PSAUME XXXVI (II)
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DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVI.

DEUXIÈME SERMON. — LA FORCE DU JUSTE.

 

Le Méchant ne peut souffrir en personne, et il se nuit en persécutant le juste. Dieu s’en sert pour nous mettre à l’épreuve, puis il le brise s’il ne se convertit. Quand le juste souffre, il puise sa force dans sa foi en Dieu, dans l’espérance de l’héritage Éternel. Le méchant n’a que le désespoir dans le malheur, et son bonheur s’évapore en fumée. Le Seigneur dirige les pas du juste qui se console dans sa ressemblance avec Jésus-Christ. Les faux témoins contre Jésus-Christ sont les ancêtres des Donatistes.

 

 

1. Il me faut obéir aux injonctions que l’on m’a faites, et vous parler encore de ce psaume. Car le Seigneur a voulu par les grandes pluies retarder notre départ, et l’on m’a recommandé de ne point laisser reposer ma langue d’une manière inutile pour vous, qui êtes la sollicitude de mon coeur, comme je suis la vôtre. Déjà je vous ai exposé le dessein de Dieu dans ce psaume, ce qu’il veut nous enseigner, les conseils qu’il nous donne, les écueils qu’il veut nous faire éviter, ce qu’il faut endurer, ce qu’il faut espérer. Deux sortes d’hommes, en effet, les justes et les pécheurs, vivent confondus sur la terre pendant cette vie. Chacune de ces catégories a dans le cœur une tendance qui lui est propre. Les justes cherchent à s’élever par l’humilité, les méchants descendent par l’orgueil. Les uns s’abaissent pour se relever, les autres s’élèvent pour tomber. De là vient que les uns souffrent et que les autres font souffrir: que le dessein des justes est de gagner même les méchants pour l’éternelle vie, et le dessein des pécheurs est de rendre le mal pour le bien, et d’ôter même, s’ils le pouvaient, la vie du temps à ceux qui s’efforcent de leur procurer la vie éternelle. Car le juste est à charge pour le pécheur, comme le pécheur pour le juste; ils sont une charge l’un à l’autre. Nul ne doute que ces deux hommes ne soient à charge mutuellement, mais dans un sens bien différent. Si le juste est à charge au pécheur, c’est qu’il voudrait qu’il ne fût plus pécheur, et qu’il se propose de le rendre juste, comme il y tend par ses efforts; mais le pécheur a pour le juste une telle haine, qu’il voudrait qu’il n’existât aucunement, et non qu’il devint bon. Plus il est juste, et plus il est à charge à l’iniquité du pécheur, qui travaille même à le rendre injuste, et s’il ne peut y parvenir, à le faire disparaître et à s’épargner la peine et l’ennui de le voir. Quand même il parviendrait à le rendre injuste, celui-là ne lui en serait pas moins à charge. Car ce n’est pas seulement l’homme juste qui est à charge à l’homme injuste, mais deux hommes injustes ont peine à se souffrir : et s’ils paraissent quelquefois s’aimer, c’est plutôt de la complicité que de l’amitié. Ils ne s’accordent que pour tramer la perte du juste; et cet accord, loin d’être de l’amitié, n’est que la haine de celui qu’ils devraient aimer. C’est à l’égard de ces hommes que le Seigneur notre Dieu nous recommande la tolérance, et cette affectueuse charité que l’Evangile nous fait connaître par ce précepte du Seigneur, qui nous dit: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent 1 ». L’Apôtre dit aussi : « Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien 2 ». Luttez avec le méchant, mais luttez en bien; car le véritable combat, ou plutôt la lutte salutaire, consiste à mettre un bon en face d’un méchant, et non deux méchants aux prises.

2. Mais reprenons le psaume. Nous en avons exposé la première partie, voici la suite:

« L’impie observe le juste et grince des dents « contre lui, mais le Seigneur se rit de lui ». De qui? Evidemment du pécheur qui grince des dents contre le juste. Or, pourquoi « le Seigneur s’en rira-t-il ? parce qu’il voit que « son jour est proche». Il paraît plein de fureur quand il menace le juste, et il ne sait pas que demain son heure viendra : mais le Seigneur le voit, il sait que son jour arrive. Quel jour? Le jour où il rendra à chacun

1. Matt, V, 44. — 2. Rom. XII, 21.

 

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selon ses oeuvres. Car l’impie s’amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu. Mais Dieu prévoit cela, et toi tu ne le prévois point ; celui qui le prévoit te l’a révélé. Tu ignores le jour où l’impie recevra son châtiment; mais celui qui le sait ne te l’a point caché. Ce n’est pas la moindre partie de la science, que de s’attacher à celui qui voit. Il a l’oeil de la science; à toi l’oeil de la foi. Crois ce que Dieu voit ; car viendra pour l’injuste ce jour que Dieu prévoit. Quel jour? Le jour de toute vengeance; il faut que Dieu tire vengeance de l’homme impie, de l’homme injuste, soit qu’il se convertisse, soit qu’il ne se convertisse pas. S’il se convertit, la vengeance consiste dans la mort de son iniquité. Le Seigneur ne s’est-il pas ri de Judas qui le trahissait, de Saul qui le persécutait, en voyant le jour de ces deux hommes d’iniquité? Il a vu pour l’un le jour du châtiment; pour l’autre, le jour de la justification. Il s’est vengé de l’un et de l’autre, en jetant l’un aux flammes de l’enfer, en renversant l’autre par une voix céleste. Toi donc, ô mon frère, quand le méchant te fait souffrir, regarde avec Dieu, par les yeux de la foi, son jour qui arrive, et à la vue de ses fureurs contre toi, dis en toi-même : Ou bien il se corrigera pour venir avec moi, ou bien il ne sera point avec moi s’il persévère.

3. Quoi donc I son injustice te nuirait-elle sans lui nuire aucunement? Cette iniquité dont tu es victime, et qui est l’effet de la haine et de la colère, ne l’a-t-elle pas ravagé intérieurement avant de t’atteindre au dehors? Ton corps est en proie à la douleur, mais son âme est dévorée par la gangrène du péché. Tout ce qu’il exhale contre toi retombe sur lui. Ses persécutions te purifient et le rendent criminel. Auquel des deux nuit-il davantage ? Il t’a dépouillé dans ses emportements ; quel est le plus grand dommage, de perdre son argent ou de perdre sa foi ? Ceux qui ont des yeux intérieurs savent déplorer ces pertes. Il en est beaucoup pour voir l’éclat de l’or et non l’éclat de la foi ; pour l’or ils ont des yeux, pour la foi ils n’en ont point. S’ils en avaient, s’ils la voyaient, ils y tiendraient davantage; et pourtant, si l’on vient à leur manquer de foi, ils se récrient, ils se plaignent : O bonne foi, disent-ils, où est la bonne foi? Tu l’aimes donc au point de l’exiger, aime encore à la montrer. Donc ceux qui persécutent les justes souffrent eux-mêmes un plus grand dommage, et subissent une plus grande perte, par la ruine de leur âme : c’est là ce que nous montre le psaume qui ajoute : « Les impies ont tiré leur glaive; ils ont tendu leur arc pour renverser le pauvre et le faible, pour égorger ceux qui ont le coeur droit. Que leur glaive entre dans leur coeur 1 ». Leur framée ou leur glaive peut bien atteindre ton corps, comme le glaive des persécuteurs frappa les corps des martyrs ; mais les meurtrissures du corps laissaient le coeur intact; or, il est loin d’être intact, le coeur de celui qui frappe de l’épée le corps d’un juste. Voilà ce qu’affirme le psalmiste. Il ne dit point que leur glaive entre dans leur corps; mais bien : « Que leur framée entre dans leur coeur».Ils ont voulu tuer le corps et ils ont tué leur âme. Voilà que Jésus-Christ rassure ceux dont ils vu laient tuer les corps, en leur disant: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme 2 ». Mais alors, qu’est. ce que frapper du glaive, et ne pouvoir tuer que le corps d’un ennemi, sans pouvoir tuer l’âme? Ce sont des insensés qui se blessent eux-mêmes, et dans les accès de leur folie, lit ne savent ce qu’ils font : ils agissent connu celui qui se passe une épée à travers le corps pour aller percer la tunique d’un autre. Insensé ! tu regardes ce que tu veux atteindre, et non ce que traverse ton glaive; tu perces le vêtement d’un autre à travers ton propre corps. Il est donc bien constant qu’ils se tout plus de mal, et se nuisent plus à eux-même qu’ils ne croient nuire à leurs ennemis. «Que leur glaive donc entre dans leur coeur »; telle est la sentence du Seigneur, qu’on ne saurait changer. « Et que leur arc soit brisé ? ». Qu’est. ce à dire « que leur arc soit brisé? » Que leurs piéges soient inutiles. Il avait dit auparavant: « Les méchants ont tiré leur glaive, ils ont bandé leur arc ». Il semble que par es glaive tiré il veuille marquer une attaque visible ; mais que l’arc bandé signifierait les embûches secrètes. Or, voilà qu’il se blesse de son glaive, et que ses piéges occultes sont trompés. Comment trompés ? ils ne nuisent point au juste. Mais quoi ! dépouiller quelqu’un, le réduire à la misère en lui prenant son bien, n’est-ce donc pas lui nuire ? Il a

 

1. Ps. XXXV, 14, 15. — 2. Matt. X, 28.

 

 

donc sujet de chanter: « Le peu que possède de juste est préférable aux grandes richesses des impies 1».

4. Mais les méchants ont de la puissance; ils entreprennent beaucoup, ils ont de grands moyens de réussir. Leur commandement est promptement obéi. En sera-t-il toujours ainsi? « Les bras des impies seront brisés 2 ». Leurs bras désignent leur puissance. Que fera ce méchant dans l’enfer? Fera-t-il comme ce riche qui faisait grande chère ici-bas, et qui ébat tourmenté dans l’abîme 3 ? « Leurs bras seront donc brisés, mais le Seigneur soutient les justes ». Comment les soutenir ? Que leur dit-il? Ce qui est dit dans un autre paume: « Attends le Seigneur, agis avec courage, que ton coeur se fortifie, et attends de Seigneur 4 ». Que signifie : « Attends le Seigneur? » Tu souffres pour un moment, tu ne souffriras pas toujours : ta douleur sera courte, mais ta félicité sera éternelle ; tu gémis pour un temps, tu te réjouiras sans fin. Mais tu vas défaillir au milieu de tes douleurs? Voilà sous tes yeux l’image des souffrances du Christ. Considère ce qu’a souffert pour toi celui qui ne méritait nullement de souffrir. Quelles que soient tes souffrances,          elles n’iront pas jusqu’à ces opprobres, ces fouets, cette robe dérisoire, cette couronne d’épines, et enfin cette croix qui, dans le genre humain, a disparu du nombre des supplices. Autrefois on y attachait les grands scélérats, nul n’y est cloué aujourd’hui. Elle est en honneur; elle cesse d’être en usage, puisqu’elle n’est plus un supplice, mais sa gloire subsiste. Du lieu des supplices elle a passé sur le front des empereurs. Que réserve à ces serviteurs celui qui a élevé si haut les instruments de son supplice? C’est donc par de tels actes, c’est par de telles paroles, c’est par ces exhortations, c’est enfin par cet exemple, que « le Seigneur affermit les justes ». Que les méchants sévissent à leur gré, et autant que Dieu le leur permettra : « Le Seigneur affermit les justes ». Quoi qu’il arrive au juste, qu’il l’attribue à la volonté de Dieu, et non au pouvoir de ses ennemis. Ton ennemi peut avoir de la fureur, mais il ne peut frapper si Dieu ne le veut point. Et si Dieu veut que son serviteur soit frappé, il sait comment il le consolera. « Car le Seigneur corrige celui qu’il a

 

1. Ps. XXXVI, 16. — 2. Id. 17. — 3. Luc, XVI, 19, 24. — 4. Ps. XXVI, 14.

 

aime, il frappe de verges celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 1 ». Pourquoi donc l’impie s’applaudirait-il de ce que mon Père s’est servi de lui comme d’un fléau ? Il se sert de lui comme d’un instrument; il me corrige pour m’adopter. Ne considérons donc point ce qu’il permet aux impies, mais le bien qu’il fait aux justes.

5. Mais pour ceux qui sont entre les mains de Dieu le fouet dont il nous châtie, nous devons souhaiter qu’un châtiment les convertisse. Telle est en effet la leçon qu’il donnait autrefois aux fidèles, quand il se servait de Saul pour les châtier, et qu’ensuite il convertissait Saut. Et quand le saint homme Ananie, qui baptisa Saul, reçut du Seigneur l’ordre d’accueillir ce même Saul qui était un vase d’élection, il répondit tout tremblant d’effroi au seul nom du persécuteur Saul; il répondit: « Seigneur, j’ai ouï parler de cet homme, j’ai appris combien de persécutions il a fait essuyer à vos saints qui sont à Jérusalem, et maintenant il a reçu des lettres du grand-prêtre pour aller partout où il trouvera ceux qui invoquent votre nom, et les amener à Jérusalem chargés de chaînes ». Mais le Seigneur lui répondit : « Va, car je lui montrerai combien il doit souffrir pour mon nom 2 ». Je veux, dit le Seigneur, le châtier, me venger de lui ; il souffrira pour mon nom, puisqu’il a persécuté mon nom. Je me sers et je me suis servi de lui pour châtier les autres, je me servirai des autres pour le châtier. Voilà ce qui est arrivé, et nous savons les maux qu’a endurés Saul, maux plus nombreux que ceux qu’il avait faits ; il fut un avare créancier, recevant avec usure ce qu’il avait prêté.

6. Mais voyez encore si le Seigneur accomplit en lui cette parole du psaume : « Le Seigneur affermit les justes ». Non-seulement, « (ainsi dit saint Paul au milieu de tourments sans nombre), mais nous nous glorifions encore dans nos afflictions, sachant que l’affliction produit la patience, la patience la pureté, la pureté l’espérance, et cette espérance n’est point vaine, car l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 3 ». Il s’agit bien évidemment ici d’un homme juste et déjà affermi ; et comme ses ennemis ne pouvaient lui nuire après qu’il fut fortifié, de même il ne faisait

 

1. Hebr. XII, 6. — 2. Act. IX, 13-16 — 3. Rom. V, 3-5.

 

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aucun mal à ceux qu’il avait lui-même persécutés. « Le Seigneur», est-il dit, « fortifie les justes » Ecoute encore d’autres paroles de ce juste fortifié: « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ? l’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, la persécution 1 ?» Combien était uni à Jésus-Christ celui que rien de tout cela n’en séparait ! « C’est le Seigneur qui fortifie les justes ». Quelques prophètes venus de Jérusalem, et pleins du Saint-Esprit, annoncèrent à ce même saint Paul ce qu’il devait souffrir à Jérusalem ; et l’un d’eux, nommé Agabus, ayant délié la ceinture de Paul pour s’en lier selon la coutume, afin de donner par là une figure de l’avenir, s’écria : « Comme vous me voyez lié, il faut que cet homme soit lié à Jérusalem ». A cet avis donné à Saul, devenu Paul, tous les frères se mirent à le dissuader de s’exposer à de si grands périls; ils le conjurèrent de renoncer à son voyage de Jérusalem. Mais il était déjà du nombre de ceux dont il est dit: « Le Seigneur affermit les justes. Pourquoi, dit-il, briser ainsi mon cœur 2 ? je n’estime pas ma vie plus que moi 3».Déjà il avait dit à ceux qu’il enfantait à l’Evangile: « Je me donnerai moi-même pour le salut de vos âmes » . « Pour moi u, dit-il encore, « je suis prêt, non-seulement à être lié, mais à mourir pour le nom du Seigneur Jésus-Christ 5 ».

7. «Le Seigneur affermit les justes». Comment les affermit-il ? « Le Seigneur connaît les voies des hommes purs 6 ». Lorsqu’ils sont en butte à la douleur, la foule ignorante, la foule qui ne sait point discerner les voies des hommes purs, s’imagine qu’ils suivent des voies mauvaises. Mais celui qui les connaît sait par quel chemin droit il dirige ceux qui le servent dans la docilité. Aussi dit-il dans un autre psaume : « Il conduira dans l’équité ceux qui sont doux ; il enseignera les voies aux humbles de cœur 7 ». Combien d’hommes, pensez-vous, n’avaient pas horreur de ce pauvre couvert d’ulcères, près duquel ils passaient devant la porte du riche 8? Combien se bouchaient les narines et crachaient peut-être sur lui ? Mais Dieu savait qu’il lui réservait le paradis. Combien d’autres souhaitaient de vivre comme celui qui était revêtu de pourpre et de lin, et qui

 

1. Rom. VIII, 35 — 2. Act. XXI, 13.— 3. Id. XX, 24. — 4. II Cor. XII, 15. — 5. Act. XXI, 13. — 6. Ps. XXXVI, 18. — 7. Id. XXIV, 9. — 8. Luc, XVI, 20.

 

faisait chaque jour grande chère! mais le Seigneur, qui voyait ses jours, voyait aussi dans l’avenir ses tourments, et ses tourments sans fin. Donc « le Seigneur connaît les voies des hommes purs ».

8. « Leur héritage sera éternel 1 ». Nous le voyons par la foi. Mais, pour le Seigneur, est-ce par la foi ? Il le voit d’une manière si évidente que nous ne pouvons l’exprimer, fussions-nous à l’état des anges. Alors même, ce qui nous sera manifesté n’aura point pour nous cette évidence qui éclate aux yeux de celui qui est immuable. Et néanmoins, qu’est-il dit de nous? « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît point encore; nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 2 ». Il nous est donc réservé je ne sais quel spectacle bien doux; et si la pensée peut s’en faire une ébauche comme en énigme et au moyen d’un miroir, on ne peut toutefois exprimer aucunement la supériorité de cette douceur que Dieu réserve à ceux qui le craignent, qu’il accorde à « ceux qui espèrent en lui 3 ». C’est à cette joie ineffable que nos coeurs se préparent, au milieu des tribulations et des épreuves de cette vie. Ne vous étonnez donc pas de subir en cette vie une laborieuse préparation, puisque l’on vous réserve à quelque chose de si grand. De là ce mot d’un juste fortifié : « Les souffrances de cette vie n’ont aucune proportion avec cette gloire de l’avenir qui doit éclater en nous 4 ». Quelle sera un jour notre gloire, sinon d’être les égaux des anges et de voir Dieu? Quel avantage ne fait pas à un aveugle celui qui lui guérit les yeux et le rend capable de voir la lumière? Après sa guérison, il ne trouve rien d’assez digne pour remercier celui qui l’a guéri. Quel que soit le don de la reconnaissance , comment égalerait-il le bienfait ? Qu’il donne ce qu’il voudra, de l’or, de l’or entassé; l’autre lui a donné la lumière. Pour bien comprendre qu ses dons ne sont rien, qu’il essaie dans lu ténèbres de voir ce qu’il donne. Et nous, que donner à ce médecin qui guérit les yeux de notre âme et nous fait voir une lumière éternelle qui est lui-même? Que lui donnerons-nous? Cherchons bien, afin de trouver, s’il est

 

1. Ps. XXXVI, 18.— 2. I Jean, III, 2.— 3. Ps. XXX, 20.— 4. Rom. VIII, 18.

 

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possible; et, dans l’impuissance de nos recherches, crions avec le Prophète: « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits? » Et qu’a-t-il trouvé à rendre ? « Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur 1 » . — « Pouvez-vous», dit le Seigneur, « boire le calice que je boirai moi-même 2 ? » puis à saint Pierre : « M’aimez-vous? Paissez mes brebis 3 » ; pour lesquelles cet apôtre boira le calice du Seigneur. « Le Seigneur fortifie les justes. Le Seigneur connaît les voies des hommes purs, et leur héritage durera toute l’éternité ».

9. « Ils ne seront point confondus aux jours  mauvais 4 ». Qu’est-ce à dire « Ils ne seront point confondus aux jours mauvais? » Au jour de l’angoisse, au jour de l’épreuve, ils n’éprouveront point la confusion de l’homme déçu dans ses espérances. Quand un homme est-il déçu? quand il dit: Je n’ai pas trouvé ce que j’espérais. Et cela est juste; puisque c’était sur toi-même ou sur quelque ami que tu avais fondé ton espoir. Or, « maudit celui qui met son espérance dans un homme 5 ». Tu seras confondu, ton espérance a été déçue; elle t’a trompé, cette espérance fondée sur le mensonge; puisque tout homme est menteur 6 ». Mais si tu reposes en Dieu tes espérances, tu n’éprouveras point de confusion, car on ne peut tromper eu tel dépositaire. De là vient que ce juste dont je viens de parler, et que Dieu avait fortifié, n’était point confondu au temps du malheur et dans la tribulation, et s’écriait:  « Nous nous glorifions dans nos afflictions, sachant que l’affliction produit la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance; or, cette espérance n’est point vaine ». Pourquoi n’est-elle point vaine? Parce qu’elle repose en Dieu. Aussi dit-il ensuite: « Parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 7 ». Déjà le Saint-Esprit nous a été donné, et comment pourrait nous tromper celui qui nous a donné un tel gage? Ils n’éprouveront point de confusion au jour du malheur; et au jour de la disette ils seront rassasiés. Dès ici-bas, en effet, ils sont en quelque sorte rassasiés. Car les jours de la disette sont les jours de cette vie où les justes sont rassasiés quand les autres sont en proie à la

1. Ps. CXV, 12, 13. — 2. Matt. XX. 22. —  3. Jean, XXI, 17. — 4. Ps. XXXVI, 19.— 5. Jér. XVII, 5. — 6.Ps. CXV, 11. — 7. Rom. V, 3-5.

 

faim. De quoi saint Paul se glorifiait-il, en disant: « Nous nous glorifions dans les épreuves », s’il eût intérieurement souffert de la faim? On voyait au dehors les angoisses, mais le coeur était dilaté par la joie.

10. Que fait au contraire le méchant quand l’affliction vient le saisir? Il n’a plus rien au dehors, tout lui manque, et sa conscience n’éprouve aucune consolation : qu’il sorte de lui-même, et tout est misère; qu’il y rentre, et tout est pénible. Il tombe donc justement sous le coup de cette sentence: « Car les méchants périront 1 ». Comment ne périrait point celui qui n’a de place nulle part? Ni à l’intérieur ni à l’extérieur, il n’est rien qui le console. Ce qui en effet ne peut nous consoler, nous est étranger. Car tous ceux qui n’ont point Dieu en eux-mêmes, sont esclaves de l’argent, de l’amitié, de la gloire, des biens de la terre; or, tous ces biens corporels ne peuvent nous donner une consolation intérieure semblable à celle qu’éprouvait cet homme dont l’âme était rassasiée, et à qui cette plénitude faisait dire: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Il ne reste donc pas aux méchants un lieu en dehors d’eux-mêmes, parce qu’ils y rencontrent l’affliction: leur conscience ne peut les consoler; ils sont en désaccord avec eux-mêmes, parce qu’on ne peut être bien avec le péché. Quiconque devient mauvais est mal avec lui-même. Il faut qu’il ait ses tortures, qu’il soit lui-même son propre fléau. Déchiré par sa propre conscience, il devient à lui-même son supplice. Il peut fuir un ennemi, comment se fuir lui-même?

11. C’est ainsi que venait à nous un homme du parti de Donat, que les siens avaient accusé et excommunié; il cherchait près de nous ce qu’il avait perdu chez eux. Mais nous ne pouvions le recevoir ici qu’à son rang; car, s’il quittait ce parti, il n’était point irréprochable chez eux, et l’on ne voyait point que sa démarche lui fût dictée par son choix plutôt que par la nécessité. Il ne pouvait donc trouver chez eux ce qu’il cherchait, c’est-à-dire la vaine gloire, le faux honneur, ni trouver chez nous ce qu’il avait perdu chez eux: il en mourut. Son coeur blessé poussait des gémissements; il était inconsolable ; d’invisibles

 

1. Ps. XXXVI, 28.—  2. Job, I, 21.

 

 

aiguillons lui déchiraient la conscience. Nous avions tenté de le consoler avec la parole de Dieu; mais il n’était pas de ces sages fourmis qui amassent en été de quoi vivre en hiver. Quand un homme est en paix, il doit s’appliquer à recueillir la parole de Dieu, à la cacher dans le fond de son coeur, comme la fourmi abrite dans ses galeries souterraines ses travaux de l’été 1. Voilà ce que l’on doit faire pendant l’été; vient ensuite l’hiver ou le temps des afflictions; et si nous ne trouvons en notre coeur de quoi vivre, il faut mourir de faim. Cet homme donc n’avait point recueilli la parole de Dieu, et l’hiver est venu, il n’a point trouvé ici ce qu’il cherchait: on ne pouvait le consoler que par là, et nullement par la parole de Dieu. Il n’avait rien à l’intérieur, et il cherchait à l’extérieur ce qu’il ne trouvait point: les sentiments de la douleur et de l’indignation le dévoraient, son âme était en proie à la plus violente agitation, qu’il cacha longtemps, jusqu’à ce qu’enfin ses gémissements éclatèrent et retentirent même à son insu parmi nos frères. C’était avec la plus vive douleur, Dieu le sait, que nous voyions cette âme si affligée, et devenue la proie de ces tortures, de ces flammes intérieures, de ces déchirements; que vous dirai-je? Ne pouvant se tenir dans un lieu si humble, qui eût pu être pour lui un lieu si salutaire, il nous parut encore mériter l’expulsion. Toutefois, mes frères, nous ne devons point pour cela désespérer des autres, qui pouvaient revenir par amour de la vérité, et non sous l’empire de la nécessité. Bien loin de désespérer des autres, je ne désespère pas même de celui dont je vous parle tant qu’il est en vie: car nous ne devons désespérer d’aucun homme qui est sur la terre. Il était bon de vous faire connaître ces détails, de peur qu’on ne vous les racontât autrement; car un de leurs sous-diacres qui, sans aucune contestation avec eux, a choisi la paix et l’unité catholique et les a quittés pour venir à nous; qui est venu comme en faisant choix de ce qui est bon, et non comme expulsé même par les méchants, a été reçu chez nous et nous a réjouis d’une conversion que nous recommandons à vos prières. Car Dieu est puissant et peut l’améliorer de plus en plus. D’ailleurs, nous ne devons prononcer ni en bien ni en mal sur le sort de personne. Pendant toute notre vie, en effet,

 

1. Prov. VI, 6; XXX, 25.

 

notre lendemain est toujours ignoré. « Ils ne seront point confondus au temps mauvais; ils seront rassasiés au jour de la famine, tandis que les pécheurs périront ».

12. « Quant aux ennemis de Dieu, aussitôt qu’ils se glorifieront et s’élèveront avec orgueil, ils disparaîtront comme la fumée qui s’évanouit 1 ». Voyez à cette comparaison ce qu’il a voulu nous enseigner. La fumée s’échappe du lieu où est le feu, s’élève dans

les airs, et en s’élevant, grossit en tourbillon; mais plus le tourbillon se dilate, plus il est

vide; or, cette immensité qui n’a ni appui ni solidité, qui est suspendue dans les airs, se

dissipe à mesure qu’elle gagne les hautes régions et s’évanouit; ses proportions démesurées ont fait sa perte. En effet, plus elle s’élève, plus elle se dilate, plus ses proportions grandissent, et plus elle diminue d’intensité, se dissipe et disparaît. « Or, les ennemis de Dieu, en se glorifiant et en s’exaltant, s’évanouiront bientôt comme la fumée»; c’est d’eux qu’il est dit : « Comme Jannès et Mambrès résistèrent à Moïse, ceux-ci de même résistent à la vérité: ce sont des hommes corrompus dans l’esprit et pervertis dans la foi 2 ». D’où vient leur résistance à la vérité, sinon de cette enflure de coeur qui en fait le jouet des vents, qui les porte à s’élever comme s’ils avaient de la justice et de la grandeur? Qu’eu dit l’Apôtre ? ce qui est dit de la fumée: « Mais ils n’iront pas au delà, car leur folie sera connue de tout le monde, comme le fut alors celle de ces hommes 3.Quant aux  ennemis de Dieu, dès qu’ils se glorifieront et s’élèveront, ils s’évanouiront bientôt comme la fumée ».

13. «L’impie emprunte et ne paiera point 4 ». Il recevra et ne rendra pas. Qu’est-ce qu’il ne rendra pas? l’action de grâces. Qu’est-ce, eu effet, que Dieu veut de vous, ou qu’en exige-t-il, sinon ce qui vous est utile? Que de bienfaits n’a pas reçus le méchant, dont il ne rendra rien? S’il existe, c’est un don; s’il est homme et bien supérieur aux animaux, c’est un don; c’est un don encore que la forme de son corps; et dans ce corps même, c’est un don que le discernement des sens, que des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, des narines pour sentir, un palais pour goûter, des mains pour toucher, des pieds pour marcher, un don que la santé du corps. Mais

 

1.Ps. XXXVI, 20.— 2. II Tim. III,8. — 3. Id.9,— 4. Ps. XXV, 21

 

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tous ces biens nous sont communs avec les bêtes; l’homme a reçu de plus, dans l’esprit, le don de comprendre, de saisir la vérité, de discerner le juste de l’injuste, de rechercher, d’aimer son Créateur, de le louer et de s’attacher à lui. Le méchant aussi a reçu de Dieu ces mêmes dons; mais comme sa vie n’est pas bonne, il ne rend pas ce qu’il doit. Donc, « le pécheur emprunte et ne paiera point » ; il ne rend rien à celui dont il a reçu, pas même l’action de grâces; il lui rendra même le mal pour le bien, le blasphème, le murmure contre sa Providence, l’emportement. mil emprunte alors, et ne paiera point; quant tau juste, il a de la pitié et il prête». L’un n’a donc rien et l’autre possède. Voyez la richesse de l’un et la pauvreté de l’autre. L’un a reçu et ne rendra point; l’autre a de la miséricorde et prête; il a du bien en abondance. Et pourtant, s’il est pauvre? même en ce cas il est riche. Ouvrez seulement les yeux de la foi sur les richesses. Tu peux bien voir un coffre vide, mais tu ne vois pas une conscience que Dieu même remplit. Il n’a point les richesses du dehors, mais il a au dedans la charité Que ne peut lui faire donner cette charité sans qu’elle s’épuise? S’il a des biens extérieurs, la charité en donne, et elle donne de ce qu’elle a; si elle ne trouve point eu dehors de quoi donner, elle donne sa bienveillance, elle donne un bon conseil, si elle le peut; elle donne du secours, si elle en est capable; enfin, si elle ne peut donner ni conseil ni secours, elle assiste de ses voeux, elle prie pour celui qui est dans l’affliction, et peut-être sa prière est-elle plus agréable à Dieu que le pain que donne un autre. Il a donc toujours de quoi donner, celui dont le coeur est plein de charité. Car c’est la charité que l’on appelle bonne volonté. Et Dieu n’exige pas de toi plus qu’il n’a mis dans ton coeur. La bonne volonté, en effet, ne peut demeurer oisive; avec la bonne volonté tu ne refuseras point au pauvre le dernier sou qui te reste. Les pauvres eux-mêmes trouvent dans la bonne volonté de quoi s’assister mutuellement, et ils ne sont pas inutiles l’un pour l’autre. Tu vois un homme qui a de bons yeux conduire un aveugle; n’ayant point d’argent à lui donner, il prête ses yeux à celui qui n’en a point. Mais pourquoi ses membres sont-ils au service de celui qui n’en a pas, sinon parce qu’il a dans l’âme une bonne volonté, qui est le trésor des pauvres? trésor qui est un doux repos, une véritable sécurité; trésor que le voleur ne nous enlève pas, et pour lequel on ne craint pas de naufrage; on le garde avec foi quand on le possède; on peut s’échapper tout nu, et néanmoins comblé de richesses. « Le juste a de la pitié, et il prête ».

14. « Mais ceux qui le bénissent auront la terre en héritage 1 » ; ceux qui bénissent le juste, le seul vraiment juste et qui donne la justice, qui fut pauvre ici-bas en y apportant les grandes richesses dont il devait combler ceux qu’il y trouve véritablement pauvres. C’est lui, en effet, qui a enrichi de l’Esprit-Saint les coeurs des pauvres, qui a comblé de l’or de la justice les âmes qui s’anéantissaient par l’aveu de leurs péchés; lui qui a pu enrichir le pêcheur qui abandonnait ses filets, et qui méprisait ce qu’il avait pour saisir ce qu’il n’avait pas 2. « Car Dieu a choisi ce qui est faible dans le monde, pour confondre ce qui est fort 3 ». Il ne s’est point servi d’un orateur pour gagner un pêcheur, mais d’un pêcheur pour gagner l’orateur, d’un pêcheur pour gagner l’homme du sénat, d’un pêcheur encore pour gagner le maître de l’empire. « Ceux qui le bénissent posséderont la terre en héritage»; ils seront ses cohéritiers dans cette terre des vivants dont il est dit dans un autre psaume: « Vous êtes mon espérance et mon héritage dans la terre des vivants 4 ». « Vous êtes mon héritage », dit-il à Dieu, il ne craint pas de s’arroger la possession de Dieu même. « Ils posséderont la terre en héritage; mais ceux qui le maudissent périront». Or, ceux qui le bénissent ne le font que par sa grâce. Car il est venu vers ceux qui le maudissaient, et ils l’ont béni; et c’est déjà périr pour ceux qui le maudissent, que de le bénir sous le poids de sa grâce; ils le maudissaient par leur propre malice, et ils le bénissent par le don qu’il leur fait.

15. Ecoutez ce qui suit : « Le Seigneur dirige les pas des hommes, et ils chercheront ses voies 5 ». Pour que l’homme recherche les voies du Seigneur, il faut que le Seigneur lui-même dirige ses pas. Si le Seigneur n’eût en effet dirigé les pas des hommes, ils eussent été eux-mêmes si corrompus et eussent marché dans une telle

 

1. Ps. XXXVI, 22. — 2. Matt. IV, 19. — 3. I Cor. I, 27. — 4. Ps. CXLI, 6. — 5. Id. XXXVI, 23.

 

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dépravation, que, dans leurs sentiers tortueux, ils n’eussent pu revenir au bien. Mais le Seigneur est venu pour nous appeler, nous racheter, répandre son sang ; ce sont là, et le prix qu’il a donné, et le bien qu’il a fait, et les douleurs qu’il a endurées. Examine ce qu’il a fait, c’est bien un Dieu; vois ce qu’il a souffert, c’est bien un homme. Quel est ce Dieu-Homme? O homme, si tu n’avais abandonné Dieu, un Dieu ne se ferait point homme pour toi! C’était peu pour sa bonté, pour sa miséricorde, de t’avoir fait homme, s’il ne se fût fait homme pour toi. C’est lui qui dirige nos pas, afin que nous désirions ses voies. « C’est le Seigneur qui redresse les pas de l’homme, lequel recherche ses voies ».

16. Mais si tu yeux suivre la voie du Christ, ne va point te promettre les félicités du siècle. Il a marché par des chemins difficiles, mais il a promis de grands biens; c’est à toi de le suivre. Ne considère pas seulement le chemin à suivre, mais le point où tu dois aboutir. Tu souffriras des maux qui passeront, pour arriver à des joies éternelles. Si tu veux supporter le travail, envisage la récompense. L’ouvrier se découragerait dans la vigne, s’il n’envisageait son salaire. Et quand tu auras envisagé ton salaire, tout ce que tu souffres te paraîtra vil et peu digne d’être comparé avec le bonheur qui en sera la récompense. Tu seras étonné d’un si grand prix pour un travail si minime. Car enfin, mes frères, pour mériter un repos éternel, il faudrait un travail éternel; et un bonheur sans fin ne devrait s’acheter que par une douleur également sans fin; mais si ton labeur était éternel, quand pourrais-tu arriver à l’éternelle félicité ? De là vient pour la douleur cette nécessité de finir pour faire place à un bonheur sans fin. Et pourtant, mes frères, cette félicité éternelle pouvait être le prix d’une peine bien longue. Ainsi, pour mériter un bonheur sans fin, notre labeur, notre misère eussent pu durer des siècles. Et eussent-ils duré un millier d’années, qu’est-ce qu’un millier d’années en face de l’éternité? qu’est-ce qu’un nombre fini, quelque grand qu’il soit, en face de l’infini? Dix mille années, des millions et des milliards d’années, si l’on peut s’exprimer ainsi, tout cela finira et ne peut se comparer à l’éternité. C’est donc un autre effet de la bonté de Dieu de t’avoir mesuré une épreuve non-seulement temporelle, mais encore très-courte. La vie de l’homme serait courte, ne compterait que bien peu de jours, quand même Dieu ne mêlerait pas à nos misères des joies qui sont assurément plus nombreuses et plus durables que nos peines; et ces peines en sont plus courtes et moins nombreuses, afin que nous puissions les endurer. Qu’un homme donc voie sa vie entière s’écouler jour par jour, heure par heure, dans les travaux, dans les chagrins, dans la douleur, dans les tourments, dans la prison, dans les plaies, dans la faim et dans la soif, et cela pendant toute une vie jusqu’à l’extrême vieillesse, la vie de l’homme n’a que peu de jours, et, après ce labeur, viendra le royaume éternel, la félicité sans fin, l’égalité avec les anges, l’héritage du Christ et le Christ lui-même, cohéritier avec nous. Quelle récompense, en comparaison du labeur! Des vétérans, qui se fatiguent dans les armées, qui affrontent les blessures pendant tant d’années, qui portent les armes de la jeunesse, se retirent cassés de vieillesse; et, pour avoir quelques jours de paix dans ces vieilles années qui pèsent sur ces hommes à qui la guerre ne pesait rien, quelles difficultés à surmonter, combien de marches, que le froids rigoureux, quelles chaleurs à supporter, quelles extrémités, quelles blessures, quel. périls à braver! Et dans toutes ces fatigues ils n’envisagent que ces quelques jours de vieillesse, qu’ils ne sont pas certains d’atteindre. Donc, « le Seigneur dirige les pas des hommes, et ils chercheront ses voies ». C’est là ce que je commençais à exposer : si tu veux suivre la voie du Christ, si tu es vraiment chrétien, et le vrai chrétien est celui qui ne méprise pas la voie du Christ, mais qui veut suivre ses pas même dans les souffrances, garde-toi de chercher une autre voie que celle qu’il a parcourue. Elle paraît difficile et néanmoins c’est la voie sûre; l’autre peut avoir ses attraits, mais elle est infestée par les voleurs. « Et les hommes chercheront sa voie ».

17. « Quand il se heurtera, il n’en sera point troublé, parce que le Seigneur fortifie ses mains 1 ». C’est là désirer la voie du Christ Qu’il arrive à cet homme de passer par la tribulation, par le déshonneur, par les affronts, par la douleur, par les pertes et par les peines si nombreuses dans la vie humaine; il se rappelle toutes les souffrances qu’a dû endurer

 

1. Ps. XXXVI, 24.

 

 

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Jésus-Christ, et « quand il se heurtera, il ne sera point troublé, parce que ses mains sont fortifiées par le Seigneur », qui a le premier passé par ces peines. Que pourrais-tu craindre, ô homme, puisque Dieu dirige tes pas, pour te faire désirer ses voies? Que peux-tu redouter? Les douleurs? Le Christ a été flagellé 1. Les affronts? Il s’est entendu lire: « Vous êtes possédé du démon 2 », lui qui chassait les démons. Craindrais-tu les trames et les conspirations des méchants? Ou a conspiré contre lui 3. Tu ne saurais peut-être établir ton innocence en toute accusation, et tu as la douleur d’entendre de faux témoins déposer contre toi. Ils ont porté un faux témoignage contre Jésus-Christ tout le premier, non-seulement avant sa mort, mais encore après sa résurrection. On produisit de faux témoins pour le faire condamner par les juges 4; et de faux témoins encore calomnièrent son tombeau. Jésus-Christ ressuscita avec tout l’éclat du miracle, et la terre ébranlée annonça la résurrection du Sauveur. Il y avait là une terre qui gardait la terre, mais cette terre plus dure ne put être changée. Elle rendit témoignage à la vérité, mais elle fut séduite par la terre menteuse. Les gardiens racontèrent aux Juifs ce qu’ils avaient vu, ce qui était arrivé; mais ils reçurent de l’argent, et on leur dit: « Rapportez que pendant votre sommeil ses disciples sont venus et l’ont enlevé 5». Voilà de faux témoins contre sa résurrection. Mais quel aveuglement dans ces faux témoins, mes frères; quel aveuglement! Voilà ce qui arrive d’ordinaire aux faux témoins, c’est de tomber dans l’aveuglement su point de parler contre eux-mêmes sans le savoir, et de démasquer ainsi leur faux témoignage. Qu’ont-ils dit contre eux-mêmes? Pendant que nous dormions, ses disciples mont venus et l’ont enlevé ». Quoi donc? Oui fait cette déclaration? celui qui dormait, le ne croirais pas de tels hommes, quand même ils ne me raconteraient pas leurs songes. Quelle extravagance! Si tu veillais, pourquoi le laisser enlever? Si tu dormais, d’où le sais-tu?

18. Ainsi en est-il de ceux qui sont leurs enfants, comme il vous en souvient, et dont il faut dire un mot, puisque c’est l’occasion. Plus, en effet, nous voulons leur salut, et plus

 

1. Matt. XXVII, 26.—  2. Jean, VIII, 48— 3. Id. IX, 22.— 4. Matt, XXVI, 60. — 5. Id. XXVIII, 12, 13.

 

 

nous devons démasquer leur vanité. Voilà que le corps de Jésus-Christ est encore en butte aux faux témoins; ce qu’a d’abord enduré le chef, le corps l’endure aussi. Il n’y a là rien d’étonnant, et aujourd’hui il ne manque pas de gens pour dire à ce corps du Christ répandu sur la terre: Race de traîtres. C’est là un faux témoignage, et peu de mots me suffiront pour te convaincre que tu es un faux témoin. Tu me dis : Tu es un traître. Je réponds: Tu mens. Nulle part et jamais tu n’as pu prouver ma trahison; et moi, dans tes paroles et à l’instant, je démasque ton mensonge. Il est constant que tu as dit que nous avons aiguisé nos épées; je cite les actes de tes circoncellions. Tu as dit, et cela y est constaté, que tu ne réclames pas les biens enlevés 1; et je lis dans ces mêmes actes que tu donnes procuration pour les exiger. Tu as dit encore : Nous ne présentons uniquement que les Evangiles; et je lis une foule d’arrêts des juges, dont tu as tourmenté ceux qui sont séparés d’avec toi; je lis des suppliques à un empereur apostat, à qui tu as dit qu’il n’y a que la justice pour avoir accès auprès de lui 2. L’apostasie de Julien vous paraissait sans doute faire partie de l’Evangile? Te voilà donc convaincu de mensonge. Que doit-on croire de tout ce que tu as dit de moi? Quand même je ne pourrais démasquer la fausseté de tes reproches, il me suffit de prouver que tu es menteur. Que dis-tu? Tel on te voit, tels on voit tous les autres. C’est avec raison que tu as envoyé partout ces paroles, tu as voulu grossir le mensonge par d’autres mensonges, afin de n’avoir plus à rougir d’avoir menti.

19. Mais il faut, dit-il, maintenir le jugement de nos pères contre Cécilien. Pourquoi le maintenir? parce que c’est le jugement des évêques? Il faut donc aussi maintenir le jugement porté contre toi par les Maximianistes. Car c’était auparavant, et je pense que vous le savez, que les évêques, unis à Maximien, qui était encore son diacre, vinrent à Carthage, comme le porte la requête qu’ils ont

 

1. Saint Augustin se propose évidemment dans ces discours de réfuter cette déclaration de Primianus, dont il fait mention dans son Abrégé des Conférences avec les Donatistes, 3e jour, ch. 8; mais d’une manière plus expressive dans son livre contre Cresconius, chap. XXVII, en ces termes : Puisque Primianus, dans ses actes de tribunal de Carthage, a dit entre autres calomnies dont il nous a chargés : Ils enlèvent les biens des autres, et nous abandonnons ce que l’on nous prend.

2. C’est le langage de Rogatien et de Pontius, dans les requêtes présentées à Julien l’Apostat, au nom des Donatistes, d’après la let. CV aux Donatistes, n. 8, et liv. II contre Pétilien, ch. 22 et 27.

 

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attachée à leurs actes, quand ces Maximianistes plaidaient au sujet d’une maison avec le procureur de ce Primianus qui abandonne ce qu’on lui prend. Donc, ils envoyèrent d’abord une requête à son sujet, se plaignant de ce qu’il n’avait pas voulu se rendre dans leur assemblée. Mais vois comme Dieu leur a rendu ce qu’ils ont dit de Cécilien. Admirable ressemblance! Dieu a voulu, après tant d’années, leur remettre sous les yeux ce qui s’est passé alors, afin qu’ils ne trouvent aucun moyen de dissimuler ou de s’échapper. Ils diraient qu’ils ont oublié les actes précédents, Dieu ne permet point qu’ils les oublient; et puisse cela servir à leur salut! Car c’est là un effet de sa miséricorde, s’ils considéraient ce qui s’est fait. Remettez-vous donc sous les yeux, mes frères, l’unité de l’univers entier dont ils se sont séparés contre Cécilien; représentez-vous le parti des Donatistes, d’où se sont détachés les Maximianistes contre Primianus. Ce que les premiers ont fait contre Cécilien, les seconds l’ont fait contre Primianus. C’est pourquoi les Maximianistes se vantent d’aimer mieux la vérité que les Donatistes, puisqu’en effet ils ont imité la conduite de leurs ancêtres. Ils ont élevé Maximien contre Primianus, comme les autres avaient élevé Majorin contre Cécilien, et ont renouvelé de lui et de Primianus les plaintes de leurs pères au sujet de Cécilien. Car, s’il vous en souvient bien, ceux-ci dirent que Cécilien, fidèle à sa conscience, n’avait point voulu se trouver avec eux, parce qu’il connaissait leurs intrigues; de même ceux-là se plaignent de Primianus, qui a refusé d’aller à eux. Pourquoi trouver bon que Primianus ait connu les intrigues des Maximianistes, et ne point pardonner à Cécilien d’avoir connu les intrigues des Donatistes? Maximien n’était pas encore ordonné, et déjà l’on accusait Primianus; des évêques s’assemblent; ils veulent obliger Primianus de se trouver dans leur assemblée; il refuse d’y aller, comme le constate la circulaire insérée dans les actes. Il refusa, etje ne l’en blâme point, je l’approuve au contraire. Si tu as reconnu là quelque faction, tu as bien fait de ne point te mêler à des factieux, mais de réserver ta cause à un tribunal plus impartial de ton parti. Il restait encore la secte de Donat, et Primianus pouvait s’y justifier; c’est pourquoi il ne voulut point aller à ceux qui ourdissaient déjà des trames. Tu vois que nous louons ta résolution à l’égard des Maximianistes; considère bien maintenant la cause de Cécilien. Tu ne veux point le juger comme un frère, juge-le comme un étranger. Que disais-tu en toi-même en refusant de venir? Ces gens ont conspiré contre ma vie; ils sont gagnés contre moi; si je me remets entre leurs mains, je fais tort à ma cause. Je n’irai point chez eux, je réserve ma cause pour des hommes plus intègres et d’une pins grande autorité. C’est là un bon avis. Mais si Cécilien a raisonné de la sorte? Tu auras bien de la peine à nous prouver qu’une autre Lucille a corrompu ceux-ci contre toi, tu n’en trouveras pas la preuve; et cependant Cécilien le savait tellement bien, que cela est prouvé par les actes mêmes de ce concile 1.Mais tu as vu je ne sais quoi de ténébreux; on t’a dit que tu avais à craindre; j’accorde à ta crainte d’avoir pris des sûretés; tu as bien fait de n’aller point trouver de telles gens, puisqu’il y en avait d’autres qui pouvaient te juger. Ecoute maintenant Cécilien : tu t’es conservé la Numidie, et lui le monde entier. Mais si tu veux faire valoir contre lui le jugement des Donatistes, il faut donner la même valeur à celui dont tu es frappé par les Maximianistes; s’il est condamné par des évêques, tu l’es aussi par des évêques. Pourquoi ensuite faire revoir ta cause pour obtenir l’avantage contre les Maximianistes, comme il en avait ensuite appelé, pour faire condamner les Donatistes? Ce qui s’est donc fait alors s’est renouvelé d’une manière complète et évidente, et les Maximianistes font contre Primianus les plaintes que les Donatistes ont faites contre Cécilien. Je ne puis vous dire, mes frères, combien je suis ému et comment je rends grâces à Dieu; c’est vraiment par un effet de sa miséricorde qu’il leur a mis sous les yeux un tel exemple, bien fait pour les éclairer s’ils étaient sages. Pour peu que cela vous plaise, mes frères, et puisque Dieu l’a fait tomber sous nos mains, écoutez le concile des Maximianistes. (Et dans son homélie, il fait lecture du concile.)

20. « A nos très-saints frères et collègues dans toute l’Afrique ». (Toute leur unité se borne à la seule Afrique. Mais dans cette

 

1. Le saint Docteur parle des actes recueillis chez Zénophide, homme consulaire, l’an 320, et dont il cite quelques fragments contre Cresconius, en 20, et l’endroit où Nundinarius, diacre de l’évêque de Certe, prouve que les évêques avaient été gagnés par l’argent de Lucille, femme puissante alors, pour établir Majorin évêque de Carthage, contre Cécilien Voyez les lettres à Glorius et à Clusius, et lettre XLIII, n 17.

 

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Afrique, il y a l’unité catholique avec eux, et dans les autres parties du monde, ils ne sont pas avec l’Eglise catholique.) « A nos frères très-saints et collègues établis dans toute d’Afrique, c’est-à-dire dans la province proconsulaire, dans la Numidie, la Mauritanie, la Byzacène et Tripoli; à tous les prêtres et diacres, à tous les peuples militant avec nous dans la vérité de l’Evangile, Victorin, Fortumat, Victorien, Miggin, Saturnin, Constance, Candoire, Innocent, Cresconius, Florent, Salvius, un autre Salvius, Donat, Géminius, Prétextat » (c’est là cet Assuritain qu’ils ont reçu dans la suite, et qui à son tour reçut celui qui l’avait condamné), « Maximien, Théodore, Anastase, Donatien, Donat, un autre Donat, Pompone, Pancrace, Janvier, Secundinus, Pascase, Cresconius, Rogatien, un autre Maximien, Bénénat, Gaïen, Victorin, Contaise, Quintaise, Félicien » (est-ce ce Mustitain qui vit encore? C’en est peut-être un autre et d’un autre endroit), « Salvius, Miggin, Proculus, Latinus, et les autres réunis au concile de Cabarsusse, salut en Notre-Seigneur. Il n’est personne, frères bien-aimés, pour ignorer que les prêtres du Seigneur ne suivent point leur volonté, mais la loi de Dieu, soit quand ils condamnent des coupables, soit quand ils écoutent la justice pour absoudre les innocents des peines qui leur étaient infligées. C’est également s’exposer à un grand péril que d’épargner un coupable ou de s’efforcer d’accabler un innocent; surtout qu’il est écrit : Vous ne ferez mourir ni l’innocent, ni le juste, et s vous ne justifierez point le coupable 1. Cet oracle de l’Ecriture nous imposait l’obligation d’évoquer la cause de Primianus, que le peuple saint de Carthage avait établi évêque de cette église, pour veiller sur le bercail du Seigneur. Les lettres des anciens de cette église nous forçaient d’écouter, d’examiner q toutes choses à son sujet, afin qu’après avoir stout pesé, nous pussions, ou le déclarer innocent, ce qui eût été bien désirable, ou, s’il était coupable, montrer à tous qu’il était justement condamné. Notre plus vif désir était que le peuple de l’église de Carthage pût s’applaudir d’avoir à sa tête un évêque  entièrement saint, exempt de tout reproche. Il faut en effet qu’un prêtre du Seigneur soit tel qu’il puisse mériter et obtenir pour

 

1. Exod XXIII, 7.

 

son peuple ce que ce même peuple ne pourrait lui-même obtenir de Dieu; car il est écrit: Si le peuple a péché, le prêtre priera pour lui; mais si le prêtre vient à pécher, qui donc priera pour lui 1? » (Les apôtres eux-mêmes se recommandaient aux prières des peuples, et ils disaient dans leurs prières: « Pardonnez-nous nos offenses 2 ». L’apôtre saint Jean a dit : « Devant Dieu le Père nous avons pour avocat Jésus-Christ qui est juste; c’est lui qui est la victime de propitiation pour nos péchés 3 ». Mais ce qu’ils citent regarde ce prêtre qu’ils ne comprennent pas, et a été écrit pour avertir le peuple par cette prophétie, qu’il doit reconnaître pour prêtre

celui pour qui nul ne prie. Or, quel est le prêtre pour qui nul ne prie, sinon celui qui

prie pour tous 4? On était alors sous le sacerdoce lévitique; alors le prêtre pénétrait dans le sanctuaire; il offrait des victimes pour le peuple, et on avait une image du prêtre futur

et non la réalité; les prêtres d’alors étaient pécheurs comme les autres hommes; et Dieu

voulant, par cette prophétie, avertir le peuple d’appeler, par ses désirs, ce Prêtre qui intercède pour tous sans que personne doive prier pour lui, le désigne ainsi dans ces avertissements : « Que le peuple pèche, le prêtre prie pour lui; mais si le prêtre vient à pécher, qui priera pour lui? » Donc, ô peuple, choisis un prêtre pour lequel tu ne sois point obligé de prier, mais dont la prière devienne pour toi une sécurité. Ce prêtre est Notre-Seigneur Jésus-Christ, le seul Prêtre, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme 5). «Or, les scandales de Primianus et sa perversité si particulière l’ont tellement désigné au jugement du ciel, que l’auteur de tant de crimes devait être nécessairement retranché; lui qui, récemment ordonné » (voici qu’ils énumèrent les crimes de Primianus), « a poussé les prêtres de ce même peuple de Carthage à entrer dans une conjuration impie, et leur a demandé, comme par grâce, d’être d’accord avec lui»; (voilà ce qu’il leur demanda; mais eux, loin de le lui promettre, gardèrent le silence; alors il ne craignit pas d’accomplir seul le crime qu’il méditait), « afin de condamner quatre diacres, hommes distingués et d’un mérite reconnu par tous, savoir, Maximien, Rogatien, Donat

 

1. I Rois, II, 25. — 2. Matt. VI, 12. — 3. I Jean, II, 1, 2. — 4. Rom. VIII, 34. — 5. 1 Tim. II, 5.

 

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et Salgame ». (Il y avait dans ces quatre cet auteur du schisme, qui retranchait encore à

une part déjà retranchée, et qui ne gémissait point de se voir séparé de l’unité tout entière.)

« Ces prêtres donc, effrayés de sa criminelle audace, ayant repoussé par leur silence toute complicité, il osa seul accomplir sa criminelle entreprise, au point de se croire en droit de porter une sentence contre le diacre Maximien, homme connu de tous pour son innocence, et cela sans aucun procès, sans accusateur, sans témoin, quand cet homme, qui n’avait pas comparu, était malade au lit ». (Voyez bien son crime.) « C’est ainsi qu’il avait déjà condamné des clercs par un emportement semblable. Et comme il avait admis des incestueux à la sainte communion, contre la loi et les décrets de tous les prêtres, malgré l’opposition de la plus grande partie du peuple; pressé par les lettres des plus nobles parmi les anciens de corriger par lui-même ce qu’il avait fait, il a poussé la témérité jusqu’à négliger de le faire. Justement émus de cette conduite, les anciens de cette église envoyèrent à tous les évêques des lettres et des ambassadeurs, pour nous prier avec larmes de les venir trouver, afin qu’après avoir pesé toutes choses, et mûrement examiné les accusations, on rendît l’éclat à cette Eglise. Or, quand sur ces invitations nous sommes venus ici, cet homme bouillant, faisant valoir ses motifs que l’on connaît, s’abstint de nous rencontrer ». (Vous connaissez ce que l’on objecte à Primianus; c’est que le parti de Donat est souillé d’inceste. Voici en effet leur règle : tel est l’homme avec qui l’on communique, tels deviennent tous les autres et la masse entière. Si donc ils disent vrai, tout le parti de Donat est souillé d’inceste. Que les Numides viennent donc nous dire : Que nous importe à nous que tu aies admis à ta communion je ne sais quels incestueux? comment cela pourrait-il nous atteindre à une si longue distance? Mais si vous ne voulez pas qu’un fait arrivé à Carthage ait son contre-coup en Numidie, comment ce qui se passe en Afrique a-t-il pu nuire à la terre entière? Leur défense arrive toujours à les charger davantage et à nous excuser.) « Il s’est abstenu de nous rencontrer ». (C’est leur plainte contre Cécilien.) « S’obstinant dans sa rébellion, il a persévéré dans le mal; puis, ayant rassemblé des hommes perdus ». (Voici quelque chose de plus : on n’a pas fait ce reproche à Cécilien ; écoutez ces reproches.) « Ayant obtenu des gardes, il assiégea les portes des églises » (assurément afin d’empêcher les évêques d’y entrer), « et nous ôta la liberté d’y entrer et d’y célébrer les saints mystères. Tout homme qui soutient la vérité peut apprécier ou juger si telle est la conduite d’un évêque, ou s’il est permis à des chrétiens d’en agir ainsi. C’est notre  propre frère qui nous a fait ce que n’aurait pas fait un étranger ». (Que dirai-je de plus?

ils accumulent les accusations et condamnent Primianus; mais lisons la condamnation.)

« Nous donc, prêtres du Seigneur, en présence de l’Esprit-Saint, attendu que le même Primianus a substitué des évêques à d’autres qui étaient encore vivants; qu’il a admis des incestueux à la communion des saints;qu’il a tenté d’engager des prêtres à former une conjuration; qu’il a fait jeter dans un cloaque le prêtre Fortunat, qui venait par le baptême au secours des malades; qu’il a refusé de communiquer avec le prêtre Démétrius, afin d’obtenir la démission de son fils; qu’il a fait un crime à ce prêtre de l’hospitalité  donnée à des évêques; que ledit Primianus a lancé la multitude pour abattre les maisons des chrétiens; qu’il a fait assiéger d’abord , puis lapider par ses satellites des évêques et des clercs; qu’il a fait massacrer dans une église des vieillards qui voyaient avec peine les Claudianistes admis à la communion; qu’il a cru devoir condamner des clercs innocents; qu’il a refusé de se présenter devant nous pour être entendu, et qu’il a fermé et fait garder les portes des églises par des gens attroupés et des archers pour nous en interdire l’entrée; qu’il a ignominieusement repoussé les légats que nous lui avions envoyés; qu’il a usurpé plusieurs places, d’abord par la violence et ensuite par l’autorité judiciaire ». (Il abandonne pourtant ce qu’il a pris. L’apôtre saint Paul nous dit: « Quelqu’un d’entre vous ayant un différend avec un autre, ose-t-il bien l’appeler en jugement devant les infidèles et non devant les saints 1?» Voyez quel crime ils reprochent à Primianus, de n’avoir pas voulu décider de ces places au tribunal des évêques, mais à celui des juges.) « Sans

 

1. I Cor. VI, I.

 

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parler d’autres crimes dont il est coupable, et qu’une plume honnête se refuse à retracer, nous l’avons condamné à être à jamais séparé de l’assemblée des prêtres, de peur que son contact ne jette sur l’Eglise quelque souillure ou quelque crime. Tel est le sens de cet avertissement et de cette exhortation de saint Paul : Nous vous ordonnons, mes frères, au nom de Jésus-Christ, de vous séparer de tout frère qui marche dans le désordre 1. C’est pourquoi, n’oubliant point ce que nous devons à la pureté de l’Eglise, muons avons jugé à propos d’avertir nos saints collègues dans l’épiscopat, tous les clercs, tous les peuples qui se souviennent qu’ils sont chrétiens, d’avoir en horreur sa communion comme celle d’un damné. Quiconque aura tenté de violer par sa désobéissance ce présent décret, rendra compte de sa propre mort. Toutefois, il a paru bon au Saint-Esprit et à nous d’accorder quelque délai à ceux qui sont lents à se convertir, sen ce sens que tout prêtre ou tout clerc, assez oublieux de leur salut pour ne point se séparer de la communion de Primianus condamné, à dater du jour de sa condamnation, ou du huitième jour des calendes de juillet, jusqu’au huitième jour des calendes de janvier, tomberont sous l’anathème dont il est lui-même frappé. Quant maux laïques qui ne se seront point abstenus de toute relation avec lui depuis ledit jour de sa condamnation jusqu’à la prochaine solennité de Pâques, ils ne pourront être réconciliés à l’Eglise que par la pénitence, si toutefois ils rentrent en eux-mêmes. Victorin, évêque de Munat, j’ai signé. Fortunat, évêque de Dionysiane, j’ai signé. Victorien, évêque de Carcabie, j’ai signé. Florent, évêque d’Adrumète, j’ai signé. Miggin évêque d’Eléphantaire, j’ai signé. Innocent, évêque de Thébal, j’ai signé. Miggin, au nom de mon collègue Salvius, évêque de Membressitane, j’ai signé. Salvius, évêque d’Ausafe, j’ai signé. Donat, évêque de Sabrat, j’ai signé. Gémélius, évêque de Tanasbée, j’ai signé ». (Parmi ceux qui ont signé cette condamnation, nous lisons les noms de Prétextat, évêque d’Assurite, et de Félicien de Mustitane.) « Prétextat, évêque d’Assurite, j’ai signé. Maximien, évêque de Sabate, j’ai signé. Datien, évêque de Camicète, j’ai signé.

 

1. II Thess. III, 6.

 

Donat, évêque de Fisciane, j’ai signé. Théodore, évêque d’Usule, j’ai signé. Victorien, j’ai signé par ordre de l’évêque Agnose, mon collègue. Donat, évêque de Cebresut, j’ai signé. Natalien, évêque de Thélen, j’ai signé. Pomponius, évêque de Macriane, j’ai signé. Pancrace, évêque de Baliane, j’ai signé. Janvier, évêque d’Aquen, j’ai signé. Secundus, évêque de Jacondiane, j’ai signé. Pascase, évêque duBourg d’Auguste, j’ai signé. Creso, évêque de Conjustie, j’ai signé. Rogatien, évêque, j’ai signé. Maxime, évêque d’Erommène, j’ai signé. Bénénat, évêque de Tugutiane, j’ai signé. Ritanus, évêque, j’ai signé. Gaïanus, évêque de Tigual, j’ai signé. Victorin, évêque de Leptimagne, j’ai signé. Contaise, évêque de Bénèfe, j’ai signé. Quintaise, évêque de Capse, j’ai signé. Félicien, évêque de Mustitane, j’ai signé. Victorien, par délégation de l’évêque Miggin, j’ai signé. Latinus, évêque de Muge, j’ai signé. Proculus, évêque de Girbitane, j’ai signé. Donat, évêque de Sabrat, pour Marratius mon frère et collègue, j’ai signé. Proculus, évêque de Girbitane, au nom de Gallionus, mon collègue, j’ai signé. Secondien, évêque de Prisiane , j’ai signé. Helpidius, évêque de Tusdritane, j’ai signé. Donat, évêque de Samurdat, j’ai signé. Gétulicus, évêque de Victoriane, j’ai signé. Annibonius, évêque de Robarte, j’ai signé. Annibonius, encore à la prière de mon collègue, l’évêque d’Angendiare, j’ai signé. Tertullus, évêque d’Abite, j’ai signé. Primulien, évêque, j’ai signé. Secundinus, évêque d’Arusiane, j’ai signé. Maxime, évêque de Pittane, j’ai signé. Crescentianus, évêque de Murre, j’ai signé. Donat, évêque de Belme, j’ai signé. Persévérantius, évêque de Tébertine, j’ai signé. Faustin, évêque de Bine, j’ai signé. Victor, évêque d’Altiburitane, j’ai signé. En tout, cinquante-trois ».

21. Veuillez bien, mes frères, faire une simple remarque. C’est là ta condamnation, disons-nous à Primianus. Que veux-tu ? qu’elle ait de la valeur ou qu’elle n’en ait point ? je suis d’accord avec toi pour dire que tous ont menti contre toi ; et voici ce qui me le fait croire: c’est que tu as plaidé ta cause devant d’autres j tiges qui ont condamné ceux-là. Si donc je te crois innocent parce que, sans te présenter à des factieux, tu as prouvé ailleurs ton innocence de manière

 

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à faire condamner ceux qui t’avaient condamné; sache à ton tour reconnaître l’innocence de Cécilien, qui a refusé de comparaître devant tes ancêtres, pour réserver sa cause au jugement de l’univers entier, comme tu as réservé la tienne au jugement du concile des Numides. Si le siége de Bagaï t’a rendu ton innocence, à combien plus forte raison le Siége apostolique lui a rendu la sienne. Ou bien veux-tu donner de la valeur à sa première condamnation? Si elle a de la valeur, c’est contre toi. Car jamais cette condamnation n’a eu de valeur contre Cécilien, jamais elle n’en aura; prends garde toutefois de te condamner toi-même.

22. Ils osent bien dire ici :Mais nous, qui avons ensuite condamné les Maximianistes, nous étions en plus grand nombre. Donnez donc de la valeur au jugement rendu contre Félicien, et vous en donnerez alors à celui qui frappe Cécilien. Dans leur concile de Bagaï, ils ont aussi condamné Félicien maintenant Félicien est admis à la communion; donc, ou bien c’est un coupable que l’on a admis, ou bien un innocent que l’on a condamné. Si tu reçois un coupable, pour garder la paix avec Donat, cède à tous les peuples pour la paix de Jésus-Christ; mais si par erreur vous avez condamné un innocent; si trois cents évêques ont pu se tromper en condamnant Félicien, soixante-dix évêques n’ont-ils pu sans erreur condamner Cécilien? Qu’avez-vous donc à répondre ? quand on vous objecte : Les Maximianistes vous ont condamnés les premiers; vous répliquez en disant: Mais nous étions bien plus nombreux en condamnant les Maximianistes. On peut répondre à l’instant à chacune de vos objections : que c’est vous les premiers qui avez condamné Cécilien. Si l’on doit s’en tenir à la priorité dans le jugement, c’est aux Primianistes à céder au concile des Maximianistes; et si l’on s’en tient au plus grand nombre, c’est aux Donatistes à céder à l’univers entier: je ne vois rien de plus juste. Les Maximianistes sont peu nombreux, mais les premiers. Un accusé n’a pas le droit de condamner. Si c’est là ton avis, comment, sous le poids d’une condamnation, as-tu pu condamner un autre? Car il a signé avec ceux qui ont porté la sentence, et ils ne lui ont point gardé la place d’un homme qui plaide sa cause. Mais il en est autrement de Cécilien: on lui a gardé la place d’un homme qui se justifie, ainsi que le porte la sentence elle. même; car il n’a pas été admis à la communion sans avoir purgé son accusation. Mais ici Maxime est condamné par les juges, et là il est parmi les juges qui condamnent. Que ce soit là de l’équité dans le concile de Bagaï nous voulons bien vous l’accorder. C’est à tort que les Maximianistes t’ont condamné; comme c’est à tort que les premiers de votre secte ont condamné Cécilien. Tu t’es justifié à Bagaï, lui est justifié par une sentence d’outre-mer, sentence ratifiée par tout l’univers. Qu’as-tu donc à répondre? Nous sommes, dis-tu, en plus grand nombre que les Maximianistes. Eh bien! soyez plus nombreux, parlons alors du nombre. Voyez quelle différence. Les Maximianistes ont condamné eu toi un absent qui refusait de comparaître devant eux. C’est là une ressemblance, car tes ancêtres ont ainsi condamné Cécilien absent, et qui évitait leur faction. A ton tour tu les as condamnés quoique absents au concile de Bagaï: mais Cécilien s’est justifié en présence même de ses adversaires. Il y encore une autre différence bien grande : c’est toi-même qui es allé chercher des juges en Numidie, toi qui les as établis juges, les Maximianistes ne les avaient pas demandés: tandis que Cécilien a fait condamner Donat par les juges mêmes qu’avaient demandés les Donatistes. Les Maximianistes peuvent donc te répondre et à bon droit: Nous sommes d’abord venus près de vous, nous évêques de votre province, d’un diocèse qui vous appartient; nous avons voulu entendre votre cause; vous avez dédaigné de vous présenter devant nous. Si vous redoutiez notre juge. ment, nous devions du moins choisir les juges de concert, et vous n’aviez pas droit de choisir ceux que vous vouliez. Voyez encore quelle différence. Les Donatistes alors envoyèrent à l’empereur des suppliques pour qu’il nommât des juges; ils récusèrent ceux qui les avaient condamnés, et qu’ils avaient demandés avant leurs condamnations. On leur en donna d’autres selon leur requête, nouvelle con damnation; ils en appelèrent à l’empereur, nouvelle condamnation. Condamné une seule fois et en son absence, un maximianiste se tait; condamné trois fois, et toujours présent, un donatiste ne se tait point?

23. Entre toi et les Maximianistes, il reste (382) la question du nombre. Je l’ai dit : je suis d’accord avec toi. Trois cent dix sont plus que cent, ou ce qu’il y avait d’évêques Maximianistes contre Primianus : et les milliers d’évêques répandus par toute la terre, qui ont  condamné Donat pour soutenir Cécilien, se sont-ils donc pour toi d’aucune autorité ? Mais, diras-tu : est-ce que les milliers d’évêques répandus dans le monde entier ont condamné les Donatistes? Très-bien, ils ne les ont pas condamnés. Mais pourquoi? parce qu’ils n’ont pas assisté au jugement; et s’ils s’ont pas assisté au jugement, ils ne l’ont point condamné, puisqu’ils ne connaissent rien de cette affaire. Pourquoi donc te séparer de ces innocents? voilà un homme baptisé qui vient à toi des extrémités du monde, et tu veux le baptiser de nouveau, et lorsque tu le prépares à exercer ton ministère de mort, et à réitérer ce que l’on ne donne qu’une fois, il t’aborde avec de grands cris et des gémissements, et te dit : Que prétendez-vous faire? me rebaptiser? vous dit cet homme de je ne sais quel pays, de la Mésopotamie, de la Syrie, du Pont, ou même de plus loin. Mais vous n’avez pas le baptême, lui réponds-tu. Comment? lisez les lettres de l’Apôtre, que l’on m’a données. Voici venir je ne sais quel homme de Galatie, du Pont, un inconnu de Philadelphie ou d’une de ces églises auxquelles saint Jean a écrit u il vient de Colosses, il vient de Philippe, de Thessalonique : Je n’ai pas le baptême, vous dira-t-il, moi qui ai reçu les lettres de l’Apôtre, par la prédication duquel vous êtes baptisés ? Tu oses bien lire ces lettres, et refuser d’être en paix avec moi?

 

1. Apoc. I, 4.

 

 

 

 

 

 

 

TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVI.

TROISIÈME SERMON. — ENCORE LA FORCE DU JUSTE.

 

L’Eglise qui a été jeune et qui a vieilli, n’a point vu le juste manquer de pain ou de la parole de Dieu qui est le vrai pain. Elle a vu au contraire ce juste prêter, et surtout prêter au Seigneur en secourant les pauvres. Evitons le mal, mais cela est insuffisant si nous ne faisons le bien. Laissons faire l’impie dont la ruine sera complète; dans sa malice il peut bien épier le juste, mais il ne surprendra que le corps : l’âme lui échappera toujours. Ce que les Donatistes peuvent dire d’Augustin.

 

 

 

1. Il nous reste, mes frères, à vous exposer à discuter la troisième partie du psaume.

Je le vois; Dieu me rappelle pour m’acquitter de ma dette, à la vérité contre mon dessein, mais non contre les desseins de sa Providence. bien donc attentifs, mes frères, afin que, s’il v’est possible, avec le secours de Dieu, je fasse droit à une obligation dont je reconnais l’existence. De qui sont ces paroles que nous venons de chanter? « J’ai été jeune, maintenant j’ai vieilli ; et je n’ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain (Ps. XXXVI, 25) ». Si ce n’est qu’un seul homme qui parle ainsi, quelle durée peut avoir la vie un seul homme, et quelle merveille serait-ce qu’un homme placé dans quelque coin du monde, pendant toute sa vie qui est bien courte, comme toute vie humaine, quel que soit l’espace qui sépare la jeunesse de la vieillesse, n’eût point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain? Il n’y a là rien d’étonnant. Il est très-possible qu’avant sa naissance un juste ait demandé son pain; il est possible que cela soit arrivé dans un pays qu’il n’habitait pas. Ecoutez encore une difficulté qui m’embarrasse: voilà que le premier d’entre vous, qui a déjà de longues années, en jetant les yeux sur les jours qu’il a vus s’écouler, et en ramenant dans sa pensée tout ce qu’il a pu connaître, ne voit pour mendier son pain ,ni le juste, ni le fils du juste; et néanmoins, en feuilletant les Ecritures, il voit qu’Abraham, tout juste qu’il était,

 

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souffrit la faim dans le pays qu’il habitait, et dut changer de contrée 1; il voit que son fils Isaac, pressé aussi par la disette, alla chercher des vivres 2 en d’autres contrées. Où est maintenant la vérité de cette parole: « Je n’ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité chercher du pain? » Et quand même cette parole se vérifierait dans le cours de sa vie, la lecture des livres saints, plus croyable que la vie des hommes, lui montre néanmoins le contraire.

2. Que faire donc? Aidez-moi, je vous prie, de votre zèle et de votre piété, à comprendre dans les versets du psaume quelle est la volonté de Dieu, et les instructions qu’il veut nous donner. Il est à craindre, en effet, qu’un homme faible et incapable de comprendre les saintes Ecritures, voyant de bons serviteurs de Dieu dans quelque détresse et dans la nécessité de mendier leur pain, et réfléchissant à cette parole de saint Paul: « Nous travaillons dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité 3 », ne vienne à se scandaliser et à dire en lui-même : De bonne foi, ce que je viens de chanter est-il donc vrai; est-ce bien vrai, ce que je viens de chanter avec piété et debout dans l’Eglise: « Je n’ai jamais vu le juste abandonné, ni sa race mendier son pain? » Il est à craindre qu’il ne se dise que l’Ecriture le trompe; que ses membres ne se ralentissent dans l’exercice des bonnes oeuvres; et, ce qui est pire encore, que ces membres ne se ralentissent chez l’homme intérieur, qu’il n’abjure toute oeuvre pieuse et ne se dise dans son âme: A quoi bon faire le bien? à quoi bon partager mon pain avec l’indigent et vêtir celui qui est nu, et loger chez moi celui qui n’a point de refuge, dans la foi en cette parole: « Je n’ai jamais vu le juste abandonné ni sa race mendier son pain », quand je vois tant de vrais serviteurs de Dieu en proie à la faim? Et si je me trompe, ajoutera-t-il, au point de prendre pour juste et celui qui vit bien et celui qui vit mal, tandis que Dieu en juge tout autrement, et voit un méchant dans celui que je crois bon, du moins que dirai-je d’Abraham, que I’Ecriture elle-même appelle juste? Que dire de l’Apôtre saint Paul qui dit: « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 4 ? » Veut-il me souhaiter aussi les

 

1. Gen.XII, 10. —  2. Id. XXVI, 1. — 3. II Cor. XI, 27. — 4. I Cor. IV, 16.

 

maux qu’il a dû endurer: « La faim et la soif, le froid et la nudité 1? »

3. Un homme qui est dans ces pensées, et dont les forces intérieures sont, tomme je l’ai dit, affaiblies pour tout bien, pouvons-nous le prendre comme un paralytique, ouvrir le toit de ce passage de l’Ecriture, et le descendre aux pieds du Seigneur? Vous le voyez, il y a là de l’obscurité. S’il y a de l’obscurité, c’est qu’il y a un toit qui nous dérobe le sens, et je vois devant moi un paralytique spirituel. Je vois donc ce toit, et je sais que le Seigneur est caché sous ce toit. Je ferai alors, autant qu’il me sera possible, ce que le Seigneur approuva dans ceux qui découvrirent le toit et descendirent le paralytique aux pieds du Christ qui lui dit: «Mon fils, prenez courage, vos péchés vous sont remis 2». Puis il guérit cet homme de la paralysie intérieure, en lui remettant ses péchés et en affermissant sa foi. Mais il y avait là des hommes dont les yeux ne pouvaient voir la guérison de la paralysie intérieure, et qui prirent pour un blasphémateur le médecin qui l’avait faite. « Quel est», disaient-ils, « cet homme qui remet les péchés? Il blasphème. Quel autre que Dieu peut remettre les péchés 3? » Et comme ce médecin était Dieu, il entendit ces pensées dans leurs coeurs. Ils croyaient que cette oeuvre était vraiment de Dieu, et ils ne voyaient point Dieu présent devant eux. Ce médecin agit donc aussi sur le corps du paralytique, afin de guérir encore la paralysie intérieure de ceux qui tenaient ce langage. Il fit une oeuvre qu’ils pussent voir et il leur donna la foi. Courage donc ! ô toi dont le cœur est faible, languissant jusqu’à laisser toute bonne oeuvre, à la vue de tout ce qui se passe dans le monde; toi qui es perdu intérieurement courage! découvrons ce toit, s’il nous est possible, afin de descendre aux pieds du Seigneur.

4. Dans l’Eglise, qui est son corps mystique, le Seigneur fut jeune dans les premiers temps et maintenant il a vieilli. C’est là ce que vous savez, ce que vous reconnaissez, ce que vous comprenez, parce que vous faites partie de ce corps et que vous comprenez que le Christ est notre chef, et que nous sommes les membres de ce chef 4? Mais n’y a-t-il que nous, et tous ceux qui nous ont précédés ne le sont-ils pas comme nous? Tous ceux qui ont été justes

 

1. II Cor. XI, 17. — 2. Luc, V, 18-22. — 3. Ibid. et Matt, IX, 3. — 4.  Cor. XII, 27; Ephés. IV, 15.

 

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dès l’origine du monde ont le Christ pour chef. Car ils ont cru qu’il viendrait comme sous croyons qu’il est venu ; et tout comme nous, ils ont été guéris par la foi qu’ils avaient en lui : c’est ainsi qu’il est le chef de toute la cité de Jérusalem, formée de tous les fidèles depuis le commencement du monde jusqu’à la fin, en y ajoutant les légions et les armées les anges, de manière à ne composer qu’une seule cité sous un seul roi, comme une seule province soumise à un seul empereur, heureuse dans une paix, dans un salut inaltérable, bénissant Dieu sans fin dans une félicité sans fin. Or, ce corps de Jésus-Christ, ou l’Eglise 1, ressemble à un homme: il a été jeune, et voilà qu’à la fin des siècles il jouit d’une vieillesse heureuse, de celle dont il est dit : «Ils se multiplieront dans une vieillesse féconde 2 ». Elle lest multipliée en effet parmi les nations, et sa voix est comme celle d’un homme qui consi1ère d’abord ses jeunes années, puis celles de son déclin; il considère tout, parce que l’Ecriture lui fait connaître tous ses âges; et dans un transport de joie il nous donne cet avis: « J’ai été jeune », dans le premier âge du monde, « et voilà que j’ai vieilli », car j’en suis aux derniers temps « et jamais je n’ai vu le juste abandonné, non plus que sa race mendiant son pain ».

5. Nous connaissons donc cet homme, jeune autrefois, maintenant vieilli, et par l’ouverture du toit nous arrivons au Christ. Mais quel est donc ce juste que l’on n’a point vu dans l’abandon, et dont la race n’a pas mendié son pain? Savoir quel est ce pain, c’est connaître injuste. Or, le pain est la parole de Dieu, qui ne sort jamais de la bouche du juste. C’est là ce que répondit ce juste lui-même tenté dans son chef. Quand le diable dit à Jésus-Christ qui souffrait du jeûne et de la faim : « Dis que ces pierres se changent en pain», il répondit: « L’homme ne vit pas seulement-de pain, mais de toute parole de Dieu ». Or, soyez, mes frères, quand est-ce que le juste ne fait point la volonté de Dieu? Il la fait toujours, puisqu’il conforme sa vie à cette volonté, et que cette volonté de Dieu ne sort point de son coeur, car la volonté de Dieu, c’est la loi de Dieu. Or, qu’est-il dit de lui ? « Qu’il méditera cette loi jour et nuit ». Tu manges du pain matériel pendant une heure,

 

1. Coloss. I, 18, 24. — 2. Ps. XCI, 15. — 3. Matt. IV, 3, 4. —  Ps., I, 2.

 

 

puis c’est assez ; mais le pain de la parole, tu en manges nuit et jour. L’écouter ou la lire, c’est manger; y penser, c’est la ruminer, afin d’être parmi les animaux purs, et non parmi les impurs 1. C’est là ce que vous dit la sagesse par la bouche de Salomon: « Un trésor désirable demeure dans la bouche de l’homme sage; mais l’homme insensé l’avale d’un trait 2». Or, avaler de manière à ne rien laisser voir de ce qu’on a avalé, c’est oublier ce que l’on a entendu. Mais l’homme qui ne l’oublie point, le rumine dans sa pensée, et trouve son plaisir à ruminer ainsi. De là cette parole : « Une sainte pensée te gardera 3.» Si donc en ruminant ce pain, tu as pour gardienne une sainte pensée, « tu n’as jamais vu le juste délaissé, ni sa race mendiant son pain ».

6. « Chaque jour il est pris de pitié et il prête 4». Le mot latin foeneratur peut se dire de celui qui prête et de celui qui reçoit en prêt. Il serait plus clair pour nous de dire: Il prête, fœnerat. Que nous importe ce qu’en diront les grammairiens? Il vaut mieux me mettre à votre portée avec un barbarisme, que d’être si disert, pour vous laisser dans le désert. Donc ce juste « est chaque jour pris de pitié, et il prête ». Mais que les prêteurs ne s’en réjouissent point. De même, en effet, qu’il y a pain et pain, nous trouvons aussi prêteur et prêteur ; afin que nous découvrions totalement le toit pour arriver à Jésus-Christ. Je ne veux point que vous soyez prêteurs; et si je ne le veux point, c’est que Dieu lui-même ne le veut point. Car si je le défends seul, et que Dieu le permette, agissez, prêtez; mais, si Dieu ne le veut point, j’aurai beau le vouloir, celui qui le ferait courrait à sa perte. Comment savoir que Dieu ne le veut point? Il est dit ailleurs: Le juste « n’a point donné son argent à usure 5 ». Et tous les prêteurs, ce me semble, comprennent combien l’usure est un crime détestable, odieux , exécrable. Et pourtant, moi qui vous parle, ou plutôt Dieu que nous adorons, et qui vous défend de prêter à usure, vous ordonne ailleurs de prêter à usure; il vous dit: Prêtez à Dieu avec usure. Tu as de l’espérance en prêtant à un homme, et tu n’en aurais pas en prêtant à Dieu? Si tu as prêté ton argent à usure, c’est-à-dire si tu l’as confié à un homme dont tu espères retirer

 

1. Lévit. I. — 2. Prov. XXI, 20. — 3. Id. II, 11. — 4. Ps. XXXVI, 26. —     5. Ps. XIV, 5.

 

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plus que tu n’as donné, non pas ton argent seulement, mais quelque chose de plus que tu n’as prêté, soit en froment, soit en vin, soit en huile, soit en toute autre denrée; si, dis-je, tu espères plus que tu n’as donné, tu es usurier, et en cela tu es plus blâmable que louable. Comment donc faire, me diras-tu, pour tirer un certain profit d’un prêt? Vois ce que fait le prêteur à usure. Il veut assurément donner moins et retirer plus; fais de même donne peu, et reçois plus. Vois les proportions larges que prendra ton usure. Donne les biens temporels et tu recevras ceux de l’éternité; donne la terre, tu recevras le ciel. Mais à qui la donner? me diras-tu peut-être. Voilà Dieu qui se présente, pour que tu la lui prêtes à usure, lui qui te défendait l’usure. Ecoute dans l’Ecriture comment tu prêteras au Seigneur: « Celui-là prête à usure au Seigneur», est-il dit, « qui a pitié du pauvre 1 ». Assurément Dieu n’a pas besoin de toi, mais un autre en a besoin. Ce que tu donnes à l’un, l’autre le reçoit pour lui. Car le pauvre n’a rien à te rendre; il le voudrait faire, mais il ne trouve rien; il ne lui reste que la bonne volonté de prier pour toi. Or, un pauvre qui prie pour toi, semble dire à Dieu: Seigneur, j’ai fait un emprunt, soyez ma caution. En ce cas, si le pauvre n’est pas solvable , tu auras dans Dieu une belle garantie. Voilà que Dieu te dit dans les Ecritures : Donne sans crainte, c’est moi qui suais caution. Que disent ordinairement les hommes qui garantissent? Quel est leur langage? C’est moi qui vous le rendrai, c’est moi qui reçois, c’est à moi que vous le donnez. Croyez-vous que Dieu vous dise aussi: C’est moi qui reçois, c’est à moi que tu donnes? Oui, assurément, si le Christ est Dieu, comme je n’en doute pas, lui qui a dit: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». Et comme on lui demandait : « Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim? » afin de nous montrer qu’il est réellement caution pour les pauvres, qu’il répond pour tous ses membres, car il est le chef et eux sont les membres, et ce que reçoivent les membres, le chef le reçoit aussi: «Ce que vous avez fait au moindre de ceux qui m’appartiennent », répond-il, « c’est à moi que vous l’avez fait ». Courage donc, usurier avare, vois ce que tu as donné, vois ce que tu recevras. Si tu n’avais donné qu’une modique somme d’argent,

 

1. Prov. XIX, 17.

 

et que l’emprunteur te donnât pour cette modique somme une magnifique villa d’un prix bien supérieur à l’argent que tu as donné, quelles actions de grâces tu lui rendrais, quelle joie serait la tienne ! Ecoute quel domaine va te donner ton emprunteur: «Venez, bénis de mon Père, recevez », quoi? ce que vous avez donné? Oh! non. Vous avez donné des richesses terrestres, qui se seraient rouillées en terre, si vous ne les aviez prêtées. Qu’en eussiez-vous fait si vous ne les eussiez données? Ce qui devait périr dans la terre, se conserve dans le ciel. C’est donc ce dépôt conservé que nous devons recevoir. C’est votre mérite qui est conservé, et c’est ce mérite qui est votre trésor. Vois, en effet, ce qui va t’échoir: « Recevez le royaume qui vous été préparé dès l’origine du monde». Quelle parole, au contraire, entendront ceux qui n’ont rien voulu prêter? « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges». Et que faut-il entendre par ce royaume? Ecoutes ce qui suit: « Ceux-ci iront au feu éternel, et les justes dans la vie éternelle 1 ». Voilà ce qu’il faut ambitionner, ce qu’il faut acheter, ce qu’il faut acquérir par des usures. Celui qui vous tend la main sur la terre, c’est le Christ qui règne dans les cieux. Voilà comment prête le juste : « Tout le jour il est pris de pitié, et il prête à usure ».

7. « Et sa race sera en bénédiction 2 ». Ici rejetons toute pensée charnelle. Nous voyons

bien souvent mourir de faim les enfants du justes; comment donc « sa postérité sera-t-elle dans la bénédiction? » Cette race doit s’entendre de ses oeuvres, ce qu’il sème pour récolter ensuite. Car l’Apôtre a dit: « Ne nous lassons pas de faire le bien; car nous moissonnerons dans le temps, sans nous fatiguer. C’est pourquoi, pendant qu’il en est temps, faisons du bien à tous 3 ». Telle est votre postérité qui sera en bénédiction. Tu confies une semence à la terre, et tu la recueilles au centuple, et tu la perdrais en la confiant au Christ? Remarque bien le mot de semence expressément employé par l’Apôtre à propos des aumônes. Voici ses paroles : « Celui qui sème peu recueillera peu; et celui qui sème dans la bénédiction moissonnera dans les bénédictions4 ». Mais peut-être est-ce pour toi une peine de semer, et ton coeur est-il

 

1. Matt. XXV, 34-46. — 2. Ps. XXXVI, 26.— 3. Gal. VI, 9.— 4. II Cor. IX 6.

 

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ému à la vue des malheureux. Car nul doute qu’un jour nous ne soyons plus heureux de n’avoir plus personne à soulager. Quand tous seront devenus incorruptibles, il n’y aura plus ni affamé à qui tu puisses donner à manger, ni altéré à qui donner à boire, ni homme nu à revêtir, ni étranger à recevoir; nais ici-bas nous semons dans les larmes, dans les tentations, dans les douleurs, dans les gémissements. Vois ce que dit un autre psaume: «  Ils allaient et pleuraient en répandant leur semence ». Vois aussi que « sa semence sera en bénédiction : — mais ils reviendront avec joie en portant leurs gerbes 1 ».

8. Vois donc ce qui suit et abjure la paresse: « Evite le mal et fais le bien 2 ». Garde-toi de croire qu’il te suffira de ne point enlever à un homme son vêtement. Ne pas le dépouiller, c’est s’abstenir du mal; mais ne le dessèche pas, ne deviens pas stérile. Sache tout à la fois, et ne pas dérober le vêtement, et revêtir celui qui est nu. C’est là éviter le mal pour faire le bien. Que m’en reviendra-t-il, diras-tu? Déjà celui à qui tu as prêté, t’a dit ce qui t’en reviendra; il te donnera la vie éternelle, prête-lui sans crainte. Ecoute encore ce qui suit: « Détourne-toi du mal et fais le bien; et tu habiteras les siècles des siècles ». Et ne va point croire que tes dons ne soient vus de personne, ou que Dieu t’abandonne quand, après une aumône faite à l’indigent, il te survient quelque dommage ou quelque perte à déplorer; ne dis pas : De quoi me sert d’avoir fait de bonnes oeuvres? Je crois que Dieu n’aime point ceux qui font le bien. — D’où vient, mes frères, ce bruit, ce murmure, si ce n’est que l’on entend souvent ce langage? Chacun le reconnaît à cet instant, ou dans sa propre bouche, ou dans bouche d’un voisin, ou dans celle d’un ami. Je supplie Dieu de le faire disparaître et d’arracher toutes les épines de son champ; qu’il y mette le bon grain et l’arbre fruitier. — Pourquoi donc, ô homme, après avoir fait aumône, t’affliger d’une perte que tu es-les? Ne vois-tu pas que tu perds ce que tu avais pas donné. Pourquoi ne pas jeter les feux sur le Dieu que tu sers? Où est donc ta loi? Pourquoi dort-elle ainsi? Réveille-la dans ton coeur. Ecoute ce que le Seigneur luienênie t’a dit, quand il t’exhortait à faire ces sortes de bonnes oeuvres : « Faites-vous des

 

1. Ps. CXXV, 6.— 2. Ps. XXXVI, 27.

 

 

bourses qui ne s’usent point, un trésor qui ne s’épuise jamais, dans ce ciel dont n’approche pas le voleur » . Rappelle-toi ces paroles quand une perte t’afflige. Pourquoi pleurer, ô insensé, ô homme au coeur étroit, sinon dépravé? Pourquoi as-tu perdu, sinon parce que tu n’as pas prêté? Pourquoi cette perte? qui te la fait essuyer? Le voleur, diras-tu. Ne t’avais-je donc point averti de ne rien mettre où le voleur peut venir? Si donc il s’afflige, celui qui essuie une perte, qu’il s’afflige de n’avoir point placé son argent où il n’aurait pu le perdre.

9. « Car le Seigneur aime la justice, et il n’abandonnera point ses saints 2 ». Quand les saints sont dans la peine , gardez-vous de croire que Dieu ne juge point les hommes, ou qu’il les juge sans équité. Celui qui t’avertit de juger avec justice, pourrait-il juger d’une manière perverse? « Il aime donc la justice et n’abandonne point ses saints». Mais il agit de manière que la vie des saints soit cachée en lui, et que tous ceux qui souffrent sur la terre soient comme des arbres que l’hiver a dépouillés de leurs fruits et de leur feuillage; mais, quand il apparaîtra comme un soleil nouveau, ils montreront par des fruits la vie qu’ils conservaient dans leur racine. « Il aime donc la justice et n’abandonnera point ses saints ». Mais ce saint souffre de la faim? Dieu ne l’abandonnera pas, « lui qui afflige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 3 ». Tu le méprises quand il est dans la peine, tu seras dans la stupeur à la vue de ses richesses. D’où lui vient sa peine? Des maux passagers. Quand sera-t-il dans les richesses? Quand il entendra: « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous est préparé dès  l’origine du monde 4 ». Ne recule donc point devant la peine, afin d’être parmi ceux qui méritent d’être admis. Dieu aime tellement la justice qu’il n’abandonne point les saints, bien qu’il les afflige pour un temps; et comme il afflige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il n’a pas épargné son Fils unique, bien qu’il ne trouvât en lui aucun péché. « Le Seigneur donc aime la justice, et il n’abandonne point ses saints ». Mais s’il ne les abandonne pas, leur donnera-t-il par hasard ce que tu désires ici-bas, des années

 

1. Luc, XII, 33. — 2. Ps. XXXVI, 28. — 3. Hébr. XII, 6. — 4. Matt. xxv, 34

 

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nombreuses, une vieillesse prolongée? Tu ne vois pas qu’en désirant la vieillesse, tu désires ce qui sera un sujet de plainte quand il arrivera. Ferme donc l’oreille à toute âme ou méchante, ou infirme, ou bornée, qui te dirait « Comment se peut-il que Dieu aime la justice et n’abandonnera point ses saints? » A la vérité, il n’a point abandonné les trois enfants qui le bénissaient dans la fournaise : le feu ne les toucha point 1; mais les Macchabées n’étaient-ils pas des saints, quand leur corps et non leur foi succomba dans les flammes 2 ? Il est vrai, diras-tu, que c’est là une grande difficulté, de voir que ces hommes demeurent fermes dans la foi et que Dieu les abandonne. Ecoute ce qui suit : « Ils seront conservés pour l’éternité ». Tu leur souhaitais quelques années; et, pour le Seigneur, les leur accorder, c’eût été, penses-tu, ne pas les abandonner. Il accordait une protection visible aux enfants de la fournaise, aux Macchabées une protection invisible ; il confondait les infidèles en donnant aux premiers la vie du temps; il préparait à l’impiété des juges en couronnant les seconds d’une manière invisible; et il n’abandonnait ni les uns ni les autres, lui « qui n’abandonnera point ses saints». Et les trois enfants n’eussent obtenu qu’une mince faveur, s’ils n’eussent eu l’éternité pour expectative « Ils seront conservés pour l’éternité ».

10. « Quant aux injustes, ils seront châtiés, et la race des impies périras. » De même que la race du juste sera en bénédiction, « la race de l’impie périra ». Car sa race signifie ses oeuvres. Autrement, nous avons vu le fils de l’impie florissant dans le monde, parfois devenir juste et fleurir en Jésus-Christ. Cherche donc bien le sens, afin d’ouvrir le toit et de parvenir jusqu’au Seigneur 3. Le sens charnel serait une erreur pour toi. Mais ce que sème l’impie, ou les oeuvres des impies, périront et ne fructifieront point; car ils n’ont de la force que pour un temps; ils chercheront plus tard et ne trouveront rien de ce qu’ils auront fait. Car voici les plaintes de ceux qui auront perdu leurs oeuvres: « De quoi nous a servi notre orgueil et le vain étalage de nos richesses? Tout cela s’est dissipé comme l’ombre 4 ». Donc la race de l’impie périra.

11. « Quant aux justes, ils posséderont la terre en héritage 5 ». Encore une fois, loin

 

1. Dan. III, 50. — 2. II Macch. VII, 7. — 3. Luc, V, 19. — 4. Sag. V, 8. — 5. Ps. XXXVI, 29.

 

 

de toi l’avarice; qu’elle ne vienne point te promettre de vastes domaines et te faire espérer ce que tu as ordre de mépriser. Cette terre est celle des vivants, celle des saints. C’est pour cela qu’il est dit: « Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants 1 ». Car si telle est ta vie, comprends alors la terre qui doit t’échoir. C’est la terre des vivants, tandis que celle-ci est la terre des mourants, et qui recevra morts ceux qu’elles nourris vivants. Donc, telle terre, telle vie; si la vie est éternelle, la terre aussi sera éternelle. Mais comment cette terre sera-t-elle éternelle? « Ils l’habiteront pendant les siècles des siècles ». Il y aura donc une autre terre que nous habiterons éternellement. Car il est dit de celle-ci que « le ciel et la terre passeront 2 »

12. « La bouche du juste méditera la sagesse 3 ». C’est là le pain dont nous avons parlé: voyez avec quelles délices notre juste s’en nourrit, comment, dans sa bouche, il savoure la sagesse. « Sa langue publiera la justice, La loi de son Dieu est dans son  cœur 4 ». L’on ne peut croire qu’il a dans la bouche ce qu’il n’a pas dans le coeur, à le comparer à ceux dont il est dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais leurs coeurs sont loin de moi 5 . Sa langue publiera la justice  parce que la loi de Dieu est dans son cœur. » Et quel est son avantage ? C’est que ses pieds « ne seront point pris au piége ». La parole de Dieu, dès qu’elle est dans notre coeur, nous préserve de tout piége; la parole de Dieu, si elle est dans notre coeur, nous détourne de la voie mauvaise; la parole de Dieu dans notre coeur nous éloigne de toute chute. Il est avec toi celui dont la parole ne s’éloigne point de ton coeur. Mais quel mal peut arriver à celui dont Dieu est le gardien? Tu commets un homme pour garder ta vigne, et tu oses sûreté contre les voleurs; et toutefois, un gardien peut s’endormir, il peut s’abattre et laisser passer le voleur: « Or, celui qui garde Israël ne dormira point, ne s’assoupira point 6 car la loi de Dieu est dans son coeur; et ses pieds ne seront point pris au piége » Qu’il vive donc en paix, qu’il soit en paix parmi les méchants, en paix parmi les impies. Quel mal peut faire au juste l’homme impie, l’homme d’iniquité?

 

1. Ps. CXLI, 6. — 2. Matt. XXXIV, 35.— 3. Ps. XXXVI, 30 — 4. Id. 31— 5. Isa. XXIX, 13.— 6. Ps. CXX, 4.

 

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Considère la suite : «Le pécheur épie le juste, il cherche à lui donner la mort 1». Il tient en effet ce langage consigné au livre de la Sagesse: « Nous sommes fatigués de le voir, car sa vie diffère de la vie des autres 2 » Il cherche donc à le faire mourir. Mais quoi? Le Seigneur qui le garde, qui habite avec lui, qui ne sort ni de sa bouche ni de son coeur, l’abandonnera-t-il? Où est donc ce que nous lisions plus haut: « Il n’abandonnera point ses saints 3? »

13. Donc « le pécheur épie le juste et cherche à lui donner la mort; mais le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les mains 4 ». Pourquoi donc a-t-il abandonné les martyrs aux mains des impies? Pourquoi ceux-ci en ont-ils fait ce qu’ils ont voulu? Ils ont frappé celui-ci du glaive, cloué cet autre à la croix, livré celui-là aux bêtes, condamné ceux-ci au feu, jeté ces autres dans les cachots, pour les faire mourir plus lentement. Il est certain toutefois que le Seigneur n’abandonnera point ses saints; « car le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les mains ». Pourquoi donc enfin a-t-il abandonné son Fils aux mains des Juifs? Ici , ouvre le toit 5, si tu veux être guéri de toute paralysie intérieure; arrive jusqu’au Seigneur, écoute ce que l’Ecriture nous dit ailleurs, car elle prévoyait ce que les impies feraient souffrir su Sauveur; que dit-elle donc? « La terre est livrée aux mains de l’impie 6 ». Qu’est-ce à dire que la terre est livrée aux mains de l’impie ? La chair est entre les mains des persécuteurs. Car le Seigneur, dans cette occasion, n’a point abandonné son juste, et de cette chair captive il a tiré une âme indomptée. Le Seigneur abandonnerait le juste au pouvoir des méchants, s’il le laissait consentir à leurs desseins; et c’est pour éviter ce malheur que dans un autre psaume le Prophète faisait cette prière: « Ne me livrez point, Seigneur, à l’homme du péché, d’accord avec mes désirs 7 ». Il est à craindre que vous ne tombez de vos désirs dans les mains du pécheur, et que votre amour pour cette vie d’un jour ne vous jette sous sa puissance, et ne vous fasse perdre ainsi la vie éternelle. De quel désir encore ne veut-il point tomber entre les mains du pécheur? De celui dont un autre prophète a dit: « Je n’ai point désiré le jour

 

1. Ps. XXXVI, 32. — 2. Sag. II, 15.— 3. Ps. XXXVI, 28. — 4. Id. 33. — 5. Luc, V, 19. — 6. Job, IX, 24. — 7. Ps. CXXXIX, 9.

 

 

de l’homme, vous le savez 1 ». Car celui qui désire vivement le jour de l’homme, et qui n’a point l’espérance de la vie éternelle, ne peut que s’abandonner aux volontés d’un adversaire qui le menace de le tuer, et dès lors de lui faire perdre cette vie ou le jour de l’homme. Mais pour celui qui écoute cette parole du Seigneur : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme 2 », quand ce qui est terre serait livré entre les mains des impies, l’esprit s’en irait, la terre seule serait captive; et, l’âme demeurant libre, la terre ressusciterait. L’esprit est changé pour aller à Dieu, la terre sera changée pour aller au ciel. Rien ne périt de cette terre livrée pour un temps aux mains des pécheurs : « Les cheveux de votre tête sont comptés 3».Soyez donc en sûreté, si Dieu est en votre intérieur. En chasser le diable, c’est y admettre Dieu. « Le Seigneur n’abandonnera pas le juste aux mains du méchant, et ne le condamnera point quand il le jugera ». On lit dans quelques exemplaires : « Et quand Dieu le jugera, le jugement sera pour lui ». « Pour lui », signifie qu’il sera l’objet du jugement. C’est ainsi que nous pouvons dire à quelqu’un : Jugez-moi, pour : entendez ma cause. Lors donc que le Seigneur entendra la cause de son juste: « Car nous devons tous comparaître au tribunal  du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps 4»; quand donc arrivera le jugement du juste, Dieu ne le condamnera point, bien qu’en cette vie les hommes paraissent le condamner. Et si le proconsul prononça une sentence contre Cyprien, il y a une différence entre le tribunal de la terre et le tribunal du ciel : celui de la terre le condamna, celui du ciel lui décerna la couronne. « Il ne le condamnera point lorsqu’il passera au jugement».

14. Mais quand cela sera-t-il? Ne croyez point que ce soit maintenant; car maintenant c’est le temps de travailler, le temps de semer, le temps d’endurer le froid; mais semez en dépit des vents et de la pluie, ne soyez point paresseux; viendra l’été qui vous consolera, et alors vous vous réjouirez d’avoir semé. Que faire donc maintenant? « Attends le Seigneur ». Et en l’attendant, que faire?

 

1. Jérém. XVII, 16. — 2. Matt. X, 28. — 3. Id. 30. — 4. II Cor. V, 10.

 

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« Garde ses voies ». Et si je les garde, quelle sera ma récompense? « Il t’élèvera, afin que tu aies la terre en héritage 1 ». Quelle terre? Encore une fois, ne porte point ta pensée sur quelque villa ; c’est la terre dont il est dit « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès l’origine du monde 2 ». Et qu’arrivera-t-il à ceux qui nous ont torturés, au milieu desquels nous gémissons, dont nous avons supporté les scandales, et dont les fureurs ont rendu vaines toutes les prières que nous faisions pour eux? Voici la suite : « Tu seras témoin de la perte des méchants » ; et tu la verras de tout près, car tu seras à la droite et eux à la gauche. C’est ce que l’on voit des yeux de la foi; or, ceux qui ne les ont point, s’affligent du bonheur des méchants, ils croient que leur propre justice est inutile, quand ils voient l’impie en honneur. Mais pour celui qui a l’oeil de la foi, quel est son langage ? « J’ai vu l’impie élevé, il dépassait en hauteur les cèdres du Liban 3 ». Le voilà donc élevé, il plane dans les hauteurs, et après? « Et j’ai passé, et il n’était déjà plus; et je l’ai cherché sans trouver même sa place 4». Pourquoi n’était-il plus, et sa place ne se trouvait-elle point? Parce que tu as passé. Mais si tu as encore des pensées charnelles, si un bonheur terrestre te paraît encore le vrai bonheur, tu n’as pas encore passé, tu es égal ou même inférieur à l’impie; marche donc et passe; et lorsque dans ta marche tu l’auras dépassé, regarde avec foi, et en voyant sa fin tu diras en toi-même : Ce n’est point là cet homme si enflé d’orgueil; tu croiras passer près d’une grosse fumée. Car c’est encore là ce qu’a dit plus haut notre psaume : « Ils s’évanouiront comme s’évanouit la fumée ». La fumée s’élance dans les airs, s’élève comme un épais tourbillon. Plus elle s’élève, plus elle se dilate. Mais quand tu seras passé, regarde en arrière; il n’y aura que de la fumée derrière toi, si Dieu est devant toi. Ne regarde point derrière avec des regrets, comme regarda la femme de Loth, qui demeura en chemin ; mais regarde avec mépris, et tu verras que le méchant n’est plus nulle part, et tu chercheras sa place. Quelle est sa place? Sa place consiste dans son pouvoir, dans ses richesses, dans le rang

 

1. Ps. XXXV, 34.— 2. Matt. XXV, 34.— 3. Ps. XXXVI, 35.— 4. Id. 36.— 5. Gen. XIX, 26.

 

qu’il occupe dans Je monde, qui lui assujettit le grand nombre, en sorte qu’il commande et qu’on lui obéit. Cette place donc n’existera plus, mais elle passera et tu pourras dire:

« J’ai passé et voilà qu’il n’était plus». Qu’est. ce à dire : j’ai passé? Je me suis avancé, je suis arrivé à la vie spirituelle, je suis entré dans le sanctuaire de Dieu, afin de contempler la fin du méchant 1 « Et voilà qu’il n’était plus; je l’ai cherché sans même trouver sa place ».

15 « Garde l’innocence ». Garde-la avec le même soin que tu gardais ton argent lorsque tu étais avare; comme tu gardais ta bourse de peur qu’elle ne devînt la proie du voleur; veille avec le même soin sur ton innocence, de peur que le démon ne te la ravisse; qu’elle te soit un patrimoine assuré, elle qui enrichit même les pauvres. « Garde ton innocence ». De quoi te servirait de gagner de l’or et de perdre l’innocence? « Garde l’innocence et considère la justice 2 ». Que tes yeux soient droits pour voir ce qui est droit, mais non mauvais pour voir les méchants, ni obliques de manière que Dieu lui-même te paraisse oblique ou injuste, favorisant l’impie et persécutant le fidèle. Ne vois-tu point combien ta vue est oblique? Corrige alors tu yeux « et regarde en droite ligne ». Quelle droite ligne? Ne considère pas les choses présentes. Et que verras-tu? « Qu’il reste quelque chose à l’homme de la paix ». Quel est ce « reste? » Qu’après ta mort tu rie seras point mort; voilà ce qui reste. Il y aura donc pose le juste quelque chose après cette vie; c’est-à-dire que sa semence sera en bénédiction. De là vient que le Seigneur a dit: « Celui qui croira en moi vivra quand même il serait mort 3 » ; car il reste quelque chose à l’homme de la paix.

16. « Quant aux méchants, ils périront, in idipsum », dit le latin. Qu’est-ce à dire, in idipsum? Ou bien, pour l’éternité, ou toi ensemble. « Ce qui reste de l’impie périra 4. Mais il reste quelque chose à l’homme pacifique; donc tous ceux qui ne sont point pacifiques sont impies. « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés les enfant de Dieu ».

17. « Mais le salut des justes vient du Seigneur, il est leur soutien au jour de la

 

1. Gen. LXXII, 17. — 2. Id. XXXVI, 37. — 3. Jean, XI, 25. — 4. Ps. XXXVI, 38.— 5. Matt. V, 9.

 

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tribulation: Le Seigneur les aidera, les sauvera, les délivrera des mains des pécheurs 1». Que les justes tolèrent donc maintenant les pécheurs, que le bon grain tolère l’ivraie, que le froment tolère la paille; car viendra le temps de la séparation, et l’on tirera le bon grain de ce que le feu doit consumer; l’un sera mis dans les greniers célestes, l’autre jeté aux flammes éternelles; Dieu n’avait laissé le juste et l’injuste vivre ensemble qu’afin que l’un tendît des piéges, que l’autre fût éprouvé, et qu’ensuite le premier fût condamné, le second couronné.

18. Grâces à Dieu, mes frères; par la grâce du Christ nous avons acquitté notre dette, sais la charité me tient toujours en redevance; car elle est une, et l’acquitter tous les jours, c’est la devoir tous les jours. Nous avons beaucoup parlé contre les Donatistes, nous avons apporté beaucoup de faits, beaucoup d’actes en dehors des règles des Ecritures, parce qu’ils nous y ont forcé. Car s’ils me blâment de vous avoir fait ces lectures, j’accepte leur blâme, pourvu que vous soyez instruits. En ce cas, en effet, nous pouvons leur répondre : « J’ai fait une folie, et vous m’y avez contraint 2 ». Du reste, mes frères, conservez avant tout notre héritage, dont nous sommes assurés par le testament de notre Père, non par l’acte frivole d’un homme, mais bien par le testament de notre Père. Soyons en pleine sécurité; car celui qui a fait ce testament vit toujours. Lui qui a fait le testament à l’héritier, jugera lui-même de son testament. Chez les hommes, autre est le testateur et autre le juge; et pourtant, celui qui s’en tient au testament gagne sa cause auprès d’un autre qui est juge, non auprès d’un juge qui serait mort. Combien nous devons être certains de la victoire, quand c’est le testateur qui doit nous juger! Car si le Christ est mort pour un temps, il vit pour l’éternité 3.

19. Qu’ils disent donc de nous ce qui leur plaira, nous les aimerons même en dépit d’eux. Nous connaissons, mes frères, nous connaissons ce qu’ils savent dire; gardons-nous de nous en irriter contre eux, supportez-le patiemment avec nous. Ils voient qu’il ne leur reste aucune réplique, et ils se tournent contre nous-même, versant le blâme sur nous, disant bien des choses qu’ils savent,

 

1. Ps. XXXVI, 39, 40.— 2. II Cor. XII, 11. — 3. Rom. V, 9.

 

et bien des choses qu’ils ne savent pas. Ce qu’ils savent, c’est notre passé; car, dit l’Apôtre, « nous fûmes jadis insensés, incrédules, éloignés de toute bonne œuvre ». Contre toute sagesse et avec folie nous avons donné dans une erreur funeste, nous sommes loin de le nier; et moins nous nions notre passé, plus nous bénissons Dieu qui nous l’a pardonné. Pourquoi donc, ô hérétique, abandonner ta cause pour te prendre à un homme? Qui suis-je, moi? qui suis-je? Est-ce que je suis l’Eglise catholique? est-ce que je suis l’héritage du Christ répandu chez toutes les nations? Il me suffit d’être dans cette Eglise. Tu me reproches mes fautes passées, que fais-tu là de si bien? Je suis pour mes fautes plus sévère que tu ne peux l’être, et ce que tu blâmes, je l’ai condamné. Puisses-tu m’imiter un jour, afin que ton erreur soit aussi du passé! Mes fautes passées, on les connaît principalement dans cette ville. Ici, je l’avoue, j’ai vécu dans le désordre; et plus la grâce que Dieu m’a faite m’est un sujet de joie, plus mon passé, que dirai-je? me cause de douleur. Oui, ce serait de la douleur s’il durait encore. Mais que dirai-je? qu’il me réjouit? je ne puis le dire; plût à Dieu que je n’eusse jamais été de la sorte! Mais ce que j’étais, grâce au Christ, je ne le suis plus. Quant à ce qu’ils blâment du présent, ils ne le connaissent pas. Il y a sans doute en moi quelques défauts à blâmer, mais les connaître est une grande prétention de leur part. Je fais de grands efforts dans le secret de mes pensées, pour combattre les désirs mauvais; j’ai des luttes bien longues, presque incessantes contre les assauts de l’ennemi qui cherche ma perte. Je gémis devant Dieu, dans ma faiblesse; et il sait ce qu’enfante mon coeur, lui qui connaît ce que je dois produire. « Peu m’importe », dit l’Apôtre, « que je sois jugé par vous ou au tribunal d’un homme; mais je ne me juge point moi-même ». Je me connais mieux qu’eux, et Dieu mieux que moi. Je demande au Christ qu’ils n’aient rien à vous reprocher à cause de moi. Car ils disent : Quels sont ces gens? d’où viennent-ils? nous les avons vus dans le dérèglement; qui les a baptisés? S’ils nous connaissent bien, ils savent que nous avons autrefois passé la mer. Ils savent que nous avons vécu en pays étranger, et que nous en sommes revenu autre

 

1. Tit. III, 3.

 

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que nous n’étions parti. Ce n’est point ici que nous avons été baptisé; mais l’Eglise dans laquelle nous avons été baptisé 1, est célèbre dans l’univers entier. Il y a plusieurs de nos frères qui connaissent que nous avons reçu le baptême, parce qu’ils l’ont reçu avec nous. Il est aisé de savoir tout cela, pour peu que nos frères eu soient dans l’inquiétude. Mais serait-ce satisfaire les Donatistes que leur apporter le témoignage d’une Eglise avec laquelle ils ne communiquent pas? C’est avec raison qu’ils ignorent qu’au-delà des mers j’ai été baptisé dans le Christ, puisqu’au-delà des mers ils n’ont point de Christ. Celui-là seul possède le Christ au-delà des mers, qui est outre-mer en communion avec l’Eglise universelle. Comment un Donatiste pourrait-il savoir où j’ai été baptisé, lui dont la communion passe à peine la mer? Toutefois, mes frères, que leur dirai-je? Pensez de moi comme il vous plaira: si je suis bon, je suis froment dans l’Eglise du Christ; si je suis mauvais, je ne suis que paille dans l’Eglise du Christ, et néanmoins je ne sors pas de l’aire. Mais toi, emporté dehors par le vent de la tentation, qui es-tu? Le vent n’emporte pas le froment hors de l’aire; par le lieu où tu es, reconnais ce que tu vaux.

20. Mais, me diras-tu, qui es-tu donc pour tant parler contre nous? Qui que je sois, fais attention aux paroles, non à celui qui parle. Pourtant, diras-tu, le Seigneur a dit au pécheur: « Pourquoi ouvrir la bouche pour parler de mon alliance 2? » Que Dieu parle ainsi, je le sais, il y a une sorte de pécheurs auxquels Dieu le dit avec raison; mais à quelque pécheur qu’il tienne ce langage, s’il le fait, c’est qu’il ne sert de rien au pécheur de parler de la loi de Dieu. Mais cela ne peut-il être avantageux à ceux qui l’écoutent? Selon Jésus-Christ nous avons dans l’Eglise deux sortes de prédicateurs, des bons et des méchants. Que disent les bons en prêchant : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 3? » Qu’est-il dit aux bons? : « Soyez l’exemple des fidèles 4 ». Voilà ce que nous tâchons d’être; ce que nous sommes, celui-là le sait qui entend nos gémissements. Toutefois il est dit à propos des méchants : « Les

 

1. Voy. liv. IX des Confes. ch. 6. — 2. Ps. CXLIX, 16. —  3. I Cor. IV, 10. — 4. I Tim. IV, 12.

 

scribes et les pharisiens sont assis sur la « chaire de Moïse; faites ce qu’ils vous disent et non ce qu’ils font 1».Tu le vois, dans la chaire de Moïse, à laquelle a succédé la chaire du Christ, on voit s’asseoir des bons et des méchants; mais en disant le bien, ils ne nuisent pas à l’auditeur. Pourquoi donc as-tu abandonné la chaire à cause du méchant qui s’y assied? Reviens à la paix, reviens à la concorde qui ne t’est point nuisible. Si mes paroles sont bonnes, mes oeuvres bonnes, imite-moi; si je ne fais pas le bien que je prêche, tu as le conseil du Seigneur ; fais ce que je dis, évite ce que je fais; mais ne te sépare point de la chaire catholique. Voilà qu’au nom du Christ nous allons partir, et ils vont parler beaucoup. Qui les arrêtera? Méprisez tout ce qui regarde notre personne. Ne leur dites que ceci : Mes frères, répondez à la question; l’évêque Augustin est dans l’Eglise catholique; il porte sa besace dont il rendra compte à Dieu; je l’ai vu parmi les bons ; s’il est mauvais, il le sait; s’il est bon, ce n’est pas même en lui que j’espère. J’ai appris avant tout, dans l’Eglise catholique, à ne pas mettre mon espoir dans un homme. Vous avez donc raison, vous autres , de reprendre les hommes, puisque c’est dans l’homme que repose votre espoir. Oui, quand ils accuseront notre vie, méprisez tout cela. Nous savons quelle placet nous avons dans vos coeurs, parce que nous savons quelle place vous occupez dans le nôtre. Ne prenez point contre eux notre parti. Quoi qu’ils vous disent de nous, passez vite, de peur que, en vous fatiguant à me défendre, vous n’abandonniez votre propre cause. Ils agissent avec adresse ; et, dans la crainte qu’on n’aborde la discussion de leur cause, ils s’efforcent de nous détourner ailleurs, afin

que, tout entiers à nous justifier, nous ne puissions rien dire pour les convaincre. Vous dites que je suis mauvais, et j’en dis bien plus de moi-même; laissez là ce sujet, traitons la question même, écoutez la cause de 1’Eglise et voyez où vous en êtes, Que la vérité vous parle de tous côtés, écoutez-la avec avidité; de peur que le pain ne vous manque à jamais, quand vous cherchez toujours à blâmer, à dédaigner, à calomnier le vase dans lequel on vous le présente.

 

1. Matt. XXIII, 2, 3.

 

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DISCOURS      SUR LE PSAUME   XXXVII.

HOMÉLIE AU PEUPLE, APRÈS L’ÉVANGILE DE LA CHANANÉENNE.L’AVEU DU PÉCHÉ OU LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST.

 

 

Le Prophète gémit en se souvenant du repos, il craint le châtiment de Dieu, qui pourtant nous sert pour le salut. Il semble dire que les maux de cette vie doivent lui suffire; et alors il énumère ce qu’il endure. Sa chair est malade, les flèches de Dieu le transpercent. Il est dans le trouble à la vue de ses péchés, la paix n’est point dans ses os, il est courbé sous le poids de ses fautes, son âme est dans l’illusion, son cœur dans le trouble. Il souffre l’abandon, le faux témoignage, il chancèle et on l’insulte. Toutefois, s’il s’afflige, ce n’est pas du châtiment, mais du crime. Il pratique la justice et implore le secours de Dieu.

 

 

 

1. Cette femme de l’Evangile nous donne une réponse bien analogue à ces paroles que nous avons chantées : « Je publie mon iniquité, je prendrai soin de mon péché 1 », le Seigneur, envisageant les péchés de cette femme, l’appela chienne en disant : « Il ne convient pas de jeter aux chiens le pain des enfants 2». Mais elle, qui savait et publier son iniquité, et prendre soin de son péché, ne lui point ce que disait la vérité ; au contraire, elle avoua sa misère et obtint miséricorde en s’inquiétant de son péché. Car elle avait demandé la guérison de sa fille, et peut-être dans sa fille désignait-elle sa propre vie. Ecoutez donc le psaume que nous allons, autant que possible, exposer et expliquer tout entier. Que le Seigneur soit dans nos coeurs, afin que nous y trouvions des leçons salutaires, que nous les exposions telles que nous les aurons conçues, les trouvant facilement, les exposant d’une manière convenable.

2. « Psaume de David, pour le souvenir du sabbat 3 ». Tel est le titre du psaume. Nous touchons ce que l’Ecriture nous raconte à propos du saint prophète David, qui fut, selon la chair, un des ancêtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ 4; et , dans toutes les bonnes oeuvres qu’elle nous a fait connaître, nous ne trouvons rien qui regarde le souvenir du sabbat. Qu’étant-il besoin qu’il se souvint du sabbat que les Juifs observaient avec soin; quelle mémoire fallait-il pour un jour qui revenait chaque semaine? Il fallait l’observer, mais il n’était pas nécessaire de s’en souvenir. On ne se souvient, en effet, que

 

1. Ps. XXXVII, 19 — 2. Matt. IV, 26. — 3. Ps. XXXVII, 1 — 4. Rom. I, 3

 

 

d’une chose qui n’est plus devant soi; ici, par exemple, vous vous souvenez de Carthage où vous êtes allés quelquefois; et aujourd’hui, vous vous souvenez d’hier, de l’an passé, de toute autre année antérieure, de quelque action que vous avez déjà faite, des lieux que vous avez visités, de quelque scène que vous avez vue. Que signifie, mes frères, ce souvenir du sabbat? Quelle âme s’en souvient de la sorte? Qu’est-ce que le sabbat? car David s’en souvient en gémissant. Vous avez entendu la lecture du psaume, et tout à l’heure, quand nous l’expliquerons, vous entendrez quelle douleur il y témoigne, quels gémissements lui échappent, quels pleurs, quelle tristesse profonde. Mais, bienheureux celui qui est triste de cette manière. C’est ainsi que, dans l’Evangile, le Seigneur appelle heureux quelques-uns de ceux qui pleurent 1. Comment peut être heureux l’homme qui pleure? Comment heureux, s’il est malheureux? Il serait malheureux, au contraire, s’il ne pleurait point. Tel est donc celui qui se souvient ici du sabbat, ce je ne sais quel homme qui pleure, et puissions-nous être ce je ne sais qui t C’est une âme qui s’afflige, qui gémit, qui pleure en se souvenant du sabbat. Or, sabbat signifie repos. Assurément, l’interlocuteur était dans je ne sais quelle agitation, puisqu’il gémissait au souvenir du repos.

3. Cet homme donc, redoutant un plus grand malheur que celui dont il était accablé déjà, raconte et offre à Dieu ses agitations. Car il dit clairement qu’il est dans la douleur, et il n’est besoin, pour le comprendre, ni d’interprète, ni de soupçon, ni de conjecture: ses

1. Matt. V, 5.

 

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paroles ne nous laissent aucun doute sur le mal dont il souffre, et il n’est nul besoin de le chercher, mais de comprendre ce qu’il dit. Et s’il ne craignait un malheur plus grand que celui dont il souffre, il ne commencerait pas ainsi : « Seigneur, ne me reprenez point dans votre indignation, ne me corrigez point dans votre colère 1 ». Il arrivera, en effet, que Dieu châtiera des pécheurs dans sa colère et les reprendra dans son indignation. Tous ceux qu’il reprendra ne seront peut-être pas corrigés; et néanmoins, plusieurs seront sauvés par le châtiment. Il y en aura, puisque être châtié, c’est « passer comme par le feu 2». D’autres, au contraire, seront repris sans néanmoins se corriger. Car ce sera bien les reprendre que de leur dire: « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soif, et vous ne m’avez point donné à boire 3 » ; et tout ce qui vient ensuite, pour reprocher la dureté de coeur et la stérilité aux méchants qui seront à sa gauche et auxquels il dira : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 4 ». Cette âme donc, redoutant des maux bien plus grands que ceux dont elle gémit en cette vie, supplie le Seigneur et s’écrie: « Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère ». Que je ne sois point avec ceux auxquels vous direz: « Allez au feu éternel qui a  été préparé au diable et à ses anges.— Ne me corrigez pas dans votre colère »; mais plutôt, corrigez-moi dès cette vie, et rendez-moi telle que je n’aie pas besoin de passer par le feu de l’expiation, comme ceux qui doivent être sauvés, mais comme par le feu. Pourquoi, sinon parce qu’en cette vie ils élèvent sur le vrai fondement un édifice en bois, en foin, en paille? S’ils bâtissaient en or, en argent, en pierres précieuses, ils seraient en sûreté contre l’un et l’autre feu ; non seulement contre le feu éternel qui doit dévorer l’impie pendant l’éternité, mais contre le feu qui doit purifier ceux qui seront sauvés par le feu. Il est dit en effet  « qu’ils seront sauvés, mais comme par le feu ». Or, parce qu’il est dit: « Il sera sauvé », on dédaigne ces flammes. Mais, bien qu’il serve à nous sauver, ce feu sera néanmoins plus horrible que toutes les douleurs qu’un homme peut endurer ici-bas. Et pourtant, vous savez quels maux endurent les méchants, quels maux ils peuvent

 

1. Ps. XXXVII, 2.— 2. I Cor. III, 15.— 3. Matt. XXV, 41.— 4. Id. 42.

 

 

endurer encore sur la terre ; mais ils n’ont rien enduré que les bons ne puissent endurer. Quels supplices les lois humaines ont-elles pu infliger au magicien, au voleur, à l’adultère, au scélérat, au sacrilège, que le martyr n’ait pas souffert en confessant Jésus-Christ? Les maux de cette vie sont donc bien plus supportables ; et toutefois, voyez avec quel empressement les hommes feront, pour les éviter, tout ce que vous leur commanderez. Combien gagneraient-ils plus à supporter ce que Dieu ordonne, pour éviter ces horribles tourments?

4. Mais pourquoi demander de n’être point repris avec indignation, ni corrigé avec colère? Comme si le prophète disait à Dieu: Puisque les maux que j’ai endurés sont grands et nombreux, qu’ils me suffisent, je vous eu supplie. Alors il se met à les énumérer, offrant à Dieu comme une satisfaction ce qu’il a souffert, afin de ne pas souffrir davantage. « Vos flèches me pénètrent de toutes parts, et votre main s’est appesantie sur moi 1 ».

5. « En face de votre colère, il n’y a rien de « sain en mon corps 2 ». Déjà il nous racontait ce qu’il souffrait en cette vie, et ces maux viennent de la colère de Dieu, puisqu’ils viennent de sa vengeance. De quelle vengeance? De celle qu’il a tirée d’Adam. Car le péché d’Adam ne demeura point impuni, et Dieu ne dit point en vain: « Tu mourras de mort 3 »; et nous n’avons rien à souffrir en cette vie qui ne nous vienne de cette mort que nous avons méritée par le péché. Car nous portons un corps mortel, et qui, sans le péché, ne serait point mortel, exposé aux tentations, plein de sollicitudes, en proie aux maladies corporelles, en proie à l’indigence, assujetti aux changements, qui languit même en santé, parce qu’il ne jouit jamais d’une santé complète. Pourquoi dire : « Il n’y a rien de sain dans ma chair », sinon parce que cette santé, ou ce que l’on appelle ainsi en cette vie, n’est point une santé pour ceux qui comprennent le vrai sabbat et s’en souviennent? Si tu es sans manger, la faim te presse bientôt. C’est comme une maladie naturelle; et ce qui était d’abord une peine vengeresse est devenu pour nous une seconde nature. Ce qui était un châtiment pour le premier homme est naturel pour nous. De là

 

1. Ps. XXXVII, 3.—  2.Id. 4.— 3. Gen. II, 17.

 

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vient cette parole de l’Apôtre : « Nous aussi, par nature, nous fûmes enfants de colère comme le reste des hommes : Enfants de «colère, par nature », c’est-à-dire soumis à la vengeance du péché. Mais pourquoi dire: «Nous fûmes? » c’est que par l’espérance nous ne le sommes plus, bien que nous le soyons en réalité. Pourtant il est mieux de dire ce que nous sommes en espérance, parce que notre espérance est certaine et qu’elle n’a rien d’incertain qui puisse nous inspirer le moindre doute. Ecoutez encore la gloire en espérance: « Nous gémissons en nous-mêmes », dit l’Apôtre, « attendant l’effet de l’adoption divine, la délivrance de notre chair 1». Quoi donc, Paul, n’avez-vous pas été racheté? Le prix de votre rançon n’est-il point payé? Un sang divin n’a-t-il pas été répandu et n’est-il pas la rançon de tous les hommes? Qui, sans doute, mais voyez ce qu’il ajoute : « Nous sommes sauvés par l’espérance; or, l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance. Comment espérer ce que l’on voit? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par l’espérance 2». Qu’est-ce qu’il attend par la patience? Le salut. Le salut de quoi? De son corps ; car il a dit: « La délivrance de notre chair ». S’il attendait la santé de son corps, ce n’était donc point cette santé qu’il avait déjà. La faim tue un homme ainsi que la soif, si l’on n’y apporte remède. Le remède à la faim, c’est la nourriture; le remède contre la soif, c’est la boisson; le remède à la fatigue, c’est le sommeil. Retranchez ces remèdes, et voyez si ces maladies ne vous tuent pas. S’il y a donc en vous de quoi vous tuer, si vous ne mangez, une vous glorifiez pas de votre santé; mais plutôt attendez en gémissant la délivrance de votre se corps. Réjouissez-vous de votre rédemption, bien que vous ne soyez pas encore dans une sûreté réelle, mais seulement en espérance. Car si l’espérance ne vous fait gémir, vous n’arriverez point à la réalité. Cela donc n’est point la santé parfaite, dit le Prophète : « En face de votre colère il n’y a rien de sain en ma chair ». D’où viennent ces flèches dont il est transpercé? C’est une peine, un châtiment, et peut-être appelle-t-il des flèches ces le douleurs de l’âme et de l’esprit qu’il nous faut là endurer. Le saint homme Job a fait mention de ces flèches, et dans l’abîme de ses malheurs

 

1. Eph. II, 3.— 2. Rom. VIII, 23.— 3. Id. 24, 25.

 

 

il dit que les flèches du Seigneur l’ont traversé1. Il est cependant ordinaire d’entendre par flèches les paroles du Seigneur mais pourrait-il ainsi se plaindre d’en être percé? Les paroles de Dieu sont comme des flèches qui portent l’amour et non la douleur. Ou bien, serait-ce peut-être que l’amour et la douleur sont inséparables? Car il y a nécessairement douleur à aimer sans posséder. Il peut aimer sans souffrir, celui qui possède ce qu’il aime; mais, disons-nous, quand on aime et qu’on n’a point encore ce que l’on aime, on doit nécessairement gémir dans sa douleur. De là cette parole de l’Epouse des cantiques qui figurait l’Eglise du Christ : « L’amour m’a blessée 2 ». Elle dit que l’amour l’a blessée, parce qu’elle aimait sans posséder l’objet de son amour; elle souffrait de ne l’avoir point. Quiconque n’a point souffert de cette blessure ne saurait arriver à la véritable santé. Car celui qui en ressent la douleur doit-il donc y demeurer toujours? Nous pouvons alors entendre ainsi ces flèches qui transpercent le Prophète: Vos paroles ont blessé mon coeur, et ces paroles m’ont fait souvenir du repos. Ce souvenir du sabbat, que je ne possède-point encore, m’empêche de me réjouir et me fait comprendre qu’il n’y a rien de sain dans ma chair, que la santé qu’elle possède n’en mérite pas le nom quand je la compare à celle dont je jouirai dans le repos éternel, quand cette chair corruptible sera revêtue d’incorruptibilité, que cette chair mortelle sera revêtue d’immortalité3; en comparaison de cette santé, celle d’ici-bas, je le vois, n’est qu’une maladie.

6. « Il n’y a nulle paix dans mes ossements,  à la vue de mes péchés 4 ». On se demande quel est celui qui parle ainsi; plusieurs pensent que c’est Jésus-Christ, à cause de quelques allusions à la passion, allusions auxquelles nous arriverons bientôt, pour montrer qu’elles prédisent la passion de Jésus-Christ. Mais, comment celui qui n’avait pas de péché 5 a-t-il pu dire: « La vue de mes péchés ne laisse aucune paix dans mes os ? » Pour comprendre ceci, nous sommes dans la nécessité de connaître le Christ tout entier, ou le chef et les membres. Souvent, en effet, quand Jésus-Christ parle, il le fait seulement comme chef, et ce chef est le Sauveur, né de la Vierge Marie 6 ;

 

1. Job, VI, 4. — 2. Cant. II, 5, V, 8. — 3. I Cor. XV, 53. — 4. Ps. XXXVII, 6. — 5. I Pierre, II, 22. — 6. Luc, II, 7.

 

 

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quelquefois au contraire il parle au nom de son corps qui est la sainte Eglise réunie dans l’univers entier. Nous autres, nous sommes aussi de son corps, si toutefois nous avons en lui une foi sincère, une espérance ferme, une ardente charité; nous sommes en son corps, nous en sommes les membres, et nous trouvons que c’est nous qui parlons ici, selon ce mot de saint Paul: « Parce que nous sommes les membres de son corps 1 », et que l’Apôtre a répété à plusieurs endroits. Dire en effet que ces paroles ne sont pas du Christ, c’est dire aussi que ces autres ne lui appartiennent point: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? » Car nous y lisons aussi: « Mon Dieu, pourquoi m’abandonner? Le rugissement de mes péchés éloigne de moi tout salut 2».Comme tu lis dans l’un : « La vue de mes péchés», tu lis dans l’autre: « Le rugissement de mes péchés ». Or, si le Christ est sans faute, sans péché, nous nous prenons à douter si les paroles de ce psaume lui appartiennent. Et pourtant, il serait dur et contrariant d’admettre que ce psaume ne regarde point le Christ, quand nous pouvons y lire la passion aussi clairement que dans l’Evangile. C’est là que nous lisons en effet: « Ils ont partagé mes vêtements et ont tiré ma robe au sort 2».Pourquoi donc le Seigneur, cloué à la croix, a-t-il récité de sa propre bouche le premier verset du psaume, et a-t-il dit: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Qu’a-t-il voulu nous faire comprendre, sinon que c’est lui qui parle dans tout le psaume, puisqu’il en a récité le commencement? Et quand il dit ensuite: « Les rugissements de mes péchés », il n’est pas douteux que ces paroles ne soient du Christ. Mais d’où viennent les péchés, sinon de son corps mystique qui est l’Eglise? Car ici le corps du Christ parle aussi bien que la tête. Comment parle-t-il comme parlerait un seul? « Parce qu’il est dit qu’ils seront deux dans une même chair. Ce sacrement est grand, observe l’Apôtre; je dis en Jésus-Christ et en l’Eglise ». C’est pourquoi, dans l’Evangile, répondant à un homme qui l’interrogeait sur le renvoi d’une épouse, il a dit.: « N’avez-vous point lu ce qui est écrit, « que Dieu, dès le commencement, fit un homme et une femme, et que l’homme quittera son père et sa mère pour à attacher à son épouse, et qu’ils seront deux dans une même

 

1. Eph. V, 30.— 2. Ps. XXI, 2.— 3. Id. 19.

 

 

chair? Ils ne sont donc plus deux, mais une  seule chair 1», Si donc il a dit: «Ils ne sont plus deux, mais une seule chair »; comment s’étonner qu’une même chair n’ait plus qu’une même langue, une même parole, puisqu’il y a unité de chair, de chef et de corps? Ecoutons donc le Christ dans son unité, et néanmoins le chef comme chef, et le corps comme le corps. Il n’y a point division de personne, mais différence de dignité; c’est le chef qui sauve, le corps qui est sauvé. Que le chef montre donc de la miséricorde, et que le corps déplore sa misère. Le chef doit purifier, le corps confesser les péchés, et néanmoins il n’y a qu’une seule voix, quand l’Ecriture ne distingue point si c’est le corps ou la tête qui parle; mais nous, qui l’entendons, nous faisons ce discernement; et pour lui, il parle toujours comme parle un seul. Pourquoi ne parlerait. il pas «de ses péchés», celui qui a dit: « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soit et vous ne m’avez pas donné à boire; j’ai été étranger, et vous ne m’avez point recueilli; j’ai été malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité 2 ». Assurément le Seigneur n’a pas été en prison. Pourquoi ne parlerait-il pas ainsi, celui qui, à cette question: « Quand vous avons-nous vu ayant faim, ayant soif ou en prison, sans prendre soin de vous secourir 3? » a bien pu répondre au nom de ses membres, et dire: « Ce que vous n’avez pas fait au moindre des miens, vous ne me l’avez pas fait?» Pourquoi ne dirait-il pas: « A la vue de mes péchés », celui qui dit à Saul: « Pourquoi me persécuter 4 », lui qui dans le ciel ne rencontrait plus de persécuteurs? Dans ce cas, c’était la tête qui parlait pour le corps; et de même ici c’est encore la tête qui tient le langage du corps, car c’est le corps que vous entendez. Mais, soit que vous entendiez le langage du corps, n’en séparez point le chef; de même qu’en entendant les paroles du chef, n’en séparez pas le corps, car ils ne sont plus deux, mais bien une seule chair.

7. « Nulle partie de ma chair n’est saine à la vue de votre colère 5».Mais c’est peut-être

à tort que Dieu est irrité, ô Adam, ô genre humain ; c’est à tort que Dieu s’est irrité contre toi ! puisque déjà tu as reconnu ta faute, et que, constitué dans le corps du Christ, tu as vie

 

1. Matt. XIX, 4. — 2. Id. XV, 42, 43. — 3. Id. 44.— 4. Act. IX,4. —  5. Ps. XXXIV, 4.

 

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dit: « Nulle partie de ma chair n’est sauné à la vue de votre colère». Expose donc la justice de cette colère divine, afin de ne point paraître excuser ta faute, accuser Dieu lui-même. Poursuis et dis-nous d’où vient cette colère? « Nulle partie n’est saine dans ma chair à la vue de votre colère ; la paix n’est plus dans mes os 1». Dire que «la paix n’est pas dans ses os », c’est répéter cette pensée que « nulle partie de sa chair n’est saine ». Toutefois il n’a point répété : « A la vue de votre colère » ; mais il expose la cause de nette colère divine: « Nulle paix», dit-il, n’est «dans mes os en face de mes péchés ».

8. « Mes iniquités ont élevé ma tête, elles pèsent sur moi comme un lourd fardeau 2 », Voilà d’abord la cause, puis ensuite l’effet; il lit d’où son mal est venu. « Mes iniquités ont élevé ma tête ». Nul n’est orgueilleux, si ce n’est le coupable qui élève sa tête en haut. Il s’élève en haut celui qui se dresse contre Dieu. Vous avez entendu dans le livre de l’Ecclésiastique: « Le commencement de l’orgueil, c’est de se séparer de Dieu 3 ». A celui qui le premier ne voulut point obéir, l’iniquité fit lever la tête contre Dieu. Et parce que l’iniquité lui avait fait lever la tête, que fit le Seigneur? « L’iniquité pèse sur moi comme un lourd fardeau ». Elever la tête, c’est une marque de légèreté; il semble que celui qui lève la tête ne porte rien. Comme donc ce qui peut s’élever a de la légèreté, on lui donne un poids qui le rabaisse, son oeuvre descend sur sa tête et son iniquité pèsera sur son cœur 4. Elle « pèse sur moi comme un lourd fardeau».

9. « La pourriture et la corruption se sont mises dans mes plaies 5».Il n’a point la santé celui qui a des plaies, surtout quand il y a dans ces plaies corruption et puanteur. D’où vient la puanteur? de la corruption. Qui ne comprend cela d’après les actes de la vie humaine? Qu’un homme ait un bon odorat spirituel, il sentira l’odeur qui s’exhale des péchés. A cette odeur des péchés est opposée l’odeur dont saint Paul a dit: « Nous sommes la bonne odeur du Christ, devant Dieu, partout pour ceux qui se sauvent 6.». Mais d’où s’exhale cette odeur, sinon de l’espérance? D’où encore, sinon du souvenir du sabbat? D’une part, en effet, nous gémissons en cette vie; d’autre part nous espérons pour l’autre

 

1. Ps. XXXIV, 4. — 2. Id. 5. — 3. Eccli. X, 14. — 4. Ps. VII, 17. — 5. Ps. XXXVII, 6. — 6. II Cor. II, 15.

 

vie. Ce qui nous fait gémir, c’est l’odeur fétide; ce qui nous fait espérer, c’est la bonne odeur. Si donc nous n’étions pas attirés par cette odeur, nous n’aurions aucun souvenir du sabbat. Mais, parce que le Saint-Esprit nous la fait sentir au point de dire à notre époux: «Nous vous suivrons à l’odeur de vos parfums 1 », nous détournons notre odorat des puanteurs, et nous nous tournons vers lui pour respirer quelque peu. Mais si nous ne sentons aussi l’odeur de nos péchés, nous ne confesserons point, dans nos gémissements, que « la puanteur et la corruption sont dans nos plaies ». Pourquoi ? « A cause de ma folie ». De même que plus haut il a dit: « A la vue de mes péchés»; de même il dit maintenant: «A la vue de ma folie ».

10. « Je suis devenu misérable, j’ai été courbé pour toujours 2». Pourquoi a-t-il été courbé? parce qu’il s’était élevé. Humiliez-vous, Dieu vous redressera ; élevez-vous, il vous abaissera. Dieu ne manquera pas de poids pour vous courber; ce poids sera le fardeau de vos péchés, qu’il fera retomber sur votre tête, et vous en serez courbés. Mais qu’est-ce que être courbé? c’est ne pouvoir se relever. Telle était cette femme que le Seigneur trouva courbée depuis dix-huit ans; se relever lui était impossible 3. Tels sont encore ceux qui ont le coeur baissé jusqu’à terre. Puisque cette femme a trouvé le Seigneur qui l’a guérie, qu’elle entende cette parole: Les coeurs en haut. Elle gémit néanmoins de se sentir courbée. Il est courbé aussi celui qui dit: « Le corps qui se corrompt appesantit l’âme, et cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 4». Qu’il gémisse dans ces maux, afin d’en être guéri; qu’il se souvienne du sabbat, afin d’arriver au véritable sabbat. Car cette fête des Juifs était une figure. Figure de quoi ? de ce que rappelle à son souvenir celui qui dit: « Je suis devenu misérable et courbé jusqu’à la fin ». Qu’est-ce à dire: «Jusqu’à la fin ? » jusqu’à la mort. « Tout le jour, je marchais dans ma douleur». « Tout le jour», sans interruption. Tout le jour, dit-il, pour dire toute sa vie. Mais, depuis quand a-t-il connu sa misère? depuis qu’il s’est souvenu du sabbat. Voulez-vous qu’il ne soit point contristé quand il se souvient de ce qu’il n’a pas? « Tout le jour donc je marchais dans ma douleur ».

 

1. Cant. I, 3,— 2. Ps. XXXVII, 7.— 3.Luc, XIII, 11.— 4. Sag. IX, 15.

 

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11. « Parce que mon âme est pleine d’illusions , et ma chair n’est point saine 1 ». L’homme dans son intégrité comprend l’âme et le corps. L’âme est remplie d’illusions, la chair n’est point saine; quel sujet de joie lui reste-t-il? N’est-il pas nécessairement dans la tristesse ?Tout le jour je marche dans la douleur. Soyons donc tristes jusqu’à ce que notre âme soit délivrée de ses illusions, et notre corps revêtu de santé. Car la santé dans la plénitude sera l’immortalité. Quelles illusions dans votre âme ! et, si j’entreprenais de les exposer, quand aurais-je fini? Quelle âme ne les endure point? Je dirai en un mot que notre âme est pleine d’illusions, et que ces illusions nous permettent souvent à peine de prier. Nous ne pouvons penser aux objets corporels qu’au moyen des images; et souvent il nous vient en foule de ces images que nous ne cherchons point, et nous voulons aller de l’une à l’autre, voltiger de celle-ci à celle-là: et souvent tu voudrais revenir à ta pensée première, chasser celle qui t’occupe, quand une nouvelle arrive; tu cherches à rappeler ce que tu oubliais, sans qu’il te revienne à l’esprit, et il te vient plutôt ce que tu ne voulais pas. Où était ce que tu avais oublié? Comment est-il revenu en ta mémoire, quand tu ne le cherchais point? quand tu le cherchais, tu n’as rencontré que mille objets que tu ne cherchais point. Je ne vous dis cela qu’en un mot, mes frères; c’est je ne sais quelle semence légère que je répands, afin qu’en la méditant en vous-mêmes, vous sachiez ce que l’on appelle pleurer les illusions de notre âme. Elle a donc été la proie de ces illusions, elle a perdu la vérité. De même que l’illusion est pour l’âme un supplice, ainsi la vérité est une joie. Mais comme nous gémissions sous le poids de ces futilités, la vérité nous est venue, nous a trouvés affublés d’illusions, et a pris notre chair, ou plutôt l’a prise de nous, c’est-à-dire du genre humain. Elle s’est montrée aux yeux de notre chair, afin de guérir par la foi ceux à qui elle devait enseigner la vérité, afin que l’oeil devenu sain pût voir cette vérité. Car le Christ est lui-même la vérité qu’il nous a promise, alors que sa chair était visible, afin de nous initier à la foi dont la vérité est la récompense. Car le Christ ne s’est point montré lui-même sur la terre, il n’a montré que sa chair.

 

1. Ps. XXXVII, 8.

 

 

S’il se fût en effet montré lui-même, les Juifs l’auraient vu et l’auraient connu ; mais s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 1. Peut-être les disciples le virent-ils quand ils dirent: « Montrez-nous le Père et cela nous suffit 2».Mais lui, pour leur montrer qu’ils ne l’avaient point vu encore, ajouta: « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père 3».Si donc ils voyaient le Christ, comment voulaient-ils voir son Père, puisque voir le Christ, c’était voir le Père? Donc ils ne voyaient point le Christ, puisqu’ils demandaient qu’on leur montrât le Père. Comprenez encore qu’ils ne l’avaient point vu; il leur en fit la promesse comme récompense, en disant: « Celui qui m’aime garde mes commandements; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai 4 ». Et comme si quelqu’un lui eût demandé: Que lui donnerez-vous pour gage de votre amour? « Je me montrerai à lui », répond-il. Si donc il promet pour récompense à ceux qui l’aiment de se montrer à eux, il est clair qu’il nous promet de la vérité une vue telle que, après en avoir joui, nous ne disions plus: « Mon âme est en proie aux illusions ».

12. « J’ai été affaibli et humilié à l’excès 5 ». Le souvenir de cette hauteur du sabbat lui fait comprendre son humiliation. Celui en effet qui ne peut comprendre l’éminence de ce repos, ne peut voir où il est maintenant. Aussi est-il écrit dans un autre psaume: «J’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos 6». Dans le ravissement de son âme, il a vu en effet je ne sais quoi de sublime, et il n’était point tout entier où il contemplait cette vision; mais un éclair de la lumière éternelle, pour ainsi dire, lui a fait comprendre qu’il n’était point dans les régions qu’il voyait, et fait voir le lieu où il était; alors, comme affaibli et resserré par les misères de l’humanité, il s’est écrié : « J’ai dit dans mon extase: Me voilà repoussé loin de vos regards. Ce que j’ai vu dans mon extase m’a fait comprendre combien je suis éloigné de ce lieu où je ne suis point encore. C’est là qu’était déjà celui qui raconte qu’il fut élevé jusqu’au troisième ciel, et qu’il entendait là des paroles

 

1. I Cor, II, 8.— 2. Jean, XIV, 8.— 3. Id. 9.— 4. Id. 21.— 5. Ps. XXXVII, 9. — 6. Id. XXX, 23.

 

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ineffables que l’homme ne saurait redire. Mais il fut rappelé sur notre terre afin d’y gémir, d’y trouver la perfection dans sa faiblesse et d’être ensuite revêtu de force; encouragé toutefois tans l’exercice de son ministère par la vue de ces merveilles, il ajoute : « J’ai entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de redire 1 ». A quoi bon maintenant me demander, ou à tout autre, ce que homme ne saurait dire; s’il ne put le répéter lui qui avait bien pu l’entendre? Pleurons toutefois et gémissons en confessant notre misère : reconnaissons où nous sommes, rappelons-nous le sabbat et attendons avec patience ce que nous a promis celui qui nous a donné en lui-même un modèle de patience. « J’ai été affaibli et humilié à l’excès ».

13. «Je rugissais dans les frémissements de mon coeur 2».Vous remarquez souvent que les serviteurs de Dieu pleurent et gémissent; vous en demandez la cause, et il n’apparaît au dehors que le gémissement de quelques serviteurs de Dieu, si toutefois il arrive aux oreilles de son voisin. Car il y a un gémissement secret que les hommes n’entendent pas; et toutefois, si le coeur est en proie à quelque pensée ou quelque violent désir, jusqu’à trahir par quelque cri extérieur la blessure de l’homme intérieur, on en demande la cause; et l’homme se dit en lui-même : Peut–être est-ce pour tel sujet qu’il gémit, peut-être lui a-t-on fait tel mal. Mais qui peut comprendre la raison de ses soupirs, sinon l’homme qui les entend ou qui les voit? si dit-il : « Je rugissais dans le gémissement de mon cœur »; parce que les hommes entendent les gémissements d’un autre homme, n’entendent souvent que les gémissements de la chair, et non le rugissement du coeur. Tel, que je ne connais point, a ravi à un autre son bien; celui-ci gémit, mais non dans son coeur; celui-là gémit, parce qu’il a perdu un fils, cet autre une épouse; tel, parce la grêle a ravagé sa vigne; tel, parce que son vin s’est aigri; tel, parce qu’on lui a volé un cheval; tel, parce qu’il a subi quelque perte; tel, parce qu’il craint un ennemi; tous ceux-là gémissent, mais dans le rugissement la chair. Quant au serviteur de Dieu, qui rugit en se souvenant du sabbat, lequel est règne de Dieu, et que ne posséderont ni le

 

1. I Cor, XI, 2-10.— 2. Ps. XXXVII, 9.

 

 

sang ni la chair 1, il peut dire: « Je rugissais dans les frémissements de mon cœur ».

14. Et comme Dieu connaît la cause de ses rugissements, il ajoute aussitôt : « Tous mes désirs sont devant vous 2 ». Non pas devant les hommes qui ne sauraient voir le coeur; mais c’est « sous vos yeux que sont mes désirs ». Que vos désirs soient donc devant lui; « et mon Père qui voit dans le secret vous le rendra 3 ». Car ton désir, c’est ta prière; et si ton désir est continuel, ta prière est continuelle. Aussi n’est-ce pas en vain que l’Apôtre a dit : « Priez sans relâche 4 ». Aurons-nous donc toujours les genoux en terre, le corps prosterné , les mains élevées, pour qu’il nous dise : « Priez sans cesse? » Si nous appelons cela prier, je ne crois pas que nous puissions le faire sans interruption. Mais il est dans l’âme une autre prière incessante, qui est le désir. Quoi que vous fassiez, vous ne cessez point de prier, si vous désirez le repos du ciel. Si donc tu ne veux pas interrompre ta prière, n’interromps pas ton désir. Un désir incessant est une voix continuelle. Te taire, ce serait ne plus aimer, Qui donc se sont tus? Ceux dont il est dit: « Et comme l’iniquité se multiplie, la charité se refroidit chez  plusieurs 5 ». Le refroidissement de la charité, c’est le silence du coeur; la flamme de la charité au contraire est le cri du coeur. Si la charité demeure fervente, tu cries toujours; si tu cries toujours, tu désires toujours; si tu désires, tu te souviens du sabbat; et lu dois alors comprendre quel est le témoin de tes désirs. Maintenant, considère quel désir tu dois mettre sous les yeux de Dieu. Est-ce la mort d’un ennemi, dont le souhait paraît juste aux hommes? Car souvent nous demandons ce que nous ne devons pas. Voyons ce que les hommes croient souhaiter avec justice. Souvent ils demandent la mort d’un autre pour entrer dans son héritage. Que ceux-là toutefois qui demandent la mort d’un ennemi, écoutent ce que dit le Seigneur:

Priez pour vos ennemis6. Qu’ils n’osent donc point demander la mort d’un ennemi; qu’ils en demandent plutôt la conversion, et l’ennemi sera vraiment mort, puisque converti, il ne sera plus un ennemi. « Tous mes désirs sont devant vous ». Mais qu’arriverait-il si le désir était devant Dieu, et que les gémissements

 

1. I Cor, XV, 50. —2. Ps. XXXVII, 10. — 3.Matt. VI, 6. — 4.  I Thess. V,17. — 5. Matt. XXIV, 12.— 6. Id. V, 44; Luc, VI, 27.

 

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n’y soient point ? Et comment pourrait-il en être ainsi, quand le gémissement est la voix du désir? Aussi est-il dit: « Et mon gémissement ne vous est point inconnu ». Il n’est point caché pour vous, quoiqu’il le soit pour beaucoup d’hommes. On voit quelquefois un humble serviteur de Dieu, qui lui dit: « Mon gémissement ne vous est pas inconnu », et quelquefois on voit rire ce même serviteur de Dieu; est-ce que le désir est mort dans son coeur? Si ce désir y est toujours, il y a donc aussi un gémissement. Bien qu’il n’arrive pas toujours à l’oreille des hommes, il ne cesse pas néanmoins d’être dans l’oreille de Dieu.

15. « Mon coeur s’est troublé 1 »; pourquoi s’est-il troublé? « Et ma force m’a trahi ». Souvent je ne sais quoi de soudain vient troubler le coeur : que la terre vienne à trembler, que le tonnerre gronde au ciel, qu’il se fasse un mouvement impétueux, un bruit insolite, que l’on rencontre un lion, alors on se trouble; que des voleurs soient en embuscade, le coeur se trouble, il craint, il est de toutes parts dans l’angoisse. Pourquoi? « Parce que ma force m’a trahi ». Si cette même force me soutenait, qu’aurais-je à craindre? Nulle nouvelle, nul frémissement, nul fracas, nulle chute, rien de ce qui est horrible ne pourrait nous effrayer. D’où vient alors ce trouble? « De ce que ma force m’a trahi ». Et d’où vient cette trahison de mes forces? De ce que « la lumière de mes yeux n’est point avec moi ». Adam n’avait donc plus déjà cette lumière de ses yeux : car cette lumière, c’était Dieu; et après l’avoir offensé, Adam s’enfuit vers les ombrages et se cacha dans les arbres du paradis 2. Il redoutait la présence du Seigneur, et il cherchait l’ombre des grands arbres. Déjà dans ces arbres il n’avait plus cette lumière de ses yeux qui avait fait sa joie jusqu’alors. Si donc Adam fut coupable dès l’origine, nous le sommes par naissance; or, ces membres divers viennent se réunir au second ou nouvel Adam, car le nouvel Adam est rempli de l’esprit qui vivifie 3; et devenus membres de son corps, ils crient en faisant cet aveu: « La lumière de mes yeux n’est plus en moi »; et déjà, si l’homme est racheté par cet aveu, s’il est incorporé au Christ, la lumière de ses yeux n’est-elle donc point avec lui? Non, elle n’est plus en lui : il peut l’entrevoir encore,

 

1. Ps. XXXVII, 13 — 2. Gen III, 8 — 3. I Cor XV, 45

 

comme ceux qui se souviennent du sabbat, comme ceux qui regardent par l’espérance;

mais elle n’est point pour eux cette vision dont il est dit: « Je me montrerai à lui 1». Il y a bien

là quelque lumière, parce que nous sommes enfants de Dieu et que la foi nous y fait croire;

mais ce n’est pas encore cette lumière que nous verrons: « Ce que nous serons un jour ne paraît point encore : nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, et nous le verrons tel qu’il est 2». Car à présent la lumière de la foi est la lumière de l’espérance. « Tant que nous sommes dans ce corps, en effet, nous marchons en dehors du Seigneur : car nous n’allons à lui que par la foi, sans le voir tu découvert 3». Et tant que nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons « par la patience 4 ». Ce sont là des paroles d’exilés, et non pas d’hommes établis dans la patrie. C’est donc avec raison, c’est avec vérité, et s’il n’use point de déguisement c’est avec sincérité qu’il fait cet aveu: «Lumière de mes yeux n’est point avec moi ». Voilà ce que souffre l’homme dans son âme, en lui-même, avec lui-même; ce qu’il souffre de sa part, ce que nul ne lui fait endurer, si

ce n’est lui-même : telle est la peine qu’il s’est attirée, et que nous avons définie tout

à l’heure.

16. Mais est-ce là tout ce que l’homme endure? Au dedans de lui-même il souffre de ses propres misères, et à l’extérieur, il souffre de tout ce que lui font endurer ceux au milieu desquels il vit; il souffre donc ses maux particuliers, il est forcé de souffrir de la part des autres. Delà ces deux cris du Prophète : « Purifiez-moi de mes fautes cachées, et détournez de votre serviteur les fautes des autres 5 ». Déjà il a confessé les fautes qui lui sont propres et dont il voudrait être purifié : qu’il parle des péchés des autres dont il prie Dieu de l’éloigner. « Mes amis »; que dirai-je alors des ennemis? « Mes amis et mes proches se sont placés debout en face de moi »s. Comprenez bien cette expression: « Ils se sont élevés debout en face de mois, car ils se sont élevés contre moi, et sont tombés contre eux-mêmes. « Mes amis et mes proches se sont élevés et placés en face de moi ». Ecoutons ici la voix du chef, et voyons

 

1. Jean, XIV, 21.— 2. I Jean, III, 2.— 3. II Cor. V, 6,7 — 4. Rom. VIII, 25. — 5. Ps. XVIII, 13, 14. — 6. Ps. XXXVII, 12.

 

 

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paraître notre chef dans sa passion. Mais encore une fois, quand c’est la tête qui parle, n’en séparez point les membrés. Si le chef n’a point voulu séparer sa voix de celle du corps, le corps oserait-il bien se séparer des douleurs du chef ? Souffrez donc dans le Christ, puisque le Christ a pour ainsi dire péché dans votre faiblesse. Il parlait naguère de vos péchés, et il en parlait comme s’ils eussent été les siens. Il disait en effet: « A la vue de mes péchés », comme s’ils eussent été les siens. De même donc qu’il a voulu que nos péchés fussent les siens, parce que nous sommes ses membres, faisons de ses souffrances les nôtres, parce qu’il est notre chef. Ce n’est point pour que nous soyons traités autrement que ses amis sont devenus ses ennemis. Préparons-nous, au contraire, à prendre le même breuvage; ne rejetons point son calice, afin de mériter, par son humilité, de soupirer après sa grandeur. Telle fut, en effet, sa réponse à ceux qui voulaient partager sa grandeur, et qui n’envisageaient point son humilité quand il leur dit: « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 1? » Donc les douleurs de notre Maître sont aussi nos douleurs; et quand chacun de nous aura servi Dieu fidèlement, gardé la bonne foi, payé ses dettes, accompli la justice envers les hommes, je voudrais bien voir s’il n’aura point à souffrir ce que Jésus-Christ nous dit de sa passion.

17. « Mes amis et mes proches se sont tenus tout près contre moi debout; d’autres proches se sont éloignés 2». Quels sont ces proches, dont les uns se sont rapprochés, dont les autres se sont éloignés? Les Juifs étaient proches pour le Sauveur, puisqu’ils lui étaient unis par le sang; ils s’en approchèrent et le crucifièrent. Les Apôtres étaient des proies; mais eux se tinrent dans l’éloignement, de peur de souffrir avec lui. On pourrait encore donner cette interprétation: « Mes amis», ou ceux qui ont feint de l’être. Car ils feignirent d’être ses amis, en disant: « Nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité 3 » ; alors qu’ils voulaient le nier au sujet du tribut à payer à César, et qu’il les confondit par leur propre langage, ils voulaient paraître ses amis. Mais il n’avait pas besoin alors qu’on rendît témoignage aucun homme 4, puisqu’il savait ce qui était dans l’homme; aussi répondit-il, en entendant

 

1. Matt, XX, 22.— 2. Ps. XXXVII, 13.— 3.Matt. XXII, 16.— 4. Jean, II, 25

 

 

ces paroles : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous 1? » Donc, « mes amis et mes proches sont venus près de moi, en face et debout; d’autres proches se sont éloignés ». Vous comprenez mon explication. J’ai appelé ses proches ceux qui s’approchèrent de lui et néanmoins s’en éloignèrent de cœur. Comment être plus près de corps que ceux qui élevèrent Jésus sur la croix? Comment s’en éloigner de coeur plus que ceux qui le blasphémaient? Isaïe a parlé de cet éloignement; voyez en effet ce qu’il dit de ceux qui sont proches et de ceux qui sont éloignés: « Ce peuple m’honore des lèvres » ; voilà un rapprochement corporel: « mais leur coeur est loin de moi 2 ». Ceux qui sont proches sont en même temps éloignés, proches des lèvres, éloignés de coeur. Toutefois, comme la crainte retint les Apôtres dans l’éloignement, on peut d’une manière plus nette et plus claire entendre des uns, qu’ils s’approchèrent, des autres, qu’ils s’éloignèrent: surtout que saint Pierre, qui l’avait suivi plus hardiment, en était encore loin, et qu’interrogé il se troubla et renia ce Maître avec lequel il avait juré de mourir 3. Mais afin que de son éloignement il vînt à se rapprocher, il entendit après la résurrection: « M’aimez-vous? » et il répondit: « Je vous aime 4 ». Et cette affirmation rapprochait celui que son reniement avait éloigné; ainsi une triple protestation d’amour effaça son triple renoncement. « Et mes proches se tenaient loin de moi ».

18. « Ils emploient la violence, ceux qui en veulent à mon âme 5». Il est facile de connaître ceux qui en veulent à son âme; car ils n’avaient point cette âme ceux qui ne faisaient point partie de son corps. Ceux qui cherchaient cette âme en étaient éloignés; et la cherchaient pour la tuer. Car on peut rechercher son âme pour un bon motif; puisque, dans un autre endroit, il nous fait ce reproche: « Il n’y a personne pour rechercher mon âme 6 ».Il se plaint donc aux uns de ce qu’ils né recherchent point son âme, et aux autres, de ce qu’ils la recherchent. Quel est celui qui recherché son âme dans une intention pure? Celui qui l’imite dans ses souffrances. Quels sont ceux qui la recherchaient dans une intention perverse? Ceux qui lui faisaient violence et qui le crucifiaient.

 

1. Matt. XXII, 18.— 2. Isa. XXIX, 13.— 3. Matt. XXVI, 70.— 4. Jean, XXI, 27.— 5. Ps. XXXVII, 13. — 6. Id. CXLI, 5.

 

 

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19. Voici la suite: « Ceux qui cherchaient le mal en moi ont parlé vainement ». Que signifie : « Ceux qui cherchaient le mal en moi? » Ils cherchaient beaucoup et ne trouvaient rien. Peut-être veut-il dire : Ils me cherchaient des crimes; car ils cherchèrent de quoi l’accuser, « sans rien trouver 1».Ils cherchaient le mal chez l’homme de bien, le crime chez l’innocent; et qu’eussent-ils trouvé chez celui qui n’avait aucune faute? Mais comme ils cherchaient des fautes chez l’homme qui n’en avait commis aucune, ils n’avaient plus de ressource qu’à feindre ce qu’ils ne trouvaient point. C’est pourquoi, « ceux qui cherchaient le mal en moi, tenaient le langage de la vanité », non de la vérité; « et tout le jour ils tramaient la fraude » ; c’est-à-dire, ils s’étudiaient sans cesse au mensonge. Vous connaissez tous les faux témoignages qu’ils ont apportés contre le Sauveur, même après sa résurrection. En effet, pour ces soldats du sépulcre, dont Isaïe avait dit: « Je mettrai les méchants près de son tombeau 2 » (c’étaient bien des méchants, puisqu’ils ne voulurent point déclarer la vérité, et qu’ils se laissèrent corrompre, pour semer le mensonge), voyez quelle fut l’ineptie de leur langage. On les interroge, et les voilà qui répondent: « Lorsque nous étions endormis, ses disciples sont venus et l’ont enlevé 3 ». Quelle vanité de langage ! S’ils dormaient, comment savaient-ils ce qui s’était passé?

20. « Pour moi », dit le Prophète, « je suis comme un sourd qui n’entend rien ». Car il ne répondait pas plus à ce qu’on lui objectait que s’il n’eût point entendu. « Non plus qu’un sourd, je n’entendais pas; et n’ouvrais ma bouche non plus qu’un muet ». Puis il répète sous une autre forme : «Je suis comme un homme qui n’entend point et qui n’a nulle réponse à la bouche 4 » ; comme s’il n’avait rien à leur dire, aucune réplique pour les confondre. Mais ne leur avait-il pas fait déjà beaucoup de reproches, tenu bien des discours, et dit : « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites 5 », et autres choses semblables? Pourtant, dans la passion, il ne dit rien de tout cela, non qu’il n’eût rien à dire, mais il attendait que tout fût achevé, et que s’accomplît tout ce

 

1. Matt. XXVI , 59. — 2. Isa. LIII, 9. — 3. Matt. XXVIII, 13. — 4. Ps. XXXVII, 14, 15.—  5. Matt XXIII, 13.

 

 

qui était prédit à son sujet, lui dont il est écrit : « Comme une brebis devant celui qui la tond, il est sans voix et n’ouvre pas la  bouche 1». Il devait donc se taire dans sa passion, celui qui ne se taira point au jugement. Il était venu pour être jugé, lui qui viendra plus tard pour juger; et pour juger avec une puissance d’autant plus grande qu’il s’est laissé juger avec plus d’humilité.

21. « Parce que j’ai espéré en vous, Seigneur, vous m’exaucerez, Seigneur mon Dieu 2 ». Comme si on lui demandait: Pourquoi n’avez-vous point ouvert la bouche? pourquoi n’avez-vous point dit : Epargnez-moi? Pourquoi sur la croix n’avez-vous point confondu les impies? Voilà qu’il poursuit en disant : « Parce que j’ai espéré en vous, Seigneur, vous m’exaucerez, Seigneur mon Dieu ». Il te montre ce qu’il faut faire quand viendra la tribulation, Tu cherche parfois à te justifier, et nul n’entend ta défense. Alors survient le trouble, comme ta cause était perdue, parce que nul ne vient te défendre ou te rendre témoignage. Mais garde l’innocence dans ton coeur, où nul ne peut opprimer la justice de ta cause. Si le faux témoignage a prévalu contre toi, ce n’est que devant les hommes; mais prévaudra-t-il devant Dieu, qui sera le juge de ta cause? Et au jugement de Dieu il n’y aura d’autre juge que ta conscience. Entre un juge qui est juste et la conscience, ne crains rien que ta cause : si tu n’as point une mauvaise causa, tu n’auras ni accusateur à craindre, ni faux témoin à repousser, ni témoin véridique à rechercher. Apporte seulement une bonne conscience, afin de pouvoir dire: « Parce que j’ai espéré en vous, Seigneur, vous m’exaucerez, Seigneur mon Dieu. »

22. « Je disais : Ne permettez plus que mes ennemis m’insultent, eux qui ont fait éditer leur insolence quand mes pieds étaient chancelants 3 ». Il revient à sa faiblesse corporelle, et ce chef a égard à ses pieds. La gloire du ciel ne lui fait point négliger ce qu’il a sur la terre , il nous regarde, il nous voit. Quelquefois, dans cette vie fragile, nos pieds sont ébranlés, ils tombent dans quelque faute; alors s’élèvent contre nous les langue perverses de nos ennemis. C’est en ce casque nous comprenons ce qu’ils méditaient duos leur silence. ils parlent avec aigreur et

 

1. Isa. LVIII, 7. — 2. Ps. XXXVII, 16. — 3. Id. XXXVII, 17.

 

 

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cruauté, ils se font une joie d’avoir trouvé ce qui devrait les affliger. « Et j’ai dit : Que mes ennemis ne m’insultent plus à l’avenir ». Voilà ce que j’ai dit; et néanmoins, pour que je me corrigeasse sans doute, vous les avez, fait parler avec insolence contre moi, ô mon Dieu, « pendant que mes pieds chancelaient»; c’est-à-dire, ils se sont élevés, et ont mal parlé quand j’étais ébranlé. Ils auraient du avoir pitié du faible, sans l’insulter, selon cette parole de l’Apôtre : « Mes frères, si quelqu’un est tombé par surprise dans quelque crime, vous autres, qui êtes spirituels, relevez-de dans un esprit de douceur ». Et il en ajoute cette raison: « Chacun craignant d’être tenté à son tour 1».Tels n’étaient point ceux dont il est dit: « Quand mes pieds chancelaient, ils parlaient de moi avec arrogance»; mais ils ressemblaient à ceux dont il est dit ailleurs: « Ceux qui me persécutent, seront comblés de joie si je viens à faiblir 2 ».

23. « Je suis préparé au châtiment 3». Admirables paroles du Prophète , comme s’il lisait: Je suis né pour endurer les châtiments. Car il ne pouvait naître que d’Adam à qui la peine est due. Mais souvent en cette vie les méchants échappent à la peine, ou n’en souffrent que de légères, parce que leur conversion n’offre aucun espoir. Or, il est nécessaire qu’ils passent par le châtiment, ceux à qui Dieu prépare la vie éternelle; car elle est vraie, cette parole: « Mon fils, ne t’aigris point sous le fouet du Seigneur, ne te fatigue point quand il te châtie: car le Seigneur châtie celui qu’il aime, il corrige celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 4 ». Que mes ennemis donc ne m’insultent plus, qu’ils ne se répandent point en outrages; et si on Père me châtie, « je suis préparé au châtiment » ; parce qu’il me prépare un héritage. Si tu veux échapper au fouet du Seigneur, l’héritage ne sera point pour toi. Tout fils

doit passer par le châtiment : et c’est tellement sans exception, que celui-là même qui s’avait point de péché 5, n’a pas été épargné 6. « Je suis donc préparé au châtiment ».

24. « Et ma douleur est toujours présente à mes yeux 7 ». Quelle douleur ? Peut-être celle du châtiment? Il est vrai, mes frères, et le dis en vérité, les hommes s’affligent des châtiments, et non de ce qui amène les châtiments.

 

1. Gal. VI,1. — 2. Ps. XII, 5. — 3. Id. XXXVII, 18. — 4. Prov. III, 11, 12.— 5. I Pier. II, 22.— 6. Rom. VIII, 32.— 7. Ps. XXXVII, 18.

 

 

Il n’en est pas ainsi de celui qui parle. Ecoutez, mes frères: qu’un homme, le premier venu, essuie une perte, il est plutôt prêt à dire : Je ne mérite point cette perte, qu’à considérer pourquoi elle lui arrive; il pleure une perte d’argent et non la perte de la justice. Si tu as péché, pleure ton trésor intérieur ; tu n’as rien peut-être en ta maison, et ton coeur est encore plus vide; mais si ton coeur est plein de Dieu qui est son bien, pourquoi ne pas dire: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au Seigneur ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni 1?» D’où vient donc la plainte de l’interlocuteur? Du châtiment qu’il endurait? Point du tout. « Ma douleurs, dit-il, est toujours devant mes yeux ». Et comme si nous lui disions Quelle douleur? d’où vient-elle? « C’est », dit-il, « que je publierai mon iniquité, et je prendrai soin de mon péché 2 ». Voilà d’où vient sa douleur ; elle ne vient pas du châtiment; elle vient de la plaie et non du remède. Car le châtiment est comme un remède pour le péché. Ecoutez, mes frères : nous sommes chrétiens ; et néanmoins qu’un d’entre nous vienne à perdre son fils, il le pleure; que ce fils devienne pécheur, il ne le pleure pas. C’est en le voyant tomber dans le péché qu’il devrait pleurer et gémir ; c’est alors qu’il faudrait le refréner, lui donner une règle de conduite, le châtier. S’il l’a fait sans être écouté, c’est alors qu’il fallait pleurer ; car, vivre dans la luxure est une mort plus funeste que ce trépas qui met fin à la luxure; vivre ainsi, chez vous, c’était non-seulement la mort, mais la puanteur. Voilà les maux qu’il faut pleurer; les autres, il faut les supporter ; endurons ceux-ci, mais déplorons les premiers. Il faut les déplorer comme vous l’entendez faire au Prophète: « Voilà que j’annonce mon iniquité, je prendrai soin de mon péché ». Ne te crois pas en sûreté parce que tu as confessé ta faute, comme celui qui la confesse et qui est prêt à la commettre encore. Mais publie ton iniquité de telle sorte que tu penses avec soin à ton péché. Qu’est-ce à dire, prendre soin de son péché? Prendre soin de sa blessure. Si tu disais: J’aurai soin de ma blessure, que devrait-on comprendre, sinon : Je mettrai mes soins à me guérir ? Tel est le soin à prendre de son péché, c’est une application continuelle, un effort incessant, une diligence soutenue à

 

1. Job, I, 21. — 2. Ps. XXXVII, 19.

 

 

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tout faire pour guérir notre péché. Voilà que chaque jour tu pleures ton péché, mais peut-être que tes larmes coulent sans que la main agisse. Fais des aumônes, afin que tes péchés soient rachetés, que tes dons réjouissent l’indigent, afin que tu aies à te réjouir du don de Dieu. L’indigent a besoin, et tu as besoin; il a besoin de toi, et toi de Dieu. Tu méprises le pauvre qui a besoin de toi, et Dieu ne te méprise pas, toi qui as besoin de lui? Comble donc l’indigence du pauvre, afin que Dieu comble ton âme. C’est dire: « Je prendrai soin de mon péché », je ferai tout ce qu’il faut faire pour effacer mon péché, le guérir complètement. « Je prendrai soin de mon péché ».

25. « Quant à mes ennemis, ils vivent 1 ». Ils ont le bonheur, ils jouissent des félicités

du siècle où j’endure la fatigue, et je rugis dans les gémissements de mon coeur. Comment vivent les ennemis de celui qui disait d’eux tout à l’heure: « Qu’ils ont dit des paroles vaines? » Ecoute ce qui est dit dans un autre psaume : « Leurs fils sont comme de nouvelles plantations »; et plus haut: « Leur bouche porte le mensonge, leurs filles sont parées comme les autels d’un temple; leurs greniers sont pleins, ils regorgent de çà et de là; leurs boeufs sont gras, des brebis fécondes se multiplient dans leurs étables; on ne voit point leurs haies en ruine, on n’entend point de cris dans leurs places publiques ». Donc, mes ennemis vivent: telle

est la vie qu’ils mènent, la vie qu’ils chantent, la vie qu’ils aiment, la vie qu’ils possèdent

pour leur malheur. Qu’ajoute en effet le Prophète? « Ils ont appelé heureux le peuple qui a de tels biens ». Qu’en dis-tu, toi qui as soin de ton péché ? Quel est ton langage, ô toi qui accuses ton iniquité? « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu. Mes ennemis vivent; ils prévalent sur moi; ils se multiplient ceux qui une haïssent injustement 2».Que veut dire: Ils me haïssent injustement? Ils haïssent celui qui leur veut du bien. Rendre le mal pour le mal, ce n’est pas être bon; ne pas rendre le bien pour le bien, c’est de l’ingratitude; mais rendre le

mal pour le bien, c’est là haïr injustement. Ainsi firent les Juifs : le Christ est venu chez

eux avec des biens, et pour ces biens ils lui ont rendu le mal. Craignons, mes frères,

 

1. Ps. XXXVII, 20. — 2. Id. CXLIII, 12-15.

 

 

une faute semblable : il est si facile d’y tomber. Mais quand nous disons: Tels furent les Juifs, que chacun de nous se garde bien de se croire excepté. Que l’un de vos frères vous réprime pour votre bien, vous tombez dans cette faute, si vous le haïssez. Et voyez comme elle est facile, comme elle est bientôt commise; évitez un si grand malheur, un péché si facile.

26. « Ceux qui me rendent le mal pour le bien, me déchirent parce que je poursuis la justice 1».C’est là le motif du bien pour le mal. Que signifie: « Je poursuis la justice ? » Je ne l’abandonne point. Ne prenons pas toujours la persécution en mauvaise part; poursuivre, signifie suivre parfaitement: « Parce que j’ai poursuivi la justice». Ecoute le langage de notre chef qui gémit dans sa passion: « Ils m’ont rejeté, moi le bien-aimé, comme un mort en abomination. Etait-ce peu d’être mort? pourquoi en abomination? Parce qu’il a été crucifié. Car cette mort sur la croix était une grande abomination pour ceux qui ne comprenaient pas que cette parole: « Maudit l’homme qui pend au bois 2», était une prophétie. Le Christ n’a point apporté la mort ici-bas, il l’y a trouvée comme le fruit maudit du premier homme 3; et, se revêtant de cette mort qui était la nôtre et qui nous venait du péché, il l’a suspendue au bois. Dès lors, afin que l’on ne crût pas, comme certains hérétiques 4 l’ont fait, que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait qu’une chair apparente, et qu’il n’avait point subi la mort sur la croix, le prophète s’écrie: « Maudit tout homme qui pend au bois ». Il nous montre que le Fils de Dieu a souffert une véritable mort, celle qui était due à notre chair mortelle: il craint que, s’il n’est maudit, tu ne le croies pas mort. Comme donc cette mort n’était feinte, mais descendait par la filiation de cet Adam maudit d’après cet arrêt de Dieu: Tu mourras de mort 5; et, comme Jésus devait subir un véritable trépas, afin qu’il donnât ainsi une vie véritable, voilà qu’il est lui-même atteint par la malédiction de la mort, pour nous mériter la bénédiction de la vie. « Ils m’ont rejeté , moi le bien-aimé comme un mort en abominations. »

27. « Ne m’abandonnez pas, Seigneur Dieu, ne vous éloignez pas de moi 6 ».

 

1. Ps. XXXVII, 21. — 2. Deut. XXX, 23. — 3. Gal, III, 10. — 4. Manichéens. — 5. Gen. II, 17.— 6. Ps. XXXVII, 22.

 

 

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Disons ces paroles en lui-même, disons-les par lui; car il intercède pour nous 1; disons : « Ne m’abandonnez pas, Seigneur mon Dieu». Il avait dit pourtant : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné 2? » Et voilà qu’il dit : « O Dieu, ne vous éloignez pas de moi ». Si Dieu ne s’est point retiré du corps, s’est-il donc retiré du chef ? De qui est donc cette prière, sinon du premier homme? Or, pour nous montrer qu’il a tiré d’Adam une véritable chair, il s’écrie : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? » Car Dieu ne l’avait point délaissé. S’il ne t’abandonne point pourvu que tu croies en lui, ce seul Dieu Père, Fils et Saint-Esprit pourrait-il abandonner le Christ? Mais alors, il avait personnifié en lui-même le premier homme. Nous savons, d’après l’Apôtre, « que notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui 3»; et nous n’aurions pu nous dépouiller de cette vétusté, si le Christ n’eût été crucifié en sa faiblesse. Car il est venu sur la terre pour nous renouveler en lui; et le désir de le posséder, l’imitation de ses douleurs nous font entrer dans ce renouvellement. Donc, la voix de son infirmité était notre voix disait : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? » De là encore cette autre parole : « Le rugissement de mes péchés 4 ». Comme s’il disait : C’est au nom du pécheur que je vous tiens ce langage: « Seigneur, ne vous éloignez pas de moi ».

28. « Seigneur, Dieu de mon salut, soyez attentif à me secourir 5 ». Ce salut, mes frères, est celui dont se sont enquis les prophètes, au dire de saint Pierre, et que n’ont point reçu

 

1. Rom. VIII, 34. — 2. Matt. XXVII, 46 ; Ps. XXI, 2. — 3. Rom. VI. — 4. Ps. XXI, 2. — 5. Id. XXXVII, 23.

 

 

ceux qui le recherchaient; mais ils l’ont recherché et l’ont annoncé, et nous sommes venus, nous qui avons trouvé ce qu’ils désiraient de pénétrer. Et voilà que nous-mêmes ne l’avons pas reçu encore; d’autres viendront après nous et le trouveront de même sans le recevoir; puis ils passeront, afin que tous, à la fin du jour, nous recevions le denier du salut avec les patriarches, les prophètes et les apôtres. Vous connaissez ces mercenaires ou ces ouvriers que le père de famille envoya dans sa vigne à des heures différentes, et qui reçurent néanmoins une même récompense1. Ainsi les Prophètes et les Apôtres, et les martyrs et nous, et ceux qui viendront après nous jusqu’à la consommation des siècles, nous recevrons alors le salut éternel, afin que, contemplant la gloire de Dieu, et le voyant face à face, nous le bénissions dans l’éternité sans défaillance, sans la peine cuisante de l’iniquité, sans aucune altération du péché; nous bénirons Dieu sans soupirer davantage, nous attachant à celui après lequel nous avons soupiré jusqu’à la fin, et dont l’espérance faisait notre joie. Nous serons alors dans la cité bienheureuse où Dieu sera notre bien, Dieu sera notre lumière, Dieu sera notre nourriture, Dieu sera notre vie. Tout ce qui est notre bien, pendant que nous travaillons dans notre exil, nous le trouverons en Dieu. En lui sera ce repos dont nous ne pouvons nous souvenir qu’avec douleur. Car il nous rappelle ce sabbat dont le souvenir a inspiré tant de paroles, dont nous devons tant parler encore, que notre coeur, sinon notre bouche, doit chanter toujours; car le silence de la bouche n’étouffe point les cris du coeur.

 

1. Matt. XX, 9.

 

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