LETTRE CXXIV
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

TROISIÈME SÉRIE. LETTRES ÉCRITES DEPUIS L'ANNÉE DE LA CONFÉRENCE DE CARTHAGE, EN 411, JUSQU'À SA MORT, EN 450.

LETTRE CXXIV. (Au commencement de l'année 411).

 

Albine , Pinien et Mélanie désiraient voir saint Augustin et s'étaient rendus en Afrique; nous ignorons quels motifs les avaient d'abord empêchés d'aller à Hippone; c'est à Thagaste, la cité natale du grand évêque, que ces pieux personnages avaient passé l'hiver Saint Augustin écrit à ces illustres chrétiens de Rome pour leur expliquer comment il a été obligé de rester tout l'hiver sans aller les visiter. Son peuple d'Hippone était en proie aux tribulations; le pasteur ne pouvait pas se séparer du troupeau.

 

AUGUSTIN AUX ILLUSTRES SEIGNEURS EN JÉSUSCHRIST, A SES FRÈRES TRÈS-SAINTS, TRÈS-CHERS, ET TRÈS-DÉSIRÉS, ALBINE, PINIEN ET MÉLANIE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Par faiblesse de santé ou par tempérament je ne puis supporter le froid; toutefois, dans cet horrible hiver, moi qui aurais passé les mers pour vous joindre, j'ai bien plus souffert de ne pouvoir, je ne dis pas aller, mais voler vers vous qui étiez si près de moi et qui étiez venus de si loin pour nous voir. Votre sainteté croira peut-être que la rigueur de la saison a été la cause unique de ma peine; non, mes amis, non. Que pouvaient me faire ces pluies, et qu'avaient-elles d'incommode et même de dangereux, lorsqu'il s'agissait de me rendre auprès de vous, vous, mes consolations si grandes dans de si grands maux au milieu d'une génération tortueuse et perverse , vous, ardents flambeaux allumés aux rayons éternels, grands par l'humilité, plus illustres par le mépris de la gloire ? J'aurais aussi pris ma part des joies spirituelles que votre présence fait goûter à la ville où je suis né; avant de vous avoir vus, lorsqu'elle entendait parler de la grandeur de votre origine et de ce que vous êtes devenus par la grâce du Christ, elle y croyait par la charité, cependant elle n'osait peut-être pas le raconter elle-même, craignant de trouver des incrédules. 

2. Je dirai donc pourquoi je ne suis pas allé vers vous, et par quels maux j'ai été privé d'un si grand bien ; non-seulement j'espère que vous m'accorderez mon pardon, mais j'espère aussi , par vos prières , obtenir la miséricorde de celui qui opère en vous ce qui fait,que vous vivez pour lui. Le peuple d'Hippone, à qui Dieu m'a donné pour serviteur, est presque tout entier si faible que la moindre tribulation suffit pour l'abattre; mais tel est aujourd'hui l'excès de son affliction (1) que, ne fût-il pas faible, il pourrait à peine en porter le poids sans succomber. A mon dernier retour, j'ai reconnu que mon absence avait été pour ce peuple un dangereux sujet de scandale; or, vous savez, vous dont la force m'est une joie dans le

1. Le pays d'Hippone commençait alors à souffrir de l'invasion des Barbares.

 

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Seigneur, vous savez par quelle sagesse l'Apôtre a dit : « qui est faible sans que je le devienne avec lui ? Qui est scandalisé sans que je brûle (1)? » D'ailleurs il y a bien des gens ici qui, ne nous épargnant pas dans leurs attaques, s'efforcent d'exciter centre nous ceux qui nous aiment et de faire entrer le démon dans leur âme. Or quand nous sommes ainsi poursuivis par ceux dont le salut nous occupe, leur grand dessein de vengeance est un désir de mourir, non dans le corps, mais dans l'âme où l'on sent une secrète odeur de sépulcre avant même que notre pensée ait pu découvrir que la vie n'est plus là. Vous pardonnerez, sans aucun doute, à ces sollicitudes; si vous m'en blâmiez et vouliez me punir, vous ne trouveriez rien de plus pénible à m'imposer que ce que je souffre, lorsque vous êtes à Thagaste et que je ne vous y vois pas. Mais, aidé par vos prières, dès que les obstacles qui maintenant me retiennent auront disparu , j'espère qu'il me sera donné d'aller vous joindre, en quelque lieu de l'Afrique que vous vous trouviez, si, comme je le crains, la ville où. je porte le fardeau de mes devoirs n'est pas digne de se réjouir avec nous de votre présence.

 

 

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