PENSÉES I
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PENSÉES I
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PARABOLES
CONFESSION
OFFICE S. VICTOR
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CENSURES

PENSÉES DE SAINT BERNARD.

 

1. « Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Fils et le Saint-Esprit (I Joan. V, 7). » Il y en a trois aussi sur la terre, l'esprit, l'eau et le sang. Il en est de même en enfer selon ces paroles d'Isaïe : « Leur ver ne mourra point et leur feu ne s'éteindra jamais (Isa. LXVI, 24). » A ces deux maux, le ver et le feu dont l'un ronge la conscience, l'autre brûle le corps, s'en ajoute un troisième, le désespoir, ainsi qu'on le comprend, de reste, à ces mots, «ne mourra point, ne s'éteindra jamais. » Dans le ciel, le témoignage qu'on reçoit est un témoignage de béatitude, sur la terre, c'en est un de justification; dans l'enfer, c'est un témoignage de damnation. Le premier est un témoignage de gloire, le second, de grâce, et le troisième de colère.

2. Au sujet de l'Esprit-Saint, l'Écriture nous apprend qu'il procède, qu'il souffle, qu'il habite dans les âmes, qu'il les remplit et les glorifie. Il y a deux sortes de processions ; on procède de et on procède vers. D'où procède-t-il ? Du père et du Fils. Où procède-t-il ? Vers la créature. En procédant, il prédestine : en soufflant, il appelle ceux qu'il a prédestinés; en habitant dans les âmes, il justifie ceux qu'il a appelés, en le remplissant, il comble de mérite ceux qu'il a justifiés, et en les justifiant, il enrichit de ses récompenses ceux qu'il a comblés de mérites.

3. Le Saint-Esprit convainc le monde du péché qu'il fait semblant de ne point apercevoir; de la justice qu'il ne règle pas, puisqu'il se l'attribue au lieu de l'attribuer à Dieu, et du jugement qu'il usurpe quand il a la témérité non-seulement de se juger lui-même, mais de juger les autres encore.

4. Jusqu'à ce jour l'effusion des eaux sur les habitants de Babylone, j'entends par-là la confusion des pensées, rend la terre aride et vague. En effet, tant que toute pensée flotte autour de la chair, on ne peut espérer d'elle aucun fruit de salut. Que les eaux soient donc séparées des eaux (Gen. I, 6), c'est-à-dire que l'âme revendique, comme il convient, sa part de sollicitude et de soins. Il est bien que les pensées inférieures soient renfermées dans certaines limites, que leur cours soit contenu dans un lit déterminé et qu'elles ne se répandent point au-delà de ce que la nécessité exige; les pensées supérieures n'en seront que plus à l'aise pour s'épancher et se répandre. Voilà certainement comment le Seigneur donnera sa bénédiction, et notre terre produira son fruit (Psal. LXXXIV, 13).

5. Le peuple da Dieu compte des hommes charnels et des hommes spirituels; si les premiers ne sont point sans quelque désir des biens éternels, les seconds ne sont pas non plus complètement étrangers au désir des biens temporels. La différence entre eux, c'est que les uns désirent plus ardemment tels biens et les autres tels autres, et suivant que leurs désirs se portent de préférence sur les biens spirituels ou sur les biens temporels, ils sont eux-mêmes des hommes spirituels ou des hommes charnels. De là vient que dans les bénédictions qu'Isaac donne à Jacob et à Esaü, s'il est parlé de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, il n'en est pas parlé dans le même ordre à l'un et à l'autre. « Que Dieu te prodigue, dit-il à Jacob, la rosée du ciel et la graisse de la terre, » et à Esaü : « Ta bénédiction sera dans la graisse de la terre et dans la rosée du ciel. » Or on voit à leurs préoccupations et à leurs désirs quels sont les biens que chacun d'eux préfère.

6. « La mort des pécheurs est très-mauvaise. » Elle est mauvaise par la perte du monde qu'ils aiment, et dont ils ne peuvent se séparer sans douleur. Elle est pire par la perte de leur chair dont leur âme se sent arrachée par les esprits malins. Elle est très-mauvaise par les tourments de l'enfer où le corps et l'âme sont plongés ensemble dans des feux éternels. Au contraire, la mort des bons est très-bonne ; c'est, en effet, pour eux, le repos après le travail, le bonheur de jouir d'un, monde nouveau et la sécurité pour jamais.

7. « Le paresseux s'est vu lapider avec du fumier de bœufs (Eccli. XXII, 2). » Les boeufs, ce sont ceux qui sont tout entiers à l'oeuvre de Dieu, ceux qui sèment dans les larmes et moissonnent dans la joie. Ceux-là regardent toutes les choses de ce monde, quelles qu'elles soient, comme du fumier. Au contraire, le paresseux, dont les ennemis voient en ricanant les jours de repos, est moqué dans son repos par ses ennemis, comme les bœufs laborieux se sentent honorés de Dieu dans leurs travaux. En effet, quand les malins esprits voient un homme paresseux aux exercices spirituels, ils lui suggèrent à tout moment des pensées terrestres à l'esprit; c'est comme s'il faisait des mottes avec ce que nous avons appelé le fumier des boeufs, pour en lapider le paresseux comme il le mérite.

8. «Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche (Cant. I, 1). » Il y a trois baisers : un baiser de réconciliation, un baiser de récompense et un baiser de contemplation. Le premier se prend aux pieds, le second aux mains et le troisième à la bouche. Dans le premier on reçoit la rémission des péchés, dans le second, la récompense de la vertu, et dans le troisième, la connaissance des secrets de Dieu. Ou bien encore, l'un est le baiser de la doctrine, l'autre, de la nature, et le troisième, de la grâce.

9. L'Épouse a deux mamelles qui sont la congratulation et la compassion; deux sortes de lait, l'exhortation et la consolation. Trois parfums , la componction, la dévotion et la piété. La componction au souvenir des péchés passés, la dévotion au souvenir des bienfaits reçus, la piété à la vue des malheureux.

10. « Reviens, reviens, Sunamite, reviens, reviens, que nous te voyions (Cant. VI, 12). » Reviens d'abord de ta joie inepte, reviens en second lieu de ta tristesse inutile, reviens en troisième lieu de ta vaine gloire, reviens enfin de ton secret orgueil. La vaine gloire, c'est celle qui nous vient du dehors, que nous recueillons de la bouche des hommes. Le secret orgueil est celui qui se trouve dans notre coeur. Quand l'âme aura laissé tous ces vices, son époux jettera les yeux sur elle. Si donc elle doit s'abstenir de tout le reste, c'est afin de    se rendre digne de ses embrassements. Voilà pourquoi il lui est dit : « Reviens, reviens, que nous te voyions. »

11. Les pasteurs doivent veiller sur leur troupeau à cause de trois nécessités qui sont la discipline, la garde et la prière. La discipline, dans l'intérêt de la correction des moeurs, de peur que le troupeau commis à leur garde ne dépérisse par leur propre inconduite. La garde, à cause des suggestions du démon, de peur que leur troupeau ne soit séduit par ses ruses diaboliques. La prière, à cause de la tentation qui le presse sans cesse, de, peur qu'il ne soit vaincu par la faiblesse. La discipline réclame là rigueur de la justice, la garde veut un esprit de conseil, et la prière, des sentiments de compassion.

12. L'auteur de l'univers a fait deux créatures capables de le comprendre, l'homme et l'ange. L'homme est rendu juste par la foi et le souvenir, et l'ange, heureux par l'intelligence et la présence. Mais comme les hommes doivent un jour égaler les anges, il faut que, en attendant, ils deviennent justes par la foi, et s'élèvent à l'intelligence; car il est écrit : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point (Isa. VII, 9). » Ainsi la foi est la voie qui mène à l'intelligence, car elle purifie le coeur et permet à l'intelligence de voir Dieu. De même le souvenir de Dieu est le sentier qui conduit à la présence de Dieu; car quiconque a, ici-bas, le souvenir des commandements de Dieu pour les accomplir, méritera un jour de jouir aussi de sa présence. Que les anges aient donc dans le ciel l'intelligence et la présence de Dieu, et que, sur la terre, nous en ayons la foi et le souvenir.

13. Seigneur, nous sommes votre lot que vous avez gagné de votre propre main, avec votre arc et votre épée, sur le Amorrhéens (Gen. XLVII, 22). Or, votre épée, c'est votre parole vivante et efficace (Hebr. IV, 12), et votre arc, c'est votre incarnation. En effet, c'est dans ce mystère que, courbant le bois de votre sagesse, si je puis ainsi parler, et faisant fléchir avec piété, pour ainsi dire, votre divinité, vous avez tendu avec force le nerf de la chair et augmenté d'une manière ineffable, comme nous le savons, notre humanité. Nous sommes donc votre lot, et  le peuple de votre conquête (I Petr. II, 9), le peuple que vous avez acquis par la parole de la prédication et par le mystère de l'incarnation.

14. Dans la circoncision du Seigneur, il n'y eut ni nerf de rompu, ni os de brisé, et les parties les plus résistantes du corps sont demeurées intactes. Mais la peau a été ouverte, de la chair a été coupée et du sang répandu, pour que la mollesse et la concupiscence fussent châtiées. En effet, c'est dans la chair qu'est le péché, car c'est là qu'il habite; si vous entendez bien les choses, la peau est le manteau qui le recouvre, et le sang, le torrent qui le porte et l'excite. La vraie circoncision en esprit, non pas seulement à la lettre, consiste donc à déchirer par la componction du coeur et la confession de la bouche, le voile de l'excuse et de la dissimulation; à rompre, par la correction des moeurs, l'habitude du péché, à mettre eu fuite, enfin, comme il est nécessaire que ce soit, les actions du péché et à jeter au vent le foyer de la concupiscence.

15. « Les mages offrirent au Seigneur de l'or, de la myrrhe et de l'encens (Matt., II, 11). » Peut-être ces présents, eu égard au temps et au lieu, paraissaient-ils nécessaires; l'or, avec sa valeur, à cause de la pauvreté; la préparation de la myrrhe, à cause de la délicatesse ordinaire au corps d'un enfant; le parfum de l'encens, à cause du sale séjour d'une étable. Pour nous, comme tout cela est passé, offrons-lui des présents qu'il puisse accepter; l'onction de la myrrhe, dans la communion de la vie en commun ; une espèce d'encens,          dans la bonne odeur d'une bonne réputation; l'éclat de l'or, dans la pureté de notre vie, en sorte que nous ne songions plus à rechercher la faveur de nos frères dans une vie pleine de complaisance pour eux, ni la vaine gloire dans une opinion flatteuse de leur part en ce qui nous concerne, mais uniquement l'honneur de Dieu et le bien de nos frères.

16. Avant tout, que les religieux soient exempts de tout murmure. Peut-être aux yeux de quelques-uns n'est-ce qu'un péché léger que le murmure, mais il n'en est pas ainsi aux yeux de celui qui nous engage à l'éviter avant tout. Oui,je crois qu'il ne regardait pas le murmure comme peu de chose, celui qui disait à des murmurateurs : « Ce n'est pas contre nous que vous murmurez, c'est contre le Seigneur; car pour nous, que sommes-nous (Exod. XVI, 8) ? » Non plus que celui qui s'est exprimé ainsi : « Ne murmurez point, comme firent quelques-uns qui ont murmuré aussi, et qui ont péri sous la main de l'ange exterminateur (I Cor. X, 10). » Cet ange exterminateur est celui qui avait été placé là, précisément pour éloigner les murmurateurs des confins mêmes de cette bienheureuse cité, et pour les repousser loin des confins de celle à qui il est dit : «Jérusalem, loue le Seigneur, Sion loue ton Dieu ; il a établi la paix jusqu'aux confins de tes états. (Psal. CXLVII, 1 et 3). » En effet, il n'y a rien de commun entre le mur mure et la paix, entre l'action de grâce et la détraction, entre le zèle amer et les paroles de louanges. Tenons-nous en à la parole de ces trois témoins, et quels témoins! et sachons que nous devons éviter avec tout le soin possible la peste du murmure.

17. Il y en a trois (a) avec qui nous devons nous réconcilier, ce sont les hommes, les anges et Dieu; avec les hommes par des oeuvres à découvert, avec les anges, par des signes cachés, avec Dieu par la pureté du coeur. En effet, pour ce qui est des couvres que nous devons faire devant les hommes, voici ce qui est écrit : « Que votre lumière :luise devant les hommes, afin que, en voyant vos bonnes couvres, ils glorifient votre père qui est dans les cieux (Mat. V, 16).» Quant aux anges, David a dit : « Je chanterai pour vous, Seigneur, en présence des anges (Ps. CXXVII. 1). » Or, les signes cachés sont les gémissements, les soupirs, l'usage du cilice, et les autres marques de la pénitence qui plaisent particulièrement aux anges; ce qui a fait dire : «Il y aura joie, parmi les anges de Dieu, lorsqu'un seul pécheur fera pénitence (Luc. XV, 10).» Mais pour nous réconcilier avec Dieu, nous n'avons besoin ni d'oeuvres, ni de signes, mais d'un coeur pur et simple ; car il est écrit : « Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu (Matth. V, 8), » et encore : « Si votre œil est simple (Matth. VI, 22), » et le reste.

 

a Nicolas de Clairvaux, à la fin de sa vingt-quatrième lettre à Pierre de Celles s'exprime ainsi: «  Renvoyez-moi l'opuscule qui commence ainsi : Il y en a trois avec qui nous devons nous  réconcilier; et nos heures de Notre-Dame que vous avez. »

 

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