LETTRE CCLXV
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE CCLXV.

 

Saint Augustin répond à une dame chrétienne qui lui avait signalé les opinions d'un novatien qu'elle connaissait; la secte farouche des novatiens n'admettait pas à la pénitence après le baptême. On sait que le chef de cette secte fut un prêtre ambitieux et fanatique qui se déclara contre l'élection de saint Corneille; l'antipape Novatien n'avait pas de génie et a laissé peu de traces.

 

AUGUSTIN ÉVÊQUE A SÉLEUCIENNE, PIEUSE ET HONORABLE SERVANTE DE DIEU DANS L'AMOUR DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Je me réjouis des bonnes nouvelles que vous me donnez de votre santé, et je réponds sans retard à ce qui fait le sujet de votre lettre. Et d'abord j'admire que ce novatien puisse prétendre que saint Pierre n'a pas été baptisé, puisque, d'après ce que vous m'aviez écrit auparavant, il disait que les apôtres avaient été baptisés. Je ne sais pas comment il compte établir que saint Pierre seul ne l'aurait pas été; c'est pourquoi je vous envoie une copie de votre lettre, dans la crainte que vous n'en ayez point : faites attention que je réponds à ce que votas m'avez envoyé; si celui qui a écrit sous votre dictée n'a pas mal compris ou s'il n'a pas inexactement écrit, j'ignore comment le même homme peut dire que les apôtres ont été baptisés et que saint Pierre ne l'a pas été.

2. En ce qui touche la pénitence de saint Pierre, il faut prendre garde de croire que l’Apôtre l'ait faite à la manière de ceux qu'on appelle proprement des pénitents dans l'Eglise. Qui souffrira qu'on mette sur la même ligne le prince des apôtres ? Il se repentit d'avoir renié le Christ , comme le témoignent ses larmes ; il est écrit qu'il pleura amèrement (1). Mais alors les apôtres n'avaient pas encore été affermis par la résurrection du Seigneur et par la descente du Saint-Esprit qui vint le jour de la Pentecôte; Jésus-Christ n'avait pas encore soufflé sur leur face comme il le fit après sa résurrection, quand il leur dit : « Recevez le Saint-Esprit (2). »

3. Il pourrait donc être dit avec vérité que les apôtres, lorsque Pierre renia le Christ, n'étaient pas baptisés ; car ils avaient reçu le baptême de l'eau mais non le baptême de l'Esprit-Saint. C'est ce que leur disait Notre-Seigneur, conversant avec eux après sa résurrection : « Jean baptisé dans l'eau, mais,

 

1. Matth. XXVI, 75. —  2. Jean, XV, 2.

 

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quant à vous, vous serez baptisés dans le Saint-Esprit : vous ne tarderez pas à le recevoir (1). » On lit dans quelques exemplaires : « Quant à vous, vous commencerez d'être baptisés dans le Saint-Esprit; » mais qu'on dise: « vous serez baptisés, » ou bien : « vous commencerez d'être baptisés, » cela ne fait rien à la chose. D'après le texte grec, il est facile de reconnaître que c'est en des manuscrits défectueux qu'on trouve ces mots : « vous baptiserez, » ou bien: « vous commencerez de baptiser. » Mais si nous disons que les apôtres n'ont pas reçu le baptême de l'eau, il est à craindre que nous ne nous trompions gravement à leur égard : nous courons risque d'autoriser les hommes à mépriser le baptême, ce qui serait tout à fait contraire aux sentiments et à la pratique des apôtres; car le centurion Corneille et ceux qui étaient avec lui furent baptisés, même après avoir reçu le Saint-Esprit (2).

4. De même que les justes des premiers temps, qui pouvaient ne pas se faire circoncire, ne le pouvaient plus sans un péché grave après que la circoncision fut prescrite à Abraham et à sa postérité; de même, après que Notre-Seigneur Jésus-Christ a substitué dans son Eglise le baptême à la circoncision et qu'il a déclaré que nul n'entrera dans le royaume des cieux s'il n'a été régénéré par l'eau et le Saint-Esprit (3), nous ne devons pas demander quand tel ou tel élu a été baptisé; toutes les fois que l'Ecriture nous parle de quelque membre du corps du Christ , c'est-à-dire de l'Eglise , comme appartenant au royaume des cieux, nous devons croire qu'il a reçu le baptême : il n'y a d'exception que pour ceux qui, sans avoir reçu l'eau régénératrice, donneraient leur vie pour Jésus-Christ, et dans ce cas le martyre leur tiendrait lieu de baptême. Pouvons-nous dire cela des apôtres qui, ayant donné tant de fois le baptême, ont eu bien le temps de le recevoir eux-mêmes? Mais tout ce qui a été fait ne se trouve pas écrit; ce qui n'empêche pas qu'on n'en reconnaisse la vérité d'après d'autres témoignages. Les Livres saints parlent du baptême de saint Paul (4) et ne parlent pas du baptême des autres apôtres; ceux-ci furent baptisés pourtant, et nous ne saurions en douter. Les Livres saints nous marquent le baptême des peuples de Jérusalem et de la

 

1. Act.I, 5. — 2. Act. X, 48. — 3. Jean, III, 5. — 4. Act. IX, 18.

 

Samarie (1), et ne disent rien du baptême des gentils auxquels les apôtres ont adressé leurs épîtres. Néanmoins, qui oserait nier que ces gentils aient été baptisés, à cause de cette parole du Seigneur : « Celui qui n'aura pas été régénéré par l'eau et par l'Esprit-Saint, n'entrera pas dans le royaume des cieux? »

5. Il est écrit de Notre-Seigneur qu'il'« baptisait plus de disciples que Jean, » et il est écrit aussi « que ce n'était pas lui qui baptisait, mais ses disciples : » par là nous comprenons que le baptême était donné par l'action de sa majesté divine, mais non pas de ses propres mains. Le sacrement était de lui, et ses disciples en étaient les ministres. Saint Jean dit dans son Evangile : « Après cela Jésus vint avec ses disciples dans la terre de Judée, et il y demeurait avec eux, et il baptisait; » le même Apôtre dit un peu plus bas : « Lors donc que Jésus eut appris que les pharisiens savaient qu'il baptisait beaucoup de disciples, et qu'il en baptisait plus que Jean (quoique ce ne fût pas Jésus lui-même qui baptisât, mais ses disciples), il quitta la Judée et s'en alla de nouveau en Galilée (2). » Donc Jésus en Judée ne baptisait point par lui-même, mais par ses disciples. Or ceux-ci avaient déjà reçu le baptême de Jean, comme quelques-uns le pensent, ou, ce qui est plus probable, le baptême du Christ; car il ne faut pas croire que Notre-Seigneur ait dédaigné de baptiser lui-même ses serviteurs qui devaient baptiser les autres, lui qui donna une si grande marque d'humilité en lavant les pieds à ses apôtres, et qui répondit à Pierre lui demandant de lui laver non-seulement les pieds, mais encore les mains et la tête : « Celui qui sort du bain n'a plus besoin que de laver ses pieds, il est pur dans tout le reste du corps (3): » ce qui fait entendre que saint Pierre était déjà baptisé.

6. D'après ce que je trouve dans votre lettre, ce novatien prétendrait que les apôtres ont donné la pénitence au. lieu du baptême; cela ne me semble pas clair. S'il entend par là que les péchés sont remis par la pénitence, il y a quelque raison dans ce qu'il dit : une semblable pénitence peut être utile après le baptême, si on a péché. Mais, selon ce que vous m'avez écrit, il n'admet la pénitence qu'avant le baptême et, d'après son sentiment, les apôtres

 

1. Act. II, 41; VIII, 12.

2. Jean, III, 22 et IV, 1. 3. — 3. Ibid. XIII, 10.

 

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auraient substitué la pénitence à la régénération baptismale, de sorte que, les péchés une fois effacés par la pénitence, il n'y avait plus de baptême à conférer; il devenait inutile. Mais je n'ai jamais ouï dire que telle fût la doctrine des novatiens. Informez-vous soigneusement si, tout en disant ou en croyant qu'il est novatien, votre homme n'appartiendrait pas à quelque autre erreur. J'ignore donc si les novatiens en sont là; mais ce que je sais bien, c'est que quiconque soutient une telle opinion s'écarte tout à fait de la règle de la foi catholique, de la doctrine du Christ et des apôtres.

7. Les hommes, avant leur baptême, font pénitence de leurs péchés; mais cette pénitence prépare au baptême et ne le remplace pas. Saint Pierre dit aux juifs dans les Actes des Apôtres : « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur  Jésus-Christ; et vos péchés vous seront remis (1). » Les hommes font aussi pénitence, si, après leur baptême, ils ont péché de façon à être retranchés de la communion et à avoir besoin d'être réconciliés ce sont ceux-là qu'on appelle proprement des pénitents dans toutes les Eglises. L'apôtre Paul a parlé de cette sorte de pénitence lorsqu'il a dit : « Je crains que Dieu ne m'humilie de nouveau lorsque j'arriverai au milieu de vous, et que je n'aie à en pleurer plusieurs qui, après avoir péché, n'ont pas fait pénitence des impuretés, des impudicités et des fornications qu'ils ont commises (2). » Saint Paul n'écrivait ces choses qu'à ceux qui étaient déjà baptisés. Simon, dont nous parlent aussi les Actes des Apôtres, était déjà baptisé, lorsque, coupable d'avoir voulu, avec de (argent, acheter le don de faire descendre l'Esprit-Saint par l'imposition des mains, il entendit l'apôtre Pierre lui dire : « Fais pénitence d'un si grand péché (3). »

8. Il y a encore la pénitence quotidienne des bons et humbles fidèles; nous y disons en frappant notre poitrine : « Pardonnez-nous nos offenses , comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (4). » Les offenses dont nous demandons ici le pardon ne sont pas celles qui, nous n'en doutons pas, ont été effacées par le baptême ; ce sont des fautes, petites il est vrai , mais fréquentes, qui tiennent à la fragilité humaine. Si ces fautes, n'étant pas remises, s'amassaient contre nous devant Dieu , elles nous chargeraient et nous

 

1. Act. II, 38. — 2. II Cor. XII, 21. — 3. Act. VIII, 22. — 4. Matth. VI,12.

 

écraseraient comme quelque grand péché. Qu'importe, pour le naufrage, que ce soit une grande vague qui vous enveloppe et vous engloutisse, ou que ce soit une eau peu à peu amassée dans la sentine, et, à la suite d'une longue négligence , grossissant jusqu'à submerger le vaisseau? Notre vigilance contre ces sortes de péchés doit s'exercer par le jeûne, l'aumône et la prière, et quand nous demandons à Dieu de nous pardonner nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, nous faisons voir qu'il y a en nous quelque chose à effacer; l'humiliation infligée à nos âmes dans ces paroles est pour nous une sorte de pénitence de tous les jours. Je crois avoir, malgré ma brièveté, répondu suffisamment à voire lettre; il me reste à désirer que celui au profit duquel vous m'avez demandé de vous écrire ne prolonge pas son erreur par l'esprit de contention.

 

 

 

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