LETTRE CXCVII
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE CXCVII. (Année 419.)

 

Hésychius, évêque de Salonne en Dalmatie, s'était adressé à saint Augustin pour l'interprétation de certains endroits de l'Ecriture sur la fin du monde ; l'évêque d'Hippone lui envoie des explications tirées de saint Jérôme et lui dit que la seule chose certaine sur la fin des temps, c'est qu'elle n'arrivera pas avant que l'Evangile soit prêché par toute la terre.

 

AUGUSTIN AU BIENHEUREUX SEIGNEUR HÉSYCHIUS.

 

1. Je réponds enfin à votre sainteté par le retour de votre fils Cornutus, mon collègue dans le sacerdoce, qui m'a apporté la lettre que votre révérence a bien voulu m'écrire

je vous rends avec respect le salut qui vous est dû, bienheureux seigneur et frère, et je me recommande beaucoup à vos prières si agréables à Dieu. Vous voulez que je vous écrive quelque chose sur certains passages des Prophètes; il me paraît meilleur d'envoyer à votre béatitude les explications qu'en a données le saint et très-savant homme Jérôme, et que peut-être vous n'avez pas. Si vous connaissez déjà ces explications et qu'elles ne vous satisfassent point, je demande que vous preniez la peine de me dire le jugement que vous en portez, comment vous comprenez vous-même ces oracles prophétiques. Je crois, moi, qu'il faut surtout entendre du temps déjà passé les semaines de Daniel ; car je n'ose pas compter les temps qui nous séparent du second avènement du Sauveur, et je ne pense pas qu'aucun prophète ait marqué le nombre des années qui doivent s'écouler avant la fin : il faut s'attacher de préférence à cette parole du Seigneur « Personne ne peut connaître les temps que le « Père a mis en sa puissance (1).

2. Le Seigneur a dit dans un autre endroit : « Personne ne sait ni le jour ni l'heure (2) ; » il y a des personnes qui concluent de ce passage qu'on pourrait donc calculer les temps, et que c'est seulement le jour et l'heure que nul ne peut savoir. Je me dispense de dire comment les Ecritures ont coutume de prendre le jour et l'heure pour le temps; mais il est certain que ces paroles s'appliquent à l'ignorance des temps. Interrogé là-dessus par ses disciples, le Seigneur répondit : « Personne ne peut connaître les temps que le Père a mis en sa puissance. » Jésus-Christ ne dit pas : le jour ou l’heure, il dit : « les temps ; » ce qui ne peut

 

1. Act. I, 7. — 2. Matth. XXIV, 26.

 

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pas signifier un court espace comme la durée d'un jour ou d'une heure, surtout si nous faisons attention au sens de l'expression grecque traduite dans notre langue. Les mots latins n'ont pas pu reproduire le texte original avec une parfaite exactitude, car on lit ici dans le grec : Kronous e xairous. Nous traduisons ces deux mots par les temps, quoiqu'il y ait entre les deux termes une différence de sens qu'il ne faille pas négliger. Les Grecs appellent  xairous, certains temps, non pas de ceux qui s'écoulent dans le cours des âges, mais les temps où il convient de faire ou de ne pas faire quelque chose : comme la moisson, la vendange, la chaleur, le froid, la paix, la guerre et autres choses semblables. Kronous  désigne le cours des temps.

3. Quand les apôtres interrogèrent Notre-Seigneur, ce ne fut pas assurément pour connaître le dernier jour ni la dernière heure du monde; mais ils lui demandèrent si c'était alors le temps opportun où le royaume d'Israël serait rétabli. Et voici la réponse du Sauveur : « Personne ne peut connaître les temps que le « Père a mis en sa puissance. » Le texte grec porte : Kronous e xairous  . Si on avait traduit en latin par des mots qui signifiassent les temps ou ce qui vient à temps, on n'aurait pas rendu exactement le sens de ces deux mots; car le mot xairoi s'entend également de ce qui vient à temps ou à contre-temps. Je crois donc que calculer les temps Kronous, pour savoir la fin du monde ou l'avènement du Seigneur, ce serait vouloir connaître ce que Jésus-Christ lui-même a dit que personne ne pouvait savoir.

4. Pour ce qui est du temps marqué, il n'arrivera pas avant que l'Evangile soit prêché au monde entier pour servir de témoignage à toutes les nations. Rien de plus clair que cette parole du Sauveur: « Cet Evangile sera prêché à toute la terre pour servir de témoignage à toutes les nations, et alors la fin viendra (1). » Alors la fin viendra; n'est-ce pas dire qu'elle ne viendra pas avant? Combien de temps viendra-t-elle après? C'est là une chose incertaine. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle n'arrivera pas auparavant. Si des serviteurs de Dieu entreprenaient de parcourir l'univers pour se rendre compte de ce qui reste de nations auxquelles l'Evangile n'a pas été annoncé, nous pourrions nous faire quelque idée des temps qui s'écouleront d'ici à la fin. Mais si, à cause de tant de

 

1. Matth. XXIV, 14.

 

lieux inaccessibles et barbares, un pareil projet est inexécutable; s'il est impossible d'apprendre avec exactitude combien il y a encore de nations sans l'Evangile du Christ; je crois beaucoup moins aisé de découvrir dans les Ecritures quel espace de temps nous sépare de la fin du monde, puisque nous lisons dans les saints Livres : « Personne ne peut connaître les temps que le Père a mis en sa puissance. » Ainsi, lors même qu'on viendrait nous apprendre d'une manière certaine que l'Evangile a été prêché à toutes les nations, nous ne pourrions pas dire ce qui reste de temps avant la fin, nous ne pourrions que penser que la fin approche de plus en plus. On nous répondra peut-être qu'il a fallu peu de temps pour prêcher l'Evangile aux nations romaines, à la plupart des nations barbares, que la conversion de quelques-unes d'entre elles à la foi du Christ a été prompte, et qu'il est permis de croire que d'ici à peu d'années, l'Evangile aura pénétré partout; on pourra nous dire que, nous qui sommes déjà vieux, nous ne le verrons point, mais que ceux qui sont aujourd'hui jeunes le verront quand ils seront parvenus à la vieillesse. Mais il sera plus facile de montrer cela quand ce sera fait, qu'il ne l'est de le découvrir dans les saintes Ecritures, avant que cela arrive.

5. Voilà ce que j'ai été obligé de dire au sujet de l'opinion d'un certain commentateur que le prêtre Jérôme accuse aussi de témérité pour avoir osé prétendre que les Semaines de Daniel concernent le second avènement du Christ et non pas le premier. Si en considération de vos mérites, Dieu révèle ou a révélé quelque chose de meilleur à la sainte humilité de votre âme, je vous demande de vouloir bien me le communiquer : recevez cette réponse comme celle d'un homme qui aimerait mieux savoir que d'ignorer les choses que vous m'avez demandées; mais parce que je n'ai pas pu les pénétrer encore, je préfère avouer mon ignorance que d'enseigner ce qui ne serait pas la vérité.

 

 

 

 

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