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LETTRE CCXXIX. (Année 429.)
Darius, personnage important de la cour impériale, fut le négociateur qui réconcilia le comte Boniface avec l'impératrice Placidie; il obtint des vandales une trêve qui, malheureusement, ne fut pas longue. C'est à l'occasion de cette paix, accueillie en Afrique avec tant de joie, que saint Augusutin écrivit à Darius la lettre suivante.
AUGUSTIN A SON ILLUSTRE ET MAGNIFIQUE SEIGNEUR, A DARIUS, SON TRÈS-CHER FILS EN JÉSUS-CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. Je sais par mes saints frères et collègues Urbain et Novat quel homme vous êtes : l'un vous a vu à Hilari, du côté de Carthage, et récemment encore à Sicca; l'autre, à Sétif. Grâce à eux, je ne puis plus dire que je ne vous connais pas. Quoique mes infirmités et le froid des ans ne m'aient pas permis de m'entretenir avec vous, je ne puis pas dire que je ne vous ai jamais vu. Les paroles de l'un, quand il a daigné venir vers moi, et une lettre de l'autre m'ont bien montré, non point votre visage, mais la face de votre âme: je vous ai vu d'une façon d'autant plus douce qu'elle a été plus intérieure. Vous avez la joie de retrouver, et nous retrouvons avec vous, comme dans un miroir, cette face intérieure de vous-même dans ce passage de lEvangile où Celui qui est la Vérité a dit : « Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu (1). » 2. Les hommes de guerre ont leur grandeur et leur gloire, non-seulement ceux qui sont les plus intrépides, mais encore, ce qui est plus vraiment digne de louange, ceux qui dans les combats se montrent les plus fidèles à leurs devoirs: sous la protection et avec le secours
1. Matth. V, 9.
de Dieu, ils domptent l'ennemi par leurs travaux et leur courage, et leurs efforts vainqueurs donnent la paix à la république et aux provinces. Mais il est plus glorieux de tuer la guerre par la parole que de tuer les hommes par le fer, et de gagner et d'obtenir la paix par la paix que par la guerre. Ceux qui combattent, s'ils sont bons, cherchent sans aucun doute la paix, mais ils la cherchent en répandant le sang; vous, au contraire, vous êtes envoyé pour empêcher que le sang de personne ne coule: une nécessité terrible est imposée aux autres; à vous est échue une félicité. C'est pourquoi, mon illustre et magnifique seigneur, mon très-cher fils en Jésus-Christ, réjouissez-vous de ce bien si grand et si véritable, et jouissez-en en Dieu, qui vous a fait ce que vous êtes et vous a confié de tels intérêts. Que le Seigneur confirme ce qu'il nous a fait par vous (1) ! Agréez ce salut et daignez y répondre. Mon frère Novat, d'après ce qu'il m'écrit, a voulu que votre excellence et votre sagesse me connût par quelques-uns de mes ouvrages. Si donc vous avez lu les livres de moi qu'il vous a donnés, moi aussi j'apparais à votre oeil intérieur. Ils ne vous auront pas beaucoup déplu si vous les avez lus avec plus de charité que de sévérité. Ce ne sera pas trop, mais ce sera un présent que je recevrai avec bien du plaisir, si vous m'écrivez une lettre en échange de celle-ci et des différents ouvrages de moi qui sont entre vos mains. Je salue avec l'amour que je lui dois ce gage de paix (2), que vous avez heureusement reçu de la bonté du Seigneur notre Dieu.
1. Ps. XLVII, 29. 2. Vérimodue, fils de Darius.
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