CRESCONIUS II

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LIVRE DEUXIÈME : NE PAS RÉITÉRER LE BAPTÊME. 

 

Saint Augustin continue à réfuter la lettre de Cresconius. Après avoir concédé que ses adversaires peuvent être appelés Donatiens plutôt que Donatistes, il soutient avant tout qu'ils sent réellement hérétiques, qu'on ne doit pas néanmoins leur réitérer le baptême quand ils rentrent dans le sein du catholicisme, et que l'Eglise peut même conserver à leurs clercs les honneurs dont ils jouissaient, si elle le trouve utile au bien général. Le saint Docteur établit ensuite que la charité est un don conféré exclusivement par l'Eglise ; enfin il répond à la doctrine de saint Cyprien sur la réitération du baptême aux hérétiques.

 

I. Peut-être le livre précédent vous a-t-il paru trop long; je crois du moins vous avoir prouvé clairement que vos évêques ne méritent ni applaudissement ni éloge quand ils refusent de discuter avec nous la cause qui nous divise. S'appuyant sur je ne sais quelle prescription, ils se croient en toute sûreté dans ces coupables opinions, qu'il m'a été facile de réfuter en invoquant les raisons les plus solides, et surtout certains exemples empruntés à la sainte Ecriture. Fort de la doctrine des saints prédicateurs et des défenseurs de la vérité, je n'ai pas craint d'attaquer en face mes adversaires, sans distinction de peuples ou de races, qu'ils fussent Africains ou étrangers. J'ai tenu surtout à dissiper ces craintes imaginaires dont vous faites de vains fantômes pour effrayer les simples quand vous les soulevez contre ceux qui, dites-vous, font un métier de la dialectique. J'ai montré toute l'injustice qu'il y aurait à flétrir du nom de chicaneur tout prédicateur zélé, tout dissertateur infatigable qui, selon le précepte de l'Apôtre, insiste à temps et à contre-temps (1), dans le but unique de réduire au silence tous ses contradicteurs, de réfuter les ergoteurs (2), de corriger les indécis, de consoler les pusillanimes et de soutenir les faibles a. C'est dans ce but qu'ils s'opposent à tous les impiètements de l'erreur, défendent patiemment la parole du salut évangélique et proclament la vérité avec une admirable assurance. J'ai prouvé également qu'en vous concédant la possession du baptême, nous n'admettions nullement que ce fût à vous qu'on dût s'adresser pour recevoir le baptême, car nous disons, au contraire, que vous né le possédez et ne le conférez que pour votre condamnation. En effet, plus sont saintes les choses dont les méchants peuvent se servir, plus, quand ils s'en servent, elles leur deviennent

 

1. II Tim. IV, 2. —  2. Tit. I, 9-11. — 3. I Thess. V, 14.

 

inutiles et nuisibles. Quand donc ces hérétiques rentrent dans le sein de l'Eglise, on doit avant tout corriger leurs erreurs, mais personne n'a le droit de violer ce que les méchants eux-mêmes ne peuvent changer.

II. Je veux maintenant, Cresconius, vous prouver en quelques mots que votre lettre n'offre de la mienne aucune réfutation sérieuse, sauf toutefois que vous m'y donnez une leçon d'étymologie ou de déclinaison. Ainsi, les disciples de Donat, j'aurais dû les appeler Donatiens plutôt que Donatistes. Cependant, vous avouez qu'à s'en tenir à la déclinaison grecque, on pourrait faire dériver le mot Donatiste de Donat, comme le mot évangéliste a pour étymologie le mot Evangile; et même cette interprétation vous sourit, parce qu'elle vous rapproche étymologiquement des prédicateurs de l'Evangile. Mais ne pourriez-vous pas remarquer que ce sont peut-être vos coréligionnaires qui ont voulu s'appeler Donatistes, parce que, pour eux, il n'y a guère d'autre Evangile que Donat lui-même? Ils ont pour Donat autant d'attachement que les saints en ont pour l'Evangile, et voilà pourquoi ils sont si heureux de ce titre de Donatistes, aussi heureux que s'ils étaient Evangélistes. Vous leur faites donc injure quand vous soutenez que, d'après les règles de la langue latine, on doit les appeler Donatiens, de Donat, comme on a appelé Ariens et Novatiens les disciples d'Arius et de Novatus. Au moment où j'écrivais, le nom de Donatistes était devenu public, je ne sais par quel moyen, et je n'ai rien voulu changer, car le nom, du reste, importait peu à la distinction que je voulais établir. Démosthène, le plus illustre des orateurs, et qui surveillait ses paroles avec autant de soins que nos auteurs en apportent pour expurger leurs idées, s'entendit un jour reprocher par Eschine une expression insolite ; ce grand (378) homme répondit aussitôt que la fortune de la Grèce ne dépendait pas de l'emploi de telle ou telle expression, de tel ou tel geste'. Combien moins devons-nous nous préoccuper des règles des dérivés, quand l'important est de nous faire bien comprendre ! Du reste, nous n'aspirons pas précisément à la perfection du langage, mais à la démonstration de la vérité. Que quelqu'un des nôtres ait quelque peu dénaturé le nom, c'est possible, mais je suis persuadé qu'il ne pensait guère à l'expression d'évangélistes, dérivant du mot Evangile. Bien plutôt, se rappelant non-seulement ce Donat de Carthage qui fut le principal promoteur de l'hérésie, mais surtout Donat de Cases-Noires, qui éleva dans la même ville autel contre autel et devint ainsi l'objet d'un affreux scandale, peut-être crut-il devoir appeler les disciples de Donat Donatistes, comme on appelle scandalistes les fauteurs de, scandale.

III. Mais comme cette question de pure étymologie n'est d'aucun intérêt pour la cause qui s'agite entre nous, je veux bien me montrer très-facile, et quand je discute avec vous, me servir exclusivement du mot Donatien. Mais quand j'ai affaire à d'autres, je préfère l'autre expression qui est la plus ordinaire, et peut-être aussi la plus fondée. Toutefois souvenez-vous que, malgré le brevet d'éloquence que vous m'avez décerné, je ne sais pas encore décliner les noms, et dites à vos partisans, pour les rassurer, qu'ils n'ont rien à craindre d'un dialecticien qui a besoin, avant tout, de savoir sa grammaire. Maintenant, donnez le nom de dialectique à ce que vous voudrez; le premier point à observer dans une discussion, c'est que peu importe le nom quand on est d'accord sur la chose. De même, si je n'ambitionne pas le titre de dialecticien, du moins je ne néglige rien pour me rendre capable de discuter, c'est-à-dire, de distinguer, dans mon langage, la vérité du mensonge ; car, faute de ce soin, je m'exposerais à tomber dans les plus graves erreurs. Mais d'un autre côté je m'inquiète peu de savoir si, d'après les règles de la littérature et de l'élégance, on doit dire Donatistes ou Donatiens, ou si l'on doit mettre une distinction entre ce Donat qui le premier a sacrifié hors de l'Eglise, ou celui qui a été le fauteur principal de ce schisme, ou Majorin qui le premier a été

 

1. Discours pour Ctésiphon, contre Eschine.

 

sacré évêque par vos partisans pour l'opposer à Cécilianus. Pour ne vous laisser aucune illusion sur le but que je me propose, je vous déclare que mon dessein est de prouver que . vous êtes des hérétiques avec lesquels on ne doit avoir aucune communion ; et si, pour prouver ce que j'avance, je ne déployais pas tous les efforts possibles, je faillirais à mon devoir et me rendrais coupable d'une négligence horriblement criminelle.

IV. Vous prétendez qu'il ne s'agit entre nous que d'un schisme et non d'une hérésie; et, faisant ce que beaucoup de dialecticiens ne font pas d'ordinaire, vous procédez par voie de définitions. Je ne puis mieux montrer jusqu'à quel point vos arguments plaident en notre faveur qu'en citant vos propres paroles, telles que je les trouve dans votre lettre, « Que prétend-il », dites-vous, « en parlant de l'erreur sacrilège des hérétiques (1)? Il n'y a d'hérésies qu'entre ceux qui ne suivent pas la même doctrine, et on ne donne le nom d'hérétique qu'à celui qui embrasse une religion différente, ou interprétée différemment, comme sont les Manichéens, les Ariens, les Marcionites, les Novatiens et autres, qui professaient des opinions contraires à la foi chrétienne. Puisque nous avons tous le même Christ, né, mort, ressuscité, la même religion, les mêmes sacrements, les mêmes observances chrétiennes, il ne peut être question que de schisme et non pas d'hérésie. En effet, on appelle hérésie la secte de ceux qui professent une doctrine opposée, tandis que le schisme n'est que la séparation de ceux qui croient aux mêmes vérités. Ce n'est donc que par un coupable désir d'incriminer que vous appelez hérésie ce qui n'est réellement qu'un schisme ». Telles sont les expressions que je trouve dans votre lettre.

V. Remarquez, je vous prie, car je n'ose vous supposer une aveugle obstination, que dans ce rapide résumé, vous terminez le dé- E bat qui s'agite entre nous. S'il n'y a pour vous et pour nous qu'un seul et même Christ, né, mort et ressuscité, qu'une seule et même religion, et les mêmes sacrements ; s'il n'y a aucune différence dans les observances chrétiennes, dites-moi, n'est-ce pas un crime de réitérer le baptême ? Vous énumérez trois caractères, dont un seul suffirait à la rigueur,

 

1. Liv. 1, contre la lettre de Pétilianus, n. 1.

 

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Mais vous posant en quelque sorte en loyal adversaire des Donatiens, craignant qu'un esprit subtil n'interprétât mal votre pensée, si vous ne l'exprimiez qu'une fois et par un seul mot, voulant, au contraire, la rendre évidente pour les intelligences les plus obtuses et pour les coeurs les plus insensibles, vous insistez et vous dites: « Une seule religion, les mêmes sacrements, aucune différence dans les observances chrétiennes ». Et nous pouvons encore nous combattre réciproquement ? Etouffez donc vos dissensions, cessez cette guerre, et aimez la paix. Que réprouvez-vous? Pourquoi ce souffle nouveau? pourquoi baptiser de nouveau ? Nous avons « la même religion, les mêmes sacrements, les mêmes observantes ». En effet, si le baptême n'est pas le même pour vous et pour nous, comment pouvons-nous avoir une seule et même religion ? Puisque vous affirmez que nous n'avons qu'une seule religion, nous n'avons donc qu'un seul et même baptême. Et quant aux sacrements, n'avez-vous pas dit que nous avons les mêmes? Nous n'avons donc qu'un seul et même baptême. Enfin, si notre -baptême est différent du vôtre, comment pouvez-vous dire qu'il n'y a aucune différence dans les observances chrétiennes? Cependant vous l'avez dit, le baptême n'est donc pas différent pour vous et pour nous. C'est donc parce que nous ne reconnaissons aucune différence quant au baptême, que nous n'inspirons pas un souffle nouveau et que nous ne réitérons pas le baptême; loin de là, nous le reconnaissons, nous le recevons, nous l'acceptons. N'est-ce donc pas une impiété de notre part de ne -vouloir ni reconnaître, ni recevoir, ni accepter un sacrement dont vous proclamez l'unité et la similitude parfaite, et de pousser la témérité et l'inconséquence jusqu'à le condamner quand il est donné par nous, et jusqu'à soutenir qu'il doit être réitéré ? Ainsi vous repoussez ce que nous recevons sans y avoir produit aucun changement; ainsi, quand vous donnez le baptême, nous le regardons comme réellement  conféré; au contraire, si c'est nous qui le donnons, vous le regardez comme radicalement nul. En suivant des principes aussi différents, pouvez-vous vous étonner que nous vous gratifiions du titre d'hérétiques?

VI. Pesez avec soin vos paroles et les miennes. Avec toute la majesté d'une définition  vous dites de l'hérésie « que c'est la secte de ceux qui suivent des doctrines différentes, et que le schisme est la séparation de ceux qui professent la même croyance ». Vous dites également « qu'entre vous et nous il « n'y a qu'une seule et même religion, les « mêmes sacrements, sans qu'on puisse signaler aucune diversité dans les observances chrétiennes ». Pourquoi donc réitérez-vous le baptême à un chrétien, quand moi, je soutiens que ce sacrement ne saurait être réitéré? N'est-il pas évident que nous professons une doctrine différente? Pourquoi donc ne voulez-vous pas qu'on vous appelle hérétiques ? Voici des hommes qui avouent qu'entre eux et nous il n'y a qu'une seule et même religion, les mêmes sacrements, les mêmes observances chrétiennes, et cependant ils nous refusent impitoyablement la qualité de chrétiens; pouvaient-ils nous prouver d'une manière plus évidente qu'ils sont réellement hérétiques? Cette obstination que vous apportez dans la dispute, cette opposition que vous faites à la vérité, n'ont-elles donc pour vous d'autre but que de séparer le baptême de la religion, des sacrements, des observances chrétiennes? S'il en est ainsi, j'affirme que par cela même que vous séparez le baptême de la religion, des sacrements, de là discipline chrétienne, vous êtes véritablement hérétiques. Mais, direz-vous, nous ne séparons nullement le baptême de la religion; soit, mais alors je vous accuse d'hérésie, dans la prétention que vous avez de réitérer le baptême à ceux qui ont avec nous une seule et même religion, les mêmes sacrements, la même discipline. Pesez donc attentivement les termes de votre définition : « L'hérésie est

la secte de ceux qui embrassent une doctrine différente » ; voyez si vous ne suivez pas une doctrine différente, soit que volis sépariez. le baptême de l'observance religieuse des sacrements chrétiens, au nombre desquels nous plaçons nécessairement le baptême, soit que vous souteniez contre nous la nécessité de réitérer le baptême à ceux mêmes qui reconnaissent avec vous l'unité du baptême dans l'observance religieuse des sacrements chrétiens. Quelle que soit l'opinion que vous adoptiez, nous les repoussons toutes deux avec horreur.

VII. Voici le triste spectacle que nous avons quelquefois sous les yeux. Tel de nos fidèles (380) s'est laissé prendre à leurs perfides séductions; quoiqu'il ait été baptisé dans nos rangs, ils soutiennent qu'il n'a pas encore été chrétien, lui inspirent le souffle sacramentel, comme s'il était encore païen, et le mettent au rang des catéchumènes pour le préparer à recevoir une nouvelle onction ou plutôt à détruire celle qu'il a reçue. Que ne puis-je alors me transporter au milieu d'eux, leur présenter votre lettre et leur en lire tel ou tel passage! Je m'écrierais de toute la force de ma voix Que faites-vous donc? Tenez, écoutez, voyez, lisez; il n'y a entre vous et nous qu'une seule et même religion, les mêmes sacrements, les mêmes observances chrétiennes; demandez d'abord au nom de qui ce chrétien a été baptisé, et si dans votre baptême vous pouvez prononcer un nom d'une plus haute excellence, baptisez-le. A ces paroles, si toutefois l'évidence né les frappait point d'une terreur silencieuse, ils auraient recours à ce moyen de défense dont ils admirent l'esprit et la puissance : Quel est, demanderaient-ils, celui d'entre nous dont vous produisez la lettre ? C'est un simple laïque; en voulant nous condamner, il se condamne lui-même. Et s'il m'était donné d'assister à cette épreuve, me tournant vers vous, je vous dirais : Vous, du moins, dites-nous, je vous prie, ce que font ces hommes. Voilà qu'ils se disposent à réitérer le baptême à un homme qui a déjà reçu le baptême parmi nous. Est-il donc vrai qu'entre vous et nous il n'y a qu'une seule et même religion, les mêmes sacrements, les mêmes observances chrétiennes? Répondriez-vous : Mais le baptême de Jésus-Christ n'est pas la religion, n'est pas un sacrement, n'est pas une observance chrétienne ? Que Dieu vous préserve d'une semblable démence ! Que me répondriez-vous donc ? Il n'y a entre vous et nous qu'une seule et même religion ; or, ceux quine reconnaissent pas l'unité du baptême, n'ont pas une seule et même religion ; donc il n'y a pour vous et pour nous qu'un seul et même baptême. Les sacrements sont les mêmes pour vous et pour nous; or, ceux qui n'ont pas le même baptême n'ont pas les mêmes sacrements; donc le baptême est le même pour vous et pour nous. Nous avons, vous et nous, les mêmes observances chrétiennes; or, ceux pour qui le baptême n'est pas le même, n'ont pas les mêmes observances ; donc le baptême ne saurait être différent pour vous et pour nous. Pourquoi désapprouver ce qui est une seule et même chose pour tous? Pourquoi renier ce qui est une seule et même chose? Pourquoi réitérer ce qui ne présente aucune différence?

VIII. Contre ces instances de ma part, quelles tergiversations m'opposeriez-vous? A votre lettre ils répondraient en déversant leur mépris sur les grammairiens; vous répondriez vous-même à la mienne en accusant les dialecticiens. Mais des deux côtés la vérité triompherait des hérétiques, en leur prouvant que, dès lors qu'une opinion dresse contre nous le drapeau de la révolte, on peut être assuré que c'est une opinion perverse. Nous connaissons nos sacrements et nous corrigeons ce que nous trouvons d'erroné dans les autres ; de votre côté, vous reconnaissez les mêmes sacrements et vous les réitérez à cause de leur prétendue nullité, et vous ne craignez point, par cette flagrante diversité, de condamner ce qui vous paraît absolument identique chez vous et chez les autres.

IX. J'approuve qu'on distingue le schisme et l'hérésie en disant que le schisme est une division fondée sur la diversité d'opinions entre ceux qui jusque-là ne formaient qu'une seule société; n'est-il pas évident qu'il ne peut y avoir de division qu'autant qu'on suit un ; parti opposé? Quant à l'hérésie, elle ne serait autre chose qu'un schisme invétéré. Or, puisque c'est à cela que tendent vos définitions, il importe peu que, dans votre pensée et celle de vos partisans, je vous regarde comme des schismatiques plutôt que comme des hérétiques. En effet, si c'est faire schisme que de se séparer de ceux avec lesquels on avait une seule et même religion, les mêmes sacrements, les mêmes pratiques chrétiennes, j'en conclus que vous n'en êtes que plus condamnables quand vous soutenez la réitération du baptême, car dans une seule et même religion, avec les mêmes sacrements, avec l'unité des observances chrétiennes, le baptême ne peut être ici différent de ce qu'il est ailleurs. D'un autre côté, puisqu'on ne saurait regarder comme nul ou indifférent le point sur lequel vous avez une opinion opposée à la nôtre; puisque vous avez rompu tout lien d'unité, et que cette séparation porte sur la réitération du baptême, on a bien le droit de vous appliquer votre propre définition: (381) « L'hérésie est la secte de ceux qui embrassent des doctrines différentes », et de conclure que vous êtes véritablement hérétiques et condamnés comme tels: hérétiques, puisque vous avez d'abord rompu avec nous et que vous suivez une doctrine opposée à la nôtre; condamnés et vaincus, puisque vous réitérez, comme radicalement nul, le baptême que nous conférons, quoique vous soyez contraints d'avouer que notre baptême et le vôtre ne sont absolument qu'un seul et même baptême. Voici vos propres paroles : « Entre vous et nous il n'y a qu'une seule et même religion, les mêmes sacrements, les mêmes observances chrétiennes ».

X. Si donc la secte de Donat souscrivait à votre lettre, et pesait attentivement, sans obstination préconçue et sans impudence, vos paroles et les miennes, elle n'aurait plus à nous opposer de difficultés d'aucune sorte. Mais puisque c'est à vous que je réponds, il me semble que vous comprenez parfaitement que ce n'est pas le besoin d'incriminer, mais uniquement celui de réfuter une erreur pernicieuse qui m'a dicté ces paroles : « L'erreur sacrilège des Donatistes hérétiques ». De ces quatre expressions, pour vous plaire ou pour me conformer à l'art grammatical, je corrige la première, et au lieu de Donatistes, je dis désormais Donatiens. Quant aux trois autres, comme vous en comprenez maintenant l'exacte vérité, c'est à vous de les corriger, à vous de les changer. Changez, dis-je, et corrigez « l'erreur sacrilège des hérétiques », s'appelassent-ils Donatiens ou autrement. En effet, il n'est que trop vrai que vous êtes hérétiques, soit parce que vous avez persévéré   dans un schisme invétéré, soit parce que, selon la teneur même de votre définition, vous professez des doctrines différentes sur l'Eglise, qui est le corps de Jésus-Christ, et sur la réitération du baptême catholique. Vous êtes également dans une erreur sacrilège, non-seulement parce que vous êtes séparés de l'unité chrétienne, mais aussi parce que vous violez et déchirez l'économie divine des sacrements, qui, d'après votre aveu, se trouvent partout exactement les mêmes. Si vous vous corrigez, si vous vous changez, comment donc pouvez-vous encore nous reprocher « de vous recevoir tels que vous étiez? » Et pourtant, malgré l'esprit qui vous distingue ; avec quelle complaisance, tant est irrésistible la puissance de l'habitude, ne nous accusez-vous pas « de recevoir, comme « ils étaient auparavant, ceux d'entre vous qui cc passent dans nos rangs? » Pour vous donner une apparence de raison, vous nous faites un crime d'approuver en eux la marque des chrétiens, quand nous ne l'approuvons que parce qu'ils ne l'ont ni altérée ni pervertie; vous oubliez donc que, quand il s'agit des sacrements, quoique vous ayez des opinions différentes des nôtres, vous êtes contraint d'avouer qu'ils sont partout les mêmes.

XI. Dites-moi, je vous prie, comment vous pouvez regarder comme étant toujours ce qu'il était auparavant, celui qui maintenant vénère l'Eglise qu'il blasphémait, celui qui s'attache à l'unité qu'il déchirait, celui qui a la charité qu'il n'avait pas, celui qui reçoit la paix qu'il repoussait, celui qui approuve le sacrement qu'il reniait? Toutes les vérités sont-elles donc tellement enfouies dans le mensonge, qu'on ne puisse regarder comme des hommes changés ceux qui ont modifié tout ce qu'il y avait en eux de contraire à la vérité, ceux qui ont déposé cette vanité criminelle qui leur faisait réitérer des sacrements qui sont partout essentiellement les mêmes? Dans une semblable matière, cessez donc ces appréciations, non-seulement charnelles, mais puériles, qui vous font croire que ceux que nous recevons restent ce qu'ils étaient parmi vous. Comprenez le changement qui doit s'opérer dans leur volonté, puisqu'ils passent de l'erreur à la vérité, du schisme à l'unité, de la dissension à la paix, de l'inimitié à la charité, de la présomption humaine à l'autorité des divines Ecritures; n'est-il donc pas évident qu'avant de nous appartenir ils ont dû rompre entièrement avec vous ? C'est cette conversion de la volonté qui a changé subitement, non-seulement le pécheur près de son comptoir (1), mais encore le larron sur la croix. En effet, vous ne direz pas, je pense, que Jésus-Christ aurait voulu s'associer dans son paradis un meurtrier et un scélérat que la conversion du coeur n'aurait pas rendu assez innocent pour qu'il pût le jour même passer du gibet et de la croix à l'immortelle récompense de la foi, après avoir accepté son supplice en expiation de son iniquité (2). Il suffit d'un instant à un homme pour se tourner vers le mal ou

 

1. Matt. IX, 9. — 2. Luc, XXII, 40-43.

 

382

 

vers le bien, mais dans cet instant il peut beaucoup mériter ou démériter. Ne suffit-il pas d'une seule blessure pour tuer la santé la plus prospère, comme il à suffi d'une seule parole au Sauveur' pour guérir une maladie qui existait depuis trente ans (1) ? Si c'est là-ce qui se passe dans les biens et dans les maux corporels et temporels, croyez donc aux faits les plus évidents et méprisez les vains sophismes. Quand vos partisans viennent à nous, ils sont entièrement changés et ne sont plus ce qu'ils étaient. Puissiez-vous faire de même ! et votre propre expérience vous convaincrait de la vérité de mes paroles.

XII. Vous vous applaudissez, comme d'une merveille, de nous avoir jeté le nom « de Candide de Villerois et celui de Donat de Macomédie qui, dites-vous, après avoir reçu de vous et exercé parmi vous l'épiscopat, ont joui parmi nous du même rang et de la même dignité », et sont ainsi parvenus à une vieillesse aussi fructueuse qu'honorable. Ne dirait-on pas vraiment que les sacrements et l'invocation du nom de Dieu, tels qu'ils se pratiquent parmi vous, sont pour nous l'objet d'une haine véritable? Oubliez-vous que si cette invocation et ces Sacrements se rencontrent hors de l'Église, ceux qui en jouissent ne les ont reçus que de l'Église elle-même ? Si j'éprouvais quelque peine à le prouver, vos propres paroles me seraient d'un puissant secours. En effet, si vous n'aviez pas cru qu'en.dehors de l'Église il pût y avoir quelque chose de commun avec l'Église, vous n'auriez pas hasardé une proposition comme celle-ci : «Entre vous et nous il n'y a qu'une seule et même religion, les mêmes sacrements, et absolument les mêmes observances ». Je n'accepte ce langage que moyennant certaines restrictions, .car vous ne possédez ni l'Eglise chrétienne, ni la charité chrétienne. Quant aux sacrements chrétiens, j'avoue que vous les possédez, mais je ne puis souffrir que ces sacrements que vous conservez dans le schisme, vous osiez les invalider dans I'Eglise chrétienne malgré leur identité substantielle. Assurément l'Église reconnaît en vous tout ce qui vous vient d'elle, à plus forte raison serait-ce une absurdité de dire que, du moment que telle pratique se rencontre chez vous, on doit en conclure que cette pratiqué n'appartient point à l'Eglise.

 

1. Jean, V, 5-9.

 

Je dis au contraire que ces biens dont vous usez vous sont réellement étrangers; mais quand celle à qui ces biens appartiennent vous convertit et vous reçoit dans son sein, ces mêmes biens, dont la jouissance usurpée vous était pernicieuse, deviennent pour vous d'un usage salutaire. Sous ce beau titre de paix vous êtes en réalité les tristes victimes de la discorde. Chassez donc cette discorde et rentrez sous l'empire de la paix. Qu'importe, en effet, la déposition d'un titre? « Il est évêque », dites-vous, « et vous le recevez comme évêque; il est prêtre, et vous le recevez comme prêtre ». Vous pourriez également me dire : Il est homme, et vous le recevez comme homme. En effet, de même que je reconnais en lui les membres humains, de même je reconnais en lui les sacrements chrétiens; que m'importe de connaître son père, ne me suffit-il pas de connaître son Créateur? S'il lui plaît de faire de ses membres un mauvais usage, il devient coupable lui-même puisqu'il tourne contre son Créateur les biens qu'il en a reçus. Que dans la suite il revienne à de meilleurs sentiments; et pour user saintement de ces membres, il n'aura pas besoin de les changer, il lui suffira de se corriger lui-même.

XIII. Quant à la réintégration des évêques ou des clercs, c'est une autre question. En effet, quoique au moment de leur ordination ce ne soit pas le nom de Donat, mais celui de Dieu que l'on invoque sur eux, cependant, quand il s'agit de les recevoir, on doit consulter avant tout la paix et l'utilité de l'Eglise. En effet, ce n'est point pour nous que nous sommes évêques, mais pour ceux à qui nous distribuons la parole sainte et le sacrement divin. Dès lors, c'est là nécessité e gouverner sans scandale ceux qui sont le but unique de notre ministère, qui doit décider de ce que nous devons être ou ne pas être, puisque nous ne le sommes pas pour nous. Voilà ce qui nous explique pourquoi des hommes doués d'une profonde humilité, effrayés de trouver en eux certaines imperfections dont ils étaient saintement et religieusement émus, ont pu, non-seulement sans aucune faute de leur part, mais à leur propre gloire, déposer le fardeau épiscopal. Auraient-ils pu en faire autant de la foi et du nom chrétiens, ce n'eût plus été une démission honorable, mais une honteuse et criminelle apostasie. Quand il s'agit de (383) l'épiscopat, on peut avoir des motifs légitimes de le refuser ; mais quel motif légitime pour rait-on alléguer pour refuser d'être chrétien ? Quelle est donc la raison de cette différence? N'est-ce pas que nous pouvons faire notre salut hors de l'épiscopat ou de la cléricature, tandis que hors de la religion chrétienne le salut est impossible.

XIV. Or, si vos évêques ou vos clercs, quant à ce qui regarde les fonctions ecclésiastiques, ont pu être reçus dans l'unité catholique, cela ne s'est fait que dans la, mesure réclamée par le salut de ceux pour qui leur ministère était jugé nécessaire ou nuisible. Toutefois, pour ne parler que de ceux qui ont conservé parmi nous les honneurs que vous leur aviez conférés, parce que vous avez pu dire : « Il est évêque, vous le recevez comme évêque », pourriez-vous dire également : Il est hérétique, vous le recevez comme hérétique; il est schismatique, vous le recevez schismatique ; il est Donatien, vous le recevez Donatien ? En effet, dans ces diverses dénominations il ne s'agit plus d'un degré honorifique qui le distingue du peuple, mais d'une erreur criminelle qui le sépare de la vérité catholique. Si donc nous jugeons à propos de conserver ou de retirer ces fonctions ecclésiastiques, à ceux qui vous quittent pour rentrer dans le sein de l'Eglise, soyez convaincus que nous consultons uniquement en cela l'utilité des peuples dont le salut nous est confié. Quant à ce qui vous est propre, c'est-à-dire vos opinions erronées et schismatiques, nous les guérissons, nous les corrigeons, nous les changeons. Enfin, s'il s'agit de ces sacrements sans lesquels un homme ne saurait être chrétien, nous les recevons pourvu qu'ils aient été validement administrés par les hérétiques; mais en approuvant ce qui est légitime; nous nous réservons de suppléer à ce qui a pu faire défaut dans ce qui n'est qu'accidentel. De cette manière, malgré l'horreur profonde que nous inspirent ces ministres coupables qui ont conféré les sacrements en haine de l'Eglise, nous nous gardons de méconnaître les biens qu'ils ont ravis à l'Eglise en s'arrachant de son sein. Tel rameau est réellement brisé; mais si, dit l'Apôtre, il est de nouveau enté sur la souche (1), on lui rend la racine, mais on n'en change pas la nature.

 

1. Rom. XI, 23.

 

XV. « Mais, dites-vous, puisque vous nous flétrissez du nom d'hérétiques et de sacrilèges, c'est-à-dire des crimes les plus horribles et réellement inexpiables, devez-vous ou pouvez-vous pardonner à de si grands pécheurs, sans leur imposer avant tout une expiation suffisante ? Pourquoi donc ne purifiez-vous pas celui qui vient à vous ? pourquoi ne pas lui rendre 1'innocence, avant de le faire entrer en communion avec vous ? » A prendre vos paroles à la lettre, la conclusion ne serait-elle pas qu'on ne doit ni ne peut pardonner à de semblables pécheurs? ne pourrait-on pas vous accuser de contradiction avec vous-même, puisque vous dites qu'on ne doit pardonner que moyennant une expiation convenable des crimes que pourtant vous déclarez réellement inexpiables ? Comment donc expier ce qui est inexpiable ? Comment pourrais-je me flatter que vous comprendrez mes paroles, quand vous ne comprenez même pas ce que vous dites; quand vous vous mettez continuellement en contradiction avec vous-même, en soutenant que l'on doit expier ce que vous déclarez inexpiable ? Quant à votre erreur, nous la déclarons hérétique et sacrilège, mais jamais nous n'avons dit qu'elle fût inexpiable, autrement nous verrait-on déployer un zèle aussi ardent que généreux pour vous amener à quitter vos erreurs et à rentrer dans le sein de l'Eglise ? Je proteste donc contre votre lettre et je déclare que ce n'est pas nous que vous devez accuser d'avoir dit « que ce mal est sans ressource et sans remède ». Jamais nous n'avons tenu un semblable langage, car nous confessons hautement que ceux qui se repentent de ce crime en obtiennent le pardon, et que la toute-puissance appartient à ce divin Médecin qui nous dit, par la bouche de son Prophète : « Convertissez-vous, gémissez sur vos crimes et vous serez sauvés (1) ». Il peut se faire, du reste, que vous ayez rencontré quelque catholique qui, à raison de son ignorance sur ces matières, ou de son impuissance à parler, vous ait réellement tenu ce langage insensé, dont il doit au plus tôt implorer le pardon. Mais peut-on s'expliquer que vous, qui êtes initié à toutes les connaissances libérales, qui possédez à un si haut degré le talent de la parole, vous pesiez assez peu la portée de vos paroles jusqu'à exiger l'expiation de ce que

 

1. Ezéch. XVII.

 

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vous regardez comme inexpiable; et, ce qui est pire encore, vous exigiez cette expiation précisément parce que vous la regardez comme impossible ? Nous cesserions d'être catholiques, si, sous prétexte de corriger leur erreur pour les sauver; nous déclarions cette erreur inexpiable et inguérissable. Quant à ceux qui vous quittent pour passer dans nos rangs, vous soutenez qu'ils ne sont pas purifiés, parce que le baptême ne leur est pas réitéré, comme si le baptême, qui ne doit pas être réitéré à cause du caractère essentiel d'unité, pouvait seul purifier les hommes de leur erreur. Ne sont-ils donc pas également purifiés par la parole de vérité de celui qui a dit : « Vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai.adressée (1) ? » Ne sont-ils pas purifiés par le sacrifice d'un coeur contrit, selon cette autre parole prononcée par celui-là même de qui découle toute justification : « Un esprit troublé est un sacrifice agréable à Dieu qui ne méprise jamais un coeur contrit et humilié (2) ? » L'aumône ne les purifie-t-elle pas par la grâce de celui qui a dit : « Faites l'aumône, et tout en vous sera purifié (3) ?» Ne sont-ils pas surtout purifiés par la charité de celui qui nous dit par l'organe de Pierre : « La charité couvre la multitude des péchés (4) ? » Avec la charité toutes les oeuvres sont bonnes et méritoires; sans la charité tout est inutile. Maintenant, si vous voulez connaître la source d'où découle la charité, écoutez l'Apôtre. « La charité », dit-il, « a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (5) ». De là nous concluons en toute vérité que ceux qui ont reçu le baptême hors de l'Eglise ne possèdent le Saint-Esprit que quand ils sont unis à l'Eglise par les liens de la charité.

XVI. Ceci me conduit naturellement à traiter une question qui aurait pu trouver sa place dans le premier livre, mais que nous avons négligée jusque-là. Il s'agit de savoir si l'Eglise, qui est le corps sacré de Jésus-Christ, n'a pas en sa puissance particulière des dons qui ne peuvent être conférés hors de son sein. En effet, parlant de ceux qui formaient des schismes, le même Apôtre dit : « L'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu (6) ». Lisez la première épître aux Corinthiens, et vous trouverez ce dont je

 

1. Jean, XV, 3. — 2. Ps. L, 19. — 3. Luc, XI, 41. — 4. I Pier. IV, 8. — 5. Rom. V, 5. — 6. I Cor. II, 14.

 

parle. Le baptême est donc le sacrement de la vie nouvelle et du salut éternel; cependant un grand nombre d'hommes, parce qu'ils ne font pas, d'un bien si précieux, un usage légitime, ne peuvent plus regarder le baptême comme un gage de la vie éternelle, mais comme un titre à l'éternelle damnation. Au contraire, quant à la sainte charité qui est le lien de la perfection, personne ne la possède qu'autant qu'il est bon, et quiconque la possède n'est ni schismatique ni hérétique. Que l'un d'entre vous revienne donc à l'unité de l'Eglise, qu'il contracte avec les membres de cette Eglise des liens véritables, qu'il reçoive le Saint-Esprit, par qui la charité se répand dans nos coeurs, que cette charité couvre la multitude des péchés, et que le baptême, qui n'était pour lui qu'un litre de condamnation, devienne un titre à la récompense ; pourrez-vous nier encore que cet homme soit purifié? Si vous le niez, c'est que vous ignorez absolument la nature de la purification spirituelle. Comprenez donc toute l'injustice de cet insultant reproche que vous nous faites « de recevoir vos pécheurs dans une sorte d'asile de Romulus ». En les accueillant, pourvu qu'ils reviennent dans toute la sincérité de leur coeur, la cité de Dieu, dont il a été dit que elle ne peut être invisible, puisqu' « elle est placée sur la montagne (1) », leur rend l'innocence et la sainteté. Le fondateur de cette cité divine, ce n'est pas celui qui, dans un accès d'orgueilleuse colère, a souillé ses mains du sang de sols frère, mais celui qui s'est soumis lui-même à toutes les humiliations de la mort pour racheter ses frères. Celui qui purifie en elle, c'est le Saint-Esprit, en qui elle puise sans cesse son ineffable joie, parce que c'est de lui que le Sauveur disait : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et qu'il boive (2) ». L'eau qu'il nous présente, ce n'est point cette eau visible qui nous est donnée dans le sacrement du baptême, car cette eau, les bons et les méchants peuvent la recevoir, quoique sans elle les bons ne puissent être sauvés. Cette eau appartient à l'Eglise, cependant elle coule même hors de son sein, puisque nous la trouvons parmi ceux qui sont sortis de nos rangs, parce qu'ils n'étaient pas de nous (3). De même, ces quatre fleuves dont il est parlé dans 1'Ecriture roulaient dans leur lit l'eau du paradis

 

1. Matt. V, 14. — 2. Jean, VII, 37. — 3. I Jean, II, 19.

 

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terrestre; et cependant, après avoir arrosé ce lieu de délices, ils en sortaient pour aller baigner d'autres rivages.

XVII. Ce n'est donc pas l'eau en elle-même, mais sous le nom de l'eau, le Saint-Esprit, ce don par excellence et invisible de Dieu, que le Sauveur recommandait par ces paroles : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et qu'il boive » ; et pour nous enlever toute espèce de doute à cet égard, l'Evangéliste ajoute immédiatement : « Or, le Sauveur parlait de l'Esprit qui devait être reçu par ceux qui croient en lui; car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (1) ». Or, quant à ce qui regarde le sacrement du bain visible, avant que Jésus ne fût glorifié par sa résurrection, il avait déjà baptisé plus souvent que saint Jean ; c'est l'Evangile lui-même qui nous l'atteste (2). De là ces paroles du Sauveur à ses disciples : « Jean a baptisé dans l'eau, mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit que vous recevrez sous peu de jours, d'ici à la Pentecôte (3) ». En se donnant à eux, le premier signe par lequel il manifesta sa présence; ce fut le pouvoir de parler toutes les langues des nations (4). N'était-ce pas annoncer clairement que l'Eglise embrasserait tous les peuples de la terre, et que personne ne recevrait le Saint-Esprit qu'à la condition de participer intimement à l'unité de l'Eglise ? Tel est le fleuve immense et invisible au moyen duquel le Seigneur comble de joie la cité qui lui appartient, selon cette parole du Prophète : « L'impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu (5) ». Aucun étranger ne participe à cette source salutaire, il n'y a que ceux qui sont dignes de la vie éternelle. Telle est la source propre à l'Eglise de Jésus-Christ; c'est d'elle que le Prophète a dit : « Que la source de votre eau vous appartienne en propre, et qu'aucun étranger n'y puise avec vous (6) ». C'est également de cette Eglise et de cette source qu'il est dit au Cantique des cantiques : « Le jardin fermé, la source scellée, le puits de l'eau vive (7) ».

XVIII. En voulant appliquer ces paroles au sacrement du baptême visible, vos coréligionnaires sont tellement dans l'erreur qu'ils se voient réduits à confesser les absurdités les plus grossières. Ainsi, qu'il s'agisse de cette

 

1. Jean, VII, 37, 39. — 2. Id. IV, 1. — 3. Act. I, 5. — 4. Id. II, 1-4. — 5. Ps. XLV, 5. — 6. Prov. V, 17. — 7. Cant. IV, 12.

 

source qui n'appartient qu'à la colombe unique et dont il a été dit : « Qu'aucun étranger ne reçoive de votre abondance» ; qu'il s'agisse de ce jardin fermé, de ce puits scellé, ils admettent que Simon le Magicien, baptisé par Philippe (1), a pu y participer; que le même bonheur a été accordé à ces faux chrétiens sur lesquels saint Cyprien exhalait en ces termes ses profonds gémissements : « Ils renoncent au siècle uniquement dans leurs paroles, mais nullement par leurs couvres »; à tous ces évêques avares dont le même docteur dit également : « Ils ravissent le bien d'autrui par leurs fraudes insidieuses et augmentent leur fortune par des usures multipliées (2) ». Tous ces crimes, en effet, se rencontrent parmi ceux qui ont reçu ou conféré le baptême visible. Or, s'il s'agit de cette source particulière à laquelle aucun étranger ne peut avoir part; s'il s'agit de cette fontaine scellée, c'est-à-dire du don du Saint-Esprit, par lequel la charité de Dieu est répandue dans nos coeurs, aucun de ces pécheurs ne peut en approcher qu'après avoir changé sa volonté, et s'être rendu tellement digne d'être purifié, qu'il cesse par le fait môme d'être étranger pour devenir participant de la paix céleste, de la sainte unité, de la charité inaltérable, et citoyen de la cité angélique. Quand donc, après avoir entièrement rompu avec le schisme ou l'hérésie, après avoir corrigé ses moeurs, un pécheur revient à cette cité avec une intention pieuse, les sacrements qu'il avait reçus et qui, hors de l'Eglise, peuvent être accordés même à des indignes, lui sont précieusement conservés, parce que ces mêmes sacrements, quoique conférés à des étrangers, ne laissent pas d'être la propriété même de l'Eglise. Alors seulement la purification se fait par l'efficacité de cette source scellée du Saint-Esprit, à laquelle ne peuvent avoir aucune part ceux qui, parmi vous, en sont séparés par le schisme ou l'hérésie, fussent-ils, du reste, irréprochables dans leurs moeurs.

XIX. Quand donc, cessant de vous appartenir pour se donner à nous, vos coréligionnaires font leur entrée dans nos rangs, ils reçoivent ce qu'ils ne possédaient point encore; et ce dont la possession était pour eux un principe de condamnation et de ruine, devient une cause de salut et de paix. Tout d'abord

 

1. Act. VIII, 13. — 2. Discours sur les Tombés.

 

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ils deviennent les enfants de l'Église et trouvent en elle la paix, la charité, ,l'unité, dans cette source invisible qui lui est propre et qui n'est autre que le Saint-Esprit lui-même; sans la possession de ces biens, ils eussent infailliblement péri, lors même qu'en restant au milieu de vous ils auraient reçu tout ce qui peut se conférer hors de l'Eglise. J'observe, toutefois, qu'ils reçoivent plus facilement ce qu'ils n'ont jamais possédé, qu'ils ne le recevraient si, après l'avoir eu, ils y avaient renoncé. Cette distinction est tellement vraie pour nous, que le mode que nous suivons dans la réception de ceux qui ont abandonné l'Église catholique, n'est pas celui que nous suivons pour la réception de ceux qui entrent pour la première fois dans l'unité de l'Église. En effet, quant aux premiers, leur situation est encore aggravée par le crime d'apostasie, tandis que pour les autres, ils se trouvent tout à coup relevés par le lien, encore intact pour eux, de l'unité qu'ils ont enfin le bonheur de connaître et de conserver. Il peut donc se faire que ceux qu'ils ont rebaptisés après les avoir séduits, s'interposent entre eux et Dieu par leurs supplications, s'ils ont eu le bonheur d'entrer dans le sein de l'Église avant que leurs séducteurs n'y soient rentrés ; comme il peut arriver: que des idolâtres, assez habiles pour avoir fait apostasier des chrétiens, se convertissent à la foi véritable avant ceux qu'ils ont fait tomber dans l'apostasie; couronnés alors de gloire et de mérites dans l'Église, ils peuvent obtenir par leurs vertus et leurs prières le retour de ceux qu'ils ont séduits, et leur réconciliation avec le Dieu qu'ils leur avaient fait quitter. Autant, en effet, le baptême reçu dans de bonnes dispositions a d'efficacité pour purifier les sacrilèges des Gentils, autant la charité que l'on puise dans un retour véritable à l'unité a d'efficacité pour purifier les sacrilèges des schismatiques et des hérétiques. De même donc que, quand ceux qui ont séduit les fidèles se donnent à Jésus-Christ, ils sont préférés à ceux qui reviennent de leur apostasie, à tel point qu'ils peuvent être élevés à l'épiscopat; de même ceux qui se sont laissé séduire par les hérétiques, quand ils reviennent à l'Église catholique, ne doivent pas être étonnés de voir que leurs séducteurs leur soient préférés quand ils se convertissent au catholicisme. En effet, ces derniers ne font que demander ce qu'ils n'ont jamais eu, ils sont donc parfaitement excusables, tandis que sur les autres pèse la honteuse nécessité de demander à redevenir ce qu'ils ont été déjà; nous appelons les premiers à un honneur dont ils n'ont pas encore joui, tandis que ce n'est pas sans de certaines alarmes que nous rappelons les autres à une foi qu'ils ont déjà honteusement apostasiée,

XX. Il me semble donc que vous comprenez avec quelle rigueur de justice j'ai pu dire, en parlant « des Donatistes; ou si vous l'aimez mieux, des Donatiens, qu'ils partagent l'erreur sacrilège des hérétiques (1)», puisque vous avez réellement rompu avec l'Église catholique, et que vous brisez des sacrements dont vous proclamez l'unité et l'identité parfaite. Toutefois vous pouvez encore obtenir votre, pardon et votre guérison de l'infinie miséricorde de Dieu. En effet, renoncez à cette erreur qui est la cause de votre discorde, revenez à la vérité catholique et à la paix, et vous pourrez obtenir purification et guérison par l'efficacité du don qui lui est propre, c'est-à-dire par le Saint-Esprit, par qui la charité, est répandue dans vos coeurs. Mais, n'en doutez pas, jamais les sacrements de l'Église ne seront détruits en vous; hors de son sein vous les possédiez pour votre ruine, et votre con, damnation; jetez-vous dans ses bras, et ces mêmes sacrements deviendront votre paix et votre salut.

XXI. Maintenant voyons comment vous pourrez prouver la justesse de ces paroles de Pétilien ou de tout autre : « Dans la justification du pécheur on ne doit faire attention; « qu'à la sainteté de la conscience de celui qui confère le sacrement ». Ces paroles m'oui déjà suggéré les réflexions suivantes: « Qu'arrivera-t-il si la conscience du ministre n'est, pas connue et qu'elle se trouve souillée?, comment pourra-t-elle purifier la conscience; du sujet ? » Voici votre réponse, du moins, celle que vous empruntez à vos coréligionnaires; car vous êtes trop habile pour vous contenter de si peu ; elle peut ainsi se résumer; « On considère la conscience du ministre, non pas en elle-même, car à ce titre elle échappe à tous les regards, mais dans la renommée dont elle jouit, que cette renommée soit vraie ou fausse ». Ainsi donc, peu importe que le ministre soit un scélérat, il suffit qui, jouisse d'une bonne renommée, qu'il ne soit            .

 

1. Liv. I de la réfut. des lettres de Pétilien, n. 1.

 

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pas encore connu, qu'il ne soit pas encore jugé ni séparé de l'Eglise. Voyez, je vous prie, dans quel abîme se précipitent ceux pour qui toute issue paraît fermée. Pourvu, dites-vous, que la conscience du ministre jouisse d'une bonne renommée, lors même qu'en réalité elle serait toute noire de crimes, elle peut purifier la conscience du sujet; quoi donc? appellerez-vous bonne renommée celle qui n'est acquise que par la ruse et par le mensonge, et lui attribuerez-vous l'efficacité d'une renommée sincèrement bonne? Vous comprenez la valeur d'un tel argument, et peut-être voudriez-vous qu'on ensevelît ce passage dans un profond silence; et moi, ne dois-je pas insister afin de vous le faire mieux comprendre encore? Voici les paroles de Pétilien : « Dans la justification du pécheur on ne doit faire attention qu'à la conscience de celui qui administre saintement ». Voici ma réponse : « Qu'arrivera-t-il si cette conscience du ministre n'est pas connue et qu'elle se trouve souillée? » Vous répliquez, non pas vous, mais les vôtres, car auriez-vous pu tenir un semblable langage? « Il peut se faire que le ministre n'ait qu'une conscience souillée; quant à moi qui reçois le baptême, comme cette conscience ne m'est pas connue, il me suffit de penser que sa conscience est pure, puisqu'il est toujours membre de l'Eglise. Si donc », dites-vous, « je considère la conscience du ministre, ce n'est pas pour juger de choses que je ne connais pas et que je ne puis connaître, mais uniquement pour savoir ce qu'en dit la renommée. C'est dans ce sens que le Seigneur a dit : Pour vous, les choses connues; pour moi, les choses cachées (1). Je considère donc toujours la conscience du ministre, et comme je ne puis la contempler en elle-même, je consulte sur elle le jugement de la renommée. Peu importe, dès lors, que cette conscience ne soit pas en réalité ce qu'elle est dans sa réputation. Il me suffit de savoir que la conscience du ministre n'a pas été frappée d'une condamnation publique ».

XXII. Je viens de citer vos propres paroles, afin de prouver que vos paroles ont bien le sens que j'ai formulé dans l'analyse que j'en ai faite en disant qu'on ne doit étudier la conscience du ministre que pour savoir ce qu'en dit la renommée. Ainsi donc

 

1. Deut. XXIX, 29.

 

ce n'est pas la conscience elle-même que l'on considère, puisqu'elle échappe à tous les regards, c'est uniquement la réputation dont elle jouit, réputation qui peut être fausse, comme vous en convenez vous-même. En effet, vous avez compris qu'une conscience souillée ne peut rien pour opérer la justification. Dans la purification du pécheur, ce que l'on considère, ce n'est donc pas la conscience de celui qui administre saintement, mais la renommée qui proclame la sainteté du ministre, lors même qu'il en serait autrement, et qui ferait croire qu'il purifie, alors même qu'il ne purifie pas. Ainsi ce qui purifie le sujet, c'est la bonne renommée d'un homme mauvais, et non la conscience souillée du ministre. « Dans la justification du pécheur on ne considère que la conscience de celui qui administre saintement ». D'après le sens naturel de ces paroles, ne devrait-on pas conclure que le sujet n'est justifié qu'à la condition que la conscience du ministre soit sainte ? Si elle est impure et souillée, tout examen ne devient-il pas inutile ? On l'examine, dites-vous, quand on étudie la réputation dont elle jouit ; si cette réputation est bonne, la purification du sujet s'opère, lors même que la conscience du ministre serait mauvaise, car cette purification est l'œuvre de la bonne réputation. Dites-moi donc: quand la conscience est mauvaise, la bonne réputation dont elle jouit est-elle vraie ou fausse? Assurément elle est fausse. Or, quand cette réputation est mauvaise, comme la conscience est toujours un sanctuaire impénétrable, à quelque point de vue que vous l'envisagiez, elle ne saurait servir d'instrument de justification ; autrement il faudrait dire que ce qui justifie, c'est une fausse réputation ou une conscience souillée. Dans l'un et l'autre cas, ce serait le comble de l'absurdité ; si pourtant ces hypothèses vous sourient, libre à vous de choisir la plus insensée. Toujours est-il que la saine vérité ne saurait admettre que la conscience du sujet puisse être justifiée, soit par la fausse réputation, soit par la conscience souillée du ministre. Revenons donc à cette parole si vivement applaudie par vous, soit qu'elle vienne de Pétilien ou de tout autre, et affirmant qu'une conscience bonde et pure sanctifie le sujet. Il ne me reste plus qu'à vous demander, comme je l'ai déjà fait, en vertu de quel principe la conscience (388) du sujet peut être purifiée quand la conscience souillée du ministre n'est pas connue. Il me semble que vous ne me direz plus que la réputation faussement bonne remplit dans la justification le rôle d'une bonne conscience ; il suffit bien que vous ayez affirmé que cette absurdité est admise, non pas par vous, mais par les vôtres, aussi c'est des vôtres que je vous invite à rougir et non pas de vous-même. Il ne reste donc plus qu'à admettre qu'en pareil cas c'est Dieu ou un ange qui opère la justification. Si vous acceptez cette conclusion, acceptez aussi l'horrible conséquence que j'ai rappelée, dans ma lettre (1), et qui ne vous a nullement frappé, car je n'oserais pas dire que vous avez refusé d'en peser l'importance ; peut-être même l'avez-vous d'autant plus examinée, que vous avez craint davantage qu'elle n'eût sur vous son application. Si donc vous admettez que quand un saint homme baptise, c'est sa conscience pure qui justifie la conscience du sujet, tandis que quand le ministre est secrètement souillé de crimes, c'est Dieu ou un ange qui opère la justification, prenez garde que ceux qui vous entendent et vous croient ne désirent rencontrer, pour leur baptême, des ministres secrètement mauvais, afin de recevoir de Dieu ou d'un ange une justification plus parfaite. L'absurdité ridicule et détestable de ce principe de Pétilien ne vous a échappé ni dans le texte même de sa lettre ni dans les termes de ma réponse ; aussi ne suis-je point étonné que vous ayez pris le parti le plus habile, celui de garder sur tout cela le plus profond silence, comme si je n'avais rien dit moi-même. Mais en voulant échapper à une absurdité, vous êtes tombé dans une autre plus ridicule encore, quand vous soutenez que si la justification ne peut s'opérer par une conscience secrètement souillée, la bonne réputation, quoique fausse, dont jouit le ministre, suffit pour purifier le sujet, en sorte que la fausseté produit réellement la vérité.

XXIII. Courage donc, accusez calomnieusement les dialecticiens de trouver dans une détestable habileté de langage le moyen de faire du mensonge la vérité, et de la vérité le mensonge. Voici que vous introduisez ce système dans les sacrements de la régénération chrétienne ; et où pouvait-il être employé d'une manière plus indigne et plus criminelle

 

1. Réfut. de la lettre de Pétil. liv. I, n. 7.

 

Les dialecticiens, sans aucune fraude de leur part et sans porter atteinte à la réalité des choses, mais uniquement par suite des perplexités du langage humain, prononcent quelquefois des paroles qui paraissent vraies quand elles sont fausses, ou fausses quand elles sont vraies; mais quand ces expressions échappent dans la discussion, l'intelligence sait en faire justice, quoique souvent le discours ne puisse les réfuter. Or, il ne s'agit pour vous, ni de telle expression, ni de telle ou telle chose, mais de la justification par laquelle seule nous renaissons à la vie éternelle, justification que vous croyez produite dans un homme par la fausse réputation d'une conscience étrangère. Et dans la crainte que cette doctrine ne vous soit attribuée, parce qu'il est connu de tous que vous avez appris la dialectique, vous en rejetez la responsabilité sur les vôtres, tout en y donnant votre plein consentement, non pas en votre qualité de dialecticien, mais par attachement à une hérésie manifeste. Inventée par vous ou par d'autres, voici toujours l'admirable doctrine que vous nous proposez : Quand la conscience du ministre est bonne, par elle le baptisé devient bon, et alors l'arbre bon produit un bon fruit (1) ; mais quand cette conscience est mauvaise et inconnue comme telle, on ne doit plus faire attention qu'à sa réputation qui est restée bonne quoique fausse. Alors, quoiqu'on reçoive le baptême d'un ministre dont la réputation est trompeuse, toujours est-il qu'on reçoit le baptême véritable; et, de cette manière, la fausseté devient la mère de la vérité et ne laisse pas que de produire le fruit d'une hérésie trop réelle. A l'aide de ce système aussi criminellement pervers et impie, on cesse d'attribuer à Dieu ce qui vient de Dieu, pour l'attribuer à l'homme. Mais peut-on reculer devant aucune absurdité quand il s'agit de prouver l'orthodoxie de celui qui a dit : « Dans la justification du pécheur on ne doit faire attention qu'à la conscience du ministre? »

XXIV. « Nos docteurs », dites-vous, « prouvent cette affirmation par les Ecritures, car le traître Judas, avant sa condamnation, remplit toutes les fonctions d'apôtre. » Quel rapport y a-t-il donc entre ce fait et cette maxime absolue et définie de Pétilien : « Dans la purification du sujet on ne fait

 

1. Matt. VII, 17.

 

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attention qu'à la conscience du ministre ? » Dans ce fait de Judas, que vous alléguez té mérairement en votre faveur, je trouve clairement, au contraire, votre condamnation. Judas en sa qualité d'Apôtre baptisait, quoiqu'il fût criminel et voleur, s'appropriant les sommes d'argent qui lui étaient confiées ; mais il n'était nullement question de sa conscience, car on ne voyait en cela que l'action de Dieu et de Jésus-Christ. Ce n'était donc pas la bonne renommée faussement acquise de cet homme qui purifiait ceux à qui la foi inspirait de lui demander le baptême ; à plus forte raison ce n'était pas la fausseté d'une opinion humaine qui engendrait dans l'homme la grâce de la divine vérité.

XXV. Vous citez aussi cet autre passage de l'Ecriture : « Ce qui est manifeste, vous en êtes les juges; ce qui est secret, ne ressort que de Dieu ». Or, ces paroles sont pour vous un reproche et une condamnation. En effet, si ce qui est secret ne relève que de Dieu, comment donc osez-vous soutenir que dans la justification du pécheur on ne doit examiner que la conscience du ministre, laquelle échappe toujours aux regards, non-seulement quand elle est bonne, mais aussi quand elle est mauvaise? Ou bien, si l'on ne doit point s'en occuper quand elle est occulte, sur quoi voulez-vous que le sujet se base pour la justification de sa conscience?

Réveillez-vous donc enfin, et dites du moins maintenant: Qu'il attende tout de Dieu. Pourquoi craindriez-vous les humiliations, si ce n'est pas dans l'homme, mais en Dieu que vous vous glorifiez? J'ai tout lieu de craindre, dites-vous, car puisque la conscience du ministre est pour moi livre fermé, si je dis au sujet de tout attendre de Dieu, si je confesse que c'est lui qui purifie les consciences, il ne me restera plus qu'à conclure cette horrible absurdité qu'avec un ministre secrètement criminel le baptême produit une purification plus sainte que quand il est conféré par un homme juste, et cependant cette conséquence est de toute rigueur si c'est l'homme qui purifie quand la conscience du ministre est bonne et connue, tandis que c'est Dieu seul qui purifie quand la conscience du ministre est mauvaise, ne fût-ce que secrètement. Acceptez donc nos principes, car ce sont les principes réellement vrais, rationnels et catholiques. Dites avec nous que c'est Jésus-Christ qui purifie les consciences par l'organe des ministres du baptême, qu'ils soient bons ou mauvais. N'est-ce pas de lui qu'il est écrit : « Jésus-Christ a aimé son Eglise, et il s'est livré pour elle afin de la sanctifier, la purifiant dans l'eau et la parole (1)? »

XXVI. « Mais », ajoutez-vous, « dites-nous donc comment ceux que l'Eglise a condamnés peuvent encore baptiser ? » Nous sortons alors du langage de Pétilien, puisqu'il déclare « que dans la purification du pécheur on ne doit faire attention qu'à la conscience du ministre ». A cette occasion je vous ai prié de me dire quel peut être celui qui purifie la conscience du sujet, quand la conscience du ministre est secrètement souillée; mais vous n'avez pu me répondre. Je ne m'en étonne pas, du reste, car si c'est une erreur de soutenir qu'une conscience mauvaise peut elle-même purifier, ne serait-ce pas tomber dans la même erreur que d'attribuer cette efficacité à une réputation fausse?

Quant à cette question : « Comment ceux que l'Eglise a condamnés peuvent-ils baptiser? » je réponds qu'ils baptisent comme baptisent ceux que Dieu a déjà condamnés avant même le jugement de l'Eglise. En effet, celui qui pousse la perversité jusqu'à se croire dans l'Eglise quand il est hors de son sein, a déjà été jugé par Jésus-Christ. C'est lui qui a dit : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé (2) ». Or, l'Apôtre proclame que « l'Eglise est soumise à Jésus-Christ (3)». L'Eglise ne doit donc pas se croire supérieure à Jésus-Christ jusqu'à soutenir que le baptême peut être conféré par ceux que le Sauveur a jugés, tandis qu'il ne peut l'être par ceux qui ont été jugés par elle. Le jugement de Jésus-Christ n'est-il pas toujours la vérité même, tandis que les juges ecclésiastiques, en leur qualité d'hommes, peuvent souvent se tromper ? Ainsi donc les bons et les méchants baptisent, quant à ce qui regarde le ministère visible; mais celui qui invisiblement baptise par leur organe, c'est celui qui seul possède le baptême visible et la grâce invisible. Les justes et les pécheurs peuvent donc verser l'eau, mais il n'y a que Celui qui est la bouté même qui puisse purifier les consciences. Il suit de là que, à l'insu même de l'Eglise, ces ministres, déjà condamnés par Jésus-Christ à cause de leur conscience mauvaise et souillée, ont cessé

 

1. Eph. V, 25, 26. — 2. Jean, III, 18. — 3. Eph. V, 24.

 

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d'appartenir au corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire à l'Eglise, car Jésus-Christ ne saurait avoir dans son corps des membres condamnés. Ces ministres baptisent donc hors de l'Eglise. Car cette pure et unique colombe ne peut souffrir de telles monstruosités parmi ses membres, elle ne peut les laisser pénétrer dans ce jardin fermé, dont la garde est confiée à celui qui ne saurait être trompé. Toutefois, si ces malheureux s'accusent et se corrigent, la porte leur est ouverte, la justification leur est conférée, ils prennent place parmi les arbres du jardin fermé, parmi les membres de l'unique colombe, et cependant jamais le baptême ne leur est réitéré. De même quand ils quittent les rangs de l'hérésie, avec le baptême qu'ils ont reçu hors de l'Eglise, ils reçoivent intérieurement la purification qui leur avait été refusée jusque-là. De cette manière on leur donne ce qu'ils n'avaient pas, et on leur confirme ce qui n'avait pas été perdu.

XXVII. « Mais », dites-vous, « votre conscience est condamnée par l'apostasie et la purification de vos ancêtres, et par la criminelle persécution dont vous vous êtes faits les instruments ». Vous accusez nos ancêtres de trahison et de thurification, mais ce n'est que la renommée que vous pouvez invoquer, et non la sainte Ecriture. Or, si les pécheurs peuvent jouir injustement d'une bonne renommée, les bons ne peuvent-ils pas également être victimes d'une mauvaise réputation? Quant au chapitre de la persécution, il me suffit, en quelques mots, de vous adresser la réponse que j'ai déjà faite à Pétilien, et contre laquelle vous n'avez pu rien répliquer (1). En effet, la sainte Ecriture, dont le témoignage est infaillible, compare l'Eglise à l'aire d'un moissonneur, et nous annonce que le Seigneur lui-même, armé de sols van, viendra purifier son aire, recueillera le froment dans ses greniers, et consumera la paille dans un feu inextinguible (2). Ainsi donc, ou bien la persécution que vous avez subie était légitime; ou bien dans son mode elle a dépassé les limites de la charité chrétienne, et alors cet excès doit être assimilé à la paille et doit en avoir le sort, mais ce n'était point une raison suffisante de quitter l'aire du Seigneur; car quiconque, avant l'époque de la ventilation, ose chasser la paille et en débarrasser l'aire, doit craindre qu'en se séparant il ne

 

1. Réfut. de la lettre de Pétil. liv. I, II. 20. — 2. Matt. III, 12.

 

devienne lui-même cette paille condamnée. Or, en essayant de réfuter ce témoignage qui n'est pas de moi, mais de la sainte Ecriture, vous avez soutenu que jamais persécution ne saurait être juste. En cela vous méritez qu'on vous pardonne, car si vous aviez quelque peu connu les Ecritures, la mémoire vous aurait rappelé la justesse de cette parole : « Je persécutais celui qui, en secret, déchirait son prochain (1) ». Et dans une célèbre prophétie Jésus-Christ n'a-t-il pas dit lui-même : « Je persécuterai mes ennemis, je les saisirai et je ne m'arrêterai qu'après les avoir détruits (2)? » Je pourrais encore vous citer beaucoup d'autres témoignages, mais cette investigation, outre qu'elle serait trop longue, ne pourrait-elle pas vous donner occasion de me calomnier et de me regarder comme un persécuteur des oracles divins?

XXVIII. Vous m'opposez encore ces autres paroles sacrées, tant de fois expliquées, et qui ne vous sont d'aucun secours : « L'huile du pécheur ne touchera point ma tête (3) ». En effet, vous ne pouvez nier qu'il y ait parmi vous des pécheurs, au moins occultes, qui cependant confèrent le baptême ; or, ces pécheurs ne sont nullement exceptés dans ces paroles. Il ne s'agit pas de l'huile du pécheur public, car le Prophète dit d'une manière absolue : « L'huile du pécheur » ; il est dit ailleurs et dans le même sens : « Ils sont devenus pour moi comme une eau menteuse qui ne mérite aucune confiance (4) ». A ce sujet j'admire votre prudence; ne faut-il pas qu'elle soit grande, puisque vous ne voyez pas cette eau menteuse dans cet hypocrite occulte dont la fausse réputation vous paraît cependant capable de purifier une conscience étrangère? Mais peut-être avez-vous cru devoir appeler à votre secours ce mot, non pas d'un dialecticien, mais d'un sophiste, et que vous m'avez reproché bien à tort en ma qualité de dialecticien : « Si vous mentez, vous dites la vérité ». Que faites-vous autre chose quand, attribuant l'efficacité du baptême à l'homme pour la refuser à Dieu, vous concluez qu'un adultère peut conférer le véritable baptême, parce qu'en cachant son crime il affirme faussement qu'il est chaste? Ainsi donc, il dit, vrai dans le baptême quand il ment dans son crime; et son eau n'est pas menteuse, tandis que celle de l'Èglise n'est qu'un impudent

 

1. Ps. C, 5. — 2. Id. XVII, 38. — 3. Id. CXL, 5. — 4. Jérém. XV, 18.

 

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mensonge, de l'Eglise qui, selon les prophéties, est répandue sur toute la terre. Ignorez-vous donc que l'eau menteuse dont parle Jérémie ne désigne pas le baptême, mais les hommes menteurs eux-mêmes, selon l'explication que nous en donne l'Apocalypse, où saint Jean demande ce que signifient ces eaux qui lui sont montrées dans une vision, et apprend qu'elles sont la figure des peuples (1) ?

XXIX. Vient ensuite cet autre témoignage véritable : « Si quelqu'un est baptisé par un mort, que lui sert sa purification (2) ? » Puisque vous n'avez pas compris ce que j'en ai dit dans ma lettre, laissez-moi vous montrer de quel secours sont pour moi vos paroles. Persuadé que je voyais dans ce mort l'adorateur des idoles, comme si je refusais aux païens seuls le droit et le pouvoir de baptiser, après beaucoup d'efforts, vous en êtes revenu au passage où il est question de l'huile, pour prouver qu'aucun pécheur ne peut baptiser, puisque le texte porte : « L'huile du pécheur « ne coulera point sur ma tête » ; car il s'agit là de tous les pécheurs sans aucune exception. Or, je viens de vous montrer que ce passage nous fournit contre vous des armes invincibles. En effet, puisqu'aucun pécheur n'est excepté, réitérez donc le baptême à ceux qui ont été baptisés par des pécheurs occultes. Mais plutôt que d'accepter cette conséquence évidente, vous cherchez à faire une exception en faveur du pécheur occulte, quand l'Écriture n'Excepte personne. Votre interprétation est donc manifestement convaincue de fausseté, puisqu'elle est aussi contraire à la vérité qu'à l'intention que vous poursuivez. D'ailleurs, dans ce passage du psaume, il n'est pas question du baptême, mais plutôt des adulations des flatteurs. C'est ce que prouvent les antécédents, car voici le passage tout entier

« Le juste me corrigera dans sa miséricorde et il me convaincra; quant à l'huile du pécheur, elle ne coulera point sur ma tête ». Le Prophète préfère donc les légitimes reproches du juste aux adulations mensongères d'un flatteur, adulations qui, dans le sens figuré, sont représentées par l'huile et par l'onction.

XXX. Dans cette même lettre j'ai formulé clairement mon opinion sur ces paroles : « Celui qui est baptisé par un mort » ; je n'hésiterai donc pas à vous répéter ce que

 

1. Apoc. XVII, 15. — 2. Eccl. XXXIV, 30.

 

j'en ai dit. Indiquant donc ce qu'un catholique pouvait répondre à la difficulté tirée de ce texte, voici comme je m'exprimais : « Quand un chrétien s'entendra objecter ces paroles : « A quoi peut servir la purification à celui qui est baptisé par un mort, il répondra Jésus-Christ est vivant, il ne meurt plus, et la mort ne triomphera plus de lui (1); et c'est de lui qu'il a été dit : C'est lui qui baptise dans le Saint-Esprit (2). Or, ceux qui sont baptisés dans les temples des idoles sont baptisés par des morts. Car la sanctification qu'ils cherchent, ce n'est pas des prêtres qu'ils l'attendent, mais de leurs dieux. Ces dieux n'ont été que des hommes, et comme  tels ils sont morts et ne vivent plus ni sur la terre, ni dans le repos des saints ; être baptisé par eux, c'est donc être baptisé par des morts ». Telles sont les propres expressions de ma lettre ; et si vous les pesez attentivement, vous comprendrez que ceux que je regarde comme les morts dont il est parlé, ce ne sont pas les adorateurs des idoles, quoique dans un autre sens ils soient réellement morts eux-mêmes; mais bien les faux dieux qu'ils adorent, et qui n'ont été que des hommes, sauf à subir la condition de leur nature, c'est-à-dire la mort, sans qu'ils soient ressuscités et qu'ils goûtent les joies de cette vie qui doit pour nous succéder à la vie présente. Or, ceux qui sont baptisés par ces faux dieux, c'est-à-dire en leur nom, sont véritablement baptisés par des morts, puisqu'ils attendent leur sanctification, non pas des prêtres eux-mêmes, mais des dieux, dont ils se font de coupables opinions. D'un autre côté, Jésus-Christ est ressuscité et il vit; celui donc qui est baptisé par lui, que le ministre soit bon ou qu'il soit mort par le péché, n'est réellement point baptisé par un mort. Il est baptisé par celui qui vit éternellement et dont il est dit dans l'Évangile : « C'est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ».

XXXI. Le langage que vous tenez me prouve que vous n'avez pas compris ces paroles de ma lettre ; je n'oserais dire que les comprenant un peu vous avez voulu tromper. Toutefois je m'étonne que vous n'ayez pas remarqué la conséquence que j'ai tirée, ou que vous ayez eu recours à la dissimulation. En effet, un peu plus loin j'ajoutai : « Si le mort dont il est parlé désignait à mes yeux le pécheur

 

1. Rom. VI, 9. — 2. Jean, I, 33.

 

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qui confère le baptême, il s'ensuivrait cette absurdité que quiconque a été baptisé par un pécheur occulte n'a reçu aucune purification. Car l'Ecriture ne parle pas du pécheur public, mais en général de tout pécheur quel qu'il soit (1) ». Une telle explication ne peut-elle pas faire sortir qui que ce soit du sommeil ou plutôt de la mort? Et cependant elle vous a trouvé insensible; vous prétendez même que la réfutation que j'ai faite de la doctrine de Pétilien se retourne contre moi, comme on voit quelquefois des hommes inhabiles enfoncer de plus en plus le trait qu'ils essaient d'arracher. En effet, vous affirmez que par ce mort on doit entendre le pécheur qui baptise, mais tout pécheur sans en excepter aucun. Or, ne vous ai-je pas dit que cette conclusion devient votre propre condamnation, puisqu'aucun pécheur n'est excepté, pas même le pécheur occulte ? Réitérez donc le baptême à ceux qui certainement ont été baptisés par des pécheurs occultes, car pourriez-vous pendant leur vie les abandonner à leur malheureuse destinée ? Faites en sorte de ne laisser dans ce triste état que ceux que vous ne connaissez pas, ou qui ont quitté cette vie, car alors le baptême ne peut plus leur être conféré, lors même qu'on acquerrait la certitude qu'ils ont été baptisés par des pécheurs. Baptisez ceux à qui le baptême a été conféré par tel adultère, maintenant convaincu de son crime; c'est par un mort qu'ils ont été baptisés; or, le baptême conféré par tel pécheur que ce soit ne produit aucune justification; j'en atteste, s'il le faut, ce qui est dit de l'huile du pécheur. Vous avez parlé vous-même, vous avez écrit vous-même; écoutez-vous vous-même, lisez-vous vous-même. Si aucun pécheur ne peut baptiser, on ne saurait faire d'exception pour le pécheur occulte. Dira-t-on qu'il est vivant, parce que son crime est caché ? Mais les ténèbres dont il s'environne ne rendent sa mort que plus profonde. Elle serait moins désespérée, si du moins il osait confesser son crime. Mais il offre la réalisation malheureuse de cette autre parole : « L'aveu d'un mort est comme s'il n'était pas (2) ». Et cependant malgré la profondeur de l'abîme où ce mort est enseveli, vous ne réitérez pas le baptême à ceux qu'il a certainement baptisés, et quand il s'agit d'hommes placés aux confins du

 

1. Réfut. de la lettre de Pétil. liv. 1, n. 10. — 2. Eccli. XVII, 26.

 

monde et qui n'ont jamais entendu parler de Cécilianus, de Majorin, ou de Donat, vous n'hésitez pas un instant à les rebaptiser, si vous le pouvez, leur répétant sans cesse : « A quoi sert la purification pour celui qui a été baptisé par un mort ? » Vous appelez morts des hommes auxquels n'a même pu parvenir l'odeur des cadavres africains, et vous ne regardez pas comme mort celui qui peut cacher son propre crime, quoique l'Ecriture ait dit : « L'aveu d'un mort est comme s'il n'était pas ». Est-ce donc parce qu'il est fourbe qu'on ne peut le regarder comme un mort? Mais sa fourberie même n'est-elle pas plutôt le dernier souffle de sa vie qui expire, puisque l'Ecriture a dit : « Le Saint-Esprit fuira la dissimulation (1)? » Essayez encore de justifier ces morts, affirmez qu'ils sont vivants, et cette coupable défense ne fera que rendre votre mort plus effrayante.

XXXII. Ils sont morts, dites-vous ; et que ferait donc celui qui sans les connaître viendrait leur demander le baptême? Eh bien ! qu'il agisse de même, maintenant qu'il sait avoir été baptisé par un mort. En admettant que sa conscience n'ait pu être souillée, puisqu'il était dans l'ignorance; maintenant qu'il est instruit il devient coupable. Tel homme se revêt, sans le savoir, d'une tunique qui a été le fruit d'un larcin ; jusque-là il est innocent, mais dès qu'il connaît le crime, sa conscience se trouve engagée, et s'il ne se dépouille pas de ce vêtement il devient coupable. De même tel homme épouse, sans le savoir, une femme dont le mari est vivant; dès qu'il est instruit de la vérité il se rend coupable d'adultère s'il n'opère pas la séparation immédiate. Qu'il se dépouille donc également de son baptême celui qui sait l'avoir reçu d'un mort. Et en effet il lui reste un parti à prendre, celui de se faire réitérer le baptême. Enfin qu'il le sache, qu'il ne le sache pas, « celui qui a été baptisé par un mort, à quoi peut lui servir sa justification? » Vous le proclamez vous-même, la sentence est absolue; personne n'est excepté : celui qui a été baptisé par un mort, à quoi peut lui servir cette purification? Vous qui vivez, purifiez l'homme en le baptisant, ou plutôt purifiez-vous vous-mêmes de cette erreur, de crainte qu'en y adhérant vous ne couriez à votre ruine. Dans le but de me confondre vous faites remarquer que personne

 

1. Sag. I, 5.

 

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n'est excepté dans cette sentence : « L'huile du pécheur (1) », ou dans cette autre: « Celui qui est baptisé par un mort » ; vous ne sentez donc pas le noeud qui vous serre, vous ne cherchez pas à le briser. De mon côté je presse, j'insiste pour vous amener à renoncer à votre coupable doctrine, et pour cela je soutiens qu'aucun mort, qu'aucun pécheur n'est excepté dans les passages cités plus haut ; et vous m'attaquez par le même raisonnement. Je constate donc que le pécheur occulte n'est pas excepté, et dès lors tous vos arguments n'ont plus aucun fondement, et ceux qui vous ont initié à ces erreurs sont obligés de réitérer le baptême à tous ceux qu'ils sauront avoir été baptisés par des pécheurs occultes.

XXXIII. Que faire ? De quel côté vous tourner? je ne fais que vous redire vos propres paroles. En effet, non-seulement vous ne les avez point réfutées quand je vous les adressais, mais ignorant que vous ne faisiez qu'emprunter mon propre langage, vous vous l'êtes approprié comme vôtre, sous des formes diverses; et afin que l'on pût l'entendre et le méditer plus à l'aise, vous lui avez donné le sceau de l'Ecriture, et par ce moyen on pourra toujours vous le réciter au besoin. Or, voici vos propres paroles : « S'il vous plaît de ne faire d'exception que pour l'adorateur des idoles, comment expliquez-vous ces paroles : « Je ne veux pas que l'huile du pécheur coule jamais sur ma tête? N'y a-t-il de pécheur que celui qui adore les idoles, ou doit-on regarder comme tel tout homme qui viole les lois divines? S'il n'y a de pécheur que l'adorateur des idoles, on ne doit donc pas regarder comme pécheur le chrétien qui foule aux pieds la loi de Dieu ? Mais comme une telle doctrine serait de la dernière absurdité, il est de toute évidence que non-seulement l'idolâtre, mais tout pécheur quel qu'il soit « ne saurait s'attribuer le droit de conférer le « baptême A. Vous reconnaissez que ce sont là vos propres paroles. Sans faire d'exception contre l'adorateur des idoles, j'ai soutenu que les dieux des païens sont morts et qu'il ne peut servir à rien de recevoir le baptême en leur nom ; or, se croire purifié en invoquant leur nom, c'est à proprement parler recevoir le baptême de leur main : vous au contraire vous n'avez excepté aucun pécheur. Si donc par ce mot pécheur il faut entendre tout

 

1. Ps. CXL, 5.

 

mortel qui baptise en état de péché, comme vous n'exceptez aucun pécheur, vous n'exceptez pas davantage le pécheur occulte. « Il est clairement annoncé », dites-vous, « que non-seulement l'adorateur des idoles, mais tout pécheur quel qu'il soit ne saurait s'attribuer le droit de conférer le baptême ». Prêtez l'oreille à vos propres paroles: « Tout pécheur, quel qu'il soit », dites-vous ; vous n'exceptez ainsi ni le pécheur public ni le pécheur occulte. Dès lors pourquoi forcer à réitérer le baptême après un pécheur public et ne pas le réitérer après un pécheur occulte, quand on pose en principe qu'aucun pécheur n'est excepté? Renoncez donc, mon frère, à cette fausse interprétation du texte ; et, guidé par l'évidence des antécédents, comprenez qu'il y est uniquement parlé de la séduisante douceur d'un fourbe adulateur. De cette manière vous n'aurez plus d'exception à faire et vous échapperez aux inextricables embarras que vous cause le pécheur occulte quand il confère le baptême. Il en est de même de cet autre passage : « Quand quelqu'un est baptisé par un mort, à quoi lui sert cette purification? » Consultez avec attention les anciens manuscrits et surtout les grecs, dans la crainte que certains mots ne se trouvent changés et qu'un sens tout différent ne résulte de la contexture du discours et des antécédents. Ou bien dans ces morts au nom desquels les adorateurs des idoles sont baptisés ne voyez autre chose que leurs dieux eux-mêmes au nom et par la vertu desquels ils se croient purifiés. A l'aide de cette interprétation il n'y a plus aucune exception à faire, puisque tous les dieux des païens étant morts, aucun d'eux ne peut purifier ses adorateurs. Au contraire, si vous appliquez ce texte à tout homme pécheur, vous allez faire surgir des conséquences telles que vous ne pourrez même pas vous expliquer comment vous vivez, puisque saint Jean n'hésite pas à nous dire : « Si nous affirmons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (1) ». Ne suit-il pas de là que si vous refusez le concours de tout homme pécheur, vous ne trouverez plus personne pour vous conférer le baptême?

XXXIV. Direz-vous qu'il ne s'agit dans ce texte, que de l'hérétique ou du schismatique, en sorte que si quelqu'un était baptisé par lui

 

1. I Jean,  I, 8.

 

394

 

on pourrait lui appliquer cette parole : « Si quelqu'un est baptisé par un mort, à quoi

lui sert  cette purification? » Mais vous voyez vous-même qu'il faudrait porter la présomption à son comble pour oser traduire Celui qui est baptisé par un hérétique ou par un schismatique. Et cependant, même dans ce sens, cette explication ne tournerait nullement contre nous, puisque nous affirmons que le baptême de Jésus-Christ ne sert de rien à l'homme quand il est conféré, par des hérétiques ou des schismatiques, à des hommes qui leur attribuent l'efficacité du baptême qu'ils reçoivent. Ce baptême ne produit d'effets que quand le sujet se rattache au corps de Jésus-Christ, qui n'est autre que l'Eglise du Dieu vivant. Il est vrai que le baptême que nous trouvons hors de l'Eglise est bien le baptême véritable, mais dans cette condition il ne produit aucun effet, tant que le sujet n'a pas été purifié par Jésus-Christ dont on devient le membre vivant.

XXXV. Je n'ai même rien à craindre de cette sentence sévère que vous formulez d'une manière absolue: « Qu'aucun pécheur quel qu'il soit ne s'attribue le droit de conférer le baptême ». Peut-être cependant que vous ne trouvez pas d'homme qui puisse dire en toute vérité dans l'Oraison dominicale : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (1) » ; car pour parler ainsi avec sincérité il doit avant tout se reconnaître pécheur. M'adressant à tous ceux qui parmi vous confèrent le baptême, je voudrais pouvoir leur demander s'ils se croient absolument sans péché. Chacun d'eux pourrait sans doute me répondre

Je ne suis pas un apostat, je ne suis pas un thurificateur, un adultère, un homicide, un adorateur des idoles, surtout je ne suis ni un hérétique ni un schismatique; quant à dire que je ne suis pas pécheur, je ne sais s'il est un homme, fût-il en proie à tout l'orgueil de l'hérésie, qui osât l'affirmer, qui osât même le penser; fût-il aveuglé par l'arrogance, je ne crois pas qu'un homme osât faire une telle profession de foi, à plus forte raison qu'il osât se dire à lui-même dans toute l'intimité de son âme, qu'il n'a nul besoin de cette prière dans laquelle nous disons à Dieu : « Pardonnez-nous nos offenses ». En effet, quand nous demandons grâce, ce n'est pas seulement

 

1. Matt. VI, 12.

 

pour les fautes qui ont été effacées par le baptême, c'est aussi pour celles qui sont pour ainsi dire inhérentes à notre fragilité humaine, quelle que soit, du reste, la vigilance que nous déployions dans l'observation des préceptes divins. Mais enfin si quelqu'un en a l'audace, qu'il dise hautement : Je ne suis pas pécheur; depuis que mes péchés m'ont été remis par le baptême, on ne pourrait surprendre en moi l'ombre même d'un péché. Pour moi, je crois plutôt à la parole de saint Jean, et je réponds en toute confiance : Vous vous trompez vous-même, et la vérité n'est point en vous. La témérité de votre aveu n'empêche pas qu'on ne trouve en vous des péchés, mais elle vous empêche d'en obtenir le pardon. Si donc vous avez déjà reçu le baptême, je voudrais que vous me dissiez si vous avez trouvé un homme qui pût démentir la parole de saint Jean, et dire : Je suis sans péché. Si jamais vous avez rencontré un tel homme, comment avez-vous pu recevoir le baptême de la main de celui qui se trompait à ce point et en qui la vérité n'était pas ? Au contraire, si le ministre de votre baptême, conservant quelque souvenir de l'humilité de notre condition, s'avouait pécheur, comment, malgré votre sentence, osait-il s'attribuer le droit de conférer le baptême? Vous avez dit, vous avez même écrit, qu'aucun pécheur, quel qu'il soit, ne doit s'attribuer le droit de conférer le baptême. Si enfin vous n'avez pas encore reçu le baptême, ou bien rétractez votre vaine affirmation, ou cherchez des anges pour vous baptiser.

XXXVI. Mais sans doute que vous étiez déjà quelque peu convaincu quand vous avez apporté cette légère correction : « Quiconque est coupable du crime que les nôtres reprochent, ne saurait se croire le droit de conférer le baptême ». Malgré cette modification, cette sentence ne peut nous atteindre. En effet, supposé qu'un tel ministre ait usurpé ce droit et conféré le baptême, je ne dis pas qu'il avait le droit de baptiser, mais je dis que le baptême a été réellement conféré. Si donc le baptême a été donné par un pécheur à un converti, par un traître à un fidèle, par un impie à un homme religieux, ce baptême a nui à celui qui l'a conféré, mais non à celui qui l'a reçu. Saint par lui-même, ce baptême condamne celui qui en fait un mauvais usage, tandis qu'il sanctifie celui qui en use avec de (395) bonnes dispositions. Enfin, supposons que le baptême ait été criminellement reçu, le sacrement quoique illicite n'est pas invalide; que l'obstacle qui lui est opposé disparaisse, et le sacrement produira tous ses effets quand le sujet sera parfaitement converti.

XXXVII. Ainsi donc, si je ne me trompe, vous comprenez la témérité de votre sentence, dans sa forme absolue : « Aucun pécheur ». Vous la corrigez et vous dites

« Le pécheur tel que les nôtres le dépeignent ne doit point s'attribuer le droit de conférer le baptême ». Ce serait l'application de cette parole de l'Ecriture : « Dieu dit au pécheur : « Pourquoi proclamez-vous mes justices et laissez-vous vos lèvres redire mon testament? » Et afin de montrer à quel pécheur il s'adresse, pour prouver également qu'il ne refuse pas le droit de la prédication sainte à tous ceux à qui la force de la vérité arrache l'aveu de leur culpabilité, l'écrivain sacré ajoute : « Pour vous, vous avez haï la discipline et rejeté loin de vous mes paroles. La malice a coulé en abondance de vos lèvres, et votre langue a embrassé la fourberie. Quand vous voyiez un voleur, vous couriez de compagnie, et vous partagiez les hontes de l'adultère. Assis pour rendre la justice, vous fléchiriez la réputation de votre frère et vous cherchiez à nuire au fils de votre mère (1) ». Tel est le pécheur que le Tout-Puissant apostrophe en ces termes : « Pourquoi proclamez-vous mes justices, et laissez-vous vos lèvres redire mon testament ? » C'est comme s'il lui eût dit : C'est en vain que vous agissez ainsi ; en ce qui vous regarde, ces oeuvres ne vous sont d'aucune utilité, elles seront pour vous le gage non pas de votre salut, mais de votre condamnation. Toutefois, lors même qu'un tel pécheur proclamerait les justices de Dieu, et annoncerait son testament, si ses auditeurs croient, pratiquent et professent, ne seront-ils pas loués, quoique lui soit réprouvé; ne seront-ils pas justifiés, quoique lui soit accusé; ne seront-ils pas couronnés, quoique lui soit condamné? La raison en est qu'ils se sont appliqués à réaliser cette parole du Seigneur. « Faites ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas ce qu'ils font, car ils disent le bien et ne le font pas (2) ». De même donc que ce pécheur, s'il usurpe le droit d'annoncer les volontés du Seigneur, n'en retire pour lui

 

1. Ps. XLIX, 16-20. — 2. Matt. XXIII, 3.

 

même aucune utilité, tandis qu'il procure le salut à ceux qui entendent sa parole et la mettent en pratique; de même celui qui usurpe injustement le droit de conférer le baptême, assure sa propre condamnation, mais procure le salut à celui qui reçoit le baptême avec de saintes dispositions.

XXXVIII. Vous devez comprendre maintenant que, loin de réfuter la réfutation que j'ai faite de la doctrine de Pétilien, vous n'avez rien négligé pour me mettre en main toutes les pièces nécessaires pour vous réfuter vous-même. Vous continuez et vous dites « que nous ne faisons pas notre cause bonne et que nous sommes contraints de nous avouer pécheurs, ce qui n'empêche pas que nous nous attribuons le droit de conférer le baptême, voire même que nous l'attribuons indistinctement à tous, sans tenir aucun compte du mérite des oeuvres ou de l'innocence de la vie ». Ce qui précède devrait nous faire conclure que si le pouvoir appartient à tous, nous n'accordons pas à tous le droit d'en user. En effet; pour celui qui traite illicitement une chose sainte, cet acte devient une véritable condamnation; c'est donc lui qu'il faut corriger sans qu'il soit question d'invalider le sacrement qu'il a conféré illicitement. Que des hommes fassent de la loi un usage illégitime, nous cherchons à les convertir, mais nous n'annulons pas la loi. De même nous reprochons à un homme d'annoncer illicitement la volonté de Dieu, mais nous ne nions pas cette volonté. Ne pouvons-nous donc pas, sans péché, désapprouver dans un pécheur ce qui vient de lui, et honorer en lui ce qui vient de Dieu? En effet, nous ne voulons pas que la foi en Dieu dépende des secrets de la conscience humaine; c'est à Dieu seul que doit être rapportée toute la gloire des œuvres saintes qui s'accomplissent dans celui qui a la foi. L'Apôtre ne croyait point que sa conscience fût mauvaise, et cependant il ne voulait pas que le fidèle plaçât sa conscience dans l'homme, mais en Dieu seul; témoin ces paroles : « Ce n'est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu seul qui donne l'accroissement (1) ». Tout en répétant ce mot de l'Ecriture : « Donnez la gloire, Seigneur, non pas à nous mais à votre nom (2) », nous n'accusons pas notre conscience, tandis que vous refusez de

 

1. I Cor. III, 7. — 2. Ps. CXIII, 1.

 

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connaître l'orgueil qui vous inspire quand vous soutenez que c'est dans les oeuvres des hommes que les nouveaux baptisés doivent placer leur espérance.

XXXIX. Pourquoi vous obstiner également à nous désigner le bienheureux Cyprien comme étant l'auteur de votre schisme, lui qui a toujours été un si puissant défenseur de l'unité et de la paix. catholiques ? Rentrez d'abord dans le sein de l'Eglise dont Cyprien a toujours été le membre et le défenseur; et osez encore lui attribuer la doctrine que vous soutenez. Imitez d'abord sa piété et son humilité, et alors seulement vous aurez le droit d'invoquer le concile qu'il a présidé. Sans faire aucune injure à Cyprien, nous mettons une différence essentielle entre ses lettres quelles qu'elles soient et l'autorité des oracles de l'Ecriture. Est-ce sans motif, en effet, qu'une si grande vigilance a été déployée pour former le canon ecclésiastique dans lequel sont entrés les livres authentiques des Prophètes et des Apôtres, biens que nous n'avons pas la témérité de juger, et d'après lesquels nous jugeons librement tous les livres des fidèles comme des infidèles? L'Apôtre, dans une de ses lettres canoniques, nous dit : « Que tous ceux qui sont parfaits règlent sur ce point leur jugement; et si vous jugez autrement, Dieu lui-même vous le révélera (1) ». En admettant donc que Cyprien ait pensé autrement et qu'il soit réellement l'auteur des écrits que vous citez en votre faveur, en attendant que Dieu lui révélât ce que la vérité mieux étudiée; a rendu manifeste, ni lui ni ses collègues ne se sont séparés de l'unité et de la paix catholiques, malgré la diversité de leurs opinions et de leurs sentiments.

XL. Vous avez inséré dans votre lettre des paroles de saint Cyprien, extraites de sa lettre à Jubaianus ; vous vouliez prouver par là que l'on doit réitérer, dans l'Eglise catholique, le baptême à ceux qui ont été baptisés dans l'hérésie ou dans le schisme. Je ne me sens nullement enchaîné par l'autorité de cette lettre, car loin de regarder les lettres de Cyprien comme canoniques, je les juge à l'aide des livres canoniques, et tout ce qui s'y trouve conforme je le loue et l'approuve sans restriction aucune. Au contraire, si dans ces lettres je trouve quelque chose qui soit opposé à la révélation, je le réprouve, sans anathématiser

 

1. Philipp. III, 15.

 

l'auteur. Dès lors, si ces passages que vous tirez de sa lettre à Jubaianus étaient extraits d'un livre canonique des Apôtres et des Prophètes, je n'aurais plus à y opposer aucune contradiction. Mais puisque les citations que vous me faites ne sont pas canoniques, j'use de toute la liberté à laquelle le Sauveur nous convie, pour réprouver les opinions contraires de cet homme que je me sens impuissant à louer, dont les lettres sont infiniment supérieures à tous mes écrits, dont le génie m'enchante, dont l'éloquence m'enthousiasme, dont j'admire la charité, dont je vénère le glorieux martyre. Je n'approuve pas la doctrine de Cyprien sur la réitération du baptême aux hérétiques et aux schismatiques, car cette doctrine est rejetée par cette Eglise même pour laquelle Cyprien a versé tout son sang. Mais vous dites que pour appuyer sa doctrine il a fourni des documents légaux; je déclare d'abord que, loin de confirmer l'autorité, de ces documents légaux, ils lui ont servi de fondement dans toutes ses opinions légitimes ; laissez donc de côté les écrits de Cyprien, et citez-nous ces documents dont vous prétendez qu'il a fait un usage si avantageux. Si je ne puis vous prouver que ces documents ne sont d'aucun secours pour votre cause, la victoire vous appartiendra. Ainsi donc je n'accepte pas cet argument tiré de saint Cyprien, quoique je sois incomparablement inférieur à Cyprien ; de même je n'accepte pas le témoignage de l'apôtre saint Pierre quand il ordonne aux Gentils de judaïser, quoique je sois incomparablement inférieur à Pierre (1). Quant à vous, qui nous opposez les écrits de Cyprien comme servant de fondement à l'autorité canonique, vous devrez vous reconnaître vaincus toutes les fois que nous vous opposerons tel témoignage de Cyprien, directement opposé à votre doctrine; dans ce cas vous serez réduits au plus complet silence et vous devrez renoncer à vos dissensions hérétiques et pernicieuses pour rentrer dans le sein de l'unité catholique.

XLI. Pour éviter les longueurs, je consulte cette même lettre à Jubaianus et j'y trouve  des raisons qui renversent et pulvérisent vos erreurs. Dans le but de prouver qu'il fallait réitérer le baptême, en raison de sa nullité, aux hérétiques qui rentraient dans le sein de l'Eglise, Cyprien, ou du moins l'auteur de

 

1. Gal. II, 14.

 

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cette lettre, se pose à lui-même la question suivante : « Mais quelqu'un dira: Que doit-on

penser de ceux qui, par le passé, ont quitté l'hérésie pour rentrer dans l'Eglise, et qui y ont été admis sans recevoir de nouveau le baptême? Dieu est tout-puissant, et dans son infinie miséricorde il a pu leur accorder l'indulgence et combler des trésors de son Eglise ceux qui, admis simplement dans l'Eglise, y sont restés jusqu'à la mort ». Il nous suffit de cette simplicité à laquelle Cyprien lui-même rend témoignage; il comprend que l'unité du corps de Jésus-Christ est un si grand bien, que ceux qui y sont simplement admis, les regardât-il comme privés du baptême, méritent toute l'indulgence de la divine miséricorde et ne sont nullement privés des richesses de l'Eglise. Telle était donc la tradition suivie par l'Eglise avant le concile de Cyprien, et cette tradition n'a pu être ni vaincue ni détruite par ce concile lui-même. D'où il suit que ceux qui revenaient de l'hérésie, non pas sans baptême, comme il l'affirme, car le baptême, quoique conféré hors de l'Eglise, n'en était pas moins réel, mais avec un baptême jusque-là resté sans effet, et entraient simplement dans l'Eglise, comme il le dit encore, étaient admis à participer à l'indulgence de la divine miséricorde, et n'étaient pas privés des richesses de l'Eglise. Cette simplicité, plutôt que la duplicité, a toujours plu à l'Eglise universelle répandue sur toute la terre.

XLII. Cette simplicité reçoit de Cyprien un autre témoignage non moins formel dans sa lettre sur l'unité : « Eloignez d'un corps le rayon du soleil, l'unité ne souffre pas de division de lumière. Séparez un rameau de l'arbre, après sa séparation il ne pourra plus porter de fruit. Séparez le ruisseau de « sa source, aussitôt il se dessèche ». Dans ces paroles de Cyprien nous ne comprenons pas que la lumière ne souffre point de division, si ce n'est dans les saints prédestinés au royaume de Dieu, lesquels ne peuvent jamais être retranchés du sein de l'Eglise; quand il dit que le rameau brisé ne peut porter de fruit, nous entendons parler du fruit du salut éternel; l'aridité du ruisseau séparé de sa source nous indique clairement que le Saint-Esprit se retire de ceux qui se séparent de l'unité. Il ne s'agit donc pas du sacrement de baptême que les bons et les méchants peuvent posséder extérieurement hors de l'Eglise, comme ils peuvent être intérieurement et secrètement séparés de la sainteté de l'Eglise. Mais afin que personne rie puisse douter que Cyprien parlait de là fécondité de l'Eglise répandue sur toute la terre, écoutez ce qui suit : « C'est ainsi que l'Eglise du Seigneur brille d'un vif éclat et projette ses rayons sur l'univers tout entier, et cependant, c'est partout une seule et même lumière, sans que l'unité du corps puisse être aucunement atteinte. Dans l'abondance de sa fécondité, elle étend ses rameaux sur toute la terre, elle roule au loin les ruisseaux qui  portent la vie ; et cependant, il n'y a qu'une seule tête, une seule source, une seule mère toute riche des fruits de sa fécondité ». Cette Eglise, promise dans les saintes Ecritures, rendue au monde tout entier, Cyprien l'a aimée, l'a célébrée, lui est resté fidèle; et c'est d'elle au contraire que se sont séparés, par des séditions impies, des hérétiques et des schismatiques, sous le vain prétexte de se séparer des méchants. Pour leur ôter tout désir de chercher de vaines excuses à leur coupable séparation, la sainte Ecriture a formulé cette prophétie : « L'enfant mauvais se dit juste, mais il ne lave pas la honte de sa séparation (1) ». La raison en est que pour quelques méchants que l'on croit voir dans le sein de l'Eglise, on ne doit pas se séparer des bons qui y sont véritablement.

XLIII. Si vous voulez encore mieux connaître les sentiments de saint Cyprien, lisez la lettre qu'il adresse au prêtre Maxime et à tous ceux qu'il félicite d'avoir quitté le schisme et l'hérésie pour rentrer dans le sein de l'Eglise. « Quoiqu'il paraisse », dit-il, « y avoir de la zizanie dans l'Eglise, ni notre foi ni notre charité ne doivent en souffrir, jusqu'au point de nous déterminer à sortir de l'Eglise, parce que nous y voyons de la zizanie. Qu'il nous suffise de déployer tous nos efforts pour devenir le froment; de cette manière, quand le moment sera venu d'entasser le froment dans les greniers du Seigneur, nous jouirons du fruit de nos oeuvres et de nos travaux. L'Apôtre dit dans son épître : Dans une grande maison, outre les vases d'or et d'argent, il y a aussi les vases de bois ou d'argile ; les uns sont des vases d'honneur, les autres des vases d'ignominie (2). Faisons donc

 

1. Prov. XXIV, selon les Sept. — 2. II Tim. II, 20.

 

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en sorte de devenir des vases d'or ou d'argent. Quant aux vases d'argile, il n'appartient qu'au Seigneur de les briser, car à lui seul appartient la verge de fer (1). Le serviteur ne peut pas être plus grand que son maître (2), et la vengeance n'appartient à personne qu'au Fils à qui Dieu l'a confiée. Que personne donc ne s'attribue le droit de purifier l'aire, de vanner le grain, ni de séparer, par un jugement humain, la zizanie du bon grain. En agir ainsi serait l'œuvre d'une obstination orgueilleuse et d'une sacrilège présomption, qui n'est possible qu'à la suprême  dépravation de la fureur. Aussi ceux qui dépassent les exigences d'une douce justice se séparent de l'Eglise, et, en cherchant à s'élever insolemment, ils s'aveuglent dans leur orgueil et perdent la lumière de la vérité ». Vous voyez, mon frère, ce qu'au nom des saintes Ecritures commande le bienheureux Cyprien, même à l'occasion des méchants. Quoique spirituellement séparés des bons par leur vie et par leurs mœurs, ils restent, dans l'Eglise, corporellement mêlés aux justes jusqu'au jour du jugement, à la suite duquel ils seront séparés, même corporellement, pour subir les peines qu'ils ont justement méritées. L'Eglise, pas plus que le froment, ne doit être abandonnée à cause de la paille ou de la zizanie, pas plus qu'on n'abandonne une grande maison, à cause des vases d'ignominie qu'elle renferme. Vous voyez, vous entendez, vous sentez, vous comprenez, le crime dont vous vous rendez coupables, quand, au sujet de ceux qui vous déplaisent à tort ou à raison, vous vous séparez de l'Eglise répandue sur toute la terre et à laquelle, s'appuyant sur les saintes Ecritures, Cyprien rend un témoignage si brillant, si imposant, si solennel.

XLIV. Sur toute cette question, écoutez donc attentivement le court raisonnement que je vous propose. Si l'on peut, en toute justice, recevoir dans l'Eglise ceux qui quittent l'hérésie, et travailler à corriger leur erreur sans invalider le sacrement ; n'avons-nous pas raison de les féliciter de ce que, pendant leur vie, ils deviennent le précieux froment du Seigneur? Au contraire, si, comme vous le soutenez, en faisant sonner trop haut l'autorité de Cyprien, si, dis-je, ces hérétiques n'ont pas le caractère du baptême; quand on admet simplement dans l'Eglise, toujours

 

1. Ps. II, 9. — 2. Jean, XIII, 16.

 

selon le même Cyprien, ils mériteront l'indulgence divine à cause de l'excellence même de cette unité, et ils jouiront des immenses trésors de l'Eglise. De plus, ceux qui, selon l'ancien usage mentionné par Cyprien, reçoivent simplement ces hérétiques et vivent conformément aux règles de la justice et de la paix, ceux-là sont destinés à devenir le froment du Père de famille. Au contraire, ceux qui s'opposent sciemment et contre la vérité à leur réception, ou bien qui s'abandonnent à des moeurs perverses et dépravées, ceux-là ne sont que tolérés au milieu de la zizanie et de paille réservées aux flammes. Cependant d'après le témoignage même de Cyprien, Dieu défend de se séparer, à cause d'eux, de l'Eglise répandue par sa fécondité sur toute la terre, ou, en d'autres termes, de se séparer des froments du Seigneur, lesquels croissent également jusqu'à la moisson et subissent toutes les préparations nécessaires à la ventilation. Dès lors, si, dans la communion des sacrements, les méchants souillent les bons, quand, au temps de Cyprien ou avant lui, on recevait les hérétiques sans leur réitérer le baptême, ne devez-vous pas en conclure que l'Eglise avait péri? et alors dites-nous donc où vous avez pris naissance. D'un autre côté, et sur ce point encore j'en appelle à Tertullien, si, pour la paix de l'Eglise, on doit tolérer la zizanie, parce qu'elle ne souille pas le froment, ne doit-on pas répéter : « L'enfant a mauvais se dit juste, mais il ne peut justifier sa séparation? » Aussi la présence prétendue des méchants dans l'Eglise n'était pas pour lui une raison d'en sortir.

XLV. Je répète encore, car je veux rendre évidente à vos yeux cette preuve invincible Si, à raison seulement de la participation aux mêmes sacrements, les méchants perdent les bons, quoique ceux-ci ne participent aucunement à leurs œuvres mauvaises; quand, par le passé, on recevait dans l'Eglise, sans leur réitérer le baptême, ceux qui renonçaient à d'hérésie, ne doit-on pas en conclure qu'alors aussi la contagion des méchants perdait les bons? Dès lors cette Eglise à laquelle Cyprien prodiguait sa fidélité et ses éloges, n'existait plus, et Donat ne pouvait plus en sortir. Que si cette contagion n'a pas perdu les bons, convenez donc que la contagion de ceux que vous accusez n'a pu perdre l'univers chrétien; et dès lors cessant de calomnier pour justifier (399) votre séparation, convertissez-vous et revenez à l'Eglise. Il vous faut accuser Cécilianus et ses compagnons, contre lesquels Sécundus de Tigisit a réuni et formé un concile ; quant à moi, je n'ai aucun besoin de les défendre. Accusez-les de toutes vos forces; s'ils ont été innocents, ils n'ont rien à craindre, froments précieux, de la haine avec laquelle vous voulez les cribler; s'ils ont été coupables, ils n'étaient en réalité que de la zizanie; mais pour cette zizanie, vous ne deviez pas vous séparer du froment. Accusez de toutes vos forces, que vous prouviez ou que vous ne prouviez pas, je suis toujours vainqueur; je triomphe, si vous ne prouvez pas, vous en convenez vous-même; je triomphe, si vous prouvez, j'en atteste Cyprien lui-même. Que voulez-vous que ces hommes aient été ? Furent-ils innocents, alors vous qui n'êtes que la zizanie, pourquoi calomniez-vous le froment du Seigneur? Furent-ils coupables, pourquoi donc, à cause de la zizanie, nous séparer du froment du Seigneur ? L'Eglise est là debout, glorieuse et visible aux yeux de tous, car elle est la cité placée sur la montagne et qui ne peut rester cachée (1), et du sein de laquelle l'Eglise domine d'une mer à une autre mer, du fleuve jusqu'aux confins de la terre (2), semblable à la race d'Abraham qui se multiplie aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que les grains de sable du rivage, et dans laquelle toutes les nations sont bénies. Cyprien fait de cette Eglise de si brillants éloges qu'il la dit toute pénétrée de la lumière du Seigneur, projetant ses rayons jusqu'aux extrémités de la terre, couvrant de ses rameaux l'univers tout entier dans son immense fécondité. Gardez-vous donc, soit de l'accuser dans ses froments, soit de la quitter à cause de la zizanie; de ces deux vérités, que l'une reçoive votre témoignage, j'attends pour l'autre le témoignage de Cyprien. Voici ce qu'il atteste : « Quoiqu'il paraisse y avoir de la zizanie dans l'Eglise, que ni votre foi ni votre charité, n'en reçoivent aucune atteinte; gardons-nous surtout de sortir de l'Eglise, parce que nous voyons de la zizanie dans son sein ».

XLVI. Vous soutenez que par la contagion des mauvais Africains l'Eglise a péri sur toute la face de la terre, et que ses débris, comme des froments séparés de la zizanie et

 

1. Matt. V, 14. — 2. Ps. LXXI, 8.

 

de la paille, se sont conservés dans la secte de Donat. C'est là vous mettre en contradiction évidente avec Cyprien, qui affirme que les bons n'ont point péri dans l'Eglise par leur mélange avec les méchants, et qu'avant le jour du jugement les méchants ne peuvent pas être séparés des bons. Conséquents avec votre erreur ou plutôt votre fureur, vous êtes contraints d'accuser non-seulement Cécilianus et ses ordonnateurs, mais encore ces églises dont nous trouvons les noms dans les Ecritures apostoliques et canoniques, l'Eglise romaine où vous avez coutume d'envoyer un évêque tiré d'Afrique pour quelques-uns d'entre vous, l'Eglise des Corinthiens, celles des Galates, des Ephésiens, des Thessaloniciens, des Colossiens, des Philippiens, auxquelles l'Apôtre a écrit des lettres devenues publiques; l'Eglise de Jérusalem, dont l'apôtre saint Jacques fut le premier évêque; l'Eglise d'Antioche, où les disciples du Sauveur commencèrent à porter le nom de chrétiens (1) ; l'Eglise de Smyrne, celles de Thyatire, de Sardique, de Pergame, de Philadelphie, de Laodicée, auxquelles saint Jean a adressé son Apocalypse; toutes les autres Eglises du Pont, de la Cappadoce, de l'Asie, de la Bithynie, qui reçurent les lettres de l'apôtre saint Pierre (2), et toutes celles fondées par saint Paul depuis Jérusalem jusqu'à l'Illyrie (3). Je passe sous silence toutes ces vastes Eglises répandues sur toute la terre et qui furent le fruit des travaux et des souffrances apostoliques. Eh bien ! toutes ces Eglises dont je viens d'emprunter le nom aux divines Ecritures, et placées à une si grande distance de l'Afrique, vous -êtes contraints d'affirmer qu'elles ont péri à cause des péchés des Africains, et vous acceptez cette absurdité plutôt que de renoncer à cette erreur qui vous pousse à un schisme criminel.

XLVII. Pour réduire cette erreur à néant, nous n'avons pas même besoin d'entreprendre ni la justification des Africains, quoique vous souteniez faussement que leur crime rejaillit sur toutes les nations de la terre, ni celle des évêques dont nous venons de parler. S'ils ont été innocents, ils sont en communion réelle avec toutes ces Eglises placées de l'autre côté de la mer ; s'ils ont été coupables, ils n'étaient plus que de la zizanie mêlée au bon grain, et même en Afrique ils n'ont pu nuire à ceux qui, tout en les connaissant, n'ont pas voulu

 

1. Act. XI, 26. — 2. I Pierre, I, 1. — 3. Rom. XV, 18.

 

400

 

à cause d'eux se séparer de l'unité de l'Eglise. Sans parler du grand nombre de ceux qui ont été convaincus de leur innocence, sans alléguer que jamais on n'a pu prouver l'existence de leur crime, si toutefois ils en ont commis; qu'il me suffise de vous rappeler qu'il vous est impossible de soutenir que des hommes puissent être souillés par des crimes étrangers qu'ils ne connaissent pas. Je vais plus loin encore et je veux parler directement de ceux qui avaient connaissance de ces crimes ou qui les soupçonnaient. Eh bien ! du sein de l'Afrique où ils habitaient, voyant que les Eglises d'au-delà des mers ne pouvaient être convaincues de l'existence de ces crimes, à cause de leur distance et de la diffusion de leurs membres; si, dis-je, ces Africains soi-disant convaincus, et dans la crainte de subir les suites funestes de la contagion, avaient conçu la volonté de se séparer de la communion de ces nations nombreuses, n'auraient-ils pas été retenus, je ne dis pas par moi, je né dis pas par vous, ni par Donat, ni par Cécilianus, mais par Cyprien lui-même dont vous invoquez l'autorité? et pour mieux les convaincre il leur redirait les paroles qu'il adressait à Maxime.

XLVIII. Voici ces paroles : « Quoiqu'il paraisse y avoir de la zizanie dans l'Eglise, ni votre foi ni votre charité ne doivent en ressentir aucune atteinte, et surtout gardons-nous de quitter l'Eglise parce que nous voyons de la zizanie dans son sein. Contentons-nous de faire tous nos efforts pour devenir le bon grain, afin que, quand le moment sera venu d'entasser le froment sur les greniers du Père de famille, nous recueillions le fruit de nos oeuvres et de nos travaux. L'Apôtre nous dit dans son épître : Dans une grande maison il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais encore des vases de bois et d'argile : les uns servant de vases d'honneur et les autres de vases d'ignominie (1). Faisons donc en sorte de devenir les vases d'or et d'argent. Du reste il n'appartient qu'au Seigneur, qui a reçu la verge « de fer, de briser les vases d'argile (2). Le serviteur ne peut pas être plus grand que son maître (3), et la vengeance n'appartient qu'au Fils à qui le Père l'a confiée. Que personne donc ne s'attribue le droit de purifier l'aire, et de vanner le grain ou de séparer la

 

1. II Tim. II, 20. — 2. Ps. II, 9. — 3. Jean, XIII, 16,

 

zizanie du bon grain. Cette orgueilleuse obstination, cette présomption sacrilège ne peut appartenir qu'à une fureur dépravée. Aussi tous ceux qui veulent dépasser les limites d'une douce justice, périssent hors de l'Eglise; et en voulant s'élever dans leur insolente, ils s'aveuglent dans les fumées de « l'orgueil et perdent la lumière de la vérité ». Ces paroles de Cyprien, adressées à des hommes craignant Dieu, suffiraient pour retenir dans l'Eglise tous ceux à qui la vue des méchants inspirerait la pensée de s'en séparer. De plus, ces paroles vous condamnent ouvertement, vous qui après vous être séparés accusez encore les bons. Ces mêmes paroles nous retiennent aussi dans la maison de Dieu, dont Cyprien a tant aimé la beauté ; et dussiez-vous, ce que vous ne pourrez jamais, nous convaincre que ceux que vous accusez sont réellement coupables, jamais nous n'abandonnerions cette demeure sous le prétexte qu'elle renferme des vases d'ignominie. Plaise à Dieu que ces accents pacifiques vous corrigent et vous ramènent à l'unité catholique ; car alors, tout en gémissant sur les péchés réels ou supposés des autres, vous cesseriez d'attribuer ces maux à l'Eglise de Jésus-Christ, qui fructifie et se développe dans le monde tout entier ; vous cesseriez d'accuser le bon grain à cause de la zizanie, vous n'abandonneriez pas le froment à cause de la paille, vous ne séjourneriez pas hors de cette grande demeure, à cause des vases d'ignominie qu'elle peut renfermer.

XLIX. Vous comprenez, je pense, que Cyprien dont vous invoquez l'autorité, devient pour nous un puissant auxiliaire. S'il a erré sur la réitération du baptême, le Seigneur sans doute a trouvé une suffisante réparation dans les mérites éclatants de sa brûlante charité. En effet, il est resté pour cette vigne céleste un sarment riche en fruits de paix et de charité; et quelque besoin qu'il ait eu de purification, la faux du martyre était plus que suffisante pour lui rendre une pureté parfaite. Pour vous convaincre d'erreur et même peut vous corriger, si vous le vouliez, je pourrais me borner aux réflexions précédentes; mais ne voulant pas qu'on puisse dire que j'ai laissé quoi que ce soit dans votre lettre sans le réfuter, ou que je me trouve incapable de répondre à la lettre de Pétilien, je continuerai mon examen dans le livre suivant.

 

 

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