|
LETTRE CLXXXIII. (Au commencement de l'année 417.)
Le pape Innocent répond aux cinq évêques sur Pélage et ses erreurs.
INNOCENT A SES BIEN-AIMÉS FRÈRES AURÈLE, ALYPE, AUGUSTIN, ÉVODE ET POSSIDIUS, ÉVÉQUES, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. Nous avons reçu par notre frère et collègue Jules les lettres de votre fraternité, envoyées de deux conciles, pleines de foi et appuyées de toute la force de la religion catholique ; elles nous ont été d'autant plus agréables que dans toute leur teneur elles expriment fidèlement la vérité sur la grâce de Dieu, dont nous avons besoin tous les jours, et qu'elles s'appliquent à ramener les hommes d'un sentiment contraire; elles sont de nature à détruire en eux toute erreur, et les autorités de notre religion que vous citez leur montrent quel docteur ils ont à suivre. Mais nous croyons en avoir dit assez là-dessus dans notre réponse à vos deux rapports ; nous avons suffisamment exprimé notre sentiment sur le crime des novateurs et sur votre sagesse. Quoi dire encore contre eux ? Rien ne manque pour achever leur défaite : quoi de plus misérable et de plus impie que cette doctrine dont nous triomphons plus complètement par la vertu et par la vérité même de notre foi? car celui-là rejette et méprise toute espérance de la vie en portant le désordre dans son coeur par des raisonnements mauvais et condamnables lorsqu'il pense n'avoir rien à recevoir de Dieu, rien à lui demander polir sa guérison : après cela que lui reste-t-il ? 2. Si donc il en est qui prennent à coeur la défense de cette affreuse doctrine, qui s'y donnent et s'y attachent, parce qu'ils attribuent à la religion catholique ce qu'elle repousse avec horreur et condamne absolument, et parce qu'ils ont été séduits par les conseils et les discours des novateurs, ils se hâteront de rentrer dans la voie droite, de peur que l'invasion de l'erreur ne devienne complète dans leur intelligence. Si Pélage, en quelque lieu qu'il s'est arrêté, a trompé la simplicité et la crédulité de quelques-uns, flous croyons que, par la miséricorde et la grâce de notre Dieu, on les ramènera aisément dès qu'ils auront appris la condamnation du propagateur opiniâtre de cet enseignement; ils reviendront en quelque lieu qu'ils soient dans l'univers, et peut-être s'en rencontre-t-il à Rome même; mais nous l'ignorons et ne pouvons ni l'affirmer ni le nier. S'il en est, ils se cachent et n'osent défendre devant aucun des nôtres ni Pélage ni sa doctrine; d'ailleurs il ne serait pas aisé de saisir ou de reconnaître un de ses partisans au milieu d'une si grande multitude de peuple. Mais peu importe où ils soient, pourvu qu'ils soient guérissables partout où on les trouvera. 3. Cependant nous ne pouvons pas nous persuader que Pélage se soit justifié, malgré des actes (478) apportés par je ne sais quels laïcs, et dans lesquels il prétend avoir été entendu et absous. Nous doutons que cela soit vrai; ce n'est pas le concile même (1) qui nous a envoyé ces actes, et flous n'avons reçu aucune lettre de ceux par qui la cause a été examinée. Si Pélage avait été sûr de sa justification, il aurait certainement demandé à ses juges de nous écrire pour nous l'apprendre. C'eût été un meilleur moyen de nous persuader. Mais ces actes portent la trace d'objections qui lui ont été faites; il en est auxquelles il évite de répondre, et d'antres qu'il n'essaie de rétorquer qu'en embrouillant et en répandant la plus profonde obscurité; il s'est justifié sur certains points par de faux raisonnements bien plus que par des raisons vraies; il allait, selon les besoins du moment, tantôt par des dénégations , tantôt par d'inexactes interprétations. 4. Mais (ce qui est plus souhaitable), plût à Dieu qu'il revint de son erreur à la vérité de la foi catholique ! plût à Dieu qu'il désirât et voulût se justifier en considérant et en reconnaissant cette grâce et ce secours de Dieu dont nous avons besoin tous les jours! plût à Dieu qu'il vit la vérité et que, rentré de coeur et non d'après je ne sais quels actes, dans la voie catholique, il méritât l'approbation de tous ! Nous ne pouvons ni blâmer ni approuver le jugement porté sur lui, parce que nous ne savons pas si les actes sont véritables; et s'ils le sont, il parait évident qu'il s'est bien plus attaché à éluder les questions qu'à se justifier pleinement. S'il a confiance, s'il croit que nous ne devons pas le condamner par la raison qu'il aurait désavoué ce qu'il a dit précédemment, ce n'est point à nous à le mander, c'est à lui à venir vers nous au plus vite pour qu'il puisse être absous. Car s'il pense encore de la même manière, quelque lettre de nous qu'il reçoive, comment se présentera-t-il, sachant d'avance qu'il sera condamné? Si on avait à le mander, il vaudrait mieux qu'il le fût par ceux qui sont plus près de lui, au lieu d'en être, comme nous, séparés par de longues distances. Mais les soins ne lui manqueront pas s'il veut bien se laisser guérir; il peut condamner ce qu'il a pensé, et demander pardon de son erreur dans une lettre, comme il convient de le faire lorsqu'on revient vers nous, très-chers frères. 5. Nous avons parcouru le livre qu'on dit être de lui et que votre charité nous a fait parvenir; nous y avons trouvé beaucoup de choses contre la grâce de Dieu, beaucoup de blasphèmes, rien qui ne déplaise tout à fait et qu'il ne faille condamner et rejeter : de pareilles idées ne pouvaient venir qu'à l'auteur de ce livre. Nous ne croyons pas nécessaire de disputer longuement ici sur la loi, comme si Pélage était devant nous avec ses résistances; c'est à vous que nous nous adressons, à vous qui connaissez cette loi tout entière et qui vous en réjouissez, d'accord avec nous. Les preuves de notre foi sont mieux placées, quand nous traitons avec ceux qui ne savent pas les choses. Lorsqu'il s'agit des forces naturelles, du libre arbitre, de
1. Le concile de Diospolis.
toute grâce de Dieu et de la grâce quotidienne, quel catholique, fidèle à la vérité, ne trouverait beaucoup à dire? Que Pélage anathématise donc ce qu'il a pensé, afin que ceux qui ont été trompés par ses enseignements connaissent sur ces matières la vraie foi devenue enfin la sienne. Ils reviendront plus facilement s'ils apprennent que l'auteur même de cette erreur l'a condamnée. S'il persiste opiniâtrement dans cette impiété, il importe d'aller au secours des chrétiens induits dans une erreur qui n'est pas la leur, mais bien plus la sienne : il ne faudrait pas que les remèdes et les soins qu'il s'obstinerait à repousser fussent à jamais inutiles aux hommes trompés par ses discours. Et d'une autre main. Que Dieu vous garde en bonne santé, très-chers frères ! Donné le sixième jour des calendes de février, après le VIIe consulat du très-glorieux Théodose et le Ve de Junius Quartus Palladius.
|