est la première voie pour aller à Dieu, voie par lquelle l'âme qui se réjouissait dans le péché est purifiée, et la chair sale et sordide est revêtue. Les deux souliers sont les deux affections, savoir : la volonté de s'amender des fautes commises, et la volonté de faire le bien et de s'abstenir du mal.
Votre tunique est l'espérance, avec laquelle vous aspirez à Dieu : car comme la tunique a deux manches, de même que la justice et la miséricorde se trouvent en votre espérance, afin que vous espériez en Dieu de telle sorte que vous ne négligiez pas sa justice. Et pensez tellement à sa justice et à son jugement que vous n'oubliiez sa miséricorde, car il ne se fait aucune justice sans miséricorde, ni aucune miséricorde sans justice.

Le manteau est la foi : en effet, comme le manteau couvre tout, de même l'homme, par la foi, peut comprendre et atteindre toutes choses. Ce manteau doit être parsemé des signes de l'amour de votre cher époux, savoir : comment il vous a créée, comme il vous a rachetée, comment il vous a nourrie et vous a introduite en son esprit, et vous a ouvert les yeux de l'esprit.

Le collier est la considéraition de la Passion, qui doit être incessamment en votre poitrine : comme mon Fils a été conspué et flagellé ; comment il a été ensanglanté ; comment, ayant tous les nerfs percés, il était debout sur la croix ; comment tout son corps trembla dans sa mort, à cause de sa douleur immense ; comment il mit son esprit entre les mains de son Père.

Que ce collier soit toujours suspendu sur votre poitrine. Que sa couronne soit sur votre tête, c'est-à-dire, aimez tant la chasteté que vous aimiez mieux endurer les coups de verges que vous salir désormais.
Et de là, soyez en tout pudique et honnête ; ne pensez à rien ; ne désirez rien que votre Dieu, votre Créateur : quand vous le posséderez, vous posséderez tout ; et ainsi parée et enrichie, vous attendrez l'arrivée de votre cher Époux.

 

Chapitre 8

 

Paroles de la Reine du ciel à sa fille bien-aimée sainte Brigitte, par lesquelles elle lui enseigne de quelle manière elle doit aimer et louer le Fils et la Mère.

 

Je suis la Reine du ciel. Il faut chercher avec soin la manière dont vous me devez louer. Ayez pour certain que toute la louange de mon Fils est ma louange, et que qui l'honore m'honore. En fait, nous nous sommes réciproquement aimés avec tant de ferveur que nous avons été tous deux comme un seul coeur ; et il m'a si spécialement honorée, moi qui n'étais qu'un vase de terre, qu'il m'a exaltée par-dessus les anges. C'est donc de cette manière que vous devez me louer :

 

Béni soyez-vous, ô Dieu ! Créateur de toutes choses, qui avez daigné descendre dans le sein de la Vierge Marie sans incommodité, et qui avez daigné prendre d'elle une chair humaine sans péché ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! qui êtes venu à la Vierge sainte, qui êtes né d'elle sans péché, remplissant des tressaillements d'une joie ineffable son âme et tous ses membres !

Béni soyez-vous, ô Dieu ! qui avez réjoui la Vierge Marie, votre Mère, après l'Ascension, lui donnant tant d'admirables consolations, et qui l'avez elle-même visitée en la consolant divinement ! Béni soyez-vous, ô Dieu ! qui avez emporté au ciel le corps et l'âme de la Vierge Marie, votre Mère, et qui l'avez honorablement placée auprès de la divinité, au-dessus de tous les anges. Faites-moi miséricorde à raison de ses prières amoureuses.

 

Chapitre 9

 

Paroles de la Reine du ciel à sa fille bien-aimée, qui traitent du doux amour que le Fils avait envers la Vierge Mère. Comment, d'un mariage très chaste, la Mère de Dieu fut conçue et sanctifiée dès le sein de sa mère. Comment elle a été enlevée en corps et en âme dans le ciel. Des vertus de son nom. Des anges, bons ou mauvais, députés pour l'homme.

 

Je suis la Reine du ciel. Aimez mon Fils, attendu qu'il est très honnête ; et quand vous le possèderez, vous aurez toute honnêteté. Il est aussi très désirable ; et quand vous l'aurez, vous aurez tout ce qui est désirable.
Aimez-le aussi, car il est très vertueux ; et quand vous l'aurez, vous aurez toutes les vertus. Je veux vous dire de combien de délices il a aimé mon corps et mon âme, combien aussi il a honoré mon nom.

 

Mon Fils m'a plutôt aimée que je ne l'ai aimé, car il est mon Créateur ; il a fait et uni avec tant de chasteté le mariage de mon père et de ma mère, qu'ils ne voulaient jamais avoir affaire ensemble que pour avoir des enfants. Et lorsqu'il leur fut annoncé par l'ange qu'ils enfanteraient une Vierge d'où procéderait le salut du monde, ils eussent mieux aimé mourir que de se connaître par amour charnel. Et certes, la volupté charnelle était éteinte en eux. Néanmoins, je vous certifie qu'ils se connurent en la chair, non par concupiscence voluptueuse, mais contre toute sorte de volupté, par la charité divine, par la parole de l'ange qui l'annonçait ainsi, et par la dilection divine ; et ainsi, c'est par la charité divine que ma chair a été faite.

 

Or, mon corps ayant été fait, Dieu, créant mon âme, la mit dans mon corps, et soudain mon âme et mon corps ont été sanctifiés, âme que les anges gardaient et conservaient jour et nuit dès qu'elle fut créée ; et lorsque mon âme était sanctifiée et était unie à mon corps, ma mère ressentait tant de joie qu'il serait impossible de le dire. Après avoir accompli le cours de ma vie, il éleva premièrement mon âme, qui dominait le corps, vers la Divinité, si excellemment au-dessus des autres, et puis mon corps, qu'il n'y a corps d'aucune créature qui soit si près de Dieu que le mien. Voyez combien mon Fils a aimé mon corps et mon âme.

 

Mais il y en a qui sont d'un malin esprit, qui nient que j'ai été enlevée vers la Divinité en corps et en âme. Voyez aussi combien mon Fils a honoré mon nom : mon nom est MARIE, comme on le lit dans l'Evangile. Lorsque les anges entendent prononcer ce nom, ils se réjouissent en eux-mêmes, et
rendent grâces à Dieu, qui leur a fait une telle grâce et une telle faveur, que, par moi et avec moi, il voient l'humanité de mon Fils glorifiée en la Divinité. Ceux qui sont dans le purgatoire s'en réjouissent outre mesure, comme un malade gisant dans son lit, s'il entend quelque parole de
soulagement et qui lui plaise, tressaille soudain d'un contentement indicible. Les bons anges aussi, entendant prononcer le nom de Marie, se rapprochent soudain des hommes justes qu'ils gardent, et de l'avancement desquels ils se réjouissent merveilleusement : car à tous les hommes sont donnés de bons anges pour leur garde, et de mauvais anges pour les éprouver, non pas de telle sorte que les anges soient séparés de Dieu, mais ils servent l'âme de telle manière qu'ils ne laissent pas Dieu. Ils sont incessamment devant lui, et néanmoins, ils enflamment et incitent l'âme à bien faire.

 

Tous les diables aussi craignent le nom de Marie et le révèrent, car l'entendant prononcer, ils lâchent soudain l'âme qu'ils tenaient sous leurs griffes. Comme un oiseau de rapine qui tient une proie en ses griffes et en son bec, s'il entend quelque son lâche sa proie, et voyant qu'il n'y a rien en effet qui l'empêche, y retourne soudain, de même ces diables, ayant ouï mon nom, laissent l'âme, épouvantés, mais y reviennent comme un trait poussé vivement d'un arc bien tendu, à moins que quelque amendement ne s'ensuive. Ca raussi, il n'y a pas un chrétien, si froid qu'il soit en l'amour de Dieu, à moins toutefois qu'il ne soit condamné, qui, s'il veut invoquer ce nom avec l'intention de ne vouloir jamais plus retourner à ses fautes accoutumées, ne soit délaissé par le diable ; et le diable ne reviendra jamais plus vers lui, à moins qu'il ne reprenne la volonté de pécher mortellement.
Néanmoins, il lui est permis de le troubler quelquefois, pour la plus grande récompense et la plus grande gloire du chrétien ainsi éprouvé, mais non de le posséder.

 

Chapitre 10

 

Paroles de la Vierge Marie à sa fille, lui enseignant une doctrine utile, comment elle doit vivre, et racontant plusieurs miracles de la Passion de Jésus-Christ.

 

Je suis la Reine du ciel, Mère de Dieu. Je vous ai dit que vous deviez avoir un collier en votre poitrine ; or, maintenant je vous le dévoilerai mieux. Quand, dès le commencement de mon enfance, j'eus compris que Dieu existait, j'ai toujours été soigneuse et craintive de mon salut et de mon
observance. Mais quand je sus que Dieu était mon créateur et le juge de toutes mes actions, je l'ai aimé intimement ; j'ai craint à toute heure de l'offenser par mes paroles, par mes actions. Après, quand je sus qu'il avait donné la loi et ses commandements au peuple, et avait fait avec eux tant de
merveilles, je résolus fermement en mon âme de n'aimer que lui ; et les choses mondaines m'étaient grandement amères.

Après cela, sachant aussi que Dieu rachèterait le monde et qu'il naîtrait d'une Vierge, j'ai été touchée et blessée d'un si grand amour pour lui, que je ne pensais qu'à lui et ne voulais que lui. Je m'éloignai autant que je pus des discours familiers et de la présence de mes parents et de mes amis ; je donnai aux pauvres tout ce que je pouvais avoir, et je ne me réservai que le simple vêtement et quelque peu pour vivre.

 

Rien ne me plaisait que Dieu. Je désirais incessamment dans mon coeur de vivre jusqu'au jour de sa naissance, afin de mériter d'être faite servante de la Mère de Dieu, quoique je m'en estimasse indigne.
Je fis voeu dans mon coeur de garder la virginité, si Dieu l'avait pour agréable, et de ne rien posséder au monde. Or, si Dieu en voulait déterminer autrement, je désirais que sa volonté fût faite, et non la mienne, car je croyais qu'il ne pouvait ni ne voulait rien qui ne me fût utile, c'est pourquoi je lui commis ma volonté. Or le temps approchant qu'on présentait au temple les vierges selon l'ordonnance de la loi, je fus présentée avec les autres, à cause de l'obéissance de mes parents, pensant en moi-même que rien n'était impossible à Dieu ; et parce qu'il savait que je ne désirais rien et ne voulais rien que lui, il pouvait me conserver dans la virginité, si cela lui plaisait; autrement, que sa volonté fût faite.

 

Or, ayant ouï au temple tout ce qui était commandé, étant retournée à la maison, je brûlais plus qu'auparavant de l'amour de Dieu, et j'étais de jour en jour enflammée de nouveaux feux et de nouveaux désirs amoureux. Partant, je m'éloignais plus que de coutume de tous, et je demeurais seule nuit et jour, craignant grandement que ma bouche ne dît, que mon oreille n'entendît quelque chose qui fût contre l'amour de Dieu, ou que mes yeux ne vissent quelque chose délectable. Je craignais aussi et j'eus soin que mon silence ne tût ce que je devais dire; et comme j'étais troublée de la sorte en mon coeur et mettais toutes mes espérances en Dieu, il me vint soudain en mémoire de penser à la grande puissance de Dieu ; comment les anges et toutes les choses créées le servent ; combien sa gloire est ineffable et infinie.

 

Et admirant ceci, je vis trois merveilles : car j'ai vu un astre, mais non pas comme celui qui brille au ciel. J'ai vu une lumière, mais non pas comme celle qui brille dans le monde. J'ai senti une odeur, non pas comme celle des herbes ou de quelque substance aromatique, mais très suave et ineffable, odeur dont je fus remplie ; et je tressaillais d'une grande joie. De là, j'entendis une grande voix, mais non de la bouche des hommes ; et l'ayant entendue, j'ai craint que ce ne fût une illusion. Et soudain m'apparut un ange comme un homme très beau, mais non pas revêtu de chair, qui me dit : Je vous salue, pleine de grâce, etc. Et ayant ouï cela, je cherchais ce que cela signifiait, ou pourquoi il me saluait de la sorte, car j'étais persuadée que j'étais indigne d'une telle chose et de quelque bien que ce
fût, et je n'ignorais pas toutefois qu'il n'y avait rien d'impossible à Dieu, qu'il pouvait faire ce qu'il voulait.

 

Alors l'ange me dit pour la seconde fois : Ce qui naîtra de vous est saint, et s'appellera Fils de Dieu (cf. Lc 2) ; et comme il lui plaît, ainsi il sera fait. Je ne m'en croyais pas digne, et je ne demandais pas à l'ange pourquoi ou quand ce mystère s'accomplirait, mais je m'enquis de la manière dont il se
ferait, car je suis indigne d'être Mère de Dieu et je ne connais point d'homme ; et comme je l'ai dit, l'ange me répondit qu'il n'y avait rien d'impossible à Dieu, et que tout ce qu'il veut faire est fait. Ayant ouï la parole de l'ange, j'eus un grand désir et un grand amour d'être Mère de Dieu, et mon âme parlait par un excès d'incomparable amour. Et voici que je prononce ces paroles : que votre volonté soit faite en moi.

 

A ces mots, le Fils de Dieu fut soudain conçu dans mon sein; mon âme fut dans une joie ineffable, et tous les membres de mon corps tressaillirent. Et l'ayant dans mon sein, je le portais sans douleur, sans pesanteur, sans incommodité ; je m'humiliais en tout, sachant que celui que je portais était
tout-puissant.

 

Or, quand je l'ai enfanté, je l'ai enfanté sans douleur et sans péché, comme je l'avais conçu, mais avec une si grande joie d'esprit et de corps, que mes pieds ne sentaient point la terre où ils étaient. Et comme il est entré en tous mes membres avec la joie universelle de mon âme, de même il est sorti
sans lésion de ma virginité, mes membres et mon âme tressaillant d'une joie ineffable. Considérant et regardant sa beauté, mon âme était inondée de joie, sachant que j'étais indigne d'un tel Fils.

 

Or, quand je considérais sur ses mains et sur ses pieds la place des clous, et que j'avais ouï que, selon les prophètes, on le crucifierait, alors mes yeux fondaient en larmes, et la tristesse déchirait mon coeur. Et quand mon Fils me regardait ainsi éplorée et larmoyante, il s'attristait jusqu'à la mort. Mais
quand je considérais la puissance de la Divinité, j'étais de nouveau consolée, sachant qu'elle le voulait ainsi, et qu'il était expédient que cela arrivât; et alors, je conformais ma volonté à sa volonté, et de cette manière, ma joie était toujours mêlée de douleur.

 

Le temps de la passion de mon Fils étant proche, ses ennemis le ravirent à tous, le frappant sur ses joues et sur son cou ; et ayant craché sur lui, ils s'en moquèrent. Ayant ensuite été conduit vers la colonne, il se dépouilla lui-même de ses habits, approcha lui-même de la colonne ses mains, que
ses ennemis lièrent sans miséricorde. Or, étant lié, il n'avait rien pour se couvrir : mais comme il était né nu, il endurait et souffrait ainsi la honte de sa nudité.

Ses amis, ayant pris la fuite, ses ennemis, les levant ensemble, l'environnaient de toutes parts, flagellaient son corps pur de toute souillure et de tout péché. Donc, au premier coup, moi qui étais la plus rapprochée de lui, je tombai comme morte ; et ayant repris mon esprit, je vis son corps fouetté et déchiré jusqu'aux os, de sorte que ses côtes paraissaient ; et, ce qui était plus amer, quand on retirait les fouets, on sillonnait et on déchirait sa chair. Et lorsque mon Fils, empourpré de sang et tout déchiré, demeurait ainsi debout, qu'on ne trouvait rien de sain en lui, qu'on ne le flagellait plus,
quelqu'un dit alors avec émotion : Eh quoi ! le ferez-vous mourir ainsi sans être jugé ? Et il coupa soudain ses liens. Après, mon Fils se revêtit de ses habits, et alors je vis la place où étaient ses pieds toute pleine de sang et de vestige de mon Fils ! Je connaissais sa trace, car où il passait, la terre était
teinte de sang ; et ses ennemis ne souffraient pas qu'il s'habillôt, mais ils le poussaient, et le forçaient d'avancer.

 

Or, quand on le conduisit comme un larron, mon Fils essuya le sang de ses yeux ; et quand on l'eut jugé, on lui fit porter la croix ; et quand il l'eut portée quelque temps, quelqu'un vint, la prit et la porta. Cependant, mon Fils s'en allant au lieu de sa passion, les uns le frappaient au cou, les autres
à la face ; il fut si fortement et si puissamment battu, que, bien que je visse pas celui qui le frappait, j'entendais pourtant les coups. Et étant arrivé au lieu de sa passion, je vis là tous les instruments préparés pour le faire mourir ; et mon Fils, venant là, se dépouilla lui-même de ses vêtements,
lors même que les ministres disaient entre eux : Ses vêtements sont à nous : il ne les recouvrera pas, il est condamné à mort.

 

Or, mon Fils étant là, nu comme il était né, alors on accourut, lui apportant un voile qui couvrit sa nudité et lui procura une grande joie intérieure. Après, les bourreaux durs et cruels le prirent et l'étendirent sur la croix, attachant premièrement sa main droite au poteau, qui était percé pour y
mettre un clou. Et ils perçaient sa main dans la partie où l'os était plus solide et plus fort ; et puis, tirant avec une corde l'autre main au trou, ils le crucifièrent. On crucifia ensuite le pied droit et le pied gauche avec deux clous, de sorte que tous les nerfs et toutes les veines étaient tendus et
rompus. Cela étant fait, ils lui mirent au front une couronne d'épines, qui perça si profondément la tête de mon Fils, que ses yeux étaient pleins de sang, ses oreilles bouchées par le sang, et sa barbe en était toute couverte !

 

Et étant de la sorte empourpré de son sang et ainsi percé, ayant pitié de moi, qui étais affligée et gémissante, il jeta ses yeux sur saint Jean, fils de ma soeur, et me recommanda à lui. En ce temps-là, j'ouïs les uns qui disaient que mon Fils était un larron, les autres, qu'il était un menteur, et d'autres, qu'il n'y avait aucun homme plus digne de mort que mon Fils. Toutes ces paroles renouvelaient grandement ma douleur. Mais lorsqu'on plantait le premier clou comme j'ai dit, au premier coup je tombai comme morte, les yeux obscurcis, les mains tremblantes, les pieds chancelants, et je ne le regardai point qu'il ne fût entièrement crucifié, ne pouvant supporter l'excès de ma douleur.

 

Or, me levant, je vis mon Fils misérablement pendu à la croix ; et moi, sa Mère, toute frémissante de crainte, je pouvais à peine demeurer debout, à cause de la douleur. Mon Fils, me voyant, et ses amis pleurant sans consolation, dit d'une voix pleurante et haute : Mon Père, pourquoi m'avez-vous délaissé ? Comme s'il disait : Il n'y a que vous qui ayez pitié de moi, ô mon Père ! Alors je vis ses yeux à demi morts, ses joues trempées, son visage triste, sa bouche ouverte, sa langue empourprée de
sang, et son ventre collé au dos, toute l'humeur étant consommée, comme s'il n'avait point d'entrailles. Je vis son corps pâle et languissant, à cause du sang qu'il avait répandu, ses mains et ses pieds roidis et étendus, selon les dimensions de la croix, sa barbe et ses cheveux tout trempés dans son sang.

 

Mon Fils donc demeurant de la sorte déchiré et livide, seul, son coeur était vivant, attendu qu'il était d'une très bonne et forte nature, car il avait pris de ma chair un corps pur, sain et d'une bonne complexion. Sa peau était si tendre et si délicate que, dès qu'elle était tant soit peu fouettée, le sang en ruisselait. Son sang était si vif qu'on pouvait voir à travers sa peau. Et comme il était d'une bonne nature, la vie combattait avec la mort dans un corps déchiré.

Quand la douleur montait des membres et des nerfs percés du corps, au coeur, ce qu'il y avait en lui de plus sensible et de plus pur, son coeur éprouvait d'incroyables souffrances ; et quand quelquefois la douleur descendait du coeur dans ses membres en lambeaux, alors il prolongeait sa mort avec amertume. Mais quand mon Fils, environné, assailli de douleurs, regardait ses amis larmoyants, qui eussent mieux aimé supporter cette peine avec secours, ou brûler éternellement en enfer, que de le voir ainsi tourmenté, la douleur que lui procurait la douleur de ses amis excédait toute l'amertume, toute l'affliction qu'il avait soufferte, tant dans con corps que dans osn esprit, parce qu'il les aimait tendrement. Alors, dans la trop grande angoisse de son corps, il criait à son Père, disant : O Père ! je remets mon esprit en vos mains. Donc, quand moi, sa Mère affligée, j'ai entendu ces paroles, tous mes membres ont frémi avec une douleur poignante et trop amère à mon coeur ; et autant de fois que je les méditais, il me semblait les entendre encore et toujours.

 

Or, la mort approchant, et le coeur de mon Fils se fendant par la violence de la douleur, tous ses membres frémirent, et sa tête s'éleva un peu, puis s'inclina. On voyait sa bouche ouverte et sa langue toute sanglante ; ses mains s'étaient un peu retirées du trou, et les pieds soutenaient d'autant plus la pesanteur du corps ; ses doigts et ses bras s'étendaient aucunement, et le dos était fortement serré au tronc.

Alors quelques-uns me dirent : Marie, votre Fils est mort ; quelques autres me dire : Votre Fils est mort, mais il ressuscitera. Tandis qu'on me disait cela, un soldat vint, et enfonça sa lance dans le côté de mon Fils, si avant qu'elle sortait presque de l'autre côté ! Et dès que la lance fut retirée, la poitrine fut toute sanglante. Alors, voyant le coeur de mon cher Fils percé, il me semblait que le mien l'était
aussi. Ensuite, on le descendit de la croix, et je le reçus sur mes genoux comme un lépreux, tout livide et meurtri, car ses yeux étaient morts et tout pleins de sang, sa bouche était froide comme la neige, sa barbe était comme une corde, sa face contractée ; ses mains aussi étaient tellement raides qu'on ne les pouvait mettre sur le nombril ; comme il avait été sur la croix, ainsi l'avais-je sur mes genoux comme un homme roidi en tous ses membres. Tout de suite on l'enveloppa d'un drap propre et blanc ; et moi, je lui nettoyai avec mon linge ses plaies et ses membres ; je lui fermai les yeux et la bouche, qui étaient restés ouverts à sa mort.

 

Enfin, on le mit dans le sépulcre. Oh ! que volontiers alors je me fusse ensevelie vivante avec mon Fils, si telle eût été sa volonté ! Ces choses étant accomplies, le bon saint Jean vint et m'amena à la maison. Voilà, ô ma fille ! quelles choses mon cher Fils a souffertes pour vous.

 

Chapitre 11

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière qu'il se donna librement à ses ennemis qui le crucifiaient, et comment il faut vivre avec contginence, se privant de tout ce qui est illicite, à l'exemple de sa douce passion.

 

Le Fils de Dieu parlait à son épouse, disant : Je suis le Créateur du ciel et de la terre, et le corps qui est consacré sur l'autel est mon vrai corps. Aimez-moi de tout votre coeur, car je vous ai aimée. Je me suis librement donné à mes ennemis, et mes amis et ma Mère ont été assaillis d'une douleur trop amère, et ils ont fondu en larmes.

 

Quand je voyais la lance, les clous, les fouets et autres instruments préparés pour ma passion, je m'en approchais néanmoins avec joie. Et quand, sous la couronne d'épines, ma tête fut toute sanglange, et que mon sang ruisselait partout, et bien que mes ennemis touchassent mon coeur, j'eusse mieux aimé qu'il eût été déchiré en deux que de ne pas vous posséder et ne pas vous aimer. Parant, vous seriez trop ingrate, si vous ne m'aimiez, en reconnaissance du grand amour que je vous ai témoigné. Si ma tête a été percée par les épines et s'est inclinée sur la croix, votre tête doit bien s'incliner à l'humilit ; et parce que mes yeux étaient remplis de sang et de larmes, vous devez vous abstenir de ce qui délecte vos yeux ; et parce que mes oreilles ont été remplies de sang et ont ouï qu'on me détractait, partant, vos oreilles ne doivent pas écouter les paroles moqueuses, niaises et légères ; et parce qu'aussi on a abreuvé ma bouche d'une boisson amère, vous devez aussi fermer la bouche aux paroles mauvaises et l'ouvrir aux bonnes ; et comme mes mains ont été étendues sur le gibet, vos oeuvres, figurées par les mains, doivent être tendues aux pauvres et à mes commandements ; vos pieds, c'est-à-dire vos affections, par lesquelles vous devez venir à moi, doivent être crucifiées à toutes les voluptés ; et comme j'ai souffert en tous mes membres, de même tous vos membres
doivent être prêts et disposés à m'obéir, car j'exige plus de service de vous que des autres, parce que je vous ai douée et enrichie d'une grâce plus grande et plus excellente.

 

Chapitre 12

 

De quelle manière l'ange prie pour l'épouse, et comment Jésus-Christ interroge l'ange sur ce qu'il implore pour elle. Ce qui est expédient à l'épouse.

 

Le bon ange gardien de l'épouse semblait prier Jésus-Christ pour elle ; Notre-Seigneur lui répondit : Celui qui veut prier pour un autre doit prier pour son salut : car vous, ô anges ! vous êtes comme le feu qui ne s'éteint jamais, qui brûle incessamment de mon amour. Vous voyez et savez tout, quand vous me voyez ; vous ne voulez rien, si ce n'est ce que je veux. Dites donc, qu'est-ce qui est expédient à cette nouvelle épouse ?

Et l'ange lui répondit : Mon Seigneur, vous savez tout.

Notre-Seigneur lui repartit : Certes, tout ce qui a été fait et sera, est éternellement en moi, et j'ai connu tout ce qui est au ciel et sur la terre, et je le sais, et pourtant, il n'y a point de changement en moi. Néanmoins, afin que cette épouse entende ma volonté, dites maintenant en sa présence ce qui lui est nécessaire.

L'ange lui dit : Elle a le coeur élevé et enflé, partant, il lui faut une verge pour être châtiée.

Et alors Notre-Seigneur lui dit : Qu'est-ce donc que vous demandez pour elle, ô mon ami ?

Et l'ange lui dit : Je demande la miséricorde et la correction.

Notre-Seigneur dit : Pour l'amour de vous, je lui ferai ce que vous demandez, moi qui ne fais jamais justice sans miséricorde. Partant, cette épouse me doit aimer de tout son coeur.

 

Chapitre 13

 

Comment l'ennemi de Dieu a trois démons en soi, et du jugement donné contre lui par Jésus-Christ.

 

Mon ennemi a en soi trois démons : le premier réside dans les parties de la génération, le deuxième dans son coeur, le troisième dans sa bouche.

 

Le premier est comme un pilote qui fait entrer dans le navire l'eau, qui peu à peu le remplit ; et après, l'eau débordant, le navire est submergé. Ce navire est son corps agité par les tentations du démon, assailli comme par les vents de ses propres cupidités, et dans lequel les eaux de la volupté sont d'abord entrées par le navire, c'est-à-dire, par la délectation qu'il prenait en telles pensées; et parce qu'il n'y résistait pas par la pénitence, qu'il ne le réunissait pas par les clous de l'abstinence, l'eau de la volupté allait toujours croissant et ajoutant le consentement ; et de là, le navire étant rempli de la concupiscence du ventre, l'eau redondait et couvrait de volupté le navire, afin qu'il n'arrivât pas au port de salut.

 

Le deuxième démon, qui réside dans le coeur, est semblable au vermisseau qui est dans la pomme, qui ronge d'abord le dedans, et qui, ayant laissé là sa fiente, entoure toute la pomme, jusqu'à ce qu'il l'ait toute gâtée. Le diable en agit de même ; en effet, en premier lieu, il gâte la volonté et ses bons désirs, qui sont comme le cerveau, où subsiste toutes la force, tout le bien de l'esprit ; et ayant vidé le coeur de tous ses biens, il y laisse des pensées et des affections du monde de ceux qu'il a aimés le plus.

Maintenant il pousse son corps à ses plaisirs, par lesquels la force divine est diminuée et la connaissance affaiblie; et le dégoût, le dédain de la vie vraie vient de là. Certes, cet homme est une
pomme sans cerveau, c'est-à-dire, un homme sans coeur, car sans coeur, il entre dans mon Église, d'autant qu'il n'a aucune charité divine.

 

Le troisième démon est semblable à un archer qui guette par la fenêtre ceux qui ne s'en donnent garde. Comment est-ce que le démon ne dominera pas celui sans lequel il ne parle jamais ? car ce qu'on aime le plus, c'est ce dont on parle le plus souvent. Ses paroles amères, avec lesquelles il blesse les autres, sont commes des traits acérés qui sont dardés par autant de fenêtres que le diable est nommé par lui, que l'innocent est déchiré par ses paroles, et que les simples en sont scandalisés. Parant, moi, qui suis la Vérité, je jure que je le condamnerai comme une abominable courtisane au feu de soufre, à avoir les membres coupés, comme un déloyal et un traître, et comme celui qui méprise son salut, à la confusion éternelle; mais toutefois, tant que le corps et l'âme seront ensemble en cette vie, ma miséricorde lui est offerte. Or, voici ce que je demande et exige de lui, savoir, qu'il assiste souvent aux choses divines ; qu'il ne craigne nulle opprobre ; qu'il ne désire aucun honneur, et que le nom sinistre du diable ne soit jamais prononcé en lui.

 

Chapitre 14

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse. De la manière de faire l'oraison ; du respect qu'elle doit avoir en la faisant, et de trois sortes d'hommes qui servent Dieu.

 

Je suis votre Dieu, qui, crucifié sur la croix, vrai Dieu et vrai homme en une personne, suis tous les jours dans les mains des prêtres. Quand vous me faites quelque prière, finissez-la toujours ainsi : Que votre volonté soit faite, et non la mienne. Car quand vous me priez pour les damnés, je ne vous exauce pas. Quelquefois aussi vous désirez ce qui est contre votre salut, partant, il est nécessaire que vous soumettiez votre volonté à la mienne, car je sais tout et je pourvois à tout ce qui vous est utile. Certes, plusieurs me prient, mais non avec une droite intention, et partant, ils ne méritent pas d'être exaucés.

 

Vraiment, il y a trois sortes de gens qui me servent en ce monde : les premiers sont ceux qui me croient Dieu, auteur de tout bien et puissant sur toutes choses. Ceux-là me servent avec l'intention d'obtenir les honneurs et les choses temporelles, mais les choses célestes leur sont comme rien ; ils les abandonnent avec joie, afin d'obtenir les choses présentes ; à ceux-là la prospérité du siècle leur sourit en tout selon leurs désirs. Et puisqu'ils ont ainsi omis les biens éternels, je récompense tout le bien qu'ils ont fait pour moi, jusqu'à la dernière maill et au dernier point, d'une récompense mondaine et temporelle. Les deuxièmes sont ceux qui me croient tout-puissant et juge sévère.

Ceux-ci me servent par crainte du châtiment, non par amour de la gloire céleste, car s'ils ne craignaient pas, ils ne me serviraient pas. Les troisièmes sont ceux qui me croient créateur de toutes choses, vrai Dieu, miséricordieux et juste. Ceux-ci me servent, non par la crainte de quelque châtiment, mais par dilection, par amour. Ils aimeraient mieux souffrir toutes les peines, s'ils pouvaient, que de provoquer une seule fois ma colère. Les prières de ceux-ci méritent d'être exaucées, car leur volonté est selon ma volonté. Les premiers ne sortiront jamais du supplice et ne verront jamais ma face ; les seconds n'auront pas de si grands supplices, mais ne verront jamais ma face, à moins que la pénitence les corrige de cette crainte trop servile.

 

 

Chapitre 15

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant des conditions d'un grand roi, appropriées à Jésus-Christ.  Des deux coffres par lesquels sont signifiés l'amour de Dieu et l'amour du monde, et de la
doctrine pour
profiter en cette vie.

 

Je suis comme un grand et puissant roi.  Certes, à un roi quatre choses sont requises : 1° il doit être riche ; 2° il doit être doux ; 3° il doit être sage ; 4° il doit être charitable.

 

Je suis vraiment Roi des anges et des hommes ; j'ai aussi quatre conditions que j'ai dites : en effet, je suis très riche, moi qui donne à tous ce qui leur est nécessaire, et pour cela, je n'en diminue pas.
Je suis très doux, moi qui suis prêt à donner à tous ceux qui me demandent quelque chose. 

Je suis très sage, moi qui sais ce qui est dû et ce qui est nécessaire à chacun. 

Je suis très charitable, moi qui suis plus prêt à donner que quelqu'un à demander.

 

J'ai deux coffres : dans le premier est renfermé ce qui est lourd et pesant comme du plomb, et la chambre où est ce coffre est environnée de pointes aiguës. 

Ces deux coffres semblent fort légers à celui qui commence à les remuer et à les porter, mais puis, ils sont pesants comme du plomb.  Et ainsi, ce qui semblait fort pesant devient léger, et ce qui semblait âpre et poignant devient doux.  Dans le second coffre semble être renfermés l'or splendide, les pierres précieuses, des breuvages odoriférants et doux : mais vraiment, cet or n'est que boue, et ces breuvages ne sont que poison.  Pour aller à ces deux coffres, il y a deux voies, et auparavant, il n'y en avait qu'une. 

 

A l'entrée des deux chemins, il y avait un homme qui criait à trois hommes marchant par une autre voix : Entendez, entendez mes paroles, et si vous ne les écoutez pas, voyez de vos yeux que les paroles que je vous dis sont vraies ; que si vous ne les entendez pas, du moins touchez de vos mains, et soyez convaincus qu'il n'y a point de fausseté dans mes paroles.
Alors, le premier des trois dit : Voyons si ses paroles sont vraies. 

Le deuxième dit : Tout ce que cet homme dit est faux. 

Le troisième dit : Je sais que ce qu'il dit est vrai, mais je ne m'en soucie pas.

 

Ces deux coffres ne sont certes autre chose que mon amour et l'amour du monde : mais pour y arriver, il y a deux chemins : l'abjection et la parfaite abnégation de sa propre volonté, qui conduit à
mon amour, et la volupté de la chair, qui conduit à l'amour du monde.  Or, il semble à quelques-uns qu'en mon amour il y a des poids, des faix aussi lourd, aussi pesants que du plomb ; car quand il faut jeûner, veiller ou retenir en bride les appétits de la chair, il leur semble qu'ils portent du plomb.  Que s'ils entendent des paroles injurieuses ; s'ils sont en religion ou en oraison, ils sont comme sous l'aiguillon, ils sont à toute heure oppressés et en proie aux angoisses. 

 

Or, celui qui veut brûler de mon amour doit premièrement tourner son faix en désir et en amour de
bien faire ; et puis, qu'il se soulage peu à peu ; qu'il fasse ce qu'il peut faire, pensant qu'il le peut, si Dieu lui donne la grâce ; qu'il persévère ensuite en ce qu'il a commencé avec une si grande joie et un si grand courage, qu'il commence à porter facilement ce qui lui semblait être si pesant, et que toute la
rigueur des jeûnes, des veilles, et autres exercices pesants comme du plomb, lui soient légers comme des plumes. 

C'est sur ce siège que mes amis se reposent, et que les méchants et les lâches s'inquiètent, comme s'ils étaient entourés d'escourgées et de poignantes épines ; mais mes amis y trouvent un grand repos, doux comme des roses.

 

Il y a, pour aller vers ce coffre, une voie droite, qui est le mépris de sa propre volonté, alors que l'homme, ayant considéré ma passion et mon amour, résiste de toutes ses forces à sa propre volonté, et est incessamment allé vers ce qu'il y a de meilleur.  Et bien que cette voie soit d'abord un peu rude, elle plaît néanmoins beaucoup dans le progrès, de sorte que ce qui semblait au commencement impossible d'être porté, devient ensuite très léger et très facile, et l'on se dit à bon droit : Le joug de
Dieu est doux.

 

Le monde est le second coffre, dans lequel sont renfermés l'or, les pierres précieuses, les breuvages et les parfums odoriférants : mais néanmoins, goûtez, ils sont amers comme le poison. 

En effet, il arrive à ceux qui portent de l'or, que, le corps et les membres étant affaiblis, les moelles
desséchées, ils meurent ; alors, ils laissent leur or, et leurs pierreries ne leur servent pas plus que la boue.  Les breuvages du monde aussi, c'est-à-dire, les plaisirs, leur semblent doux ; mais lorsqu'on les possèdes, ils débilitent la tête, chargent le coeur, brisent tous les membres, et peu de temps après, l'homme se dessèche comme du foin ; et la douleur de la mort approchant, tout ce qui était délectable devient plus amer que le fiel.  A ce coffre conduit la volonté propre, quand l'homme n'a pas le soin de résister à ses passions perverses et d'anéantir les affections désordonnées, et qu'il ne médite pas ce que j'ai commandé et ce que j'ai fait, mais exécute soudain tout ce qui lui vient en pensée, soit licite, soit illicite.  Sur cette voie marchent trois sortes d'hommes, par lesquels j'entends tous les réprouvés qui aiment le monde et leur volonté propre.

 

J'ai donc crié, quand j'étais aux entrées des voies : en effet, prenant une chair humaine, j'ai montré aux hommes comme deux voies, savoir : ce qu'il fallait faire et ce qu'il fallait fuir, quelle voie
conduisait à la vie et quelle à la mort.  Car avant que je me fusse incarné, il n'y avait qu'une voie par laquelle les mauvais descendaient en enfer et les bons dans les limbes.  Or, je suis celui qui criait en ces termes : O hommes ! entendez mes paroles, qui conduisent à la voie de vie, vivant éternellement, car elles sont vraies, et vous pouvez le connaître par ce que je vous dis sensiblement.  Que si vous ne les entendez pas ou ne pouvez pas les entendre, pour le moins voyez, par la foi et par l'esprit, que mes paroles sont vraies : car comme l'oeil corporel voit l'objet visible, de même, par les yeux de la foi, on voit et on croit ce qui est invisible.  Enfin, il y a dans l'Église plusieurs âmes simples qui font peu de bien, néanmoins elles sont sauvées par la foi, me croyant Créateur et Rédempteur.

 

Certes, il n'y en pas un qui ne puisse entendre que je suis Dieu et le croire. S'il considère comment la terre porte des fruits ; de quelle manière le ciel donne des pluies ; comment les arbres fleurissent; de quelle manière chaque animal subsiste en son espèce ; comment les astres servent à l'homme, et les événements contraires à la volonté de l'homme : par toutes ces choses, l'homme peut voir qu'il est mortel ; que Dieu est celui qui dispose toutes chose selon ses desseins éternels. 

 

En effet, s'il n'y avait pas un Dieu, tout serait en désordre.  Donc, tout est dépendant de Dieu, et toutes choses sont raisonnablement disposées pour l'édification de l'homme ; et il n'y a rien, si petit qu'il soit, qui subsiste sans raison.  Donc, si l'homme, à raison de son infirmité, ne peut comprendre ni entendre ma vertu comme elle, il la peut néanmoins voir et croire par la foi.  Que si, ô homme ! vous ne voulez pas considérer par l'esprit ma puissance, vous pouvez néanmoins toucher de vos mains les oeuvres que j'ai faites, et mes saints, car elles sont tellement claires qu'aucun ne peut douter qu'elles ne soient oeuvre de Dieu.  Qui a ressuscité les morts et éclairé les aveugles, si ce n'est Dieu ? Qui a chassé les démons, si ce n'est Dieu ?
Qu'a-je enseigné, sinon des choses utiles pour le salut de l'âme et du corps, et des choses faciles à supporter ?

 

Mais le premier homme dit, c'est-à-dire, quelques-uns disent : Voyons, et éprouvons si ces paroles sont vraies : Ceux-là persistent quelque temps à mon service, non en raison de l'amour, mais en
considération de l'expérience et l'imitation des autres, non en laissant leur propre volonté, mais en
faisant la leur et la mienne.  Ceux-là sont en grands dangers de servir deux maîtres, bien qu'ils ne puissent bien servir ni l'un ni l'autre ; mais quand ils sont appelés, ceux qui auront plus aimé Notre-Seigneur seront récompensés.

 

Le deuxième, c'est-à-dire, quelques-uns : Tout ce qu'il dit est faux, et fausse est l'Écriture.  Je suis Dieu ; je suis Créateur de toutes choses, et sans moi, il n'y a rien de fait ; j'ai établi l'ancienne et la nouvelle loi ; tout est sorti de ma bouche, et il n'y a point de fausseté en elle ; car je suis la Vérité.

 

Tous ceux donc, dit Notre-Seigneur, qui disent que j'ai menti et que mon Écriture sainte est fausse ; ne verront jamais ma face, car la conscience leur dicte que je suis Dieu, car toutes choses sont selon
ma volonté et disposition ; le ciel les illumine, et eux ne se peuvent illuminer ; la terre produit les fruits, l'air la fécondité ; tous les animaux ont un certain penchant et une certaine disposition ; les
diables croient en moi ; les juste souffrent des choses incroyables pour l'amour de moi ; ils voient
toutes ces choses, et néanmoins, ils ne me voient point ; ils pourraient encore me connaître en ma justice, s'ils considéraient comment la terre a englouti les impies, et comment le feu a brûlé les
iniques ; de même ils me pourraient voir en ma miséricorde, quand, pour les justes, l'eau sortit du
rocher ; quand la mer leur céda ; quand le feu ne les brûla pas ; quand le ciel, comme la terre, les nourrit ; et parce qu'ils voient tout cela et qu'ils disent que je mens, ils ne verront pas ma face.

 

Le troisième dit, c'est-à-dire, quelques-uns : Nous savons bien qu'il est vrai Dieu, mais nous ne nous en soucions pas : ceux-ci seront éternellement tourmentés en enfer, car ils me connaissent et ils me
méprisent, moi qui suis leur Seigneur et leur Dieu.  N'est-ce pas une grande ingratitude s'ils se servent de mes biens, et toutefois qu'ils me méprisent et ne me servent aucunement ? Car s'ils les avaient de leur industrie propre, et non véritablement de moi, le mépris en serait petit.  Or, ceux qui commencent de porter mon joug, et cela volontairement et avec un fervent désir, s'efforcent de faire ce qu'ils peuvent : à ceux-là, je leur donnerai ma grâce.  Or,  ceux qui supportent mon poids, c'est-à-dire, qui s'efforcent d'un jour à l'autre, pour l'amour de moi, d'avancer dans le chemin de la perfection, je travaillerai avec eux, je ferai leur force et les enflammerai d'amour, afin qu'ils me désirent davantage.  Or, ceux qui sont assis sur le siège incommode à cause de ses pointes, bien qu'il soit néanmoins un lien d'un très grand repos, ceux-là sont nuit et jour dans les peines, dans les
souffrances avec patience et résignation, et ne s'abattent pas, mais brûlent et s'enflamment de plus en plus ; même tout ce qu'ils font leur semble peu de chose : ouis, ceux-là sont mes amis très chers ;
ceux-là sont en petit nombre, parce que les parfums et les breuvages du second coffre plaît plus aux autres.

 

Chapitre 16

 

En quelle manière il semblait à l'épouse qu'un des saints parlait à Dieu de quelque femme foulée horriblement par le diable, laquelle dut ensuite délivrée par les prières de la glorieuse Vierge.

 

Il semblait à sainte Brigitte, épouse, qu'un des saints parlait à Dieu, disant : Pourquoi l'âme de cette femme, que vous avez rachetée de votre sang, est de la sorte foulée par le diable ? 

 

Le diable répondit soudain, disant : Parce que, de droit, elle est à moi.  Et alors, Notre-Seigneur dit : De quel droit est-elle à toi ?

 

Le démon répondit : Il y a deux voies : l'une conduit aux choses célestes, l'autre aux choses infernales ; or, quand elle les considérait toutes les deux, sa consciences et sa raison erronés lui dictaient de choisir plutôt la mienne. Et d'autant qu'elle avait la pleine et libre volonté de se tourner vers le voie qu'elle aimerait le mieux, il lui a semblé qu'il était plus utile de tourner sa volonté à commettre le péché, et alors, elle a commencé de marcher par ma voie.
Après, je l'ai déçue par trois vices, savoir, par la gourmandise, par la cupidité de gourmandise et par la luxure.  C'est pourquoi je suis maintenant sur son sein, et je la tiens avec cinq mains : avec l'une je tiens ses yeux, afin qu'elle ne voie pas les choses spirituelles ; avec la deuxième, je tiens ses mains, afin qu'elle ne fasse pas de bonnes oeuvres ; avec la troisième, je tiens ses pieds, afin qu'elle n'aille pas vers le bien ; avec la quatrième, je tiens son entendement, afin qu'elle n'ait pas honte de pécher, et avec la cinquième, je tiens son coeur, afin qu'elle ne revienne pas à Dieu par la contrition.

 

Alors, la Sainte Vierge dit à Notre-Seigneur, son Fils : Mon Fils, contraignez le diable à dire la vérité sur ce que je veux lui demander.  Et son Fils lui dit : Vous êtes ma très chère Mère ; vous êtes l'incomparable Reine du ciel ; vous êtes Mère de miséricorde ; vous êtes l'indicible consolation de ceux qui sont en purgatoire ; vous êtes la joie de ceux qui sont pèlerins en ce monde ; vous êtes Dame des anges ; vous êtes très excellente avec Dieu ; vous êtes aussi princesse sur le diable : commandez donc à ce démon tout ce que vous voudrez, ô ma Mère ! et il vous répondra.

 

Alors la Sainte Vierge commanda à ce diable : Dis, ô diable ! quelle intention a eu cette femme avant d'entrer dans l'Église ?

Le diable lui répondit : Elle a eu la volonté de s'abstenir du péché.

 

Et la Sainte Vierge lui dit : Puisque la volonté qu'elle a eue auparavant la conduisait en enfer, dis à quoi tend la volonté qu'elle a maintenant de s'abstenir du péché. 

 

Le diable lui repartit à regret : Cette volonté de se garder de pécher la conduit au ciel. 

 

Et la Sainte Vierge répliqua : D'autant que, de droit, pour la première et mauvaise volonté, vous l'avez écartée de la voie méritoire qui conduit à l'Église, la justice et l'équité veulent que, par la volonté présente qu'elle a de ne plus pécher, elle soit ramenée à l'Église. Je te demande aussi, ô diable ! quelle volonté elle a eu au point où en est maintenant sa conscience. 

 

Le diable répond : Elle a la contrition dans l'esprit pour les choses qu'elle a faites, et un grand repentir, se proposant de ne les jamais plus commettre ; mais elle veut s'amender autant qu'elle peut. 

 

La Sainte Vierge demanda de nouveau au diable : Dis-mois : ces trois péchés : la luxure, la gourmandise et la cupidité, peuvent-ils être dans un même coeur avec ces trois biens, savoir : la contrition, les larmes et le ferme propos de s'amender ?

 

Le diable lui répondit : Non.

 

La Sainte Vierge dit alors : Sont-ce ces trois vertus ou ces trois vices qui doivent se retirer de son coeur, car tu dis qu'ils ne peuvent demeurer ensemble ?

 

Le diable dit : Ce sont les vices. 

 

Et alors la Vierge dit : Donc, la voie qui la conduisait en enfer lui est fermée, et la voie du ciel lui est ouverte.  Outre cela, la Sainte Vierge demanda au diable : Dis-moi : si le larron demeurait à la porte de l'épouse pour la violer, que lui ferait l'époux ? 

 

Le diable répondit : Si l'époux est bon et magnanime, il doit la défendre et exposer sa vie pour la sienne. 

 

Alors la Sainte Vierge repartit : Tu es ce pernicieux larron ; cette âme est l'épouse de mon Fils, car il
l'a rachetée de son propre sang.  Tu l'as donc enlevée et corrompue par violence.  Partant, attendu que mon Fils est l'époux de cette âme et seigneur sur toi, il faut que tu fuies loin d'elle.
 

(I) Il ne faut pas penser que les pécheurs ayant la foi soient hors de l'Église : l'Église est au champ où sont le bon grain et le mauvais grain.
Cette femme était une courtisane qui ne voulait pas retourner dans le monde ; le diable la molestait jour et nuit, lui enfonçait les yeux, la tirait de son lit.  Sainte Brigitte lui commanda de se retirer ; cette femme fut affranchie, voire même des mauvaises pensées.

 

Chapitre 17

 

Paroles de Jésus-Christ disant en quelle manière le pécheur est semblable à l'aigle, à l'oiseleur et à celui qui se bat à coups de poing.

 

Moi qui vous parle, je suis Jésus-Christ, qui a été dans le sein de la Vierge, vrai Dieu et vrai homme, gouvernant néanmoins toutes choses avec mon Père, bien que je fusse avec la Vierge.

 

Le pécheur, mon ennemi pernicieux, est semblable à trois choses : 1° à l'aigle volant dans les airs, l'aigle sous lequel volent les autres oiseaux ; 2° à l'oiseleur qui chante avec une flûte frottée de bitume tenace : les oiseaux, se délectant de la voix de cette flûte, se reposent sur elle, et sont pris et retenus par la glu ; 3° il est semblable à celui qui se bat à coups de poings, qui est le premier en toutes sortes de combats.

 

Certainement, il est semblable à l'aigle, attendu que, par sa superbe, il ne souffrirait pas, s'il le pouvait, que quelqu'un fût son supérieur, et déchire autant qu'il peut la renommée de tous avec les
ongles de sa malice, et je le jetterai dans le feu inextinguible, où il sera tourmenté sans fin, s'il ne s'amende.

 

Il est semblable à l'oiseleur, d'autant que, par la douceur de ses paroles et de ses promesse, il attire à soi tout le monde.  Or, ceux qui viennent à lui sont tellement exposés à leur perte, que ce n'est qu'à grande peine qu'ils pourront s'en échapper.  Partant, les oiseaux de l'enfer becquèteront ses yeux, afin qu'il ne voie jamais ma gloire, mais bien les ténèbres éternelles de l'enfer.  On lui coupera les oreilles, afin qu'il n'entende pas les paroles de ma bouche.  De la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, on lui causera autant de douleur qu'il a pris de plaisir, afin qu'il souffre autant de peine qu'il a conduit de personnes à leur ruine.

 

Il est aussi semblable à celui qui se bat à coups de poing, qui est le premier en totue sorte de malices, ne cède à personne et se résout à opprimer tout le monde.  Partant, il sera le premier en toute sorte de
peines ; sa douleur sera toujours renouvelée ; néanmoins, tant que son âme est avec son corps, ma miséricorde est toute prête à le recevoir.

 

Chapitre 18

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse sainte Brigitte, qui traitent comment l'humilité doit être dans la maison de Dieu, et comment, par cette maison, la religion est désignée ; et aussi, quels édifices il
faut construire et
quelles aumônes il faut faire avec ce que nous avons bien acquis, et du
moyen de restituer le bien mal acquis.

 

La plus grande humilité doit régner dans ma maison, mais elle y est tout à fait méprisée.  Il doit y avoir en elle un mur épais élevé entre les hommes et les femmes ; car bien que je puisse les défendre tous et les contenir sans mur, je veux néanmoins, à cause des ruses de Satan, qu'un mur divise et
sépare une habitation de l'autre ; qu'il soit épais, non pas trop élevé, mais médiocre ; que les fenêtres soient simples et lumineuses ; que le toit soit modérément haut, en sorte qu'en tout on voie paraître l'humilité : car ceux qui, maintenant, m'édifient des maisons, sont semblables aux maîtres architectes qui prennent par les cheveux le maître de l'édifice, quand il y entre, le foulent aux pieds, mettent la boue au sommet et l'or sous les pieds ; ceux-ci font de même, parce qu'ils édifient la boue,

c'est-à-dire, élèvent jusqu'au ciel les choses temporelles et périssables, mais ne se soucient pas des âmes, qui sont plus précieuses que l'or.
Si je veux entrer dans leur coeur, ou par la prédication, ou par l'inspiration et la contemplation, ils me prennent par les cheveux et me foulent aux pieds, c'est-à-dire, ils blasphèment mes paroles et les réputent méprisables comme la boue ; quant à eux, ils s'estiment fort sages.  Que s'ils voulaient
édifier pour moi, ils édifieraient premièrement pour mon honneur et pour le salut des âmes.

 

Or, quiconque veut édifier ma maison, qu'il prenne soigneusement garde de n'y pas employer un seul denier qui ne vienne d'une bonne et juste acquisition.  Certes, il y en a plusieurs qui savent que les biens qu'ils possèdent viennent d'une mauvaise acquisition, et néanmoins, ils ne s'en inquiètent pas ; ils n'ont pas la volonté de restituer, de satisfaire à ceux qui en ont été dépouillés, bien qu'ils pussent restituer et satisfaire, s'ils le voulaient ; mais néanmoins, considérant qu'ils ne les peuvent retenir éternellement, ils donnent à l'Église une partie de ce qu'ils ont injustement acquis, comme si, par ce don, ils m'avaient tout à fait apaisé. Mais ils réservent à leur postérité le bien qu'ils ont cquis.  Certes, cela ne me plaît point, car quiconque veut que ses dons me plaisent, doit premièrement avoir le vif désir de s'amender, et faire ensuite toutes les bonnes oeuvres qu'il pourra ; il doit aussi pleurer sur
ses fautes passées, restituer, s'il peut, et s'il ne le peut pas, il doit avoir la volonté de le faire quand il pourra, et se donner garde qu'à l'avenir il ne commette des fautes semblables.  S'il ne pouvait savoir à qui il doit restituer, il pourrait alors me donner son bien, à moi qui puis le rendre à chacun.  Que s'il ne le peut rendre, qu'il s'humilie avec un coeur contrit et avec la résolution de s'amender.  Je suis riche pour rendre, ou en ce siècle ou en l'autre, leurs biens à ceux qui en ont été dépouillés.

 

Je vais vous montrer ce que signifie la maison que je veux édifier.

 

Cette maison est la religion, de laquelle je suis le fondement, moi qui ai créé toutes choses, et par qui toutes choses sont faites et subsistes.  Il y a quatre murs dans cette maison : le premier est ma justice, avec laquelle je jugerai tous ceux qui la contrarient et la haïssent ; le deuxième est ma sagesse, avec laquelle j'illumine de ma splendeur tous ceux qui l'habitent ; le troisième est ma puissance, par laquelle je les conforterai et les affermirai contre les embûches du diable ; le quatrième est ma miséricorde, qui reçoit tous ceux qui la demandent.  En cette muraille est la porte de la grâce, par laquelle sont reçus tous ceux qui la demandent.  Le toit de la maison est la charité, par laquelle je couvre les péchés de ceux qui m'aiment, afin que ces péchés ne les damnent pas.  La fenêtre du toit, par où entre le soleil, est la considération de ma grâce, par laquelle la chaleur de ma Divinité entre dans le coeur de ceux qui habitent cette maison.

 

Quant à ce que nous avons dit, que le mur doit être grand et fort, cela signifie que nul ne peut affaiblir mes paroles ni les détruire.  Mais quant à ce que ce mur doit être médiocrement haut, cela
signifie que ma sagesse peut être en partie entendue et comprise, mais non pas entièrement.  Les
fenêtres simples et lumineuses signifient que, par mes paroles, bien qu'elles soient simples, la lumière et la connaissance divine entre néanmoins dans le monde.  Le toit médiocrement haut
signifie que mes paroles se manifestent, non pas en un sens incompréhensible, mais intelligible.

 

Chapitre 19

 

Paroles du Créateur à son épouse, par lesquelles il traite de sa magnificience, de sa puissance, de sa sagesse et de sa vertu, et comment ceux qu'on appelle sages pèchent plus contre lui. Je suis l'adorable Créateur du ciel et de la terre.  J'ai trois choses avec moi : je suis très puissant, très sage et très vertueux.

Certes, je suis si puissant que les anges m'honorent dans le ciel ; les démons, dans l'enfer, n'osent pas me regarder ; avec un clin d'oeil, j'arrête tous les éléments.
Je suis si sage que nul ne peut trouver le fond de ma sagesse, si savant, que je sais tout ce qui a été et sera ; je suis aussi si raisonnable, qu'il n'y a vermisseau ni animal, si difforme et si petit qu'il soit, que ne l'aie fait pour quelque fin.  Je suis aussi si vertueux que de moi, comme d'une source vive, sort tout bien, comme toute douceur procède d'une bonne vie.

 

Parant, nul ne peut sans moi être puissant, sage, vertueux.  Donc, les puissants de ce siècle, auxquels j'ai donné la force et la puissance pour m'honorer, pèchent contre moi ; mais ils s'en arrogent l'honneur, comme s'ils avaient par eux-mêmes et la puissance et la force, ne considérant pas,
misérables qu'ils sont, leur imbécilité ; car si je leur donnais la moindre infirmité, ils défaudraient soudain, et toutes choses leur seraient viles.
Mais comment alors subsisteront-ils contre ma force et contre l'enfer ? Or, ceux-là pêchent plus grièvement contre moi, qui maintenant sont appelés sages. Certes, je leur ai donné le sens, l'entendement et la sagesse, afin qu'ils m'aimassent, mais ils ne se soucient que de l'utilité temporelle.
Ils ont les yeux derrière la tête ; ils voient ce qui est délectable, mais ils sont aveugles pour voir que je leur ai donné toutes choses, et il ne m'en remercient pas ; car sans moi, nul ne pourrait comprendre ni goûter le bien et le mal, quoique je permette aux mauvais de fléchir et de tourner leur volonté vers ce qu'ils voudront.  Nul aussi ne peut être vertueux sans moi ; partant, je puis m'attribuer le proverbe commun : Celui qui est patient est méprisé de tous.  De même, à raison de ma patience, les hommes
m'estiment par trop fou, et partant, je suis méprisé de tous.

 

Mais malheur, funeste malheur à ceux auxquels, après ma patience, je montrerai les rigueurs horribles de ma justice ! car ils seront comme de la boue devant ma justice, qui ne s'arrêtera que lorsque cette boue se sera écoulée dans l'enfer.

 

Chapitre 20

 

Colloque agréable de la Vierge Mère avec son Fils, et de la Vierge Mère et son Fils avec l'épouse, où il est traité de la manière dont elle doit se préparer aux noces.

 

La Mère de Dieu semblait dire à son fils : O mon Fils, vous êtes Roi de gloire ; vous êtes Seigneur sur tous les seigneurs ; vous avez créé le ciel, la terre et tout ce qui est compris en eux : donc, que
votre désir soit accompli, que votre volonté soit faite.

 

Le Fils répond : C'est l'ancien proverbe : ce qu'on a appris dans la jeunesse, on le retient dans la vieillesse. De même vous, ô ma Mère ! vous avez appris dans votre jeunesse à suivre ma volonté, en
renonçant à la vôtre pour l'amour de moi ; c'est pourquoi vous avez bien dit :
Que votre volonté soit faite.

Vous êtes comme l'or précieux qui est étendu et frappé sur l'enclume, attendu que vous avez été frappée de toutes sortes de tribulations et avez souffert mille maux durant mon inexprimable passion;
car lorsque mon corps était brisé sur la croix par la violence de la douleur, votre coeur était blessé de cela comme d'un fer très poignant, et vous eussiez permis volontiers qu'il fût déchiré, si telle eût été ma volonté ; vraiment, quand vous eussiez pu vous opposer à ma passion et désirer ma vie, vous ne l'eussiez voulu que conformément à ma volonté.
Partant, vous dites à bon droit : Que votre volonté soit faite.

 

Après, la Sainte Vierge parlait à l'épouse disant : Épouse de mon Fils, aimez-le, car il vous aime ; honorez ses saints, qui sont en sa présence, car ils sont comme d'innombrables étoiles (Matth. 13) ;
leur éclat et leur splendeur ne peuvent être comparés à aucune lumière temporelle ; car comme la lumière du monde est différente des ténèbres, de même il y a beaucoup plus de différence entre la lumière des saints et la lumière de ce monde.
Je vous dis en vérité que si quelqu'un pouvait voir les saints dans l'éclat où ils sont, l'oeil humain ne pourrait en soutenir la splendeur, mais il serait privé de la lumière corporelle.

 

Après, le Fils de la Vierge parlait à son épouse, disant : Mon épouse, vous devez avoir quatre choses: 1° vous devez être préparée pour les noces de ma Divinité, dans lesquelles il n'y a aucune volupté
charnelle, mais où il y a un grand plaisir spirituel, tel qu'il est convenable que Dieu prenne avec
l'âme chaste : de sorte que l'amour de vos enfants, des biens, des parents, ne doit vous retirer de mon amour, de peur qu'il ne vous arrive comme à ces vierges folles (Matth. 25) qui n'étaient point préparées quand Notre-Seigneur les voulut appeler aux noces. 

Partant, elles en furent à juste raison exclues.

 

2° Vous devez croire à mes paroles, car je suis la Vérité, source de vérité, et il n'est jamais sorti de ma bouche que la vérité, et on ne peut trouver que vérité en mes paroles, d'autant que, quelquefois,
j'entends spirituellement ce que je dis, quelquefois à la lettre, et alors mes paroles doivent être dûment entendues; et partant, nul ne peut m'accuser de mensonge.

 

3° Vous devez être obéissante.  Qu'il n'y ait aucun de vos membres qui, ayant failli, ne subisse une digne pénitence et ne fasse une amendement, car bien que je sois miséricordieux, je ne laisse pas
néanmoins ma justice.
Partant, obéissez humblement et joyeusement à ceux à qui vous devez obéir ; même ne faites pas ce qui vous semble utile et raisonnable, si c'est contre l'obéissance.  En effet, il est mieux de renoncer par obéissance à votre propre volonté, quoique votre volonté soit bonne, et de suivre la volonté de
celui qui commande, si ce qu'il vous commande n'est pas, ou contre le salut de votre âme, ou irraisonnable.

 

4° Vous devez être humble, car vous êtes unie par un mariage spirituel : donc, vous devez être humble et pudique à l'arrivée de votre époux.  Que votre servante, c'est-à-dire, votre corps, soit modérée et retenue, mortifiée et bien conduite.  Vous serez certes fructueuse et féconde par la
semence spirituelle, et utile à plusieurs; car comme si le greffe est entré en un tronc sec, le tronc fleurit sans fruit, de même, vous devez fleurir et fructifier par ma grâce, qui vous enivrera, afin que
toute la cour céleste se réjouisse du vin de douceur que je vous vois donner.
Ne vous défiez pas de ma bonté.  Je vous certifie que, comme Zacharie et Élisabeth se réjouissaient intérieurement d'une joie ineffable, quant leur fut faite la promesse d'un enfant futur, ainsi vous vous réjouirez intimement des grâces dont je veux vous combler, et d'ailleurs, les autres se réjouiront par vous.

Un ange parlait à deux, à Zacharie et à Élisabeth : et moi, Dieu, Créateur des anges et votre Dieu tout-puissant, je parle avec vous.  Ces deux ont engendré mon ami Jean : et moi, par vous, je veux
engendrer plusieurs enfants, non charnels, mais spirituels.  Je vous dis en vérité que Jean était semblable à un vase plein de miel, d'autant qu'en sa bouche, il n'est jamais entré rien de souillé, et qu'il n'a jamais rien avalé que ce qui était nécessaire à la vie, et s'est toujours conservé dans la pureté, de sorte qu'on le peut bien appeler par excellence ange et vierge.

 

Chapitre 21

 

Paroles de l'Époux et l'épouse en une très belle figure. Magicien par lequel le diable est admirablement désigné et signifié.

 

L'époux parlait en figure à son épouse, rapportant l'exemple de la grenouille et disant : Un magicien avec de l'or très bon et très brillant.
Un homme simple et doux, voulant l'acheter, alla vers le magicien, qui lui dit : Vous n'aurez pas cet or, si vous ne m'en donnez de meilleur et en plus grande quantité.  Cet homme simple repartit : Je désire tant votre or que j'aime mieux vous en donner tout ce que vous voudrez que de ne point
l'avoir.  Et ayant donné au magicien un or meilleur et en une plus grande quantité, il reçut de lui cet or splendide et le mit en son cabinet, pensant en faire un anneau pour son doigt.

 

Or, un peu de temps s'étant écoulé, le magicien vint vers cet homme simple et lui dit : L'or que vous m'avez acheté et que vous avez mis dans votre cabinet, n'est pas de l'or, mais une grenouille très vile, qui a été nourrie dans ma poitrine et nourrie de ma viande.  Et comme il en voulut faire l'expérience, la grenouille apparut en son cabinet, le couvercle duquel pendait sur les quatre gonds, comme celui qui devait tomber de l'instant.
Lors, ayant ouvert la porte du cabinet, et ayant vu la grenouille le magicien, celle-ci se jeta en sa poitrine. Voyant cela, les serviteurs et les amis de cet homme simple lui dirent : Seigneur, l'or est caché dans la grenouille, et si vous le voulez, vous le pourrez heureusement avoir. Comment le pourrai-je avoir, dit-il ? Ils lui dirent : Si l'on prenait une lancette fort aiguë et fort chaude, et qu'on l'enfonçât dans le dos de la grenouille, où il est caché, alors soudain il pourrait avoir cet or. Que si
l'on ne peut trouver de creux en elle, il faudrait alors enfoncer puissamment et profondément la lancette, et ainsi, vous pourriez avoir ce que vous avez acheté.

 

Qui est ce magicien, sinon le diable, qui persuade aux hommes les plaisirs, les délectations et les honneurs du monde, qui ne sont qu'une grenouille ? car il assure que le faux est vrai, et fait voir le vrai faux ; car il possède cet or précieux, c'est-à-dire, l'âme que j'ai faite, par la puissance adorable de ma Divinité, plus précieuse que les étoiles et les planètes ; que j'ai créée pour moi immortelle, stable et délectable par-dessus toutes choses, et lui ai préparé avec moi une habitation, un repos eternel.  

J'ai racheté cette âme de la puissance du démon avec un meilleur or et un plus grand prix, quand, par amour pour elle, j'ai donné ma chair exempte de péché et impeccable, et ai souffert une si amère passion qu'aucun de mes membres n'a été sans quelque blessure ; et en la créant, je l'ai mise en son corps comme dans un cabinet, jusqu'à ce que je la place dans la dignité suréminente de ma Divinité.  Or, maintenant, l'âme étant rachetée de la sorte, elle est devenue comme une grenouille très laide et très vile, sautant par la superbe, et demeurant dans le bourbier par la luxure, et elle a enlevé mon or, c'est-à-dire, ma justice. 

 

Et partant, le diable peut me dire à bon droit : L'or que vous avez acheté n'est pas de l'or, mais une grenouille nourrie au sein de mes plaisirs.  Séparez donc le corps de l'âme, et vous verrez qu'elle s'envolera soudain dans mon sein où elle a été nourrie.  Je réponds à cela : Vu que la grenouille est horrible à voir, facheuse à ouïr, vénéneuse à l'attouchement, et qu'elle ne m'apporte aucun bien, aucun plaisir, mais bien à vous, qui l'avez nourrie dans votre poitrine, elle vous appartient de droit. 

 

Partant, séparée du corps, elle s'envolera soudain pour demeurer éternellement avec vous. Car telle est l'âme de celui dont je vous parle : certes, elle est comme un grenouille pernicieuse, pleine d'immondicités, et nourrie de voluptés infâmes dans la poitrine de Satan. 

J'approche maintenant de son cabinet, c'est-à-dire, de son corps, par l'approche de la mort, qui pend sur quatre gonds qui tombent en ruine, attendu que son corps subsiste par quatre choses : par la force, la beauté, l'afféterie, le regard, qui tous commence à défaillir et à se flétrir. 

 

Quand l'âme sera séparée du corps, elle s'envolera soudain vers le diable, du lait duquel elle est nourrie, d'autant qu'elle a oublié mon amour, qui m'avait fait anéantir et subir la peine et le supplice qu'elle méritait ; car elle ne me rend pas plaisir pour plaisir ; mais d'ailleurs, elle ôte ma justice : elle me devait mieux servir que cela, d'autant que je l'avais rachetée plus qu'aucune autre créature ; mais elle aime mieux être avec le démon.  La voix de son oraison m'est comme la voix de la grenouille ; sa vue m'est abominable ; son ouïe n'entendra jamais ma joie mélodieuse ; son attouchement envenimé ne sentira pas ma Divinité.  Mais néanmoins, parce que je suis miséricordieux, son âme, bien qu'elle soit immonde, si quelqu'un la sondait et considérait s'il y a en elle quelque contrition ou quelque bonne volonté, et enfonçait en son esprit une lance pointue et fervente, c'est-à-dire, la crainte de mon sévère jugement, son  âme trouverait encore ma grâce, si elle voulait y consentir.  Que s'il n'y avait en elle ni contrition ni charité ; si quelqu'un la piquait d'une mordante correction et d'une dure répréhension, il y aurait encore en elle quelque espérance, car tant que l'âme vit avec le corps, ma miséricorde infinie est ouverte à tous.
 

Voyez donc que je suis mort pour la charité, et personne ne me rend la charité, mais me ravit ma justice, car il serait juste que les hommes vécussent, d'autant mieux qu'ils ont été éminemment
rachetés d'un plus grand labeur.  Mais maintenant, ils veulent vivre plus mal que je les ai plus
amèrement et plus précieusement rachetés, et veulent pécher d'autant plus perfidement que plus je leur ai montré l'abomination de leur péché. Partant, voyez et considérez que je ne me courrouce pas sans sujet, car il convertissent ma grâce en leur malheur ; je les ai rachetés du péché, et ils se plongent de plus en plus dans le péché.  Vous donc, ô mon épouse ! rendez-moi ce que vous me devez, c'est-à-dire, gardez-moi votre âme pure, car je suis mort pour vous, afin que vous la gardiez pure et intacte.

 

Chapitre 22

 

Des demandes de la douce Mère de Dieu à l'épouse ; des réponses humbles de l'épouse à la Mère ; des répliques utiles de la Mère à l'épouse, et du profit des bons entre les mauvais.

 

La Mère de Dieu parlait à l'épouse de son Fils, lui disant : Vous êtes l'épouse de mon Fils.  Dites ce que vous avez dans l'âme et ce que vous demandez. L'épouse lui répondit : Vous le connaissez fort
bien, ô notre Dame ! car vous savez tout.  Et alors la Sainte Vierge lui dit : Bien que je sache tout, néanmoins je connaîtrai cela même quand vous parlerez en la présence des assistants, qui vous écoutent.  Alors l'épouse repartit : Je crains deux choses : 1° que je ne pleure ni n'amende mes
péchés comme je voudrais ; 2° je m'afflige de ce que plusieurs de vos enfants sont vos ennemis.  La Sainte Vierge répondit : Je vous donne trois remèdes contre le premier.

 

En premier lieu, pensez que toutes les choses qui ont une âme comme les grenouilles et le reste des animaux, reçoivent quelquefois des incommodités ; néanmoins, leur âme ne vit pas éternellement, mais elle meurt avec le corps : mais votre âme et celle de tous les hommes vivent éternellement.  En
deuxième lieu, considérez la miséricorde de Dieu, car il n'y a pas homme, quelque pécheur qu'il soit, qui n'obtienne pardon, s'il m'en prie avec propos de s'amender et avec contrition du passé. En troisième lieu, voyez combien est grande la gloire de l'âme qui vit et règne sans fin en Dieu et
avec l'éternité de Dieu infini.

 

Contre le deuxième, qui dit que les ennemis de Dieu sont nombreux, donnez aussi à vous-mêmes trois remèdes : 1° considérez que votre Dieu, votre Créateur et le leur, est leur juge, et ils ne jugeront
jamais désormais, bien que, jusqu'au temps destiné, il supporte patiemment leur malice ;

2° pensez qu'ils sont enfants de damnation, et combien pesant et insupportable leur sera de toujours brûler malheureusement d'un inextinguible feu.  Ils sont très pernicieux serviteurs ; ils ne seront jamais mes héritiers, mais mes enfants posséderont mon héritage.

 

Or, vous me direz peut-être : Il ne faut donc par leur prêcher la parole de Dieu ? Véritablement vous devez considérer qu'entre les mauvais, il y en a d'ordinaire des bons, et les enfants adoptifs se retirent
souvent du bien, comme l'enfant prodigue, qui s'en alla en une autre région éloignée et vécut mal ; et même souvent, ceux-là même sont excités à la componction par la prédication, et retournent vers leur père, qui les reçoit avec autant de plaisirs qu'auparavant ils étaient partis pécheurs.
Partant, il leur faut prêcher, car bien que le prédicateur voie presque tous ses auditeurs méchants, il doit considérer néanmoins à part soi qu'il y en a parmi ceux-là qui seront peut-être enfants de Dieu.  Qu'il leur prêche donc, car ce prédicateur jouira d'une très bonne récompense.

 

En troisième lieu, considérez qu'on  permet aux méchants de vivre pour éprouver les bons, afin qu'étant exercés par leurs moeurs fâcheuses, les bons soient récompensés par le fruit de leur patience, comme vous le pourrez comprendre par un exemple.

 

Bien que la rose sente bon, soit agréable à la vue, douce au toucher, néanmoins, elle ne croît que parmi les épines, qui sont âpres au touche, laides à la vue et ne sentent point bon.  De même aussi,
les hommes bons et justes, bien qu'ils soient doux par leur patience, beaux en leurs moeurs,
agréables en leur conversation, ne peuvent néanmoins s'avancer ni être éprouvés que parmi les mauvais.  Quelquefois l'épine empêche que la rose soit cueillie avant qu'elle soit éclose et épanouie : de même les mauvais empêchent les bons de se laisser aller au mal ; souvent ils sont retenus
comme par un frein par la malice des méchants, afin qu'ils ne s'échappent pas par la joie immodérée ou par quelque autre péché.  On ne connaît jamais bien le bon vin que dans la lie : de même les bons et les justes ne peuvent s'avancer dans la vertu, sans être éprouvés par les tribulations et les
persécutions des méchants.

 

Partant, supportez librement les ennemis de mon Fils ; considérez qu'il est leur juge, et pensez que, s'il était équitable de les ruiner tout à fait, il pourrait, par ses pouvoirs adorables, les effacer et les
perdre en un moment.  Endurez-les donc puisqu'il les endure lui-même.

 

Chapitre 23

 

Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de l'homme feint et dissimulé qui est appelé ennemi de Dieu.  Il parle en particulier de l'hypocrite et le décrit entièrement.

 

L'homme feint et dissimulé ressemble à l'homme riche, beau, fort et généreux dans le combat de son seigneur.  Mais n'ayant plus son casque sur sa tête, il est abominable à voir et il ne peut rien faire.

 

Son cerveau paraît creux et vide ; il a les oreilles au front et les yeux derrière la tête ; son nez est coupé ; ses joues sont ridées et enfoncées ; il ressemble à un homme mort; sa mâchoire du côté droit, sa gorge et la moitié des lèvres, sont tombées, de sorte qu'il n'y a du côté droit que le gosier qui paraît tout nu; sa poitrine est pleine de vers qui y fourmillent; ses bras sont comme deux serpents. Il porte dans son coeur un scorpion pernicieux; son dos est comme un charbon brûlé; ses intestins, corrompus et puants, sont comme de la chair en putréfaction; ses pieds morts sont sans mouvement, incapables de marcher.

 

Qu'est-ce que tout ceci signifie ? Écoutez, je vous le dirai.  L'homme feint et dissimulé paraît devant les hommes à l'extérieur être de bonnes moeurs, orné de sagesse, généreux à la défense de mon honneur ; mais il n'en est pas ainsi, car si on lui ôtait son casque de la tête, c'est-à-dire, si on le
montrait aux hommes tel qu'il est en effet, on le verrait le plus vile et le plus poltron de tous.  Certes, son cerveau est tout vide; sa folie et sa légèreté dans ses moeurs montrent assez, par des signes évidents, manifestes, qu'il est indigne d'un tel honneur, car s'il était sage selon ma sagesse divine, il comprendrait qu'il devrait faire une pénitence d'autant plus rude et s'abaisser plus profondément, qu'il est rehaussé en honneur par-dessus les autres.  Il a les oreilles au front, attendu qu'au lieu de
l'humilité profonde qu'il devrait avoir, à raison de la dignité à laquelle il est élevé et estimé, et brille au-dessus des autres, il ne veut ouïr que ses propres louanges et ses propres honneurs, s'enorgueillissant de telle sorte qu'il veut que tous l'appellent grand et bon.  Il a les yeux derrière
la tête, attendu que sa vue et ses connaissances ne sont inutilement occupées que des choses présentes, et non des choses éternelles.  Toute son étude est de chercher comment il plaira aux hommes, comment il contentera sa chair, et non comment il me contentera et profitera aux âmes. Son nez est coupé, car la discrétion lui est ôtée, par laquelle il pouvait discerner le péché de la vertu, l'honneur passager de l'honneur éternel, les richesses temporelles des richesses immortelles, et les délices fades et périssables des douces et permanentes délices.  Ses joues sont creuses, c'est-à-dire, toute l'humilité qu'il devait avoir devant moi, la splendeur et la beauté dont il devait me réjouir, sont éteintes, flétries, attendu qu'il a eu honte de pécher devant les hommes, et non pour ma considération. L'autre partie de la mâchoire et de la lèvre était toute tombée, de sorte, il n'y avait que le gosier, d'autant que l'imitation de mes oeuvres, la prédication de mes paroles et la prière fervente, étaient déchues en lui, de sorte qu'il ne restait en lui que le gosier de sa gourmandise. 

 

Or, il n'était préoccupé que de l'imitation des méchants, de la révolution des affaires séculières et
de leurs tracas.  Sa poitrine est remplie de vers, car là où le souvenir de ma passion, de mes oeuvres et de mes commandements devait incessamment résider, là est la sollicitude des choses temporelles et la cupidité du monde, qui rongent cruellement sa conscience, comme des vers, afin qu'elle ne pense pas aux choses spirituelles.  Dans son coeur, où je (bonté éternelle) voudrais demeurer, et là où mon amour devrait régner, un méchant scorpion réside, qui le pique de sa queue, et le flatte, et l'allèche de sa face, car de sa bouche sortent des paroles séduisantes et affétées, mais son coeur est plein d'injustice et de tromperie, d'autant qu'il ne se soucie point que l'Église fût détruite, s'il pouvait satisfaire à sa volonté abominable et contenter ses détestables appétits.  Ses bras sont comme des
serpents pestiférés, car malicieusement il s'étend aux simples, les alléchant et les appelant à soi avec sa feinte simplicité ; et ayant saisi adroitement l'occasion, il les supplante misérablement; et ensuite, comme un serpent, il s'entortille en cercle, d'autant qu'il cache sa malice et son intolérable iniquité, de telle sorte qu'à grand peine peut-on découvrir ses ruses et ses tromperies.  

 

Cet homme dissimulé est devant moi comme un très vil serpent : car comme le serpent est haï de tous les animaux, de même l'hypocrite m'est le plus désagréable des pécheurs, attendu qu'il met à néant la grandeur et la rigueur de ma justice, et me répute comme un homme qui ne veut pas se venger.  Son dos est noir comme  un charbon, bien que, néanmoins, il dût être blanc comme l'ivoire, attendu que ses oeuvres devraient être fortes et pures plus que toutes celles des autres, afin qu'il
portât les infirmes à bien faire.  Mais maintenant, il est comme un charbon, car il est si infirme et si faible qu'il ne saurait endure une parole pour l'amour de moi ; mais pour l'amour de soi-même il endure tout.  Vraiment, il lui semble être fort dans le monde ; néanmoins quand il pensera subsister,
il succombera, parce qu'il est difforme et mort, devant moi et devant les saints, comme un charbon éteint.  Ses intestins sont puants, parce que sa pensée et son affection sont puantes comme une charogne dont personne ne peut souffrir la corruption : de même aucun des saints ne peut le supporter, mais tous en détournent le visage et en demandent à Dieu l'épouvantable jugement et la vengeance terrible.  Ses pieds sont morts : les deux pieds signifient deux affections qu'il me porte : l'une, le désir d'amender les fautes commises, et l'autre, la volonté de faire le bien. Mais ces deux
pieds sont tout à fait morts en lui, attendu que toute la moelle de la charité est consommée, et il ne reste en lui que les os d'un épouvantable endurcissement.  Et ainsi est-il devant moi.  Néanmoins,
tant que l'âme est dans le corps, il peut trouver ma miséricorde.
 

Déclaration.

Saint Laurent apparut à sainte Brigitte, disant : Tant que j'ai vécu dans le monde, j'ai eu trois choses : la continence, la miséricorde envers mon prochain, et l'amour envers Dieu.  Partant, j'ai prêché
avec ferveur la paole de Dieu ; j'ai distribué sagement les biens de l'Église, et supporté joyeusement les fouets, les feux et la mort : mais cet évêque tolère et dissimule l'incontinence du clergé, dépense largement et misérablement les biens de l'Église aux riches ; il a de la charité pour soi et pour les
siens.  Partant, je lui signifie qu'une légère nuée est déjà montée au ciel.   Oh ! que de flambeaux sont éteints et s'obscurcissent, de peur qu'elle ne soit vue de plusieurs! Or, cette nuée est l'oraison de la Mère de Dieu, qu'elle fait pour l'Église, que les flambeaux de la cupidité, de l'indévotion et du défaut de justice, enveloppent, en sorte que la douceur de la miséricorde de la Mère de Dieu ne peut pénétrer le coeur de ces misérables.

Partant, que cet évêque se convertisse soudain à l'amour divin, qu'il se corrige soi-même, et amende ses sujets par ses exemples et par ses paroles, les avertissant, les exhortant vivement à ce qu'il y a de
meilleur, sinon, il sentira la main du juge, et son Église sera purifiée par le feu et par le glaive ; elle sera affligée par le larcin et par tribulation, en sorte qu'en peu de temps, personne ne la consolera.

 

Chapitre 24

 

Paroles de Dieu le Père devant les troupes célestes, et réponse du Fils et de la Mère au Père, pour obtenir la grâce pour sa fille, c'est-à-dire, pour l'Église.

 

Le Père éternel parlait, lorsque toute la cour céleste, écoutait, disant :
Devant vous je me plains : j'ai donné ma fille à un homme qui l'afflige trop et la serre misérablement avec un cep de bois, de sorte que toute la moelle sort de ses pieds.  Son Fils répondit : C'est celle-là
que j'ai rachetée de mon propre sang et que j'ai épousée par mon amour ; mais maintenant, on me
l'a ravie par violence.  Ensuite la Mère de Dieu disait : Vous êtes mon Dieu et mon Seigneur, et en mon corps ont été les membres de votre vrai Fils et mon vrai Fils.  Or, je ne vous ai rien refusé sur la
terre : ayez donc pitié de votre fille pour l'amour de mes prières.

 

Après ceci, les anges parlaient, disant : Vous êtes notre Dieu et notre Seigneur, et nous avons en vous toute sorte de biens, et nous n'avons besoin que de vous.  Quand vous vous choisîtes cette épouse, nous vous en félicitions tous ; mais maintenant, nous pouvons nous en contrister à bon
droit, car elle est livrée entre les mains d'un méchant, qui l'avilit misérablement et la charge d'opprobres.   Faites-lui donc miséricorde pour l'amour de votre grande miséricorde, car sa misère est
immense, et il n'y a personne qui la console et l'en affranchisse, si ce n'est vous, ô Seigneur, Dieu tout-puissant !

 

Alors le Père répondit au Fils : Mon Fils, votre plainte est ma plainte, votre parole est ma parole, vos oeuvres sont mes oeuvres. Vous êtes en moi et je suis en vous inséparablement.  Que votre volonté
soit faite.  Après, il dit à la Vierge sainte, Mère de Dieu : Comme vous ne m'avez rien refusé sur la terre, je ne veux rien vous refuser dans le ciel. Que votre volonté soit accomplie.  Et il dit aux anges : Vous êtes mes amis, et les flammes de votre amour brûlent dans mon coeur.  Je ferai miséricorde
à ma fille pour l'amour de vos prières.

 

Chapitre 25

 

Paroles de Dieu le Créateur à son épouse. En quelle manière sa justice soutient les mauvais: en trois manières ; et comme la miséricorde leur est donnée en trois autres façons.

 

Je suis l'adorable Créateur du ciel et de la terre.  Vous admirez, ô mon épouse! pourquoi je souffre les méchants avec tant de patience : c'est parce que je suis miséricordieux, car ma justice les souffre en trois manières.
En premier lieu, ma justice les souffre afin que leur temps soit entièrement accompli.  Car comme un roi juste qui a des méchants dans sa prison, si on lui demande pourquoi il ne les fait pas mourir, répond : Parce que l'occasion générale ne s'en est pas encore offerte, où on les entendra, et on les verra souffrir au profit et à l'utilité des auditeurs et des spectateurs : de même je supporte les mauvais jusqu'à ce que leur temps vienne, afin que leur malice soit connue aux autres.

N'avais-je pas prédit la réprobation de Saül longtemps avant qu'elle fût manifestée aux hommes, de
Saül que j'ai longtemps souffert, afin que sa malice fût manifestée aux autres.  Deuxièmement, d'autant que les méchants ont fait quelque bien dont ils doivent être récompensés jusqu'au dernier période de leur vie, afin qu'il n'y ait pas un bien, quelque petit qu'il soit, fait pour l'amour de moi, dont ils ne soient récompensés en cette vie. Troisièmement, je les souffre, afin que l'honneur de Dieu et son incomparable patience soient publiés : c'est pourquoi j'ai supporté Pilate, Hérode et Judas, bien que toutefois ils fussent damnés par leurs péchés.  Partant, si quelqu'un s'enquiert pourquoi je supporte celui-là et celui-là, qu'il considère un Judas et un Pilate.

 

Ma miséricorde pardonne aussi aux méchants en trois manières : premièrement, à cause de l'excès de mon amour, car la peine éternelle est longue : c'est pourquoi, à raison de ma grande charité, je les supporte jusqu'au dernier période de leur vie, afin que les peines qui doivent durer longuement
commencent fort tard ; en deuxième lieu, afin que leur nature se consomme en vices, car la nature se consomme par le péché, afin qu'ils ne trouvent pas la mort temporelle si amère, si leur nature était forte dans la jeunesse, car la nature jeune fait la mort plus longue et plus amère.  En troisième lieu, ma miséri corde leur pardonne, à raison de la perfection des bons et pour la conversion de quelques méchants : car quand les hommes bons et justes sont affligés par les méchants, cela leur profite, ou bien pour les retenir du péché, ou bien pour les retenir du péché, ou bien pour les faire mériter.  De même les mauvais vivent quelquefois avec les mauvais pour le bien ; car quand les méchants considèrent les événements des méchants et leur iniquité, ils disent en eux-mêmes : Que nous sert de
les suivre ?

Puisque Dieu est si patient, il vaut mieux se convertir que l'offenser.  Et de la sorte, souvent ceux qui s'étaient retirés de moi retournent vers moi, car ils ont horreur de commettre telles choses que
commettent les méchants, leur conscience leur dictant qu'il ne faut pas faire de telles choses.  De là vient qu'on dit que celui qui est piqué par le scorpion, guérit soudain, s'il est oint de l'huile d'un autre scorpion mort : de même un méchant, voyant les événements funeste d'un autre, se repent, et
considérant la vanité et l'iniquité d'autrui, guérit les siennes.

 

Chapitre 26

 

Paroles de louange que les anges donnent à Dieu, et de la génération des enfants, si nos premiers parents n'eussent pas péché.  En quelle manière Dieu a montré par Moïse ses merveilles à son peuple, et puis lui à nous en son avènement.  Des corruptions du mariage corporel qui se font en ce temps, et des conditions d'un mariage spirituel.

 

On a vu devant Dieu une troupe d'anges qui disaient : O Dieu et Seigneur, à vous louange et honneur, à vous qui êtes et qui étiez sans fin ! Nous sommes vos serviteurs. Nous vous louons, nous vous honorons pour trois raisons : premièrement, parce que vous nous avez créés de votre main puissante, afin que nous nous réjouissions avec vous, et que vous nous avez donné la lumière
ineffable, afin que nous tressaillions d'une joie indicible et éternelle ; deuxièmement, parce toutes choses sont créées en votre bonté, persistent en votre stabilité, toutes subsistent selon votre volonté et sont permanentes en votre parole ; troisièmement, parce que vous avez créé l'homme, pour
lequel vous avez pris l'humanité, d'où nous retirons un grand sujet de joie et un grand contentement de ce que votre Mère bien-aimée a mérité de porter celui que les cieux ne pouvaient envelopper ni contenir. Que votre gloire et votre bénédiction soient sur toutes choses, pour la dignité angélique
dont vous nous avez revêtus et pour le grand honneur que vous nous avez fait ! Que votre éternité, que votre perpétuelle stabilité soit tout à tout ce qui est et sera jamais ! Que votre amour soit sur l'homme que vous avez créé ! Vous seul êtes désirable à cause de votre amour ; vous seul êtes aimable pour votre stabilité : donc, honneur et gloire vous soient incessamment rendus en tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

Alors Notre-Seigneur dit : Vous m'honorez dignement pour toutes les créatures ; mais dites, ourquoi me louez-vous pour l'amour de l'homme, puisqu'il a provoqué mon indignation plus que toutes les
autres créatures ?
Ne l'ai-je pas créé plus excellent que toutes les créatures terrestres ?
Ai-je souffert, pour aucune créature, tant de choses si indignes que j'ai souffertes pour lui ? et ai-je rien racheté plus chèrement que lui ? Ou bien, quelle est celle des créatures qui ne garde pas quelque ordre réglé, si ce n'est l'homme ? Il m'est la plus fâcheuse de toutes les créature, car comme je vous avais créés pour ma gloire et pour mon honneur, de même j'avais créé l'homme pour ma gloire.

 

Certes, je lui avais donné le corps comme un temple spirituel, dans lequel j'avais mis l'âme comme un bel ange, parce que l'âme de l'homme est presque semblable à la vertu et à la force d'un ange.  Dans ce temple, moi, son Dieu et son Créateur, j'étais le troisième, afin qu'il eût du plaisir et du contentement.  Je lui ai fait ensuite avec sa propre côte un autre temple semblable à celui-ci. Mais vous, maintenant, ô mon épouse! pour l'amour de laquelle se font toutes ces choses, vous pouvez considérer et demander quels enfants seraient nés d'eux, s'ils n'eussent péché.  Je vous dis qu'ils seraient nés de la divine charité et de la mutuelle dilection d'Adam et d'Ève; et de leurs descendants qui se seraient unis, le sang, dans le corps de la femme, serait devenu fécond par l'amour sans aucune
sale volupté, et de la sorte la femme se serait rendue plus fructueuse. Ensuite, l'enfant étant conçu sans péché, sans aucun plaisir immonde, j'aurais versé de ma Divinité une âme en lui, et la femme l'aurait ainsi porté et enfanté sans douleur.  L'enfant aurait été, dès sa naissance, parfait comme Adam.
L'homme a méprisé cet honneur, quand il a obéi au démon, et a désiré plus d'honneur que je ne lui en avais donné.

 

Or, la rébellion étant faite, mon ange vint à eux.  Ils eurent honte de leur nudité, et soudain ils sentirent la concupiscence de la chair et endurèrent la faim et la soif.  Alors ils ne me possédèrent plus, car quand ils me possédaient, ils ne ressentaient ni faim, ni soif, ni délectation sensuelle, ni honte, mais moi seul, j'étais tout leur bien, toute leur douceur et tout leur plaisir, et le diable se réjouissait de leur perte malheureuse et de leur funeste ruine.  Moi, ému de pitié sur eux, je ne les
ai point laissés, mais je leur ai découvert une triple miséricorde ; car ils étaient nus, je les ai vêtus, et la terre leur a donné du pain ( Gen. 3 ).  Pour la luxure que le démon avait excitée en eux par l'accroissement de la rébellion, ma Divinité leur a donné pour leur semence des âmes ; et tout ce que le diable leur suggérait de mal, je le changeai heureusement en bien.   Je leur ai montré ensuite la manière de bien vivre et de m'honorer, et leur ai permis de se marier et d'engendrer ; car avant que je leur eusse indiqué et permis le mariage, saisis de crainte et d'effroi, ils n'osaient pas se marier.

 

De même, après qu'Abel eut été tué, Adam et Ève l'ayant pleuré longtemps et s'étant abstenus de l'usage du mariage, ému de compassion envers eux, je les ai consolés.  Et alors, ayant connu ma volonté, ils commencèrent de nouveau d'engendrer des enfants, de la postérité desquels moi, leur Créateur, je leur promis de naître, selon les desseins éternels de la Divinité.

 

Mais la malice des enfants d'Adam croissant de plus en plus, je manifestai aux pécheurs les rigueurs épouvantables de ma justice, et aux élus, les trésors infinis de ma miséricorde.  En effet, étant apaisés, je les ai sauvés de la perdition et je les ai exaltés, parce qu'ils gardaient mes commandements et croyaient à mes promesses.  Or, le temps de ma miséricorde étant arrivé, je leur ai montré mes merveilles par Moïse ( Exod. 3.4.5 etc. ), car j'ai sauvé mon peuple, selon ma promesse.  Je les ai nourris de la manne, et j'allais au-devant d'eux, dans la colonne de nuée et de feu; je leur ai donné ma loi ; je leur ai découvert mes secrets et révélé les choses futures, par mes prophètes.  Après tout cela, moi, qui ai créé toutes choses, j'élevai une vierge née de père et de mère ( Niceph. lib. I. c. 7. ), de laquelle j'ai pris d'une manière ineffable une chair humaine ; et je voulus naître d'elle miraculeusement et sans péché, comme les premiers enfants devaient naître au paradis terrestre, par le mystère de la divine charité, d'un amour mutuel de ceux qui engendraient sans autre immonde volonté.  De même ma Divinité a pris chair humaine de la Sainte Vierge, sans connaissance d'homme et sans blesser sa virginité. Venant donc en ma chair, vrai Dieu et vrai homme, j'accomplis la loi et toutes les Écritures, comme il avait été auparavant prophétisé de moi, et j'ai commencé une nouvelle loi, car l'ancienne était étroite et lourde à porter ; elle n'était qu'une
figure des choses futures qu'il fallait faire.  En effet, dans cette ancienne loi, il était loisible à un homme d'avoir plusieurs femmes, afin que la postérité ne fût pas sans enfants, ou bien afin qu'ils ne se mariassent pas avec les Gentils.  Or, dans ma nouvelle loi, il est ordonné que le mari n'ait qu'une seule femme, et il lui est défendu, tant qu'elle vit, d'en avoir davantage.

 

Ceux donc qui se marient, portés par une charité et une crainte divine pour engendrer, me sont un temple spirituel dans lequel, moi, troisième, je veux demeurer avec eux.  Mais les hommes de ce temps se marient pour sept raisons : I° pour la beauté de la face ; 2° pour les richesses ; 3° pour le trop grand plaisir et l'excessif plaisir qu'ils y prennent ; 4° parce que là se font une assemblée de parents et d'amis et des banquets immodérés ; 5° parce qu'au mariage, il y a de l'orgueil dans les habits, les banquets, les cajoleries et autres vanités ; 6° pour engendrer des enfants, non pas pour les nourrir à Dieu ou pour les élever dans les bonnes moeurs, mais pour les faire parvenir aux richesses et aux honneurs ; 7° pour satisfaire comme des chevaux aux appétits de luxure.

 

Ceux-là viennent avec un consentement et concorde devant la porte de mon Église ; leur affection et leurs pensées me sont entièrement contraires, attendu que, pour plaire au monde, ils préfèrent leur
volonté à la mienne. Si leur pensée étaient en moi ; s'ils mettaient leur volonté dans mes mains et s'ils se mariaient en ma crainte, alors je consentirais à leur mariage et je serais le troisième avec eux.  Or, maintenant, mon consentement qui devrait être le principal de leur fait, leur est refusé,
car la luxure est en leur coeur, et non mon amour.  Après, ils s'approchent de mon autel, où ils apprennent qu'ils devraient être un même coeur et une même âme en Dieu ; mais alors mon coeur se retire d'eux, parce qu'ils n'ont pas l'amour de mon coeur ni le goût de ma chair divinisée ; car ils
cherchent l'amour qui périra soudain, et trouvent la chair que les vers rongeront bientôt. Partant, ceux-là sont unis sans le lien de Dieu, mon Père, et leur union est sans la charité du Fils et sans la consolation du Saint-Esprit.

 

Or, quand les mariés entrent dans la chambre nuptiale, soudain mon Esprit se retire d'eux, et l'esprit d'impureté s'en approche, attendu qu'ils ne s'unissent que pas un mouvement de luxure, et il n'y a
que luxure entre eux.
 

Néanmoins, je leur ferais miséricorde s'ils se convertissaient, car ma grande charité verse l'âme vivant, créée par ma puissance, et je permets quelquefois que de mauvais parents engendrent de bons
enfants. Ordinairement, néanmoins, de mauvais parents ne naissent que de mauvais enfants, d'autant que ces enfants imitent l'iniquité de leurs parents autant qu'ils peuvent, et les imiteraient davantage, si ma patience le permettait. Un tel mariage ne verra jamais ma face, si les mariés ne font pénitence.
Certes, il n'y a pas de péché, quelque grand qu'il soit, qui ne soit effacé par la pénitence.

 

C'est pourquoi je me convertirai au mariage spirituel que Dieu fait avec un corps et une âme chastes, car en ce mariages se trouvent sept biens opposés aux maux susdits ; car en lui, la beauté et l'éclat du
corps n'y sont pas tant désirés, ni la vue de ce qui est désirable par le débordement de la sensualité, mais seulement l'amour et la vue de Dieu. 

En deuxième lieu, on n'y souhaite pas de grands moyens, mais seulement de quoi vivre et pour subvenir à la nécessité, et non pour la superfluité.
Troisièmement, ils y évitent les paroles oiseuses et les cajoleries.

Quatrièmement, ils ne se soucient point d'y voir leurs amis et leurs parents, mais je suis leur amour
et leur désir. 

Cinquièmement, ils désirent garder l'humilité intérieure en leurs consciences, et extérieure en leurs vêtements.
Sixièmement, ils ne veulent jamais s'adonner à l'impureté. 

Septièmement, ils enfantent à Dieu leur fils et leurs filles par la sainte conversation, par le bon exemple et par la prédication de la parole de Dieu.  Ceux-là assistent alors aux portes de mon Église, quand ils gardent une foi inviolable, quand ils obéissent à mes volontés et moi aux leurs, et ils s'approchent de mon autel, quand ils se plaisent à mon corps et à mon sang.  Et en cette délectation, ils veulent être un même coeur, une même âme et une même volonté ; et moi, Dieu et homme
puissant dans le ciel et sur la terre, je serai troisième avec eux, moi qui remplis leur coeur.

 

Les mariés de ce temps commencent leur union par la luxure, comme les chevaux et sont pires que les chevaux.  Mais les mariés spirituellement commencent en la charité et la crainte divine ; ils
veulent ne plaire qu'à moi seul.  Le diable remplit et excite ceux-là à la délectation de la chair, dans laquelle il n'y a que puanteur, mais ceux-ci sont remplis de mon Esprit, et sont enflammés du feu de l'amour divin, qui ne s'éteint jamais en eux.  Je suis un Dieu en trois personnes et un en substance avec le Père et le Saint-Esprit ; car comme il est impossible de séparer le Père du Fils, et le Saint-Esprit du Père et du Fils ; et comme il est impossible de séparer la chaleur du feu, de même il est impossible de séparer de moi tels mariés spirituels, et de faire que je ne sois le troisième avec eux, car mon corps a été déchiré et mis à mort dans la passion, mais il ne sera jamais plus déchiré, il ne mourra jamais plus.  De même ceux qui me sont incorporés par une foi droite et par une volonté parfaite, ne mourront jamais, car là où ils sont debout, assis ou marchant, je suis toujours le troisième avec eux.

 

 

 

 

 

Chapitre 27

 

Paroles de la Mère de Dieu à l'épouse, où elle lui montre qu'il y a trois choses dans les danses. 

Comment ce monde est désigné pour les danses. Tribulation que reçut la Mère de Dieu en la mort de Jésus-Christ.

 

La Mère Dieu parlait à l'épouse de Jésus-Christ disant : Ma fille, je désire que vous sachiez que là où est la danse, là sont trois choses : la joie vaine, la voix épandue et le labeur superflu.  Mais quand
quelqu'un entre triste et dolent dans une maison où l'on danse, alors son ami, qui participait à la joie de la danse, le voyant triste et dolent, se retire de la danse, afin de s'affliger avec son ami.  Cette danse est le monde, qui roule incessamment en ses solitudes malheureuses, que ceux qui sont fous
prennent pour des joies et des contentements. 

 

Dans ce monde, il y a trois choses : la vaine joie, les paroles de cajolerie et le labeur inutile : car tout ce à quoi l'homme s'attache avec tant de sollicitude, le laisse le jour de sa mort.  Or, que celui qui est en cette danse considère mon labeur et ma douleur incomparable ; qu'il compatisse avec moi, qui étais privée et séparée de toute la joie mondaine, et qu'il se sépare aussi du monde.

 

Certes, à la mort de mon Fils, j'avais le coeur transpercé de cinq lances :

la première lance était de voir mon très cher Fils tout-puissant nu à la colonne, sans pouvoir couvrir sa nudité. 

La deuxième était l'accusation des blasphèmes qu'on vomissait contre lui, car on l'accusait d'être traître, menteur, perfide et déloyal espion, lui que je savais juste, véridique ; lui qui n'avait jamais voulu offenser personne. 

La troisième lance était la couronne d'épines qui a si inhumainement percé sa tête que le sang découlait dans sa bouche, dans sa barbe et dans ses oreilles. 

La quatrième était sa voix, disant : Mon Père, pourquoi m'avez-vous délaissé ? comme s'il avait
voulu dire : Il n'y a que vous qui me fassiez miséricorde. 

La cinquième lance qui perçait mon coeur, était sa mort très amère, et mon coeur a été presque blessé d'autant de lances qu'il est sorti de sang de ses veines.

Or, les veines de ses pieds et de ses mains ont été percées, et la douleur des nerfs percés a répondu si vivement à son coeur, et du coeur à ses nerfs sans aucun relâche, attendu que son coeur était délicat
(parce qu'il était d'une très bonne nature), que sa vie et sa mort combattaient ensemble : et ainsi sa vie était prolongée avec ses cuisantes douleurs.

Mais la mort s'approchant, son coeur se fendit à cause de l'intolérable douleur ; alors soudain tous ses membres tremblèrent, et sa tête, qui était baissée, se leva un peu ; ses yeux à demi clos s'ouvraient à demi.  Sa bouche aussi était ouverte, et on voyait sa langue ensanglantée ; ses doigts
et ses bras, qui s'étaient aucunement retirés, s'étendaient.  Mais quand il eut rendu l'esprit, sa tête s'abaissa vers sa poitrine, ses mains se retirèrent un peu du lieu des plaies, et ses pieds supportaient un plus grand poids.  Alors mes mains se séchèrent, mes yeux s'obscurcirent, ma face pâlit comme la face d'un homme mort, mes oreilles n'entendaient rien, ma bouche ne parlait point, mes pieds chancelaient, et mon corps tomba à terre.

 

Or, me relevant, voyant mon cher Fils plus méprisé qu'un lépreux, je conformai ma volonté à la sienne, sachant que toutes choses avaient été faites selon sa volonté, et que rien ne se pouvait faire
que par sa permission, et le remerciai de toutes ces choses.  Sa joie était mêlée de douleur, car je voyais qu'innocent, il avait voulu souffrir avec tant d'amour pour les pécheurs.  Donc, que tous ceux qui sont dans le monde considèrent quelle j'étais à la mort amère et cruelle de mon Fils, et qu'ils
aient toujours cet objet posé devant les yeux de leur esprit.
 
Chapitre 28


Paroles de Notre-Seigneur à son épouse, par lesquelles il lui montre en quelle manière quelqu'un vint devant le tribunal pour être jugé, et de la sentence horrible et formidable que lancèrent contre lui Dieu et tous les saints.

 

Sainte Brigitte, épouse, voyait Dieu comme courroucé, qui disait : Je suis sans commencement et sans fin ; il n'y a point en moi de changement, ni dans les ans, ni dans les jours, mais tout le temps de ce monde est en moi comme une heure ou comme un moment.  Celui qui me voyait, voyait et entendait en moi tout ce qui y est comme en un point ; mais parce que vous, ô mon épouse ! êtes encore corporelle, vous ne pouvez le voir ni le connaître comme un esprit.  Partant, pour l'amour de vous, je vous manifesterai tout ce qui s'est passé.

 

Je suis assis comme au jugement criminel, d'autant que tout jugement m'est donné.  Quelqu'un (1) qui devait être jugé vint devant le tribunal. 

On entendit la voix du Père, qui lui dit : Malheur à vous,
de ce que vous êtes né ! Non pas que Dieu se repentît de l'avoir fait, mais il parlait comme celui qui a coutume de souffrir et de compatir à l'affligé. 

Après, la voix du Fils répondit : J'ai versé mon sang pour l'amour de vous, et j'ai souffert pour vous une peine très amère ; vous vous êtes éloigné de tout ce bien, et n'avez rien en vous de tout ceci. 

La voix du Saint-Esprit dit : J'ai cherché dans tous les replis de son coeur, pour savoir si par hasard
j'y trouverais un peu de charité et d'affection, mais il est froid comme la glace, dur comme la pierre : je n'ai rien avec lui. 

Les trois voix n'ont pas été ouïes comme s'il y avait trois dieux, mais elles ont été proférées pour l'amour de vous, ô mon épouse ! car vous ne pouviez autrement entendre ce mystère.

 

(1) Cet homme était un chanoine noble, sous-diacre. Ayant obtenu une fusse dispense pour épouser une fille fort riche, il mourut de mort subite sans jouir de ce qu'il désirait.

 

Après, ces trois voix du Père, du Fils et du Saint-Esprit, se sont changées soudain en une voix qui a dit : Le royaume des cieux ne vous est dû aucunement.  La Mère de miséricorde ne dit pas un mot,
n'ouvrit pas le sein de sa miséricorde, car celui qui devait être jugé en était indigne, et tous les saints criaient d'une commune voix, disant : Telle est la rigueur, telle est la fureur de la divine justice, qu'il soit banni du royaume et de la joie éternelle.  Et tous ceux qui étaient en purgatoire dirent : Les
douleurs que nous endurons, quelques amères qu'elles soient, ne peuvent vous punir de vos péchés, car vous méritez de souffrir de plus grandes peines : Partant, vous serez séparé de nous.

 

Alors celui qui devait être jugé criait d'une voix horrible, disant : Malheur ! malheur à la semence dont j'ai été engendré et formé ! Après, il disait : Malheureuse soit l'heure où mon âme a été unie à
mon corps ! Maudit soit celui qui m'a donné le corps et l'âme ! En troisième lieu, il criait et disait : Maudite soit l'heure où je suis sorti vivant du ventre de ma mère !

Alors sortirent de l'enfer trois voix qui disaient : Venez à moi, âme maudite, entrez dans la mort éternelle et dans la douleur sans fin.  Ensuite une autre voix horrible, épouvantable, s'entendit, criant: Venez, ô âme vide de bien ! livrez-vous à notre malice, car il n'y aura aucun de nous qui ne vous replisse de la fureur de sa malice et de sa peine.  En troisième lieu, cette voix disait : Venez, ô âme maudite ! lourde comme une pierre qui s'enfonce toujours et ne trouve jamais le fond où elle puisse reposer : de même, vous descendrez en un lieu plus profond et plus horrible que le nôtre, afin que vous ne puissiez vous arrêter avant d'arriver à l'abîme profond et épouvantable. 

 

Et alors Notre-Seigneur lui dit : Je fais comme un homme qui a plusieurs femmes : voyant la chute de l'une, il se tourne vers les autres et se réjouit avec elles : de même, je détourne de lui ma face et ma miséricorde infinie, et je regarde d'un oeil favorable mes serviteurs et me réjouis avec eux Partant, quand vous entendez la chute funeste et la misère déplorable de celui-ci, servez-moi aussi
sincèrement que je vous ai fait plus de miséricorde.  Fuyez le monde impur et son insatiable
concupiscence.  N'ai-je pas enduré une passion amère et anéantissante pour la gloire du monde ? Ne pouvais-je pas le racheter avec moins de douleur ?
Oui, vraiment.  Mais la rigueur de la justice l'exigeait de la sorte : car comme l'homme avait péché par tous ses membres, aussi fallait-il satisfaire pour tous.  Pour cela, la Divinité, compatissant à
l'homme, brûla d'une si grande charité et d'un si grand amour envers la Vierge sainte, qu'elle prit
d'elle la nature humaine en laquelle Notre-Seigneur porta toute la peine que l'homme devait supporter.  Donc, si, pour l'amour de vous, je supporte votre peine, demeurez, comme mes vrais et fidèles serviteurs demeurent, en humilité, afin que vous n'ayez honte de rien ni ne craigniez rien que moi.

Gardez-vous tellement de parler, que, si vous saviez que ce fût ma volonté, vous ne voudriez jamais parler.  Ne vous attristez pas pour les choses temporelles, car elles sont périssables, puisque je puis
enrichir et appauvrir celui que je voudrai. 

Partant, ô mon épouse ! mettez en moi toute votre espérance.

 

Chapitre 29

 

Paroles de la Vierge Marie à sa fille, traitant de deux âmes dont l'une s'appelle Superbe, et l'autre Humilité, par laquelle était désignée la douceur de la Sainte Vierge.  De la venue que la Sainte
Vierge fait chez ses
amis à l'heure de la mort.

 

La Mère de Dieu parlait à l'épouse de son Fils, lui disant : Il y a deux dames, l'une sans nom spécial, car elle n'en mérite pas, l'autre est Humilité, qui s'appelle Marie.  Le démon domine la première.

 

Un chevalier disait à cette dame : Je suis prêt à faire tout ce que vous voudrez et tout ce que je pourrai, pourvu que j'abuse impurement de vous, car je suis fort magnanime de coeur ; je ne crains rien ; je suis prêt à mourir pour vous.

 

La dame lui répondit : Mon serviteur, votre amour pour moi est grand ; mais moi, je suis assise sur un siège élevé.  Je n'ai qu'un seul siège, et il y a trois portes entre nous :

la première est si étroite que tout ce qui est corporel s'y déchire quand l'homme y passe ;

la deuxième a des pointes si aiguës qu'elles percent jusques aux nerfs ;

la troisième est si ardente que le feu y est incessamment, de sorte que celui qui y passe se fond soudain comme du métal.

 

Le chevalier lui répondit : Je donnerai ma vie pour vous, car je ne fais pas grand cas de cette chute.

 

Cette dame, c'est la Superbe.  Celui qui voudra aller vers elle passera pas trois portes.  Celui-là entre par la première porte, qui fait tout pour s'attirer la louange des hommes et pour s'en enorgueillir.  Celui-là entre par la deuxième porte, qui fait tout, qui emploie ses pensées et son temps
pour pouvoir accomplir la superbe ; qui, s'il le pouvait, donnerait sa chair à déchirer, pourvu qu'il pût acquérir de l'honneur et des richesses.
Celui-là entre par la troisième, qui n'a jamais de repos, qui ne se tait jamais, et brûle comme un feu pour trouver les manières de s'enorgueillir et d'acquérir des honneurs.  Mais quand il aura acquis ce
qu'il désirait, il ne demeurera guère en même état, mais il tombera misérablement.  Et néanmoins,
la Superbe demeure dans le monde.

 

Quant à moi, dit la Vierge Marie, qui suis très humble, je suis assise en un lieu spacieux, et il n'y a au-dessus de moi ni lune ni soleil, mais une inestimable, une admirable sérénité, qui procède de la
majesté divine.
Au-dessous de moi, il n'y a ni terre ni pierres, mais un incomparable repos au sein de la divine vérité. 

Auprès de moi, il n'y a point de mur, mais une glorieuse compagnie des anges et des âmes bienheureuses.
Et bien que je sois assise si haut, néanmoins, j'entends les gémissements et je vois les larmes de mes amis qui sont sur la terre.  Je vois que leurs peines et leur force sont plus grandes que celles qui combattent pour dame Superbe.
Partant, je les visiterai et les placerai sur mon trône, qui est spacieux, qui peut les contenir tous. Mais ils ne pourront encore venir à moi ni s'asseoir avec moi, d'autant qu'il y a deux murs entre eux, par lesquels je les conduirai sûrement, afin qu'ils arrivent jusqu'à mon trône. 

Le premier mur est le monde, qui est étroit et rigoureux : c'est pourquoi je consolerai mes serviteurs ; le second mur est la mort : partant, moi, leur chère Dame et leur Mère, j'irai au-devant d'eux ; je les assisterai à la mort, afin que, dans la mort, ils trouvent soulagement et consolation.  Je les placerai
avec moi sur le trône de la joie céleste, afin qu'au sein d'une dilection perpétuelle et d'une éternelle gloire, ils reposent éternellement avec une joie qu'on ne peut exprimer.

 

Chapitre 30

Paroles amoureuse de Notre-Seigneur à son épouse, qui traitent de la multiplicité des faux chrétiens pour se crucifier avec lui ; et comment, s'il était possible, il serait de nouveau prêt à endurer la mort pour les pécheurs.

 

Je suis Dieu.  Mes pouvoirs sont infinis.  J'ai créé toutes choses pour l'utilité des hommes, afin qu'elles servissent toutes à l'éducation de l'homme ; mais l'homme abuse de toutes à son détriment.
Et d'ailleurs, il se soucie bien peu de Dieu et l'aime moins que la créature.  Les Juifs irrités me firent, dans la passion, trois sortes de peines : l'une fut le bois sur lequel je fus cloué, fouetté et couronné ;
l'autre fut le fer avec lequel mes pieds et mes mains furent attachés ; le troisième fut le fiel dont je fus abreuvé.  Après, ils blasphémaient contre moi, disant que j'étais un insensé, attendu que, franchement et librement, je m'étais exposé à souffrir la mort, et m'appelaient menteur en ma
doctrine.

 

Oh ! combien dans le monde, il y a maintenant de gens de cette trempe, qui me donnent bien peu de consolation ! car ils m'attachent au bois par la volonté qu'ils ont de pécher ; ils me fouettent par leur
impatience, car il n'y en a pas un qui veuille souffrir une parole pour l'amour de moi ; et ils me couronnent des épines de superbe, d'autant qu'ils veulent être plus grands que moi.  Ils percent mes mains et mes pieds par le fer de leur endurcissement, attendu qu'ils se glorifient d'avoir péché, et
s'endurcissent afin de me craindre.  Par le fiel, ils m'offrent d'insupportable tribulation ; par une passion douloureuse, à laquelle j'allais joyeusement, ils me croient insensé, et disent que je suis un
menteur.  Or, de fait, je suis assez puissant pour les submerger, même tout le monde avec eux, à raison de leurs péchés, si je voulais ; et si je les submergeais, ceux qui resteraient me serviraient par
crainte ; mais cela ne serait pas juste et équitable, attendu que, par amour, ils devraient me servir fidèlement.  Or, si je venais visiblement et en personne chez eux, leurs yeux ne pourraient me regarder, ni leurs oreilles m'ouïr. En effet, comment un homme mortel pourrait-il voir un immortel ? Je mourrais certes franchement, poussé par l'incomparable amour que j'ai pour l'homme, s'il en
était besoin et si c'était possible.

 

Alors apparut la bienheureuse Vierge Marie, et son Fils lui dit : Que voulez-vous, ma Mère, ma bien-aimée ?

Elle répondit : Hélas ! mon Fils, faites miséricorde à votre créature par l'amour de votre amour.  Et
Notre-Seigneur repartit : Je leur ferai encore une fois miséricorde pour l'amour de vous. 

Puis l'Époux, Notre-Seigneur, parlait à son épouse, disant : Je suis Dieu et Seigneur des anges.  Je suis Seigneur de la mort et de la vie.  Moi-même je veux demeurer en votre coeur.  Voici combien d'amour j'ai à votre égard : le ciel, la terre, et tout ce qui est en eux, ne peuvent me contenir, et toutefois, je veux demeurer en votre coeur, qui n'est qu'un petit morceau de chair.  Qui donc alors pourrez-vous craindre ? De qui pourriez-vous avoir besoin, quand vous avez en vous-même le Dieu
tout-puissant, qui a en soi tout bien ?

 

Il faut donc qu'il y ait trois choses dans le coeur qui doit être ma demeure : le lit, dans lquel nous nous reposions, le siège sur lequel nous nous asseyons, la lumière, afin d'être illuminés.  Donc, qu'en
votre coeur soit un lit de repos et de quiétude, afin que vous vous retiriez des pensées perverses et des désirs du monde, et que vous considériez incessamment la joie éternelle.  Le siège doit être la volonté de demeurer avec moi, bien qu'il arrive parfois que vous excédiez : car c'est l'ordre de la nature d'être toujours en même état.  Or, celui-là s'arrête en même état qui désire d'être au monde et de ne s'asseoir jamais avec moi.  La lumière doit être la foi, par laquelle vous croyiez que je puis tout et que je suis tout-puissant par-dessus tout.

 

Chapitre 31

 

En quelle manière l'épouse voyait la très douce Vierge Marie enrichie d'une couronne et d'autres ornements, et comment saint Jean-Baptiste lui apparut et lui déclara ce que signifient la couronne et les autres ornements.

 

L'épouse sainte Brigitte voyait la Mère de Dieu et la Reine du ciel qui avait sur sa tête une inestimable couronne.  Ses cheveux, d'un éclat et d'une beauté admirables, tombaient sur ses épaules.  Elle avait une tunique d'or d'une splendeur éclatant, et un manteau bleu comme le ciel ; mais elle était ravie en admiration d'une vision singulière, et elle était immobile d'admiration, comme aliénée de soi par la vue intérieure. Soudain lui apparut saint Jean Baptiste qui lui dit : Écoutez attentivement : je vais vous dire ce que ces choses signifient.

 

La couronne signifie que la Sainte Vierge est Reine, Dame, Mère du Roi et des anges.  Les cheveux épars signifient qu'elle est vierge très pure et très parfaite.  Son manteau bleu comme le ciel signifie
que toutes les choses temporelles lui étaient comme mortes.  Sa tunique d'or signifie qu'elle fut ardente en amour et en charité, tant intérieurement qu'extérieurement.

 

Son Fils a mis en sa couronne sept lys, et entre les lys, sept pierres précieuses.  Le premier lys, c'est son humilité, le deuxième la crainte, le troisième l'obéissance, le quatrième la patience, le cinquième la stabilité, le sixième la douceur, car c'est à ceux qui sont doux qu'il convient fort bien de donner à tous ceux qui demandent ; le septième est la miséricorde dans les nécessités : en effet, en quelque nécessité que l'homme se trouve, s'il l'invoque, il sera sauvé.

 

Le Fils de Dieu a mis entre ces sept lys sept pierres précieuses : la première, c'est son éminente vertu: en effet, il n'est pas, dans quelque esprit, dans quelque corps que ce soit, de vertu que cette Vierge sainte n'ait en elle plus excellemment et avec plus d'éminence ; la deuxième est une pureté parfaite, car cette Reine du ciel a été si pure, qu'il ne s'est pas trouvé en elle la moindre tache de péché, depuis le jour de sa naissance jusqu'au dernier période de sa vie ; tous les démons n'ont pu trouver en elle la moindre impureté.  Vraiment, elle fut très pure, car il était décent que le Roi de gloire ne reposât qu'en un vase qui fût très pur et très choisi par-dessus les anges et les hommes.  

La troisième pierre précieuse est la beauté, d'autant que Dieu est loué de la beauté de sa Mère par ses
saints, et la joie de tous les anges, de tous les saints et de toutes les saintes, est accomplie. La quatrième
pierre précieuse de la couronne est la sagesse de la Vierge Mère, car étant enrichie d'éclat et de beauté, elle a été remplie et accomplie de toute sagesse avec Dieu.  La cinquième est la force, d'autant qu'elle est si forte avec Dieu qu'elle peut ruiner et perdre tout ce qui est créé.  La sixième pierre, c'est son éclat et sa clarté, car les anges, qui ont leurs yeux plus claires que la lumière, sont illuminés de son éclat, et les démons, éblouis de sa beauté, n'osent regarder sa splendeur.  La septième pierre est la plénitude de toute délectation, de toute douceur spirituelle, qui est en elle avec tant de plénitude, qu'il n'y joie qui ne soit augmentée par la sienne, nulle délectiation qui ne
s'accomplisse de la vue bienheureuse d'elle ; car elle a été remplie de grâce par-dessus tous les saints; car elle est le vase de pureté où s'est trouvé le pain des anges, et où se trouvent toute douceur et toute beauté.

Son Fils a mis ces pierres entre les lys qui était sur la couronne de la Vierge.  Honorez-la donc, ô épouse du Fils ! et louez-la de tout votre coeur : elle est digne en effet de tout honneur et de toute
louange.

 

Chapitre 32

 

En quelle manière l'épouse sainte Brigitte, étant avertie de Dieu, choisit la pauvreté, rejeta les richesses et méprisa sa maison. De la vérité de ce qui lui a été révélé, et de trois choses notables que
Jésus-Christ lui
montra.

 

Vous devez être comme un homme qui épand et qui amasse : vous devez laisser les richesses de l'esprit, les richesses du corps et amasser les vertus ; laisser ce qui est périssable et entasser ce qui est
durable ; abandonner les choses visibles et ammasser les choses invisibles : car je vous donnerai, pour la délectation de la chair, la joie et l'ivresse de l'esprit ; pour le plaisir du monde, la délectation du ciel ; pour l'honneur du monde, l'honneur des anges ; pour la vue de vos parents et leur
conversation, la vision ravissante de Dieu ; pour la possession des biens, je me donnerai moi-même à vous, moi, auteur, créateur et source inépuisable de tous biens.

 

Dites-moi trois choses que je vous demande :

1° voulez-vous être riche ou pauvre en ce monde ?

Elle répondit : Seigneur, j'aime mieux être pauvre que riche, attendu que les richesses ne m'apportent d'autre bien qu'une importune sollicitude qui me retire du service de mon auguste et adorable Dieu. 

2° N'avez-vous pas trouvé en mes paroles, que vous avez ouïes de ma bouche, quelque chose de faux ou de répréhensible, selon votre pensée ?
Hélas ! non, dit-elle, car tout est selon la raison.

3° Y a-t-il plus de contentement dans les plaisirs de la chair, que vous avez eus autrefois, que dans les plaisirs de l'esprit, dont vous jouissez maintenant ?

J'ai honte, dit-elle, de penser à l'ombre fuyante des plaisirs charnels passés, et ils me sont maintenant comme autant de poisons, et d'autant plus amers que je les ai aimés avec plus de passion, car j'aimerais mieux mourir que de les reprendre, et il n'y a pas de comparaison entre les plaisirs spirituels et les plaisirs corporels.

 

Vous éprouvez donc en vous, dit Notre-Seigneur, que ce que je vous avais dit autrefois est véritable. Pourquoi craignez-vous donc, ou pourquoi vous inquiétez-vous si je tarde de faire ce que je vous ai dit ? Considérez les prophètes, les apôtres et les saints docteurs : ont-ils trouvé en moi,
source de la vérité, autre chose que la vérité ? C'est pourquoi ils ne se sont souciés ni du monde ni de la concupiscence.  Ou bien, pourquoi les prophètes ont-ils prophétisé de si loin les choses à venir, si ce n'est que Dieu a voulu que les paroles fussent d'abord connues, puis que les oeuvres les suivissent, et que les ignorants fussent instruits dans la foi ? Car tous les mystères de mon ineffable incarnation furent auparavant connus des prophètes, voire l'étoile qui conduisit les mages fut prévue par eux. Ceux qui croyaient aux paroles du Prophète méritèrent de voir ce qu'ils croyaient; et ayant vu l'étoile, ils en ont soudain été faits certains.  De même maintenant, mes paroles doivent être premièrement annoncées, et après que les oeuvres auront suivi, on y croira plus évidemment.

 

Je vous ai montré trois choses : la première, c'est la conscience d'un certain homme que je vous montrai par des signes très évidents quand je manifestais son péché.  Mais pourquoi ne pouvais-je pas le faire mourir ou ne pouvais-je pas le submerger en un instant ? Je le pouvais de fait ; mais
pour instruire les autres et pour l'évidence de mes paroles, et afin que je manifeste combien je suis juste et patient, et combien est malheureux celui que le diable domine, je ne l'ai pas voulu faire. 

Voilà les raisons pourquoi mon insigne patience le souffre encore, car à cause de la volonté qu'il a de continuer son péché et de la délectation qu'il y prend, la puissance du daible enragé s'est tellement augmentée sur lui, que ni la douceur des paroles, ni la rigueur des menaces, ni la crainte de la géhenne infernale, ne le peuvent rappeler.  Et certes, il est digne de cela, car il a eu la volonté de pécher toujours, bien qu'il ne l'ait pas mise à effet. Il mérite donc d'être mis éternellement en enfer avec le diable, d'autant que le moindre péché mortel auquel on se délecte, si on ne s'amende pas, est
suffisant pour la damnation éternelle.  Je vous en ai encore montré deux autres : le corps de l'un était furieusement tourmenté par le diable, mais il n'était pas dans son âme ; il obscurcissait la conscience de l'autre par des ruses et des tromperies ; toutefois, il n'était pas dans son âme et il n'avait aucune puissance sur elle.

 

Mais peut-être vous vous enquerrez si l'âme et la conscience, ce n'est pas la même chose.  Le diable n'est-il pas dans l'âme, quand il est dans la conscience ? Non, car comme le corps a deux yeux par le
moyen desquels il voit, et que, bien qu'on ôte les yeux du corps, il demeure néanmoins entier, de même en est-il de l'âme.  En effet, bien que l'entendement et la conscience soient quelquefois troublés quant à la peine, néanmoins l'âme n'est pas offensée quant à la coulpe : c'est pourquoi le
diable dominait la conscience de l'un et non pas son âme.  Je vous montrerai le troisième, dont la conscience et l'âme sont entièrement dominées par le démon, et le démon n'en sortira pas, à moins qu'il n'y soit contraint par ma toute-puissance et par ma grâce spéciale.  Le diable sort librement de
quelques hommes et fort vitement, et des autres, non sans y être contraint, car le diable entre en
quelques-uns, ou à cause du péché des parents, ou bien par quelque secret jugement de Dieu, comme on le voit dans les enfants et les insensés.  Il entre dans les autres à cause de l'infidélité ou quelque
autre péché.  Le diable sort fort librement de cuex-ci, s'il est jugé par ceux qui savent des
conjurations et autres artifices pour le chasser ; s'ils le chassent par vaine gloire, ou bien pour quelque lucre temporel, alors le diable a le pouvoir d'entrer en celui qui l'avait chassé de l'autre, et de nouveau en celui-ci même, duquel il a été chassé, d'autant que l'amour de Dieu n'était ni en l'un ni en l'autre.  Or, il ne sort jamais de ceux qu'il possède corporellement et spirituellement, que par ma puissance.
Comme le vinaigre, s'il est mêlé au vin doux, le corrompt entièrement et ne peut jamais en être
séparé, de même le diable ne sort jamais que par ma puissance d'une âme qu'il possède.  Or, ce vin n'est autre chose que l'âme, qui m'a été si chère et par-dessus toutes les créatures, que j'ai permis qu'on coupât mes nerfs et qu'on déchirât ma chair jusques aux côtes pour l'amour d'elle ; et avant
que cette âme me fût ôtée, j'ai souffert la mort.  Ce vin se conserve dans la lie, d'autant que j'ai mis l'âme dans le corps, où, comme dans un vase clos, elle était conservée pour accomplir mes volontés.
Mais on a mêlé à ce doux vin le vinaigre, qui est le diable, dont la malice m'est plus aigre et plus abomiable que le vinaigre.  Ce vinaigre, c'est-à-dire, le diable, sera chassé de cet homme dont je vous ai dit le nom, afin qu'en lui je vous montre ma miséricorde infinie et mon incomparable
sagesse, et dans le premier, ma justice rigoureuse et mon épouvantable jugement.

 

Chapitre 33

 

Paroles par lesquelles Notre-Seigneur avertit son épouse, pour discerner la vraie sagesse de la fausse.  Comment les bons anges assitent les hommes sages, et comment les diables sont auprès des hommes méchants.

 

Mes amis sont comme quelques écoliers qui ont trois choses : la première, une conscience et une intelligence ; la deuxième une sagesse sans l'avoir apprise des hommes, d'autant que moi-même je les enseigne intérieurement ; la troisième, c'est qu'ils sont plein de douceurs, et de dilection divine,
par le moyen de laquelle ils surmontent le diable.  Mais maintenant, les hommes apprennent au rebours :

1° ils veulent être savants pour s'enorgueillir et pour être réputés bons clercs ;

2° pour acquérir des richesses ;

3° pour se faire passage et jour aux honneurs et aux dignités.
C'est pourquoi, quand ils entrent et qu'ils sortent des écoles, je me retirent d'eux, d'autant qu'ils apprennnent pour s'enorgueillir, et moi, je leur ai enseigné l'humilité.  Ils y entrent pour la cupidité d'avoir, et moi je n'ai rien eu pour appuyer ma tête.  Ils y entrent pour obtenir les charges et les dignités, portant envie à ceux qui les surpassent, et moi, j'étais jugé par Pilate et j'étais risée d'Hérode: c'est pourquoi je me retire d'eux, car ils n'apprennent pas ma doctrine.  Mais néanmoins, parce que je suis bon et doux, je donne ce qu'on me demande, car celui qui me demande du pain en aura, celui qui me demande un lit le recevra.  Or, mes amis demandent du pain quand ils cherchent et apprennent la sagesse divine, dans laquelle est mon amour ; mais d'autres demandent un lit, c'est-à-dire, une sagesse mondaine ; car comme il n'y aucune utilité dans le lit, mais qu'il y a de la paille, pâture des animaux irraisonnables, il en est de même de la sagesse du monde, qu'ils cherchent avec tant de passion : il n'y a en elle aucune utilité, aucun rassasiement de l'âme, toute sa sagesse est
réduite à néant et ne peut être vue de ceux par qui il était loué. 

De là vient que je suis comme un grand seigneur qui a plusieurs serviteurs qui distribuent de la part de leur maître tout ce qui est nécessaire ; de même les bons et les mauvais anges s'arrêtent à mon commandement. 

Or, ceux qui apprennent ma sagesse admirable, c'est-à-dire, à me bien servir, sont servis par les bons anges, qui les repaissent d'une consolation indicible et d'un délectable labeur.  Mais les mauvais anges assistent les sages du monde, leur suggèrent et forment en eux les désirs inutiles, selon leur volonté, leur inspirant des pensées laborieuses. 

Vraiment s'ils se tournaient vers moi, s'ils se convertissaient, je pourrais leur donner du pain sans labeur. Le monde leur en donne, mais ils n'en sont jamais rassasiés, attendu qu'ils changent la douceur en amertume. 

 

Or, vous, ô ma chère épouse ! vous devez être comme le lait, et votre corps comme une forme dans laquelle on met le lait jusqu'à ce qu'il ait pris la figure de cette forme : de même votre âme, qui m'est douce et délectable comme un fromage, doit aussi longtemps être purifiée et éprouvée dans le corps, jusqu'à ce que le corps et l'âme soient d'accord et aient une même continence, que la chair obéisse à l'esprit, et que l'esprit régisse et conduise dûment la chair à toute sorte de vertus.

 

Chapitre 34

 

Doctrine de Jésus-Christ à son épouse, par laquelle il lui enseigne la manière de vivre.  Comment le diable confesse que Jésus-Christ aime son épouse par-dessus toutes choses.  De la question que le
diable fait à Notre-Seigneur, savoir : pourquoi Notre-Seigneur aime
tant les hommes, et de l'amour que Jésus a envers son épouse, amour qui a été manifesté par le diable.

 

Je suis le Créateur du ciel et de la terre. J'ai été dans le sein de la Vierge, vrai Dieu et vrai homme, qui mourut, ressuscita et monta au ciel.

Vous, ô ma nouvelle épouse ! vous êtes venue en un lieu inconnu.  Il faut donc que vous ayez quatre choses : 1° il faut savoir le langage du pays ; 2° avoir les vêtements que l’on y porte ; 3° savoir disposer les jours et les temps suivant les coutumes de ce pays ; 4° s’accoutumer aux viandes que l’on y mange.  De même, vous qui êtes venue de l’instabilité du monde à la stabilité éternelle, vous devez avoir : 1° un langage nouveau, c’est-à-dire, vous abstenir des paroles inutiles, et quelquefois même des paroles licites, pour la grandeur et pour l’honneur du silence.  2° Vos vêtements doivent
être l’humilité intérieure et extérieure, afin que vous ne vous éleviez, comme si vous étiez plus sainte que les autres, et que vous n’ayez pas honte de vous montrer extérieurement humble.  3° Vous devez
modérer le temps, car comme vous avez sacrifié beaucoup de temps aux nécessités corporelles, de
même maintenant vous devez avoir le temps pour l’avancement de l’âme, savoir, qu’en tout vous ne vouliez m’offenser ; 4° cette nouvelle viande est l’abstinence des viandes délicates avec discrétion,
conformément aux forces de la nature, car l’abstinence qui se fait par-dessus les forces de la nature ne me plaît point, d’autant que je demande ce qui est raisonnable, afin que la volupté soit domptée.

 

Alors le diable apparut soudain.  Notre-Seigneur lui dit : Tu as été créé par moi, et tu as vu et senti les rigueurs de ma justice. Réponds-moi : cette nouvelle épouse m’appartient-elle légitimement et
justement ? Je te permets de voir son coeœur et de le sonder, afin que tu saches ce qu’il me faut répondre.  Aime-t-elle quelque chose comme moi, ou voudrait-elle me changer en quelque chose ?

 

Le diable répondit : Elle n’aime rien autant que vous, et voudrait plutôt souffrir toute sorte de supplices ( si vous lui en donniez la sagesse et la force ), que se séparer de vous.  Je vois comme un
certain lien d’amour qui descend de vous à elle, qui lie en telle sorte son coeœur qu’elle ne pense
qu’à vous et qu’elle n’aime que vous.

 

Alors Notre-Seigneur dit au diable : Dis-moi comment te plaît la dilection que je lui porte.

 

Le diable dit : J’ai deux yeux, l’un corporel, bien que je n’aie pas de corps.  Avec cet œil je connais si clairement les choses corporelles qu’il n’y a rien de si caché ni de si obscur que je ne connaisse ; l’autre est spirituel, avec lequel je vois la moindre peine due au péché ; et il n’y a pas de péché, quelque petit qu’il soit, que je ne punisse, s’il n’est purifié par la sainte pénitence.  Mais bien que les yeux n’aient pas des membres, néanmoins, je souffrirais peut-être volontiers que deux flambeaux
ardents me les pénétrassent incessamment, pourvu que cette épouse fût aveugle des yeux spirituels.

 

J’ai aussi deux oreilles : une corporelle, avec laquelle j’entends les choses les plus secrètes ; l’autre spirituelle, avec laquelle j’entends toutes les pensées, toutes les affections au péché, quelque cachées qu’elles soient, si elles ne sont pas effacées par la pénitence. Il y a en enfer une peine toujours bouillante : je souffrirais qu’elle entrât incessamment en mes oreilles, et qu’elle me sortît incessamment, comme un torrent impétueux, pourvu que cette épouse n’ouït point des oreilles spirituelles.

 

J’ai aussi un coeœur spirituel : je souffrirais franchement qu’il fût mis en lambeaux et qu’il fût toujours en proie à de nouveaux supplices, pourvu que son coeœur se refroidît en votre amour.

 

Or, parce que vous êtes juste, je vous demande une parole, afin que vous me disiez pourquoi vous l’aimez tant, ou pourquoi vous n’avez pas élu une plus sainte, plus riche et plus belle créature.

 

Notre-Seigneur lui dit : Ma justice l’exigeait ainsi. Or, toi, qui as été créé par moi, qui as vu ma justice, dis-moi en présence d’elle pourquoi tu es tombé si misérablement, ou quelle était ta pensée
quand tu tombas.

 

Le diable lui répondit : J’ai vu en vous trois choses : j’ai connu votre gloire, en considérant ma beauté et mon éclat, et que vous deviez être honoré sur toutes choses, et je pensai à ma gloire :
partant, m’enorgueillissant, je résolus. Non pas de vous être seulement égal, mais de vous surpasser.  Après, je connus que vous étiez plus puissants que tous, c’est pour cela que je désirais être plus puissant que vous.  En troisième lieu, je vois les choses futures qui viennent nécessairement, et que votre gloire et votre honneur sont sans principe et sans fin : j’enviai cela, et
je pensai en moi-même que je souffrirais volontiers des peines et des tourments pourvu que vous cessassiez d’être ; et en cette pensée, je tombai misérablement, et c’est pour cela que l’enfer existe.

 

Notre-Seigneur répondit : Tu t’es enquis pourquoi j’aime tant cette épouse : certainement parce que je change toute ta malice en bien : car toi, d’autant que tu es superbe, tu as voulu m’avoir pour égal, moi qui suis ton Créateur.
 

C’est pourquoi, m’humiliant, j’assemble tous les pécheurs, et je me compare à eux, les faisant participants de ma gloire infinie.  En deuxième lieu, d’autant que tu as eu une cupidité si dépravée que de vouloir être plu s puissant que moi, c’est pourquoi je rends les pécheurs puissants sur toi
et puissants avec moi.  En troisième lieu, c’est parce que tu m’as porté envie, à moi qui suis si charitable que je m’offrirais pour les pécheurs.

 

Ensuite, Notre-Seigneur lui dit : Maintenant, ô diable ! ton esprit ténébreux est illuminé.  Dis, en telle sorte que mon épouse l’entende, dis de quel amour je l’aime.

 

Le diable repartit : S’il était possible, vous souffririez volontiers une peine telle que vous avez souffert en chacun de vos membres, plutôt que de vous priver d’elle !

 

Alors, Notre-Seigneur repartit : Si je suis donc si miséricordieux que je ne refuse le pardon à aucun de ceux qui me le demandent, demande-moi humblement miséricorde, toi aussi, et je te la donnerai.

 

Le diable lui repartit : Je n’en ferai rien, car quand je tombai, il fut ordonné une peine pour chaque péché, ou pour toute pensée et parole inutiles, et tous les esprits qui sont tombés ont chacun une peine infligée.
 

Partant, plutôt que de fléchir mon genou devant vous, j’aimerais mieux attirer sur moi et engloutir toutes les peines, tous les supplices, bien que leur rigueur fût incessamment renouvelée.

 

Alors, Notre-Seigneur dit à son épouse : Voyez combien est endurci le prince du monde, et combien il est puissant par ma justice cachée : car de fait, mon adorable et redoutable puissance pourrait l’effacer tout à fait en un instant, mais néanmoins, je ne lui fais pas plus d’injure qu’au bon ange,
qui, dans le ciel, m’aime et m’adore.  Mais quand le temps sera arrivé (il s’approche maintenant), je le jugerai, lui et ses complices. 

Partant, ô mon épouse ! avancez incessamment en bonnes œuvres ; aimez-moi de tout votre coeœur ; ne craignez que moi seul, car je suis le maître du démon et de tout ce qui existe.

 

Chapitre 35

 

Paroles de la Sainte Vierge Marie à l’épouse, qui expliquent les douleurs tolérées en la passion de Jésus-Christ.  Comment, par Adam et Ève, le monde a été vendu, et en quelle manière il a été racheté par Jésus-Christ et par sa Mère.

 

Considérez, ma fille, disait la Vierge Marie, la passion de mon Fils, dont les membres furent presque mes membres et dont le coeœur fut presque mon coeœur : car lui, comme le reste des enfants, a été dans mon sein, mais il a été conçu d’un fervent amour de la dilection divine, et les autres, de la
concupiscence de la chair.  De là vient que saint Jean, son cousins, dit bien à propos : Le Verbe s’est fait chair ; car par une incomparable charité, il est venu et il a demeuré en moi.  Or, la parole et l’amour le produisirent en moi.  Je ressentais comme si la moitié de mon coeœur sortait de moi, et quand il souffrait, j’en ressentais la douleur, comme si mon coeœur eût enduré ses tourments.  Car comme ce qui est la moitié dehors et la moitié dedans, ce qui est dedans le ressent, de même, quand mon Fils était frappé et flagellé, mon coeœur l’était aussi.

 

J’ai été aussi la plus proche de lui dans sa passion.  Je ne me séparai pas de lui ; je restai près de la croix ; et comme ce qui est plus près du coeœur est affligé plus rudement, de même sa douleur m’était plus amère qu’à tous.
Quand il me regarda du haut de la croix et que je le regardai, des torrents de larmes sortaient de mes yeux ; et quand il me vit brisée de douleur, il ressentit tant d’amertume de ma douleur, que la douleur de ses plaies lui sembla assoupie.  Partant, j’ose dire que sa douleur était ma douleur,
d’autant que son coeœur était mon coeœur ; car comme Adam et Ève ont vendu le monde par une pomme, de même mon cher Fils et moi l’avons racheté comme par un coeœur.  Considérez donc, ma fille, quelle j’étais en la mort de mon Fils, et il ne vous sera pas fâcheux de laisser le monde et de
vous en dégoûter.

 

Chapitre 36

 

Notre-Seigneur répond à l’ange qui priait pour cette épouse.  Il lui faut donner les tribulations du corps et de l’esprit, d’autant que les plus grandes tribulations sont données aux âmes les plus
parfaites.

 

Notre-Seigneur répondit à l’ange qui priait pour l’épouse de son Seigneur, lui disant : Vous êtes comme un soldat qui ne laisse jamais son heaume par mécontentement, et à qui la peur ne fait jamais détourner les yeux du combat, quoique sanglant.  Vous êtes stable comme une montagne, ardent comme une flamme.  Vous êtes comme un monde d’éclat, et partant, vous n’avez point de tache. 

Vous demandez miséricorde pour mon épouse, bien que vous sachiez toutes choses et les voyiez en moi.  Toutefois, dites-moi en sa présence quelle miséricorde vous demandez pour elle, car il y a trois sortes de miséricordes :

une par laquelle le corps est puni, et on pardonne à l’âme, comme on fit à Job, mon serviteur, dont la chair fut livrée à toutes sorte de douleurs et dont l’âme fut sauvée. 

La deuxième miséricorde, c’est quand on pardonne au corps et à l’âme, et qu’on les rend quittes de la peine, comme à ce roi qui jouit de toute sorte de plaisirs, et ne ressentit, pendant qu’il vécut dans le monde, aucune sorte de douleur, ni dans son corps ni dans son esprit. 

La troisième miséricorde, c’est quand le corps et l’âme sont punis, afin qu’on ressente la tribulation en la chair et la douleur dans le coeœur comme saint Pierre, saint Paul et autres saints .

 

Dans le monde, les hommes sont partagés en trois états : l’un est de ceux qui tombent dans le péché et se relèvent de nouveau : je permets que parfois ceux-ci aient des tribulations au corps, afin qu’ils soient sauvés ; l’autre état est de ceux qui vivraient volontiers éternellement, pour pécher éternellement, qui ont tous leurs désirs liés et abîmés dans le monde : que si parfois ils font quelque chose pour moi, ils le font avec intention que les choses temporelles s’augmentent et s’accroissent. 

À ceux-ci ne sont pas données les tribulations du corps ni grande affliction d’esprit, mais ils sont laissés en leur puissance et en leur propre volonté, car pour un petit bien qu’ils ont fait pour l’amour de moi, ils en reçoivent ici leur récompense, pour être tourmentés éternellement en l’autre onde.  En effet, puisque leur volonté de pécher est éternelle, éternelle aussi doit être leur peine. 

Le troisième état de ceux qui craignent plus mon offense que la peine qui leur en est due, et qui aimeraient mieux être éternellement tourmentés par des peines intolérables, que de provoquer mon ire et mon indignation.  A ceux-ci sont données les peines et les tribulations corporelles et spirituelles, comme à saint Pierre, à saint Paul et à d’autres saints, afin qu’ils s’amendent, dans le monde, de tout ce qu’ils ont fait dans le monde, ou bien afin qu’ils soient purifiés pour quelque temps, pour une plus grande gloire et pour l’exemple des autres. 

J’ai cette triple miséricorde en ce royaume avec trois personnes qui vous sont connues.
 

Donc, maintenant, ô ange, mon serviteur, quelle miséricorde demandez-vous pour mon épouse ?

 

L’ange répondit : Je demande la miséricorde de l’âme et du corps, afin qu’elle amende en ce monde toutes ses fautes, et qu’aucun de ses péchés ne vienne en jugement.

 

Notre-Seigneur lui repartit : Qu’il soit fait selon votre volonté.  Après, il parla à son épouse : Vous êtes à moi, partant je ferai en vous comme il me plaira.  N’aimez rien autant que moi. Purifiez-vous
donc du péché, suivant la direction et le conseil de ceux à qui je vous ai confiée. Ne leur cachez aucun péché ; examinez-les tous ; ne pensez pas qu’aucun péché soit petit ; n’en négligez pas un, car tout ce que vous laisserez, je le réduirai en mémoire et je le jugerai.  Certes, aucuns de vos péchés, qui, en cette vie, auront été effacés par la pénitence, ne seront soumis à mon épouvantable jugement.  Or, ceux dont on n’aura pas fait pénitence en cette vie mourante, seront purgés en purgatoire, ou par quelque autre moyen ou occulte jugement, s’ils ne sont amendés ici par quelque
satisfaction.

 

Chapitre 37

 

La Sainte Vierge Marie parle à son épouse sainte Brigitte de l’excellence de son Fils.  En quelle manière, maintenant, Jésus-Christ est plus cruellement crucifié par des chrétiens, ses mauvais ennemis, que par les Juifs ; et par conséquent, ces chrétiens seront punis plus rigoureusement.

 

Mon cher Fils avait trois biens, disait la Mère de Dieu.

Premier bien : nul n’a jamais eu un corps aussi délicat que le sien, parce qu’il était de deux bonnes, excellentes, éminentes natures : de la Divinité et de l’humanité.
Ce corps était si pur, que, comme dans un œil limpide on ne peut voir aucune tache, de même on ne pouvait pas trouver en ce corps précieux la moindre difformité. 

Le deuxième bien était qu’il n’avait jamais péché.  Les autres enfants portent souvent les péchés de leurs parents et les leurs, mais celui-ci n’a jamais péché, et il a néanmoins porté les péchés de tous. 

Le troisième bien était que quelques-uns meurent pour l’amour de Dieu et pour une plus belle couronne ; mais lui, il mourut pour ses ennemis, comme pour moi et ses amis.

 

Mais quand ses ennemis le crucifièrent, ils lui firent quatre choses : 1° ils le couronnèrent d’épines ; 2° ils lui percèrent les pieds et les mains ;
3° ils lui donnèrent à boire du fiel ;

4° ils lui percèrent le côté. 

Mais je me plains maintenant de ce que mon Fils est plus cruellement crucifié par ses ennemis qu’il ne l’était alors par les Juifs : car bien que la Divinité soit impassible et immortelle, néanmoins, ils la
crucifient par leurs propres vices.  En effet, comme un homme qui offenserait et briserait l’image de son ennemi lui ferait injure, bien que l’image n’en sentît rien, toutefois, à cause de la volonté qu’il aurait de l’offenser, il en serait repris et condamné, de même, les vices de ceux qui crucifient
spirituellement mon Fils, sont plus abominables que les vices de ceux qui l’ont crucifié corporellement. Mais peut-être m’en demanderez-vous la manière.  Je vais vous la dire : 1° ils le clouent sur la croix qu’ils lui ont préparée, quand ils désobéissent et qu’ils ne se soucient pas des
commandements de leur Créateur et de leur Seigneur, et ils le déshonorent, quand, par ses serviteurs, il les avertit de le servir, et qu’ils s’en moquent pour accomplir ce qui leur plaît.  Après, ils crucifient sa main droite, quand ils prennent l’injustice pour la justice, disant que les péchés ne sont pas si graves ni si odieux à Dieu qu’on le dit ; que Dieu n’afflige personne éternellement, mais qu’il nous a ainsi menacés pour inspirer de la crainte et de la terreur : car pourquoi rachèterait-il l’homme, s’il voulait le perdre ?  Ils ne considèrent pas que le moindre péché sans punition, aussi ne laisse-t-il pas le moindre bien sans récompense.  Partant, ceux-là auront un supplice éternel, d’autant qu’ils ont eu une volonté éternelle de pécher, laquelle mon Fils, qui voie le coeœur, répute comme mise à effet, d’autant certes qu’il n’aurait pas tenu à eux, si mon Fils l’eût permis.

 

Puis, ils crucifient sa main gauche, quand ils tournent la vertu en vice, voulant pécher jusqu’à la fin, disant : Si nous disions une fois, à la fin de nos jours, qu’il ait pitié de nous, la miséricorde de Dieu est si grande qu’elle nous pardonnera.  Cela n’est pas vertu de vouloir pécher sans vouloir s’amender, vouloir le prix sans la peine, à moins que la contrition et le désir de s’amender ne fussent dans le coeœur, si l’infirmité ou quelque autre empêchement était ôté.

 

Ils lui crucifient les pieds, quand ils se délectent à pécher, et ne considèrent pas une seule fois la passion amère de mon Fils, ni ne lui en rendent grâces une seule fois avec un amour et une
reconnaissance intimes, disant : Ô Dieu ! que votre passion est amère ! Louanges vous soient rendues pour votre mort !  Ces remerciements ne sortent jamais de leur bouche.

 

Ils le couronnent de la couronne de moquerie, quand ils se moquent des serviteurs de Dieu et pensent qu’il est inutile de le servir.  Ils lui donnent à boire du fiel, quand ils se complaisent malheureusement en leur péché, et ne pensent pas combien ce péché est détestable et grand.  Ils lui
percent le côté, quand ils ont la volonté de persévérer en leur péché.

 

Je vous dis en vérité, ma fille, et vous pourrez le dire à mes amis, que ceux qui font toutes ces choses, sont, devant mon Fils, le juste des justes, plus injustes que les Juifs, plus cruels que ceux qui le crucifiaient, plus impudents que celui qui l’a vendu, et il est dû à ceux-ci une plus grande peine qu’à ceux-là.  Pilate a bien su que mon Fils n’avait pas péché et qu’il ne méritait point la mort ; néanmoins, parce qu’il craignait de perdre la puissance temporelle et une sédition parmi les Juifs,
il condamna comme par force mon Fils à mort.  Or, qu’auraient ceux-ci à craindre s’ils servaient mon Fils ?  Ou bien quel honneur, quelles charges, quelles dignités perdraient-ils, s’ils l’honoraient ? aucunes.

C’est pourquoi ils sont devant mon Fils plus coupables que Pilate, et ils seront jugés plus rigoureusement, d’autant que Pilate l’a jugé avec quelque crainte, pressé par les Juifs et par la volonté d’autrui ; mais ceux-ci le jugent de leur propre volonté et sans crainte, quand ils le déshonorent par leurs péchés, dont ils pourraient s’abstenir, s’ils voulaient ; mais ils ne s’abstiennent
pas de pécher, et ils ne rougissent pas de les avoir commis, attendu qu’ils ne pensent pas être ndignes des récompenses de celui qu’ils offensent tant, et ne le servent pas.  Ils sont pire que Judas, d’autant
que Judas, ayant trahi Notre-Seigneur, savait bien qu’il avait vendu celui qui était Dieu, reconnut l’avoir grandement offensé, fut désespéré, et se croyant indigne de vivre, se pendit, se livra au démon. 

 

Or, ceux-ci connaissent bien la laideur de leur péché, et néanmoins, ils y persévèrent, n’ayant pas en leur coeœur la moindre contrition ; mais ils veulent avec violence et puissance ravir le royaume des cieux, quand ils pensent l’avoir, non par de bonnes œuvres, mais par une confiance vaine et par une folle présomption, ce qui n’est octroyé à personne, si ce n’est à ceux qui font de bonnes œuvres et
qui souffrent quelque chose pour Dieu. 

 

Ils sont pires aussi que ceux qui le crucifièrent, car quand ils virent les œuvres merveilleuses de mon Fils, ressuscitant les morts et guérissant les lépreux, ils pensaient en eux-mêmes : Cet homme fait des prodiges et des merveilles inouïes ; il abat avec une parole ceux qu’il veut abattre ; il sait nos pensées et il fait ce qu’il veut.  Si on le laisse faire, nous serons tous sous sa puissance et lui
serons soumis.  Partant, afin de ne pas lui être soumis, ils le crucifièrent ; car s’ils eussent su qu’il était le Roi de gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié.  Mais ceux-ci voient journellement ses grandes
et admirables œuvres ; ils jouissent de ses faveurs et de ses bienfaits, et savent comment il la faut servir et comment il faut aller à lui. 

Mais hélas ! se disent-ils, faut-il laisser toutes les choses temporelles ? faut-il rompre notre volonté et faire la sienne ? Oh ! que ceci est lourd et insupportable ! Partant, méprisant s volonté et ne oulant pas lui obéir, ils crucifient mon Fils par l’endurcissement et l’insensibilité de leurs coeœurs, entassant
sur leur conscience péchés sur péchés. 

 

Ceux-ci sont pires que ceux qui l’ont crucifié, car les Juifs le faisaient, poussés par l’envie et parce
qu’ils ne savaient pas qu’il fût Dieu, mais ceux-ci le crucifient spirituellement avec une malice préméditée, avec cupidité et présomption, et cela avec plus d’amertume que les Juifs ne le crucifièrent corporellement ; car ceux-ci sont rachetés, et ceux-là ne l’étaient point.

Obéissez donc à mon Fils, ô épouse ! et craignez-le, car comme il est infiniment miséricordieux, il est aussi infiniment riche.

 

Chapitre 38

 

Colloque agréable de Dieu le Père avec le Fils.  En quelle manière le Père a donné l’épouse au Fils.  Comment le Fils l’accepte, et de quelle sorte l’Époux instruit l’épouse, par son exemple, à souffrir et à être simple.

 

Le Père parlait à son Fils, lui disant : Je suis venu avec amour à la Vierge et ai travaillé à l’ineffable incarnation : c’est pourquoi vous êtes en moi et je suis en vous. Comme le feu et la chaleur ne se
séparent jamais, de même il est impossible que la Divinité se sépare de l’humanité.

 

Le Fils répond : Que tout honneur et toute gloire vous soient rendues, ô mon Père ! que votre volonté soit faite en moi et la mienne en vous.

 

Le Père répond : Voici, mon Fils, que je vous donne cette nouvelle épouse pour la gouverner et la nourrir comme une brebis.  Vous en êtes le maître et le possesseur.  Elle vous donnera du lait pour boire et pour vous rafraîchir, et de la laine pour vous vêtir.  Mais vous, ô épouse ! vous devez lui obéir, car il faut que vous ayez trois choses : la patience, l’obéissance et la franchise.

 

Alors le Fils dit au Père : Que votre volonté avec la puissance, la puissance avec l’humilité, l’humilité avec la sagesse, la sagesse avec la miséricorde, soit faite, qui est sans commencement et sera sans fin en moi.
Je la prends en mon amour, en votre puissance et en la conduite du Saint-Esprit, qui ne sont pas dieux, mais un seul Dieu en trois personnes.

 

Alors l’Époux dit à sa très chères épouse : Vous avez entendu comment mon Père vous a donnée à moi comme une brebis : il faut donc que vous soyez simple et patiente comme une brebis, et féconde, pour nourrir et vêtir vos enfants spirituels, car il y a trois choses au monde : la première est toute nue, la deuxième est pressée par la soif, la troisième est famélique.

 

La première signifie la foi de mon Église, qui est toute nue, d’autant que tout le monde a honte de parler de la foi, de mes commandements ; et s’il se trouve quelqu’un qui en parle, on s’en moque et on l’accuse de mensonge.
Partant, les paroles qui sortent de ma bouche doivent en quelque sorte revêtir de laine cette foi, car comme la laine croît sur le corps de la brebis par la chaleur naturelle, de même, de la chaleur de ma Divinité et de mon humanité, sortent des paroles qui touchent votre coeœur, qui y revêtent ma foi sainte par le témoignage de vérité et de sagesse, et montrent qu’elle est vraie, bien que maintenant elle soit réputée fausse et vaine, afin que ceux qui ont eu la lâcheté jusqu’aujourd’hui de ne pas
revêtir leur foi de bonnes œuvres, ayant entendu mes charitables paroles, soient illuminés, et poussés à parler fidèlement et à faire généreusement de bonnes œuvres.

 

La deuxième signifie mes amis, qui désirent, avec autant d’ardeur que ceux qui sont dévorés par la soif désirent de boire, d’accomplir mon honneur, et se troublent quand je suis déshonoré : ceux-ci, ayant goûté la douceur de mes paroles, sont enivrés d’une plus grande charité, et les morts mêmes
sont, avec eux, embrasés de mon amour, voyant combien de faveurs je fais aux pécheurs.

 

Le troisièmes signifie ceux qui disent en leur coeœur : Si nous savions la volonté de Dieu, comment il nous faut vivre, et si nous étions guidés sur le chemin de la vie parfaite, nous y ferions tout ce que nous pourrions.
Ceux-ci sont comme des faméliques : ils brûlent de savoir ma voie, et  nul ne les rassasie, d’autant que nul ne leur montre parfaitement ce qu’il faut faire ; et si on le leur montre, pas un ne vit comme cela.
Et partant, je leur montrerai moi-même ce qu’ils doivent faire, et je les rassasierai de ma douceur, car les choses temporelles et visibles sont ardemment désirées presque par tous, et ne peuvent pourtant rassasier l’homme, mais exciter de plus en plus en lui l’appétit de les acquérir.  Mais mes paroles et mon coeœur rassasieront les hommes et les rempliront d’indicibles et abondantes consolations. 

Donc, vous, mon épouse, qui êtes ma brebis, tâchez d’avoir la patience et l’obéissance, car vous m’appartenez par toute sorte de droits, et partant, il faut que vous suiviez ma volonté. 

 

Or, celui qui veut suivre la volonté d’un autre doit avoir trois choses :

1° un même consentement avec lui ;

2° semblables œuvres ;

3° se retirer de ses ennemis.
Or, qui sont mes ennemis, sinon la superbe et insupportable et tous les péchés ? Vous devez donc vous retirer de ceux-là, si vous désirez suivre ma volonté.
 

 

 

 

Chapitre 39

 

En quelle manière la foi, l’espérance et la charité, furent en Jésus-Christ en sa passion, et sont imparfaitement en nous, misérables que nous sommes !

 

J’ai eu trois choses en ma mort : la première, une foi, ou, pour mieux dire, une licence que j’avais, sachant que mon Père pouvait me délivrer de la passion, quand je l’en suppliais à genoux ; la deuxième, une espérance, qui fait dire une attente, quand je disais constamment : Qu’il soit fait, non
pas comme je veux ;  la troisième, un amour, quand je disais : Que votre volonté soit faite.  J’eus aussi des angoisses corporelles provenant de la crainte naturelle que j’avais de ma passion, quand la
sueur de sang sortit de mon corps, afin que mes amis ne se crussent pas délaissés, quand ils seraient assaillis par les craintes et les tribulations. Je leur ai montré en moi que l’infirmité de la chair fuit toujours les peines : mais vous pourriez vous enquérir comment la sueur de sang sortit de mon corps.
Certes, comme le sang d’un infirme se sèche et se consomme dans les veines, de même, par la douleur naturelle que je ressentais de ma mort prochaine, mon sang était consommé.  Enfin mon Père, voulant manifester la voie par laquelle le ciel est ouvert, et que l’homme, qui en avait été chassé, pouvait y rentrer, son amour m’a abandonné dans la passion, afin qu’après ma passion, mon corps fût glorifié : car, de droit et de justice, mon humanité ne pouvait arriver autrement à la gloire, bien que je le pusse par la puissance de ma Divinité.

 

Comment donc mériteraient d’entrer dans la gloire ceux qui ont une petite foi, une vaine espérance et nulle charité ?  Si enfin, ils avaient la foi des joies éternelles et des supplices horribles, ils ne
désireraient autre chose que moi.  S’ils croyaient que je vois et que je sais toutes choses, que je suis puissant en tout et que je demande raison de tout, le monde leur serait vil, et ils auraient plus de crainte de m’offenser pour mon respect que pour le regard des hommes.  S’ils avaient une ferme
espérance, alors leur esprit et leurs pensées seraient en moi.  S’ils avaient la charité, ils penseraient à tout ce que j’ai fait pour l’amour d’eux, quelle a été ma peine en la prédication, quelle a été ma douleur en ma passion, voulant plutôt mourir que les laisser perdues.  Mais leur foi est infirme et menace ruine, car ils croient tant qu’ils ne sont pas tentés, et se défient de moi quand ils sont contrariés.  Leur espérance et vaine, d’autant qu’ils espèrent que leur péché leur sera pardonné sans justice et sans vérité de jugement.  Ils pensent obtenir gratuitement le royaume des cieux ; ils
désirent obtenir la miséricorde sans justice.  Leur charité envers moi est toute froide, car ils ne s’enflamment jamais à me rechercher, s’ils n’y sont pas contraints par les tribulations.  Comment pourrais-je être avec eux, qui n’ont ni foi droit, ni espérance ferme, ni amour fervent ?
Parant, quand ils crieraient et me demanderaient miséricorde, ils ne méritent pas d’être ouïs ni d’être en ma gloire, car aucun soldat ne peut plaire à son chef ni obtenir de lui sa grâce après la chut, s’il ne s’est pas humilié pour la faute dont il s’est rendu coupable.

 

Chapitre 40

 

Paroles par lesquelles Dieu le Créateur propose trois belles questions : la première, de la servitude du mari et du commandement de la femme ;  la deuxième, du labeur du mari et de la prodigalité de la femme, et la troisième, du mépris du maître et de l’honneur du
serviteur.

 

Je suis votre Créateur adorable et votre redoutable Seigneur. 

Dites-moi trois choses que je vais vous demander, ô mon épouse !

 

Comment subsiste cette maison où la femme est habillée en maîtresse et son mari en serviteur?  Cela convient-il ? Alors l’épouse répondit intimement en sa conscience : Non, Seigneur, il ne convient pas que cela soit ainsi.
Notre-Seigneur lui dit : Je suis Seigneur de toutes choses et Roi des anges.
 

J’ai vêtu mon serviteur, c’est-à-dire, mon humanité seulement, pour l’utilité, pour la nécessité.  Car dans le monde, j’ai voulu être nourri et vêtu pauvrement.  Mais vous, qui êtes mon épouse, vous
voulez être comme maîtresse, avoir des richesses, des honneurs, et marcher honorablement : à
quoi servent toutes ces choses ? Certainement, elles sont toutes vaines, et un jour, on les laissera toutes avec confusion.  Et de fait, l’homme n’a pas été créé pour une si grande superfluité, mais pour avoir les seules nécessités de nature ; mais la superfluité misérable a été inventée par la superbe qu’on aime, et on la regarde maintenant comme une loi.

 

En deuxième lieu, est-il décent et raisonnable que le mari travaille depuis le matin jusqu’au soir, et que la femme consomme dans une heure tout ce qui aura été amassé ?  Alors elle répondit : Il n’est pas non plus raisonnable, mais la femme doit vivre et faire selon la volonté de son mari.

Notre-Seigneur repartit : J’ai fait comme un mari qui travaille depuis le matin jusqu’au soi, car j’ai travaillé depuis ma jeunesse jusqu’à ma passion, montrant la voie qui conduit au ciel, prêchant et
accomplissant les œuvres que je prêchais.  Quand la femme qui devait être mienne de même que
tout mon labeur, vit luxurieusement, ce que j’ai fait ne lui sert de rien, et je ne trouve en elle aucune vertu dans laquelle je puisse me complaire.

 

En troisième lieu, dites-moi : n’est-il pas indécent, voire abominable, en quelque maison que ce soit, que le maître soit méprisé et que le valet soit honoré ?  Elle répondit : Oui, certes.  Notre-Seigneur
repartit : Je suis le Seigneur de toutes choses ; le monde est ma maison et l’homme devrait être
mon serviteur.  Je suis le Seigneur qui est maintenant méprisé dans le monde, et l’homme est honoré.  Et partant, vous que j’ai choisie, ayez soin de faire ma volonté, parce que tout ce qui est dans monde n’est que comme un écume de mer et comme une vision vaine.

 

Chapitre 41

 

Paroles du Créateur dites en la présence des troupes célestes et de l’épouse, avec lesquelles Dieu se plaint en quelque manière de cinq sortes de personnes : du Pape et de son clergé, des mauvais
laïques, des Juifs et
des païens.  Elles traitent aussi du secours de ses amis, par lesquels sont
entendus tous les hommes, et de la cruelle sentence
fulminée contre les ennemis.

 

Je suis le Créateur de toutes choses.  Je suis engendré du Père avant les astres, et suis inséparablement en mon Père, et mon Père est en moi, et un Esprit en tous deux. 

Partant, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu.  Je suis celui qui a promis à Abraham l’héritage éternel.  J’ai tiré, par Moïse, mon peuple de l’Égypte.  Je suis le même qui parlait par la bouche des prophètes.  Mon Père m’a envoyé dans les entrailles de la Vierge, ne se séparant pas de moi, mais demeurant inséparable avec moi, afin que l’homme, se retirant,
retournât à Dieu par mon amour.

 

Or, maintenant, en la présence de mes troupes célestes, de vous, qui voyez en moi et savez en moi toutes choses, néanmoins, pour l’instruction de mon épouse ici présente, qui ne peut comprendre les choses spirituelles que par les choses corporelles, je me plains devant vous de cinq hommes qui sont ici présents, parce qu’ils m’offensent en plusieurs choses. Car comme autrefois par le mot Israël j’entendais en la loi ancienne tout le peuple d’Israël, de même par ces cinq hommes, j’entends tous les hommes du monde.

 

Le premier est le gouverneur de l’Église ; le deuxième son clergé ; les Juifs sont le troisième, les païens le quatrième, mes amis le cinquième.
Mais de vous, ô Judée ! j’en excepte tous les Juifs qui sont secrètement chrétiens, et qui me servent avec un amour sincère, une foi droite et par des œuvres parfaites.  Mais de vous, païens, j’en
exceptent tous ceux qui marcheraient par la voie de mes commandements, s’ils savaient comment et
s’ils étaient instruits, et ceux qui font de bonnes œuvres autant qu’ils peuvent ; ils ne seront aucunement jugés avec vous.

 

Donc, maintenant, je me plains de vous, ô chef de mon Église ! qui êtes assis sur le siége que j’ai donné à Pierre et à ses successeurs, pour y être assis avec une triple dignité et une triple autorité :

1° afin qu’ils aient le pouvoir de lier et de délier les âmes du péché ;

2° afin qu’ils ouvrent le ciel aux pénitents ;

3° afin qu’ils le ferment aux maudits et à ceux qui me méprisent. 

Mais vous, qui deviez délier les âmes et me les présenter, vous en êtes le meurtrier ; car j’ai établi Pierre pasteur et gardien de mes brebis, et vous en êtes le dispensateur et celui qui les blesse.  Or, vous êtes pire que Lucifer, car lui m’enviait et ne désirait tuer autre que moi, afin qu’il régnât à ma place, mais vous êtes pire que lui, attendu que, non seulement vous me tuez, me repoussant de vous par plusieurs mauvaises œuvres, mais vous tuez les âmes par votre mauvais exemple.

J’ai racheté de mon sang les âmes, et je vous les ai confiées comme à un fidèle ami : mais vous, vous les livrez à mon ennemi duquel je les avais rachetées.  Vous êtes plus injuste que Pilate, qui ne condamnait à mort autre que moi : mais non seulement vous me jugez comme celui qui n’a aucun pouvoir et qui est indigne de tout bien, mais vous condamnez même les âmes innocentes et vous pardonnez aux coupables.  Vous m’êtes plus ennemi que Judas, qui me vendit seul : et vous, vous ne me vendez pas seul, mais aussi les âmes de mes élus par un sale lucre et par une vanité de nom : Vous êtes plus abominable que les Juifs, car ils crucifièrent seulement mon corps, mais vous
crucifiez et punissez les âmes de mes élus, auxquelles votre malice et votre transgression sont plus amères que le couteau tranchant.
Et partant, parce que vous êtes semblables à Lucifer, que vous êtes plus injuste que Pilate, plus cruel que Judas et plus abominable que les Juifs, je me plains avec raison de vous.

 

Aux hommes de la deuxième sorte, c’est-à-dire, aux laïques, Notre-Seigneur parle en ces termes : J’ai créé toutes choses pour votre utilité ; vous étiez avec moi et j’étais avec vous ; vous m’aviez donné votre foi et vous aviez juré de me servir : or, maintenant, vous vous êtes retirés de moi comme un homme qui ignore son Dieu ; vous réputez mes paroles à mensonge, mes œuvres à vanité, et vous dites que ma volonté et mes commandements sont fâcheux et trop pesants.  Vous avez enfreint la foi que vous m’aviez donnée ; vous avez violé votre jurement et avez laissé mon nom ; vous vous êtes
séparés des saints, vous vous êtes enrôlés au nombre des diables et vous êtes leurs compagnons.  Il vous semble qu’il n’y a que vous qui soyez dignes de louanges et d’honneur.  Tout ce qui est pour moi et tout ce que vous êtes tenus de faire, vous est difficile, et tout ce qui vous plaît vous est facile : c’est pourquoi je me plains de vous avec raison, car vous avez violé la foi que vous m’aviez donnée au baptême et après le baptême.  En outre, pour l’amour que je vous ai montré tant en parole qu’en effet, vous m’accusez de mensonge ; vous m’appelez insensé pour avoir enduré la passion.

 

Notre-Seigneur parle en ces termes aux hommes de la troisième espèce, c’est-à-dire, aux Juifs : J’ai commencé la charité avec vous ; je vous ai élus pour mon peuple ; je vous ai affranchis de la
servitude qui vous écrasait sous son faix ; je vous ai donné ma loi ; je vous ai introduits en la terre que j’avais promise à vos pères ; je vous ai envoyé des prophètes pour vous consoler ; après, j’ai choisi parmi vous la vierge la plus sainte de laquelle j’ai pris l’humanité.  Or, maintenant, je me plains de vous, parce que vous ne pouvez pas croire encore, disant : Jésus-Christ n’est pas venu, mais il viendra.

 

Notre-Seigneur parle ainsi aux hommes de la quatrième sorte, c’est-à-dire, aux gentils : Je vous ai créés et rachetés comme des chrétiens, et j’ai fait tous les biens pour l’amour de vous, mais vous êtes comme des insensés, car vous ne savez ce que vous faites ; comme des aveugles, puisque vous ne savez où vous allez, car vous honorez la créature pour le Créateur, vous prenez le faux pour le vrai, et vous courbez le genou devant celui qui est moindre que vous : c’est pourquoi je me plains de vous.

 

Notre-Seigneur parle ainsi aux hommes de la cinquième sorte, c’est-à-dire, à ses amis : O mes amis!  approchez-vous de plus près.  Et soudain, il dit aux troupes célestes : Mes amis, j’ai un ami, par lequel j’entends plusieurs : il est comme un homme entouré de méchants et est en une dure captivité ; s’il fait du bien, on enfonce une lance dans sa poitrine.
Voyez, mes amis, et vous tous, ô saints ! combien de temps les souffrirai-je en un tel mépris.

 

Saint Jean-Baptiste répondit : Vous êtes comme un miroir sans tache, car en vous comme dans une glace bien polie, nous voyons et savons toutes choses sans parole.  Vous êtes une douceur incomparable en laquelle nous goûtons toute sorte de biens ; vous êtes comme un glaive tranchant
qui jugez avec équité. 

 

Notre-Seigneur lui répondit alors : Mon ami, vous dites la vérité, car en moi, tous les élus voient tout bien et toute justice, voire les diables, en quelque sorte, quoiqu’ils ne soient pas dans la lumière, mais en la conscience naturelle des choses.  En effet, comme, en prison, un homme qui avait auparavant appris les lettres, sait ce qu’il avait appris, bien qu’il soit dans les ténèbres et qu’il n’y voie pas, de même les diables, bien qu’ils ne voient pas ma justice en l’éclat de ma splendeur, la savent néanmoins et la voient en leur conscience.  Je suis aussi comme un glaive qui partage en deux; je donne à chacun ce qu’il mérite.

 

Notre-Seigneur dit encore à saint Pierre : Vous êtes fondateur de la foi de mon Église ; dites en présence de ma cour céleste le droit et la justice de ces cinq sortes de personnes. 

Saint Pierre répondit : Que louange et honneur vous soient à jamais rendus pour votre amour, ô Seigneur ! Soyez béni de votre cour céleste, d’autant que vous nous faites voir et savoir en vous toutes les choses qui sont faites et qui seront ; en vous, nous voyons tout et savons tout. 

 

Or, voici quelle est la vraie justice : que celui qui est assis sur votre trône et a les œuvres de Lucifer, perde avec confusion le siège sur lequel il a cru s’asseoir, et qu’il soit participant des peines de Lucifer. 

Du deuxième : telle est la rigueur de la justice : que celui qui s’est retiré de la foi descende en enfer la tête en bas et les pieds en haut, car il vous a méprisé, vous qui deviez être son chef, et il n’a aimé que soi-même. 

Du troisième : telle est ma sentence : qu’il ne voie point votre face, mais qu’il soit puni conformément à sa malice et à sa cupidité, car les perfides et déloyaux ne méritent point de vous voir. 

 

Du quatrième : telle en est la condamnation : qu’il soit enfermé comme un insensé en des lieux fort obscurs.  Du cinquième : tel est son jugement : qu’on lui envoie du secours.

 

Toutes ces choses étant entendues, Notre-Seigneur dit : Je jure par la voix de mon Père, que Jean-Baptiste ouït sur le bord du Jourdain ; je jure par le corps que Jean a baptisé, vu et touché sur le bord du Jourdain ; je jure par l’Esprit, qui apparut en forme de colombe sur le bord du Jourdain, que je
ferai justice de ces cinq sortes de personnes.

 

Alors Notre-Seigneur reprit et dit au premier des cinq : Le glaive de ma sévérité percera votre corps, commençant par la tête, si profondément et si puissamment qu’on ne le pourra jamais rracher.  Votre
siège sera submergé comme une lourde pierre, qui ne s’arrêtera que quand elle sera au fond.  Vos
doigts, c’est-à-dire, vos conseillers, brûleront en un feu de soufre puant et inextinguible.  Vos bras, c’est-à-dire, vos vicaires, qui devaient s’occuper de l'avancement des âmes et s'étendre, et qui ne
se sont étendus que vers l’utilité et les honneurs du monde, seront condamnés à la peine prononcée par David : que ses enfants soient orphelins, que sa femme soit veuve, et que les étrangers ravissent et enlèvent sa substance.  Quelle est cette femme, sinon cette âme, qui sera délaissée de la gloire céleste, et sera veuve de Dieu, son époux ?  Qui sont ses enfants, sinon les vertus qu’il semblait avoir?  Et les âmes simples qui étaient sous eux leur seront arrachées, et leurs dignités et leurs biens seront à d’autres.  Et pour toute dignité, ils hériteront d’une confusion éternelle. Après l’ornement
de leur tête sera submergé dans le bourbier infernal, d’où ils ne sortiront jamais, afin que, comme ils ont ici surpassé les autres en honneur et en superbe, de même ils soient enfoncés et plongés en enfer
par-dessus les autres, de sorte qu’ils n’en puissent jamais sortir.  Tous les fauteurs et imitateurs du clergé leur seront arrachés et seront séparés comme un mur qu’on bat en ruine, où on ne laisse pas pierre sur pierre, et aucune pierre ne sera jointe à une autre avec le ciment, afin que ma miséricorde ne vienne jamais sur eux, attendu que mon amour ne les a jamais échauffés, et il ne leur édifiera jamais une demeure dans le ciel ; mais s’étant privés de tout bien, ils seront tourmentés avec leur chef.

 

Je parle ainsi au deuxième : D’autant que vous ne voulez pas me garder la foi promise, ni m’aimer, j’enverrai un animal qui sortira du torrent impétueux et vous engloutira ; et comme le torrent
impétueux coule incessamment en bas, de même cet impétueux animal vous entraînera au plus
bas de l’enfer.  Et comme il vous est impossible de monter contre le torrent impétueux, de même il vous est impossible de sortir jamais de l’enfer.

 

Je dis au troisième : Vous, ô Juifs ! vous ne voulez pas croire que je suis venu : quand je viendrai au second jugement, vous me verrez, non en ma gloire, mais en la frayeur de votre conscience, et vous
vous convaincrez que tout ce que j’avais dit était vrai.  Maintenant, il vous reste le châtiment dû à vos démérites.

 

Je dis au quatrième : D’autant que, maintenant, vous ne vous souciez de croire ni ne voulez savoir et connaître, vos ténèbres reluiront un jour, et votre coeœur sera illuminé, afin que vous sachiez que mes
jugements étaient vrais.  Néanmoins, vous ne viendrez pas à la lumière.

 

Je dis au cinquième : Je vous ferai trois choses : 1° je vous remplirai intérieurement de mon fervent amour ; 2° je rendrai votre bouche plus dure et plus forte qu’aucune pierre, de sorte que les pierres
qu’on jettera sur elle rejailliront sur ceux qui les jettent ; 3° je vous armerai tellement qu’aucune lance ne vous nuira, mais toutes choses fléchiront et fondront devant vous comme la cire devant le feu.  Donc, raffermissez-vous et soyez généreux, car comme le soldat qui, dans la guerre, espère
le secours de son seigneur, combat tout autant qu’il trouve quelque force en lui, de même soyez fort et combattez, car Dieu, votre Seigneur, vous prêtera un secours auquel personne ne pourra résister.  Et parce que vous avez un petit nombre de soldats, je vous honorerai et vous multiplierai.

 

Voici que vous, mes amis, voyez et savez que cela est en moi, c’est pourquoi vous demeurez devant moi stables et fermes.  Les paroles que je viens de dire s’accompliront : mais ceux-là n’entreront jamais en mon royaume, tant que je serai Roi, à moins qu’ils s’amendent, car on ne donnera le ciel à
personne, si ce n’est à ceux qui s’humilient et font pénitence.  Alors, toute la troupe céleste répondit: Louange à vous, Seigneur Dieu, qui êtes sans commencement et sans fin !

 

Chapitre 42

 

Paroles par lesquelles la Vierge Marie exhorte l’épouse, comment elle doit aimer son Fils par-dessus toutes choses, et en quelle manière toutes les vertus et toutes les grâces sont renfermées en la Vierge glorieuse.

 

J’ai eu éminemment trois choses par lesquelles j’ai plu à mon Fils, disait la Mère de Dieu à l’épouse: 1° l’humilité, de sorte que ni homme, ni ange, ni aucune créature n’a été plus humble que moi ;

2° j’ai eu excellemment l’obéissance, parce que je me suis étudiée à obéir à mon Fils en toutes choses ;

3° j’ai eu à un sublime degré une charité singulière, c’est pourquoi j’ai été triplement honorée de lui, car en premier lieu, j’ai été plus honorée que les anges et les hommes, de sorte qu’il n’y a pas de vertu de Dieu qui ne reluise en moi, bien qu’il soit la source et le Créateur de toutes choses. 

Je suis sa créature, à laquelle il a donné sa grâce plus éminente qu’à tout le reste des créatures. 

 

Secondement, j’ai obtenu une si grande puissance à raison de mon obéissance, qu’il n’y a pas de pécheur, quelque corrompu qu’il soit, qui n’obtienne son pardon, s’il se tourne vers moi avec un coeœur contrit et un ferme propos de s’amender.

En troisième lieu, à cause de ma charité, Dieu s’approche ainsi de moi, de telle sorte que qui voit Dieu me voit, et qui me voit peut voir en moi, comme dans un miroir plus parfait que celui des autres, la Divinité et l’humanité, et moi en Dieu ; car quiconque voit Dieu voit en lui trois
personnes, car la Divinité m’a enfermée en soi avec mon âme et mon corps, et m’a remplie de
toutes sortes de vertus, de manière qu’il n’y a pas de vertu en Dieu qui ne reluise en moi, bien que Dieu soit le Père et l’auteur de toutes les vertus.

 

Quand deux corps sont joints ensemble, ce que l’un reçoit, l’autre le reçoit aussi : il en est ainsi de Dieu et de moi, car il n’y a pas en lui de douceur qui ne soit pour ainsi dire en moi, comme celui
qui a un cerneau d’une noix en donne à un autre la moitié. Mon âme et mon corps sont plus purs que le soleil et plus nets qu’un miroir.  Comme dans un miroir, on verrait trois personnes, si elles étaient présentes, de même on peut voir en ma pureté le Père, le Fils et le Saint-Esprit, car j’ai porté le Fils dans mon sein avec la Divinité ; on le voit maintenant en moi avec la Divinité et l’humanité comme dans un miroir, d’autant que je suis glorieuse.

Étudiez-vous donc, ô épouse de mon Fils ! à suivre mon humilité ; et n’aimez que mon Fils.

 

Chapitre 43

 

Paroles que le Fils de Dieu adresse à l’épouse. Comment d’un peu de bien l’homme s’élève à un bien parfait, et d’un peu de mal, descend à un grand supplice.

 

D’un peu de bien naît quelquefois une grande récompense, disait le Fils de Dieu à l’épouse.  La datte est d’une merveilleuse odeur, et elle renferme une pierre : si elle est mise dans une terre grasse, elle
s’engraisse et fructifie, et devient peu à peu un arbre ; mais si elle est mis dans une terre aride, elle se dessèche, car elle est bien aride pour le bien, la terre qui se délecte et prend plaisir dans le péché ; si
la semence des vertus y est jetée, elle ne s’y engraisse pas.  Mais la terre de l’esprit de celui-là est grasse, qui connaît le péché et se repent de l’avoir commis ; si la pierre de datte y est mise, c’est-à-dire, s’il y sème la sévérité de mon jugement et de ma puissance, trois racines s’étendent dans son esprit.

 

1° Il pense qu’il ne peut rien faire sans mon secours ; partant, il ouvre sa bouche pour me prier. 

2° Il commence aussi de donner une petite aumône en on nom.

3° Il se défait et s’affranchit des affaires pour me servir, puis il s’adonne au jeûne et quitte sa propre volonté : et c’est là le tronc de l’arbre. 

Ensuite croissent les rameaux de la charité, quand il attire vers le bien tous ceux qu’il peut y attirer ; puis le fruit vient en maturité, quand il enseigne les autres autant qu’il sait ; il cherche le moyen avec
une entière dévotion d’accroître mon honneur : un tel fruit me plaît beaucoup.  Ainsi donc, d’un peu de bien, il s’élève à un bien parfait et accompli.  Quand premièrement il a pris racine par une
médiocre dévotion, le corps s’augmente par l’abstinence, les rameaux se multiplient par la charité, et le fruit s’engraisse par la prédication.

 

De la même manière, par un petit mal, l’homme descend à une malédiction, à un supplice insupportable.  Ne savez-vous pas qu’il est très pesant, le fardeau des choses qui croissent incessamment ?
Certainement, c’est un enfant qui ne peut naître, qui meurt dans les entrailles de sa mère, qui la
torture et la tue ; le père porte au tombeau et ensevelit la mère et l’enfant : de même le diable en fait à notre âme, car elle est vicieuse comme la femme du diable, laquelle suit en toutes choses sa volonté, qui est alors conçue par le diable, quand le péché lui plaît et se réjouit en lui : car de même qu’un peu de pourriture rend la mère féconde, de même notre âme apporte un grand fruit au diable, quand elle se délecte et prend plaisir dans le péché : d’où sont formés les membres et la force du corps, quand on ajoute et augmente tous les jours péchés sur péchés.  Les péchés étant augmentés de la sorte, la mère s’enfle, voulant enfanter, mais elle ne peut, parce que la nature étant consommée dans le péché, sa vie l’ennuie, et elle voudrait commettre librement plus de péchés ; mais elle ne
peut, en étant empêchée par le saint, qui ne le lui permet pas.  Alors, la crainte la saisit, la joie et la force se retirent d’elle, parce qu’elle ne peut accomplir sa volonté.  Elle est environnée de toutes parts de chagrins et de douleurs ; alors son ventre se rompt, quand elle désespère de pouvoir faire
quelque chose de bien, et meurt en même temps, quand elle blasphème et reprend le juste jugement de Dieu ; elle est ainsi menée par le diable, son père, au sépulcre infernal, où elle est ensevelie à jamais avec la pourriture du péché, elle et le fils de la délectation dépravée.

 

Voilà comment le péché s’augmente de peu et croît pour la damnation éternelle.

 

Chapitre 44

 

Paroles du Créateur à son épouse.  Il dit combien il est maintenant blâmé et méprisé des hommes, qui n’écoutent pas ce qu’il a fait par charité, quand il les a avertis par ses prophètes, qu’il a tant souffert pour eux, pour eux qui ne se sont pas souciés de la juste indignation qu’il a exercée contre
les obstinés, les corrigeant cruellement.

 

Je suis l’adorable Créateur et le Seigneur redoutable de toutes choses.
J’ai fait le monde, et le monde me méprise.  J’entends résonner du monde une voix comme la voix d’une mouche supérieure qui amasse le miel sur la terre ; car comme elle vole, elle s’abaisse aussitôt vers la terre, et jette une voix grandement enrouée : de même j’entends maintenant résonner dans le
monde cette voix enrouée, disant : Je ne me soucie point de ce qui vient après toutes ces choses. 

Certes, tous crient maintenant : Je ne m’en soucie point.  Vraiment l’homme ne se soucie pas ce que j’ai fait.  Ému de charité, je l’ai averti par mes prophètes, je lui ai prêché moi-même, j’ai souffert
pour lui… Il méprise ce que j’ai fait en ma colère, corrigeant et punissant les désobéissants et les mauvais.  Ils se voient mortels et incertains de la mort, et ils n’en tiennent aucun compte. 

 

Ils voient et ils entendent les épouvantables rigueurs de ma justice, que j’ai exercée sur Pharaon et les Sodomites à raison de leurs péchés, que j’ai fulminée sur les princes et sur les rois, et que je promets de rendre avec le tranchant du glaive et autres tribulations, et toutes ces choses leurs sont comme cachées.  C’est pourquoi ils volent à tout ce qu’ils veulent comme les mouches supérieures. 

 

Ils volent quelquefois aussi comme en sautant, parce qu’ils s’élèvent par leur superbe ; mais ils s’abaissent plutôt quand ils retournent à l’abominable luxure et à leur gourmandise.  Ils amassent ainsi de la douceur, mais pour eux et en la terre, parce que l’homme travaille et amasse, non pour
l’utilité de l’âme, mais pour celle du corps, non pour l’honneur éternelle, mais pour l’honneur terrestre.  Ils se tournent le bien temporel en une peine insupportable.  Celui qui n’est utile à rien a un supplice éternel.

Partant, à cause des prières de ma Mère, j’enverrai ma voix claire qui prêchait ma miséricorde à ces mouches, dont mes amis se sont exemptés et affranchis, qui ne sont point au monde, sinon en leur
corps ; que s’ils l’écoutent, ils seront heureusement sauvés.

 

Chapitre 45

 

Réponse de la Vierge Marie, des anges, des prophètes, des apôtres et des diables, faite à Dieu en la personne de l’épouse, lui témoignant sa  magnificence et sa grandeur dans la création et la rédemption, et comme les hommes contredisent maintenant toutes ces choses, et de leur sévère jugement.

 

O épouse de mon Fils, vêtissez-vous et demeurez stable, parce que mon Fils s’approche de vous, disait la Mère de Dieu à l’épouse.  Sa chair a été serrée comme en un pressoir : car comme l’homme a manqué et failli malicieusement en tous ses membres, mon Fils a aussi satisfait à proportion en tous les siens.  Ses cheveux étaient étendus, ses nerfs séparés, ses jointures disjointes, ses os meurtris, ses mains et ses pieds cloués ; son esprit était troublé ; son coeœur était affligé de douleur ; ses intestins étaient collés à son dos, d’autant que l’homme a péché en tous ses membres.

 

Après, le Fils de Dieu parla et dit, en présence de la troupe céleste : Bien que vous sachiez que toutes choses sont faites par moi, toutefois, à cause de mon épouse qui est ici, je prends la parole et je vous
demande, ô anges ! ce que cela veut dire, que Dieu a été sans commencement et sans fin, et ce que veut dire ceci, qu’il a créé toutes choses et que nul ne l’a créé. Répondez, et portez témoignage en ceci.

 

Les anges répondirent d’une commun voix, disant : Seigneur, vous êtes celui qui est, car nous vous donnerons témoignage de trois choses : 1° que vous êtes notre adorable Créateur, et le Créateur de touteschoses qui sont au ciel et sur la terre ;

 

 2° que vous êtes sans commencement,que vous serez  sans fin, et que votre redoutable puissance durera éternellement : car sans vous rien n’a été fait, et sans vous, rien ne peut être ni subsister ;

3° nous témoignons que nous voyons en vous toute votre justice, et toutes les choses qui ont été et seront, et toutes ces choses en vous-même, et vos idées, sans fin et commencement.

 

Puis, se tournant vers les patriarches et les prophètes, il leur dit : Je vous le demande, quel est celui qui vous a affranchis de la servitude, pour vous rendre la liberté, qui a divisé les eaux devant vous,
qui vous a donné la loi, qui a donné à vos prophètes l’esprit de parler ? Ils lui répondirent : C’est vous, ô Seigneur que nous adorons, qui nous avez tirés de servitude, qui nous avez donné la loi, et qui avez incité notre esprit à parler.

 

Après, il dit à sa Mère : Ma Mère, portez témoignage de vérité de ce que vous savez de moi.  Elle répondit : Avant que l’ange, qui était envoyé de vous, fût venu à moi, j’ai été seule avec mon âme et mon corps.  Mais quand l’ange eut parlé, votre corps fut en moi, avec la Divinité et l’humanité, et je sentis en mon corps votre corps.  Je vous ai porté sans douleur ; je vous ai enfanté sans angoisses ; je vous ai enveloppé de langes ; je vous ai nourri de mon lait ; j’ai été avec vous depuis votre naissance jusqu’à votre mort.

 

Puis, il s’adressa aux apôtres, disant : Quel est celui que vous avez vu, entendu et senti ?  Ils lui répondirent : Nous avons entendu vos saintes et puissantes paroles, et nous les avons écrites ; nous avons ouï vos merveilles signalées, quand vous avez donné la loi nouvelle.  Par votre parole efficace, vous avez commandé aux démons enragés de fureur, et ils ont pris la fuite aux accents de votre parole puissante.  Vous avez ressuscité les morts et guéri les malades. Nous avons vu avec un corps humain.  En votre humanité, nous avons vu vos merveilles en la gloire divine ; nous vous avons vu livré aux ennemis et cloué sur la croix ; nous avons vu en vous une passion très amère ; nous vous avons enseveli.  Nous vous avons aperçu et vu, lorsque vous êtes ressuscité ; nous avons touché vos
cheveux et votre face, vos membres et vos plaies.  Vous avez mangé avec nous, et vous nous donniez vos paroles.  Vous êtes vraiment le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge.  Nous vous avons aussi vu et touché, lorsque vous êtes montés à la droite de votre Père avec une humanité où vous êtes sans fin.

 

Après, Dieu dit aux diables : Esprits immondes, bien qu’en votre conscience vous cachiez la vérité, je vous commande toutefois de dire ce qui diminue votre puissance.  Ils lui répondirent : Tout ainsi que les larrons ne disent point la vérité s’ils ne sont mis sur le cep, de même nous ne la disons point si nous n’y sommes contraints par votre divine, infinie et terrible puissance.  C’est vous qui, avec votre force, êtes descendu en enfer.  Vous avez pris le droit de l’enfer.  Alors Notre-Seigneur dit :
Voici tous ceux qui ont un esprit et ne sont point revêtus de corps, lesquels me disent la vérité ; mais ceux qui ont un esprit et un corps, savoir, les hommes, me contredisent et vont à l’encontre de moi. 

 

Or, les uns n’ignorent rien, mais savent tout ; toutefois ils n’en tiennent pas compte et ne s’en soucient pas.  Les autres ignorent tout et ne savent rien, ce qui fait qu’ils ne s’en soucient pas, mais disent que toutes choses sont fausses.

 

Notre-Seigneur dit encore aux anges : Ceux-ci disent que votre témoignage est faux, que je ne suis point Créateur, que je n’ai pas la connaissance de toutes choses : c’est pourquoi ils aiment mieux la
créature que moi.  Il dit aussi aux prophètes : Ils vous contredisent, disant que la loi est vanité et que vous avez parlé par votre propre volonté.  Mais il dit à sa Mère : Ma Mère, les uns disent que vous n’êtes pas vierge, les autres que je n’ai pas pris mon corps de vous : ils le savent, mais ils ne s’en
soucient pas.  Puis il dit aux apôtres : Ils vous contredisent, d’autant qu’ils disent que vous êtes des menteurs, que la loi nouvelle est sans raison et inutile.  Il y en a d’autres qui croient que toutes choses sont vraies, mais ils n’en tiennent pas compte. 

 

Maintenant donc, je vous demande quel sera leur juge.  Ils me répondirent tous : C’est vous, ô Dieu adorable ! qui êtes sans commencement et sans fin ; c’est vous, ô Jésus-Christ ! à qui le Père en a donné le jugement ; c’est vous qui êtes le juge juste et équitable de ceux-là. 

Le Seigneur leur répondit : Je suis maintenant le juge, moi qui me complaignais sur eux ; mais bien que je connaisse et puisse toutes choses, toutefois prononcez sur eux votre jugement.

 

Ils lui dirent : Tout ainsi qu’au commencement du monde, tout le monde périt par les eaux du déluge, de même le monde mérite maintenant de périr par le feu, parce, maintenant, l’iniquité et l’injustice sont plus grandes qu’elles ne l’étaient alors.

 

Le Seigneur répondit : D’autant que je suis juste et miséricordieux, je ne juge pas sans miséricorde, et je ne fais pas miséricorde sans justice. C’est pourquoi, à cause des prières de ma très chère Mère
et de mes saints, j’enverrai encore une fois ma miséricorde au monde ; mais si le monde ne veut ni l’écouter ni l’embrasser, ma justice n’en sera que plus rigoureuse.

 

Chapitre 46

 

Paroles de louange que se disaient, en présence de l’épouse, la Mère et son Fils.  Comment Jésus-Christ est maintenant réputé des hommes, très vil, très difforme et très déshonnête.  Éternelle damnation de ceux qui le traitent ainsi.

 

La Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes sans commencement et sans fin ; vous qui avez eu un corps très honnête et décent plus que tout autre ; vous qui avez été l’homme le plus adroit et le plus vertueux qui ait existé ; vous qui avez été la plus digne créature du monde !

 

Son Fils lui répondit, disant : Ma Mère, les paroles qui sortent de votre bouche, me sont agréable, et abreuvent les plus secrètes pensées de mon coeœur comme d’un breuvage très doux et suave ; vous m’êtes plus doux qu’aucune créature du monde.  Car comme on voit en un miroir divers visages, mais qu’aucun plaît davantage que le propre, de même, bien que j’aime mes saints, je vous aime toutefois d’un amour plus ardent, plus singulier, et plus excellent, d’autant que je suis engendré de votre chair.
Vous êtes comme la myrrhe choisie, dont l’odeur monte jusqu’à la Divinité et la conduit en votre corps : la même odeur a attiré votre corps et votre âme jusqu’à elle, où vous êtes maintenant en corps et en âme.  Vous, soyez bénie, parce que les anges se réjouissent à cause de votre beauté ; et à
raison de votre vertu, tous ceux qui vous invoquent avec un coeœur pur seront délivrés.  Tous les démons tremblent à votre lumière ; ils n’oseraient pas s’arrêter en elle, parce qu’ils veulent toujours êtres dans les ténèbres. 

 

Vous m’avez donné une triple louange, disant, 1° que j’avais un corps très honnête, 2° que j’étais un homme très adroit, 3° que j’étais la plus digne de toutes les créatures. 

Mais ceux-là seulement qui ont un corps et une âme contredisent ces trois choses, car ils disent que j’ai un corps déshonnête, que je suis un homme très abject et maladroit, et que je suis la plus vile de toutes les créatures. 

Qu’y a-t-il en effet de plus déshonnête que de provoquer les hommes au péché ? Ils disent aussi que le péché n’est pas si difforme, et qu’il ne déplaît pas tant à Dieu, comme on dit, car, disent-ils, rien ne peut être, si Dieu ne le veut, et tout a été créé par lui. Pourquoi donc ne nous servirons-nous pas des choses qui ont été faites pour notre utilité ?
La fragilité de la nature a demandé cela, et tous ceux qui ont été devant nous et qui sont à présent, ont vécu et vivent maintenant de la sorte.

 

A présent, ma Mère, les hommes me parlent ainsi, tournant mon humanité en déshonneur, en laquelle j’ai apparu vrai Dieu entre les hommes, et par laquelle j’ai dissuadé le péché, et j’ai montré combien il était lourd et pesant, comme si j’avais conseillé le déshonneur et la saleté.  Certes, ils
disent qu’il n’y a rien de plus honnête et qui plaise davantage à leur volonté que  le péché, bourreau de l’âme.  Ils disent aussi que je suis un homme très déshonnête ; car qu’y a-t-il de plus déshonnête
que lui, qui, lorsqu’il dit la vérité, est frappé de pierres sur la face, et sur sa bouche qui se brise.  Et en outre, il entend l’opprobre de ceux qui disent : S’il était homme, il se défendrait et se vengerait.

 

Voilà comment ils me traitent.  Je leur parle par la bouche des docteurs et par la sainte Écriture, mais ils disent que je suis un menteur.  Ils frappent ma bouche à coups de pierres et à coups de poings, quand ils commettent un adultère, un homicide et un mensonge, et disent : S’il était homme, s’il était Dieu très puissant, il vengerait une telle transgression. Mais je supporte avec patience toutes ces choses, et je les entends tous les jours, disant que la peine n’est point éternelle et fâcheuse, comme on le prétend, et disent que mes paroles véridiques sont des mensonges.

 

En troisième lieu, ils me croient la plus vile créature du monde : car qu’y a-t-il de plus vil et de plus abject en une maison qu’un chat ou un chien, pour lesquels, si quelqu’un voulait librement faire un
échange, il recevrait un cheval ? Mais l’homme m’estime moins qu’il n’estime un chien, d’autant que, s’il devait perdre son chien ou me choisir, il ne voudrait pour cela me recevoir, il me rebuterait plutôt que de le perdre.  Mais quelle est la chose, si petite qu’elle soit, qu’on ne désire avec un
plus fervent amour qu’on ne me désire moi-même ?  S’ils m’estimaient en effet plus qu’aucune
créature, ils m’aimeraient plus que toute autre ; mais il n’est rien de vil et d’abject qu’ils n’aiment plus que moi.  Ils ont pitié de toutes choses ; de moi ? nullement.  Ils sont marris de leurs dommages
propres et de ceux de leurs amis ; ils se fâchent d’une petite parole ; ils sont dolents et affligés de ce qu’ils offensent les autres, plus excellents qu’eux, mais ils ne s’affligent pas de ce qu’ils m’offensent, moi qui suis le Créateur de toutes les créatures.  Quel est l’homme, si abject qu’il soit, que l’on n’écouterait pas, s’il parlait, à qui on ne donnerait pas quelque chose, s’il donnait ?  Je suis donc la plus abjecte et la plus vile de toutes les créatures en leur présence, d’autant qu’ils ne me croient digne d’aucun bien, quoique je leur aie donné tout ce qu’ils ont.

 

Donc, ô ma Mère, comme vous avez goûté plus que tout autre ma sagesse infinie, et qu’il n’est jamais sorti de votre bouche que la vérité, de même il ne sortira jamais de la mienne que la vérité.  Je
m’excuserai en la présence de mes saints, devant le premier qui a dit que j’avais un corps très déshonnête, et je prouverai jusqu’à l’évidence que j’ai un corps très honnête, sans péché, sans difformité, et il sera en opprobre éternel à la face du monde.  Quant à celui qui disait que mes paroles
étaient un mensonge, et ne savait pas si j’étais Dieu ou non, je lui prouverai vivement que je suis vraiment Dieu : et celui-là, comme une boue puante, tombera dans l’enfer.  Quant au troisième, qui m’a jugé et estimé être la plus vile de toutes les créatures, je le jugerai et le condamnerai à un supplice éternel, de sorte qu’il ne verra jamais la splendeur de ma gloire ni ma joie incomparable.

 

Après, Notre-Seigneur dit à l’épouse : Soyez ferme et constante en mon service.  Vous êtes venue comme entre quelque mur, vous y avez été emprisonnée.  Vous ne pouvez ni sortir de cette prison ni
la percer.
Supportez donc volontairement une petite tribulation, et vous éprouverez en mon bras, dont les pouvoirs sont adorables, un repos éternel.  Vous avez connu la volonté de mon Père, vous entendez la parole de son Fils, et vous sentez les mouvements amoureux de mon Esprit.  Vous avez une consolation et un contentement indicibles en la parole de ma Mère et de mes saints : donc, soyez ferme et constante, sinon vous sentirez les horribles rigueurs de ma justice, par laquelle vous serez contrainte de faire ce dont je vous avertis maintenant avec tant d’amour.

 

Chapitre 47

 

Comment Notre-Seigneur s’entretenait avec son épouse et lui objectait les paroles de la nouvelle loi.  Comme la nouvelle loi est maintenant réprouvée et rejetée du monde, et comment les mauvais prêtres ne sont point prêtres de Dieu, mais des traîtres à son égard.  Malédiction et damnation des mauvais prêtres.

 

Je suis ce Dieu éternel, qui était jadis appelé le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.  Je suis Dieu, ce législateur qui a donné la loi à Moïse, laquelle était comme un vêtement.  Car comme la mère qui a un enfant dans son sein, lui prépare des vêtements, de même Dieu a préparé une loi, qui n’était autre chose qu’un vêtement, une ombre et une figure des choses qui se devaient faire.  Pour moi, je suis couvert de ce vêtement de la loi ; et comme l’enfant qui, devenu plus grand, se dépouille de ses vieux vêtements pour en prendre de nouveaux, ayant accomplie et déposé le vêtement de la vieille loi, je me suis revêtu d’un nouveau, vêtement, c’est-à-dire, de la nouvelle, et je l’ai donné à tous ceux qui ont voulu être vêtus comme moi. Or, ce vêtement n’est ni étroit ni difficile, mais il est en tout et partout modéré et proportionné.  Je n’ai pas commandé en effet de trop
jeûner, de trop travailler, ni de se tuer ou de faire l’impossible, mais de faire des choses propres et convenables pour châtier ou modérer l’âme et le corps.  Car quand le corps est trop attaché au péché, le péché se consomme et le réduit au néant.  C’est pourquoi, dans la loi nouvelle, se trouvent deux choses : 1°  une tempérance modérée, et un droit et légitime usage de toutes les choses qui servent et pour l’âme et pour le corps ; 2° la facilité de garder la loi, parce que celui qui ne peut s’arrêter en une
chose, le peut en une autre.  On trouve en elle qu’à celui qui ne peut être vierge, il est permis d’être marié ; que celui qui tombe peut se relever. Mais cette loi est maintenant réprouvée et méprisée à
cause du mal, car ils disent que cette loi étroite est fâcheuse et difforme ; ils l’appellent étroite, d’autant qu’elle recommande de s’abstenir des choses nécessaires et de fuir les choses superflues. 

 

Or, ils veulent jouir et s’assouvir de toutes ces choses qui sont hors de raison, comme les juments par-dessus les forces de leur corps, c’est pourquoi elle leur est étroite.  Secondement, ils disent qu’elle est fâcheuse, d’autant que la loi ordonne de prendre la volupté avec raison et en ce temps, mais ils veulent accomplir leur volupté plus que de raison et plus qu’il n’est ordonné.  En troisième lieu, ils disent qu’elle est difforme, parce que la loi commande d’aimer l’humilité, et de déférer et d’attribuer tout notre bien à Dieu ; mais ils veulent s’enorgueillir des biens qu’ils ont reçus de Dieu, et s’élever : c’est pourquoi elle leur est difforme, et de la sorte, ils méprisent mon vêtement.
 

J’ai achevé et accompli plus tôt tout ce qui était de la vieille loi, et après, j’ai commencé la nouvelle, parce que les corps qui appartenaient à la vieille étaient grandement difficiles pour durer jusqu’à ce que je vinsse au dernier jugement.  Mais ils ont jeté avec mépris le vêtement dont l’âme était couverte et revêtue, c’est-à-dire, la foi droite, et ils ajoutent et amoncellent péchés sur péchés, d’autant qu’ils veulent aussi me trahir. David ne dit-il pas en son psaume : Ceux qui mangeait mon
pain méditent contre moi une trahison ? Par ces paroles, je veux que vous remarquiez deux choses : 1° parce qu’il ne veut point dire ici : Ils pensent mal ; il a parlé comme si la chose était déjà passée ; 2° de ce que le passé dénote qu’il n’y a qu’un seul homme qui ait trahi.  Pour moi, je vous dis que
ceux-là me sont traîtres qui sont au présent, non pas ceux qui ont été ou qui seront, mais ceux qui vivent maintenant.  Je vous dis aussi qu’il n’y a pas un homme traître, mais qu’il y en a plusieurs.

 

Or, vous me demanderez peut-être : N’y a-t-il pas deux pains, l’un invisible et spirituel, dont les anges et les saints se nourrissent, l’autre de la terre, dont vivent les hommes ?  Mais les anges et les
saints ne veulent autre chose, sinon que tout soit conforme à votre volonté, et les hommes ne peuvent rien, sinon comme il vous plaît : comment donc peuvent-ils vous trahir ?

 

Je vous réponds à cela, ma cour céleste l’entendant, afin que vous sachiez qu’ils savent et voient toutes choses en moi, mais le tout se dira pour votre sujet : Il y a vraiment deux sortes de pain : l’un
des anges, qu’ils mangent en mon royaume, afin de se rassasier d’une gloire ineffable : certes, ceux-là n’ont garde de me trahir d’autant qu’ils ne veulent que ce que je veux.  Mais ceux-là me rahissent, qui mangent mon pain à l’autel.

Je suis vraiment ce pain, dans lequel on voit trois choses : la rondeur, la figure et le goût, parce que, comme sans pain toute viande est presque sans goût et comme de nul appui, de même, sans moi, tout ce qui est, est sans goût, faible et vain.  J’ai aussi la figure du pain, parce que je suis de la terre, car je suis né d’une Mère vierge, ma Mère tire sa source d’Adam, Adam, de la terre.  J’ai aussi la rondeur où ne se trouvent ni commencement ni fin, parce que je suis sans commencement et sans fin.
Personne ne peut considérer ni trouver de fin ou de commencement en ma sagesse incroyable, en ma puissance infinie, en mon éternelle charité.  Je suis d’une manière admirable en toutes choses, par-dessus toutes choses et hors de toutes choses.  Bien que quelqu’un volât sans relâche et toujours aussi vite qu’une flèche, jamais il ne trouverait ni la fin ni le fond de ma puissance, de ma vertu.

 

Donc, à cause de ces trois choses, savoir, le goût, la figure, la rondeur, je suis ce pain que l’on voit et que l’on sent sur l’autel ; mais il est changé en mon corps, qui a été crucifié.  Car de même qu’une chose aride et sèche brûle soudain, si le feu y est mis, et en même temps est consumée, et il ne demeure rien du bois qui lui est apposé, mais tout est converti en feu, de même, ces paroles étant prononcées, savoir : CECI EST MON CORPS, ce qui a été pain auparavant, est au moment même, changé et transsubstantié en mon corps, et ne se brûle point par le feu, comme le bois, mais par ma
Divinité.  Partant, me trahissent ceux-là qui mangent indignement de mon pain.

 

Mais quel meurtre pourrait être plus abominable que lorsque quelqu’un se tue soi-même ; ou quelle trahison plus détestable que lorsque deux personnes conjointes ensemble par un lien indissoluble, comme, par exemple, les personnes mariées, se trahissent l’un l’autre ?

 

Mais que fait le mari quand il veut trahir sa femme ? Il lui dit : Allons, ma femme, en un tel lieu, afin que j’accomplisse ma volonté avec vous.  Or, étant prête en tout et partout à suivre la volonté de son
mari, elle s’en va avec lui avec une vraie simplicité.  Mais lorsqu’il a trouvé un lieu propre et un temps opportun pour mettre son entreprise à exécution, il tire contre elle trois instruments de trahison: certes, l’un est tellement pesant qu’il la tue d’un seul coup ; l’autre est tellement aigu qu’il
entre aussitôt dans les entrailles ; le troisième est en telle sorte qu’elle est bientôt étouffée, car il lui enlève l’air vital.  Mais après que da femme est morte, ce traître dit en lui-même : Maintenant, j’ai fait le mal : s’il est découvert et publié, je serai condamné à mort.  C’est pourquoi il s’en va, et met le cadavre de sa femme en un lieu caché, de peur que son péché ne soit découvert.

 

Les prêtres qui me trahissent agissent de la sorte : car nous sommes liés ensemble par un seul lien, quand ils prennent le pain, et que, proférant les paroles sacramentelles, ils le changent en mon vrai corps, que j’ai pris de la Vierge.  Tous les anges ensemble ne pourraient faire cette chose, parce
que j’ai donné cette dignité aux prêtres seuls, et les ai élevés pour les plus grandes charges : mais il me font comme des traîtres, car ils me montrent une face joyeuse et gracieuse, et me mènent en un
lieu caché et secret pour me trahir.  Ces prêtres-là montrent alors leur face joyeuse et gracieuse, quand ils semblent être bons et simples devant tous ; mais quand ils s’approchent de l’autel, ils me conduisent en une prison.  Alors, comme l’époux ou l’épouse, je suis prêt à accomplir leur volonté, mais ils me trahissent.

 

1° Ils m’appliquent une chose bien lourde et bien pesante, lorsque le divin office leur est grandement fâcheux et ennuyeux, quand ils le disent en mon honneur : car ils disent plutôt cent paroles pour plaire au monde et pour avoir ses bonnes grâces, qu’une seule pour mon honneur ; ils donneraient
plutôt cent marcs d’or pour le monde qu’un denier pour moi ; ils travailleraient cent fois plus pour leur propre utilité et pour celle du monde, qu’une seule fois pour mon honneur ; ils m’accablent par ce fardeau, comme si j’étais mort dans leur coeœur.

 

2° Ils me frappent comme avec un fer aigu, qui entre dans mes entrailles, lorsque le prêtre s’approche de l’autel, qu’il se souvient d’avoir péché et s’en repent, pensant en soi-même avec une ferme volonté de pécher de nouveau, dès qu’il aura achevé l’office.  Bien, disent-ils, je me repens de
mon péché, mais je ne quitterai point l’occasion en laquelle j’ai péché, afin de ne plus pécher : ceux-là me frappent comme avec un fer très aigu.

 

3° Mon esprit est presque suffoqué quand ils pensent ainsi entre eux : C’est une chose bonne et délectable d’être avec le monde ; c’est une chose bonne de s’abandonner à toute sorte de voluptés ; et pour moi, je ne puis m’en empêcher.  Je suivrai en tout et partout ma volonté corrompue pendant que je suis jeune ; car quand je viendrai sur le point de ma vieillesse, alors je m’abstiendrai de toutes ces choses et je m’en corrigerai. Mon esprit est suffoqué de cette pensée très méchante.

 

Mais on demande comment leur coeœur se refroidit tellement et devient si tiède pour tout bien, de sorte qu’il ne pourra jamais s’échauffer ni se relever en ma charité.  Je vous dis qu’il sera comme de la glace : en effet, comme la glace, bien qu’on y mette le feu, ne produit pas des flammes, mais au
contraire se fond et se sèche, de même seront ceux qui ne s’élèvent pas au chemin de la vie éternelle, mais qui se dessèchent et ne tiennent compte d’aucun bien, quoique je leur aie donné ma grâce, et
qu’ils aient entendu les paroles d’avertissement que je leur ai envoyées.  Ils me trahissent donc en ceci, savoir : ils se montrent simples et ne le sont pas ; ils sont accablés et troublés à raison de l’honneur qu’ils me doivent et dont ils devraient se réjouir merveilleusement ; ils ont la volonté de pécher, et ils promettent d’être pécheurs jusqu’à la fin.  Ils me cachent presque, ils me mettent en un lieu occulte, quand ils pensent entre eux : Je sais que j’ai péché ; toutefois, si je m’abstiens du sacrifice, je serai jugé de tous et je serai confus.  Et de la sorte, ils s’approchent impudemment de l’autel, me mettent devant eux, me manient, moi qui sis vrai Dieu et vrai homme, que les anges craignent et adorent.  Je suis avec eux comme en un lieu caché, d’autant que personne ne sait ni ne considère combien ils sont difformes ou dépravés, devant lesquels, moi qui suis Dieu, je demeure
couché comme en cachette, parce que, bien que l’homme quelque méchant qu’il soit, pourvu qu’il soit prêtre et qu’il ait prononcé ces paroles, savoir : CECI EST MON CORPS, le consacre véritablement, et je demeure devant lui, moi qui suis vrai Dieu et vrai homme.  Mais dès que je suis dans sa bouche, alors, je me retire de lui par grâce (1) Moi, ma Divinité, et mon humanité ; mais la
forme et le goût du pain lui demeurent, non que je ne sois véritablement aussi bien avec les méchants qu’avec les bons, à cause de l’institution du sacrement, mais parce que les bons et les méchants n’ont
pas semblable effet. Je vous dis que tels prêtres ne me sont point vrais prêtres, mais vrais traîtres, car ils me vendent et me trahissent comme des Judas.  Je jette la vue sur les païens et sur les Juifs, mais je n’en vois point de si abominables, de si détestables qu’eux, parce qu’ils ont le même péché par lequel Lucifer est tombé.  Maintenant aussi, je vous dis que leur jugement, et le jugement de ceux qui leur sont semblables, ne sont autre chose que malédiction : tout ainsi que David a maudit ceux qui n’ont point obéi à Dieu, lequel, étant juste roi et prophète tout ensemble, ne les a point maudits en son ire, ou par mauvaise volonté, ou par impatience, mais par justice.

 

(1) Note : Il ne faut pas penser que Jésus-Christ se retire des espèces sacramentelles quand un mauvais prêtre le reçoit, mais il s’en retire quant à l’humanité et la Divinité, c’est-à-dire, en tant que
l’un ni l’autre n’y font les effets que le sacrement auguste fait aux bons, savoir, force, augmentation de grâces, etc.  comme il est aussi expliqué ensuite.

 

Que toutes les choses donc qu’ils reçoivent de la terre et qui leur sont utiles et profitables, soient maudites, d’autant qu’ils ne louent point Dieu, leur Créateur, qui leur a donné d’une main libérale
et amoureuse ces choses ! Que la viande et le breuvage qui entrent dans leur bouche, qui nourrissent et entretiennent leur corps, pour être un jour la pâture des vers, et leur âme, pour être plongée dans l’enfer, soient maudits ! Maudit soit leur corps, qui ressuscitera pour l’enfer et brûlera sans fin ! Que
leurs ans soient maudits, les ans qu’ils ont vécu inutilement ! Maudite soit l’heure où ils ont commencé d’entrer dans l’enfer, puisqu’elle ne finira jamais ! Que leurs yeux, par lesquels ils ont vu la lumière du ciel, soient maudits ! Maudites soient leurs oreilles, par lesquelles ils ont entendu mes
douces et attrayantes paroles, dont ils n’ont pas tenu compte ! Que leur goût soit maudit, par lequel ils ont goûté mes dons favorables ! Maudit soit leur odorat, par lequel ils ont senti et flairé les
parfums agréables, et n’ont pas tenu compte de moi, qui suis la plus agréable et la plus choisie de toutes les choses du monde !

 

Mais on demande : Comment seront-ils maudits ? Certainement, leur vue est maudite, parce qu’ils ne verront point en moi la vision de Dieu, mais les ténèbres palpables et les intolérables supplices de
l’enfer.  Leurs oreilles sont maudites, parce qu’ils n’entendront point mes douces paroles, mais les
cris d’horreur et de désespoir de l’enfer.  Leur goût est maudit, parce qu’ils ne goûteront point la joie de mes biens éternels, mais une éternelle amertume.  Leur attouchement est maudit, parce qu’ils ne
me toucheront pas, mais toucheront un feu ardent et éternel.  Leur odorat est maudit, parce qu’il ne flairera pas les parfums agréables qui sont en mon royaume, parfums qui surpassent toutes les odeurs aromatiques, mais ils auront en enfer une puanteur plus amère que le fiel, plus puante que le soufre. 

Ils sont maudits du ciel, de la terre, et de toutes les créatures insensibles, d’autant que celles-là obéissent à Dieu et le louent, et celles-ci l’ont méprisé.  A cette cause, je jure en ma vérité, moi qui
suis la vérité même, que, s’ils mourraient de la sorte en la disposition où ils sont maintenant,
jamais ma charité ni ma vertu ne les embraseront ni ne les défendront, mais ils seront damnés éternellement.

 

Chapitre 48

 

Comment, en la présence de l’épouse et de la troupe céleste, la Divinité parle à l’humanité contre les chrétiens, tout ainsi que Dieu parlait à Moïse contre le peuple d’Israël. Comment les mauvais prêtres aiment le monde et méprisent Jésus-Christ.  De leur malédiction et damnation.

 

Dieu dit à une grande armée qu’on voyait au ciel : Voici que je vous parle en faveur de mon épouse, qui est ici présente, à vous qui savez, entendez et voyez en moi toutes choses, mes amis l’entendant.  Je vous parle tout ainsi que quelqu’un fait à soi-même : de même ma Divinité parle à l’humanité.

 

Moïse demeura quarante jours et quarante nuits sur la montagne avec le Seigneur.  Quand le peuple eut vu qu’il restait si longtemps, il prit de l’or, le jeta dans le feu, d’où fut fait un veau, qu’il appela Dieu.  Alors Dieu dit à Moïse : Le peuple à péché : je l’effacerai comme on efface une chose écrite sur un livre.  Moïse lui répondit : Non, mon Seigneur ! souvenez-vous que vous les avez mis hors de la mer Rouge, et que vous leur avez fait des choses merveilleuses.  Si donc vous les effacez, où est à
présent votre promesse ? Je vous prie, mon Seigneur, de ne point faire cela, parce qu’alors vos ennemis diraient : Le Dieu d’Israël est méchant : il a tiré de la mer son peuple, et il l’a fait mourir au
désert.  Dieu fut adouci et apaisé par ces paroles.

 

Je suis ce Moïse en figure.  Ma Divinité parle à l’humanité comme à Moïse, disant : Voyez et regardez ce que votre peuple a fait, comment il m’a méprisé.  Tous les chrétiens seront tués, et leur foi sera effacée.  Mon humanité lui répondit : Non, mon Seigneur ! souvenez-vous que vous l’avez
tiré hors de la mer du péché par mon sang, quand j’ai été déchiré depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête ; je leur ai promis la vie éternelle.  Je vous prie donc d’avoir pitié et compassion
d’eux à raison de ma passion.

 

La Divinité, ayant entendu ces paroles, en fut apaisée et adoucie, et dit : Que votre volonté soit faite, d’autant que tout jugement vous est donné. Regardez, mes amis, combien est grande cette charité.
Mais maintenant, je me plains devant vous, mes amis spirituels, savoir : les anges et les saints, et devant mes amis corporels qui sont au monde, et qui toutefois n’y sont pas, sinon de corps, je me plains de ce que mon peuple a amassé du bois et en a fait du feu, dans lequel il a jeté de l’or, d’où
s’est levé un veau qu’ils adorent comme Dieu.  Il se tient debout, comme un veau, sur quatre pieds, ayant une tête, un gosier et une queue.

 

Or, Moïse tardant trop à descendre de la montagne, le peuple dit : Nous ne savons ce qui lui est arrivé.  Et il lui déplut d’avoir été par lui tiré de la captivité.  Ils dirent : Cherchons un autre Dieu qui
marche devant nous.
Les méchants prêtres en agissent maintenant ainsi, car ils disent : Pourquoi mènerons-nous une vie plus austère que celle des autres, ou quelle récompense en aurons-nous ? Il nous est bien meilleur de
vivre en paix et selon notre volonté  Aimons et chérissons le monde duquel nous sommes assurés, car nous n’avons aucune certitude, aucune assurance de sa promesse.
 

Ensuite, ils amassent du bois, c’est-à-dire, ils appliquent tout leur soin à l’amour du monde ; ils y allument le feu, lorsqu’ils se livrent avec ardeur à l’amour du monde ; mais ils le brûlent, quand,
dans leur esprit, la volupté s’échauffe, et qu’ils la mettent à exécution. Ensuite, ils y jettent l’or, c’est-à-dire : la charité et l’honneur qu’ils me devraient donner, ils les donnent à l’honneur du monde.  Alors se lève le veau, c’est-à-dire, l’amour de monde est accompli ; et cet amour a quatre pieds, savoir : la paresse, l’impatience, la vaine joie et l’avarice.  Car ces prêtres-là, qui devraient être toujours près de moi pour mon honneur et pour ma gloire, portent à regret l’honneur qu’on me rend ; ils usent et passent le reste de leur vie dans la joie trompeuse du monde, et ne sont jamais
contents ni rassasiés des biens temporels.

 

Ce veau a aussi une tête et un gosier, c’est-à-dire, qu’ils n’ont d’autre but que la satisfaction de leur gourmandise, de sorte qu’elle ne peut jamais être rassasiée, quand même toute la mer entrerait dans
eux.  La queue de ce veau, c’est leur malice, d’autant que, s’ils pouvaient, ils ne permettraient pas qu’aucun possédât ce qui lui appartient.  Certes, par leur exemple dépravé et par leur mépris, ils blessent et corrompent tous mes serviteurs.
Voilà de quel amour leur coeœur est porté à ce veau, et quelle joie et quel plaisir ils y prennent.  Mais ils pensent de moi comme ces Juifs pensaient de Moïse, et disent : Il y a longtemps qu’il est absent ;
ses paroles sont vaines et ses œuvres fâcheuses ; faisons maintenant notre volonté, et qu’elle et notre puissance soient notre Dieu.  De plus, non contents de ces choses, ils ne m’oublient pas tout à fait, mais ils me regardent comme une idole.

 

Les gentils idolâtres adoraient du bois, des pierres et des hommes morts, du nombre desquels ils adoraient une idole que s’appelait Béelzébut. Les prêtres de cette idole lui offraient de l’encens et
faisaient des génuflexions devant elle avec des applaudissements et des louanges.  Tout ce
qui, dans leur sacrifice, était vain et inutile, tomba, et les oiseaux et les mouches le mangèrent ; mais toutes les choses qui étaient utiles, les prêtres les réservaient pour eux, fermaient la porte de leur idole, et gardaient la clef, de peur que quelqu’un n’y entrât et découvrît leur dessein pernicieux.

 

À présent, les prêtres m’en font de même : ils m’offrent de l’encens, c’est-à-dire, ils prêchent de belles paroles, non pas à raison de mon amour et de ma charité, mais pour leur louange propre, et pour leur ravir quelque chose de temporel : car tout ainsi qu’on ne prend pas l’odeur de l’encens,
mais qu’on le sent et qu’on le voit, de même leurs paroles ne font aucun effet à leurs âmes, de sorte qu’elles y puissent prendre racine, où elles puissent être détenues, mais on entend seulement le son
des paroles, et elles semblent donner quelque plaisir à l’oreille pour un temps ; ils m’offrent des prières, mais ils ne me plaisent point.  Ils sont comme ceux qui prêchent mes louanges du bout des lèvres, mais dont le coeœur garde le silence.  Ils se tiennent presque contre moi, criant de leur bouche, mais ils font avec leur coeœur tout le tour du monde.  S’ils devaient parler à quelque homme qui eût quelque charge et quelque dignité, leur coeœur accompagnerait la parole, de peur qu’ils ne ’écartassent
en parlant, et ne fussent par hasard remarqués peu sensés en quelques-unes.

 

Or, les prêtres prient devant moi presque comme les hommes qui sont en extase, qui parlent autrement de bouche que leur coeœur ne leur dicte et le leur suggère, paroles dont l’auditeur ne peut tirer une assurance certaine. Ils fléchissent les genoux devant moi, c’est-à-dire, ils me promettent
l’humilité et l’obéissance, mais en vérité, ils sont humbles comme Lucifer ; ils obéissent à leurs désirs et non aux miens.  Ils germent aussi la porte sur moi et gardent la clef, quand ils ne me louent ; et alors, ils ouvrent la porte sur moi et me louent, quand ils disent : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; mais ils la ferment sur moi, lorsqu’ils font leur volonté et ne veulent voir ni ouïr la mienne, comme si elle était d’un homme enfermé et de nulle puissance.  Ils gardent la clef lorsque quelques-uns veulent faire ma volonté, et ils les en retirent par leur exemple, et s’ils pouvaient librement, ils leur défendraient aussi que ma volonté ne sortît en effet et ne fût accomplie que selon leurs désirs déréglés.  Après, ils gardent en leur sacrifice toutes les choses qui leur sont nécessaires et utiles, et exigent pour eux tout l’honneur et tous les devoirs qu’ils peuvent.  Mais le corps de l’homme que la mort frappe, pour lequel principalement ils devraient offrir des sacrifices, ils le jugent et le tiennent comme inutile, l’abandonnant aux mouches, c’est-à-dire, aux vers, se souciant fort peu de ce qu’ils lui doivent et du salut de son âme.

 

Mais qu’a-t-il été dit à Moïse : Tuez ceux qui ont fait cette idole.  Là, si quelques-uns sont morts, tous ne le sont pas.  Mes paroles viendront maintenant, et les tueront, quelques-uns pour le corps et
pour l’âme, pour être éternellement damnés ; les autres pour la vie, afin qu’ils se convertissent et vivent ; ceux-ci à une mort soudaine, d’autant que ces prêtres-là me sont grandement odieux.  Et de grâce, à quoi les comparerai-je ? Ils sont semblables au fruit d’épine qui, au-dehors, est beau et rouge, mais qui, au-dedans, est plein d’immondices et d’aiguillons.  Ils s’approchent ainsi de moi comme des hommes rouges par la charité, afin de paraître purs et nets au dehors, mais ils sont au dedans pleins d’immondices et d’ordures.  Si ce fruit est de nouveau mis en terre, d’autres épines en
sortiront et croîtront : de même ceux-là cachent dans leur coeœur comme dans la terre leurs péchés abominables et leurs détestables malices, et de la sorte, ils ont pris tellement racine dans le mal, qu’ils n’ont pas même honte après de le mettre en lumière, de s’en vanter, de s’en glorifier. 

Les autres, en prennent, non seulement l’occasion de pécher, mais sont aussi grièvement blessés et scandalisés dans leur âme, pensant ainsi entre eux : Si le prêtres font ceci, à plus forte raison il nous est permis de le faire.
 

Certes, ceux-là ne sont pas seulement semblables au fruit de l’épine, mais à l’épine même, parce qu’ils dédaignent et méprisent les corrections et admonitions qu’on leur fait, et ne réputent personne plus sage qu’eux.
C’est pourquoi ils pensent pouvoir faire tout ce qu’ils veulent.  Partant, je jure en ma Divinité et en mon humanité, tous les anges l’entendant, que je briserai la porte qu’ils ont fermée sur ma volonté ; et elle sera accomplie, et la leur sera anéantie et fermée sans fin dans l’intolérable supplice.  À cause de quoi, comme il est dit d’ancienneté, je commencerai mon jugement par mon clergé et par mon autel.

 

Chapitre 49

 

Paroles que Jésus-Christ adressait à son épouse.  Comment en figure Jésus-Christ ressemble à Moïse tirant le peuple d’Égypte. Comment les méchants prêtres, lesquels, au lieu de ses prophètes, il a choisis pour ses plus grands amis, crient maintenant : Retirez-vous de nous.

 

Le Fils de Dieu parlait à son épouse : Dès la commencement, je me suis comparé en figure à Moïse.  Lorsqu’il tirait le peuple de l’insupportable captivité, l’eau, à droite et à gauche, se tenait ferme et arrêtée comme un mur.  Certainement, je suis ce Moïse en figure : j’ai tiré le peuple
chrétien de la servitude, c’est-à-dire, je lui ai ouvert le ciel et montré le chemin.  Mais maintenant, j’ai élu pour moi d’autres amis plus signalés et plus secrets que les prophètes, savoir : les prêtres,
qui n’entendent pas seulement ma parole, et voient quand ils me voient moi-même ; mais aussi ils
me touchent avec leurs mains sacrées, ce qu’aucun des prophètes ni des anges ne pourrait faire.  Ces prêtres-là, que j’ai choisis de toute éternité pour amis au lieu de mes prophètes, crient après moi, non avec désir et charité comme les prophètes, mais ils crient avec deux voix contraires, car ils ne crient pas comme prophètes : Voyez, ô Seigneur, parce que vous êtes doux ; mais ils crient : Retirez-vous de nous, parce que vos paroles sont amères, et vos œuvres sont lourdes et pesantes et nous font du
scandale. 

 

Voyez ce que ces méchants prêtres disent.  Je demeure devant eux comme une brebis très douce, dont ils prennent la laine pour se vêtir et le lait pour se nourrir ; et maintenant, en récompense d’un tel amour, ils m’ont en horreur et en abomination.  Je demeure devant eux comme un hôte qui dit : Mon ami, donne-moi les choses nécessaires à la vie, parce que j’en ai besoin, et tu recevras de Dieu une très bonne récompense.  Mais ceux-là me chassent comme un loup, épiant les brebis du père de famille, à raison de ma simplicité.  A cause de mon hospitalité, ils me troublent, et ils refusent de me recevoir, et ils me traitent comme un traître indigne de loger chez eux.  Mais que doit faire l’hôte, lorsqu’il est repoussé ?  Ne doit-il pas prendre les armes contre le domestique qui l’a repoussé ? nullement, car cela n’est pas justice, d’autant que celui qui jouit de son bien peut le donner et le
refuser à qui bon lui semble. 

 

Que doit donc faire l’hôte ?  Certainement, il est tenu et obligé de dire à celui qui le refuse : Mon
ami, puisque vous ne voulez pas me recevoir, je m’en irai à un autre qui me fera miséricorde, qui me dira, venant à moi : Vous, soyez le bienvenu, mon Seigneur ! Tout ce que j’ai est à votre service. 

Soyez maintenant maître, car pour moi, je veux être serviteur et hôte en une hôtellerie où j’entends
une telle voix. Il me plaît d’y demeurer et d’y loger, car je suis comme l’hôte rebuté et repoussé des hommes.  Mais bien que je puisse entrer partout par ma puissance, toutefois je n’y entre point, ma justice en étant éloignée : j’entre en ceux qui, avec une bonne volonté, me reçoivent, non pas comme
hôte, mais comme vrai Seigneur, et qui mettent leur volonté entre mes mains.

 

Chapitre 50

 

Paroles de louange et de bénédiction que la Mère et le Fils se disaient.  De la grâce concédée par le Fils à sa Mère, pour ceux qui sont détenus en purgatoire et pour ceux qui demeurent en ce monde.

 

La Mère de Dieu parlait à son Fils, disant : Mon cher Fils, que votre nom soit éternellement béni avec votre Divinité infinie ! Il y a en votre Divinité trois choses merveilleuses, savoir : votre
puissance, votre sagesse et votre vertu.

 

Votre puissance infinie est comme un feu très ardent, devant lequel tout ce qui est fort et ferme est coupé et rompu, comme la paille desséchée par le feu.  Votre sagesse inscrutable est comme la mer, qui ne peut être épuisée à cause de sa grandeur, et qui couvre les vallées et les montagnes, lorsque
ses flots impétueux croissent et décroissent : de même personne ne peut arriver ni atteindre à la connaissance de votre sagesse, ni ne peut trouver les voies pour la sonder et y parvenir.  Oh ! que sagement vous avez créé l’homme et l’avez constitué et établi sur toutes vos créatures ! Oh ! que
vous avez sagement disposé et mis en ordre les oiseaux en l’air, les bêtes sur la terre, les poissons dans la mer, et leur avez donné à tous et leur temps et leur ordre ! Oh ! que merveilleusement vous
donnez et ôtez la vie à tous ! Oh ! que sagement vous donnez la sagesse aux insensés, et l’enlevez
aux superbes ! Votre insigne et prodigieuse vertu est comme la lumière du soleil qui luit aux cieux et remplit la terre de son éclat : il en est de même de votre vertu, qui rassasie les choses d’en haut et
d’en bas et les remplit toutes.  Pour cela, soyez béni, ô mon cher Fils ! vous qui êtes mon aimable Dieu et mon Seigneur de majesté !

 

Son Fils lui répondit : Ma Mère bien-aimée, vis paroles me sont douces et agréables, parce qu’elles proviennent de votre âme, qui est toute belle et toute pure.  Vous êtes comme la belle et blonde aurore, qui, vous levant avec clarté et sérénité, avez jeté vos rayons lumineux sur tous les cieux,
et votre lumière et fermeté surpassent tous les anges. Par votre ineffable clarté, vous avez doucement attiré à vous le vrai Soleil, c’est-à-dire, ma Divinité, en tant que soleil de ma Divinité venant en
vous, il s’est lié et uni à vous ; et vous avez été plus que tous échauffée de sa chaleur par mon
amour, et par ma sagesse divine, vous avez été, plus que tous, illuminée de sa splendeur.  Par vous se sont dissipées les épaisses ténèbres de la terre, et tous les cieux ont été illuminés.  Je vous dis en
vérité que votre pureté incomparable, qui m’a plus davantage que la pureté des anges, a attiré en
vous mon adorable Divinité, afin que vous soyez enflammée du feu de cet Esprit divin, par lequel vous avez enfermé en votre sein le vrai Dieu et le vrai homme, et par lequel l’homme a été illuminé et les anges se sont réjouis.

 

Partant, ô ma Mère ! soyez bénie de votre Fils béni.  Pour cet effet, vous ne me demanderez rien qui ne vous soit accordé ; et à cause de vous, tous ceux qui demanderont ma miséricorde avec volonté de se corriger, recevront ma grâce, parce que, de même que la chaleur procède du soleil, ainsi, par vous, toute miséricorde sera donnée : car vous êtes comme une fontaine qui s’épand de toutes parts au long et au large, et de laquelle ma miséricorde découle sur les méchants.

 

De nouveau la Mère répondit à son Fils : Mon Fils, que toute gloire et toute vertu soient avec vous. 

Vous êtes mon Dieu et ma miséricorde.  Tout ce que j’ai de bien est de vous.  Vous êtes comme la semence qui n’a point été semée, et qui, toutefois, a crû et donné son fruit au centuple et mille pour
un. 

Toute miséricorde prend sa source de vous, laquelle, parce qu’elle est indicible et innumérable, peut bien à propos être signifiée par le nombre cent, par lequel est marquée la perfection, parce que
toute perfection et tout profit dépendent de vous.

 

Le Fils dit à sa Mère : Ma Mère, vraiment, vous m’avez fort bien comparé à la semence qui n’a point été semée, et qui toutefois a crû, d’autant que je suis venu en vous avez ma Divinité et mon humanité, et elle n’a point été semée avec mélange, laquelle a toutefois crû en vous, et de laquelle ma miséricorde a coulé abondamment en tous et pour tous ; partant, vous avez bien dit. 

Maintenant donc, demandez tout ce que vous voudrez, et il vous sera donné, car vous tirez puissamment ma miséricorde infinie, par les douces paroles de votre bouche.

 

Sa Mère lui répondit, disant : Mon Fils, d’autant que j’ai acquis et obtenu de vous miséricorde, j’ose vous demander miséricorde et secours pour les pauvres misérables.  Certes, il y a quatre lieux : le
premier est le ciel, où sont les anges et les âmes des saints, qui n’ont besoin de personne, sinon de vous, qu’ils possèdent d’une manière ineffable, car en vous, ils jouissent à souhait de tout bien.  Le deuxième lieu, c’est l’enfer effroyable, dont les habitants sont remplis de malice et de désespoir, et
sont exclus de toute miséricorde : c’est pourquoi éternellement rien de bien ne peut entrer en eux. 

Le troisième lieu est le purgatoire ; ceux qui y sont détenus ont besoin d’une triple miséricorde, parce qu’ils sont affligés triplement : 1° ils sont troublés en l’ouïe, parce qu’ils n’entendent que cris, douleurs, peines et misères ; 2° ils sont affligés par la vue, attendu qu’ils ne voient rien que leur misère ; 3° ils sont affligés par l’attouchement, d’autant qu’ils sentent la chaleur intolérable du feu et la gravité des peines.  Mon Fils et mon Seigneur, donnez-leur miséricorde à raison de mes prières.

 

Son Fils lui répondit : Je leur donnerai librement, par considération pour vous, une triple miséricorde: 1° leur ouïe sera allégée, leur vue sera adoucie, leur peine sera plus douce et plus agréable.  De plus, tous ceux qui maintenant sont en la plus grande peine du purgatoire, viendront au
milieu, et ceux qui sont au milieu viendront en une peine légère ; mais ceux qui sont en une peine légère, s’en iront dans le repos éternel.

 

Sa Mère lui répondit : Mon Seigneur, louange et honneur vous soient donnés !
Et incontinent après, elle ajouta et dit à son cher Fils :
Le quatrième lieu, c’est le monde, dont les habitants ont besoin de trois choses : 1° de contrition pour leurs péchés ; 2° de satisfaction ; 3° de force pour le bien.

 

Son Fils lui répondit : Quiconque invoquera votre nom et aura espérance en vos prières, avec la résolution de corriger et d’amender ce qu’il aura fait, ces trois choses lui seront données, et après, le royaume céleste, car je sens tant de douceur en vos paroles que je ne puis refuser ce que vous me
demandez ; car aussi vous ne voulez que ce que je veux. Enfin, vous êtes comme la flamme luisante et ardente par laquelle les lumières éteintes sont allumées, et leur ardeur augmente davantage : de même, à raison de votre charité, qui a monté dans mon coeœur et m’a attiré à vous, ceux qui sont morts
et tièdes dans les péchés comme de la fumée noire et fâcheuse, revivront en la vie vivante de mon amour infini.

 

Chapitre 51

 

Paroles de bénédiction de la Mère de Dieu à son Fils, en présence de l’épouse.  En quelle manière le Fils glorieux figure très bien sa très douce Mère par une fleur éclose.

 

La Mère de Dieu parlait à son Fils, disant : Que votre nom soit éternellement béni, ô Jésus-Christ, mon très cher Fils !
Honneur soit rendu à votre humanité par-dessus toutes les choses qui ont été créées.  Gloire
soit à votre Divinité éternelle, par-dessus tous les biens, Divinité qui est un Dieu avec votre humanité.

 

Son Fils lui répondit : Ma très chère Mère, vous êtes semblable à cette fleur qui est éclose et qui a crû en une vallée proche de laquelle il y avait cinq hautes montagnes.  Cette fleur est sortie de
trois racines, avec une tige droite, laquelle n’avait aucuns nœuds ; elle avait cinq feuilles pleines de toute sorte de suavité et de douceur.  Or, cette humble vallée s’est élevée avec sa fleur par-dessus ces cinq montagnes, et ses feuilles se sont élargies et épandues sur toute l’étendue du ciel et par-dessus tous les chœurs des anges.  C’est vous, ma Mère bien-aimée, qui êtes cette vallée, à raison de votre humilité, que vous avez eue par-dessus les autres.  Celle-ci a dépassé les cinq montagnes. 

 

La première montagne, c’était Moïse, à raison de sa puissance, car par ma loi, il a eu puissance sur mon peuple comme si ce peuple eût été enfermé dans son poing : mais vous avez enfermé dans votre sein le Seigneur et le législateur divin de toutes les lois : partant, vous êtes plus élevée que cette montagne.

 

La deuxième montagne était Élie, qui a été tellement saint qu’il fut ravi et élevé en corps et en âme en un lieu sait : mais votre âme, ma très chère Mère, est montée, et avec elle, votre corps très pur, par-dessus tous les chœurs des anges : partant, vous êtes plus haute et plus éminente qu’Élie. 

 

La troisième montagne, c’était la force incomparable de Sanson, laquelle il a eue par-dessus tous les hommes, et toutefois, le diable l’a vaincu et surmonté par sa tromperie et sa subtilité : mais vous avez surmonté le diable par votre force admirable : partant, vous êtes plus forte que Samson. 

 

La quatrième montagne, c’était David, qui a été selon mon coeœur et selon ma volonté, lequel toutefois est tombé en péché abominable et cruel : mais vous, ma Mère, vous avez suivi en tout et partout les arrêts et les décrets de ma volonté, et n’avez jamais péché. 

 

La cinquième et la dernière montagne, c’était Salomon, qui a été rempli de sagesse, et qui toutefois devint insensé : mais vous, ma Mère, vous avez été remplie de toute sagesse, et n’avez jamais été insensée, déçue ni trompée : partant, vous êtes bien plus éminente que Salomon.

Or, cette fleur est sortie de trois racines, d’autant que, dès votre jeunesse, vous avez eu trois choses : l’obéissance, la charité et l’intelligence divine.  Certes, de ces trois racines s’est élevée cette tige
droite et sans aucun nœud, c’est-à-dire, votre volonté, qui ne fléchissait jamais qu’à la mienne.  Cette fleur aussi a eu cinq feuilles, qui se sont étendues par-dessus tous les chœurs des anges. 

 

Vraiment, ma Mère, vous êtes cette fleur à cinq feuilles.

 

La première feuille, c’est votre honnêteté, en sorte que mes anges, la considérant, ont vu qu’elle surpassait la leur, qu’elle était beaucoup plus éminente en sainteté et en honnêteté que la leur ;
partant, vous êtes plus excellente que les anges.

 

La deuxième feuille, c’est votre miséricorde, qui a été si grande que, lorsque vous voyez la misère de toutes les âmes, vous en avez une grande compassion, et vous avez souffert et enduré une grande
peine en ma mort.
Les anges sont pleins de miséricorde ; toutefois ils ne souffrent jamais de douleur : mais vous, ma très chère Mère, vous avez eu pitié des misérables, lorsque vous sentiez toute la douleur de ma mort, et avez voulu souffrir et endurer plus de douleur à raison de votre miséricorde, que d’en être exempte: partant, votre miséricorde a excédé et surpassé celle de tous les anges.

La troisième feuille, c’est votre douceur : Certes, les anges sont bons et débonnaires, et désirent le bien à tous : mais vous, ma très chère Mère, comme un ange, vous avez eu en votre âme et en votre
corps, devant votre mort, la volonté de bien faire à tous, et l’avez fait très spécialement ; et à présent, vous ne la refusez à aucun de ceux qui vous demandent avec raison leur profit et leur avancement : et partant, votre douceur est plus excellente que celle des anges.

 

La quatrième feuille, c’est votre prodigieuse et admirable beauté, car les anges, considérant entre eux la beauté des uns et des autres, et admirant la beauté de toutes les âmes et de tous les corps, voient que toute la beauté de votre âme surpasse toutes les choses qui sont créées, et que l’honnêteté de votre corps surpasse celle de tous les hommes, qui ont été créés du néant : et de la sorte, votre beauté a surpassé tous les anges et toutes les choses qui ont été créées.

 

La cinquième feuille, c’était votre divine délectation, d’autant que rien ne vous plaisait que Dieu, comme rien autre chose ne délecte les anges sinon Dieu, et chacun d’eux sent et ressent en soi une indicible délectation. Mais lorsqu’ils ont vu quel était le contentement, la délectation que vous
preniez avec Dieu, il leur semblait en leur conscience que la leur brûlait comme une lumière en la divine charité ; mais voyant que votre délectation était comme un monceau de bois brûlant avec un feu très véhément et très ardent, qui s’élevait si haut que sa flamme approchait de ma Divinité,
partant, ma très douce Mère, ils conclurent que votre délectation brûlait, et montait par-dessus tous les chœurs des anges ; et d’autant que cette fleur a eu ces cinq feuilles, savoir : l’honnêteté, la
miséricorde, la douceur, la beauté et la grande délectation, elle était remplie de toute douceur et de toute suavité.  Or, quiconque voudra goûter la douceur et la suavité, doit s’en approcher et la recevoir en soi, comme vous avez fait, ma bonne Mère ; car vous avez été si amoureusement douce à
mon Père, qu’il vous a toute reçue en son esprit, et votre amoureuse douceur lui a plu par-dessus
toutes les autres.

 

Cette fleur aussi porte la semence par la chaleur et par la vertu du soleil, duquel croît le fruit.  Mais ce soleil béni, savoir, ma Divinité, a reçu l’humanité de vos entrailles vierges : car de même que la
semence, en quelque endroit qu’elle soit semée, engendre telles fleurs que la semence a été, de même mes membres ont été conformes et semblables aux vôtres en forme et en face ; toutefois, j’ai été homme, et vous, vous avez été Vierge Mère. Cette vallée et sa fleur ont été éminemment élevées
par-dessus toutes les montagnes, quand votre corps et votre âme sainte ont été exaltés par-dessus
tous les chœurs des anges.

 

Chapitre 52

 

Paroles de bénédiction de la Mère de Dieu à son Fils, afin que ses paroles fussent dilatées et épandues par le monde, et prissent racine dans les coeœurs de ses amis.  Comme elle est merveilleusement signifiée par la fleur qui naît dans le jardin.  Paroles de Jésus-Christ envoyées par
son épouse sainte
Brigitte au pape et aux autres prélats de son Église.

 

La bienheureuse Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes mon Dieu, le Seigneur des anges et le Roi de gloire ! Je vous en prie, que les paroles que vous avez prêchées prennent racine dans les coeœurs de vos amis, et qu’elles soient fixées et collées en leurs esprits, comme l’était la poix dont l’arche de Noé était enduite, que les vents ni les orages n’ont pu dissoudre ; qu’elles se dilatent et s’épandent aussi parmi le monde comme des rameaux et des fleurs
suaves et douces, dont l’odeur s’exhale et se répand ; en outre, qu’elles fructifient, et deviennent douces comme la datte, dont la douceur délecte l’âme.

 

Son cher Fils lui répondit : Soyez bénie, ma chère Mère ! Mon ange Gabriel vous dit : Marie, soyez bénie par-dessus toutes les femmes ; et moi, je porte témoignage assuré que vous êtes bénie et que vous êtes très sainte par-dessus tous els chœurs des anges.  Vous êtes comme la fleur épanouie qui
est dans le jardin, laquelle, bien qu’elle soit environnée de fleurs de diverses odeurs et senteurs, toutefois les surpasse toutes en odeur, en beauté et en vertu.  Ces fleurs, qui sont plantées dans le
jardin du monde, ont fleuri et relui par diverses vertus, lesquelles sont toutes élues et choisies d’Adam jusqu’à la fin du monde.  Mais entre toutes celles qui ont été et qui seront et qui seront, vous avez été la plus excellente en odeur de bonne vie et d’humilité, en la beauté gracieuse de votre virginité et en la vertu de votre abstinence.  Certes, je porterai témoignage de vous, que vous avez été plus que martyre en ma passion, plus sobre qu’aucun des confesseurs, et plus qu’un ange en votre miséricorde et en votre bonne volonté.  C’est pourquoi, à cause de vous, j’enracinerai mes paroles comme de la poix très forte dans les coeœurs de mes amis ; elles se dilateront et s’épandront comme des fleurs odoriférantes, et fructifieront comme la datte très douce et suave.

 

Après, Notre Seigneur parlait à son épouse sainte Brigitte, lui disant : Dites à votre Père confesseur, qui est mon ami et est selon mon coeœur, qu’il déclare diligemment ces paroles écrites à l’archevêque ;
et ensuite, il les laissera par écrit à un autre évêque : lesquels étant diligemment informés, qu’il les envoie ensuite au troisième évêque.

 

Dites-lui aussi de ma part : Je suis votre Créateur et le Rédempteur des âmes ; je suis ce Dieu que vous aimez par-dessus tout. Considérez et voyez que les âmes que j’ai rachetées par mon sang, sont comme les âmes de ceux qui ignorent Dieu, lesquelles sont si horriblement captives du diable, qu’il
les afflige furieusement en tous leurs membres, comme dans un pressoir étroit, à cause de quoi, si vous goûtez et connaissez mes plaies en votre esprit ; si ma flagellation vous est présente, et si vous
avez douleur de la réputation de quelqu’un, montrez à vos pauvres combien vous m’aimez, et
déclarez en public les paroles que j’ai dites de ma propre bouche, et les annoncez personnellement au chef de l’Église. 

 

Certes, je vous donnerai mon Esprit.  En quelque lieu que ce soit, quand il y aura dissension entre deux personnes, si elles croient en mon nom, vous pourrez les rallier et les réconcilier par la vertu qui vous est donnée.  De plus, pour une plus grande évidence de mes paroles, vous porterez avec vous leur témoignage au pontife : ils les goûtent et se délectent en elles, car mes paroles sont comme de la graisse qui se fond et qui se liquéfie d’autant plus tôt qu’elle a plus de chaleur au-dedans ; mais lorsque la chaleur lui manque, elle est rejetée et ne parvient pas jusqu’au-dedans.  Il en est de même de mes paroles, parce que, plus l’homme est enflammé de ma charité, plus il les médite et les dévore, et plus il s’engraisse de ma douceur, de la joie céleste et de celle de mon amour, et partant, plus il s’embrase en mon amour.

Mais il y en a qui n’aiment pas mes paroles, mais qui les ont en leur bouche comme de la graisse, qu’ils rejettent dès qu’ils l’ont goûtée, et la foulent aux pieds : de la sorte mes paroles sont méprisées de quelques-uns, d’autant qu’ils ne goûtent pas la douceur des choses spirituelles.  Or, le prince de la terre, que j’ai élu et choisi pour mon membre et que j’ai fait vraiment mien, vous aidera virilement, et dans ce pèlerinage, vous administrera ce qui est nécessaire de ses biens justement acquis.

 

Chapitre 53

 

Paroles de bénédiction et de louange que la Mère de Dieu et son Fils se disaient.  Comme la Vierge est figurée par l’arche, où étaient la verge d’Aaron, la manne, et les tables de la loi.  Dans cette
figure sont
contenues plusieurs choses admirables.

 

La Vierge Marie parlait à son très cher Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes mon Dieu et le Seigneur des anges ! Vous êtes celui dont les prophètes ont entendu la voix, dont les apôtres ont vu le corps, et que les Juifs et vos ennemis ont ressenti.  Vous êtes un Dieu avec la Divinité, l’humanité et le Saint-Esprit, car les prophètes ont entendu votre Esprit, les apôtres ont vu la gloire de votre Divinité, et les Juifs ont crucifié votre humanité.  C’est pourquoi soyez béni, ô mon Fils,
sans fin et sans commencement !

 

Son Fils lui répondit, disant : Soyez bénie, vous qui êtes vierge et mère tout ensemble ! Vous êtes cette arche qui était en la loi, dans laquelle il y avait trois choses, savoir : la verge, la manne et la
table.

 

Trois choses ont été faites avec la verge : 1° elle a été changée en serpent, qui était sans venin ; 2° la mer a été divisé par elle ; 3° par elle l’eau est sortie de la pierre.  Je suis cette verge en figure, moi qui suis resté dans votre sein et ai pris de vous mon humanité.

 

Je suis, en premier lieu, terrible et épouvantable à mes ennemis, ainsi que le serpent l’était à Moïse ; car ils me fuient, comme ils fuient le regard du serpent ; ils ont peur de moi, et m’ont en horreur et
en abomination comme un serpent, bien que toutefois je sois plein de toute miséricorde, et que je sois sans venin de malice.  Je souffre qu’ils me tiennent et me touchent, s’ils veulent me tenir et me toucher ; s’ils me cherchent, je me trouvent vers eux ; s’ils m’invoquent et m’appellent à leur secours, je cours à eux, comme la mère court à son fils qu’elle avait perdu et qu’elle retrouve ; s’ils me demandent pardon de leurs fautes, je leur fais miséricorde et pardonne leurs péchés.  Je leur fais toutes ces choses, et ils m’ont encore en horreur comme un serpent.

 

Secondement, par cette verge, la mer a été divisée par la mer de mon sang, et par les torrents de ma douleur, j’ai ouvert le chemin pour aller au ciel, lequel était fermé par le péché.  Certes, alors la mer a été rompue et divisée, et un chemin a été fait où il n’y en avait point, quand la douleur de tous mes membres s’est jointe à mon coeœur, qui s’est brisé et divisé, à cause de la violence de la ouleur.  Après, le peuple étant passé par la mer, Moïse ne le mena pas tout aussitôt en la terre promise, mais il le
conduisit au désert, afin qu’il y fût instruit et éprouvé : de même mon peuple, ayant maintenant reçu la foi et mon commandement, n’est pas tout aussitôt mis et introduit dans le ciel, mais il est
nécessaire que les hommes soient éprouvés au désert, c’est-à-dire, dans le monde, pour voir et
éprouver de quel amour ils aiment Dieu.

 

Mais le peuple provoqua et irrita Dieu, au désert, par trois choses :

1° parce qu’il se fit une idole et l’adora ;

2° parce qu’il regretta et souhaita les viandes qu’il avait eues en Égypte ;

3° par la superbe, lorsqu’il voulut monter et combattre avec ses ennemis, sans la volonté de Dieu. 

 

De même aussi l’homme pèche maintenant contre moi en ce monde :

1° il adore l’idole, d’autant qu’il aime plus le monde et toutes les choses qui y sont, que moi qui suis son Créateur.  Oui, le monde est son Dieu, et moi je ne le suis pas.  Certes, j’ai dit, dans mon Évangile, que là où est le trésor de l’homme, là est son coeœur : mais le trésor de l’homme, c’est le
monde, d’autant qu’il a son coeœur en lui et non en moi ; c’est pourquoi, ainsi que ceux-là sont tombés, au désert, par le glaive en leur corps, de même ceux-ci tomberont en leur âme par le glaive de l’éternelle damnation, en laquelle ils vivront sans fin.

 

2° Il  a péché par la concupiscence des viandes, car j’ai donné à l’homme toutes les choses nécessaires pour l’honnêteté et par mesure, mais il veut avoir toutes choses sans mesure et sans discrétion, car sui la nature pouvait y satisfaire, il voudrait s’adonner sans cesse au péché de volupté,
voire sans relâche et désirer outre mesure les choses vaines.  Car tant qu’il aurait le moyen et la commodité de pécher, il ne s’en abstiendrait jamais, c’est pourquoi il leur arrive comme il arriva à
ceux-là du désert, qui y moururent d’une mort subite et inopinée.  Qu’est-ce en effet que la vie de ce temps, sinon un certain point passager, au regard de l’éternité ?
Pour cela, leur corps mourra comme d’une mort subite à raison de la brièveté de cette vie, et leur âme vivra dans une peine insupportable et dans un tourment sans fin.

 

3° Il péchait au désert par la superbe, parce qu’il voulait monter au combat sans la volonté de Dieu : de même les hommes veulent monter au ciel par leur superbe, et ne se fient point en moi, mais en eux, faisant leur volonté et laissant la mienne.  C’est pourquoi, de même que ceux-là ont été défaits et tués par leurs ennemis, de même seront-ils défaits et tués par les diables en leurs âmes, et leur tourment sera éternel.  Ils me haïssent donc comme ils haïssent un serpent, et en mon lieu et place, ils adorent une idole ; ils ont plus en recommandation leur concupiscence que moi, et au lieu de mon
humilité profonde, ils aiment leur superbe exécrable.
Toutefois, je suis encore si miséricordieux, que, s’ils se convertissent à moi avec un coeœur contrit, je me tournerai vers eux et les recevrai comme un père pieux reçoit son enfant.

 

Troisièmement, par cette verge, la pierre donna de l’eau. Cette pierre, c’est le coeœur endurci de l’homme, car s’il est une fois frappé par la crainte et par mon amour, tout aussitôt les larmes de
contrition et de pénitence en coulent.  Il n’y a personne, quelque méchant qu’il soit, qui n’éprouve un tressaillement dans tous ses membres qui le presse à la dévotion, et qui verse un torrent de larmes, s’il se tourne vers moi ; s’il considère ma passion du plus profond de son coeœur ; s’il jette les yeux sur
ma puissance ; s’il pèse et considère avec soin ma bonté, qui fructifie comme la terre et les arbres.

 

Ensuite, la manne a demeuré dans l’arche : de même le pain des anges, des saintes âmes et de ceux qui sont justes sur la terre, auxquels rien ne plaît, sinon ma douceur, et à qui tout le monde est mort,
et qui, si c’était ma volonté, voudraient être sans aucune viande corporelle, a demeuré en vous, qui en vous, qui êtes vierge et mère tout ensemble.

 

En dernier lieu, les tables de la loi étaient en cette arche : de même en vous, ô ma Mère ! était le Seigneur, le législateur de toutes les lois.

Pour cela, ô ma Mère ! soyez bénie par-dessus toutes les choses qui sont créées au ciel et sur la terre.

 

Ensuite, Notre Seigneur parlait à son épouse sainte Brigitte, disant : Dites à mes amis trois choses : Je conversais au monde avec mon corps ;  j’ai tempéré mes paroles de telle sorte que les bons devenaient d’eux-mêmes plus forts et plus fervents, et les méchants devenaient meilleurs, comme il
paraît en sainte Magdeleine, en saint Matthieu et en plusieurs autres.  J’ai aussi tellement tempéré mes paroles que mes ennemis ne les pourraient affaiblir, à cette cause, que ceux-là travaillent avec
ferveur, auxquels mes paroles sont envoyées, afin que, par mes paroles, les bons deviennent plus
ardents pour le bien, et que les méchants se retirent du mal et qu’ils prennent garde que mes paroles ne soient empêchées par mes ennemis.  Certes, je ne fais point une plus grande injure au diable qu’aux anges qui sont dans le ciel, car si je voulais, je pourrais parler que tout le monde m’entendrait: il me suffirait aussi d’ouvrir l’enfer, afin que tout le monde vît les supplices qu’on y endure ; mais cela ne serait pas juste, d’autant que l’homme me servirait alors avec crainte, au lieu de me servir, comme il le doit, avec amour et charité, car personne n’entrera au royaume des cieux, sinon celui qui a la charité. 

Alors, certes, je ferais injure au diable, si je recevais de lui, sans bonnes œuvres, celui qui lui est obligé de droit ; je ferais injure à l’ange qui est dans le ciel, si l’esprit de l’homme immonde était égal et pareil au sien, qui est pur et très fervent en charité. 

Partant, personne n’entrera dans le ciel, sinon celui qui aura été éprouvé comme l’or dans le feu du purgatoire, ou par les bonnes œuvres, et qui s’est exercé de telle sorte dans le monde par une
épreuve journalière, qu’il n’y a tache en lui qui ait besoin d’être nettoyé et effacée.

 

Si vous ignorez à qui mes paroles doivent être envoyées, je vous dirai que celui-là est digne de les avoir, de les concevoir et de les goûter (afin qu’il arrive au royaume des cieux), qui veut mériter et
bien faire par œuvres, ou celui qui les avait méritées par de bonnes œuvres précédentes : ou, c’est à ceux-là que mes paroles doivent être déclarées ; elles doivent entrer dans leurs coeœurs, car ceux qui goûtent mes paroles, qui espère humblement que leur nom soit écrit au livre de vie, ceux-là ont mes paroles ; mais ceux qui ne les goûtent point, certes, ils les considèrent, et tout aussitôt, ils les rejettent et les vomissent.

 

Chapitre 54

 

Paroles de l’ange à l’épouse sainte Brigitte, touchant l’esprit de ses pensées, savoir, s’il était bon ou mauvais ; et comme il y a deux esprits, l’un incréé et l’autre créé, et de leurs qualités.

 

Il y a deux esprits, disait l’ange à l’épouse sainte Brigitte, l’un incréé, l’autre créé. 

L’incréé contient en soi trois choses : 1° il est chaud ; 2° il est doux ; 3° il est pur et net. 

 

1° Il échauffe, non par le moyen de quelques choses créées, mais de soi-même, d’autant qu’il est avec le Père et le Fils tout-puissant et créateur de toutes choses, mais il échauffe, quand l’âme brûle en l’amour de Dieu.

2° Il est doux, quand rien ne plaît à l’âme que Dieu, et qu’elle n’a autre douceur ni ne goûte autre
que lui et le souvenir de ses bienfaits et de ses œuvres admirables.

3° Il est pur et net, de sorte qu’il ne peut se trouver en lui aucun péché, rien de difforme, rien de corruptible, rien de changeant. 

Mais il échauffe, non pas comme le feu matériel ni comme le soleil visible, qui fond et ramollit quelque chose, mais sa chaleur, c’est l’amour intérieur de l’âme, qui
remplit son désir l’abîme en Dieu.  Il est aussi doux à l’âme, non pas comme le vin désirable,
ou la misérable volupté, ou quelque autre chose mondaine ; mais la douceur de cet esprit surpasse toutes les douceurs temporelles, et personne ne peut atteindre à la connaissance et au sentiment de cette douceur.  Enfin, cet esprit est pur et net ainsi que les rayons du soleil, auxquels on ne peut
trouver aucune tache ni souillure.

Le second esprit, qui est créé, contient pareillement en soi trois choses :
1° il brûle ; 2° il est amer ; 3° il est impur. 

 

1° Il brûle et consume le feu, parce qu’il possède l’âme, qu’il enflamme toute par le feu de la luxure
et de la convoitise dépravée, de sorte que l’âme ne peut penser ni désirer autre chose, sinon que de se rassasier de ces choses, dans lesquelles elle perd la vie temporelle, tout son honneur et toute sa
consolation.

2° Il est amer comme du fiel, d’autant qu’il embrase en telle sorte l’âme par sa délectation, que les joies futures lui semblent être nulles et vaines, et les biens éternelles, des sottises.  Toutes les choses
aussi qui sont et proviennent de la source divine, et qu’il est obligé de faire, lui semblent amères et abominables comme du fiel.

3° Il est impur, d’autant qu’il fait en telle sorte l’âme vile et encline au péché, qu’il ne rougirait d’aucun et ne le quitterait, s’il ne craignait plus la honte des hommes que celle de Dieu, attendu que cet esprit est ardent comme du feu, d’autant qu’il brûle à raison des feux de l’iniquité, et allume avec soi tous les autres. Il est amer aussi, parce que tout bien lui est amer, et veut que les autres soient
amers avec lui ; mais il est impur, d’autant que tout son contentement et tout son plaisir ne sont que dans l’impureté, et il cherche d’avoir avec soi des personnes qui lui soient semblables.

 

Mais vous pouvez maintenant me demander et me dire : Pourquoi donc n’êtes-vous pas tel ? Je vous réponds que je suis vraiment créé par le même Dieu que lui, d’autant qu’il n’y a qu’un seul Dieu : le
Père, le Fils et le Saint-Esprit, et ces trois ne sont pas trois dieux, mais un seul.  Et nous sommes tous deux créés pour le bien, d’autant que tout ce que Dieu a créé est bon. Mais moi, je suis comme une étoile, parce que je suis demeuré en la bonté et en la charité de Dieu, en lesquelles j’ai été créé ; mais lui, il est comme un charbon, parce qu’il s’est retiré de l’amour de Dieu.  Donc, ainsi qu’une étoile n’est point sans clarté ni sans lumière, ni un charbon sans noirceur, de même un bon ange, qui est comme une étoile, n’est pas sans le Saint-Esprit, car tout ce qu’il a, il l’a de Dieu, c’est-à-dire, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par l’amour duquel il s’échauffe par sa splendeur, et lui est continuellement attaché, et se conforme entièrement à sa volonté, ni ne veut jamais autre chose que Dieu, c’est pourquoi il brûle et est pur et net.  Mais le diable est difforme et laid comme un charbon,
plus laid que toutes les créatures, d’autant que, tout ainsi qu’il était la plus belle des créatures, il est devenu aussi la plus laide de toutes, parce qu’il s’est opposé à son Créateur.  Et tout ainsi que l’ange brille par la lumière de Dieu et brûle incessamment de son amour, de même le diable brûle, étant détenu, serré et affligé continuellement par le feu de sa malice enragée, de laquelle il est insatiable, comme sont inénarrable la bonté de l’Esprit de Dieu et sa grâce.  Car il n’y a personne au monde, quelque enraciné qu’il soit avec le diable, que le bon Esprit ne visite quelque fois, et ne lui excite et émeuve le coeœur.  Il n’y aussi personne, quelque bon qu’il soit, que le diable ne tourmente par uelque
tentation.  Certes, il y a plusieurs bons et plusieurs juges qui sont tentés par le démon, enragé par la permission de Dieu, et non pour leurs maux, mais pour la plus grande gloire de Dieu, car le Fils de Dieu, un en Divinité avec le Père et le Saint-Esprit, après avoir pris notre humanité, fut tenté : combien à plus forte raison le seront davantage ses élus, pour leur plus grande récompense.

Quelquefois aussi, plusieurs bonnes personnes tombent en des péchés, et leur conscience est obscurcie par la fallace du diable ; mais elles se relèvent courageusement, et se tiennent vaillamment debout par la vertu du Saint-Esprit. Mais toutefois, il n’y a personne qui ne sache en sa conscience, s’il veut l’examiner avec soin, si la suggestion du diable conduit, ou à la difformité du péché ou au bien. 

C’est pourquoi, ô épouse de mon Seigneur, vous ne devez douter de l’esprit de vos pensées, savoir, s’il est bon ou mauvais, car votre conscience vous dicte clairement les choses qu’il faut laisser et celles qu’il faut choisir.

 

Mais que fera celui qui a le diable avec lui ? Certes, le bon esprit ne peut pas entrer en lui, parce qu’il est rempli du méchant esprit. 

 

Il faut qu’il fasse trois choses :

1° une pure et entière confession de ses péchés, laquelle, bien qu’elle soit dans un coeœur contrit, il ne pourra tout aussitôt mettre à exécution, à raison du coeœur endurci ; elle lui sert toutefois, en tant qu’à cause d’elle, le diable donne quelque relâche et entrée au bon esprit. 

2° Il faut qu’il aie l’humilité, savoir, qu’il se propose de corriger les péchés qu’il a commis, et de faire de bonnes œuvres autant qu’il pourra : alors, le diable commence de sortir d’une telle personne. 

3° Afin qu’il obtienne de nouveau le bon esprit, il doit, avec une humble prière, faire requête à Dieu, et se repentir avec une vraie charité, des péchés qu’il a commis, d’autant que la vraie charité en
Dieu chasse le diable : car le diable aimerait cent fois mieux mourir, avant que l’homme fit à son Dieu le moindre bien de charité ; et ainsi, il est envieux et malicieux.

 

Après, la bienheureuse Vierge parlait à l’épouse sainte Brigitte, disant : O épouse nouvelle de mon Fils ! revêtez-vous de vos vêtements ; mettez votre collier à votre cou, c’est-à-dire, la passion de mon Fils. 

 

Sainte Brigitte lui répondit : Mettez-le moi, ô Vierge sainte !

Et la Vierge lui dit : Certes, je le ferai de bon coeœur, et je vous dirai comment mon Fils était disposé, et pourquoi il était désiré des Pères avec tant de ferveur.

 

Il se tenait debout comme un homme entre deux villes ; et une voix de la ville où il était né, criait à lui, disant : O homme qui êtes debout au milieu du chemin qui est entre les deux villes, vous êtes
sage, car vous savez vous garder des périls qui se penchent sur votre tête.  Vous êtes pareillement fort à endurer les maux qui arrivent inopinément.  Vous êtes aussi magnanime et généreux, d’autant que vous ne craignez rien.  Certes, nous vous avons désiré, et maintenant nous vous attendons.
Ouvrez donc notre porte, de peur qu’elle ne soit ouverte à nos ennemis et qu’ils ne l’assiégent.

 

On entendait une voix de la seconde ville ; cette voix disait : O homme très débonnaire et très fort, entendez notre complainte et notre gémissement.
Nous sommes assis dans d’épaisses ténèbres, et nous endurons la faim, enragés et la soif insupportable.  Considérez donc notre misère et notre pitoyable disette.  Certes, nous sommes frappés comme le foin qu’on coupe avec la faux ; nous sommes privés de tout bien, et notre force nous manque.
Venez à nous, ô Seigneur ! et sauvez-nous, parce que nous n’avons attendu que vous, et nous n’avons espéré notre affranchissement et notre délivrance que de vous seul. 

Venez donc, et pourvoyez à notre disette ; changez notre complainte en joie, et soyez notre secours et notre salut.

Venez, ô corps très digne et béni, qui est venu de la Vierge pure et immaculée.

 

Mon Fils a entendu ces deux voix de deux villes, savoir, du ciel et de l’enfer : c’est pourquoi, étant saisi de compassion, il ouvrit, par sa passion très amère et par l’effusion de son sang, la porte de l’enfer, et délivra ses amis ; il ouvrit le ciel, réjouissant tous les anges ; il y mit ceux qu’il avait délivrés des limbes.  Pensez à toutes ces choses, ma fille, et ayez-les toujours devant les yeux.

 

Chapitre 55

 

Jésus-Christ est comparé à un puissant seigneur qui édifie une grande cité et un très beau palais, par lesquels sont signifiés l’Église et le monde. Comment les juges et les défenseurs, et ceux qui
travaillent en l’Église de
Dieu, sont changés en un méchant arc.

 

Jésus-Christ disait : Je suis semblable à un puissant seigneur qui, édifiant une cité, la nomme de son nom propre, puis bâtit un palais dans cette cité, où il y avait diverses demeures pour serrer les choses
nécessaires.  Ce palais étant bâti et toutes ses affaires disposées, il range son peuple en trois parties et le met par ordre.

 

Mes voies, dit-il, sont dans les lieux et dans les demeures les plus éloignées. Travaillez courageusement pour mon honneur, car je vous ai ordonné et assigné les choses qui vous sont nécessaire et ce qui est de votre vivre.  Vous aurez des juges qui vous jugeront ; vous aurez des défenseurs qui vous défendront de vos ennemis.  Je vous ai aussi constitué des personnes pour travailler, qui vous nourriront, et me payeront de leur travail la dixième partie, qu’ils réserveront à mon honneur et utilité.

Mais quelque temps s’étant écoulé, le nom de la cité s’est oublié, et alors les juges ont dit : Notre maître et seigneur s’en est allé en des lieux fort éloignés.  Rendons un jugement droit, et faisons la justice, afin que nous ne soyons pas repris lorsqu’il sera de retour, mais que nous en remportions de l’honneur et de la énédiction.  En même temps, les défenseurs dire : Notre maître et seigneur se confie en nous et nous a laissé la garde de sa maison ; abstenons-nous donc de trop boire et de trop manger, de peur que nous ne soyons inaptes au combat ; abstenons-nous aussi du
sommeil désordonné, de crainte que nous ne soyons déçus à l’improviste et faute d’avoir été sur nos gardes ; soyons bien armés et veillons continuellement, de peur que nous ne soyons prêts quand nos ennemis viendront pour nous assaillir, car l’honneur de notre maître est en nous, et le salut de son
peuple dépend entièrement de nous.

 

Alors aussi ceux qui travaillent dirent : C’est la plus grande gloire de notre maître et seigneur, et la récompense qu’il nous garde est glorieuse. Travaillons donc vaillamment, et donnons-lui non seulement la dixième partie de notre labeur, mais offrons-lui tout ce qui sera superflu à notre vie, car
notre récompense sera d’autant plus glorieuse qu’il verra que notre charité sera fervente.

 

Après ces choses, derechef, quelque temps se passant, le maître de la cité et du palais a été mis en oubli ; et alors les juges dirent en eux-mêmes : Notre maître demeure longtemps en son voyage ; nous ne savons s’il reviendra ou non ; jugeons donc selon notre volonté, et faisons ce que nous trouverons bon de faire.

 

Après, les défenseurs dirent : Nous sommes bien insensés, attendu que nous travaillons, et nous ne savons quelle récompense nous en aurons : faisons plutôt paix et alliance avec nos ennemis, et nous
dormirons et boirons avec eux, et nous n’aurons point de souci de savoir quels auront été nos ennemis.

Puis ceux qui travaillent dirent : Pourquoi gardons-nous pour un autre notre or, notre trésor, et nous ne savons pas qui est celui qui l’emportera après nous ? Il vaut mieux donc que nous nous en servions nous-mêmes et que nous en disposions à notre volonté ; certes, donnons-en la dixième partie aux juges ; quand ils seront apaisés et adoucis, nous pourrons faire ce que nous voudrons.

 

Vraiment, je suis semblable à ce puissant seigneur, dit la Sagesse infinie : je me suis édifié une cité, c’est-à-dire le monde, où j’ai bâti mon palais, c’est-à-dire, mon Église.  Le nom du monde a été ma divine sagesse, parce que, dès le commencement, il a eu ce nom, d’autant qu’il était fait par ma
main toute-puissante et par ma sagesse infinie.  Ce nom était profondément révéré et honoré de tous, et Dieu était loué merveilleusement, publié et annoncé par ses créatures, à cause de l’insondable abîme de ma sagesse.

Mais maintenant, le nom de la cité est déshonoré et changé, et on a joint à elle un nom nouveau, c’est-à-dire, l’humaine sagesse ; car les juges, qui auparavant jugeaient en la justice et en la crainte du Seigneur, sont maintenant changés et convertis en superbe, et trompent les hommes simples.
Ils désirent d’être éloquents afin d’obtenir la louange des hommes ; ils disent des choses qui plaisent à l’oreille des auditeurs, afin d’avoir de la faveur et du support ; ils sèment des paroles douces et
emmiellées, afin d’être appelés doux et débonnaires ; ils reçoivent des présents et pervertissent le jugement ; ils sont sages pour leur profit temporel et pour leur propre volonté, mais ils sont muets à ma louange ; ils marchent sur le pied des simples et les rendent muets ; ils étendent leur convoitise sur tous, et d’une bonne cause, ils en font une mauvaise. Maintenant, cette sagesse est aimée et chérie, mais la mienne est mise en oubli.

 

Or, les défenseurs de l’Église, qui en sont les gardiens et les soldats, voient mes ennemis et les persécuteurs de mon Église, et le dissimulent ; ils entendent les paroles de reproches qu’ils me font, et ne s’en soucient pas ;ils entendent et sentent les œuvres de ceux qui contreviennent à mes
commandements, et toutefois, ils le supportent patiemment ; ils regardent tous les jours ceux qui commettent librement tous les péchés mortels, et n’en sont point touchés ; mais ils dorment et conversent avec eux, et par serment, ils se lient à leur compagnie.  Mais ceux qui travaillent (qui sont
tout une communauté), rejettent mes commandements, retiennent mes dons et mes décimes ; ils offrent des dons à leurs juges pour les corrompre, et leur portent de l’honneur, afin qu’ils les trouvent faciles et bienveillants.
Vraiment, je puis dire hardiment que le glaive de ma colère et de mon église est méprisé dans le monde, et qu’à sa place, on a pris l’argent.

 

Chapitre 56

 

Sentence que Notre Seigneur prononce contre telles personnes.  Comme Dieu soutient les méchants pour quelque temps, à cause des bons.

 

Moi, la Sagesse éternelle, je viens de vous dire que le glaive de mon Église était mépris, et qu’à sa place on a pris la bourse d’argent qui, d’une part, est ouverte, et de l’autre, est tellement profonde, que tout ce qui y entre ne touche jamais le fond et qu’elle n’est jamais remplie.
Ce sac, c’est la convoitise qui surpasse toute règle et mesure, et a eu tant de force et de vertu, que le Seigneur en étant méprisé, on ne désirait rien autre chose que l’argent et la propre volonté.  Mais toutefois, je suis comme le Seigneur, qui est Père et juge, à qui les assistants disent, lorsqu’il va au jugement : Seigneur, précipitez vos pas, hâtez-vous et jugez. 

Le Seigneur leur répondit : Attendez jusqu’à demain, parce que d’aventure mon fils se corrigera encore derechef.

Or, venant le jour suivant, le peuple lui dit : Avancez-vous, Seigneur, et jugez les coupables.  Jusques à quand différerez-vous le jugement ?

Le Seigneur leur répondit : Attendez encore un peu pour voir si mon fils ne se corrigera point, et alors, s’il ne revient à lui et s’il ne se corrige, je ferai ce qui est juste. 

De même, je souffre patiemment l’homme jusqu’au dernier point, parce que je suis Père et juge.
Mais toutefois, parce que ma justice est immuable, et bien qu’elle soit différée longtemps, toutefois, ou je punirai les pécheurs, s’ils ne se corrigent point, ou je ferai miséricorde à ceux qui se convertissent.

 

Je vous ai déjà dit que j’ai divisé le peuple en trois parties, savoir : en juges, en défenseurs et en personnes de travail. 

 

Certes, ces juges ne signifient autre chose que les clercs, qui ont converti la divine sagesse en
une vanité d’espérance.  Ces clercs ont coutume de faire comme ceux qui entendent beaucoup de paroles, les mettent et assemblent en peu, et ce peu signifie autant que toutes ensemble.  De même les clercs de ce temps ont reçu mes commandements et les ont mis et colligés en une parole.  Que veut dire cette parole : Étendez la main et donnez de l’argent ? C’est là leur sagesse, que de parler avec des paroles choisies et hors du commun, et de faire mal ; et sous prétexte de faire quelque chose pour mon service, ils agissent méchamment contre moi.  Enfin ceux-là, à cause des présents,
endurent librement les pécheurs en leurs péchés, et ils précipitent les simples par leur exemple dépravé.  De plus, ils haïssent ceux qui marchent par ma voie .

 

Secondement, les défenseurs de l’Église, c’est-à-dire, les gardiens, qui sont infidèles, parce qu’ils ont rompu et faussé leur promesse et leur serment, tolérant et souffrant librement ceux qui péchaient contre la foi de mon Église et la constitution.

 

En troisième lieu, les personnes de travail, c’est-à-dire, la communauté, sont comme les taureaux indomptés qui ont trois choses : 1° ils fouissent la terre avec leurs pieds ; 2° ils se remplissent jusqu’à ce qu’ils soient saouls ; 3° ils mettent en effet leur volupté selon leur désir : de même la communauté ne se remplit maintenant que de toutes sortes d’affections temporelles ; elle se
remplit par la gourmandise immodérée et de la vanité du monde ; elle accomplit sans raison la délectation de sa chair.

 

Mais bien que j’aie plusieurs ennemis, toutefois, parmi eux, j’ai beaucoup d’amis, bien qu’ils soient cachés.  Comme il est dit d’Élie, qui pensait qu’il ne m’était resté aucun ami que lui seul, j’ai dit :
Il y a sept mille hommes qui ne fléchissent point les genoux devant Baal : de même, bien que
j’aie plusieurs ennemis, j’ai toutefois parmi eux plusieurs amis occultes qui pleurent tous les jours, voyant que mon nom est méprisé et que mes ennemis l’aient prévalu : c’est pourquoi, à cause de leurs prières, comme un roi bon et charitable qui sait les œuvres méchantes de sa cité, tolère et
supporte patiemment les habitants, et envoie des lettres à ses amis, les avertissant de leur péril, de même j’envoie mes paroles à mes amis, qui ne sont pas aussi obscures que l’Apocalypse, laquelle j’ai montrée avec obscurité à saint Jean, afin qu’en son temps, lorsque je le trouverais à propos, elle fût expliquée et déclarée par mon Esprit ; et elles ne sont pas tellement cachées qu’elles ne doivent être annoncées, comme ce que saint Paul voyait de mes mystères, desquels il n’était loisible de parler; mais elles sont si claires et si manifestes, que tous, petits et grands, les entendent ; elles sont si faciles, que tous ceux qui veulent y porter leur esprit, peuvent les comprendre.

 

Donc, que mes amis annoncent mes paroles à mes ennemis, afin que si d’aventure ils se convertissent et qu’ils connaissent leur péril et leur jugement, ils se repentent de leurs faits, autrement, le jugement de la cité se donnera ; et de même qu’un mur s’écroule, lorsqu’on n’y
laisse pierre sur pierre, et qu’au fondement deux pierres ne se trouvent jointes ensemble, de même il en arrivera à la cité misérable, c’est-à-dire, au monde.  Mais les juges brûleront d’un feu très ardent.  Or, il n’y a pas de feu plus ardent que celui qui est nourri par quelque graisse.  Ces juges
ont été gras et replets, parce qu’ils ont eu plus d’occasion d’accomplir leur volonté que pas un ; ils surpassaient de beaucoup les autres en honneurs et en abondance des choses temporelles ; ils abondaient aussi plus que les autres en malice et en iniquité.  Partant, ils brûleront dans des flammes
très ardentes, mais les défenseurs seront pendus en un infâme et haut gibet.

 

Certes, le gibet est composé de deux pièces de bois, c’est leur peine très cruelle, qui est composée comme de deux pièces : la première est qu’ils n’espéraient pas que mon prix fût éternel et infini, et
qu’ils ne travaillaient pas pour l’acquérir.  La seconde pièce est qu’ils se défiaient sans sujet de ma puissance et de ma bonté, et disaient que je ne pouvais pas toutes choses ; et si je les pouvais, que je ne leur voulais donner et départir toutes choses suffisamment.  Mais la pièce qui est en travers, c’est leur conscience dépravée, fondée en ce que, sachant certainement le bien, ils faisaient le mal, et n’avaient point de honte de le faire contre leur conscience, qui s’y opposait.  Or, la corde du gibet,
c’est le feu éternel, qui ne s’éteint jamais ; et ils seront, comme des traîtres, remplis de confusion ;  et ils éprouveront des supplices insupportables, d’autant qu’ils ont été infidèles.  Ils entendront des opprobres et des injures, parce que mes douces et attrayantes paroles leur ont déplu. 

 

Malheur sera en leur bouche, d’autant que leur honneur propre leur a été doux et agréable.
Les corbeaux vivants, c’est-à-dire, les diables cruels, les déchireront et les mettront en lambeaux sur ce gibet ; et ces diables ne se lasseront jamais, bien qu’ils les aient mis en pièces.  Les pendus
vivront sans fin, et sans fin les bourreaux vivront pour les tourmenter.  Là sera le plus grand des malheurs, qui ne finira jamais, une misère sans miséricorde, qui ne s’adoucira jamais.  Malheur à eux d’avoir vécu dans le monde ! Malheur à eux parce que leur vie a été prolongée !

 

En troisième lieu, la justice de ceux qui travaillent est semblable à celles des taureaux, qui ont une peau et une chair très dure : c’est pourquoi leur jugement est un fer très aigu.  Ce fer, c’est la mort
horrible et effrayante de l’enfer, laquelle tourmentera ceux qui m’ont méprisé,
et qui, au lieu de me chérir et d’obéir à mes commandements, ont aimé leur propre volonté.

 

L’Écriture donc, c’est-à-dire, ma parole est écrite, que mes amis travaillent, afin qu’ils viennent sagement et discrètement à mes ennemis, pour voir si par hasard ils veulent les entendre et se
corriger. 

Or, si quelques-uns, après avoir entendu mes paroles, disent : Attendons encore un peu ; le temps n’est point encore venu ; l’heure n’est pas arrivée ; je jure en ma Divinité, qui a chassé Adam du paradis, qui a envoyé à Pharaon dix plaies, je jure que je viendrai à eux plus tôt qu’ils ne pensent.  Je jure en mon humanité, que j’ai prise sans péché pour le salut des hommes, dans le sein de la Vierge, humanité dans laquelle j’ai eu des tribulations en mon coeœur et en ma chair, j’ai enduré la peine et souffert la mort pour la vie des hommes, et dans laquelle je suis ressuscité, je suis monté au ciel, et me suis assis, vrai Dieu et vrai homme en une personne, à la droite de mon Père, je jure que j’accomplirai mes paroles.  Je jure en mon Esprit, qui a été envoyé le jour de la Pentecôte sur les apôtres, et les a enflammés afin qu’ils parlassent toute sorte de langues, que, s’ils ne reviennent à moi avec amendement, comme des serviteurs fragiles, je me vengerai sur eux en ma colère et en mon indignation. 

Alors, malheur sera sur eux, en leur corps et en leur âme ! Malheur à eux, d’autant que j’ai vécu dans le monde, et qu’ils y sont venus et y ont vécu sans m’imiter ! Malheur à eux,
d’autant que leur plaisir a été petit et vain ! Mais leur tourment sera perpétuel ; ils sentiront à cette heure-là ce qu’ils dédaignent de croire maintenant ; ils verront que mes paroles ont été des paroles de charité.
Alors, ils entendront que je les ai avertis comme père et qu’ils n’ont pas voulu m’écouter.  S’ils ne veulent de bon coeœur ajouter foi à ces paroles, qu’ils y croient à tout le moins par œuvres lorsqu’ils viendront.

 

Chapitre 57

 

Paroles de Notre Seigneur à son épouse sainte Brigitte. Comment il est, dans les âmes des chrétiens, une viande abominable et méprisée ; et au contraire, comment le monde se plaît aux mauvaises œuvres et les aime. Du jugement terrible rendu contre telles personnes.

 

Le Fils de Dieu parlait à l’épouse sainte Brigitte, disant : Les chrétiens me font maintenant ce que les Juifs m’ont fait.  Ceux-là m’ont jeté hors du temple, et ils avaient une parfaite volonté de me faire
mourir ; mais parce que mon heure n’était pas encore venue, je me suis échappé de leurs mains.
Les chrétiens m’en font maintenant de même : ils me jettent hors de leur temple, c’est-à-dire, de leur âme, qui devrait être mon temple, et me feraient volontiers mourir, s’ils pouvaient.  Je suis en leur bouche comme de la chair pourrie et puante, et je leur semble comme un homme qui dit des
mensonges ; et ils ne se soucient pas de moi ; ils me tournent le dos ; et moi je leur tournerai le derrière de la tête, parce qu’il n’y a en leur bouche que cupidité et convoitise.  En leur chair, ils
s’adonnent comme des juments à la luxure puante.  Seule, la superbe a pris lieu et place en leur ouïe. 

En leur vue, ils prennent plaisir et se délectent grandement aux choses du monde, mais ma passion et ma charité leurs sont abominables, et ma vie leur est insupportable.

 

A cette cause, je ferai comme cet animal qui a plusieurs tanières, lequel, après avoir été poursuivi en une par les chasseurs, s’enfuit en l’autre : j’en ferai de même, parce que les chrétiens me poursuivent
par mauvaises œuvres, et me mettent hors de la tanière de leur coeœur. Pour cela, je veux entrer dans le coeœur des païens, en la bouche desquels je suis maintenant amer et sans goût, où je serai plus doux que le miel.
Néanmoins, je suis encore tellement miséricordieux que quiconque me demandera pardon et dira :
Seigneur, je connais que j’ai grièvement péché. Je veux librement me corriger par votre grâce. 

Ayez pitié de moi, par le mérite de votre amère passion : je le recevrai joyeusement. 

Mais ceux qui persisteront en leur mal, je viendrai à eux comme un géant armé de trois choses, savoir : la frayeur, la force et la rigueur.  Je viendrai aux chrétiens, tellement épouvantable, qu’ils n’oseront pas même mouvoir contre moi leur petit doigt ; je viendrai tellement fort qu’ils succomberont et seront comme culbutés devant moi ; en troisième lieu, je viendrai à eux
tellement rigoureux, qu’ils sentiront leur malheur dès à présent et éternellement.

 

 

Chapitre 58

 

Paroles de la Mère de Dieu à l’épouse.  Doux colloque de la Mère et du Fils.   Comme Jésus-Christ est amer, plus amer, très amer aux méchants, et comme il est doux, plus doux, très doux aux bons.

 

La Mère de Dieu disait à l’épouse sainte Brigitte : Considérez, ô épouse nouvelle, la passion très douloureuse de mon Fils, passion qui a passé en amertume celle de tous les saints ; car tout ainsi qu’une mère serait très cruellement troublée, si elle voyait son fils vif, j’étais de la sorte troublée en la passion de mon Fils, ayant vu toute son amertume.

 

Et puis, elle parlait à son Fils, disant : Vous, soyez béni, ô mon Fils, parce que vous êtes saint, comme on le chante : Saint, saint, saint, le Seigneur, Dieu des armées ! Vous, soyez béni, parce que
vous êtes, non seulement doux, plus doux, mais très doux ! Vous étiez saint au-delà du monde et avant l’incarnation, saint en l’incarnation et saint après l’incarnation.  Vous avez aussi été doux avant la création du monde, plus doux que les anges, et m’avez été très doux en l’incarnation.

 

Son Fils lui répondit, disant : Ma Mère, vous, soyez bénie par-dessus tous les anges, car ainsi que vous avez dit maintenant que j’ai été très doux, de même je suis aux mauvais, non seulement amer, plus amer, mais très amer.  Je suis amer à ceux qui disent que j’ai créé plusieurs choses sans causes, qui blasphèment et disent que j’ai créé l’homme pour la mort et non pour la vie.  

 

O misérable et folle pensée ! N’est-il pas vrai que je suis très juste et très vertueux ? et toutefois, ils disent que j’ai créé les anges sans raison ! Si j’eusse créé l’homme pour la mort, l’eussé-je enrichi et orné avec une si grande bonté ? Certes, j’ai fait toutes choses bien et en considération de ma charité. 

J’ai donné à l’homme tout le bien qui se pouvait désirer, mais il change et tourne ce bien en mal, non que j’aie fait quelque chose mal, mais parce que l’homme meut autrement sa volonté que selon l’ordonnance et disposition divine.  Mais je suis plus amer à ceux qui disent que j’ai donné le libre arbitre pour pécher, et non pour faire du bien ; qui disent que je suis injuste, parce que je justifie les uns et réprouve les autres ; qui mettent la faute sur moi, de ce qu’ils sont méchants, parce que je retire d’eux ma grâce.  Mais je suis très amer à ceux qui disent que ma loi et que mes commandements sont très difficiles et que personne ne les peut accomplir ; qui disent que ma passion ne leur a servi ni profité de rien, c’est pourquoi ils n’en font aucun état. 

 

Partant, je jure par ma vie, comme je jurais autrefois par mes prophètes, que je m’excuserai devant les anges et en la présence de tous les saints, lesquels prouveront à ceux  à qui je suis amer, que j’ai créé toutes choses bien à propos et avec raison, pour l’utilité et la science de l’homme, que même un petit ver ne subsiste pas sans cause.  Or, ceux qui me tiennent plus amer approuveront que j’ai sagement donné aux hommes le libre arbitre pour le bien.

Ils savent aussi que je suis juste, moi qui donne à l’homme bon et pieux le royaume éternel, et à l’homme méchant, l’éternel supplice.  Car il ne serait pas à propos que le diable, qui a été créé bon par moi et qui est tombé par sa malice, eût compagnie avec le bon.  Les méchants prouveront aussi que ce n’est pas par ma faute qu’ils sont méchants, mais à raison de leur propre malice ; car s’il était possible, je prendrais librement une telle peine pour chaque homme en particulier, telle que j’ai reçue une fois sur la croix pour tous les hommes en général, et cela, afin qu’ils revinssent à l’héritage promis.

 

Mais l’homme a toujours sa volonté contraire à la mienne, lui à qui pourtant j’ai donné la liberté de me servir ou de ne me servir pas ; que s’il voulait me servir, il aurait une récompense éternelle, mais que, s’il ne voulait pas, il aurait un supplice éternel avec le diable difforme et horrible, la malice duquel, et le consentement volontaire qu’il y a donné, ont été cause que l’enfer a été justement fait.  Certes, d’autant que je suis très charitable, je ne veux pas que l’homme me serve par crainte ou contrainte, comme l’animal irraisonnable, mais je veux qu’il me serve par ma divine charité, parce qu’une personne qui me sert à regret ne peut voir ma face à cause de la peine. 

 

Or, ceux auxquels je suis très amer verront en leur conscience que ma loi a été très facile et mon joug très suave, et seront fâchés d’avoir méprisé ma loi, de lui avoir préféré le monde, dont le joug
est beaucoup plus lourd et plus difficile que le mien.

 

Alors sa Mère lui répondit : Vous, soyez béni, mon Fils, mon Dieu et mon Seigneur ! comme vous m’avez été très doux, que les autres soient participants de ma douceur, je vous en prie.

Son Fils lui dit : Vous, soyez bénie, ma très chère Mère ! Vos paroles sont douces et pleines de charité : c’est pourquoi votre douceur servira grandement quiconque l’aura reçue en sa bouche et l’aura goûtée parfaitement ; mais celui qui l’aura reçue et rejetée, aura un supplice d’autant plus
amer.

 

Alors, la Vierge lui répondit : Vous, soyez béni, mon Fils, en toute l’étendue de votre amour !

 

Chapitre 59

 

Paroles de Jésus-Christ dites en la présence de l’épouse, lesquelles expliquent comment Jésus-Christ est désigné et figuré par un rustique ; comment les bons prêtres sont désignés par un bon pasteur, les mauvais, par un mauvais pasteurs, et les bons chrétiens par une femme. Il est ici traité
de plusieurs choses utiles.

 

Je suis la Vérité, qui n’ait jamais dit un mensonge.  Je suis regardé dans le monde comme un rustique méprisable ; mes paroles sont censées fade, et ma maison est regardée comme une vile loge.

 

Un rustique eut une femme qui ne voulut jamais rien que selon la volonté de son mari ; tout ce qu’elle avait, elle le possédait en commun avec lui, et elle l’a regardé et honoré toujours comme son seigneur, lui obéissant en tout comme à son maître.

 

Cet homme rustique eut aussi plusieurs brebis, pour la garde desquelles il loua un pasteur à cinq écus de gages, afin qu’il eût ce qui était nécessaire à sa vie, d’autant que ce pasteur était bon, usait de l’or
pour le seul profit, et des vivres pour les nécessités de sa vie.

 

Après ce pasteur quelque temps s’étant écoulé, vint un autre pasteur, qui était plus méchant que lui, qui acheta avec l’or une femme, à laquelle il apporta tous ses vivres, prenant continuellement ses
plaisirs avec elle, ne se souciant pas des brebis, qui furent misérablement éparses çà et là par la
cruauté des bêtes farouches.

 

Alors le rustique, voyant ses brebis égarées s’écria et dit : Mon pasteur m’est infidèle ; mes brebis sont toutes dispersées çà et là, quelques-unes dévorées, et j’ai perdu leurs corps et leur laine par les
bêtes farouches ; quelques autres sont mortes, mais leurs corps n’ont pas été dévorés.

 

Alors la femme dit à son mari : Il est certain que nous n’aurons jamais les corps qui ont été mangés ; portons donc à la maison les corps qui sont demeurés entiers, et servons-nous en, bien qu’ils soient
morts, car il nous serait intolérable d’être frustrés de tout.

 

Le mari lui répondit : Que ferons-nous ? car les animaux qui les ont tuées ont leurs tents envenimées; leurs corps sont infectés d’un poison mortel ; la peau en est corrompue, la laine entassée en un monceau.

 

La femme repartit : Si tout est infecté, tout est ôté. De quoi vivrons-nous ?

 

Le mari répliqua : Je vois en trois lieux des brebis vivantes ; quelques-unes sont comme mortes, qui n’osent respirer de crainte ; quelques autres sont dans le bourbier profond et ne peuvent en sortir ; quelques autres sont dans des tanières, et elles n’osent en sortir. Venez donc, ma femme, aidons à sortir celles qui s’efforcent, et qui ne le peuvent sans secours, et servons-nous d’elles.

 

Je suis ce rustique seigneur, qui suis réputé des hommes comme celui qui est curieusement nourri en son lit, conformément à ses manières et à ses mœurs. Mon nom est la disposition de la sainte Église : elle est réputée vile, attendu qu’elle reçoit comme par dérision les sacrements, le Baptême,
l’Ordre, l’Extrême-Onction, la Pénitence et le Mariage, et les donne aux autres par ambition.  Mes paroles sont estimées comme des fadaises, d’autant que j’usais de similitudes sensibles pour faire entendre les choses spirituelles.  Ma maison leur semble méprisable, parce qu’on aime et qu’on
choisit les choses terrestres pour les choses célestes.

 

Par ce premier pasteur que j’ai eu, j’entends les prêtres qui sont mes amis, que j’ai eus autrefois dans mon Église : car par le mot qui est au singulier, j’entends plusieurs.  A ceux-ci j’ai commis mes
brebis, c’est-à-dire, le pouvoir de consacrer, de gouverner et de défendre les âmes de mes élus, auxquels aussi j’ai donné cinq biens plus précieux que l’or, savoir :

1° l’esprit de discerner le bien du mal, le vrai du faux, et de connaître tout ce qui est irraisonnable ;

2° je leur ai donné l’intelligence, la sagesse des choses spirituelles, qui est maintenant en oubli, et la sagesse humaine est aimée en son lie ;

3° je leur ai donné la chasteté ;

4° je leur ai donné la tempérance en toutes choses, et l’abstinence, pour modérer et pour retenir le corps ;

5° je leur ai donné la stabilité dans les bonnes mœurs, dans les paroles et dans les œuvres.

 

Après ces pasteurs, qui étaient mes amis et qui étaient autrefois dans mon Église, d’autres s’y sont maintenant glissés, qui, au lieu de l’or de la chasteté, ont acheté une femme ; et au lieu de ces cinq
dons, ils ont épousé un corps efféminé, c’est-à-dire, l’incontinence, à raison de quoi mon Esprit
s’est retiré d’eux.  Car quand ils ont assouvi les désirs du péché et satisfait pleinement leurs voluptés infâmes, mon Esprit se retire d’eux, attendu qu’ils ne se soucient pas du dommage que mon bercail souffre, pourvu qu’ils puissent se plonger et se vautrer dans leurs sales voluptés.

 

Or, les brebis qui sont entièrement dévorées, sont celles dont les âmes sont en enfer et les corps dans les sépulcres, attendant la résurrection pour être damnés avec les âmes.  Mais les brebis dont l’esprit
s’en est allé et dont le corps demeure, ce sont celles qui ne m’aiment ni ne me craignent, qui n’ont ni soin ni dévotion. De ceux-là mon Esprit est grandement éloigné, car leur chair, étant déchirée par les dents envenimées des bêtes, et tout empoisonnée, c’est-à-dire, leur âme et les pensées de leur âme désignées par la chair et par les intestins des brebis, m’est tellement amère et abominable, que je ne me puis non plus plaire en eux qu’en une chair envenimée.  Leur peau, c’est-à-dire, leurs corps est aride et sec à tout bien, à tout amour, et ne sert à mon royaume pour autre usage que pour jeter dans le feu éternel après le jour du jugement.  Leur laine, c’est-à-dire, leurs bonnes œuvres sont partout inutiles, de sorte qu’on ne trouve en elles rien qui soit digne de ma grâce ni de mon amour.

 

Qu’est-ce donc, ô ma femme, c’est-à-dire, ô bons chrétiens ? Que ferons-nous ? Je vois en trois lieux des brebis vivantes : quelques-unes sont semblables aux mortes, qui de crainte n’osent respirer : celles-là sont les Gentils, qui voudraient librement avoir une foi droite, s’ils en savaient la manière,
mais ils n’osent respirer, c’est-à-dire, n’osent abandonner la foi qu’ils ont ni prendre la foi roite. 

 

Les autres sont des brebis qui sont dans les tanières et n’osent sortir : celles-là sont les Juifs qui sont comme sous des voiles, d’où ils sortiraient librement s’ils savaient que je fusse né.
Or, ils se cachent comme sous des voiles, d’autant qu’ils attendent leur salut dans les figures et dans les signes qui prédisaient autrefois ce qui est maintenant accompli.  Et à raison de cette vaine
espérance, ils craignent de venir à la vraie et droite voie. 

 

En troisième lieu, les brebis qui sont plongées dans le bourbier, ce sont les chrétiens qui sont en péché mortel, car ceux-là, pour la crainte du supplice, en sortiraient librement, aidés par ma grâce ; mais ils ne le peuvent, à cause de la
gravité de leurs péchés, et parce qu’ils n’ont point d’amour pour moi.

 

Donc, ô bons chrétiens, aidez-moi, car comme la femme et le mari ne sont qu’une chair, de même le chrétien et moi ne sommes qu’un, d’autant que je suis en lui et qu’il est en moi.  Partant, ô femme,
c’est-à-dire, ô bons chrétiens, courez avec moi à ces brebis qui ont encore la vie ; tirons-les de là, et fomentons-les par l’amour. 

 

Compatissez avec moi, car je les ai achetées fort chèrement ; recevez-les avec moi, et moi avec vous, vous sur le dos, moi sur la tête, et ainsi je les conduirai joyeusement entre mes mains.  Je les ai portées une fois sur mon dos, quand j’étais tout blessé, lié et attaché à la croix.  O mes amis, j’aime si tendrement mes brebis, que, s’il était possible, j’aimerais mieux mourir autant de fois pour chacune d’elles de la mort que je souffris sur la croix pour la rédemption de toutes, que d’en être privé.  Je crie à mes amis qu’ils ne s’épargnent point, mais qu’ils travaillent pour l’amour de moi ;
qu’ils fassent de bonnes œuvres.  Que si on vomissait contre moi des opprobres et des calomnies, pendant que j’étais au monde, lorsque je disais la vérité, qu’eux aussi ne cessent de dire la vérité pour moi.  Je n’ai pas eu honte de subir, pour l’amour d’eux, une mort ignominieuse : j’étais nu
devant les yeux de mes ennemis comme le jour où je naquis ; je fus frappés aux dents d’un coup
de poing ; je fus tiré par les cheveux ; je fus frappé de leurs fouets ; je fus attaché au bois par leurs clous et par leurs instruments, et fus pendu en la crois avec les larrons.

 

Ne vous épargnez donc pas, ô mes amis, puisque l’amour m’a tant fait souffrir pour vous.  Travaillez généreusement, et aidez aux brebis souffreteuses et indigentes.  Je jure par mon humanité que je suis en mon Père et que mon Père est en moi, et par ma Divinité, qui est en mon Esprit, et l’Esprit en elle, et le même Esprit en moi et moi en lui, et ces trois un Dieu en trois personnes, que tous ceux qui travailleront et porteront avec moi mes brebis, j’irai au-devant d’eux au milieu du chemin pour les
secourir, et je leur donnerai une récompense très précieuse, c’est-à-dire, moi-même en joie éternelle.

 

Chapitre 60

 

Paroles du Fils de Dieu à son épouse, par lesquelles il traite de trois sortes de chrétiens, préfigurés par les Juifs qui étaient en Égypte, et comment il faut publier et prêcher ce qui a été révélé à cette épouse, aux amis de Dieu qui les ignorent.

 

Le Fils de Dieu parlait à son épouse, disant : Je suis le Dieu d’Israël et celui qui parlait avec Moïse, quand il était envoyé à mon peuple.  Il demanda un signe, disant : Autrement on ne me croira pas.
S’il était envoyé au peuple de Dieu, pourquoi se défiait-il ?

Mais vous devez savoir qu’en ce peuple, il y avait trois sortes de personnes.

Quelques-uns croyaient à Dieu et à Moïse ; les autres croyaient à Dieu et se défiaient de Moïse, pensant que Moïse peut-être ne présumât de dire et de faire telles choses, poussé à cela par vanité ou de sa propre invention.  Les derniers ne croyaient ni à Dieu ni à Moïse ; et de la sorte, il y a entre les chrétiens trois sortes de personnes marquées par les Hébreux : quelques-uns croient à Dieu et à mes paroles.  Les autres croient à Dieu, mais ils se défient de mes paroles, attendu qu’ils ne savent discerner le bon du mauvais esprit.  Ceux qui sont de la troisième sorte ne croient ni à moi ni à vous, bien que je leur aie parlé. 

Mais comme j’ai dit, bien que quelques Hébreux se défiassent de Moïse, néanmoins, tous passèrent la mer Rouge avec lui et allèrent au désert, où ceux qui s’en défiaient honoraient les idoles, et provoquèrent l’ire et l’indignation de Dieu; et partant, ils furent consommés par une mort misérable.  Mais ce malheur ne fut commis que par ceux qui avaient une mauvaise foi ; et d’autant que l’esprit humain est tardif à croire, mon ami transporta ma parole à ceux qui croyaient, et eux s’épandirent après en ceux qui ne savent discerner le bon esprit du mauvais. 

 

Que si les auditeurs demandent quelque signe, qu’on leur montre la verge, comme le fit jadis Moïse, c’est-à-dire, qu’on leur explique mes paroles : car comme la verge de Moïse était droite et terrible, parce qu’elle se changeait en serpent, de même mes paroles sont vraies, et il ne se trouve en elles aucune fausseté ; elles sont terribles, d’autant qu’elles portent un jugement droit et équitable ; qu’ils leur proposent et certifient que le diable s’est retiré de la créature de Dieu à sa seule parole, le diable est si fort que, si je ne le retenais, il pourrait changer les montagnes. Quelle était alors la puissance que Dieu lui permettait ? Quelle qu’elle fût, il s’enfuyait à sa seule parole. 

 

Partant, comme ces Hébreux qui n’ont ni cru à Dieu ni à Moïse, passèrent avec les autres, comme en le contraignant, de l’Égypte en la terre promise, de même plusieurs chrétiens vont avec mes élus comme contraints, car ils ne se confient point en ma puissance, et ne pensent pas qu’elle les puisse sauver ; ils ne croient aucunement à mes paroles ; ils ont une vaine espérance en ma vertu. 

Néanmoins, mes paroles s’accompliront sans leur volonté, et ils seront comme contraints d’être
parfaits, jusqu’à ce qu’ils arrivent où il me plaira.

 

 

fin du Livre I des Révélations de Sainte Brigitte de Suède