LETTRE CLXI
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE CLXI. (Année 414.)

 

Evode soumet à saint Augustin deux difficultés tirées, l'une de la lettre CXXXVII à Volusien, l'autre de la lettre XCII à Italica : la première de ces difficultés est relative à l'incarnation de Jésus-Christ; la seconde à la question de savoir si on peul voir Dieu, même avec les yeux d'un corps glorifié.

 

ÉPODE ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC LUI , AU VÉNÉRABLE SEIGNEUR, AU SAINT ET BIEN-AIMÉ FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE- SACERDOCE , AUGUSTIN, ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC LUI, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Il y a longtemps que je vous ai proposé des questions sur la raison et sur Dieu dans une lettre confiée à Jobin, qui avait été envoyé au domaine de Martien; je n'ai point encore mérité une réponse. Mais j'ai lu deux lettres de votre sainteté, l'une. adressée à un homme illustre, Volusien, l'autre à une illustre chrétienne, Italica; dans la première de ces deux lettres, au sujet de l'incarnation du- Seigneur Jésus-Christ notre Dieu dans sein d'une vierge et de sa nativité, j'ai remarqué ce passage : « Si on en demande la raison, ce ne sera plus merveilleux; si on en veut un exemple, ce ne sera plus unique. » Il semble qu'on pourrait en dire autant de toute naissance d'homme ou d'animal et de toute semence. Car si on en demande la raison, on ne la trouvera pas, et la chose restera merveilleuse; et si on en veut un exemple, comme il n'y en a pas, ce sera unique. Qui pourra rendre raison de ce qui est formé par l'union de l'homme et de la femme ? Qui pourra expliquer la secrète génération de quoi que ce soit? Qui dira comment les semences nées de la terre pourrissent d'abord et puis fructifient? Et si l'on cherche un exemple unique, n'est-ce pas encore une chose admirable que la formation virginale et parfaite d'un ver dans un fruit? Aussi c'est, je crois, comme exemple qu'il a, été dit : « Je suis un ver et non pas un homme (1). » Je ne sais donc pas quelle raison on peut donner des conceptions, soit qu'elles s'accomplissent par l'union, soit qu'elles partent d'une oeuvre unique; et ce n'est pas seulement la conception d'une vierge qui est

 

1. Ps. XXI, 7.

 

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inexplicable, c'est, à mon avis, toute espèce de conception.

2. Veut-on des exemples? En voici : les cavales, dit-on, sont fécondées par le vent, les poules par les cendres, les canes par l'eau ; et il en est ainsi de quelques autres animaux. Si, en enfantant, ils perdent leur intégrité, ils peuvent la garder en concevant. Pourquoi dire alors que « si on veut a un exemple, ce ne sera plus unique, » puisque tant d'exemples se présentent? Personne n'ignore que certains animaux naissent dans le corps des hommes comme dans le corps des femmes : y a-t-il pour cela une semence? Voilà des exemples, voilà des prodiges dont on ne rend pas compte. On dira qu'il n'arrive jamais qu'un homme naisse d'une vierge ; mais , dans des choses d'une autre nature il y a des conceptions auxquelles toute semence est restée étrangère et dont il est impossible de rendre raison. Dans la génération même il se rencontre des enfantements qui laissent à la nature toute son intégrité. J'entends dire que l'araignée n'a pas besoin d'un autre concours que le sien pour produire admirablement à sa manière et sans altération d'organe tous ces fils auxquels elle a coutume de se suspendre : cela n'est accordé qu'à elle seule. Si on veut en chercher l'explication, c'est non-seulement admirable, mais de tels exemples sont impossibles à trouver. Ces exemples n'ont-ils pas précédé pour convaincre ceux qui auraient refusé de croire qu'une vierge pût enfanter? ne prouvent-ils pas que cet événement n'est pas unique quoiqu'il soit admirable? car toutes les oeuvres de Dieu sont admirables parce qu'elles sont l'oeuvre de la sagesse. Si donc on vient à nous faire ces objections, que répondrons-nous?

3. Une autre chose m'embarrasse fort : on dira par les mêmes raisons que Notre-Seigneur peut voir la substance de Dieu des yeux de son corps glorifié, et dans la lettre à Italica vous avez dit et en toute vérité que cela ne se peut. Quand nous répondrons que cela ne se peut pas, on nous objectera que tout est merveilleux et unique dans la conception et la naissance du Seigneur, et que de même que nulle explication n'est possible quant à la conception dans un sein virginal, de même on ne saurait rendre raison du privilège qu'aurait Jésus-Christ de voir la substance de Dieu avec les yeux du corps : ce serait unique et sans exemple. Si nous répliquons que l'on comprend bien qu'on ne puisse pas voir avec une chose corporelle quelque chose d'incorporel, je crains qu'on ne nous dise que la conception dans un sein virginal peut se prouver par des raisons et des exemples. Ou bien l'impossibilité de voir des yeux du corps la substance de Dieu ne pourra pas s'établir, et alors on continuera à soutenir que le Fils de Dieu peut voir son Père par les yeux du corps; ou bien si cette impossibilité est prouvée, on nous dira que de plus habiles seraient capables de rendre raison de la conception et de la naissance de Jésus-Christ. Quoi répondre ici? je vous le demande. Je ne cherche pas à faire naître des disputes, mais je vous interroge pour tenir tête à ceux qui tenteraient de nous surprendre. Pour moi, je crois que la Vierge a conçu et enfanté, comme je l'ai toujours cru; et la raison elle-même me persuade que Dieu ne peut pas être vu, même des yeux d'un corps glorifié. Je pense cependant qu'il faut aller au-devant des difficultés que la rébellion de l'esprit a coutume de susciter, et aussi donner satisfaction aux légitimes désirs d'instruction et d'étude. Priez pour nous. Que la paix et la charité du Christ fassent souvenir de nous votre sainteté, ô notre saint seigneur, vénérable et bienheureux frère!

 

 

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