PSAUME XXI
Accueil Remonter Suivante


rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

Accueil
Remonter
PSAUME XXI
PSAUME XXII
PSAUME XXIII
PSAUME XXIV
PSAUME XXV
PSAUME XXVI
PSAUME XXVII
PSAUME XXVIII
PSAUME XXIX
PSAUME XXX

 

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXI.

LES DÉTAILS DE LA PASSION

   

Dans le premier discours saint Augustin expose le sens des paroles de David relatives à la passion, les insultes des Juifs, le crucifiement, le partage des vêtements de Jésus-Christ; puis les effets de l’Eucharistie. Dans le second discours, il s’applique à démontrer contre les Donatistes le règne universel de Jésus-Christ, qu’ils veulent scinder et restreindre à leur parti.

 

POUR LA FIN, SUR LE SECOURS DU MATIN, PSAUME DE DAVID (Ps. XXI, 1).

 

1. Pour la fin, ou pour Jésus-Christ qui chante lui-même sa résurrection. Ce fut le matin du premier jour, après le sabbat, qu s’opéra cette résurrection (Matt. XXVIII, 1 ), par laquelle il fut reçu dans la vie éternelle, « et soustrait ainsi à l’empire de la mort (Rom. VI, 9 ) ». Tout le psaume s’applique à la personne du Crucifié car il commence par ces paroles que prononce le Sauveur, lorsque, du haut de la croix, il poussa un grand cri, représentant alors h vieil homme dont il avait revêtu la mortalité ; car notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui (Id.6 ) :

2. « O Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi; pourquoi m’avez-vous abandonné, bien loin de me secourir (Ps. XXI, 2)? » Vous n’avez garde de me secourir, puisque votre salut est loin des pécheurs (Id. CXVIII, 155 ). « Les cris de mes péchés vous implorent », car cette prière n’est point celle d’un juste, mais d’un homme chargé de fautes. Celui qui prie à la croix, est en effet le vieil homme, qui ne sait pourquoi le Seigneur l’a délaissé. Ou bien encore : « Les rugissements de mes péchés vous empêchent de me secourir ».

3. « Seigneur, je vous invoquerai pendant le jour, et vous ne m’exaucerez point (Id. XXI, 3 ). » O Dieu, dans les prospérités de cette vie, je vous demanderai qu’elles ne changent point, et vous ne m’écouterez point, parce que cette prière sera celle de mes péchés. « Je vous invoquerai la nuit, et ce ne sera point une folie pour moi ». Si, dans les malheurs de cette vie, je vous demande le bonheur, vous ne m’exaucerez pas non plus. Et vous en agirez ainsi, non pour me jeter dans la folie, mais pour m’apprendre ce qu’il vous est agréable que je vous demande, non plus dans ces prières du péché qui désire la vie du temps, mais dans les supplications d’une âme qui se tourne vers vous, pour avoir la vie éternelle.

4. « Mais vous habitez dans la sainteté, vous, la gloire d’Israël ». Vous habitez le Saint des saints, et de là vient que vous n’écoutez point les prières défectueuses du péché. Vous êtes la gloire de celui qui vous contemple, et non de celui qui chercha sa propre gloire en goûtant le fruit défendu, en sorte que lei yeux de son corps furent ouverts, et qu’il voulut se dérober à votre présence et se cacher (Gen. III ).

 5. « En vous ont espéré nos pères (Ps. XXI, 5 )». Tous ces justes, qui n’ont point cherché leur gloire, mais la vôtre. « Ils ont espéré, et vous les avez sauvés».

6. « Ils ont crié vers vous, et vous les avez délivrés (Id.6 ) ». Ils vous ont fait entendre, non la voix des péchés qui éloigne le salut, et c’est pourquoi vous les avez délivrés. « Ils ont espéré en vous, et ils n’ont pas été confondus ». Vous n’avez pas trompé l’espérance

qu’ils avaient mise en vous, parce qu’ils ne comptaient point sur eux-mêmes.

7. « Pour moi, je suis un ver de terre et  non plus un homme  (Id. 5 )». Pour moi, qui ne parle plus en Adam, mais qui suis Jésus-Christ, sans aucun germe je suis né dans la chair, afin d’être, eu l’homme, au-dessus des hommes; et de la sorte, l’orgueil humain ne dédaignera plus mon abaissement. « Je suis l’opprobre des hommes, le rebut de la populace ». Cet abaissement a fait de moi le rebut des hommes, au point que l’on disait, (204) comme un outrage et une malédiction : « Pour toi, sois son disciple (Jean, IX, 28 )»; tant le peuple avait de mépris pour moi.

8. « Tous ceux qui me voyaient, m’insultaient (Ps. XXI, 8 )». j’étais la dérision de tous ceux qui me voyaient. « Ils parlaient des lèvres, et  branlaient la tête ». Ils parlaient des lèvres, et non du coeur.

9. Car c’est par dérision qu’ils disaient, en branlant la tête: « Il a mis son espoir dans le  Seigneur, que le Seigneur le délivre; qu’il le sauve, s’il lui est cher (Id. 9) ». Tels étaient les paroles qui couraient sur leurs lèvres.

10. «C’est vous, Seigneur, qui m’avez tiré des entrailles maternelles (Id. 10 ) ». C’est vous qui n’avez tiré, non-seulement du sein d’une vierge, car telle est la condition de tout homme, de naître en sortant du sein de sa mère; mais vous m’avez tiré du sein de cette nation juive où est encore enveloppé dans les ténèbres, sans arriver à la lumière du Christ, celui qui met son salut dans l’observation extérieure du sabbat, dans la circoncision, et autres cérémonies. «Vous êtes mon espérance dès la mamelle de ma mère ». Seigneur, vous êtes mon espoir, non-seulement depuis que j’ai sucé les mamelles de la Vierge, car vous l’étiez bien auparavant; mais depuis que vous m’avez arraché aux mamelles, comme aux entrailles de la synagogue, afin de me soustraire au lait d’une coutume charnelle.

11. « Vous êtes mon ferme appui dès le sein de ma mère (Id. 11 )». Dès le sein de cette synagogue qui m’a rejeté au lieu de me porter, et si je ne suis point tombé, c’est que vous m’avez soutenu. « Dès le ventre de ma mère, vous êtes mon Dieu ». Oui, « dès le ventre de ma mère », car nonobstant cette enveloppe charnelle, je ne vous ai point oublié comme le petit enfant.

12. « Vous êtes mon Dieu ; ne vous éloignez pas de moi, parce que l’affliction est proche (Id. 12 ) ». Puisque vous êtes mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi, aux approches de la tribulation, qui est déjà dans ma chair. «Car il n’y a personne qui me vienne en aide». Qui me soutiendra, si ce n’est vous?

13. « Voilà qu’une foule de jeunes taureaux m’ont environné (Id. 13 ) ». Les attroupements d’un peuple dissolu font cercle autour de moi. « Des taureaux puissants m’ont investi». Et les chefs de ce peuple, joyeux de mon oppression, m’ont assiégé à leur tour.

14. « Ils ont ouvert leur bouche contre moi (Ps. XXI, 14 ) ». Leur bouche a livré passage, non point aux paroles de vos saintes Ecritures, mais aux cris de leurs passions. « Tel un lion saisit sa proie et rugit ». La proie de ce lion, ce serait moi que l’on saisit et que l’on amène, et son rugissement: « Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX, 26 )

15. « Je me suis écoulé comme l’eau, tous e mes os se sont dispersés (Ps. XXI, 15 ) ». Je me suis écoulé comme l’eau, quand mes persécuteurs sont tombés ; et mes disciples qui faisaient la solidité de l’Eglise ou de mon corps, se sont dispersés par la crainte. « Mon coeur s’est fondu comme la cire, au milieu de mes entrailles (Ibid. ) ». Ces paroles que la Sagesse a consignées à mon sujet dans les livres saints, demeuraient incomprises, comme des paroles dures et cachées; mais depuis qu’à la flamme de mes douleurs elles se sont comme liquéfiées, elles sont devenues évidentes, et se sont gravées dans la mémoire de mon Eglise.

16. « Ma vigueur s’est desséchée comme l’argile(Id. 16 ) ». Mes douleurs ont desséché mes forces, non comme l’herbe, mais comme l’argile que le feu rend plus dure. « Ma langue s’est attachée à mon palais ». Ceux par qui je devais parler ont gardé mes préceptes en eux-mêmes. « Vous m’avez réduit à la poussière de la mort ». Vous m’avez jeté entre les mains de ces impies destinés à la mort, et que le vent balayera de la surface de la terre.

17. « Des chiens sans nombre m’environnent (Id. 17) ». Voilà que j’étais environné de gens qui aboyaient, non plus au nom de la vérité, mais au nom de la coutume. « Le conseil des  méchants m’a assiégé; ils ont percé mes mains et mes pieds ».Ils ont percé de clous

mes mains et mes pieds.

18. « Ils ont compté tous mes os (Id. 18 ) »compter tous mes os étendus sur la croix. « Pour eux, ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement». Pour eux, c’est-à-dire dans la même aversion, ils m’ont regardé et considéré.

19. « Ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort (Id. 19 ) ». (205)

20. « Pour vous, Seigneur, n’éloignez pas de moi votre secours (Ps. XXI, 20 ) ». Mais vous, ô Dieu, ressuscitez-moi sans retard, et non point à la fin du monde, comme les autres hommes. « Pourvoyez à ma défense ». Veillez sur moi, afin que nul ne me nuise.

21. « Arrachez mon âme au glaive (Id. 21 ) »: préservez mon âme des langues schismatiques; « et mon unique à la puissance des chiens » : Délivrez mon Eglise de ce peuple qui aboie, au nom de ses coutumes.

22. « Sauvez-moi de la gueule du lion. » Sauvez-moi de cette bouche qui m’offre un royaume temporel. « Epargnez à ma faiblesse la corne des rhinocéros (Id. 22 ) » : préservez mon humilité des hauteurs de ces orgueilleux qui s’élèvent d’une manière exclusive et ne souffrent aucun rival.

23. « Je redirai votre nom à mes frères (Id. 23)». J’annoncerai votre nom aux humbles, qui sont mes frères, et qui s’aiment réciproquement, comme je les ai aimés. « Je chanterai vos  louanges au milieu de mon Eglise ». C’est avec joie que je publierai votre gloire dans mon Eglise.

24. « Bénissez le Seigneur, vous qui le craignez (Id. 24 )». Vous qui craignez le Seigneur, ne cherchez point votre gloire, mais louez le Seigneur. « Chantez sa gloire, vous tous, enfants de Jacob ». Glorifiez Dieu, vous tous enfants de celui que servit son aîné.

25. « Craignez-le tous, vous qui êtes enfants d’Israël ». Qu’ils craignent le Seigneur, tous ceux qui sont régénérés dans une vie nouvelle, et préparés à la vision de Dieu. « Car il n’a point dédaigné, ni rejeté la prière du pauvre (Id. 25 ) ». Il n’a témoigné aucun mépris pour la prière, cette prière qui était celle du pauvre sans enflure, étranger aux pompes frivoles, et non celle du pécheur dont les vices crient vers Dieu, et qui ne voulait point quitter cette vie misérable. « Il n’a point détourné de moi son visage », comme il l’a fait pour celui qui disait : « Je crierai vers vous, et vous ne m’écouterez point. Il m’a exaucé, quand j’ai crié vers lui ».

26. « C’est vous que je veux louer (Id. 26 ) ». Car je ne recherche point la gloire pour moi, puisque je me glorifie en vous qui habitez le sanctuaire, et que vous, gloire d’Israël, vous écoutez le saint qui:vous invoque. « C’est dans votre Eglise si étendue que je publierai votre gloire ». Je vous bénirai dans cette Eglise répandue par toute la terre. J’offrirai mes voeux, en présence de ceux qui craignent mon Dieu. J’offrirai le sacrement de mon corps et de mon sang, devant ceux qui craignent le Seigneur.

27. « Les pauvres mangeront et seront rassasiés (Ps. XXI, 27 )». Ils mangeront, ceux qui sont humbles, qui méprisent le monde, et ils m’imiteront, et de la sorte, ils ne désireront point les biens de ce monde, et ne craindront point la pauvreté. « Ceux qui cherchent le Seigneur, le béniront». Car c’est de l’âme qu’il rassasie, que déborde sa louange. « Leurs coeurs vivront dans l’éternité ». Car il est lui-même l’aliment de notre coeur.

28. « Les nations les plus reculées se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui (Id. 28 ) ». Elles s’en souviendront; car Dieu était en oubli pour ces peuples nés dans la mort, et n’ayant de tendance que pour les biens extérieurs; et alors tous les confins de la terre se tourneront vers le Seigneur. «Tous les peuples de la terre se prosterneront en sa  présence ». Tous les peuples de l’univers l’adoreront damas leurs coeurs.

29. « C’est au Seigneur de régner, et il dominera les nations (Id. 29 ) ». C’est au Seigneur, et non aux hommes superbes qu’appartient l’empire, et il dominera les nations.

30. « Tous les riches de la terre ont mangé, puis adoré ». Les riches de la terre ont mangé l’humble chair de leur maître, et, bien qu’ils n’en aient pas été rassasiés comme les pauvres, jusqu’à imiter Jésus-Christ, ils l’ont néanmoins adoré. « Ils tomberont en sa présence, tous ceux qui s’abaissent sur la terre». Dieu seul voit la chute de tous ceux qui se las. sent de converser dans le ciel, et qui préfèrent étaler, ici-bas, l’apparence du bonheur aux yeux des hommes qui ne voient pas leur ruine. 

31. «Mon âme, à son tour, vivra pour lui (Id. 31 )». Et mon âme qui paraît morte aux yeux des hommes, parce qu’elle méprise le monde, s’oubliera, pour vivre en Dieu. « Et ma postérité le servira ». Mes oeuvres, ou ceux que je porterai à croire en lui, le serviront.

32. « Elle sera prédite pour le Seigneur, la génération à venir (Id. 32) ». Les fidèles du Nouveau Testament seront célébrés à la louange (206) du Seigneur. « Et les cieux publieront sa justice ». Les évangélistes annonceront sa justice. « Au peuple qui doit naître, et que le Seigneur a fait (Ps. XXI, 32 ) »; au peuple que la foi doit engendrer au Seigneur.

 

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXI

Discours prêché à la solennité de la Passion.

   

1. Je ne dois point garder sous silence, et vous devez écouter ce que le Seigneur n’a pas voulu taire dans ses saintes Ecritures. La passion de Notre-Seigneur est arrivée une fois, nous le savons; une seule fois le Christ est mort, l’innocent pour les coupables (I Pier. III, 18 ). Nous le savons, nous en avons la certitude, nous croyons d’une foi inébranlable, « que Jésus-Christ une fois ressuscité d’entre les u morts ne meurt plus, et que la mort n’aura plus d’empire sur lui (Rom. VI, 9) ». Ainsi l’a dit saint Paul : et de peur que nous ne venions à oublier ce-qui s’est fait une fois, nous en célébrons chaque année la mémoire. Est-ce à dire que Jésus-Christ meurt chaque fois que nous célébrons la Pâque? Néanmoins ce souvenir annuel nous remet en quelque sorte sous les yeux ce qui s’est fait une fois, et nous émeut aussi vivement que si nous voyions le Christ appendu à la croix, non pour lui insulter, mais pour croire en lui. Car à la croix il fut persillé, et on l’adore aujourd’hui qu’il est dans le ciel. N’est-il plus insulté aujourd’hui, et avons-nous encore à nous indigner contre les Juifs qui l’ont tourné en dérision à la croix, et non dans son règne céleste? Et qui donc se moque aujourd’hui du Christ? Plût à Dieu qu’il n’y en eût qu’un seul, que deux, qu’on pût même les compter ! Toute la paille qui est dans son aire, se rit de lui, et le bon grain gémit de voir le Seigneur insulté. Je veux en gémir avec vous; car voici le temps des pleurs. Nous célébrons la Passion du Sauveur; c’est le temps de gémir, le temps de pleurer, le temps de confesser nos fautes et d’en implorer le pardon. Et qui de nous pourrait verser autant de larmes qu’en méritent ses incomparables douleurs? Ecoutons le Prophète: « Qui donnera, dit-il, de l’eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes (Jérém. IX, 1)?» Non, une source de larmes, fût-elle réellement dans mes yeux, ne suffirait point, quand nous voyons le Christ persiflé lorsque la vérité est si claire, et quand nul ne peut dire : Je ne savais pas. Car c’est à celui qui possède l’univers entier, que l’on ose bien en offrir une partie; c’est à celui qui est assis à la droite de son Père, que l’on dit: Qu’y a-t-il ici qui vous appartienne? et au lieu de toute la terre, on ne lui montre que l’Afrique.

2. Que deviennent, mes frères, les paroles que vous venez d’entendre? Que ne pouvons-nous les écrire avec des larmes? Quelle est cette femme qui vint avec des parfums (Matt. XXVI, 7 )? De qui était-elle un symbole? N’est-ce point de l’Eglise? Que figurait le parfum qu’elle portait? N’est-ce point cette bonne odeur dont l’Apôtre a dit: Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de Jésus-Christ (II Cor. II, 14 )? Et saint Paul nous désigne aussi l’Eglise; car en disant: « nous sommes», il s’adresse aux fidèles. Et que leur dit-il? Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de Jésus-Christ. Voilà donc saint Paul qui nous dit que les fidèles sont partout la bonne odeur de Jésus-Christ, et l’on ose le contredire? on soutient que l’Afrique seule est une bonne odeur, que le reste du monde n’a qu’une odeur fétide? Qui donc affirme que nous sommes en tous lieux la bonne odeur du Christ? L’Eglise. C’est cette bonne odeur que figurait ce vase de parfums répandu sur le Sauveur. Voyons si le Christ ne l’atteste pas lui-même. Quand des hommes zélés pour leurs intérêts, avares et voleurs, c’est-à-dire quand Judas disait de ce parfum : « Pourquoi le perdre ainsi? on aurait pu (207) vendre ce parfum précieux et en faire le bien des pauvres (Matt. XXVI, 8) » . Quand il voulait vendre ainsi la bonne odeur de Jésus-Christ, que lui répond le Sauveur? « Pourquoi, dit-il, contristez-vous cette femme? Ce qu’elle a fait pour moi, est une bonne oeuvre (Id. 10 )».Qu’ai-je à dire encore, quand le Sauveur ajoute : « Partout où sera prêché 1’Evangile dans tout l’univers, on dira à la louange de cette femme ce qu’elle vient de faire (Id. 13 ) ». Que peut-on ajouter à ces paroles ou en retrancher? Comment prêter l’oreille à ces calomniateurs? Le Seigneur a-t-il menti ou s’est-il trompé? Qu’ils choisissent, et qu’ils nous disent ou que la vérité a pu mentir, ou que la vérité a pu se tromper. « Partout où l’Evangile sera prêché », dit Jésus-Christ. Et comme si on lui demandait : Où donc sera-t-il prêché? « Dans tout l’univers », répond-il. Ecoutons notre psaume, voyons s’il parle dans le même sens. Ecoutons ce chant lugubre, et d’autant plus digne de nos larmes que l’on chante pour des sourds. Je serais étonné, -mes frères, que l’on chantât ce psaume aujourd’hui chez les Donatistes. Pardonnez-moi, mes frères, si je vous confesse mon étonnement, muais j’atteste le Christ miséricordieux, que je regarde ces hommes comme des pierres, s’ils n’entendent pas ces choses. Comment parler plus clairement, même à des sourds? On peut lire dans ce psaume la passion du j Christ aussi clairement que dans l’Evangile, et toutefois, il a été composé je ne sais combien d’années avant que le Sauveur fût né de la vierge Marie : c’était le héraut qui annonçait le juge à venir. Lisons-le donc, autant que nous le permettra le peu de temps qui nous reste, non pas autant que le voudrait notre douleur , mais, ainsi que je l’ai dit, autant que nous le permettra l’heure avancée.

3. « O Dieu, mon Dieu, regardez-moi : Pourquoi m’abandonner ainsi ? » Ce sont les mêmes paroles que nous avons entendues à la croix, quand le Seigneur s’est écrié : « Eli, Eli », c’est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu « Lama sabachtani? » Pourquoi m’avez-vous abandonné? L’Evangéliste a traduit ces paroles, et dit que le Seigneur s’écria en hébreu : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’abandonnez-vous? » Que voulait dire le Seigneur? Car Dieu ne l’avait pas abandonné, puisque lui-même est Dieu, que le Fils de Dieu est Dieu, que le Verbe de Dieu est Dieu. Ecoutons dans son premier chapitre, cet Evangéliste qui répandait au dehors la surabondance qu’il avait puisée dans le coeur de Jésus(Jean, XXIII, 23 ); voyons si le Christ est Dieu. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ce Verbe donc, qui était Dieu, « s’est fait chair pour habiter parmi nous n. C’est ce Verbe qui était Dieu, et qui, s’étant fait chair, disait pendant qu’il était cloué à la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi , pourquoi m’avez-vous abandonné? » A quoi bon parler de la sorte, sinon parce que nous étions là nous-mêmes, et que l’Eglise est le corps de Jésus-Christ (Eph. I, 23 )? Pourquoi dire : « Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, m’auriez-vous donc abandonné? » sinon pour stimuler notre attention , et nous dire en quelque manière: « C’est de moi qu’il est parlé dans ce psaume? Les cris de mes péchés éloignent de moi le salut ». Quels péchés avait celui dont il est dit : « Qu’il n’a commis aucune faute, et que le mensonge ne s’est point trouvé dans sa bouche (I Pier. II, 23 )? » Comment peut-il dire: «mes péchés n, sinon parce qu’il implore le pardon de nos fautes, et qu’il a voulu qu’elles devinssent ses fautes, afin que sa justice devînt notre justice?

4. « Mon Dieu, je crierai vers vous pendant le jour, et vous ne m’exaucerez point; « pendant la nuit, et ce ne sera point une folie pour moi (Ps. XXI, 4 ) ». Ainsi parle-t-il de lui-même, de vous, de moi; car il parlait au nom de son corps mystique qui est l’Eglise. A moins

peut-être, mes frères, que vous ne croyiez que le Seigneur craignait de mourir quand il disait : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi  (Matt. XXVI, 39 )». Le soldat n’est jas plus valeureux que le général. « Il suffit au serviteur de ressembler au maître (Id. X, 25 ) ». Toutefois saint Paul , ce champion du roi Jésus, s’écriait : « Je me sens pressé des deux  côtés, j’ai le vif désir d’être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ (Phil. I, 23 ) ». Va-t-il désirer la mort pour être avec le Christ, quand ce même Christ craignait de mourir? Qu’est-ce donc, sinon qu’il portait en lui notre infirmité, et qu’il parlait de la sorte au nom des fidèles déjà établis en son corps mystique, (208) et qui pourraient encore craindre la mort ? De là vient que cette prière était la prière des membres, et non du chef. Il en est de même de ces paroles : « J’ai crié vers vous le jour et la nuit, et vous ne m’exaucerez point ». Beaucoup en appellent à Dieu dans l’affliction et ne sont point exaucés; mais c’est pour leur salut, et non parce qu’ils sont insensés. Paul demanda d’être délivré de l’aiguillon de la chair et ne l’obtint point; il entendit cette réponse : « Ma grâce te suffit, car la vertu use perfectionne dans la faiblesse (II Cor. XII, 9 ) ». Dieu donc ne l’exauça point; et ce refus, loin de l’accuser de folie, devait le former à la sagesse ; car l’homme doit comprendre que Dieu est médecin, et que l’affliction est un remède pour nous guérir et non un châtiment qui aboutisse à la damnation. Pour vous guérir, on brûle, on tranche, et vous criez; le médecin est sourd à vos désirs, il cherche uniquement à vous guérir.

5. « Pour vous, ô gloire d’Israël, vous habitez dans le sanctuaire (Ps. XXI, 4 ) ». Vous habitez en ceux que vous sanctifiez, et à qui vous faites comprendre que si vous repoussez des demandes, c’est pour le bien de ceux qui supplient, et que vous en exaucez d’autres pour leur propre perte. Ce fut pour l’avantage de saint Paul que Dieu rejeta sa prière, et pour la confusion de Satan qu’il accueillit la sienne. Il avait demandé de tenter Job, ce qui lui fut accordé (Job. I, 11 ). Les démons demandèrent d’entrer dans les pourceaux, et Jésus le leur permit (Matt. VIII, 31 ). Ainsi les démons sont exaucés, l’Apôtre ne l’est pas : mais ils sont exaucés pour leur confusion ; et dans l’intérêt de son salut, l’Apôtre ne le fut point. « Ce n’est point pour me convaincre de folie. Vous êtes la gloire d’Israël et vous habitez dans vos saints». Pourquoi n’exaucez-vous pas même ceux qui sont à vous? Mais pourquoi parler ainsi? Souvenez-vous de dire toujours: Grâces à Dieu, devant cette foule d’assistants, et plusieurs sont venus qui ne viennent point d’ordinaire. Je dis donc pour tous que l’affliction n’est pour le chrétien qu’une épreuve, s’il n’abandonne pas le Seigneur. Quand l’homme est heureux au dehors, le chrétien est dans un délaissement intérieur. Le feu est mis à la fournaise, et cette fournaise de l’orfèvre est le symbole d’un grand mystère. Il y a là de l’or, il y a de la paille, il y a du feu qui agit dans un lieu resserré. Le feu est le même, l’effet en est bien différent; il réduit la paille en cendre et ôte à l’or ses scories. Ceux en qui habite le Seigneur deviennent ainsi meilleurs par l’affliction, ils sont éprouvés comme l’or. Si donc le démon notre ennemi demande quelqu’un et qu’il l’obtienne de Dieu, alors, soit dans les maladies corporelles, soit dans la perte des biens, soit dans la mort de ses proches , que le chrétien maintienne son coeur entre les mains de celui qui ne l’abandonne et qui ne paraît fermer l’oreille à sa douleur que pour écouter ensuite sa prière avec miséricorde. L’artisan qui nous a faits sait ce qu’il doit faire, il sait aussi comment nous réconforter. C’est un habile architecte qui a construit l’édifice, il sait réparer ce qui a pu s’en écrouler.

6. Ecoutez encore ce que dit le Prophète: « En vous ont espéré nos pères; ils ont espéré, et vous les avez délivrés (Ps. XXI, 5 ) ». Nous savons, pour l’avoir lu dans les Ecritures, combien de nos pères Dieu a délivrés, parce qu’ils espéraient en lui, Il a délivré de l’Egypte tout le peuple d’Israël (Exod. XII, 51 ). Il a délivré les trois jeunes hommes des flammes de la fournaise; il a délivré Daniel de la fosse aux lions (Dan. III. ), et Susanne d’une accusation mensongère (Id. XIV ): tous l’invoquèrent, tous furent délivrés (Id. XIII). A-t-il fait défaut à son Fils, au point de ne point l’exaucer sur la croix? Pourquoi donc n’est-il pas délivré à l’instant, celui qui a dit : « Nos pères ont espéré en vous, et vous les avez délivrés? »

7. « Pour moi, je suis un ver et non pas un homme (Ps. XXI, 7 ) ». Un ver et non pas un homme. L’homme aussi est un ver, mais celui-ci est un ver et non pas un homme. Pourquoi pas un homme? Parce qu’il est Dieu. Pourquoi s’est-il abaissé au point de se dire « un « ver? n Est-ce parce qu’un ver naît de la chair spontanément comme le Christ est né de la vierge Marie? Il est donc un ver? Et toutefois il n’est pas un homme. Pourquoi un ver? Parce qu’il est mortel, parce qu’il est né de la chair, parce qu’il est né d’une vierge et sans le concours d’aucun homme. Pourquoi n’est-il pas un homme? Parce que le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (Jean, I, 1 ).

8. « Je suis l’opprobre des hommes, le (209) rebut de la populace (Ps. XXI, 7 ) ». Voyez combien il a souffert; et avant le récit de sa passion, afin de l’écouter avec des gémissements plus sincères, voyez d’abord les douleurs qu’il endure et ensuite voyez pourquoi. Quel est le fruit de sa passion? Voilà que nos pères ont espéré et ont été délivrés de l’Egypte. Et, comme je l’ai dit, tant d’autres l’ont invoqué, et sans aucun retard ont été délivrés dès cette vie, sans attendre la vie éternelle. Job lui-même, livré à Satan qui l’avait demandé, en proie aux ulcères et aux vers (Job, I, 11 ), recouvra néanmoins la santé dès cette vie, et des richesses doubles de celles qu’il avait perdues (Id. XLII, 11). Pour le Sauveur, il est flagellé, et nul secours; il est couvert de crachats, et nul secours; il est souffleté, et nul, secours; il est élevé en croix, et nulle délivrance; il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné (Matt. XXVIII )? » et nul secours. Pourquoi donc , mes frères? Pourquoi tout cela? Quelle est la récompense de tant de. douleurs? Tout ce qu’il endure est une rançon. Que peut-il acheter au prix de tant de douleurs? Récitons le psaume et voyons ce qu’il contient. Cherchons d’abord ce qu’il a souffert, et ensuite pourquoi : et comprenons combien sont ennemis du Christ ceux qui confessent les douleurs qu’il a endurées et qui lui en dérobent le prix. Ecoutons donc tout cela dans le psaume, et voyons ce qu’il a souffert et pour quel motif. Retenez ces deux points: qu’a-t-il souffert et pourquoi? J’explique maintenant ce qu’il a souffert, sans trop m’y arrêter: les paroles du psaume vous l’expliqueront mieux que moi. Voyez, chrétiens, ce qu’endure le Seigneur; il est « l’opprobre des hommes et le rebut de la populace ».

9. « Tous ceux qui me voyaient me persiflaient, ils parlaient des lèvres et branlaient la tête. Il a espéré en Dieu, que Dieu le délivre, que Dieu le sauve puisqu’il se plaît en lui n. Mais pourquoi les Juifs parlaient-ils ainsi? C’est parce que le Christ s’était fait homme, et qu’ils le traitaient en homme.

10. « Parce que c’est vous qui m’avez tiré du sein maternel (Ps. XXI, 8, 9 ) ». Parleraient-ils ainsi contre ce Verbe qui était au commencement, ce Verbe qui était en Dieu? Mais ce Verbe, par qui tout a été fait, n’a été tiré des entrailles maternelles que parce que le Verbe a été fait chair et a habité parmi nous. « Parce que vous m’avez tiré du sein de ma mère, vous êtes mon Dieu dès que j’ai sucé la mamelle (Ps. XXI, 10 ) ». Avant tous les siècles vous êtes mon Père, mais vous êtes mon Dieu depuis que j’ai sucé la mamelle.

11. « Du sein de ma mère, j’ai été reçu dans vos bras », afin que vous fussiez mon unique espérance; c’est l’homme, et l’homme dans sa faiblesse, le Verbe fait chair, qui parle ainsi. « Dès le sein de ma mère, vous êtes mon Dieu (Id. 11) ». Non point mon Dieu par vous-même; par vous-même vous êtes mon Père; et mon Dieu seulement depuis que j’ai passé par le sein de ma mère.

12. « Ne vous éloignez pas de moi; car la tribulation est proche, et il n’y a personne  pour me secourir ( Id. 12 ) ». Voyez comme il est abandonné, et malheur à nous, s’il nous abandonnait. « Il n’y a personne pour nous secourir».

13. « De jeunes taureaux sans nombre, des taureaux puissants m’ont environné (Id. 13 ) ».Voilà le peuple et le prince, le peuple ou les jeunes taureaux sans nombre, les princes ou les taureaux puissants.

14. « Ils fondent surmoi, la gueule entr’ouverte, comme le lion qui déchire et qui rugit (Id. 14 ) ». Ecoutez ces rugissements dans l’ Evangile: « Crucifiez-le, crucifiez-le (Jean, XIX, 6 ) ».

15. « Je me suis répandu comme l’eau, et mes ossements ont été dispersés (Ps. XXI, 15 ) ». Il appelle ossements, les disciples les plus fermes, car les os sont la solidité des corps. Quand ces ossements furent-ils dispersés ? Quand il leur dit : « Voilà que je vous envoie, comme des brebis au milieu des loups (Matt. XI, 6 )». Il dispersa donc ses disciples les plus solides, et il se répandit comme l’eau. L’eau répandue lave ou arrose; le Christ s’est répandu comme l’eau, pour laver nos souillures et arroser nos âmes. « Mon coeur s’est fondu comme une cire au milieu de mes entrailles ». C’est son Eglise qu’il appelle ses entrailles. Comment son coeur est-il devenu comme une cire ? Son coeur, c’est l’Ecriture, ou plutôt la Sagesse renfermée dans-les saintes Ecritures. L’Ecriture était un livre fermé , que nul ne comprenait ; le Seigneur a été cloué à la croix, et alors elle est devenue claire comme la cire liquéfiée, et les plus faibles (210) esprits ont pu la comprendre. C’est de là que le voile du temple a été déchiré (Matt. XXVII, 51) et, ce qui était voilé, mis à découvert.

16. « Ma force a été durcie comme l’argile (Ps. XXI, 16 )». Admirable expression pour dire mon nom s’est affermi par mes douleurs. De même que l’argile est molle avant de passer par le feu, et solide quand elle en sort ; de même le nom du Seigneur, méprisé avant la passion, en est sorti glorieux. « Ma langue s’est attachée à mon palais ». Comme ce membre n’est utile que pour-parler, le Sauveur appelle sa langue, les prédicateurs, et ils se sont attachés à son palais pour puiser la sagesse dans ses secrètes profondeurs. « Et vous m’avez réduit à la poussière de la mort».

17. « Voilà qu’une meute de chiens m’environne, que le conseil des méchants m’assiége (Id. 17 ) ». Voyez encore l’Evangile. « Ils ont percé mes mains et mes pieds ».Alors s’ouvrirent ces plaies, dont un disciple incrédule toucha les cicatrices. Il avait dit: « Si je ne mets mon doigt dans la blessure des clous, je ne croirai point». Jésus lui dit alors : « Venez, mettez votre doigt, ô incrédule ». Et il y mit sa main, et il s’écria « Mon Seigneur, et mon Dieu » . Et Jésus: Parce que tu m’as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui croient sans voir (XX, 25, 28). « Ils ont percé mes mains et mes pieds ».

18. « Ils ont compté tous mes os (Ps. XXI, 18 ) », quand il était étendu sur la croix. On ne peut mieux exprimer l’extension du corps sur la croix,          qu’en disant : « ils ont compté tous mes os».

19. « Ils m’ont regardé, ils m’ont considéré attentivement (Id. 19 ) ». Ils ont considéré, mais sans comprendre ; ils ont regardé, mais sans voir. Leurs yeux voyaient la chair, mais leur coeur ne s’élevait pas jusqu’au Verbe. « Ils se sont partagé mes vêtements ». Ses vêtements sont les sacrements. Remarquez, mes frères, que ses vêtements ou ses sacrements ont bien pu être divisés par l’hérésie; mais il y avait là une robe, que nul ne peut diviser. « ils ont tiré ma robe au sort ». « Il y avait là » ,dit l’Evangéliste, «sa tunique tissue d’en haut (Jean, XIX, 27 ) ». Donc, tissue dans le ciel, tissue par le Père, tissue par l’Esprit-Saint. Quelle est cette robe, sinon la charité que l’on ne peut partager? Quelle est cette robe, sinon l’unité ? On la tire au sort, parce que l’on ne peut la diviser. Les hérétiques ont bien pu diviser les sacrements, mais non diviser la charité. Impuissants à la partager, ils se sont retirés, mais elle demeure dans son intégrité. Le sort l’a donnée à quelques-uns ; celui qui la possède, est en sûreté; car nul ne peut le jeter hors de l’Eglise catholique; et si l’homme du dehors commence à l’avoir, on l’y introduit, comme le rameau d’olivier porté par la colombe (Gen. VIII, 11 ).

20. « Pour tous, ô mon Dieu, n’éloignez pas de moi votre secours (Ps. XXI, 20 )». Ainsi en fut-il, et Dieu le ressuscita le troisième jour. « Pourvoyez à ma défense ».

21. « Arrachez mon âme à la framée (Id. 21 ) » ; c’est-à-dire à la mort. Une framée est un glaive, et par le glaive il a voulu entendre la mort. « Et mon unique à la main des chiens ». Cette âme, et cette unique, c’est son âme et son corps; c’est son Eglise qu’il appelle unique. « A la main », c’est-à-dire au pouvoir des chiens. Qui sont les chiens? Ceux qui aboient commue des chiens, sans savoir à qui ils s’en prennent. On ne leur fait rien, et néanmoins ils aboient. Que fait au chien un passant ? le chien l’aboie pourtant. Aboyer aveuglément, sans savoir ni contre qui, ni pour qui, c’est là être chien.

22. « Sauvez-moi de la gueule du lion (Id. 22 ) ». Vous connaissez ce lion rugissant qui rôde autour de nous, cherchant quelqu’un à dévorer (I Pierre, V, 8 ). « Epargnez à mon humilité la corne du rhinocéros ». Il n’appelle rhinocéros que les orgueilleux; aussi a-t-il ajouté : « Mon humilité ».

23. Vous avez entendu les douleurs que le Christ a endurées, et les prières qu’il a faites pour en être délivré: considérons, maintenant, pourquoi il a souffert. Mais voyez d’abord, mes frères, à quoi bon porter le nom de chrétien, quand on n’est point dans cet héritage pour lequel le Christ a souffert? Nous avons entendu ce qu’il a enduré; qu’on comptât ses os, qu’on le tournât en dérision, qu’on partageât ses vêtements, qu’on tirât sa robe au sort, qu’on dispersât ses ossements; c’est ce que nous apprend le psaume, et ce que nous lisons dans 1’Evangile. Voyons pourquoi. O Christ, Fils de Dieu, vous ne souffririez point, si vous ne le vouliez pas, montrez-nous doue le fruit de (211) votre passion. Ecoutez, nous dit-il, quel est ce fruit : je ne le cache point; mais l’homme est sourd à mes paroles. Ecoutez donc bien quel est ce fruit acheté par mes douleurs. « J’annoncerai votre nom à mes frères ». Voyons s’il ne prêche le nom du Seigneur à ses frères, que dans une partie du monde. « J’annoncerai votre nom à mes frères, je vous chanterai au milieu de l’Eglise (Ps. XXI, 23)». C’est ce qui s’accomplit maintenant. Mais voyons quelle est cette Eglise: « Je vous chanterai au milieu de l’Eglise ». Voyons donc l’Eglise pour laquelle il a souffert.

24. « Louez le Seigneur, vous qui le craignez (Id. 24 )». L’Eglise du Christ est donc partout où l’on craint et où l’on bénit Dieu. Or, voyez, mes frères, si dans ces jours il n’y a point de sens dans le chant de l’Amen, et de l’Alléluia qui retentit par toute la terre. Est-ce que Dieu n’y est pas craint? Est-ce que le Seigneur n’y est pas béni ? Voilà que Donat s’en vient nous dire : Il n’y a plus de crainte, et le monde entier a péri, il a tort de dire le monde entier ; n’en restera-t-il donc qu’une faible part en Afrique? Mais le Christ n’a-t-il donc pas une parole pour fermer la bouche à ces prédicateurs? N’a-t-il pas une parole pour leur arracher la langue? Cherchions, nous la trouverons peut-être. Quand le Christ doit u bénir Dieu au milieu de l’Eglise », c’est de notre Eglise qu’il parle. « Bénissez le Seigneur, « vous qui craignez Dieu n. Voyons si nos adversaires louent le Seigneur, afin de coin-prendre si c’est bien d’eux qu’il parle, s’il est béni dans leur Eglise. Comment bénissent-ils le Christ, ceux qui prêchent qu’il a perdu toute la terre, que le diable l’a conquise sur lui, qu’il ne lui en reste qu’une partie? Mais voyons encore, et que le psaume parle avec plus de clarté, qu’il s’explique avec plus d’évidence; qu’il n’y ait plus besoin d’interprétation, qu’il mie reste aucun doute. « Glorifiez-le, race entière de Jacob ». Peut-être diront-ils encore: C’est nous qui sommes la race de Jacob. Voyons s’ils sont en effet cette race,

25. « Qu’il soit craint de toute la postérité d’Israël (Id. 25 )». Qu’ils disent encore qu’ils sont la race d’Israël, nous leur permettons de le dire. « Car il n’a point méprisé ni  rejeté la prière des pauvres ». De quels pauvres? de ceux qui ne présumaient point d’eux-mêmes. Jugeons par là s’ils sont pauvres , ceux qui disent : « Nous sommes justes », quand Jésus-Christ dit lui-même: « Les cris de mes péchés éloignent de moi le salut (Ps. XXI, 2 ) ». Mais qu’ils disent encore ce qu’il leur plaira. «Il n’a point détourné de moi son visage, et quand je criais vers lui il m’a exaucé (Id. 25 ) ». En quoi l’a-t-il exaucé, pour quel motif?

26. « Vous êtes l’objet de ma louange (Id. 26 )». Il met sa gloire en Dieu pour nous apprendre à ne point présumer de l’homme. Qu’ils disent encore ce qu’ils voudront. Déjà ils commencent à sentir l’effet du feu qui s’approche: « Car nul ne peut se dérober à sa chaleur (Ps. XVIII, 7 ) ». Qu’ils disent encore : Nous ne présumons pas non plus en nous-mêmes, et c’est en Dieu que nous mettons notre gloire; qu’ils disent même : « Je chanterai vos louanges dans une grande assemblée ». Il me semble qu’ici le Christ les touche au coeur. Qu’est-ce, mes frères, qu’une grande Eglise ? Appellerait-on grande Eglise un coin de la terre? Une grande Eglise, c’est l’univers entier. Quelqu’un voudrait-il contredire le Christ? Voici vos paroles, ô Christ : « Je chanterai vos louanges dans une grande Eglise » ; dites-nous donc quelle est cette Eglise ! Vous êtes resserré dans un coin de l’Afrique; vous avez perdu le monde entier, vous avez versé votre sang pour tous; mais l’ennemi a envahi vos domaines. Si nous parlons ainsi, mes frères, c’est comme pour l’interroger, car nous savons ce qu’il y aurait à répondre. Supposons néanmoins que nous ignorons ce qu’il dit : sa réponse n’est-elle point : Attendez, je vais parler de manière à lever tous les doutes? Ecoutons donc ce qu’il va dire. Pour moi, je voulais prononcer, et ne point laisser aux hommes la liberté d’interpréter cette parole du Christ : « Dans une grande Eglise ». Et tu viens me dire qu’il est resserré à l’une des extrémités? Ils oseront encore nous dire : Notre assemblée est grande, que dites-vous de Bagaï et de Tamugade ? Si le Christ n’a plus un mot pour les confondre, ils diront que la Numidie seule est cette grande Eglise.

27. Voyons encore, écoutons Jésus-Christ. « J’accomplirai mes voeux en présence de ceux qui le craignent (Ps. XXI, 26 ) ». Quels sont les voeux du Christ? le sacrifice qu’il offrit à Dieu. Savez-vous quel sacrifice ? Les fidèles savent les (212) voeux accomplis par le Christ en présence de ceux qui le craignaient. Car voici ce qui suit: « Les pauvres mangeront et seront rassasiés (Ps. XXI, 27 )». Bienheureux donc ces pauvres qui mangent ainsi pour être rassasiés ! Donc, les pauvres mangent. Quant aux riches, ils ne sont pas rassasiés, parce qu’ils n’ont pas faim. Les pauvres mangeront. Il était un pauvre, ce Pierre le pêcheur, et Jean cet autre pêcheur, et Jacques son frère (Matt. IV, 18 ), et même le publicain Matthieu (Id. IX, 9 ). Ils étaient des pauvres, tous ces autres qui mangèrent et qui furent rassasiés, parce qu’ils souffrirent comme la victime qu’ils mangeaient. Car le Christ a donné ses douleurs comme il a donné ses festins; c’est celui qui souffre comme lui, qui est rassasié. Les pauvres l’imitent, car ils souffrent pour suivre les traces de Jésus-Christ. « Ces pauvres mangeront ». Comment sont-ils pauvres? « C’est qu’ils louent le Seigneur, ceux qui le recherchent (Id. IX, 9) ». Les riches se louent eux-mêmes, les pauvres louent le Seigneur. Comment donc sont-ils pauvres? C’est qu’ils bénissent le Seigneur, qu’ils recherchent le Seigneur, et que le Seigneur est le trésor des pauvres; d’où vient que leur maison est dénuée, tandis que leur coeur est plein de richesses, Que le riche travaille à remplir ses coffres, le pauvre cherche à remplir son coeur : et quand leur coeur est enrichi, ils bénissent le Seigneur, ceux qui le recherchent. Voyez, mes frères, en quoi consiste la richesse de ces vrais pauvres; elle ne loge, ni dans les coffres, ni dans les greniers, ni dans tes celliers. « Leurs coeurs vivront dans l’éternité ».

28. Ecoutez-moi donc, mes frères. Le Christ a souffert, il a enduré tout ce que vous avez entendu; nous avons cherché le but de ses douleurs, et il s’est mis à nous dire : « J’annoncerai votre nom à mes frères, je vous chanterai au milieu de l’Eglise ». Mais ils répliquent : Nous sommes cette Eglise. « Qu’il soit redouté dans la postérité d’Israël ». Et eux de dire : Nous sommes la postérité d’Israël. « Il n’a point rejeté ni dédaigné la «prière des pauvres ». Ils disent encore Nous sommes ces pauvres. « Il n’a pas détourné de moi son visage ». Jésus-Christ, notre Seigneur, n’a pas détourné sa face de lui-même, ou de son corps, qui est l’Eglise. «En vous est ma louange ». Et vous voulez vous louer vous-mêmes. Mais, nous répondront-ils, c’est bien lui que nous chantons aussi. « Je remplirai mes voeux en présence de ceux qui le craignent». Les fidèles savent que c’est un sacrifice de paix, un sacrifice de charité, le sacrifice de son corps: nous ne pouvons aujourd’hui nous étendre à ce sujet. « Je remplirai mes voeux devant ceux qui me craignent ». Mangez, publicains, mangez pêcheurs, mangez, imitez le Seigneur, souffrez, et vous serez rassasiés. Le Seigneur lui-même est mort ; les pauvres meurent à leur tour, et la mort des disciples vient s’ajouter à la mort du maître. Pourquoi ? montrez-m’en l’utilité. « Les extrémités de la terre se ressouviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui(Ps. XXI, 30 ) ». Hélas! mes frères, pourquoi nous demander ce que nous répondrons aux partisans de Donat? Ce psaume que nous lisons ici aujourd’hui se ht encore aujourd’hui chez eux. Gravons-le sur nos fronts, marchons avec lui, ne donnons aucun repos à notre langue, et répétons sans cesse : Le Christ a souffert, voilà que ce négociant divin nous montre ce qu’il vient d’acheter, son sang qu’il a répandu en est le prix. Il portait ce prix dans une bourse divine; et cette bourse s’est répandue sous le coup d’une lance impie, et il en est sorti la rançon du monde entier. Que viens-tu me dire, ô hérétique ? N’est-ce point le prix de l’univers entier? l’Afrique seule serait-elle rachetée? tu n’oserais le dire. Tout l’univers a été racheté, diras-tu, mais il a échappé au Christ. Quel ravisseur a donc. fait perdre au Christ ce qui lui appartenait? « Voilà que tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». Que ces paroles vous suffisent donc. S’il était dit: Les confins de la terre, et non, « tous les confins de la terre», ils pourraient nous répliquer: Nous avons en Mauritanie ces confins de la terre. Mais, ô hérétique, il a dit: « Tous les confins de la terre », oui, « tous » ; où donc pourras-tu fuir, pour éviter cette réponse? Nul moyen d’échapper; il ne te reste que la porte pour entrer.

29. Toutefois, mes frères, je ne veux pas établir une dispute, de peur que l’on attribue quelque valeur à mon discours. Ecoutez donc le psaume, et lisez-le. Voilà que le Christ a souffert, son sang est répandu; voilà d’une part le Rédempteur, et d’autre part la rançon. Qu’on me dise l’objet racheté. Mais pourquoi (213) le demander? puisqu’on pourrait me répondre O insensé, à quoi bon les questions? Tu as un livre, et dans ce livre le prix de la rançon, et l’objet racheté. Vous pouvez y lire : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». Oui, les confins de la terre s’en souviendront. Mais les hérétiques l’ont oublié, aussi le leur lit-on chaque année. Croyez-vous qu’ils prêtent l’oreille, quand le lecteur répète : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui? » Mais ce n’est peut-être qu’un verset, et vous aviez l’esprit distrait, ou vous parliez au voisin, quand on a lu ce passage; voyez pourtant comme il le répète, et force les sourds d’entendre: « Toutes les nations de la terre se prosterneront pour l’adorer ». Il est encore sourd, et n’entend pas plus, frappons de nouveau. « Au Seigneur appartient l’empire, et il dominera les nations ». Retenez bien, mes frères, ces trois versets. Aujourd’hui on les chante aussi chez eux, à moins qu’ils ne les aient effacés. Pour moi, mes frères, je suis tellement frappé, tellement hors de moi-même, qu’une telle surdité, une telle dureté de coeur me jette dans la stupeur, et je me prends à douter quelquefois s’ils ont ces passages dans leurs livres. Aujourd’hui tous les fidèles accourent à l’Eglise, aujourd’hui tous prêtent l’oreille attentivement à la lecture de ce psaume, tous demeurent en suspens à cette lecture. Mais fussent-ils inattentifs, n’y a-t-il que ce seul verset : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ? » Vous vous éveillez, vous frottez encore vos yeux : « Et les peuples de la terre se prosterneront en sa présence ». Vous vous réveillez, vous êtes encore assoupis, écoutez : « Au Seigneur appartient l’empire, et il dominera toutes les nations ».

30. Que pourraient-ils répliquer ? je ne sais ; qu’ils s’en prennent aux saintes Ecritures, et non plus à nous. Voilà le livre, qu’ils le combattent. A quoi sert de dire: C’est nous qui avons sauvé les Ecritures, qu’on aurait brûlées? Elles sont sauvées pour te brûler, ô hérétique. A quoi bon les sauver? Ouvre-les donc pour les lire. Tu les a sauvées, et tu les combats. Pourquoi sauver de la flamme ce que tu effaces de la langue?Je n’en crois rien, je ne puis croire que tu les aies sauvées; non, tu ne les as pas sauvées, je n’en crois rien. Les nôtres, au contraire, ont raison de dire que tu les as livrées. il prouve sa trahison, celui qui refuse d’exécuter un testament qu’on lui alu. On le lit devant moi, et je m’y rends; devant toi, et tu contestes. Quelle main l’a jeté au feu? Est-ce la main de celui qui l’accepte et le suit, ou la main de celui qui est chagrin qu’il existe encore, et qu’on le puisse lire? Mais je ne veux plus connaître le sauveur de ce livre; peu importe de quelle manière et dans quelle caverne on l’ait trouvé, c’est le testament de notre père; je ne connais ni les voleurs qui voulaient le soustraire, ni les persécuteurs qui le voulaient brûler: de quelque part qu’il nous vienne, il doit être lu. Pourquoi disputer? Nous sommes frères, à quoi bon plaider? Notre père n’est point mont sans testament. Il en a fait un, et il est mort ; après sa mort, il est ressuscité. On dispute sur l’héritage d’un défunt, tant que le testament n’est pas devenu public : dès que le testament se produit en public, tous gardent le silence, afin qu’on l’ouvre et qu’on le lise. Le juge l’écoute avec attention, les avocats se taisent, les huissiers font faire silence, tout le peuple demeure en Suspens, pour laisser lire les paroles d’un défunt, qui est sans mouvement dans le sépulcre. Cet homme est donc sans vie sous la pierre, mais ses paroles ont une valeur : et c’est quand Jésus-Christ est assis dans le ciel, que l’on conteste son testament? Ouvrez donc, et lisons. Nous sommes frères, pourquoi ces disputes? Soyons plus paisibles, notre père ne nous a pas laissés sans testament. Et celui qui a fait ce testament, vit dans l’éternité, il entend nos voix, il connaît celle qui est à lui. Lisons donc, à quoi bon disputer? Prenons possession de l’héritage, quand nous l’aurons trouvé. Ouvrez le testament, et lisez donc un des premiers psaumes : « Demande-moi e. Mais qui parle ainsi? Peut-être n’est-ce pas Jésus-Christ. Vous avez encore au même endroit: « Le Seigneur m’a dit: Vous êtes mon Fils, c’est aujourd’hui que je vous ai engendré (Ps. II, 7 )». Donc est-ce le Fils de Dieu qui parle, ou le Père qui parle à son Fils? Et que dit-il à ce Fils? « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et ton empire embrassera tous les confins de la terre (Id. 8. ) ». Souvent, mes frères , quand on conteste au sujet d’un champ, on s’enquiert des possesseurs qui  (214) avoisinent, et entre tel ou tel voisin, on cherche l’héritier à qui il est échu ou qui en est l’acheteur. Auprès de quels voisins s’informer? Auprès de ceux qui possèdent les propriétés environnantes. Mais celui qui n’a aucune borne à son héritage n’a aucun voisin, Or, de quelque part que vous vous tourniez, c’est le Christ qui est possesseur. Tu as en héritage les confins de la terre, viens, possède avec moi la terre entière. Pourquoi m’intenter un procès pour m’appeler en partage? Viens ici, c’est un avantage de perdre ton procès puisque tu auras le tout. Quel sujet pour toi de disputer? J’ai lu le testament, et tu disputes encore? Viendras-tu nous objecter qu’il a dit: « Les confins de la terre, et non, tous les confins? Lisons donc alors. Qu’avons-nous lu? « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui. Toutes les nations de la terre se prosterneront en sa présence. L’empire est au Seigneur, et il dominera les nations ». C’est donc à lui et non à vous qu’appartient la domination. Reconnaissez donc et le Seigneur votre maître, l’héritage du Seigneur.

31. Mais vous aussi, qui voulez avoir une possession à part, et non plus avec nous dans l’unité du Christ, car vous voulez dominer sur la terre et non régner avec lui dans le ciel, vous possédez vos demeures. Nous sommes allés quelquefois les trouver, mes frères, et pour leur dire : Cherchons la vérité, trouvons la vérité. Et eux de nous répondre : Gardez ce que vous avez; tu as tes brebis, j’ai les miennes; laissez mes brebis en paix comme j’y laisse les vôtres. Grâces à Dieu, j’ai mes brebis, et il a ses brebis, qu’a donc racheté le Christ? Ah! qu’elles ne soient ni à toi ni à moi, ces brebis, mais bien à celui qui les a rachetées, à celui qui les a marquées de son caractère ! « Ni celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement ( I Cor. III, 7 ) ». Pourquoi donc avoir tes brebis et moi mes brebis? Si le Christ est avec toi, que mes brebis y aillent aussi, car elles ne sont pas à moi; et si le Christ est avec nous, que tes brebis y viennent aussi, puisqu’elles ne sont pas à toi. Qu’elles entrent dans leur héritage en nous baisant le front et les mains, et que les enfants étrangers disparaissent. Elles ne m’appartiennent pas, dit-il. Qu’est-ce à dire? Voyons si elles ne vous appartiennent pas, voyons si vous n’en avez pas revendiqué la possession. Je travaille au nom du Christ, toi au nom de Donat; car si c’est pour le Christ, le Christ est partout. Tu dis « Le Christ est ici (Matt. XXIV, 23 ) », et moi je dis qu’il est partout. « Enfants, louez le Seigneur, bénissez le nom du Seigneur ».D’où viendra cette louange ? Et jusqu’où ira-t-elle ? « De l’Orient jusqu’au couchant, bénissez le nom du Seigneur (Ps. CXII, 1 ) ». C’est là l’Eglise que je vous montre, c’est là ce qu’a acheté le Christ et ce qu’il a racheté, c’est pour cela qu’il a donné son sang. Mais toi, que dis-tu? C’est aussi pour lui que je recueille. « Celui qui ne ramasse « point avec moi, te répond-il, celui-là disperse (Matt. XII, 30 ) ». Or, tu divises l’unité, tu veux un domaine à part. Pourquoi donc avoir le nom du Christ? C’est parce que tu as prétendu que le nom fût comme un titre qui garantît ta possession. N’est-ce point là ce que font plusieurs à l’égard de leur maison? Pour la garantir contre l’avidité d’un larron puissant, le maître y place le titre d’un autre homme puissant, titre mensonger. Il veut être possesseur de sa maison, et pour se l’assurer, il met au frontispice un titre d’emprunt, afin qu’en lisant ce nom d’un homme puissant dans le monde, un ravisseur soit saisi de frayeur et s’abstienne de toute violence. C’est ce que firent nos hérétiques lorsqu’ils condamnèrent les Maximianistes. Ils allèrent trouver les juges, et pour montrer des titres qui les fissent regarder comme évêques, ils récitèrent les canons de leur concile. Alors le juge demanda : Est-il ici quelque autre évêque du parti de Donat? L’assemblée répondit : Nous ne reconnaissons qu’Aurèle qui est catholique. Dans la crainte des lois, ils n’ont parlé que d’un seul évêque. Mais pour se faire écouter du juge, ils empruntaient le nom du Christ et couvraient de ses titres leur possession. Que le Seigneur le leur pardonne dans sa bonté, et qu’il revendique son héritage partout où il retrouve ses titres; sa miséricorde est assez grande pour leur faire cette grâce, et pour ramener dans son Eglise tous ceux qu’il rencontrera sous le nom du Christ. Voyez, mes frères, quand un prince trouve ses titres sur quelque domaine, n’a-t-il pas le soin de le revendiquer en disant : S’il n’était mon domaine, il ne porterait pas mes (215) titres? J’y trouve mon nom, le domaine est à moi; tout domaine m’appartient quand il porte mon nom. Change-t-il jamais ses titres? Le titre d’autrefois est le titre d’aujourd’hui; l’héritage peut changer de maître et non de titre. De même, quand ceux qui ont reçu le baptême du Christ reviennent à l’unité, nous ne changeons pas les titres, nous ne les effaçons point; mais nous reconnaissons les titres de notre roi, le nom de notre prince. Que disons-nous? Héritage infortuné, sois le domaine de celui dont tu portes les titres; tu portes le nom du Christ, ne sois donc pas l’héritage de Donat.

32. C’est beaucoup nous étendre , mes frères ; mais gardez-vous d’oublier ce que nous avons lu. Je vous le répète, et il faut souvent le redire; au nom de ce jour sacré, ou plutôt, des mystères que l’on y célèbre, je vous en supplie, n’oubliez pas ces paroles: « Toutes les nations de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui.Tous les peuples de la terre se prosterneront en sa présence. L’empire est au Seigneur, et il dominera les peuples ». En face d’un titre si clair, si authentique de la possession du Christ, fermez l’oreille aux paroles d’un imposteur. Toute contradiction est la parole d’un homme, ceci est la parole de Dieu.  

  Accueil Remonter Suivante