PSAUME XXIX
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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXIX.

L’ÉGLISE, OU LE TEMPLE  CONSACRÉ A DIEU.

   

Chaque membre de I’Eglise ou de Jésus-Christ peut tenir le langage de ce psaume. Et-ce que peut dire Jésus-Christ à propos de sa résurrection, et quand il se prépare à se consacrer un temple dans les fidèles, tout fidèle sorti du péché peut se l‘appliquer, et se considérer comme un temple consacré à Dieu.

 

POUR LA FIN, PSAUME CHANTÉ A LA DÉDICACE D’UN LIEU SACRÉ, POUR DAVID (1).

   

1. Pour la fin. Chant joyeux de la résurrection, qui a renouvelé non-seulement le corps de Jésus-Christ, mais de toute 1’Eglise, et l’a changé en un corps immortel. Dans le psaume précédent, la tente que nous devons habiter pendant la durée de la guerre s’achevait;

  1. Ps. XXIX, 1.

maintenant il s’agit de faire la dédicace de ce palais, que nous devons habiter dans une paix éternelle.

2. C’est le Christ qui parle ici dans son intégrité : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé 1 ». Je chanterai votre grandeur, parce que vous m’avez protégé. « Et que vous n’avez point réjoui mes ennemis de ma ruine ». Vous n’avez point permis que ceux qui, tant de fois dans l’univers entier, ont cherché à m’écraser sous le poids des persécutions, se réjouissent à mon sujet.

3. « Seigneur, mon Dieu, j’ai crié vers vous et vous m’avez guéri 2 ». Je vous ai invoqué, Seigneur mon Dieu, et je ne suis plus chargé d’un corps sujet à la mort ou à la maladie.

4. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du tombeau, vous m’avez séparé de ceux qui  descendent dans l’abîme 3». Vous m’avez sauvé d’un profond aveuglement et des bas-fonds d’une chair corruptible.

5. « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges ». Le Prophète voit dans l’avenir ce qu’il annonce, et il s’écrie dans ses transports : « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges, et rendez témoignage à la mémoire le sa sainteté 4». Et confessez qu’il n’a point oublié cette sainteté dont il vous a gratifiés : quoique le temps qui sépare la sanctification de la récompense paraisse long à vos désirs.

6. « Son indignation amène la vengeance». Il a vengé sur vous le premier péché que vous expiez par la mort. « Mais sa volonté donne la vie 5 ». Cette vie éternelle, à laquelle vous ne pouviez revenir de vos propres forces, il vous la donne, par un acte de sa bonne volonté. « Le soir s’écoulera dans les pleurs ». Ce soir a commencé quand la lumière de la sagesse s’est éteinte en l’homme pécheur, et qu’il a été condamné à la mort : à dater de ce soir fatal, des pleurs doivent couler, tant que le peuple de Dieu attendra, dans les travaux et les épreuves, le jour du Seigneur. « Au matin, nous serons dans la joie». Il attendra jusqu’au matin, où il tressaillera dans la joie de la résurrection future, que nous annonce comme une fleur matinale la résurrection du Christ.

7. « En mes jours d’abondance, j’ai dit: Je  

1. Ps. XXIX, 2.— 2. Id. 3.— 3. Id. 4.— 4. Id. 5.— 5. Id. 6. 

ne serai jamais ébranlé 1». Pour moi, peuple, moi qui parlais dès l’abord, dans mes jours d’abondance, et quand je ne ressentais pas la disette, j’ai dit : « Je ne serai point ébranlé ».

8. « Seigneur, dans votre bonté, vous m’avez affermi dans ma félicité 2 ». Mais, Seigneur, j’ai compris que cette richesse me venait de votre bonté et non de moi, quand « vous avez détourné de moi votre face, et que je suis tombé dans le trouble », car mes fautes vous ont fait détourner votre visage, et je suis tombé dans le trouble, quand votre lumière s’est éteinte pour mes yeux.

9. « Je crierai vers vous, Seigneur, je vous supplierai, ô mon Dieu 3». Quand je me souviens de mes jours de trouble et de misère et que je m’y crois encore engagé, j’entends alors la voix de votre premier-né, de celui qui est mon chef et qui doit mourir pour moi, et qui s’écrie: «J’en appelle à vous, Seigneur; c’est vous que je supplierai, ô mon Dieu! »

10. « Qu’est-il besoin de verser mon sang, si je dois m’en aller en pourriture 4? Est-ce que cette poussière pourra vous glorifier? » Si je ne ressuscite pas aussitôt, si mon corps est en proie à la pourriture, « est-ce que vous tirerez votre gloire de cette poussière », ou de cette troupe d’impies que ma résurrection doit justifier? « Ou bien, pourra-t-elle annoncer votre vérité 5 » C’est-à-dire, pourront-ils annoncer aux autres la vérité du salut?

11. « Le Seigneur m’a écouté et m’a pris en pitié, il a été mon protecteur 6 ». Il n’a point permis que son saint devînt la proie de la corruption7 ».

12. «Vous avez changé mon deuil en joie 8 ». Moi, votre église, qui ai reçu ce premier-né d’entre les morts, je chante à la dédicace de votre palais: «Vous avez changé mon deuil en joie; vous avez déchiré mon cilice pour me revêtir de joie 9 ». Vous avez écarté le voile de mes péchés et la tristesse de ma mortalité, pour me revêtir de ma robe première et d’une joie impérissable.

13. «Afin que ma gloire vous chante, et que nul aiguillon ne me meurtrisse 10». Afin qu’il n’y ait plus aucun deuil pour moi; mais que ma gloire chante vos louanges, et non plus mon humilité, puisque vous m’avez  

1. Ps. XXIX, 7 — 2. Id. 8.— 3. Id. 9.— 4. Id. 10.— 5. Ibid. — 6. Id. 11. — 7. Id. XV, 10. — 8. Id. XXIX, 12.— 9. Ibid. — 10. Id. 13.  

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tiré de l’abaissement, et que la conscience de mon péché, la crainte de la mort et du jugement ne perce plus mon coeur. « Seigneur, mon Dieu, je vous bénirai éternellement ». C’est là ma gloire, ô mon Dieu, de proclamer hautement à votre louange qu’il n’y a rien en moi de moi-même , et que tout bien vient de vous, ô Dieu, qui êtes tout en tous (I Cor. XV, 28 ).

   

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXIX.

LA GLOIRE DU CHRÉTIEN APRÈS CETTE VIE.  

Dans ce discours, saint Augustin nous montre que Jésus-Christ, notre chef, ayant reçu sa consécration dans le ciel, nous devons l’y recevoir aussi et l’y suivre. Et nous y arriverons, en bénissant Dieu, ou en le glorifiant dans nos douleurs, pour le bénir ensuite dans sa gloire.

 

1.Assurément nous avons chanté: «Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé, et que vous n’avez point donné à mes «ennemis la joie de ma ruine 1». Si les saintes Ecritures nous ont fait connaître nos ennemis, nous comprenons la vérité de ce cantique nais si la prudence de la chair nous a jetés dans l’illusion au point que nous ne connaissions plus ce qu’il nous faut combattre 2, nous trouvons, dès l’abord du psaume, une difficulté insoluble pour nous. De qui pensons-nous sont ce chant d’actions de grâces, cette voix qui bénit Dieu dans son allégresse et qui s’écrie: «Je vous exalterai, Seigneur, parce que nous m’avez relevé, et que vous n’avez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine?» Considérons d’abord que c’est Notre-Seigneur qui, dans cette humanité dont il a daigné se revêtir, a pu fort bien s’approprier ces paroles du Prophète. Devenir homme, c’est contracter nos infirmités, et, devenu infirme, il devait prier. Nous venons de voir, en lisant cet Evangile, qu’il se sépara de ses disciples pour entrer au désert, où ils allèrent le chercher et le trouvèrent. Etant à l’écart, il priait, et ses disciples lui dirent en le retrouvant : « Les hommes vous cherchent. Allons prêcher, répondit-il, en d’autres lieux, en d’autres bourgades ; car c’est pour cela que je suis venu 3 ». A n’envisager Notre-Seigneur Jésus-Christ que dans sa divinité, qui est celui  

1.Ps, XXIX, 1.— 2. Eph. VI, 12. — 3. Marc, I, 35, 38.  

qui prie? à qui adresse-t-il sa prière? quel en est le sujet? Un Dieu peut-il prier? s’adresser à son égal? Quel motif de prier peut avoir celui qui est toujours heureux, toujours tout-puissant, toujours immuable et éternel, coéternel au Père? Si nous écoutons cette voix de tonnerre, qu’il a fait retentir, comme à travers la nuée, par saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu, toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui, en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière a lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise 1 »; nous ne trouvons jusque-là ni prière, ni sujet de prière, ni occasion de prière, ni désir de prier; mais quand il est dit plus bas : « Et le Verbe s’est fait « chair, et il a demeuré parmi nous 2 » : vous avez un Dieu que vous devez prier, et un homme qui priera pour vous. Car l’Apôtre tenait ce langage après la résurrection de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est assis à la droite de Dieu, dit-il, et qui intercède pour nous’. Pourquoi intercéder pour nous? Parce qu’il a daigné se rendre notre médiateur. Qu’est-ce qu’être médiateur entre Dieu et les hommes? Je ne dis point entre son Père et les hommes, mais bien entre Dieu et les hommes. Qu’est-ce que Dieu? C’est le  

1. Jean, I, l-5 — 2. Id. 14. — 3. Rom. VIII, 34. — 4. I Tim. II, 5.  

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Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Que sont les hommes? Dès pécheurs, des impies, de chétifs mortels. Donc, entre la Trinité et les hommes infirmes et coupables, un homme s’est fait médiateur, homme innocent, il est vrai, et néanmoins infirme: afin que dans son innocence il pût vous approcher de Dieu, et dans son infirmité s’approcher de vous. C’est ainsi que le Verbe fait chair, ou le Verbe fait homme est devenu médiateur entre Dieu et les hommes. Sous le nom de chair on entend les hommes. De là cette parole : « Toute chair verra le salut de Dieu 1 ». Toute chair, c’est-à-dire tous les hommes. L’Apôtre dit aussi « Nous n’avons pas à combattre contre la chair « et le sang», c’est-à-dire contre les hommes, « mais contre les principautés, les puissances, « les princes de ce monde et de ces ténèbres 2», dont nous parlerons plus tard, avec le secours de Dieu. Car cette distinction nous est nécessaire pour l’intelligence de ce psaume, que nous avons entrepris de vous expliquer au nom du Seigneur. Toutefois j’ai cité aujourd’hui ces quelques exemples, afin que vous sachiez que la chair désigne tous les hommes, et que dire : « Le Verbe s’est fait chair », ce soit pour vous : Le Verbe s’est fait homme.

2. Ce n’est pas sans raison que j’ai fait ces remarques. Vous devez savoir, mes frères, qu’il y eut autrefois certains hérétiques nommés Apollinaristes, et peut-être y en a-t-il encore aujourd’hui quelques-uns. Plusieurs d’entre eux ont erré en parlant de cette humanité dont s’est revêtue la sagesse de Dieu, pour habiter en elle personnellement, non plus comme dans les autres hommes, mais selon cette parole du Prophète : « Votre Dieu, ô Dieu, vous a marqué d’une huile de joie, qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager avec vous 3 », c’est-à-dire d’une onction plus grande que celle des autres hommes : de peur que l’on ne vînt à -croire que l’onction du Christ ressemble à celle des hommes, des autres justes, des patriarches, des Prophètes, des Apôtres, des martyrs, et de tout ce qu’a produit de grand la race humaine. Nul autre homme ne fut plus grand que Jean-Baptiste, et des fils de la femme aucun ne l’a surpassé 4. Si vous cherchez quelle fut sa grandeur, il suffit de dire que c’est Jean-Baptiste. Mais celui à qui Jean ne se trouvait pas digne de dénouer les  

1.  Luc, III, 6.— 2. Eph. VI, 12.— 3. Ps. XLIV, 8.— 4. Matt. XI, 11.  

souliers1, qu’était-il donc, sinon plus que tous les autres hommes. Même en son humanité, il avait plus de grandeur que tout autre homme. Comme Dieu, dans sa divinité, comme Verbe qui était au commencement, Verbe qui était en Dieu, Verbe qui était Dieu, il est égal au Père, et bien au-dessus de toute créature. Mais nous parlons ici de l’humanité. Quelqu’un de vous, mes frères, croira peut-être que cet homme dont la sagesse divine a daigné se revêtir, était égal au reste des hommes. Dans le corps humain, il y a une grande différence entre la tête et les autres membres, bien que les membres ne forment à la vérité qu’un seul et même corps, néanmoins la tête est bien supérieure au reste des membres. Dans tous les autres, vous n’avez de sentiment que par le tact; c’est en touchant qu’ils sentent, mais c’est par la tête que vous entendez, que vous voyez, que vous flairez, que vous goûtez, que vous touchez. Si telle est la supériorité de la tête sur les autres membres, quelle ne sera pas l’excellence de celui qui est le chef de l’Eglise, ou de cet Homme que Dieu a voulu établir médiateur entre Dieu et les hommes?

Donc, ces hérétiques ont dit que l’homme, dont le Verbe s’est revêtu, quand le Verbe s’est fait chair, n’avait point l’esprit humain, et seulement une âme privée de l’intelligence humaine. Vous voyez de quoi l’homme est composé; de l’âme et du corps. Mais il y a dans l’âme de l’homme quelque chose de plus que dans l’âme des bêtes. Car les bêtes aussi ont une âme, de là leur nom d’animaux; et on ne les appellerait point animaux, si elles n’avaient une âme; nous voyons aussi qu’elles ont la vie. Qu’a donc de plus l’homme qui le marque à l’image de Dieu? C’est qu’il comprend, c’est qu’il raisonne, c’est qu’il discerne le -bien du mal; c’est en cela qu’il est fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il y a donc en lui quelque chose, que n’ont pas les animaux. Et quand il méprise sa supériorité sur les bêtes, il détruit en lui, il efface, et en quelque sorte il dégrade l’image de Dieu; en sorte que c’est à ces hommes qu’il est dit: « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet qui sont sans intelligence 2». Ces hérétiques ont donc soutenu que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait point l’esprit humain, ni ce que les Grecs appellent logikon, ce que nous appelons la raison, cette partie de l’âme qui  

1. Marc, I, 7. — 2. Ps. XXXI, 9.  

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raisonne et que n’ont point les animaux. Quelle est donc leur doctrine? Ils enseignent que le Verbe de Dieu était, dans son humanité, ce que l’esprit est en nous. L’Eglise les a rejetés, la foi catholique les a eus en horreur, et ils ont formé une secte hérétique. La foi catholique a déclaré que cet homme, dont la sagesse divine a daigné se revêtir, n’avait rien de moins que les autres hommes, pour ce qui est de l’intégrité de nature ; mais que l’excellence de la personne le rendait supérieur aux autres hommes. Car on peut dire des autres qu’ils participent au Verbe de Dieu, puisque le Verbe de Dieu est en eux; mais aucun d’eux ne peut être appelé Verbe de Dieu, comme l’a été celui-ci dans 1’Evangile : « Le Verbe s’est fait chair 1».

3. D’autres hérétiques, issus de ces derniers, ont refusé à cet Homme-Dieu, à ce Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, non-seulement la raison, mais l’âme humaine. Ils ont soutenu qu’il était Verbe et chair, mais qu’il n’y avait en lui ni raison humaine, ni hie humaine. Voilà ce qu’il,s enseignaient. Qu’était donc Jésus-Christ, selon eux? Le Verbe et la chair. L’Eglise les a rejetés aussi et séparés de ses brebis, de la vraie et simple croyance, et a déclaré, comme je viens de le dire, que l’homme médiateur eut tout ce qui est de l’homme, à l’exception du péché. Si en effet, nous voyons en lui beaucoup d’actions corporelles, qui nous démontrent qu’il avait un corps véritable, et non un corps fictif; comment voulons-nous entendre qu’il avait un corps? Ainsi, il marche, il s’assied, il dort, il est saisi, flagellé, souffleté, cloué à la croix, il meurt. Otez le corps, et rien de tout cela n’aura lieu. Comme donc à toutes ces marques de l’Evangile nous reconnaissons que le Christ avait un corps véritable, ainsi que lui-même l’atteste après sa résurrection, quand il dit: « Touchez et voyez, un esprit n’a point une chair et des os, comme vous m’en voyez 2 »; comme à ces indices et à ces actes, nous croyons, nous comprenons, nous reconnaissons que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait un corps, ainsi d’autres particularités de la nature nous font croire qu’il avait une âme. Avoir faim et soif, sont des oeuvres de l’âme ôtez l’âme, et le corps inanimé ne sentira plus ces besoins. S’ils soutiennent que ces besoins étaient fictifs, nous ne verrons non plus que  

1. Jean, I, 14. — 2. Luc, XXIV, 39.  

  de la fiction dans ce qui est dit du corps; mais si la vérité des actions corporelles nous fait conclure à la vérité du corps, la vérité des actions de l’âme nous fera conclure que l’âme aussi était véritable.

4. Quoi donc? ô homme qui m’écoutes, le Seigneur s’est fait infirme comme toi, sans doute, mais ne va point te comparer à lui. Tu n’es qu’une créature, et lui est créateur. Que le Verbe Fils de Dieu, que ton Dieu se soit fait homme, ce n’est point une raison de comparer cet homme avec toi-même, mais bien de l’élever au-dessus de toi, puisqu’il est ton médiateur, et au-dessus de toute créature, puisqu’il est Dieu : et de comprendre enfin que celui qui se fait homme pour toi, peut bien s’abaisser à prier pour toi; et si la prière n’est point une dérogation à sa dignité, il peut aussi, sans dérogation, dire pour toi ces paroles: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Mais si nous n’entendons bien de quels ennemis il s’agit, nous fausserons ces paroles, en les mettant dans la bouche de Jésus-Christ. Comment le Christ dira-t-il avec vérité: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine? » Comment cela serait-il vrai, de son humanité, de sa faiblesse, de sa chair? car il fut un sujet de triomphe pour ses ennemis, lorsqu’ils le crucifièrent, qu’ils le saisirent, qu’ils le flagellèrent, qu’ils le souffletèrent, en lui disant : « Prophétise-nous, ô Christ 1 ». Cette joie qu’ils eurent nous force en quelque sorte de croire à la fausseté de ces paroles : « Et vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Ensuite, quand il était à la croix, ils passaient ou s’arrêtaient, ils le fixaient en branlant la tête et en disant : « Voyez ce Fils de Dieu, il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même; qu’il descende de la croix et nous croirons en lui 2 » Ne tressaillent-ils pas en lui jetant ces injures? Que devient donc cette parole : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine? »

            5. Peut-être cette parole n’est-elle point de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais de l’homme, mais de l’Eglise entière, du peuple chrétien  

  1. Matt. XXVI, 68. — 2. Ibid. XXVII, 42.  

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parce qu’en Jésus-Christ tous les hommes ne font qu’un seul homme, et que tous les chrétiens unis ne forment qu’un seul homme. Peut-être est-ce l’homme lui-même, l’unité chrétienne qui dit: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez relevé, et que vous n’avez pas permis que mes ennemis aient la joie de ma ruine ». Mais comment cela peut-il être vrai à leur sujet? Les Apôtres n’ont-ils pas été saisis, frappés, battus de verges, mis à mort, cloués à la croix, brûlés vifs, condamnés aux bêtes, ces hommes dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire? Quand les hommes les traitaient de la sorte, ne tressaillaient-ils pas de leur ruine? Comment donc le peuple chrétien même peut-il dire: « Je vous exalterai, ô Dieu, parce que  vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine? »

6. Nous le comprendrons si nous nous arrêtons au titre du psaume. Ce titre est en effet:

« Pour la fin, psaume pour David, chanté « à la dédicace de son palais 1 ». C’est dans ce titre que nous espérons trouver le secret d’élucider cette question. Un jour sera dédié cet édifice que l’on construit aujourd’hui. Cet édifice qui est l’Eglise se construit maintenant, plus tard on en fera la dédicace; or, à cette dédicace éclatera la splendeur du peuple chrétien, splendeur cachée aujourd’hui. Laissons donc nos ennemis sévir contre nous, et nous humilier, faire non plus ce qu’ils veulent, mais ce que Dieu leur permet. Il ne faut pas attribuer à nos ennemis tout le mal qu’ils nous font endurer; il nous vient quelquefois du Seigneur notre Dieu. Car le Médiateur nous a montré par son exemple que quand il permet que les hommes nous nuisent, il ne leur en donne point la volonté, mais seulement le pouvoir. Tout méchant trouve eu lui-même la volonté de nuire; mais la puissance de nuire n’est point abandonnée à sa discrétion. Cette volonté le rend coupable; mais la puissance du mal lui vient des dispositions mystérieuses de la Providence divine, qui lui permet d’agir, afin de châtier l’un, de mettre l’autre à l’épreuve, de couronner un troisième. De châtier les uns, comme il permit autrefois aux étrangers, en grec allophuloi, d’asservir le peuple d’Israël, qui avait péché contre son Dieu 2. De mettre les autres à l’épreuve, comme il permit au diable de tenter Job 3. A Job le  

1. Ps. XXIX, 1. — 2. Juges, X, 7 ; XIII, 1. — 3. Job, I, 12  

triomphe, au démon la honte. De couronner les autres, comme il livra les martyrs aux persécuteurs. Les martyrs furent égorgés, et leurs bourreaux se crurent vainqueurs:

ceux-ci obtinrent aux yeux du monde un faux triomphe, ceux-là une couronne invisible, mais réelle. houe le pouvoir des méchants entre dans les vues de la Providence divine; mais la volonté de nuire appartient à l’homme, qui ne donne pas toujours la mort comme il le voudrait.

7. Voilà donc le Seigneur lui-même, juge des vivants et des morts, qui se présente à la barre d’un tribunal, devant un homme; ce n’est pas un vaincu, mais il veut apprendre à tout soldat la manière de combattre; et quand le juge lui dit, avec une menace pleine d’orgueil:

« Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de t’absoudre ou de t’envoyer à la mort? » il réprime cette insolence, par une réponse qui doit lui ôter toute enflure : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi», lui dit-il, «s’il ne t’était donné d’en haut 1 ». Et Job, dont le diable venait de tuer les enfants et de dissiper tous les biens, que répond-il? « Dieu a donné, Dieu a ôté;  ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Que l’ennemi ne s’applaudisse point de son oeuvre: pour moi, dit-il, je sais qui lui en adonné le pouvoir ; au démon la volonté de nuire, mais à Dieu le pouvoir d’éprouver les hommes. Quand son corps est couvert de plaies, voici venir sa femme, qui lui est laissée, comme une autre Eve, pour venir en aide au démon, non pour consoler son époux; elle essaie de l’ébranler, et lui dit, parmi ses outrages: « Parlez contre Dieu et mourez 3 ». Et ce nouvel Adam fut plus ferme sur son fumier, que le premier dans le paradis. Le premier Adam prêta l’oreille à sa femme 4, dans ce paradis, dont il se fit chasser. Le second Adam, sur son fumier, repoussa la femme, et mérita d’entrer dans le paradis. Et ce nouvel Adam, assis sur son fumier, qui enfantait l’immortalité au dedans, quand au dehors il était la pâture des vers, que dit-il à sa femme? «Tu as parlé comme une femme insensée: « si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas accepter les  maux 5? » Il dit encore que c’est la main de Dieu qui est sur lui, quand c’est le diable qui  

1. Jean, XIX, 10, 11.—  2. Job, I, 21.— 3. Id. II, 9. — 4. Gen, III, 4. —  5. Job, II, 10.  

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l’a frappé; parce que son attention ne s’arrêtait pas à celui qui frappait, mais à celui qui permettait. Le diable, à son tour, appelle main de Dieu ce pouvoir qu’il sollicitait. Car voulant trouver des crimes dans cet homme juste à qui Dieu rendait témoignage, Satan dit à Dieu: «Est-ce en vain que Job rend un culte au Seigneur? Ne l’avez vous pas entouré comme d’un rempart, lui, sa maison, et tous ses biens? Vous avez béni le travail de ses mains, et ses possessions se sont  accrues sur la terre; vous l’avez comblé de si grands biens, que c’est pour cela qu’il vous sert. Mais étendez votre main sur lui, frappez tout ce qui lui appartient, et vous verrez s’il vous bénira 1 ». Que signifie : « Etendez votre main », quand lui-même voulait frapper? Comme il ne pouvait lui-même frapper, il appelle main de Dieu, ce pouvoir de frapper qu’il reçoit du Seigneur.

8. Que dirons-nous donc, mes frères, à la vue de ces grands maux, que nos ennemis ont fait endurer aux chrétien-s, de leur délire, de leur joie féroce? Quand sera-t-il donc visible, que leur joie était fausse? Quand les uns seront couverts de honte, et les autres dans l’allégresse, à l’avènement du Seigneur notre Dieu, qui viendra, portant dans ses mains les récompenses de chacun; aux impies, la damnation ; aux justes, le royaume; aux pécheurs, la société avec le diable ; aux bons, la société avec Jésus-Christ. Quand le Seigneur se montrera de la sorte, et que les justes se lèveront avec une grande force; je vous cite les saintes Ecritures, souvenez-vous de ces paroles du livre de la Sagesse : « Les justes donc se lèveront avec une grande force coutre ceux qui les auront tourmentés; et ceux-ci diront en eux-mêmes, se repentant et gémissant dans l’angoisse de leur esprit: «Que nous a servi l’orgueil, que nous a rapporté le vain étalage de nos richesses? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre 2 ». Et que diront-ils, à propos des justes? « Comment leur place est-elle parmi les enfants de Dieu , et leur partage avec les saints? » Alors se fera la dédicace de cet édifice que l’on construit aujourd’hui dans la tribulation; et c’est alors que ce peuple de Dieu chantera dans sa joie: « Je vous exalterai, Seigneur, «parce que vous m’avez soutenu, et que vous n’avez pas donné à mes ennemis la joie de  

1. Job, I, 9-11. — 2.  Sag. V, 1, 8, 9. 

ma ruine ». Cette parole sera donc vraie dans le peuple de Dieu, qui est aujourd’hui dans l’oppression, qui gémit aujourd’hui sous le poids de tant d’épreuves, de tant de scandales, de tant de persécutions, de tant d’angoisses. Quiconque n’avance point dans la vertu, ne connaît point dans l’Eglise ces douleurs de l’âme, et s’imagine que tout est en paix: mais qu’il avance, et il se trouvera dans l’oppression. Ce ne fut que quand l’herbe eut poussé et produit son fruit, que l’ivraie parut aussi 1. « Et quiconque multiplie la science multiplie aussi la douleur 2 ». Qu’il avance, et il verra où il en est : qu’il y ait du fruit, et l’ivraie se montrera. Le mot de saint Paul est bien vrai, et depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, on ne l’effacera point: « Tous ceux » dit-il, « qui veulent vivre avec piété en  Jésus-Christ, souffriront persécution ; quant aux méchants et aux imposteurs, ils se fortifieront de plus en plus dans le mal, marchant dans l’erreur et y jetant les autres 3 ». N’est-ce point là, le sens de ces paroles du psaume : « Attends le Seigneur, agis avec « force, affermis ton âme, et attends le Seigneur  4? » C’était peu d’avoir dit une fois: « Attends le Seigneur », il le répète, de peur qu’on ne vînt à se lasser après avoir attendu deux, trois, ou quatre jours sans que la persécution prît fin. Il ajoute alors : « Agis avec force»; puis: «Affermis ton coeur ». Et comme il doit en être ainsi depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, il répète à la fin le mot du commencement: « Attends le Seigneur ». Les maux qui t’affligent passeront, celui que tu attends viendra; il essuiera tes sueurs, il séchera tes larmes, et tu n’auras plus à pleurer. Ici-bas, gémissons dans la tribulation, selon cette parole de Job: « La vie de l’homme, sur la terre, n’est-elle pas une épreuve 5»

9. Toutefois, mes frères, en attendant ce jour où se fera la dédicace de l’édifice, considérons que déjà la dédicace en est faite dans celui qui est notre chef; la dédicace de l’édifice est donc effectuée, déjà, et dans le faîte, et dans la pierre fondamentale. Mais le faîte, me direz-vous, est en haut; la pierre fondamentale, est en bas; et peut-être y a-t-il erreur à moi, de dire que le Christ est cette base; il en est plutôt le faîte, puisqu’il est  

1. Matt. XIII, 26. — 2. Eccl. I, 18. — 3.II Tim. III, 12, 13. — 4. Ps. XXVI, 14. — 5. Job, VII, 1  

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monté aux cieux, pour s’asseoir à la droite de son Père. Néanmoins, je ne crois pas m’être trompé; car l’Apôtre a dit: « Nul ne peut poser une base autre que celle qui a été posée, et cette base est Jésus-Christ : si l’on élève sur cette base un édifice en or, en argent ou en pierres précieuses 1». Ceux qui mènent une vie sainte, qui honorent et qui bénissent Dieu, qui sont patients dans les tribulations, qui soupirent après la patrie, ceux-là bâtissent en or, en argent, en pierres précieuses ; ceux qui aiment encore le monde, qui sont encore impliqués dans les affaires d’ici-bas, enchaînés par des affections charnelles à leurs domaines, à leurs épouses, à leurs enfants, et qui néanmoins demeurent chrétiens, de sorte que leur coeur ne se sépare point du Christ, et ne, met rien avant le Christ, de même qu’en construisant on ne met rien avant la base; ceux-là bâtissent, à la vérité, mais en bois, en foin, en paille. Or, que dit saint Paul après cela? « Le feu éprouvera l’ouvrage de chacun ». Le feu de l’épreuve et de la tribulation; cette flamme qui a éprouvé ici-bas plusieurs martyrs, et qui éprouvera la race humaine au dernier jour. Il s’est trouvé des martyrs qui avaient de ces liens du monde. Combien de riches et de sénateurs ont enduré la mort ! Cependant quelques-uns d’entre eux bâtissaient en bois, en foin, en paille, à cause des soins et des affections de la chair et du monde; mais comme ils avaient le Christ pour base, et qu’ils construisaient sur cette pierre fondamentale, le foin a brûlé, et eux ont subsisté sur le fondement. C’est ce que nous dit l’Apôtre: « Si l’ouvrage de quelqu’un subsiste, il en recevra la récompense 2 », et sans aucune perte; car il trouvera ce qu’il a aimé. Qu’a donc fait à ces hommes le feu de la tribulation? Il les a éprouvés: « Si l’ouvrage de quelqu’un subsiste, il en recevra la récompense; mais celui dont l’oeuvre sera consumée par le feu, en subira un dommage ; il sera néanmoins sauvé, mais comme par le feu 3 ». Or, n’être pas atteint du feu, est bien différent d’être sauvé en passant par le feu. D’où vient ce salut? De la base de l’édifice. Que cette base ne s’éloigne donc jamais de notre coeur. Ne pose jamais cette base sur le foin, c’est-à-dire ne préfère point le foin ou la paille à cette pierre fondamentale, en sorte que la première place dans ton  

1. I Cor. III, 11. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14, 15.  

  coeur soit donnée à la paille, la seconde au Christ; et s’il vous est encore impossible d’en bannir cette paille totalement, que la première place soit pour le Christ, et la seconde seulement pour la paille.

10. Le Christ est donc pour nous la pierre fondamentale. Et comme je le disais, la dédicace de notre faîte a eu lieu, et ce faîte est aussi notre pierre fondamentale ; mais ordinairement cette pierre est en bas, dans un édifice, tandis que le  faîte est en haut. Comprenez bien mon langage, mes frères, peut-être Dieu m’aidera-t-il à parler clairement. Il y a deux sortes de poids, on appelle poids cette rapidité avec laquelle tout objet tend à regagner sa place : tel est le poids. Vous prenez à la main une pierre, aussitôt vous en sentez le poids qui pèse sur cette main, parce qu’elle cherche son centre. Voulez-vous voir ce qu’elle cherche? Retirez votre main, elle tombe à terre et y repose : elle est parvenue à la place qu’elle cherchait, elle a trouvé son centre. Ce poids est comme un mouvement spontané, sans âme ni sentiment. li y a d’autres objets qui ont une tendance à s’élever. Jetez de l’eau sur de l’huile, son poids l’entraîne aussitôt en bas. Elle cherche sa place, elle veut être à son rang, et il est contraire à la nature de l’eau d’être sur l’huile. Donc jusqu’à ce qu’elle soit à sa place naturelle, et qu’elle trouve son centre, elle éprouve un mouvement continuel. Mais au contraire, jetez de l’huile sur de l’eau: qu’un vase d’huile, par exemple, tombe dans l’eau, dans la mer, ou dans un lac, et s’y brise, l’huile ne peut se tenir en dessous : et de même que l’eau jetée sur l’huile tend à descendre au fond du vase, l’huile, au contraire, jetée sur l’eau, tend par son poids à s’élever à la surface. Si donc, mes frères, il en est ainsi, quelle est la tendance réciproque du feu et de l’eau? Le feu s’élève et cherche sa place en haut l’eau cherche aussi sa place que lui assignera son poids. Une pierre descend en bas, il en est de même des bois, des colonnes, de la terre, qui servent à construire des habitations. Tout cela est du nombre des objets que leur poids fait descendre. Il est donc visible par là qu’ils ont en bas le fondement qui les soutient, puis. qu’ils y sont entraînés par leur poids naturel; et que sans cette base de sustentation, tout croulerait, puisque tout a sa tendance vers la terre. C’est donc en bas qu’il faut poser un (250) fondement aux corps qui ont une tendance à descendre. Mais l’Eglise de Dieu, construite sur la terre, fend à s’élever au ciel. C’est donc là qu’est sa pierre fondamentale, qui est Jésus-Christ Notre-Seigneur, assis à la droite de son Père. Si donc, mes frères, vous avez compris que la dédicace de notre pierre fondamentale est déjà faite, écoutons et  parcourons brièvement tout le psaume.

11. « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous m’avez élevé, et que vous n’avez pas  donné à mes ennemis la joie de ma ruine1 ». A quels ennemis? Aux Juifs. Par la dédicace de la pierre fondamentale, nous devons entendre la dédicace de notre palais à venir. Ce qui se dit aujourd’hui de la pierre fondamentale, se doit dire alors du palais tout entier. Quels sont donc ces ennemis dont il est question? Sont-ce les Juifs ou bien le diable et ses anges, qui ont dû s’enfuir couverts de honte, à la résurrection du Christ? Le prince de la mort eut la douleur de voir la    mort vaincue. « Et vous n’avez pas souffert que mes ennemis se réjouissent à mon sujet »; car les enfers n’ont pu me retenir.

12. « Seigneur, mon, Dieu, j’ai crié vers «vous et vous m’avez guéri 2 ». Le Seigneur avant sa passion pria son Père 3 sur la montagne, et son Père le guérit. Comment guérir celui qui n’a point langui? Est-ce le Verbe Dieu, ce Verbe qui est la divinité, qui a été guéri? Non, mais il portait une chair mortelle, il portait ta blessure, celui qui devait t’en guérir. Cette chair a donc été guérie. Quand? A la résurrection du Christ. Ecoute l’Apôtre, et constate une véritable guérison «La mort», dit-il, « a été ensevelie dans son triomphe. O mort! où est donc ton aiguillon? O mort! où est ta prétention 4? » Ce sera donc à nous de chanter un jour ce triomphe que Jésus-Christ chante aujourd’hui.

 13. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du tombeau ». Il n’est pas besoin d’expliquer ce passage. « Vous m’avez séparé de ceux «qui descendent dans l’abîme5 ». Qui donc descend dans l’abîme? Tous les pécheurs qui se plongent dans le gouffre. Car cet abîme, c’est la profondeur du siècle; et qu’est-ce que la profondeur du siècle? C’est l’océan de la luxure et de l’iniquité. Celui-là dès lors descend dans l’abîme, qui se plonge dans la  

1. Ps. XXIX, 2. — 2. Id. 3. — 3. Matt. XXVI, 39. — 4.  I Cor. XV, 54 — 5. Ps, XXIX, 4.

  luxure et dans les terrestres convoitises. Tels furent les persécuteurs du Christ. Mais que dit-il ici? « Vous m’avez sauvé de ceux qui « descendent dans l’abîme ».

14. « Saints du Seigneur, célébrez ses  louanges 1 ». Puisque votre chef est ressuscité, vous qui êtes ses membres, espérez pour vous ce que vous voyez en lui: espérez pour les membres ce que vous croyez pour la tête. C’est un proverbe ancien et réel, que là où est la tête, là sont aussi les membres. Jésus-Christ, notre chef, est au ciel; c’est là que nous le suivrons. Il n’est point demeuré dans l’abîme, il est ressuscité pour ne plus mourir; pour nous, non plus, il n’y aura plus de mort quand nous aurons passé par la résurrection. Dans la joie de ces promesses, « chantez donc au Seigneur, vous qui êtes ses saints, et rendez témoignage au souvenir de sa sainteté 2 ». Qu’est-ce: « Rendez témoignage au souvenir? » Vous l’avez oublié, mais lui s’est souvenu de vous.

15. « Sa colère amène le châtiment, et la vie est dans sa volonté ». Le châtiment est dans son indignation contre le pécheur: « Au jour où vous en mangerez, vous mourrez 3 ». Nos parents y portèrent une main rebelle, et furent chassés du paradis, parce que sa colère amène le châtiment; mais ce châtiment n’est point sans espérance, car « la vie est dans sa volonté ». Qu’est-ce à dire « dans sa volonté? » Non pas dans nos propres forces, non plus que dans nos propres mérites; mais il nous a sauvés, parce qu’il l’a voulu; et non parce que nous en étions dignes. De quoi le pécheur peut-il être digne, sinon du châtiment? Il nous a donné la vie, et s’il la conserve au pécheur, que ne réserve-t-il pas au juste?

16. « Le soir s’écoulera dans les pleurs 4 ». Ne vous effrayez point si le Prophète nous parle de gémir après nous avoir dit: « Chantez dans la joie » ; le chant est l’expression de la joie, la prière celle du gémissement. Gémissez donc sur votre état présent, chantez votre avenir; gémissez de la réalité actuelle, chantez votre espérance. « Le soir s’écoulera dans les pleurs ». Quel est « ce soir qui voit les pleurs ? » Le soir, c’est le moment où le soleil se couche. Or, le soir s’est couché pour l’homme, c’est-à-dire cette lumière de la justice qui est la présence de Dieu en nous. Que  

1. Ps. XXIX, 5. — 2.Id. 6.— 3. Gen. II, 17.— 4. Ps.XXIX, 5.  

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  nous dit donc la Genèse de l’expulsion d’Adam? Dieu se promenait dans le paradis; et il s’y promenait vers le soir. Déjà le pécheur s’était caché dans l’ombre des arbres, il voulait éviter la face de Dieu 1,qui faisait auparavant ses délices. Déjà s’était couché pour lui le soleil de la justice, et la présence de Dieu lui était à charge. Alors commença pour lui cette vie mortelle. « Le soir s’écoulera dans les pleurs ». Tu seras longtemps dans les pleurs, ô pauvre humanité ; tu as Adam pour père, et tu lui es devenue semblable : et nous aussi nous venons d’Adam ; et tous les fils qui sont nés jusqu’alors, et qui doivent naître à l’avenir, sont fils d’Adam comme leurs pères. « Le soir s’écoulera dans les larmes, et au matin éclatera la joie ». Quand se lèvera pour les fidèles cette lumière qui a délaissé les pécheurs. Car le Seigneur Jésus est sorti du tombeau le matin2, afin de fait-e espérer, à tout l’édifice, cette dédicace déjà faite dans la pierre fondamentale. Pour Notre-Seigneur, le soir fut le moment de sa-sépulture; et le matin eut lieu sa résurrection, au troisième jour. Toi aussi tu as été enseveli au soir dans le para-

dis, et tu es ressuscité le troisième jour. Comment le troisième jour? A suivre le cours des temps, il y a un jour avant la loi, un second jour sera le temps de la loi, le troisième, le temps de la grâce. Ce que votre chef a montré en lui-même pendant ces trois jours, se manifestera aussi en vous dans les trois jours de cette vie. En quel temps ? C’est au matin qu’il faut être dans l’espérance et dans l’allégresse ; maintenant, c’est le temps de la douleur et des gémissements.

17. « En mes jours d’abondance , j’ai dit : Je ne serai jamais ébranlé3 ». Dans quelle abondance l’homme a-t-il pu dire: «Je ne serai jamais ébranlé? » Nous entendons ici, mes frères, l’homme vraiment humble. Qui donc est ici-bas dans l’abondance? Personne. Quelle serait l’abondance de l’homme? Les misères et la douleur. Pour les riches, direz-vous, il est une abondance. Plus ils possèdent, plus ils sont pauvres. Les convoitises les dévorent, les passions les agitent , les craintes les déchirent, les chagrins les dessèchent : où est donc leur abondance ? L’homme avait l’abondance dans le paradis terrestre, quand rien ne lui manquait, et qu’il jouissait de Dieu ; mais il a dit : « Je ne   

1. Gen. III, 8 —  2. Matt. XXVIII, 1. — 3. Ps. XXIX, 7.   

serai point ébranlé éternellement ». Comment a-t-il pu dire : « Je ne serai jamais ébranlé? » Quand il écouta cette parole: « Goûtez et vous serez comme des dieux »; lorsqu’à cette parole du Seigneur : « Au jour où vous en mangerez, vous mourrez », le diable opposait celle-ci : « Vous ne mourrez point 1 ». L’homme alors trop crédule écoutait les suggestions du diable et disait: «Je ne serai point ébranlé à jamais ».

18. Mais le Seigneur avait dit vrai en menaçant d’enlever au superbe ce qu’il avait donné à l’homme humble, en le créant; et le Prophète ajoute : « Seigneur, dans votre bonté, vous aviez réuni en moi la beauté et la force 2 » : c’est-à-dire, je n’avais de moi-même ni force ni beauté; toute ma beauté, toute ma force me viennent de vous: cette bonté qui vous déterminait à me créer, vous avait fait unir en moi la beauté à la force, Et pour me montrer que je devais à votre volonté d’être ainsi, « vous avez détourné de moi votre face, et je suis tombé dans le trouble 3 » Dieu détourna sa face de ce pécheur qu’il expulsait du paradis. Alors, dans son exil, qu’il s’écrie et qu’il dise : «Je crierai vers vous, Seigneur, je vous supplierai, ô mon Dieu 4 ». Dans le paradis, tu n’auras pas à crier, mais à chanter le Seigneur; point a gémir, mais à jouer: tu en es chassé, il faut gémir, il faut crier. Celui qui abandonne l’orgueilleux, revient à l’homme qui, sent sa misère. « Car Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles 5 ». Je crierai donc vers vous, ô mon Dieu; Seigneur, «je vous supplierai».

19. Ce qui suit maintenant est propre à Notre-Seigneur, qui est notre pierre fondamentale : « Qu’est-il besoin de verser mon sang, si je dois m’en aller en pourriture 6? » Quel est l’objet de sa prière ? La résurrection, Si je descends dans la corruption, dit-il, et que ma chair s’en aille en pourriture comme celle des autres hommes, pour ressusciter au dernier jour, à quoi bon répandre mon sang? Si ma résurrection ne s’effectue maintenant, je ne la prêcherai à personne, je ne gagnerai aucun disciple; mais pour que j’annonce à quelqu’un vos merveilles, vos louanges, la vie éternelle, il faut que je ressuscite en ma chair et qu’elle ne s’en aille pas en corruption. Si  

1. Gen. III,4, 5.— 2. Ps. XXIX, 8. — 3. Gen. III, 23.— 4. Id, 9.— 5. Jacques, IV, 6. — 6. Ps. XXIX, 10.  

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 elle doit s’en aller comme celle des autres hommes, qu’est-il besoin de verser mon sang? « La poussière vous confessera-t-elle, ou prêchera-t-elle votre vérité ? » Il y a deux confessions, l’une des péchés, l’autre des louanges. Dans le malheur, nous confessons à Dieu nos péchés, avec componction; dans la joie, nous chantons avec allégresse la justice de Dieu: gardons-nous toutefois d’être jamais sans aucune confession.

20. « Le Seigneur m’a écouté et m’a pris en pitié». De quelle manière? Souvenez-vous de la dédicace du palais. Le Seigneur a écouté, il a pris en pitié. « Il s’est fait mon protecteur 1 ».

21. Ecoutez maintenant sa résurrection. «Vous avez changé mon deuil en joie : vous avez déchiré mon sac, pour me faire une ceinture d’allégresse 2 ». Quel sac ? Ma mortalité. Un sac est tissu de poils de chèvres et de boucs: et chèvres et boucs ont leur place parmi les pécheurs3. Le Seigneur n’a donc pris parmi nous que le sac, et non le mérite du sac ; ce mérite du sac est le péché, tandis que le sac est la mortalité. Lui donc qui ne méritait pas la mort, s’est revêtu d’un corps mortel à cause de toi. Celui qui est pécheur mérite la mort; mais celui qui n’a cornais aucune faute, ne mérite point le sac. C’est lui qui s’écrie en un autre endroit: « Pour moi, quand ils me tourmentaient, je me couvrais d’un cilice 3 ». Qu’est-ce à dire: «Je me revêtais d’un cilice? » J’opposais à mes persécuteurs ce que je tiens du cilice. Afin que ses persécuteurs le prissent pour un homme, il se dérobait à leurs yeux ; parce qu’ils étaient indignes de voir celui qui s’était revêtu d’un cilice. Vous avez donc rompu le sac «que je portais pour me faire une ceinture d’allégresse ».  

1. Ps. XXIX, 11.— 2. Id. 12.— 3. Matt. XXV, 32.— 4. Ps. XXXIV, 3.  

22. « Afin que ma gloire vous chante, et que nul aiguillon ne me meurtrisse ». Ce qui s’est accompli dans le chef s’accomplira aussi dans les membres. Qu’est-ce à dire: « Que je ne sois point-aiguillonné? » Que je ne passe plus par la mort. Car Jésus-Christ fut meurtri à la croix, quand il reçut un coup de lance. Notre chef s’écrie donc: « Que je ne sois plus  aiguillonné », ou que je ne meure plus. Mais nous, quel est notre langage à l’égard de cette dédicace du palais? Que la conscience ne nous stimule plus par l’aiguillon du péché; que tout nous soit pardonné, et alors nous serons libres. « Afin que je vous chante dans ma gloire », dit le Prophète, et non dans mon humiliation. Si cette gloire est la nôtre, elle est aussi du Christ, parce que nous sommes le corps du Christ. Pourquoi ? Parce que le Christ même, assis à la droite de Dieu, doit dire à quelques-uns :  « J’ai eu faim, et vous  m’avez donné à manger ». Il est dans le ciel et il est sur la terre ; dans le ciel en lui-même, sur la terre en nous. Que dit-il donc? « Afin que je vous chante dans ma gloire, et que je ne redoute plus aucun aiguillon». Ici c’est moi qui gémis dans mon humilité; là haut, je vous chanterai dans ma gloire. Et enfin : «Seigneur, mon Dieu, je vous confesserai éternellement ». Qu’est-ce à dire : « Je vous confesserai éternellement ? » Je vous louerai dans l’éternité, car notas avons dit qu’il y a une confession de louanges et que la confession ne se dit pas seulement des péchés. Confesse donc aujourd’hui ce que tu as fait contre Dieu, et tu chanteras ensuite la bonté du Seigneur à ton égard. Qu’as-tu fait? des péchés. Qu’a fait le Seigneur? Il te pardonne ton iniquité, à condition que tu confesseras tes fautes, afin que tu chantes ses louanges dans l’éternité, et que tu ne sois plus aiguillonné par le péché. (253)

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