PSAUME XXXVI
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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVI.

 

PREMIER SERMON 1, PRÊCHÉ A CARTHAGE, AINSI QUE LES DEUX SUIVANTS.

LE JUGEMENT

 

L’exposition du psaume commence après la lecture de l’Evangile sur le jugement dernier. Le jour du jugement nous est inconnu, parce que cette ignorance nous est utile pour nous utile pour nous porter à être toujours prêts. Dans les diverses conditions de la vie, l’un sera choisi pour ne ciel, l’autre laissé pour les flammes. Aujourd’hui les bons et les méchants sont mêlés indistinctement. Les bous espèrent en Dieu, et leur persévérance leur vaudra la gloire divine : soyons donc soumis à Dieu. Quant aux méchants, ils prospèrent, mais dans leurs voies seulement, au lieu que le juste souffre, mais dans les voies de Dieu, qui n’a promis en cette vie qu’un sort semblable à celui de Jésus-Christ. Le bonheur du méchant ne durera que cette vie d’ailleurs si courte, il n’y a pour lui d’autre place que celle de la paille dans la fournaise. Mais ne juste possédera la terre des vivants.

 

1. Le dernier jour qui doit venir avec ses terreurs, voilà ce que craignent d’entendre ceux qui ne cherchent point la sécurité dans une sainte vie, et qui veulent prolonger longtemps leurs désordres. C’est avec raison que Dieu nous a caché ce jour formidable, c’est ainsi que notre coeur soit toujours prêt et attende ce qui arrivera; il est certain que ce jour viendra, bien qu’il ignore le moment; car Notre-Seigneur Jésus-Christ, envoyé pour nous instruire, a dit que le Fils de l’homme lui-même ne connaît point ce jour 2, parce qu’il n’était point dans ses attributions de nous le faire connaître. Le Père, en effet, ne sait rien que le Fils ne sache également, puisque la science du Père est identique à sa sagesse, et que sa sagesse est son Fils, son Verbe. Mais

 

1. Il ne faut pas oublier ici ce qui est raconté dans la vie de saint Fulgence, chap. III. Il avait résolu dans son âme de renoncer au monde, touché de la grâce en entendant saint Augustin exposer le psaume trente-sixième, il fit aussitôt connaître son vœu et prit l’habit monastique.

2. Marc, XIII, 32.

 

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comme il n’était pas utile pour nous de connaître ce que connaissait fort bien celui qui était venu nous instruire, sans nous apprendre ce qu’il ne nous était pas avantageux de savoir:

alors, non-seulement c’est en qualité de maître qu’il nous a donné certains enseignements, mais encore en qualité de maître qu’il nous en a refusé d’autres. Ce Maître par excellence savait parfaitement enseigner ce qu’il nous fallait savoir, et nous dérober ce qui était nuisible. Dire alors que le Fils ignore ce qu’il n’enseigne pas, c’est là une manière de parler, qui signifie qu’il nous le laisse ignorer; c’est un langage qui nous est ordinaire. Ainsi, nous appelons joyeux le jour qui nous donne de la joie; et jour triste, celui qui vient nous contrister; et froid engourdi, le froid qui nous engourdit. Dans un sens contraire, le Seigneur a dit : « C’est maintenant que je connais ». Il dit à Abraham: « Je connais maintenant que tu crains le Seigneur 1 ». Dieu toutefois le savait avant cette épreuve. Puisque cette épreuve eut lieu afin que nous puissions connaître ce que Dieu connaissait, et qu’elle fut écrite pour nous apprendre ce que Dieu savait bien, avant toute preuve visible. Abraham à son tour ne connaissait peut-être point les forces de sa foi: (car l’épreuve est une leçon qui nous révèle à nous-mêmes); ainsi Pierre ne connaissait point non plus ce que pourrait sa foi, quand il dit au Seigneur: « .Je suis avec vous jusqu’à la mort 2 ». Mais le Seigneur, qui le connaissait, lui prédit le moment de sa chute, lui révélant ainsi sa faiblesse comme s’il eût touché la veine de son coeur. Aussi, Pierre qui comptait sur lui-même avant la tentation, apprit par la tentation même à se connaître. C’est en ce sens que nous avons raison de croire qu’Abraham connut les forces de sa foi, quand, soumis à l’ordre du Seigneur qui lui commandait d’immoler son fils, il l’offrit sans hésiter à celui qui le lui avait donné; de même qu’il n’avait su avant sa naissance comment Dieu lui donnerait cet enfant, de même il crut que Dieu pourrait le ressusciter après qu’il le lui aurait immolé. Dieu dit donc : « Je connais maintenant » : c’est-à-dire, je t’ai fait connaître. Comme dans ces locutions dont je viens de\parler: un froid engourdi, parce qu’il engourdit; un jour joyeux, parce qu’il nous procure de la joie; de même connaître signifiera : « Faire connaître ».

 

1. Gen. XXII, 12. — 2.Luc, XXII, 33.

 

De là encore cette parole : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin de « savoir si vous l’aimez 1 ». Or, est-ce au Seigneur notre Dieu, au Dieu souverain, au Dieu véritable que tu peux attribuer l’ignorance? Ce serait un sacrilège de l’entendre ainsi « Le Seigneur vous éprouve afin de savoir », comme si la tentation lui apprenait ce qui pouvait ignorer auparavant. Que signifie donc: « Il vous éprouve afin de savoir », sinon: Il vous éprouve afin que vous sachiez? C’est donc ce sens contraire qui doit régler pour vous ces manières de parler; et de misse qu’en lisant de la part de Dieu : « J’ai compris », vous entendez : je vous ai fait comprendre, de même quand il est dit que le Fils de l’homme ou le Christ ignore ce jour-là, entendez qu’il le laisse ignorer. Mais commet nous le laisse-t-il ignorer? Il nous le cache, afin que nous ne sachions point ce qu’il ne nous est pas utile de savoir. C’est ainsi, comme je le disais, qu’un maître habile sait ce qui faut enseigner comme ce qu’il faut taire. Il même lisons-nous qu’il tint en réserve certains enseignements. D’où nous devons comprendre qu’il n’est pas bon de dire toutes les vérités, quand ceux qui nous entendent nom peuvent porter. Jésus-Christ nous dit ailleurs : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les comprendre maintenant 2 », Et saint Paul : « Je n’ai pu vous parler », dit-il, « comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes charnelles, comme à des enfants en Jésus-Christ. Je ne vous ai nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous ne le pouviez pas, et que même à présent vous ne le pouvez encore 3». A quoi tend ce discours, mes frères? Puisque nous savons qu’il nous est utile de savoir que le jour du jugement viendra, et qu’il nous est utile encore d’en ignorer le moment, qu’une vie pure tienne toujours notre coeur préparé; et non-seulement gardons-non d’en craindre l’arrivée, mais allons jusqu’à l’aimer. Car si ce jour est pour les infidèles un surcroît de peines, il en est le terme pour les vrais fidèles. Avant que ce jour n’arrive, il vous est possible de choisir le parti qui nous plaît; lorsqu’il sera venu, il ne sera plus temps.  Choisissez donc, tandis que vous le pouvez : c’est par miséricorde que Dieu diffère ce qu’il nous laisse ignorer dans sa miséricorde,

 

1. Deut, XIII, 3. — 2. Jean, XVI, 12. — 3. I Cor. III, 1, 2.

 

.

2. Mais dans tout genre de vie que l’on professe, tous ne sont pas élus ni tous réprouvés; c’est ce qui ressort de toutes ces catégories que l’Evangile nous proposait tout à l’heure en exemples, et d’où le Sauveur conclut: « L’un sera pris, l’autre sera laissé !

On prendra le bon pour laisser le mauvais. Vous voyez deux hommes dans les champs, la profession est la même, le coeur est différent. tes hommes voient le même état de vie, mais lieu voit le coeur. Quel que soit le sens figuratif du champ : « L’un sera pris, l’autre sera laissé»; non que Dieu doive prendre la moitié des hommes et laisser l’autre moitié mais il assigne pour les hommes deux états différents. Qu’il y ait ou non peu d’hommes dans l’un de ces états et beaucoup dans l’autre, «  l’un sera choisi, l’autre laissé»; c’est-à-dire, un de ces états sera pris, l’autre abandonné. Il en est de même de ceux qui sont au lit, de ceux qui sont occupés à moudre. Vous attendez peut-être une explication; vous voyez là des obscurités enveloppées d’énigmes. Je puis y donner un sens, et tel autre un sens différent; mais je n’interdis à personne de chercher un sens meilleur que celui que j’aurai exposé, comme nul ne m’empêchera de prendre le sien, si l’un et l’autre sont d’accord avec la foi. Ceux qui travaillent dans les champs me paraissent désigner les chefs des églises; car l’Apôtre a dit : « Vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice que Dieu bâtit2 ». Lui-même s’appelle architecte, en disant : « Comme un architecte sage, j’ai d’abord posé le fondement » ; puis comme laboureur, en disant : « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l’accroissement 3». En parlant du moulin, Jésus-Christ désigne deux femmes 4 et non deux hommes. Je crois que cette figure rappelle les peuples, car ils sont gouvernés, tandis que ce sont les préposés qui gouvernent. Ce moulin, selon moi, désigne le monde, qui tourne pour ainsi dire sur la roue du temps, et qui broie ceux qui s’éprennent de lui. Il est donc des hommes qui ne se retirent point des affaires du monde; et toutefois, dans ces affaires, les uns mènent une vie pure, les autres une vie désordonnée. Les uns se font, avec la monnaie de l’iniquité 5, des amis qui les recevront dans les tabernacles éternels; c’est à eux qu’il est

 

1. Matt. XXXV, 40.— 2. I Cor. III, 9, 10.— 3. I Cor. III, 6. — 4. Matt. XXIV,41.— 5. lbid

 

 

dit : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger 1 »; d’autres négligent ces actions saintes et on leur dira : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger 2 ». Ainsi, parce que dans les oeuvres et dans les affaires du monde, les uns aiment à faire du bien aux pauvres, et que les autres en ont peu de souci : il en sera comme de deux femmes qui tournent la meule, dont l’une sera choisie, l’autre abandonnée. Le lit me paraît ici le symbole du repos : il y a des hommes, en effet , peu désireux de s’engager dans le monde, comme le font ceux qui ont des épouses, des palais, des domestiques, des enfants, et qui n’ont aucun emploi dans l’Eglise, comme les ministres qui semblent cultiver le champ du Seigneur. Se croyant trop faibles pour ces fardeaux, ils recherchent le repos et mènent une vie tranquille; dans la conviction de leur faiblesse, ils ne se mesurent point avec les actions difficiles, mais ils prient Dieu comme sur la couche de l’impuissance. Dans cet état même, les uns sont bons, les autres hypocrites; aussi est-il dit de ceux-ci encore : « L’un sera pris, l’autre négligé». Quel que soit l’état que tu embrasses, prépare-toi à y trouver des hypocrites; car si tu n’y es préparé, tu les rencontreras contre ton attente, ce qui te jettera dans l’abattement ou dans le trouble. C’est donc pour te préparer que le Seigneur te parle quand il est temps pour lui de parler et non de juger; pour toi, d’entendre et non de te repentir vainement. Car aujourd’hui la pénitence n’est point inutile; elle le sera dans ce moment. En effet, les hommes alors ne seront point sans repentir, mais la justice de Dieu ne rappellera point pour eux ce qu’ils auront perdu par leur injustice. Car il est juste que Dieu exerce aujourd’hui sa miséricorde, et alors son jugement. Aussi, rien n’est muet aujourd’hui. Est-ce que Dieu se tait ? Que chacun se plaigne, qu’il murmure, si aujourd’hui la parole sainte n’est récitée, chantée dans l’univers entier, si ce livre n’est même vendu publiquement.

3. Mais ce qui te bouleverse, ô chrétien, ô mon frère, c’est de voir dans la félicité ceux qui vivent dans le désordre, c’est de les voir dans l’abondance des biens terrestres, jouir de la santé, briller par l’éclat des charges, avoir des maisons dans la prospérité, des

 

 

1. Luc, XVI, 9.— 2. Matt. XXV, 35,42,

 

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enfants dans la joie, des clients qui les flattent, de les voir enfin au comble du pouvoir, sans que rien de fâcheux vienne troubler leur vie. Tu vois donc d’une part une vie coupable, et d’autre part les plus abondantes richesses; et ton coeur se dit alors que Dieu ne juge point les hommes, et que tout flotte à l’aventure, au souffle de tous les hasards. En effet, si le Seigneur, dis-tu, prenait garde aux choses du monde, verrait-on cet impie fleurir, tandis que, moi innocent, je gémis dans la misère? Toute maladie de l’âme trouve son remède dans les saintes Ecritures. Qu’il s’abreuve donc de notre psaume comme d’une potion salutaire, celui qui est assez malade pour tenir ce langage dans son coeur. Quel est ce psaume? Examinons encore ton langage. Qu’ai-je dit, me répondras-tu, sinon ce que tu vois toi-même? Les méchants dans la prospérité, les bons dans la misère : comment Dieu peut-il supporter cette vue? Prends, mon frère, et bois : c’est celui qui est l’objet de tes murmures qui t’a préparé ce breuvage; ne le refuse point, il est salutaire; prépare par l’oreille la bouche de ton coeur, et bois ce que tu entends: « Ne soyez point jaloux de la prospérité des méchants; ne portez point envie à ceux qui commettent l’iniquité, car ils se dessécheront bientôt comme le foin, ils se faneront comme l’herbe des prés 1 ». Ce qui est long pour toi est court aux yeux de Dieu. Sois uni à Dieu, et ce temps sera court pour toi. « Ce foin », du prophète, s’entend « de l’herbe des prés ». Ce sont là des plantes méprisables qui recouvrent la surface de la terre et n’ont point de fortes racines. Aussi ont-elles quelque verdure pendant l’hiver, mais elles se dessèchent quand la chaleur du soleil se fait sentir. En ce temps donc nous sommes en hiver, et notre gloire n’apparaît pas encore ; mais si la charité a dans ton coeur des racines profondes, comme il en est de beaucoup d’arbres pendant l’hiver, alors les froids passeront, et viendra l’été ou le jour du jugement : l’herbe cessera d’être verte, et les arbres se revêtiront de gloire. « Vous êtes morts 2 »,dit l’Apôtre, comme ces arbres qui paraissent en hiver desséchés et morts, Quelle espérance pouvons-nous avoir, si nous sommes morts? Mais nous avons une racine à l’intérieur; où est notre racine, là est aussi notre vie; car c’est là qu’est notre charité,

 

1. Ps. XXXVI, 1,2. – 2.  Colos, III, 3.

 

 « Et votre vie », est-il dit, « est cachée avec Jésus-Christ en Dieu ». Mais alors, comment

se dessécherait celui qui a une telle racine? Mais quand viendra notre printemps? Quand

1’été se fera-t-il pour nous? Quand serons-nous revêtus de la beauté de nos feuilles, de

l’abondance de nos fruits? Quand viendra ce moment? Ecoutez ce qui suit: « Quand apparaîtra le Christ qui est votre gloire, vous apparaîtrez aussi dans la gloire avec lui 1 »

Que faire maintenant? « Ne soyez point émus de la gloire des méchants; ne portez point envie à ceux qui font le mal, ils se dessécheront bientôt comme le foin, ils se faneront comme l’herbe des prés ».

4. Mais toi? « Espère dans le Seigneur ».Car ceux-là espèrent, mais non point en Dieu:

leur espérance n’est que d’un moment, espérance périssable, fragile, qui s’évapore, qui passe et disparaît. «Espère dans le Seigneur ». Voilà que j’espère, que faire? « Fais le bien », N’imite point le mal que tu vois chez ces hommes d’une impiété florissante. « Fais le bien et habite la terre 2 ». Ne fais pas le bien en dehors de la terre que tu habites; car la terre du Seigneur, c’est son Eglise; c’est elle qu’arrose, elle que cultive ce Père céleste qui en est le vigneron 3. Il en est beaucoup qui paraissent faire de bonnes oeuvres; mais comme ils n’habitent point cette terre, il n’appartiennent point à ce vigneron céleste, Fais donc le bien , non en dehors de lu terre, mais habite la terre. Et que m’en reviendra-t-il? « Et tu seras rassasié de ses richesses ». Quelles sont les richesses de cette terre? C’est le Seigneur, qui est sa richesse; toute sa richesse est en son Dieu; c’est lui à qui l’on dit : « Seigneur, vous êtes mon partage 4 »; c’est lui à qui l’on dit encore : «Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice 5 ». Dans un dernier discours6, nous avons démontré à votre charité que le Seigneur est notre possession, et que nous sommes la possession de Dieu. Ecoutez encore qu’il est la richesse de cette terre, et voyez ce qu’ajoute le Prophète : « Mettez vos délices dans le Seigneur ». Comme si vous faisiez cette demande : Montrez-nous les richesses de cette terre où vous voulez me faire habiter. « Mettez », répond le psalmiste,

 

1. Coloss. III, 4. —2. Ps. XXXVI, 3. — 3. Jean, XV, 1. — 4. Ps. LXXII, 26 . — 5. Id. XV, 5. — 6. Dans l’exposition du psaume XXXII qui eut lieu à Carthage dans l’église de saint Cyprien.

 

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mettez vos délices dans le Seigneur, et il remplira les désirs de votre coeur 1 ».

5. Remarquez bien : « les désirs de votre cœur ». Et ces désirs de votre coeur, séparez-les des désirs de la chair; séparez-les autant que possible. Ce n’est pas sans raison qu’il est dit dans un psaume : « Vous êtes le Dieu de mon cœur », puisqu’on ajoute: « Vous êtes, ô Dieu, mon partage pour l’éternité 2 ». Un aveugle, par exemple, a perdu la vue du corps, et il prie Dieu de le rendre la lumière. Qu’il fasse à Dieu cette prière, j’y consens, puisque Dieu fait aux hommes eus grâces et leur accorde ces dons. Mais les méchants font aussi ces prières. Ce sont là des demandes charnelles. Voilà un malade, il demande à Dieu la santé; il l’obtient, mais pour mourir un jour. Voilà encore une demande charnelle et beaucoup d’autres semblables. Quelle est la prière du coeur? De même qu’il y a prière charnelle à demander la guérison des yeux pour voir cette lumière que peuvent contempler ces yeux charnels; de même la prière du coeur aspire à une autre lumière : « Bienheureux », en effet, « ceux qui ont le coeur pur, parce qu’ils verront Dieu 3. Mettez vos délices dans le Seigneur, et il remplira les désirs de votre cœur ».

6. Voilà que je le désire, que je le demande, que je le veux: est-ce moi qui pourrai me satisfaire? Nullement. Qui donc? « Révélez vos voies au Seigneur, espérez en lui, et il m agira lui-même »o. Exposez-lui ce que vous souffrez, exposez ce que vous désirez. Ce que vous souffrez : « La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit, et l’esprit en a de contraires à ceux de la chair 4 ». Que veux-tu dès lors? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? » Et comme c’est Dieu qui doit agir quand tu lui auras révélé tes voies, écoute ce qui suit: « Ce sera la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur 5 ». Mais que fera lieu dont il est dit: « Révélez au Seigneur vos voies et il agira ». Quelle sera cette action? « Il fera éclater votre justice comme la lumière 6 ». Aujourd’hui, votre justice est eschée: tout se passe dans la foi et non dans la claire vue. Tu crois, et c’est ce qui te fait agir, mais tu me vois point ce que tu crois. Quand tu commenceras à voir l’objet de ta foi,

 

1. Ps. XXXVI, 4. — 2. Id. LXXII, 26. —  3. Matt. V, 8.— 4. Gal. V, 17. — 5. Rom, VII, 24. — 6. Ps. XXXVI, 6.

 

ta justice paraîtra comme la lumière: parce que ta justice était dans ta foi 1: puisque « c’est de la foi que vit le juste 2 ».

7. « Il fera éclater votre justice comme la lumière, et votre jugement comme le plein midi 3 » , c’est-à-dire comme la pleine lumière; et cette expression : « Comme une lumière », lui paraissait trop faible. Nous appelons lumière celle du point du jour, nous appelons encore lumière celle du soleil qui s’élève; mais jamais la lumière n’est plus brillante qu’en plein midi. Le Seigneur donc non-seulement fera briller votre justice comme une lumière, mais encore votre jugement comme le plein midi. Ainsi tu as jugé bien de suivre le Christ; c’est là ton dessein, ton choix, ton jugement. Nul ne t’a fait voir ce qu’il t’a promis; tu tiens les promesses, tu en attends l’accomplissement; c’est donc par un jugement de ta foi que tu as résolu de suivre ce que tu ne vois pas. Ce jugement est encore caché; il est pour les infidèles un sujet de blâme et de railleries Quel est l’objet de ta foi, disent-ils? Que t’a promis le Christ? de te donner l’immortalité, la vie éternelle? Où est cette vie? Quand te la donnera-t-il? Quand sera-ce possible? Et toutefois tu juges qu’il est mieux de suivre le Christ qui te promet ce que tu ne vois pas, que de suivre cet impie qui te blâme de croire ce que tu ne vois pas. C’est là ton jugement: et nul ne voit encore quel est ce jugement: ce monde est comme une nuit. Quand sera-ce qu’il fera éclater ton jugement comme un plein midi? « Quand apparaîtra le Christ qui est votre vie, alors vous aussi, vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 4». Qu’arrivera-t-il au jour du jugement, quand le Christ rassemblera toutes les nations devant son tribunal? Où l’impie cachera-t-il sa malice, quand je verrai l’objet de ma foi? Qu’avons-nous donc maintenant? Des angoisses, des tribulations, des épreuves. Heureux celui qui les endure: « Car celui-là sera sauvé, qui aura persévéré jusqu’à la fin 5». Qu’il ne cède point aux insolences, qu’il ne cherche point à y fleurir, et d’arbre qu’il est, à devenir une herbe qui se dessèche.

8. Quel est donc mon devoir? Ecoute ce devoir : « Sois soumis au Seigneur et invoque  sa bonté 6 ». Que ta vie ne soit qu’un acte d’obéissance à ses volontés. C’est là lui être

 

1. Habac. II, 4. —  2. Rom. I,17. — 3. Ps. XXXVl, 6.— 4.  Coloss. III, 4.— 5. Matt. XXIV,13. — 6. Ps.XXXVI, 7.

 

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soumis et l’invoquer, jusqu’à ce qu’il accorde ce qu’il a promis. Que tes bonnes oeuvres soient continuelles, ta prière incessante, « Car il faut toujours prier, et ne pas cesser de prier 1 ». En quoi paraîtra ta soumission? A faire ce qui t’est commandé. Mais tu n’en reçois pas la récompense, parce que tu n’en es pas encore capable. Dieu pourrait bien te la donner, mais toi, tu ne pourrais la recevoir. Exerce-toi donc aux bonnes oeuvres, travaille dans la vigne du Seigneur; et ne demande qu’à la fin du jour la récompense, car celui qui t’a envoyé à sa vigne est fidèle 2. « Sois donc soumis à Dieu, et invoque sa puissance ».

9. Voilà que je le fais, je suis soumis au Seigneur, et je l’invoque. Mais que vas-tu penser? J’ai un voisin fripon qui vit dans le désordre, et néanmoins il est florissant; ses vols, ses adultères, ses larcins, je les connais; partout il est hautain, orgueilleux; et, dans l’enivrement de ses iniquités, il ne daigne même pas me regarder : comment supporter tout cela? C’est là une maladie, mais prends cette potion: « Ne sois point ému à la vue de l’homme qui prospère dans ses voies ». Il prospère en effet, mais dans ses voies; et toi, tu souffres, mais dans la voie de Dieu : il prospère en chemin pour arriver au malheur; et toi, tu souffres en chemin, mais pour arriver au bonheur: car la voie des impies doit périr. « En effet, le Seigneur connaît les voies du juste, mais la voie de l’impie périra 3». Tu es donc sur les voies que connaît le Seigneur: et si elles te sont pénibles, elles sont du moins sans erreur. La voie de l’impie est un bonheur passager. Le terme de cette voie est aussi le terme du bonheur. Pourquoi? Parce que cette voie est large, et qu’elle aboutit aux profondeurs de l’enfer. Mais ta voie est étroite, et il en est peu pour y marcher 4; or, il te faut songer à quelle immensité ceux-ci arrivent. « Ne sois donc point jaloux de celui qui prospère dans son chemin. Contre l’homme d’iniquité, réprime ta colère et oublie ton indignation » . Pourquoi t’irriter? Pourquoi cette colère, cette indignation va-t-elle aboutir au blasphème, ou presque au blasphème? « Réprime ta colère contre cet homme d’iniquité, et oublie ton indignation ». Car sais-tu où te conduirait cette

 

1. Luc, XVIII, 1. — 2. Matt. XX, 8. — 3. Ps. I, 6. — 4. Matt. VII, 13, 14.— 5. Ps. XXXVI, 7,8.

1ère? Elle te ferait dire que Dieu est injuste. Pourquoi cet homme est-il heureux, et celui. là malheureux? Vois jusqu’où elle t’emporte, étouffe-la dès sa naissance. « Réprime ta eu. «co colère, oublie ton indignation », afin que le repentir te fasse dire : « Mon oeil s’est troublé de colère1 ». Quel oeil, sinon l’oeil de la foi? Or, à cet oeil de la foi je demande: Crois-tu en Jésus-Christ , et quel est ton motif de croire? Que t’a-t-il promis? Si Jésus-Christ t’a promis le bonheur de ce monde, murmure contre le Christ; oui, murmure quand tu vois l’impie dans le bonheur. Quel est donc le bonheur qu’il t’a promis, sinon à la résurrection des morts? Mais en cette vie? Le même sort qu’à lui-même; oui, le même sort. Or, toi, serviteur, toi, disciple, dédaigneras-tu le sort du maître, du Seigneur? Ne l’entendras. tu point dire : « Le serviteur n’est pas plus grand que le maître, ni le disciple plus grand que celui qui l’instruit 2? » Pour toi, il a passé par les douleurs, par la flagellation, par les opprobres, par la croix, par la mort Eh! qu’avait mérité de tout cela ce juste par excellence? Que méritait celui qui était sans péché? Tiens donc ton oeil fixé sur lui, et ne te laisse point troubler par la colère : « Réprime ta colère, oublie ton indignation, bannis la jalousie qui te porte au mal », comme pour imiter celui que tu vois heureux pour un temps au milieu de ses désordres. « Bannis la jalousie qui te porte au mal, « car tous ceux qui font le mal seront exterminés ». Cependant je les vois heureux. Crois-en néanmoins celui qui dit: « Ils seront exterminés » : car il voit mieux que toi, et la colère ne trouble point son oeil. « Ceux-là donc seront exterminés qui commettent la  mal. Mais ceux qui attendent le Seigneur », non point l’homme trompeur, mais la Vérité elle-même; non point l’homme faible, mata Celui qui est tout-puissant, « ceux qui attendent le Seigneur auront la terre en héritage 3 ». Et quelle terre, sinon cette Jérusalem qui sera le lieu de la paix pour cens-dont elle enflamme les désirs?

10. Mais jusques à quand les pécheurs seront-ils florissants? Jusques à quand me faudra-t-il attendre? Tu es impatient, et bientôt se réalisera ce qui te paraît si long. C’est ta faiblesse qui te fait paraître long ce qui est pourtant si court. Connais-tu les

 

1. Ps. VI, 8. — 2. Jean, XIII, 16.— 3. Ps. XXXVI, 9.

 

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empressements des malades? Rien n’est si long que le temps de préparer leur breuvage. Chacun de ceux qui environnent ce malade, s’empresse, pour ne pas le jeter dans l’impatience. Quand cela sera-t-il fait ? sera-t-il cuit ? Quand me le donnera-t-on? Ceux qui te serment se hâtent, c’est ton infirmité qui te fait trouver long ce qui est fait si promptement. Voyez donc notre médecin; il console ce malade qui dit : Combien de temps encore? Quand cela finira-t-il? « Encore un peu de temps », dit le Seigneur, « et le méchant ne sera plus». Tu gémis d’être au milieu des méchants, c’est le méchant qui te fait gémir; encore un moment et il ne sera plus. Toutefois ces paroles : « Ceux qui attendent le Seigneur auront la terre en héritage », te font croire que cette attente sera longue; attends encore un peu, et tu posséderas éternellement ce que tu auras attendu. Encore un peu, un moment. Compte les années depuis Adam jusqu’aujourd’hui, parcours les Ecritures: c’est presque d’hier qu’il est banni du paradis 1. Et toutefois le monde a parcouru bien des siècles qui sont écoulés. Où sont donc bannées du passé? Ainsi s’écoulera le peu de temps qui nous reste. Quand même tu aurais vécu depuis qu’Adam fut chassé du paradis jusqu’aujourd’hui, tu trouverais bien peu longue une vie qui s’envole ainsi. Que doit être alors la vie de chaque homme? Ajoute à cette vie autant d’années qu’il te plaira, prolonge le plus possible sa vieillesse, qu’est-ce encore? N’est-ce point une aurore matinale? Quel que soit donc l’intervalle qui nous sépare du jour du jugement, alors que les justes et les méchants recevront selon leurs mérites; ensurément le dernier jour ne saurait être éloigné pour toi. C’est à celui-là qu’il te faut préparer. Car tel tu sortiras de cette vie, tel tu entreras dans l’autre vie. Après ces jours si restreints, tu ne seras point encore dans le séjour des saints auxquels il est dit: « Venez, dénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 2 ». Tu n’y seras point encore, qui en doute? Mais tu pourras être dans ce séjour oh reposait ce pauvre autrefois couvert d’ulcères 3, et que du milieu de ses tourments voyait au loin le riche orgueilleux et stérile en bonnes oeuvres. C’est dans ce lieu de repos que tu attendras en toute sécurité le jour du

 

1. Gen. III, 6.— 2. Matt. XXV, 34.— 3. Luc, XVI, 23.

 

jugement, où ton corps te sera rendu, et où tu seras transformé pour devenir l’égal des anges. Quel est donc cet espace qui nous paraît si long, et qui nous fait dire: Quand sera-ce? Tardera-t-il beaucoup? C’est là ce que diront nos fils, ce que diront nos neveux : et quand ils parleront ainsi en se succédant, le peu qui reste passera avec la même rapidité qui entraînait les siècles écoulés. O malade! « Encore un peu de temps et le pécheur ne sera plus 1 ».

11. « Tu chercheras sa place, et tu ne la trouveras point ». Le Prophète explique ici ce qu’il vient de dire : « Il ne sera plus »; non que le pécheur doive cesser d’exister, mais il n’aura plus aucun pouvoir. S’il cessait complètement d’exister, il ne craindrait plus les tourments ; et alors il serait en sûreté et dirait : « Je puis faire selon mon bon plaisir tant que je vivrai; après cela je ne serai plus rien. Nul alors ne souffrira plus, nul ne sera tourmenté ». Et que deviendront ces paroles : « Allez au feu éternel préparé à Satan et à ses anges 2?» Mais peut-être que ceux que l’on aura jetés dans ce feu cesseront d’exister, et seront consumés? Mais alors il ne serait pas dit : « Allez au feu éternel», car il n’y a pas d’éternité pour ceux qui ne sont plus. Et toutefois le Seigneur ne nous a point caché ce que fera cette flamme sur les damnés, si elle doit les consumer, ou seulement les tourmenter de ses ardeurs. « C’est là », dit-il, « qu’il y aura pleur et grincement de dents 3 ». Comment y aurait-il pleur et grincement de dents chez des gens qui ne sont plus ? Comment donc faut-il entendre cette parole : « Encore un instant et il n’y aura plus de pécheur », sinon dans le sens que donne le verset suivant: « Et tu chercheras sa place et tu ne la trouveras point? »Qu’est-ce que sa place? Son usage. Le pécheur a-t-il donc son utilité ici-bas? Assurément. Ici-bas il est utile à Dieu pour l’épreuve du juste, comme Dieu se servit du diable pour éprouver Job 4, comme il se servit de Judas pour livrer Jésus-Christ. Le méchant a donc en cette vie son usage. Il a donc ici-bas sa place, comme la paille dans le fourneau de l’orfèvre. La paille se consume, afin que l’or se purifie; ainsi l’impie a ses fureurs, qui servent à éprouver le juste. Mais quand finira

 

1. Ps. XXXVI, 10.— 2. Matt. XXV, 41. — 3. Id. VIII, 12. — 4. Job, 12.

 

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pour nous le temps de l’épreuve, quand il n’y aura plus personne à éprouver, il n’y aura plus de méchants pour servir à l’épreuve. Or, dire qu’ils ne seront plus pour l’épreuve, est-ce dire qu’ils n’existeront plus? Nullement; mais comme l’on n’aura plus besoin des pécheurs pour éprouver les bons : « Tu chercheras la place de ces méchants et tu ne la trouveras point ». Cherche maintenant la place du pécheur, elle est facile à trouver. Dieu s’en est fait un fouet, il l’a mis en honneur et lui a donné une puissance. Il en agit quelquefois ainsi; il donne au pécheur un pouvoir qui châtie les puissances humaines, qui corrige les hommes pieux. Ce pécheur sera traité selon son mérite; et néanmoins il a servi aux progrès du juste et à la chute de l’impie. « Tu chercheras sa place et tu ne la trouveras point ».

12. « Quant aux hommes doux, ils posséderont la terre en héritage 1 ». Cette terre dont nous avons souvent parlé, c’est la Jérusalem sainte, qui sera délivrée de son exil et qui vivra éternellement de Dieu et avec Dieu. Donc « ils posséderont la terre en héritage ». Et quelles seront leurs délices? «Ils se réjouiront dans l’abondance de la paix ». Que cet impie mette ici-bas sa joie dans l’abondance de son or, dans l’abondance de son argent, dans ses nombreux esclaves, dans le nombre enfin de ses salles de bains, de ses rosiers, dans son intempérance et dans ses riches et luxurieux festins. Serais-tu donc jaloux de cette puissance, et cette fleur aurait-elle de l’attrait pour toi? Que cet homme soit toujours en cet état, n’en sera-t-il pas à plaindre? Mais toi, quelles seront tes délices? « Ils se réjouiront dans l’abondance de la paix ». Ton or sera la paix, ton argent la paix, tes domaines

 

1. Ps. XXXV, 11.

 

la paix, ta vie la paix, ton Dieu la paix. La paix sera tout ton désir. Ce qui est de l’or ici-bas ne peut être de l’argent pour toi ; ce qui est du vin ne peut être du pain; ce qui est pour toi la lumière ne peut être un breuvage mais Dieu sera tout pour toi. Il sera ta nourriture et tu n’auras plus faim; ton breuvage, et tu n’auras plus soif; ta lumière, et tu ne seras plus aveugle; ton soutien, et tu n’éprouveras point la fatigue; et Dieu tout entier te possédera entièrement. Là tu ne seras point mis à l’étroit par celui avec qui tu posséderas tout : tu auras tout, comme lui-même aura tout; parce que tu ne seras qu’un avec lui, et que Dieu possède à la fois cette unité et cette universalité. « Voilà ce que Dieu réserve à l’homme de la paix ». Nous l’avons chanté; ce verset dans notre psaume est bien loin sous doute de ceux que nous avons expliqués; mais comme nous l’avons chanté, prenons-le pour terminer. Pour toi, ô mon frère, cultive en « toute sécurité l’innocence », qui est un trésor précieux. Tu as le désir du vol, c’est sans doute afin de t’enrichir; mais vois où tu portes la main et où tu dérobes : d’une part, tu acquiers, pour perdre d’autre part; tu acquiers de l’argent, tu perds ton innocence Ah! plutôt que ton coeur s’éveille; toi qui acquiers de l’argent au prix de l’innocence perds plutôt cet argent. « Garde ton innocence et vois ce qui est droit » ; car c’est Dieu lui-même qui te dirigera, et te fera vois loir ce qu’il veut lui-même, et telle est la voie droite. Car si tu ne veux point ce qu’il veut, tu seras tortueux, et ces difformités ne te permettront point de t’ajuster à la règle qui est droite, « Cultive donc l’innocence, et vois ce qui est droit »; loin de toi de croire que l’homme finit avec cette vie; « car Dieu a des réserves pour l’homme de la paix ».

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVI.

DEUXIÈME SERMON. — LA FORCE DU JUSTE.

 

Le Méchant ne peut souffrir en personne, et il se nuit en persécutant le juste. Dieu s’en sert pour nous mettre à l’épreuve, puis il le brise s’il ne se convertit. Quand le juste souffre, il puise sa force dans sa foi en Dieu, dans l’espérance de l’héritage Éternel. Le méchant n’a que le désespoir dans le malheur, et son bonheur s’évapore en fumée. Le Seigneur dirige les pas du juste qui se console dans sa ressemblance avec Jésus-Christ. Les faux témoins contre Jésus-Christ sont les ancêtres des Donatistes.

 

 

1. Il me faut obéir aux injonctions que l’on m’a faites, et vous parler encore de ce psaume. Car le Seigneur a voulu par les grandes pluies retarder notre départ, et l’on m’a recommandé de ne point laisser reposer ma langue d’une manière inutile pour vous, qui êtes la sollicitude de mon coeur, comme je suis la vôtre. Déjà je vous ai exposé le dessein de Dieu dans ce psaume, ce qu’il veut nous enseigner, les conseils qu’il nous donne, les écueils qu’il veut nous faire éviter, ce qu’il faut endurer, ce qu’il faut espérer. Deux sortes d’hommes, en effet, les justes et les pécheurs, vivent confondus sur la terre pendant cette vie. Chacune de ces catégories a dans le cœur une tendance qui lui est propre. Les justes cherchent à s’élever par l’humilité, les méchants descendent par l’orgueil. Les uns s’abaissent pour se relever, les autres s’élèvent pour tomber. De là vient que les uns souffrent et que les autres font souffrir: que le dessein des justes est de gagner même les méchants pour l’éternelle vie, et le dessein des pécheurs est de rendre le mal pour le bien, et d’ôter même, s’ils le pouvaient, la vie du temps à ceux qui s’efforcent de leur procurer la vie éternelle. Car le juste est à charge pour le pécheur, comme le pécheur pour le juste; ils sont une charge l’un à l’autre. Nul ne doute que ces deux hommes ne soient à charge mutuellement, mais dans un sens bien différent. Si le juste est à charge au pécheur, c’est qu’il voudrait qu’il ne fût plus pécheur, et qu’il se propose de le rendre juste, comme il y tend par ses efforts; mais le pécheur a pour le juste une telle haine, qu’il voudrait qu’il n’existât aucunement, et non qu’il devint bon. Plus il est juste, et plus il est à charge à l’iniquité du pécheur, qui travaille même à le rendre injuste, et s’il ne peut y parvenir, à le faire disparaître et à s’épargner la peine et l’ennui de le voir. Quand même il parviendrait à le rendre injuste, celui-là ne lui en serait pas moins à charge. Car ce n’est pas seulement l’homme juste qui est à charge à l’homme injuste, mais deux hommes injustes ont peine à se souffrir : et s’ils paraissent quelquefois s’aimer, c’est plutôt de la complicité que de l’amitié. Ils ne s’accordent que pour tramer la perte du juste; et cet accord, loin d’être de l’amitié, n’est que la haine de celui qu’ils devraient aimer. C’est à l’égard de ces hommes que le Seigneur notre Dieu nous recommande la tolérance, et cette affectueuse charité que l’Evangile nous fait connaître par ce précepte du Seigneur, qui nous dit: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent 1 ». L’Apôtre dit aussi : « Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien 2 ». Luttez avec le méchant, mais luttez en bien; car le véritable combat, ou plutôt la lutte salutaire, consiste à mettre un bon en face d’un méchant, et non deux méchants aux prises.

2. Mais reprenons le psaume. Nous en avons exposé la première partie, voici la suite:

« L’impie observe le juste et grince des dents « contre lui, mais le Seigneur se rit de lui ». De qui? Evidemment du pécheur qui grince des dents contre le juste. Or, pourquoi « le Seigneur s’en rira-t-il ? parce qu’il voit que « son jour est proche». Il paraît plein de fureur quand il menace le juste, et il ne sait pas que demain son heure viendra : mais le Seigneur le voit, il sait que son jour arrive. Quel jour? Le jour où il rendra à chacun

1. Matt, V, 44. — 2. Rom. XII, 21.

 

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selon ses oeuvres. Car l’impie s’amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu. Mais Dieu prévoit cela, et toi tu ne le prévois point ; celui qui le prévoit te l’a révélé. Tu ignores le jour où l’impie recevra son châtiment; mais celui qui le sait ne te l’a point caché. Ce n’est pas la moindre partie de la science, que de s’attacher à celui qui voit. Il a l’oeil de la science; à toi l’oeil de la foi. Crois ce que Dieu voit ; car viendra pour l’injuste ce jour que Dieu prévoit. Quel jour? Le jour de toute vengeance; il faut que Dieu tire vengeance de l’homme impie, de l’homme injuste, soit qu’il se convertisse, soit qu’il ne se convertisse pas. S’il se convertit, la vengeance consiste dans la mort de son iniquité. Le Seigneur ne s’est-il pas ri de Judas qui le trahissait, de Saul qui le persécutait, en voyant le jour de ces deux hommes d’iniquité? Il a vu pour l’un le jour du châtiment; pour l’autre, le jour de la justification. Il s’est vengé de l’un et de l’autre, en jetant l’un aux flammes de l’enfer, en renversant l’autre par une voix céleste. Toi donc, ô mon frère, quand le méchant te fait souffrir, regarde avec Dieu, par les yeux de la foi, son jour qui arrive, et à la vue de ses fureurs contre toi, dis en toi-même : Ou bien il se corrigera pour venir avec moi, ou bien il ne sera point avec moi s’il persévère.

3. Quoi donc I son injustice te nuirait-elle sans lui nuire aucunement? Cette iniquité dont tu es victime, et qui est l’effet de la haine et de la colère, ne l’a-t-elle pas ravagé intérieurement avant de t’atteindre au dehors? Ton corps est en proie à la douleur, mais son âme est dévorée par la gangrène du péché. Tout ce qu’il exhale contre toi retombe sur lui. Ses persécutions te purifient et le rendent criminel. Auquel des deux nuit-il davantage ? Il t’a dépouillé dans ses emportements ; quel est le plus grand dommage, de perdre son argent ou de perdre sa foi ? Ceux qui ont des yeux intérieurs savent déplorer ces pertes. Il en est beaucoup pour voir l’éclat de l’or et non l’éclat de la foi ; pour l’or ils ont des yeux, pour la foi ils n’en ont point. S’ils en avaient, s’ils la voyaient, ils y tiendraient davantage; et pourtant, si l’on vient à leur manquer de foi, ils se récrient, ils se plaignent : O bonne foi, disent-ils, où est la bonne foi? Tu l’aimes donc au point de l’exiger, aime encore à la montrer. Donc ceux qui persécutent les justes souffrent eux-mêmes un plus grand dommage, et subissent une plus grande perte, par la ruine de leur âme : c’est là ce que nous montre le psaume qui ajoute : « Les impies ont tiré leur glaive; ils ont tendu leur arc pour renverser le pauvre et le faible, pour égorger ceux qui ont le coeur droit. Que leur glaive entre dans leur coeur 1 ». Leur framée ou leur glaive peut bien atteindre ton corps, comme le glaive des persécuteurs frappa les corps des martyrs ; mais les meurtrissures du corps laissaient le coeur intact; or, il est loin d’être intact, le coeur de celui qui frappe de l’épée le corps d’un juste. Voilà ce qu’affirme le psalmiste. Il ne dit point que leur glaive entre dans leur corps; mais bien : « Que leur framée entre dans leur coeur».Ils ont voulu tuer le corps et ils ont tué leur âme. Voilà que Jésus-Christ rassure ceux dont ils vu laient tuer les corps, en leur disant: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme 2 ». Mais alors, qu’est. ce que frapper du glaive, et ne pouvoir tuer que le corps d’un ennemi, sans pouvoir tuer l’âme? Ce sont des insensés qui se blessent eux-mêmes, et dans les accès de leur folie, lit ne savent ce qu’ils font : ils agissent connu celui qui se passe une épée à travers le corps pour aller percer la tunique d’un autre. Insensé ! tu regardes ce que tu veux atteindre, et non ce que traverse ton glaive; tu perces le vêtement d’un autre à travers ton propre corps. Il est donc bien constant qu’ils se tout plus de mal, et se nuisent plus à eux-même qu’ils ne croient nuire à leurs ennemis. «Que leur glaive donc entre dans leur coeur »; telle est la sentence du Seigneur, qu’on ne saurait changer. « Et que leur arc soit brisé ? ». Qu’est. ce à dire « que leur arc soit brisé? » Que leurs piéges soient inutiles. Il avait dit auparavant: « Les méchants ont tiré leur glaive, ils ont bandé leur arc ». Il semble que par es glaive tiré il veuille marquer une attaque visible ; mais que l’arc bandé signifierait les embûches secrètes. Or, voilà qu’il se blesse de son glaive, et que ses piéges occultes sont trompés. Comment trompés ? ils ne nuisent point au juste. Mais quoi ! dépouiller quelqu’un, le réduire à la misère en lui prenant son bien, n’est-ce donc pas lui nuire ? Il a

 

1. Ps. XXXV, 14, 15. — 2. Matt. X, 28.

 

 

donc sujet de chanter: « Le peu que possède de juste est préférable aux grandes richesses des impies 1».

4. Mais les méchants ont de la puissance; ils entreprennent beaucoup, ils ont de grands moyens de réussir. Leur commandement est promptement obéi. En sera-t-il toujours ainsi? « Les bras des impies seront brisés 2 ». Leurs bras désignent leur puissance. Que fera ce méchant dans l’enfer? Fera-t-il comme ce riche qui faisait grande chère ici-bas, et qui ébat tourmenté dans l’abîme 3 ? « Leurs bras seront donc brisés, mais le Seigneur soutient les justes ». Comment les soutenir ? Que leur dit-il? Ce qui est dit dans un autre paume: « Attends le Seigneur, agis avec courage, que ton coeur se fortifie, et attends de Seigneur 4 ». Que signifie : « Attends le Seigneur? » Tu souffres pour un moment, tu ne souffriras pas toujours : ta douleur sera courte, mais ta félicité sera éternelle ; tu gémis pour un temps, tu te réjouiras sans fin. Mais tu vas défaillir au milieu de tes douleurs? Voilà sous tes yeux l’image des souffrances du Christ. Considère ce qu’a souffert pour toi celui qui ne méritait nullement de souffrir. Quelles que soient tes souffrances,             elles n’iront pas jusqu’à ces opprobres, ces fouets, cette robe dérisoire, cette couronne d’épines, et enfin cette croix qui, dans le genre humain, a disparu du nombre des supplices. Autrefois on y attachait les grands scélérats, nul n’y est cloué aujourd’hui. Elle est en honneur; elle cesse d’être en usage, puisqu’elle n’est plus un supplice, mais sa gloire subsiste. Du lieu des supplices elle a passé sur le front des empereurs. Que réserve à ces serviteurs celui qui a élevé si haut les instruments de son supplice? C’est donc par de tels actes, c’est par de telles paroles, c’est par ces exhortations, c’est enfin par cet exemple, que « le Seigneur affermit les justes ». Que les méchants sévissent à leur gré, et autant que Dieu le leur permettra : « Le Seigneur affermit les justes ». Quoi qu’il arrive au juste, qu’il l’attribue à la volonté de Dieu, et non au pouvoir de ses ennemis. Ton ennemi peut avoir de la fureur, mais il ne peut frapper si Dieu ne le veut point. Et si Dieu veut que son serviteur soit frappé, il sait comment il le consolera. « Car le Seigneur corrige celui qu’il a

 

1. Ps. XXXVI, 16. — 2. Id. 17. — 3. Luc, XVI, 19, 24. — 4. Ps. XXVI, 14.

 

aime, il frappe de verges celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 1 ». Pourquoi donc l’impie s’applaudirait-il de ce que mon Père s’est servi de lui comme d’un fléau ? Il se sert de lui comme d’un instrument; il me corrige pour m’adopter. Ne considérons donc point ce qu’il permet aux impies, mais le bien qu’il fait aux justes.

5. Mais pour ceux qui sont entre les mains de Dieu le fouet dont il nous châtie, nous devons souhaiter qu’un châtiment les convertisse. Telle est en effet la leçon qu’il donnait autrefois aux fidèles, quand il se servait de Saul pour les châtier, et qu’ensuite il convertissait Saut. Et quand le saint homme Ananie, qui baptisa Saul, reçut du Seigneur l’ordre d’accueillir ce même Saul qui était un vase d’élection, il répondit tout tremblant d’effroi au seul nom du persécuteur Saul; il répondit: « Seigneur, j’ai ouï parler de cet homme, j’ai appris combien de persécutions il a fait essuyer à vos saints qui sont à Jérusalem, et maintenant il a reçu des lettres du grand-prêtre pour aller partout où il trouvera ceux qui invoquent votre nom, et les amener à Jérusalem chargés de chaînes ». Mais le Seigneur lui répondit : « Va, car je lui montrerai combien il doit souffrir pour mon nom 2 ». Je veux, dit le Seigneur, le châtier, me venger de lui ; il souffrira pour mon nom, puisqu’il a persécuté mon nom. Je me sers et je me suis servi de lui pour châtier les autres, je me servirai des autres pour le châtier. Voilà ce qui est arrivé, et nous savons les maux qu’a endurés Saul, maux plus nombreux que ceux qu’il avait faits ; il fut un avare créancier, recevant avec usure ce qu’il avait prêté.

6. Mais voyez encore si le Seigneur accomplit en lui cette parole du psaume : « Le Seigneur affermit les justes ». Non-seulement, « (ainsi dit saint Paul au milieu de tourments sans nombre), mais nous nous glorifions encore dans nos afflictions, sachant que l’affliction produit la patience, la patience la pureté, la pureté l’espérance, et cette espérance n’est point vaine, car l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 3 ». Il s’agit bien évidemment ici d’un homme juste et déjà affermi ; et comme ses ennemis ne pouvaient lui nuire après qu’il fut fortifié, de même il ne faisait

 

1. Hebr. XII, 6. — 2. Act. IX, 13-16 — 3. Rom. V, 3-5.

 

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aucun mal à ceux qu’il avait lui-même persécutés. « Le Seigneur», est-il dit, « fortifie les justes » Ecoute encore d’autres paroles de ce juste fortifié: « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ? l’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, la persécution 1 ?» Combien était uni à Jésus-Christ celui que rien de tout cela n’en séparait ! « C’est le Seigneur qui fortifie les justes ». Quelques prophètes venus de Jérusalem, et pleins du Saint-Esprit, annoncèrent à ce même saint Paul ce qu’il devait souffrir à Jérusalem ; et l’un d’eux, nommé Agabus, ayant délié la ceinture de Paul pour s’en lier selon la coutume, afin de donner par là une figure de l’avenir, s’écria : « Comme vous me voyez lié, il faut que cet homme soit lié à Jérusalem ». A cet avis donné à Saul, devenu Paul, tous les frères se mirent à le dissuader de s’exposer à de si grands périls; ils le conjurèrent de renoncer à son voyage de Jérusalem. Mais il était déjà du nombre de ceux dont il est dit: « Le Seigneur affermit les justes. Pourquoi, dit-il, briser ainsi mon cœur 2 ? je n’estime pas ma vie plus que moi 3».Déjà il avait dit à ceux qu’il enfantait à l’Evangile: « Je me donnerai moi-même pour le salut de vos âmes » . « Pour moi u, dit-il encore, « je suis prêt, non-seulement à être lié, mais à mourir pour le nom du Seigneur Jésus-Christ 5 ».

7. «Le Seigneur affermit les justes». Comment les affermit-il ? « Le Seigneur connaît les voies des hommes purs 6 ». Lorsqu’ils sont en butte à la douleur, la foule ignorante, la foule qui ne sait point discerner les voies des hommes purs, s’imagine qu’ils suivent des voies mauvaises. Mais celui qui les connaît sait par quel chemin droit il dirige ceux qui le servent dans la docilité. Aussi dit-il dans un autre psaume : « Il conduira dans l’équité ceux qui sont doux ; il enseignera les voies aux humbles de cœur 7 ». Combien d’hommes, pensez-vous, n’avaient pas horreur de ce pauvre couvert d’ulcères, près duquel ils passaient devant la porte du riche 8? Combien se bouchaient les narines et crachaient peut-être sur lui ? Mais Dieu savait qu’il lui réservait le paradis. Combien d’autres souhaitaient de vivre comme celui qui était revêtu de pourpre et de lin, et qui

 

1. Rom. VIII, 35 — 2. Act. XXI, 13.— 3. Id. XX, 24. — 4. II Cor. XII, 15. — 5. Act. XXI, 13. — 6. Ps. XXXVI, 18. — 7. Id. XXIV, 9. — 8. Luc, XVI, 20.

 

faisait chaque jour grande chère! mais le Seigneur, qui voyait ses jours, voyait aussi dans l’avenir ses tourments, et ses tourments sans fin. Donc « le Seigneur connaît les voies des hommes purs ».

8. « Leur héritage sera éternel 1 ». Nous le voyons par la foi. Mais, pour le Seigneur, est-ce par la foi ? Il le voit d’une manière si évidente que nous ne pouvons l’exprimer, fussions-nous à l’état des anges. Alors même, ce qui nous sera manifesté n’aura point pour nous cette évidence qui éclate aux yeux de celui qui est immuable. Et néanmoins, qu’est-il dit de nous? « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît point encore; nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 2 ». Il nous est donc réservé je ne sais quel spectacle bien doux; et si la pensée peut s’en faire une ébauche comme en énigme et au moyen d’un miroir, on ne peut toutefois exprimer aucunement la supériorité de cette douceur que Dieu réserve à ceux qui le craignent, qu’il accorde à « ceux qui espèrent en lui 3 ». C’est à cette joie ineffable que nos coeurs se préparent, au milieu des tribulations et des épreuves de cette vie. Ne vous étonnez donc pas de subir en cette vie une laborieuse préparation, puisque l’on vous réserve à quelque chose de si grand. De là ce mot d’un juste fortifié : « Les souffrances de cette vie n’ont aucune proportion avec cette gloire de l’avenir qui doit éclater en nous 4 ». Quelle sera un jour notre gloire, sinon d’être les égaux des anges et de voir Dieu? Quel avantage ne fait pas à un aveugle celui qui lui guérit les yeux et le rend capable de voir la lumière? Après sa guérison, il ne trouve rien d’assez digne pour remercier celui qui l’a guéri. Quel que soit le don de la reconnaissance , comment égalerait-il le bienfait ? Qu’il donne ce qu’il voudra, de l’or, de l’or entassé; l’autre lui a donné la lumière. Pour bien comprendre qu ses dons ne sont rien, qu’il essaie dans lu ténèbres de voir ce qu’il donne. Et nous, que donner à ce médecin qui guérit les yeux de notre âme et nous fait voir une lumière éternelle qui est lui-même? Que lui donnerons-nous? Cherchons bien, afin de trouver, s’il est

 

1. Ps. XXXVI, 18.— 2. I Jean, III, 2.— 3. Ps. XXX, 20.— 4. Rom. VIII, 18.

 

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possible; et, dans l’impuissance de nos recherches, crions avec le Prophète: « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits? » Et qu’a-t-il trouvé à rendre ? « Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur 1 » . — « Pouvez-vous», dit le Seigneur, « boire le calice que je boirai moi-même 2 ? » puis à saint Pierre : « M’aimez-vous? Paissez mes brebis 3 » ; pour lesquelles cet apôtre boira le calice du Seigneur. « Le Seigneur fortifie les justes. Le Seigneur connaît les voies des hommes purs, et leur héritage durera toute l’éternité ».

9. « Ils ne seront point confondus aux jours  mauvais 4 ». Qu’est-ce à dire « Ils ne seront point confondus aux jours mauvais? » Au jour de l’angoisse, au jour de l’épreuve, ils n’éprouveront point la confusion de l’homme déçu dans ses espérances. Quand un homme est-il déçu? quand il dit: Je n’ai pas trouvé ce que j’espérais. Et cela est juste; puisque c’était sur toi-même ou sur quelque ami que tu avais fondé ton espoir. Or, « maudit celui qui met son espérance dans un homme 5 ». Tu seras confondu, ton espérance a été déçue; elle t’a trompé, cette espérance fondée sur le mensonge; puisque tout homme est menteur 6 ». Mais si tu reposes en Dieu tes espérances, tu n’éprouveras point de confusion, car on ne peut tromper eu tel dépositaire. De là vient que ce juste dont je viens de parler, et que Dieu avait fortifié, n’était point confondu au temps du malheur et dans la tribulation, et s’écriait:  « Nous nous glorifions dans nos afflictions, sachant que l’affliction produit la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance; or, cette espérance n’est point vaine ». Pourquoi n’est-elle point vaine? Parce qu’elle repose en Dieu. Aussi dit-il ensuite: « Parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 7 ». Déjà le Saint-Esprit nous a été donné, et comment pourrait nous tromper celui qui nous a donné un tel gage? Ils n’éprouveront point de confusion au jour du malheur; et au jour de la disette ils seront rassasiés. Dès ici-bas, en effet, ils sont en quelque sorte rassasiés. Car les jours de la disette sont les jours de cette vie où les justes sont rassasiés quand les autres sont en proie à la

1. Ps. CXV, 12, 13. — 2. Matt. XX. 22. —  3. Jean, XXI, 17. — 4. Ps. XXXVI, 19.— 5. Jér. XVII, 5. — 6.Ps. CXV, 11. — 7. Rom. V, 3-5.

 

faim. De quoi saint Paul se glorifiait-il, en disant: « Nous nous glorifions dans les épreuves », s’il eût intérieurement souffert de la faim? On voyait au dehors les angoisses, mais le coeur était dilaté par la joie.

10. Que fait au contraire le méchant quand l’affliction vient le saisir? Il n’a plus rien au dehors, tout lui manque, et sa conscience n’éprouve aucune consolation : qu’il sorte de lui-même, et tout est misère; qu’il y rentre, et tout est pénible. Il tombe donc justement sous le coup de cette sentence: « Car les méchants périront 1 ». Comment ne périrait point celui qui n’a de place nulle part? Ni à l’intérieur ni à l’extérieur, il n’est rien qui le console. Ce qui en effet ne peut nous consoler, nous est étranger. Car tous ceux qui n’ont point Dieu en eux-mêmes, sont esclaves de l’argent, de l’amitié, de la gloire, des biens de la terre; or, tous ces biens corporels ne peuvent nous donner une consolation intérieure semblable à celle qu’éprouvait cet homme dont l’âme était rassasiée, et à qui cette plénitude faisait dire: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Il ne reste donc pas aux méchants un lieu en dehors d’eux-mêmes, parce qu’ils y rencontrent l’affliction: leur conscience ne peut les consoler; ils sont en désaccord avec eux-mêmes, parce qu’on ne peut être bien avec le péché. Quiconque devient mauvais est mal avec lui-même. Il faut qu’il ait ses tortures, qu’il soit lui-même son propre fléau. Déchiré par sa propre conscience, il devient à lui-même son supplice. Il peut fuir un ennemi, comment se fuir lui-même?

11. C’est ainsi que venait à nous un homme du parti de Donat, que les siens avaient accusé et excommunié; il cherchait près de nous ce qu’il avait perdu chez eux. Mais nous ne pouvions le recevoir ici qu’à son rang; car, s’il quittait ce parti, il n’était point irréprochable chez eux, et l’on ne voyait point que sa démarche lui fût dictée par son choix plutôt que par la nécessité. Il ne pouvait donc trouver chez eux ce qu’il cherchait, c’est-à-dire la vaine gloire, le faux honneur, ni trouver chez nous ce qu’il avait perdu chez eux: il en mourut. Son coeur blessé poussait des gémissements; il était inconsolable ; d’invisibles

 

1. Ps. XXXVI, 28.—  2. Job, I, 21.

 

 

aiguillons lui déchiraient la conscience. Nous avions tenté de le consoler avec la parole de Dieu; mais il n’était pas de ces sages fourmis qui amassent en été de quoi vivre en hiver. Quand un homme est en paix, il doit s’appliquer à recueillir la parole de Dieu, à la cacher dans le fond de son coeur, comme la fourmi abrite dans ses galeries souterraines ses travaux de l’été 1. Voilà ce que l’on doit faire pendant l’été; vient ensuite l’hiver ou le temps des afflictions; et si nous ne trouvons en notre coeur de quoi vivre, il faut mourir de faim. Cet homme donc n’avait point recueilli la parole de Dieu, et l’hiver est venu, il n’a point trouvé ici ce qu’il cherchait: on ne pouvait le consoler que par là, et nullement par la parole de Dieu. Il n’avait rien à l’intérieur, et il cherchait à l’extérieur ce qu’il ne trouvait point: les sentiments de la douleur et de l’indignation le dévoraient, son âme était en proie à la plus violente agitation, qu’il cacha longtemps, jusqu’à ce qu’enfin ses gémissements éclatèrent et retentirent même à son insu parmi nos frères. C’était avec la plus vive douleur, Dieu le sait, que nous voyions cette âme si affligée, et devenue la proie de ces tortures, de ces flammes intérieures, de ces déchirements; que vous dirai-je? Ne pouvant se tenir dans un lieu si humble, qui eût pu être pour lui un lieu si salutaire, il nous parut encore mériter l’expulsion. Toutefois, mes frères, nous ne devons point pour cela désespérer des autres, qui pouvaient revenir par amour de la vérité, et non sous l’empire de la nécessité. Bien loin de désespérer des autres, je ne désespère pas même de celui dont je vous parle tant qu’il est en vie: car nous ne devons désespérer d’aucun homme qui est sur la terre. Il était bon de vous faire connaître ces détails, de peur qu’on ne vous les racontât autrement; car un de leurs sous-diacres qui, sans aucune contestation avec eux, a choisi la paix et l’unité catholique et les a quittés pour venir à nous; qui est venu comme en faisant choix de ce qui est bon, et non comme expulsé même par les méchants, a été reçu chez nous et nous a réjouis d’une conversion que nous recommandons à vos prières. Car Dieu est puissant et peut l’améliorer de plus en plus. D’ailleurs, nous ne devons prononcer ni en bien ni en mal sur le sort de personne. Pendant toute notre vie, en effet,

 

1. Prov. VI, 6; XXX, 25.

 

notre lendemain est toujours ignoré. « Ils ne seront point confondus au temps mauvais; ils seront rassasiés au jour de la famine, tandis que les pécheurs périront ».

12. « Quant aux ennemis de Dieu, aussitôt qu’ils se glorifieront et s’élèveront avec orgueil, ils disparaîtront comme la fumée qui s’évanouit 1 ». Voyez à cette comparaison ce qu’il a voulu nous enseigner. La fumée s’échappe du lieu où est le feu, s’élève dans

les airs, et en s’élevant, grossit en tourbillon; mais plus le tourbillon se dilate, plus il est

vide; or, cette immensité qui n’a ni appui ni solidité, qui est suspendue dans les airs, se

dissipe à mesure qu’elle gagne les hautes régions et s’évanouit; ses proportions démesurées ont fait sa perte. En effet, plus elle s’élève, plus elle se dilate, plus ses proportions grandissent, et plus elle diminue d’intensité, se dissipe et disparaît. « Or, les ennemis de Dieu, en se glorifiant et en s’exaltant, s’évanouiront bientôt comme la fumée»; c’est d’eux qu’il est dit : « Comme Jannès et Mambrès résistèrent à Moïse, ceux-ci de même résistent à la vérité: ce sont des hommes corrompus dans l’esprit et pervertis dans la foi 2 ». D’où vient leur résistance à la vérité, sinon de cette enflure de coeur qui en fait le jouet des vents, qui les porte à s’élever comme s’ils avaient de la justice et de la grandeur? Qu’eu dit l’Apôtre ? ce qui est dit de la fumée: « Mais ils n’iront pas au delà, car leur folie sera connue de tout le monde, comme le fut alors celle de ces hommes 3.Quant aux  ennemis de Dieu, dès qu’ils se glorifieront et s’élèveront, ils s’évanouiront bientôt comme la fumée ».

13. «L’impie emprunte et ne paiera point 4 ». Il recevra et ne rendra pas. Qu’est-ce qu’il ne rendra pas? l’action de grâces. Qu’est-ce, eu effet, que Dieu veut de vous, ou qu’en exige-t-il, sinon ce qui vous est utile? Que de bienfaits n’a pas reçus le méchant, dont il ne rendra rien? S’il existe, c’est un don; s’il est homme et bien supérieur aux animaux, c’est un don; c’est un don encore que la forme de son corps; et dans ce corps même, c’est un don que le discernement des sens, que des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, des narines pour sentir, un palais pour goûter, des mains pour toucher, des pieds pour marcher, un don que la santé du corps. Mais

 

1.Ps. XXXVI, 20.— 2. II Tim. III,8. — 3. Id.9,— 4. Ps. XXV, 21

 

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tous ces biens nous sont communs avec les bêtes; l’homme a reçu de plus, dans l’esprit, le don de comprendre, de saisir la vérité, de discerner le juste de l’injuste, de rechercher, d’aimer son Créateur, de le louer et de s’attacher à lui. Le méchant aussi a reçu de Dieu ces mêmes dons; mais comme sa vie n’est pas bonne, il ne rend pas ce qu’il doit. Donc, « le pécheur emprunte et ne paiera point » ; il ne rend rien à celui dont il a reçu, pas même l’action de grâces; il lui rendra même le mal pour le bien, le blasphème, le murmure contre sa Providence, l’emportement. mil emprunte alors, et ne paiera point; quant tau juste, il a de la pitié et il prête». L’un n’a donc rien et l’autre possède. Voyez la richesse de l’un et la pauvreté de l’autre. L’un a reçu et ne rendra point; l’autre a de la miséricorde et prête; il a du bien en abondance. Et pourtant, s’il est pauvre? même en ce cas il est riche. Ouvrez seulement les yeux de la foi sur les richesses. Tu peux bien voir un coffre vide, mais tu ne vois pas une conscience que Dieu même remplit. Il n’a point les richesses du dehors, mais il a au dedans la charité Que ne peut lui faire donner cette charité sans qu’elle s’épuise? S’il a des biens extérieurs, la charité en donne, et elle donne de ce qu’elle a; si elle ne trouve point eu dehors de quoi donner, elle donne sa bienveillance, elle donne un bon conseil, si elle le peut; elle donne du secours, si elle en est capable; enfin, si elle ne peut donner ni conseil ni secours, elle assiste de ses voeux, elle prie pour celui qui est dans l’affliction, et peut-être sa prière est-elle plus agréable à Dieu que le pain que donne un autre. Il a donc toujours de quoi donner, celui dont le coeur est plein de charité. Car c’est la charité que l’on appelle bonne volonté. Et Dieu n’exige pas de toi plus qu’il n’a mis dans ton coeur. La bonne volonté, en effet, ne peut demeurer oisive; avec la bonne volonté tu ne refuseras point au pauvre le dernier sou qui te reste. Les pauvres eux-mêmes trouvent dans la bonne volonté de quoi s’assister mutuellement, et ils ne sont pas inutiles l’un pour l’autre. Tu vois un homme qui a de bons yeux conduire un aveugle; n’ayant point d’argent à lui donner, il prête ses yeux à celui qui n’en a point. Mais pourquoi ses membres sont-ils au service de celui qui n’en a pas, sinon parce qu’il a dans l’âme une bonne volonté, qui est le trésor des pauvres? trésor qui est un doux repos, une véritable sécurité; trésor que le voleur ne nous enlève pas, et pour lequel on ne craint pas de naufrage; on le garde avec foi quand on le possède; on peut s’échapper tout nu, et néanmoins comblé de richesses. « Le juste a de la pitié, et il prête ».

14. « Mais ceux qui le bénissent auront la terre en héritage 1 » ; ceux qui bénissent le juste, le seul vraiment juste et qui donne la justice, qui fut pauvre ici-bas en y apportant les grandes richesses dont il devait combler ceux qu’il y trouve véritablement pauvres. C’est lui, en effet, qui a enrichi de l’Esprit-Saint les coeurs des pauvres, qui a comblé de l’or de la justice les âmes qui s’anéantissaient par l’aveu de leurs péchés; lui qui a pu enrichir le pêcheur qui abandonnait ses filets, et qui méprisait ce qu’il avait pour saisir ce qu’il n’avait pas 2. « Car Dieu a choisi ce qui est faible dans le monde, pour confondre ce qui est fort 3 ». Il ne s’est point servi d’un orateur pour gagner un pêcheur, mais d’un pêcheur pour gagner l’orateur, d’un pêcheur pour gagner l’homme du sénat, d’un pêcheur encore pour gagner le maître de l’empire. « Ceux qui le bénissent posséderont la terre en héritage»; ils seront ses cohéritiers dans cette terre des vivants dont il est dit dans un autre psaume: « Vous êtes mon espérance et mon héritage dans la terre des vivants 4 ». « Vous êtes mon héritage », dit-il à Dieu, il ne craint pas de s’arroger la possession de Dieu même. « Ils posséderont la terre en héritage; mais ceux qui le maudissent périront». Or, ceux qui le bénissent ne le font que par sa grâce. Car il est venu vers ceux qui le maudissaient, et ils l’ont béni; et c’est déjà périr pour ceux qui le maudissent, que de le bénir sous le poids de sa grâce; ils le maudissaient par leur propre malice, et ils le bénissent par le don qu’il leur fait.

15. Ecoutez ce qui suit : « Le Seigneur dirige les pas des hommes, et ils chercheront ses voies 5 ». Pour que l’homme recherche les voies du Seigneur, il faut que le Seigneur lui-même dirige ses pas. Si le Seigneur n’eût en effet dirigé les pas des hommes, ils eussent été eux-mêmes si corrompus et eussent marché dans une telle

 

1. Ps. XXXVI, 22. — 2. Matt. IV, 19. — 3. I Cor. I, 27. — 4. Ps. CXLI, 6. — 5. Id. XXXVI, 23.

 

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dépravation, que, dans leurs sentiers tortueux, ils n’eussent pu revenir au bien. Mais le Seigneur est venu pour nous appeler, nous racheter, répandre son sang ; ce sont là, et le prix qu’il a donné, et le bien qu’il a fait, et les douleurs qu’il a endurées. Examine ce qu’il a fait, c’est bien un Dieu; vois ce qu’il a souffert, c’est bien un homme. Quel est ce Dieu-Homme? O homme, si tu n’avais abandonné Dieu, un Dieu ne se ferait point homme pour toi! C’était peu pour sa bonté, pour sa miséricorde, de t’avoir fait homme, s’il ne se fût fait homme pour toi. C’est lui qui dirige nos pas, afin que nous désirions ses voies. « C’est le Seigneur qui redresse les pas de l’homme, lequel recherche ses voies ».

16. Mais si tu yeux suivre la voie du Christ, ne va point te promettre les félicités du siècle. Il a marché par des chemins difficiles, mais il a promis de grands biens; c’est à toi de le suivre. Ne considère pas seulement le chemin à suivre, mais le point où tu dois aboutir. Tu souffriras des maux qui passeront, pour arriver à des joies éternelles. Si tu veux supporter le travail, envisage la récompense. L’ouvrier se découragerait dans la vigne, s’il n’envisageait son salaire. Et quand tu auras envisagé ton salaire, tout ce que tu souffres te paraîtra vil et peu digne d’être comparé avec le bonheur qui en sera la récompense. Tu seras étonné d’un si grand prix pour un travail si minime. Car enfin, mes frères, pour mériter un repos éternel, il faudrait un travail éternel; et un bonheur sans fin ne devrait s’acheter que par une douleur également sans fin; mais si ton labeur était éternel, quand pourrais-tu arriver à l’éternelle félicité ? De là vient pour la douleur cette nécessité de finir pour faire place à un bonheur sans fin. Et pourtant, mes frères, cette félicité éternelle pouvait être le prix d’une peine bien longue. Ainsi, pour mériter un bonheur sans fin, notre labeur, notre misère eussent pu durer des siècles. Et eussent-ils duré un millier d’années, qu’est-ce qu’un millier d’années en face de l’éternité? qu’est-ce qu’un nombre fini, quelque grand qu’il soit, en face de l’infini? Dix mille années, des millions et des milliards d’années, si l’on peut s’exprimer ainsi, tout cela finira et ne peut se comparer à l’éternité. C’est donc un autre effet de la bonté de Dieu de t’avoir mesuré une épreuve non-seulement temporelle, mais encore très-courte. La vie de l’homme serait courte, ne compterait que bien peu de jours, quand même Dieu ne mêlerait pas à nos misères des joies qui sont assurément plus nombreuses et plus durables que nos peines; et ces peines en sont plus courtes et moins nombreuses, afin que nous puissions les endurer. Qu’un homme donc voie sa vie entière s’écouler jour par jour, heure par heure, dans les travaux, dans les chagrins, dans la douleur, dans les tourments, dans la prison, dans les plaies, dans la faim et dans la soif, et cela pendant toute une vie jusqu’à l’extrême vieillesse, la vie de l’homme n’a que peu de jours, et, après ce labeur, viendra le royaume éternel, la félicité sans fin, l’égalité avec les anges, l’héritage du Christ et le Christ lui-même, cohéritier avec nous. Quelle récompense, en comparaison du labeur! Des vétérans, qui se fatiguent dans les armées, qui affrontent les blessures pendant tant d’années, qui portent les armes de la jeunesse, se retirent cassés de vieillesse; et, pour avoir quelques jours de paix dans ces vieilles années qui pèsent sur ces hommes à qui la guerre ne pesait rien, quelles difficultés à surmonter, combien de marches, que le froids rigoureux, quelles chaleurs à supporter, quelles extrémités, quelles blessures, quel. périls à braver! Et dans toutes ces fatigues ils n’envisagent que ces quelques jours de vieillesse, qu’ils ne sont pas certains d’atteindre. Donc, « le Seigneur dirige les pas des hommes, et ils chercheront ses voies ». C’est là ce que je commençais à exposer : si tu veux suivre la voie du Christ, si tu es vraiment chrétien, et le vrai chrétien est celui qui ne méprise pas la voie du Christ, mais qui veut suivre ses pas même dans les souffrances, garde-toi de chercher une autre voie que celle qu’il a parcourue. Elle paraît difficile et néanmoins c’est la voie sûre; l’autre peut avoir ses attraits, mais elle est infestée par les voleurs. « Et les hommes chercheront sa voie ».

17. « Quand il se heurtera, il n’en sera point troublé, parce que le Seigneur fortifie ses mains 1 ». C’est là désirer la voie du Christ Qu’il arrive à cet homme de passer par la tribulation, par le déshonneur, par les affronts, par la douleur, par les pertes et par les peines si nombreuses dans la vie humaine; il se rappelle toutes les souffrances qu’a dû endurer

 

1. Ps. XXXVI, 24.

 

 

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Jésus-Christ, et « quand il se heurtera, il ne sera point troublé, parce que ses mains sont fortifiées par le Seigneur », qui a le premier passé par ces peines. Que pourrais-tu craindre, ô homme, puisque Dieu dirige tes pas, pour te faire désirer ses voies? Que peux-tu redouter? Les douleurs? Le Christ a été flagellé 1. Les affronts? Il s’est entendu lire: « Vous êtes possédé du démon 2 », lui qui chassait les démons. Craindrais-tu les trames et les conspirations des méchants? Ou a conspiré contre lui 3. Tu ne saurais peut-être établir ton innocence en toute accusation, et tu as la douleur d’entendre de faux témoins déposer contre toi. Ils ont porté un faux témoignage contre Jésus-Christ tout le premier, non-seulement avant sa mort, mais encore après sa résurrection. On produisit de faux témoins pour le faire condamner par les juges 4; et de faux témoins encore calomnièrent son tombeau. Jésus-Christ ressuscita avec tout l’éclat du miracle, et la terre ébranlée annonça la résurrection du Sauveur. Il y avait là une terre qui gardait la terre, mais cette terre plus dure ne put être changée. Elle rendit témoignage à la vérité, mais elle fut séduite par la terre menteuse. Les gardiens racontèrent aux Juifs ce qu’ils avaient vu, ce qui était arrivé; mais ils reçurent de l’argent, et on leur dit: « Rapportez que pendant votre sommeil ses disciples sont venus et l’ont enlevé 5». Voilà de faux témoins contre sa résurrection. Mais quel aveuglement dans ces faux témoins, mes frères; quel aveuglement! Voilà ce qui arrive d’ordinaire aux faux témoins, c’est de tomber dans l’aveuglement su point de parler contre eux-mêmes sans le savoir, et de démasquer ainsi leur faux témoignage. Qu’ont-ils dit contre eux-mêmes? Pendant que nous dormions, ses disciples mont venus et l’ont enlevé ». Quoi donc? Oui fait cette déclaration? celui qui dormait, le ne croirais pas de tels hommes, quand même ils ne me raconteraient pas leurs songes. Quelle extravagance! Si tu veillais, pourquoi le laisser enlever? Si tu dormais, d’où le sais-tu?

18. Ainsi en est-il de ceux qui sont leurs enfants, comme il vous en souvient, et dont il faut dire un mot, puisque c’est l’occasion. Plus, en effet, nous voulons leur salut, et plus

 

1. Matt. XXVII, 26.—  2. Jean, VIII, 48— 3. Id. IX, 22.— 4. Matt, XXVI, 60. — 5. Id. XXVIII, 12, 13.

 

 

nous devons démasquer leur vanité. Voilà que le corps de Jésus-Christ est encore en butte aux faux témoins; ce qu’a d’abord enduré le chef, le corps l’endure aussi. Il n’y a là rien d’étonnant, et aujourd’hui il ne manque pas de gens pour dire à ce corps du Christ répandu sur la terre: Race de traîtres. C’est là un faux témoignage, et peu de mots me suffiront pour te convaincre que tu es un faux témoin. Tu me dis : Tu es un traître. Je réponds: Tu mens. Nulle part et jamais tu n’as pu prouver ma trahison; et moi, dans tes paroles et à l’instant, je démasque ton mensonge. Il est constant que tu as dit que nous avons aiguisé nos épées; je cite les actes de tes circoncellions. Tu as dit, et cela y est constaté, que tu ne réclames pas les biens enlevés 1; et je lis dans ces mêmes actes que tu donnes procuration pour les exiger. Tu as dit encore : Nous ne présentons uniquement que les Evangiles; et je lis une foule d’arrêts des juges, dont tu as tourmenté ceux qui sont séparés d’avec toi; je lis des suppliques à un empereur apostat, à qui tu as dit qu’il n’y a que la justice pour avoir accès auprès de lui 2. L’apostasie de Julien vous paraissait sans doute faire partie de l’Evangile? Te voilà donc convaincu de mensonge. Que doit-on croire de tout ce que tu as dit de moi? Quand même je ne pourrais démasquer la fausseté de tes reproches, il me suffit de prouver que tu es menteur. Que dis-tu? Tel on te voit, tels on voit tous les autres. C’est avec raison que tu as envoyé partout ces paroles, tu as voulu grossir le mensonge par d’autres mensonges, afin de n’avoir plus à rougir d’avoir menti.

19. Mais il faut, dit-il, maintenir le jugement de nos pères contre Cécilien. Pourquoi le maintenir? parce que c’est le jugement des évêques? Il faut donc aussi maintenir le jugement porté contre toi par les Maximianistes. Car c’était auparavant, et je pense que vous le savez, que les évêques, unis à Maximien, qui était encore son diacre, vinrent à Carthage, comme le porte la requête qu’ils ont

 

1. Saint Augustin se propose évidemment dans ces discours de réfuter cette déclaration de Primianus, dont il fait mention dans son Abrégé des Conférences avec les Donatistes, 3e jour, ch. 8; mais d’une manière plus expressive dans son livre contre Cresconius, chap. XXVII, en ces termes : Puisque Primianus, dans ses actes de tribunal de Carthage, a dit entre autres calomnies dont il nous a chargés : Ils enlèvent les biens des autres, et nous abandonnons ce que l’on nous prend.

2. C’est le langage de Rogatien et de Pontius, dans les requêtes présentées à Julien l’Apostat, au nom des Donatistes, d’après la let. CV aux Donatistes, n. 8, et liv. II contre Pétilien, ch. 22 et 27.

 

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attachée à leurs actes, quand ces Maximianistes plaidaient au sujet d’une maison avec le procureur de ce Primianus qui abandonne ce qu’on lui prend. Donc, ils envoyèrent d’abord une requête à son sujet, se plaignant de ce qu’il n’avait pas voulu se rendre dans leur assemblée. Mais vois comme Dieu leur a rendu ce qu’ils ont dit de Cécilien. Admirable ressemblance! Dieu a voulu, après tant d’années, leur remettre sous les yeux ce qui s’est passé alors, afin qu’ils ne trouvent aucun moyen de dissimuler ou de s’échapper. Ils diraient qu’ils ont oublié les actes précédents, Dieu ne permet point qu’ils les oublient; et puisse cela servir à leur salut! Car c’est là un effet de sa miséricorde, s’ils considéraient ce qui s’est fait. Remettez-vous donc sous les yeux, mes frères, l’unité de l’univers entier dont ils se sont séparés contre Cécilien; représentez-vous le parti des Donatistes, d’où se sont détachés les Maximianistes contre Primianus. Ce que les premiers ont fait contre Cécilien, les seconds l’ont fait contre Primianus. C’est pourquoi les Maximianistes se vantent d’aimer mieux la vérité que les Donatistes, puisqu’en effet ils ont imité la conduite de leurs ancêtres. Ils ont élevé Maximien contre Primianus, comme les autres avaient élevé Majorin contre Cécilien, et ont renouvelé de lui et de Primianus les plaintes de leurs pères au sujet de Cécilien. Car, s’il vous en souvient bien, ceux-ci dirent que Cécilien, fidèle à sa conscience, n’avait point voulu se trouver avec eux, parce qu’il connaissait leurs intrigues; de même ceux-là se plaignent de Primianus, qui a refusé d’aller à eux. Pourquoi trouver bon que Primianus ait connu les intrigues des Maximianistes, et ne point pardonner à Cécilien d’avoir connu les intrigues des Donatistes? Maximien n’était pas encore ordonné, et déjà l’on accusait Primianus; des évêques s’assemblent; ils veulent obliger Primianus de se trouver dans leur assemblée; il refuse d’y aller, comme le constate la circulaire insérée dans les actes. Il refusa, etje ne l’en blâme point, je l’approuve au contraire. Si tu as reconnu là quelque faction, tu as bien fait de ne point te mêler à des factieux, mais de réserver ta cause à un tribunal plus impartial de ton parti. Il restait encore la secte de Donat, et Primianus pouvait s’y justifier; c’est pourquoi il ne voulut point aller à ceux qui ourdissaient déjà des trames. Tu vois que nous louons ta résolution à l’égard des Maximianistes; considère bien maintenant la cause de Cécilien. Tu ne veux point le juger comme un frère, juge-le comme un étranger. Que disais-tu en toi-même en refusant de venir? Ces gens ont conspiré contre ma vie; ils sont gagnés contre moi; si je me remets entre leurs mains, je fais tort à ma cause. Je n’irai point chez eux, je réserve ma cause pour des hommes plus intègres et d’une pins grande autorité. C’est là un bon avis. Mais si Cécilien a raisonné de la sorte? Tu auras bien de la peine à nous prouver qu’une autre Lucille a corrompu ceux-ci contre toi, tu n’en trouveras pas la preuve; et cependant Cécilien le savait tellement bien, que cela est prouvé par les actes mêmes de ce concile 1.Mais tu as vu je ne sais quoi de ténébreux; on t’a dit que tu avais à craindre; j’accorde à ta crainte d’avoir pris des sûretés; tu as bien fait de n’aller point trouver de telles gens, puisqu’il y en avait d’autres qui pouvaient te juger. Ecoute maintenant Cécilien : tu t’es conservé la Numidie, et lui le monde entier. Mais si tu veux faire valoir contre lui le jugement des Donatistes, il faut donner la même valeur à celui dont tu es frappé par les Maximianistes; s’il est condamné par des évêques, tu l’es aussi par des évêques. Pourquoi ensuite faire revoir ta cause pour obtenir l’avantage contre les Maximianistes, comme il en avait ensuite appelé, pour faire condamner les Donatistes? Ce qui s’est donc fait alors s’est renouvelé d’une manière complète et évidente, et les Maximianistes font contre Primianus les plaintes que les Donatistes ont faites contre Cécilien. Je ne puis vous dire, mes frères, combien je suis ému et comment je rends grâces à Dieu; c’est vraiment par un effet de sa miséricorde qu’il leur a mis sous les yeux un tel exemple, bien fait pour les éclairer s’ils étaient sages. Pour peu que cela vous plaise, mes frères, et puisque Dieu l’a fait tomber sous nos mains, écoutez le concile des Maximianistes. (Et dans son homélie, il fait lecture du concile.)

20. « A nos très-saints frères et collègues dans toute l’Afrique ». (Toute leur unité se borne à la seule Afrique. Mais dans cette

 

1. Le saint Docteur parle des actes recueillis chez Zénophide, homme consulaire, l’an 320, et dont il cite quelques fragments contre Cresconius, en 20, et l’endroit où Nundinarius, diacre de l’évêque de Certe, prouve que les évêques avaient été gagnés par l’argent de Lucille, femme puissante alors, pour établir Majorin évêque de Carthage, contre Cécilien Voyez les lettres à Glorius et à Clusius, et lettre XLIII, n 17.

 

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Afrique, il y a l’unité catholique avec eux, et dans les autres parties du monde, ils ne sont pas avec l’Eglise catholique.) « A nos frères très-saints et collègues établis dans toute d’Afrique, c’est-à-dire dans la province proconsulaire, dans la Numidie, la Mauritanie, la Byzacène et Tripoli; à tous les prêtres et diacres, à tous les peuples militant avec nous dans la vérité de l’Evangile, Victorin, Fortumat, Victorien, Miggin, Saturnin, Constance, Candoire, Innocent, Cresconius, Florent, Salvius, un autre Salvius, Donat, Géminius, Prétextat » (c’est là cet Assuritain qu’ils ont reçu dans la suite, et qui à son tour reçut celui qui l’avait condamné), « Maximien, Théodore, Anastase, Donatien, Donat, un autre Donat, Pompone, Pancrace, Janvier, Secundinus, Pascase, Cresconius, Rogatien, un autre Maximien, Bénénat, Gaïen, Victorin, Contaise, Quintaise, Félicien » (est-ce ce Mustitain qui vit encore? C’en est peut-être un autre et d’un autre endroit), « Salvius, Miggin, Proculus, Latinus, et les autres réunis au concile de Cabarsusse, salut en Notre-Seigneur. Il n’est personne, frères bien-aimés, pour ignorer que les prêtres du Seigneur ne suivent point leur volonté, mais la loi de Dieu, soit quand ils condamnent des coupables, soit quand ils écoutent la justice pour absoudre les innocents des peines qui leur étaient infligées. C’est également s’exposer à un grand péril que d’épargner un coupable ou de s’efforcer d’accabler un innocent; surtout qu’il est écrit : Vous ne ferez mourir ni l’innocent, ni le juste, et s vous ne justifierez point le coupable 1. Cet oracle de l’Ecriture nous imposait l’obligation d’évoquer la cause de Primianus, que le peuple saint de Carthage avait établi évêque de cette église, pour veiller sur le bercail du Seigneur. Les lettres des anciens de cette église nous forçaient d’écouter, d’examiner q toutes choses à son sujet, afin qu’après avoir stout pesé, nous pussions, ou le déclarer innocent, ce qui eût été bien désirable, ou, s’il était coupable, montrer à tous qu’il était justement condamné. Notre plus vif désir était que le peuple de l’église de Carthage pût s’applaudir d’avoir à sa tête un évêque  entièrement saint, exempt de tout reproche. Il faut en effet qu’un prêtre du Seigneur soit tel qu’il puisse mériter et obtenir pour

 

1. Exod XXIII, 7.

 

son peuple ce que ce même peuple ne pourrait lui-même obtenir de Dieu; car il est écrit: Si le peuple a péché, le prêtre priera pour lui; mais si le prêtre vient à pécher, qui donc priera pour lui 1? » (Les apôtres eux-mêmes se recommandaient aux prières des peuples, et ils disaient dans leurs prières: « Pardonnez-nous nos offenses 2 ». L’apôtre saint Jean a dit : « Devant Dieu le Père nous avons pour avocat Jésus-Christ qui est juste; c’est lui qui est la victime de propitiation pour nos péchés 3 ». Mais ce qu’ils citent regarde ce prêtre qu’ils ne comprennent pas, et a été écrit pour avertir le peuple par cette prophétie, qu’il doit reconnaître pour prêtre

celui pour qui nul ne prie. Or, quel est le prêtre pour qui nul ne prie, sinon celui qui

prie pour tous 4? On était alors sous le sacerdoce lévitique; alors le prêtre pénétrait dans le sanctuaire; il offrait des victimes pour le peuple, et on avait une image du prêtre futur

et non la réalité; les prêtres d’alors étaient pécheurs comme les autres hommes; et Dieu

voulant, par cette prophétie, avertir le peuple d’appeler, par ses désirs, ce Prêtre qui intercède pour tous sans que personne doive prier pour lui, le désigne ainsi dans ces avertissements : « Que le peuple pèche, le prêtre prie pour lui; mais si le prêtre vient à pécher, qui priera pour lui? » Donc, ô peuple, choisis un prêtre pour lequel tu ne sois point obligé de prier, mais dont la prière devienne pour toi une sécurité. Ce prêtre est Notre-Seigneur Jésus-Christ, le seul Prêtre, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme 5). «Or, les scandales de Primianus et sa perversité si particulière l’ont tellement désigné au jugement du ciel, que l’auteur de tant de crimes devait être nécessairement retranché; lui qui, récemment ordonné » (voici qu’ils énumèrent les crimes de Primianus), « a poussé les prêtres de ce même peuple de Carthage à entrer dans une conjuration impie, et leur a demandé, comme par grâce, d’être d’accord avec lui»; (voilà ce qu’il leur demanda; mais eux, loin de le lui promettre, gardèrent le silence; alors il ne craignit pas d’accomplir seul le crime qu’il méditait), « afin de condamner quatre diacres, hommes distingués et d’un mérite reconnu par tous, savoir, Maximien, Rogatien, Donat

 

1. I Rois, II, 25. — 2. Matt. VI, 12. — 3. I Jean, II, 1, 2. — 4. Rom. VIII, 34. — 5. 1 Tim. II, 5.

 

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et Salgame ». (Il y avait dans ces quatre cet auteur du schisme, qui retranchait encore à

une part déjà retranchée, et qui ne gémissait point de se voir séparé de l’unité tout entière.)

« Ces prêtres donc, effrayés de sa criminelle audace, ayant repoussé par leur silence toute complicité, il osa seul accomplir sa criminelle entreprise, au point de se croire en droit de porter une sentence contre le diacre Maximien, homme connu de tous pour son innocence, et cela sans aucun procès, sans accusateur, sans témoin, quand cet homme, qui n’avait pas comparu, était malade au lit ». (Voyez bien son crime.) « C’est ainsi qu’il avait déjà condamné des clercs par un emportement semblable. Et comme il avait admis des incestueux à la sainte communion, contre la loi et les décrets de tous les prêtres, malgré l’opposition de la plus grande partie du peuple; pressé par les lettres des plus nobles parmi les anciens de corriger par lui-même ce qu’il avait fait, il a poussé la témérité jusqu’à négliger de le faire. Justement émus de cette conduite, les anciens de cette église envoyèrent à tous les évêques des lettres et des ambassadeurs, pour nous prier avec larmes de les venir trouver, afin qu’après avoir pesé toutes choses, et mûrement examiné les accusations, on rendît l’éclat à cette Eglise. Or, quand sur ces invitations nous sommes venus ici, cet homme bouillant, faisant valoir ses motifs que l’on connaît, s’abstint de nous rencontrer ». (Vous connaissez ce que l’on objecte à Primianus; c’est que le parti de Donat est souillé d’inceste. Voici en effet leur règle : tel est l’homme avec qui l’on communique, tels deviennent tous les autres et la masse entière. Si donc ils disent vrai, tout le parti de Donat est souillé d’inceste. Que les Numides viennent donc nous dire : Que nous importe à nous que tu aies admis à ta communion je ne sais quels incestueux? comment cela pourrait-il nous atteindre à une si longue distance? Mais si vous ne voulez pas qu’un fait arrivé à Carthage ait son contre-coup en Numidie, comment ce qui se passe en Afrique a-t-il pu nuire à la terre entière? Leur défense arrive toujours à les charger davantage et à nous excuser.) « Il s’est abstenu de nous rencontrer ». (C’est leur plainte contre Cécilien.) « S’obstinant dans sa rébellion, il a persévéré dans le mal; puis, ayant rassemblé des hommes perdus ». (Voici quelque chose de plus : on n’a pas fait ce reproche à Cécilien ; écoutez ces reproches.) « Ayant obtenu des gardes, il assiégea les portes des églises » (assurément afin d’empêcher les évêques d’y entrer), « et nous ôta la liberté d’y entrer et d’y célébrer les saints mystères. Tout homme qui soutient la vérité peut apprécier ou juger si telle est la conduite d’un évêque, ou s’il est permis à des chrétiens d’en agir ainsi. C’est notre  propre frère qui nous a fait ce que n’aurait pas fait un étranger ». (Que dirai-je de plus?

ils accumulent les accusations et condamnent Primianus; mais lisons la condamnation.)

« Nous donc, prêtres du Seigneur, en présence de l’Esprit-Saint, attendu que le même Primianus a substitué des évêques à d’autres qui étaient encore vivants; qu’il a admis des incestueux à la communion des saints;qu’il a tenté d’engager des prêtres à former une conjuration; qu’il a fait jeter dans un cloaque le prêtre Fortunat, qui venait par le baptême au secours des malades; qu’il a refusé de communiquer avec le prêtre Démétrius, afin d’obtenir la démission de son fils; qu’il a fait un crime à ce prêtre de l’hospitalité  donnée à des évêques; que ledit Primianus a lancé la multitude pour abattre les maisons des chrétiens; qu’il a fait assiéger d’abord , puis lapider par ses satellites des évêques et des clercs; qu’il a fait massacrer dans une église des vieillards qui voyaient avec peine les Claudianistes admis à la communion; qu’il a cru devoir condamner des clercs innocents; qu’il a refusé de se présenter devant nous pour être entendu, et qu’il a fermé et fait garder les portes des églises par des gens attroupés et des archers pour nous en interdire l’entrée; qu’il a ignominieusement repoussé les légats que nous lui avions envoyés; qu’il a usurpé plusieurs places, d’abord par la violence et ensuite par l’autorité judiciaire ». (Il abandonne pourtant ce qu’il a pris. L’apôtre saint Paul nous dit: « Quelqu’un d’entre vous ayant un différend avec un autre, ose-t-il bien l’appeler en jugement devant les infidèles et non devant les saints 1?» Voyez quel crime ils reprochent à Primianus, de n’avoir pas voulu décider de ces places au tribunal des évêques, mais à celui des juges.) « Sans

 

1. I Cor. VI, I.

 

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parler d’autres crimes dont il est coupable, et qu’une plume honnête se refuse à retracer, nous l’avons condamné à être à jamais séparé de l’assemblée des prêtres, de peur que son contact ne jette sur l’Eglise quelque souillure ou quelque crime. Tel est le sens de cet avertissement et de cette exhortation de saint Paul : Nous vous ordonnons, mes frères, au nom de Jésus-Christ, de vous séparer de tout frère qui marche dans le désordre 1. C’est pourquoi, n’oubliant point ce que nous devons à la pureté de l’Eglise, muons avons jugé à propos d’avertir nos saints collègues dans l’épiscopat, tous les clercs, tous les peuples qui se souviennent qu’ils sont chrétiens, d’avoir en horreur sa communion comme celle d’un damné. Quiconque aura tenté de violer par sa désobéissance ce présent décret, rendra compte de sa propre mort. Toutefois, il a paru bon au Saint-Esprit et à nous d’accorder quelque délai à ceux qui sont lents à se convertir, sen ce sens que tout prêtre ou tout clerc, assez oublieux de leur salut pour ne point se séparer de la communion de Primianus condamné, à dater du jour de sa condamnation, ou du huitième jour des calendes de juillet, jusqu’au huitième jour des calendes de janvier, tomberont sous l’anathème dont il est lui-même frappé. Quant maux laïques qui ne se seront point abstenus de toute relation avec lui depuis ledit jour de sa condamnation jusqu’à la prochaine solennité de Pâques, ils ne pourront être réconciliés à l’Eglise que par la pénitence, si toutefois ils rentrent en eux-mêmes. Victorin, évêque de Munat, j’ai signé. Fortunat, évêque de Dionysiane, j’ai signé. Victorien, évêque de Carcabie, j’ai signé. Florent, évêque d’Adrumète, j’ai signé. Miggin évêque d’Eléphantaire, j’ai signé. Innocent, évêque de Thébal, j’ai signé. Miggin, au nom de mon collègue Salvius, évêque de Membressitane, j’ai signé. Salvius, évêque d’Ausafe, j’ai signé. Donat, évêque de Sabrat, j’ai signé. Gémélius, évêque de Tanasbée, j’ai signé ». (Parmi ceux qui ont signé cette condamnation, nous lisons les noms de Prétextat, évêque d’Assurite, et de Félicien de Mustitane.) « Prétextat, évêque d’Assurite, j’ai signé. Maximien, évêque de Sabate, j’ai signé. Datien, évêque de Camicète, j’ai signé.

 

1. II Thess. III, 6.

 

Donat, évêque de Fisciane, j’ai signé. Théodore, évêque d’Usule, j’ai signé. Victorien, j’ai signé par ordre de l’évêque Agnose, mon collègue. Donat, évêque de Cebresut, j’ai signé. Natalien, évêque de Thélen, j’ai signé. Pomponius, évêque de Macriane, j’ai signé. Pancrace, évêque de Baliane, j’ai signé. Janvier, évêque d’Aquen, j’ai signé. Secundus, évêque de Jacondiane, j’ai signé. Pascase, évêque duBourg d’Auguste, j’ai signé. Creso, évêque de Conjustie, j’ai signé. Rogatien, évêque, j’ai signé. Maxime, évêque d’Erommène, j’ai signé. Bénénat, évêque de Tugutiane, j’ai signé. Ritanus, évêque, j’ai signé. Gaïanus, évêque de Tigual, j’ai signé. Victorin, évêque de Leptimagne, j’ai signé. Contaise, évêque de Bénèfe, j’ai signé. Quintaise, évêque de Capse, j’ai signé. Félicien, évêque de Mustitane, j’ai signé. Victorien, par délégation de l’évêque Miggin, j’ai signé. Latinus, évêque de Muge, j’ai signé. Proculus, évêque de Girbitane, j’ai signé. Donat, évêque de Sabrat, pour Marratius mon frère et collègue, j’ai signé. Proculus, évêque de Girbitane, au nom de Gallionus, mon collègue, j’ai signé. Secondien, évêque de Prisiane , j’ai signé. Helpidius, évêque de Tusdritane, j’ai signé. Donat, évêque de Samurdat, j’ai signé. Gétulicus, évêque de Victoriane, j’ai signé. Annibonius, évêque de Robarte, j’ai signé. Annibonius, encore à la prière de mon collègue, l’évêque d’Angendiare, j’ai signé. Tertullus, évêque d’Abite, j’ai signé. Primulien, évêque, j’ai signé. Secundinus, évêque d’Arusiane, j’ai signé. Maxime, évêque de Pittane, j’ai signé. Crescentianus, évêque de Murre, j’ai signé. Donat, évêque de Belme, j’ai signé. Persévérantius, évêque de Tébertine, j’ai signé. Faustin, évêque de Bine, j’ai signé. Victor, évêque d’Altiburitane, j’ai signé. En tout, cinquante-trois ».

21. Veuillez bien, mes frères, faire une simple remarque. C’est là ta condamnation, disons-nous à Primianus. Que veux-tu ? qu’elle ait de la valeur ou qu’elle n’en ait point ? je suis d’accord avec toi pour dire que tous ont menti contre toi ; et voici ce qui me le fait croire: c’est que tu as plaidé ta cause devant d’autres j tiges qui ont condamné ceux-là. Si donc je te crois innocent parce que, sans te présenter à des factieux, tu as prouvé ailleurs ton innocence de manière

 

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à faire condamner ceux qui t’avaient condamné; sache à ton tour reconnaître l’innocence de Cécilien, qui a refusé de comparaître devant tes ancêtres, pour réserver sa cause au jugement de l’univers entier, comme tu as réservé la tienne au jugement du concile des Numides. Si le siége de Bagaï t’a rendu ton innocence, à combien plus forte raison le Siége apostolique lui a rendu la sienne. Ou bien veux-tu donner de la valeur à sa première condamnation? Si elle a de la valeur, c’est contre toi. Car jamais cette condamnation n’a eu de valeur contre Cécilien, jamais elle n’en aura; prends garde toutefois de te condamner toi-même.

22. Ils osent bien dire ici :Mais nous, qui avons ensuite condamné les Maximianistes, nous étions en plus grand nombre. Donnez donc de la valeur au jugement rendu contre Félicien, et vous en donnerez alors à celui qui frappe Cécilien. Dans leur concile de Bagaï, ils ont aussi condamné Félicien maintenant Félicien est admis à la communion; donc, ou bien c’est un coupable que l’on a admis, ou bien un innocent que l’on a condamné. Si tu reçois un coupable, pour garder la paix avec Donat, cède à tous les peuples pour la paix de Jésus-Christ; mais si par erreur vous avez condamné un innocent; si trois cents évêques ont pu se tromper en condamnant Félicien, soixante-dix évêques n’ont-ils pu sans erreur condamner Cécilien? Qu’avez-vous donc à répondre ? quand on vous objecte : Les Maximianistes vous ont condamnés les premiers; vous répliquez en disant: Mais nous étions bien plus nombreux en condamnant les Maximianistes. On peut répondre à l’instant à chacune de vos objections : que c’est vous les premiers qui avez condamné Cécilien. Si l’on doit s’en tenir à la priorité dans le jugement, c’est aux Primianistes à céder au concile des Maximianistes; et si l’on s’en tient au plus grand nombre, c’est aux Donatistes à céder à l’univers entier: je ne vois rien de plus juste. Les Maximianistes sont peu nombreux, mais les premiers. Un accusé n’a pas le droit de condamner. Si c’est là ton avis, comment, sous le poids d’une condamnation, as-tu pu condamner un autre? Car il a signé avec ceux qui ont porté la sentence, et ils ne lui ont point gardé la place d’un homme qui plaide sa cause. Mais il en est autrement de Cécilien: on lui a gardé la place d’un homme qui se justifie, ainsi que le porte la sentence elle. même; car il n’a pas été admis à la communion sans avoir purgé son accusation. Mais ici Maxime est condamné par les juges, et là il est parmi les juges qui condamnent. Que ce soit là de l’équité dans le concile de Bagaï nous voulons bien vous l’accorder. C’est à tort que les Maximianistes t’ont condamné; comme c’est à tort que les premiers de votre secte ont condamné Cécilien. Tu t’es justifié à Bagaï, lui est justifié par une sentence d’outre-mer, sentence ratifiée par tout l’univers. Qu’as-tu donc à répondre? Nous sommes, dis-tu, en plus grand nombre que les Maximianistes. Eh bien! soyez plus nombreux, parlons alors du nombre. Voyez quelle différence. Les Maximianistes ont condamné eu toi un absent qui refusait de comparaître devant eux. C’est là une ressemblance, car tes ancêtres ont ainsi condamné Cécilien absent, et qui évitait leur faction. A ton tour tu les as condamnés quoique absents au concile de Bagaï: mais Cécilien s’est justifié en présence même de ses adversaires. Il y encore une autre différence bien grande : c’est toi-même qui es allé chercher des juges en Numidie, toi qui les as établis juges, les Maximianistes ne les avaient pas demandés:

tandis que Cécilien a fait condamner Donat par les juges mêmes qu’avaient demandés les Donatistes. Les Maximianistes peuvent donc te répondre et à bon droit: Nous sommes d’abord venus près de vOus, nous évêques de votre province, d’un diocèse qui vous appartient; nous avons voulu entendre votre cause; vous avez dédaigné de vous présenter devant nous. Si vous redoutiez notre juge. ment, nous devions du moins choisir les juges de concert, et vous n’aviez pas droit de choisir ceux que vous vouliez. Voyez encore quelle différence. Les Donatistes alors envoyèrent à l’empereur des suppliques pour qu’il nommât des juges; ils récusèrent ceux qui les avaient condamnés, et qu’ils avaient demandés avant leurs condamnations. On leur en donna d’autres selon leur requête, nouvelle con damnation; ils en appelèrent à l’empereur, nouvelle condamnation. Condamné une seule fois et en son absence, un maximianiste se tait; condamné trois fois, et toujours présent, un donatiste ne se tait point?

23. Entre toi et les Maximianistes, il reste (382) la question du nombre. Je l’ai dit : je suis d’accord avec toi. Trois cent dix sont plus que cent, ou ce qu’il y avait d’évêques Maximianistes contre Primianus : et les milliers d’évêques répandus par toute la terre, qui ont  condamné Donat pour soutenir Cécilien, se sont-ils donc pour toi d’aucune autorité ? Mais, diras-tu : est-ce que les milliers d’évêques répandus dans le monde entier ont condamné les Donatistes? Très-bien, ils ne les ont pas condamnés. Mais pourquoi? parce qu’ils n’ont pas assisté au jugement; et s’ils s’ont pas assisté au jugement, ils ne l’ont point condamné, puisqu’ils ne connaissent rien de cette affaire. Pourquoi donc te séparer de ces innocents? voilà un homme baptisé qui vient à toi des extrémités du monde, et tu veux le baptiser de nouveau, et lorsque tu le prépares à exercer ton ministère de mort, et à réitérer ce que l’on ne donne qu’une fois, il t’aborde avec de grands cris et des gémissements, et te dit : Que prétendez-vous faire? me rebaptiser? vous dit cet homme de je ne sais quel pays, de la Mésopotamie, de la Syrie, du Pont, ou même de plus loin. Mais vous n’avez pas le baptême, lui réponds-tu. Comment? lisez les lettres de l’Apôtre, que l’on m’a données. Voici venir je ne sais quel homme de Galatie, du Pont, un inconnu de Philadelphie ou d’une de ces églises auxquelles saint Jean a écrit u il vient de Colosses, il vient de Philippe, de Thessalonique : Je n’ai pas le baptême, vous dira-t-il, moi qui ai reçu les lettres de l’Apôtre, par la prédication duquel vous êtes baptisés ? Tu oses bien lire ces lettres, et refuser d’être en paix avec moi?

 

1. Apoc. I, 4.

 

 

 

 

 

 

 

TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVI.

TROISIÈME SERMON. — ENCORE LA FORCE DU JUSTE.

 

L’Eglise qui a été jeune et qui a vieilli, n’a point vu le juste manquer de pain ou de la parole de Dieu qui est le vrai pain. Elle a vu au contraire ce juste prêter, et surtout prêter au Seigneur en secourant les pauvres. Evitons le mal, mais cela est insuffisant si nous ne faisons le bien. Laissons faire l’impie dont la ruine sera complète; dans sa malice il peut bien épier le juste, mais il ne surprendra que le corps : l’âme lui échappera toujours. Ce que les Donatistes peuvent dire d’Augustin.

 

 

 

1. Il nous reste, mes frères, à vous exposer à discuter la troisième partie du psaume.

Je le vois; Dieu me rappelle pour m’acquitter de ma dette, à la vérité contre mon dessein, mais non contre les desseins de sa Providence. bien donc attentifs, mes frères, afin que, s’il v’est possible, avec le secours de Dieu, je fasse droit à une obligation dont je reconnais l’existence. De qui sont ces paroles que nous venons de chanter? « J’ai été jeune, maintenant j’ai vieilli ; et je n’ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain (Ps. XXXVI, 25) ». Si ce n’est qu’un seul homme qui parle ainsi, quelle durée peut avoir la vie un seul homme, et quelle merveille serait-ce qu’un homme placé dans quelque coin du monde, pendant toute sa vie qui est bien courte, comme toute vie humaine, quel que soit l’espace qui sépare la jeunesse de la vieillesse, n’eût point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain? Il n’y a là rien d’étonnant. Il est très-possible qu’avant sa naissance un juste ait demandé son pain; il est possible que cela soit arrivé dans un pays qu’il n’habitait pas. Ecoutez encore une difficulté qui m’embarrasse: voilà que le premier d’entre vous, qui a déjà de longues années, en jetant les yeux sur les jours qu’il a vus s’écouler, et en ramenant dans sa pensée tout ce qu’il a pu connaître, ne voit pour mendier son pain ,ni le juste, ni le fils du juste; et néanmoins, en feuilletant les Ecritures, il voit qu’Abraham, tout juste qu’il était,

 

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souffrit la faim dans le pays qu’il habitait, et dut changer de contrée 1; il voit que son fils Isaac, pressé aussi par la disette, alla chercher des vivres 2 en d’autres contrées. Où est maintenant la vérité de cette parole: « Je n’ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité chercher du pain? » Et quand même cette parole se vérifierait dans le cours de sa vie, la lecture des livres saints, plus croyable que la vie des hommes, lui montre néanmoins le contraire.

2. Que faire donc? Aidez-moi, je vous prie, de votre zèle et de votre piété, à comprendre dans les versets du psaume quelle est la volonté de Dieu, et les instructions qu’il veut nous donner. Il est à craindre, en effet, qu’un homme faible et incapable de comprendre les saintes Ecritures, voyant de bons serviteurs de Dieu dans quelque détresse et dans la nécessité de mendier leur pain, et réfléchissant à cette parole de saint Paul: « Nous travaillons dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité 3 », ne vienne à se scandaliser et à dire en lui-même : De bonne foi, ce que je viens de chanter est-il donc vrai; est-ce bien vrai, ce que je viens de chanter avec piété et debout dans l’Eglise: « Je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni sa race mendier son pain? » Il est à craindre qu’il ne se dise que l’Ecriture le trompe; que ses membres ne se ralentissent dans l’exercice des bonnes oeuvres; et, ce qui est pire encore, que ces membres ne se ralentissent chez l’homme intérieur, qu’il n’abjure toute oeuvre pieuse et ne se dise dans son âme: A quoi bon faire le bien? à quoi bon partager mon pain avec l’indigent et vêtir celui qui est nu, et loger chez moi celui qui n’a point de refuge, dans la foi en cette parole: « Je n’ai jamais vu le juste abandonné ni sa race mendier son pain », quand je vois tant de vrais serviteurs de Dieu en proie à la faim? Et si je me trompe, ajoutera-t-il, au point de prendre pour juste et celui qui vit bien et celui qui vit mal, tandis que Dieu en juge tout autrement, et voit un méchant dans celui que je crois bon, du moins que dirai-je d’Abraham, que I’Ecriture elle-même appelle juste? Que dire de l’Apôtre saint Paul qui dit: « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 4 ? » Veut-il me souhaiter aussi les

 

1. Gen.XII, 10. —  2. Id. XXVI, 1. — 3. II Cor. XI, 27. — 4. I Cor. IV, 16.

 

maux qu’il a dû endurer: « La faim et la soif, le froid et la nudité 1? »

3. Un homme qui est dans ces pensées, et dont les forces intérieures sont, tomme je l’ai dit, affaiblies pour tout bien, pouvons-nous le prendre comme un paralytique, ouvrir le toit de ce passage de l’Ecriture, et le descendre aux pieds du Seigneur? Vous le voyez, il y a là de l’obscurité. S’il y a de l’obscurité, c’est qu’il y a un toit qui nous dérobe le sens, et je vois devant moi un paralytique spirituel. Je vois donc ce toit, et je sais que le Seigneur est caché sous ce toit. Je ferai alors, autant qu’il me sera possible, ce que le Seigneur approuva dans ceux qui découvrirent le toit et descendirent le paralytique aux pieds du Christ qui lui dit: «Mon fils, prenez courage, vos péchés vous sont remis 2». Puis il guérit cet homme de la paralysie intérieure, en lui remettant ses péchés et en affermissant sa foi. Mais il y avait là des hommes dont les yeux ne pouvaient voir la guérison de la paralysie intérieure, et qui prirent pour un blasphémateur le médecin qui l’avait faite. « Quel est», disaient-ils, « cet homme qui remet les péchés? Il blasphème. Quel autre que Dieu peut remettre les péchés 3? » Et comme ce médecin était Dieu, il entendit ces pensées dans leurs coeurs. Ils croyaient que cette oeuvre était vraiment de Dieu, et ils ne voyaient point Dieu présent devant eux. Ce médecin agit donc aussi sur le corps du paralytique, afin de guérir encore la paralysie intérieure de ceux qui tenaient ce langage. Il fit une oeuvre qu’ils pussent voir et il leur donna la foi. Courage donc ! ô toi dont le cœur est faible, languissant jusqu’à laisser toute bonne oeuvre, à la vue de tout ce qui se passe dans le monde; toi qui es perdu intérieurement courage! découvrons ce toit, s’il nous est possible, afin de descendre aux pieds du Seigneur.

4. Dans l’Eglise, qui est son corps mystique, le Seigneur fut jeune dans les premiers temps et maintenant il a vieilli. C’est là ce que vous savez, ce que vous reconnaissez, ce que vous comprenez, parce que vous faites partie de ce corps et que vous comprenez que le Christ est notre chef, et que nous sommes les membres de ce chef 4? Mais n’y a-t-il que nous, et tous ceux qui nous ont précédés ne le sont-ils pas comme nous? Tous ceux qui ont été justes

 

1. II Cor. XI, 17. — 2. Luc, V, 18-22. — 3. Ibid. et Matt, IX, 3. — 4.  Cor. XII, 27; Ephés. IV, 15.

 

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dès l’origine du monde ont le Christ pour chef. Car ils ont cru qu’il viendrait comme sous croyons qu’il est venu ; et tout comme nous, ils ont été guéris par la foi qu’ils avaient en lui : c’est ainsi qu’il est le chef de toute la cité de Jérusalem, formée de tous les fidèles depuis le commencement du monde jusqu’à la fin, en y ajoutant les légions et les armées les anges, de manière à ne composer qu’une seule cité sous un seul roi, comme une seule province soumise à un seul empereur, heureuse dans une paix, dans un salut inaltérable, bénissant Dieu sans fin dans une félicité sans fin. Or, ce corps de Jésus-Christ, ou l’Eglise 1, ressemble à un homme: il a été jeune, et voilà qu’à la fin des siècles il jouit d’une vieillesse heureuse, de celle dont il est dit : «Ils se multiplieront dans une vieillesse féconde 2 ». Elle lest multipliée en effet parmi les nations, et sa voix est comme celle d’un homme qui consi1ère d’abord ses jeunes années, puis celles de son déclin; il considère tout, parce que l’Ecriture lui fait connaître tous ses âges; et dans un transport de joie il nous donne cet avis: « J’ai été jeune », dans le premier âge du monde, « et voilà que j’ai vieilli », car j’en suis aux derniers temps « et jamais je n’ai vu le juste abandonné, non plus que sa race mendiant son pain ».

5. Nous connaissons donc cet homme, jeune autrefois, maintenant vieilli, et par l’ouverture du toit nous arrivons au Christ. Mais quel est donc ce juste que l’on n’a point vu dans l’abandon, et dont la race n’a pas mendié son pain? Savoir quel est ce pain, c’est connaître injuste. Or, le pain est la parole de Dieu, qui ne sort jamais de la bouche du juste. C’est là ce que répondit ce juste lui-même tenté dans son chef. Quand le diable dit à Jésus-Christ qui souffrait du jeûne et de la faim : « Dis que ces pierres se changent en pain», il répondit: « L’homme ne vit pas seulement-de pain, mais de toute parole de Dieu ». Or, soyez, mes frères, quand est-ce que le juste ne fait point la volonté de Dieu? Il la fait toujours, puisqu’il conforme sa vie à cette volonté, et que cette volonté de Dieu ne sort point de son coeur, car la volonté de Dieu, c’est la loi de Dieu. Or, qu’est-il dit de lui ? « Qu’il méditera cette loi jour et nuit ». Tu manges du pain matériel pendant une heure,

 

1. Coloss. I, 18, 24. — 2. Ps. XCI, 15. — 3. Matt. IV, 3, 4. —  Ps., I, 2.

 

 

puis c’est assez ; mais le pain de la parole, tu en manges nuit et jour. L’écouter ou la lire, c’est manger; y penser, c’est la ruminer, afin d’être parmi les animaux purs, et non parmi les impurs 1. C’est là ce que vous dit la sagesse par la bouche de Salomon: « Un trésor désirable demeure dans la bouche de l’homme sage; mais l’homme insensé l’avale d’un trait 2». Or, avaler de manière à ne rien laisser voir de ce qu’on a avalé, c’est oublier ce que l’on a entendu. Mais l’homme qui ne l’oublie point, le rumine dans sa pensée, et trouve son plaisir à ruminer ainsi. De là cette parole : « Une sainte pensée te gardera 3.» Si donc en ruminant ce pain, tu as pour gardienne une sainte pensée, « tu n’as jamais vu le juste délaissé, ni sa race mendiant son pain ».

6. « Chaque jour il est pris de pitié et il prête 4». Le mot latin foeneratur peut se dire de celui qui prête et de celui qui reçoit en prêt. Il serait plus clair pour nous de dire: Il prête, fœnerat. Que nous importe ce qu’en diront les grammairiens? Il vaut mieux me mettre à votre portée avec un barbarisme, que d’être si disert, pour vous laisser dans le désert. Donc ce juste « est chaque jour pris de pitié, et il prête ». Mais que les prêteurs ne s’en réjouissent point. De même, en effet, qu’il y a pain et pain, nous trouvons aussi prêteur et prêteur ; afin que nous découvrions totalement le toit pour arriver à Jésus-Christ. Je ne veux point que vous soyez prêteurs; et si je ne le veux point, c’est que Dieu lui-même ne le veut point. Car si je le défends seul, et que Dieu le permette, agissez, prêtez; mais, si Dieu ne le veut point, j’aurai beau le vouloir, celui qui le ferait courrait à sa perte. Comment savoir que Dieu ne le veut point? Il est dit ailleurs: Le juste « n’a point donné son argent à usure 5 ». Et tous les prêteurs, ce me semble, comprennent combien l’usure est un crime détestable, odieux , exécrable. Et pourtant, moi qui vous parle, ou plutôt Dieu que nous adorons, et qui vous défend de prêter à usure, vous ordonne ailleurs de prêter à usure; il vous dit: Prêtez à Dieu avec usure. Tu as de l’espérance en prêtant à un homme, et tu n’en aurais pas en prêtant à Dieu? Si tu as prêté ton argent à usure, c’est-à-dire si tu l’as confié à un homme dont tu espères retirer

 

1. Lévit. I. — 2. Prov. XXI, 20. — 3. Id. II, 11. — 4. Ps. XXXVI, 26. —                5. Ps. XIV, 5.

 

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plus que tu n’as donné, non pas ton argent seulement, mais quelque chose de plus que tu n’as prêté, soit en froment, soit en vin, soit en huile, soit en toute autre denrée; si, dis-je, tu espères plus que tu n’as donné, tu es usurier, et en cela tu es plus blâmable que louable. Comment donc faire, me diras-tu, pour tirer un certain profit d’un prêt? Vois ce que fait le prêteur à usure. Il veut assurément donner moins et retirer plus; fais de même donne peu, et reçois plus. Vois les proportions larges que prendra ton usure. Donne les biens temporels et tu recevras ceux de l’éternité; donne la terre, tu recevras le ciel. Mais à qui la donner? me diras-tu peut-être. Voilà Dieu qui se présente, pour que tu la lui prêtes à usure, lui qui te défendait l’usure. Ecoute dans l’Ecriture comment tu prêteras au Seigneur: « Celui-là prête à usure au Seigneur», est-il dit, « qui a pitié du pauvre 1 ». Assurément Dieu n’a pas besoin de toi, mais un autre en a besoin. Ce que tu donnes à l’un, l’autre le reçoit pour lui. Car le pauvre n’a rien à te rendre; il le voudrait faire, mais il ne trouve rien; il ne lui reste que la bonne volonté de prier pour toi. Or, un pauvre qui prie pour toi, semble dire à Dieu: Seigneur, j’ai fait un emprunt, soyez ma caution. En ce cas, si le pauvre n’est pas solvable , tu auras dans Dieu une belle garantie. Voilà que Dieu te dit dans les Ecritures : Donne sans crainte, c’est moi qui suais caution. Que disent ordinairement les hommes qui garantissent? Quel est leur langage? C’est moi qui vous le rendrai, c’est moi qui reçois, c’est à moi que vous le donnez. Croyez-vous que Dieu vous dise aussi: C’est moi qui reçois, c’est à moi que tu donnes? Oui, assurément, si le Christ est Dieu, comme je n’en doute pas, lui qui a dit: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». Et comme on lui demandait : « Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim? » afin de nous montrer qu’il est réellement caution pour les pauvres, qu’il répond pour tous ses membres, car il est le chef et eux sont les membres, et ce que reçoivent les membres, le chef le reçoit aussi: «Ce que vous avez fait au moindre de ceux qui m’appartiennent », répond-il, « c’est à moi que vous l’avez fait ». Courage donc, usurier avare, vois ce que tu as donné, vois ce que tu recevras. Si tu n’avais donné qu’une modique somme d’argent,

 

1. Prov. XIX, 17.

 

et que l’emprunteur te donnât pour cette modique somme une magnifique villa d’un prix bien supérieur à l’argent que tu as donné, quelles actions de grâces tu lui rendrais, quelle joie serait la tienne ! Ecoute quel domaine va te donner ton emprunteur: «Venez, bénis de mon Père, recevez », quoi? ce que vous avez donné? Oh! non. Vous avez donné des richesses terrestres, qui se seraient rouillées en terre, si vous ne les aviez prêtées. Qu’en eussiez-vous fait si vous ne les eussiez données? Ce qui devait périr dans la terre, se conserve dans le ciel. C’est donc ce dépôt conservé que nous devons recevoir. C’est votre mérite qui est conservé, et c’est ce mérite qui est votre trésor. Vois, en effet, ce qui va t’échoir: « Recevez le royaume qui vous été préparé dès l’origine du monde». Quelle parole, au contraire, entendront ceux qui n’ont rien voulu prêter? « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges». Et que faut-il entendre par ce royaume? Ecoutes ce qui suit: « Ceux-ci iront au feu éternel, et les justes dans la vie éternelle 1 ». Voilà ce qu’il faut ambitionner, ce qu’il faut acheter, ce qu’il faut acquérir par des usures. Celui qui vous tend la main sur la terre, c’est le Christ qui règne dans les cieux. Voilà comment prête le juste : « Tout le jour il est pris de pitié, et il prête à usure ».

7. « Et sa race sera en bénédiction 2 ». Ici rejetons toute pensée charnelle. Nous voyons

bien souvent mourir de faim les enfants du justes; comment donc « sa postérité sera-t-elle dans la bénédiction? » Cette race doit s’entendre de ses oeuvres, ce qu’il sème pour récolter ensuite. Car l’Apôtre a dit: « Ne nous lassons pas de faire le bien; car nous moissonnerons dans le temps, sans nous fatiguer. C’est pourquoi, pendant qu’il en est temps, faisons du bien à tous 3 ». Telle est votre postérité qui sera en bénédiction. Tu confies une semence à la terre, et tu la recueilles au centuple, et tu la perdrais en la confiant au Christ? Remarque bien le mot de semence expressément employé par l’Apôtre à propos des aumônes. Voici ses paroles : « Celui qui sème peu recueillera peu; et celui qui sème dans la bénédiction moissonnera dans les bénédictions4 ». Mais peut-être est-ce pour toi une peine de semer, et ton coeur est-il

 

1. Matt. XXV, 34-46. — 2. Ps. XXXVI, 26.— 3. Gal. VI, 9.— 4. II Cor. IX 6.

 

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ému à la vue des malheureux. Car nul doute qu’un jour nous ne soyons plus heureux de n’avoir plus personne à soulager. Quand tous seront devenus incorruptibles, il n’y aura plus ni affamé à qui tu puisses donner à manger, ni altéré à qui donner à boire, ni homme nu à revêtir, ni étranger à recevoir; nais ici-bas nous semons dans les larmes, dans les tentations, dans les douleurs, dans les gémissements. Vois ce que dit un autre psaume: «  Ils allaient et pleuraient en répandant leur semence ». Vois aussi que « sa semence sera en bénédiction : — mais ils reviendront avec joie en portant leurs gerbes 1 ».

8. Vois donc ce qui suit et abjure la paresse: « Evite le mal et fais le bien 2 ». Garde-toi de croire qu’il te suffira de ne point enlever à un homme son vêtement. Ne pas le dépouiller, c’est s’abstenir du mal; mais ne le dessèche pas, ne deviens pas stérile. Sache tout à la fois, et ne pas dérober le vêtement, et revêtir celui qui est nu. C’est là éviter le mal pour faire le bien. Que m’en reviendra-t-il, diras-tu? Déjà celui à qui tu as prêté, t’a dit ce qui t’en reviendra; il te donnera la vie éternelle, prête-lui sans crainte. Ecoute encore ce qui suit: « Détourne-toi du mal et fais le bien; et tu habiteras les siècles des siècles ». Et ne va point croire que tes dons ne soient vus de personne, ou que Dieu t’abandonne quand, après une aumône faite à l’indigent, il te survient quelque dommage ou quelque perte à déplorer; ne dis pas : De quoi me sert d’avoir fait de bonnes oeuvres? Je crois que Dieu n’aime point ceux qui font le bien. — D’où vient, mes frères, ce bruit, ce murmure, si ce n’est que l’on entend souvent ce langage? Chacun le reconnaît à cet instant, ou dans sa propre bouche, ou dans bouche d’un voisin, ou dans celle d’un ami. Je supplie Dieu de le faire disparaître et d’arracher toutes les épines de son champ; qu’il y mette le bon grain et l’arbre fruitier. — Pourquoi donc, ô homme, après avoir fait aumône, t’affliger d’une perte que tu es-les? Ne vois-tu pas que tu perds ce que tu avais pas donné. Pourquoi ne pas jeter les feux sur le Dieu que tu sers? Où est donc ta loi? Pourquoi dort-elle ainsi? Réveille-la dans ton coeur. Ecoute ce que le Seigneur luienênie t’a dit, quand il t’exhortait à faire ces sortes de bonnes oeuvres : « Faites-vous des

 

1. Ps. CXXV, 6.— 2. Ps. XXXVI, 27.

 

 

bourses qui ne s’usent point, un trésor qui ne s’épuise jamais, dans ce ciel dont n’approche pas le voleur » . Rappelle-toi ces paroles quand une perte t’afflige. Pourquoi pleurer, ô insensé, ô homme au coeur étroit, sinon dépravé? Pourquoi as-tu perdu, sinon parce que tu n’as pas prêté? Pourquoi cette perte? qui te la fait essuyer? Le voleur, diras-tu. Ne t’avais-je donc point averti de ne rien mettre où le voleur peut venir? Si donc il s’afflige, celui qui essuie une perte, qu’il s’afflige de n’avoir point placé son argent où il n’aurait pu le perdre.

9. « Car le Seigneur aime la justice, et il n’abandonnera point ses saints 2 ». Quand les saints sont dans la peine , gardez-vous de croire que Dieu ne juge point les hommes, ou qu’il les juge sans équité. Celui qui t’avertit de juger avec justice, pourrait-il juger d’une manière perverse? « Il aime donc la justice et n’abandonne point ses saints». Mais il agit de manière que la vie des saints soit cachée en lui, et que tous ceux qui souffrent sur la terre soient comme des arbres que l’hiver a dépouillés de leurs fruits et de leur feuillage; mais, quand il apparaîtra comme un soleil nouveau, ils montreront par des fruits la vie qu’ils conservaient dans leur racine. « Il aime donc la justice et n’abandonnera point ses saints ». Mais ce saint souffre de la faim? Dieu ne l’abandonnera pas, « lui qui afflige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 3 ». Tu le méprises quand il est dans la peine, tu seras dans la stupeur à la vue de ses richesses. D’où lui vient sa peine? Des maux passagers. Quand sera-t-il dans les richesses? Quand il entendra: « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous est préparé dès  l’origine du monde 4 ». Ne recule donc point devant la peine, afin d’être parmi ceux qui méritent d’être admis. Dieu aime tellement la justice qu’il n’abandonne point les saints, bien qu’il les afflige pour un temps; et comme il afflige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il n’a pas épargné son Fils unique, bien qu’il ne trouvât en lui aucun péché. « Le Seigneur donc aime la justice, et il n’abandonne point ses saints ». Mais s’il ne les abandonne pas, leur donnera-t-il par hasard ce que tu désires ici-bas, des années

 

1. Luc, XII, 33. — 2. Ps. XXXVI, 28. — 3. Hébr. XII, 6. — 4. Matt. xxv, 34

 

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nombreuses, une vieillesse prolongée? Tu ne vois pas qu’en désirant la vieillesse, tu désires ce qui sera un sujet de plainte quand il arrivera. Ferme donc l’oreille à toute âme ou méchante, ou infirme, ou bornée, qui te dirait « Comment se peut-il que Dieu aime la justice et n’abandonnera point ses saints? » A la vérité, il n’a point abandonné les trois enfants qui le bénissaient dans la fournaise : le feu ne les toucha point 1; mais les Macchabées n’étaient-ils pas des saints, quand leur corps et non leur foi succomba dans les flammes 2 ? Il est vrai, diras-tu, que c’est là une grande difficulté, de voir que ces hommes demeurent fermes dans la foi et que Dieu les abandonne. Ecoute ce qui suit : « Ils seront conservés pour l’éternité ». Tu leur souhaitais quelques années; et, pour le Seigneur, les leur accorder, c’eût été, penses-tu, ne pas les abandonner. Il accordait une protection visible aux enfants de la fournaise, aux Macchabées une protection invisible ; il confondait les infidèles en donnant aux premiers la vie du temps; il préparait à l’impiété des juges en couronnant les seconds d’une manière invisible; et il n’abandonnait ni les uns ni les autres, lui « qui n’abandonnera point ses saints». Et les trois enfants n’eussent obtenu qu’une mince faveur, s’ils n’eussent eu l’éternité pour expectative « Ils seront conservés pour l’éternité ».

10. « Quant aux injustes, ils seront châtiés, et la race des impies périras. » De même que la race du juste sera en bénédiction, « la race de l’impie périra ». Car sa race signifie ses oeuvres. Autrement, nous avons vu le fils de l’impie florissant dans le monde, parfois devenir juste et fleurir en Jésus-Christ. Cherche donc bien le sens, afin d’ouvrir le toit et de parvenir jusqu’au Seigneur 3. Le sens charnel serait une erreur pour toi. Mais ce que sème l’impie, ou les oeuvres des impies, périront et ne fructifieront point; car ils n’ont de la force que pour un temps; ils chercheront plus tard et ne trouveront rien de ce qu’ils auront fait. Car voici les plaintes de ceux qui auront perdu leurs oeuvres: « De quoi nous a servi notre orgueil et le vain étalage de nos richesses? Tout cela s’est dissipé comme l’ombre 4 ». Donc la race de l’impie périra.

11. « Quant aux justes, ils posséderont la terre en héritage 5 ». Encore une fois, loin

 

1. Dan. III, 50. — 2. II Macch. VII, 7. — 3. Luc, V, 19. — 4. Sag. V, 8. — 5. Ps. XXXVI, 29.

 

 

de toi l’avarice; qu’elle ne vienne point te promettre de vastes domaines et te faire espérer ce que tu as ordre de mépriser. Cette terre est celle des vivants, celle des saints. C’est pour cela qu’il est dit: « Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants 1 ». Car si telle est ta vie, comprends alors la terre qui doit t’échoir. C’est la terre des vivants, tandis que celle-ci est la terre des mourants, et qui recevra morts ceux qu’elles nourris vivants. Donc, telle terre, telle vie; si la vie est éternelle, la terre aussi sera éternelle. Mais comment cette terre sera-t-elle éternelle? « Ils l’habiteront pendant les siècles des siècles ». Il y aura donc une autre terre que nous habiterons éternellement. Car il est dit de celle-ci que « le ciel et la terre passeront 2 »

12. « La bouche du juste méditera la sagesse 3 ». C’est là le pain dont nous avons parlé: voyez avec quelles délices notre juste s’en nourrit, comment, dans sa bouche, il savoure la sagesse. « Sa langue publiera la justice, La loi de son Dieu est dans son  cœur 4 ». L’on ne peut croire qu’il a dans la bouche ce qu’il n’a pas dans le coeur, à le comparer à ceux dont il est dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais leurs coeurs sont loin de moi 5 . Sa langue publiera la justice  parce que la loi de Dieu est dans son cœur. » Et quel est son avantage ? C’est que ses pieds « ne seront point pris au piége ». La parole de Dieu, dès qu’elle est dans notre coeur, nous préserve de tout piége; la parole de Dieu, si elle est dans notre coeur, nous détourne de la voie mauvaise; la parole de Dieu dans notre coeur nous éloigne de toute chute. Il est avec toi celui dont la parole ne s’éloigne point de ton coeur. Mais quel mal peut arriver à celui dont Dieu est le gardien? Tu commets un homme pour garder ta vigne, et tu oses sûreté contre les voleurs; et toutefois, un gardien peut s’endormir, il peut s’abattre et laisser passer le voleur: « Or, celui qui garde Israël ne dormira point, ne s’assoupira point 6 car la loi de Dieu est dans son coeur; et ses pieds ne seront point pris au piége » Qu’il vive donc en paix, qu’il soit en paix parmi les méchants, en paix parmi les impies. Quel mal peut faire au juste l’homme impie, l’homme d’iniquité?

 

1. Ps. CXLI, 6. — 2. Matt. XXXIV, 35.— 3. Ps. XXXVI, 30 — 4. Id. 31— 5. Isa. XXIX, 13.— 6. Ps. CXX, 4.

 

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Considère la suite : «Le pécheur épie le juste, il cherche à lui donner la mort 1». Il tient en effet ce langage consigné au livre de la Sagesse: « Nous sommes fatigués de le voir, car sa vie diffère de la vie des autres 2 » Il cherche donc à le faire mourir. Mais quoi? Le Seigneur qui le garde, qui habite avec lui, qui ne sort ni de sa bouche ni de son coeur, l’abandonnera-t-il? Où est donc ce que nous lisions plus haut: « Il n’abandonnera point ses saints 3? »

13. Donc « le pécheur épie le juste et cherche à lui donner la mort; mais le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les mains 4 ». Pourquoi donc a-t-il abandonné les martyrs aux mains des impies? Pourquoi ceux-ci en ont-ils fait ce qu’ils ont voulu? Ils ont frappé celui-ci du glaive, cloué cet autre à la croix, livré celui-là aux bêtes, condamné ceux-ci au feu, jeté ces autres dans les cachots, pour les faire mourir plus lentement. Il est certain toutefois que le Seigneur n’abandonnera point ses saints; « car le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les mains ». Pourquoi donc enfin a-t-il abandonné son Fils aux mains des Juifs? Ici , ouvre le toit 5, si tu veux être guéri de toute paralysie intérieure; arrive jusqu’au Seigneur, écoute ce que l’Ecriture nous dit ailleurs, car elle prévoyait ce que les impies feraient souffrir su Sauveur; que dit-elle donc? « La terre est livrée aux mains de l’impie 6 ». Qu’est-ce à dire que la terre est livrée aux mains de l’impie ? La chair est entre les mains des persécuteurs. Car le Seigneur, dans cette occasion, n’a point abandonné son juste, et de cette chair captive il a tiré une âme indomptée. Le Seigneur abandonnerait le juste au pouvoir des méchants, s’il le laissait consentir à leurs desseins; et c’est pour éviter ce malheur que dans un autre psaume le Prophète faisait cette prière: « Ne me livrez point, Seigneur, à l’homme du péché, d’accord avec mes désirs 7 ». Il est à craindre que vous ne tombez de vos désirs dans les mains du pécheur, et que votre amour pour cette vie d’un jour ne vous jette sous sa puissance, et ne vous fasse perdre ainsi la vie éternelle. De quel désir encore ne veut-il point tomber entre les mains du pécheur? De celui dont un autre prophète a dit: « Je n’ai point désiré le jour

 

1. Ps. XXXVI, 32. — 2. Sag. II, 15.— 3. Ps. XXXVI, 28. — 4. Id. 33. — 5. Luc, V, 19. — 6. Job, IX, 24. — 7. Ps. CXXXIX, 9.

 

 

de l’homme, vous le savez 1 ». Car celui qui désire vivement le jour de l’homme, et qui n’a point l’espérance de la vie éternelle, ne peut que s’abandonner aux volontés d’un adversaire qui le menace de le tuer, et dès lors de lui faire perdre cette vie ou le jour de l’homme. Mais pour celui qui écoute cette parole du Seigneur : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme 2 », quand ce qui est terre serait livré entre les mains des impies, l’esprit s’en irait, la terre seule serait captive; et, l’âme demeurant libre, la terre ressusciterait. L’esprit est changé pour aller à Dieu, la terre sera changée pour aller au ciel. Rien ne périt de cette terre livrée pour un temps aux mains des pécheurs : « Les cheveux de votre tête sont comptés 3».Soyez donc en sûreté, si Dieu est en votre intérieur. En chasser le diable, c’est y admettre Dieu. « Le Seigneur n’abandonnera pas le juste aux mains du méchant, et ne le condamnera point quand il le jugera ». On lit dans quelques exemplaires : « Et quand Dieu le jugera, le jugement sera pour lui ». « Pour lui », signifie qu’il sera l’objet du jugement. C’est ainsi que nous pouvons dire à quelqu’un : Jugez-moi, pour : entendez ma cause. Lors donc que le Seigneur entendra la cause de son juste: « Car nous devons tous comparaître au tribunal  du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps 4»; quand donc arrivera le jugement du juste, Dieu ne le condamnera point, bien qu’en cette vie les hommes paraissent le condamner. Et si le proconsul prononça une sentence contre Cyprien, il y a une différence entre le tribunal de la terre et le tribunal du ciel : celui de la terre le condamna, celui du ciel lui décerna la couronne. « Il ne le condamnera point lorsqu’il passera au jugement».

14. Mais quand cela sera-t-il? Ne croyez point que ce soit maintenant; car maintenant c’est le temps de travailler, le temps de semer, le temps d’endurer le froid; mais semez en dépit des vents et de la pluie, ne soyez point paresseux; viendra l’été qui vous consolera, et alors vous vous réjouirez d’avoir semé. Que faire donc maintenant? « Attends le Seigneur ». Et en l’attendant, que faire?

 

1. Jérém. XVII, 16. — 2. Matt. X, 28. — 3. Id. 30. — 4. II Cor. V, 10.

 

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« Garde ses voies ». Et si je les garde, quelle sera ma récompense? « Il t’élèvera, afin que tu aies la terre en héritage 1 ». Quelle terre? Encore une fois, ne porte point ta pensée sur quelque villa ; c’est la terre dont il est dit « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès l’origine du monde 2 ». Et qu’arrivera-t-il à ceux qui nous ont torturés, au milieu desquels nous gémissons, dont nous avons supporté les scandales, et dont les fureurs ont rendu vaines toutes les prières que nous faisions pour eux? Voici la suite : « Tu seras témoin de la perte des méchants » ; et tu la verras de tout près, car tu seras à la droite et eux à la gauche. C’est ce que l’on voit des yeux de la foi; or, ceux qui ne les ont point, s’affligent du bonheur des méchants, ils croient que leur propre justice est inutile, quand ils voient l’impie en honneur. Mais pour celui qui a l’oeil de la foi, quel est son langage ? « J’ai vu l’impie élevé, il dépassait en hauteur les cèdres du Liban 3 ». Le voilà donc élevé, il plane dans les hauteurs, et après? « Et j’ai passé, et il n’était déjà plus; et je l’ai cherché sans trouver même sa place 4». Pourquoi n’était-il plus, et sa place ne se trouvait-elle point? Parce que tu as passé. Mais si tu as encore des pensées charnelles, si un bonheur terrestre te paraît encore le vrai bonheur, tu n’as pas encore passé, tu es égal ou même inférieur à l’impie; marche donc et passe; et lorsque dans ta marche tu l’auras dépassé, regarde avec foi, et en voyant sa fin tu diras en toi-même : Ce n’est point là cet homme si enflé d’orgueil; tu croiras passer près d’une grosse fumée. Car c’est encore là ce qu’a dit plus haut notre psaume : « Ils s’évanouiront comme s’évanouit la fumée ». La fumée s’élance dans les airs, s’élève comme un épais tourbillon. Plus elle s’élève, plus elle se dilate. Mais quand tu seras passé, regarde en arrière; il n’y aura que de la fumée derrière toi, si Dieu est devant toi. Ne regarde point derrière avec des regrets, comme regarda la femme de Loth, qui demeura en chemin ; mais regarde avec mépris, et tu verras que le méchant n’est plus nulle part, et tu chercheras sa place. Quelle est sa place? Sa place consiste dans son pouvoir, dans ses richesses, dans le rang

 

1. Ps. XXXV, 34.— 2. Matt. XXV, 34.— 3. Ps. XXXVI, 35.— 4. Id. 36.— 5. Gen. XIX, 26.

 

qu’il occupe dans Je monde, qui lui assujettit le grand nombre, en sorte qu’il commande et qu’on lui obéit. Cette place donc n’existera plus, mais elle passera et tu pourras dire:

« J’ai passé et voilà qu’il n’était plus». Qu’est. ce à dire : j’ai passé? Je me suis avancé, je suis arrivé à la vie spirituelle, je suis entré dans le sanctuaire de Dieu, afin de contempler la fin du méchant 1 « Et voilà qu’il n’était plus; je l’ai cherché sans même trouver sa place ».

15 « Garde l’innocence ». Garde-la avec le même soin que tu gardais ton argent lorsque tu étais avare; comme tu gardais ta bourse de peur qu’elle ne devînt la proie du voleur; veille avec le même soin sur ton innocence, de peur que le démon ne te la ravisse; qu’elle te soit un patrimoine assuré, elle qui enrichit même les pauvres. « Garde ton innocence ». De quoi te servirait de gagner de l’or et de perdre l’innocence? « Garde l’innocence et considère la justice 2 ». Que tes yeux soient droits pour voir ce qui est droit, mais non mauvais pour voir les méchants, ni obliques de manière que Dieu lui-même te paraisse oblique ou injuste, favorisant l’impie et persécutant le fidèle. Ne vois-tu point combien ta vue est oblique? Corrige alors tu yeux « et regarde en droite ligne ». Quelle droite ligne? Ne considère pas les choses présentes. Et que verras-tu? « Qu’il reste quelque chose à l’homme de la paix ». Quel est ce « reste? » Qu’après ta mort tu rie seras point mort; voilà ce qui reste. Il y aura donc pose le juste quelque chose après cette vie; c’est-à-dire que sa semence sera en bénédiction. De là vient que le Seigneur a dit: « Celui qui croira en moi vivra quand même il serait mort 3 » ; car il reste quelque chose à l’homme de la paix.

16. « Quant aux méchants, ils périront, in idipsum », dit le latin. Qu’est-ce à dire, in idipsum? Ou bien, pour l’éternité, ou toi ensemble. « Ce qui reste de l’impie périra 4. Mais il reste quelque chose à l’homme pacifique; donc tous ceux qui ne sont point pacifiques sont impies. « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés les enfant de Dieu ».

17. « Mais le salut des justes vient du Seigneur, il est leur soutien au jour de la

 

1. Gen. LXXII, 17. — 2. Id. XXXVI, 37. — 3. Jean, XI, 25. — 4. Ps. XXXVI, 38.— 5. Matt. V, 9.

 

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tribulation: Le Seigneur les aidera, les sauvera, les délivrera des mains des pécheurs 1». Que les justes tolèrent donc maintenant les pécheurs, que le bon grain tolère l’ivraie, que le froment tolère la paille; car viendra le temps de la séparation, et l’on tirera le bon grain de ce que le feu doit consumer; l’un sera mis dans les greniers célestes, l’autre jeté aux flammes éternelles; Dieu n’avait laissé le juste et l’injuste vivre ensemble qu’afin que l’un tendît des piéges, que l’autre fût éprouvé, et qu’ensuite le premier fût condamné, le second couronné.

18. Grâces à Dieu, mes frères; par la grâce du Christ nous avons acquitté notre dette, sais la charité me tient toujours en redevance; car elle est une, et l’acquitter tous les jours, c’est la devoir tous les jours. Nous avons beaucoup parlé contre les Donatistes, nous avons apporté beaucoup de faits, beaucoup d’actes en dehors des règles des Ecritures, parce qu’ils nous y ont forcé. Car s’ils me blâment de vous avoir fait ces lectures, j’accepte leur blâme, pourvu que vous soyez instruits. En ce cas, en effet, nous pouvons leur répondre : « J’ai fait une folie, et vous m’y avez contraint 2 ». Du reste, mes frères, conservez avant tout notre héritage, dont nous sommes assurés par le testament de notre Père, non par l’acte frivole d’un homme, mais bien par le testament de notre Père. Soyons en pleine sécurité; car celui qui a fait ce testament vit toujours. Lui qui a fait le testament à l’héritier, jugera lui-même de son testament. Chez les hommes, autre est le testateur et autre le juge; et pourtant, celui qui s’en tient au testament gagne sa cause auprès d’un autre qui est juge, non auprès d’un juge qui serait mort. Combien nous devons être certains de la victoire, quand c’est le testateur qui doit nous juger! Car si le Christ est mort pour un temps, il vit pour l’éternité 3.

19. Qu’ils disent donc de nous ce qui leur plaira, nous les aimerons même en dépit d’eux. Nous connaissons, mes frères, nous connaissons ce qu’ils savent dire; gardons-nous de nous en irriter contre eux, supportez-le patiemment avec nous. Ils voient qu’il ne leur reste aucune réplique, et ils se tournent contre nous-même, versant le blâme sur nous, disant bien des choses qu’ils savent,

 

1. Ps. XXXVI, 39, 40.— 2. II Cor. XII, 11. — 3. Rom. V, 9.

 

et bien des choses qu’ils ne savent pas. Ce qu’ils savent, c’est notre passé; car, dit l’Apôtre, « nous fûmes jadis insensés, incrédules, éloignés de toute bonne œuvre ». Contre toute sagesse et avec folie nous avons donné dans une erreur funeste, nous sommes loin de le nier; et moins nous nions notre passé, plus nous bénissons Dieu qui nous l’a pardonné. Pourquoi donc, ô hérétique, abandonner ta cause pour te prendre à un homme? Qui suis-je, moi? qui suis-je? Est-ce que je suis l’Eglise catholique? est-ce que je suis l’héritage du Christ répandu chez toutes les nations? Il me suffit d’être dans cette Eglise. Tu me reproches mes fautes passées, que fais-tu là de si bien? Je suis pour mes fautes plus sévère que tu ne peux l’être, et ce que tu blâmes, je l’ai condamné. Puisses-tu m’imiter un jour, afin que ton erreur soit aussi du passé! Mes fautes passées, on les connaît principalement dans cette ville. Ici, je l’avoue, j’ai vécu dans le désordre; et plus la grâce que Dieu m’a faite m’est un sujet de joie, plus mon passé, que dirai-je? me cause de douleur. Oui, ce serait de la douleur s’il durait encore. Mais que dirai-je? qu’il me réjouit? je ne puis le dire; plût à Dieu que je n’eusse jamais été de la sorte! Mais ce que j’étais, grâce au Christ, je ne le suis plus. Quant à ce qu’ils blâment du présent, ils ne le connaissent pas. Il y a sans doute en moi quelques défauts à blâmer, mais les connaître est une grande prétention de leur part. Je fais de grands efforts dans le secret de mes pensées, pour combattre les désirs mauvais; j’ai des luttes bien longues, presque incessantes contre les assauts de l’ennemi qui cherche ma perte. Je gémis devant Dieu, dans ma faiblesse; et il sait ce qu’enfante mon coeur, lui qui connaît ce que je dois produire. « Peu m’importe », dit l’Apôtre, « que je sois jugé par vous ou au tribunal d’un homme; mais je ne me juge point moi-même ». Je me connais mieux qu’eux, et Dieu mieux que moi. Je demande au Christ qu’ils n’aient rien à vous reprocher à cause de moi. Car ils disent : Quels sont ces gens? d’où viennent-ils? nous les avons vus dans le dérèglement; qui les a baptisés? S’ils nous connaissent bien, ils savent que nous avons autrefois passé la mer. Ils savent que nous avons vécu en pays étranger, et que nous en sommes revenu autre

 

1. Tit. III, 3.

 

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que nous n’étions parti. Ce n’est point ici que nous avons été baptisé; mais l’Eglise dans laquelle nous avons été baptisé 1, est célèbre dans l’univers entier. Il y a plusieurs de nos frères qui connaissent que nous avons reçu le baptême, parce qu’ils l’ont reçu avec nous. Il est aisé de savoir tout cela, pour peu que nos frères eu soient dans l’inquiétude. Mais serait-ce satisfaire les Donatistes que leur apporter le témoignage d’une Eglise avec laquelle ils ne communiquent pas? C’est avec raison qu’ils ignorent qu’au-delà des mers j’ai été baptisé dans le Christ, puisqu’au-delà des mers ils n’ont point de Christ. Celui-là seul possède le Christ au-delà des mers, qui est outre-mer en communion avec l’Eglise universelle. Comment un Donatiste pourrait-il savoir où j’ai été baptisé, lui dont la communion passe à peine la mer? Toutefois, mes frères, que leur dirai-je? Pensez de moi comme il vous plaira: si je suis bon, je suis froment dans l’Eglise du Christ; si je suis mauvais, je ne suis que paille dans l’Eglise du Christ, et néanmoins je ne sors pas de l’aire. Mais toi, emporté dehors par le vent de la tentation, qui es-tu? Le vent n’emporte pas le froment hors de l’aire; par le lieu où tu es, reconnais ce que tu vaux.

20. Mais, me diras-tu, qui es-tu donc pour tant parler contre nous? Qui que je sois, fais attention aux paroles, non à celui qui parle. Pourtant, diras-tu, le Seigneur a dit au pécheur: « Pourquoi ouvrir la bouche pour parler de mon alliance 2? » Que Dieu parle ainsi, je le sais, il y a une sorte de pécheurs auxquels Dieu le dit avec raison; mais à quelque pécheur qu’il tienne ce langage, s’il le fait, c’est qu’il ne sert de rien au pécheur de parler de la loi de Dieu. Mais cela ne peut-il être avantageux à ceux qui l’écoutent? Selon Jésus-Christ nous avons dans l’Eglise deux sortes de prédicateurs, des bons et des méchants. Que disent les bons en prêchant : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 3? » Qu’est-il dit aux bons? : « Soyez l’exemple des fidèles 4 ». Voilà ce que nous tâchons d’être; ce que nous sommes, celui-là le sait qui entend nos gémissements. Toutefois il est dit à propos des méchants : « Les

 

1. Voy. liv. IX des Confes. ch. 6. — 2. Ps. CXLIX, 16. —  3. I Cor. IV, 10. — 4. I Tim. IV, 12.

 

scribes et les pharisiens sont assis sur la « chaire de Moïse; faites ce qu’ils vous disent et non ce qu’ils font 1».Tu le vois, dans la chaire de Moïse, à laquelle a succédé la chaire du Christ, on voit s’asseoir des bons et des méchants; mais en disant le bien, ils ne nuisent pas à l’auditeur. Pourquoi donc as-tu abandonné la chaire à cause du méchant qui s’y assied? Reviens à la paix, reviens à la concorde qui ne t’est point nuisible. Si mes paroles sont bonnes, mes oeuvres bonnes, imite-moi; si je ne fais pas le bien que je prêche, tu as le conseil du Seigneur ; fais ce que je dis, évite ce que je fais; mais ne te sépare point de la chaire catholique. Voilà qu’au nom du Christ nous allons partir, et ils vont parler beaucoup. Qui les arrêtera? Méprisez tout ce qui regarde notre personne. Ne leur dites que ceci : Mes frères, répondez à la question; l’évêque Augustin est dans l’Eglise catholique; il porte sa besace dont il rendra compte à Dieu; je l’ai vu parmi les bons ; s’il est mauvais, il le sait; s’il est bon, ce n’est pas même en lui que j’espère. J’ai appris avant tout, dans l’Eglise catholique, à ne pas mettre mon espoir dans un homme. Vous avez donc raison, vous autres , de reprendre les hommes, puisque c’est dans l’homme que repose votre espoir. Oui, quand ils accuseront notre vie, méprisez tout cela. Nous savons quelle placet nous avons dans vos coeurs, parce que nous savons quelle place vous occupez dans le nôtre. Ne prenez point contre eux notre parti. Quoi qu’ils vous disent de nous, passez vite, de peur que, en vous fatiguant à me défendre, vous n’abandonniez votre propre cause. Ils agissent avec adresse ; et, dans la crainte qu’on n’aborde la discussion de leur cause, ils s’efforcent de nous détourner ailleurs, afin

que, tout entiers à nous justifier, nous ne puissions rien dire pour les convaincre. Vous dites que je suis mauvais, et j’en dis bien plus de moi-même; laissez là ce sujet, traitons la question même, écoutez la cause de 1’Eglise et voyez où vous en êtes, Que la vérité vous parle de tous côtés, écoutez-la avec avidité; de peur que le pain ne vous manque à jamais, quand vous cherchez toujours à blâmer, à dédaigner, à calomnier le vase dans lequel on vous le présente.

 

1. Matt. XXIII, 2, 3.

 

 

 

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