PSAUME LVI
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DISCOURS SUR LE PSAUME LVI.

SERMON AU PEUPLE

ESPÉRANCE EN DIEU.

 

Jésus-Christ, voulant nous porter à nous aimer les uns les autres, nous a aimés le premier; et cet amour, il nous l’a particulièrement manifesté dans sa passion. Le psaume LVIe  a trait à cette passion du Sauveur; nous y trouvons des rapprochements qui conviennent bien mieux à Jésus-Christ qu’à David : ainsi, le titre du psaume et celui de la croix, la caverne où se cacha David pour échapper aux poursuites de Saül et le tombeau où  le Sauveur cacha sa divinité. La prière du roi fugitif convient donc parfaitement à l’Homme-Dieu-souffrant : comme elle dépeint bien la faiblesse de son humanité sainte, sa confiance en Dieu le Père, l’inanité des efforts de ses ennemis, la honte qui  est devenue leur partage, la gloire qui résulte pour lui des ignominies de sa passion ! Admirable exemple donné à chacun de nous au milieu des épreuves de la vie ! Puissions-nous le suivre!

 

 

1. Mes frères, l’Evangile que nous venons d’entendre nous fait connaître l’immense charité de Notre-Seigneur et Sauveur pour nous, de Jésus-Christ, toujours Dieu dans le sein de son Père, devenu homme parmi nous, en se revêtant de notre chair, et assis maintenant à la droite du Père éternel. Oui, par la lecture qui vous a été faite, vous avez dû comprendre combien nous aime notre Rédempteur. Il nous a lui-même donné et fait connaître la mesure de son amour pour nous, en nous disant que son commandement nous oblige à nous aimer les uns les autres’. De plus, il n’a pas voulu nous laisser de doutes ou d’inquiétudes sur l’étendue de l’affection que nous devons mutuellement nous porter: il a précisé les bornes de cette affection, pour qu’elle plaise à Dieu et devienne parfaite, c’est-à-dire, qu’elle ne soit inférieure à aucune autre; il nous a donné à cet égard un enseignement positif, exprès, car il a. dit : « On ne peut avoir une plus grande charité que de donner sa vie pour ses amis 2». Il a pratiqué lui-même ce qu’il a enseigné : ses Apôtres ont suivi ses préceptes et ses exemples, et ils nous ont appris que nous devons marcher sur leurs traces. Imitons donc Jésus-Christ

 

1. Jean, XIII, 34. —  2. Id. XV, 12.

 

sans doute nous ne lui ressemblons pas sous tous rapports: comme notre Créateur, il est bien différent de nous; mais puisqu’il a bien voulu se faire homme pour nous, nous avons, selon son humanité, des traits de ressemblance avec lui. S’il eût été le seul à nous donner l’exemple, aucun de nous peut-être ne devrait oser marcher sur ses traces, car il n’a pas cessé d’être Dieu en devenant homme; mais, en tant qu’homme, il a eu des imitateurs : Seigneur, il en a eu dans ses serviteurs ; Maître, il en a eu dans ses disciples: ceux que nous pourrions appeler nos pères, parce qu’ils sont entrés avant nous dans sa famille, nos compagnons dans le service de Dieu, ont marché à sa suite: d’ailleurs, il ne nous commanderait pas de faire ce qu’il a fait lui-même, s’il le jugeait impossible. Si tu compares la grandeur de ta faiblesse à la difficulté du précepte, et que le courage te manque, puise de la force dans les exemples placés sous tes yeux. L’exemple lui-même te remplit de crainte : mais n’as-tu pas à côté de toi celui qui, après t’avoir donné l’exemple, te donnera la force de le suivre?

Ecoutons maintenant ce psaume; par une heureuse coïncidence, et par un effet de la grâce divine, il concorde parfaitement avec

 

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l’Evangile de ce jour, et il nous rappelle la charité de Jésus-Christ qui a donné sa vie pour nous, afin que nous donnions aussi la nôtre pour nos frères 1. Il y a donc entre l’Evangile d’aujourd’hui et ce psaume, rapport et accord: nous pouvons apprendre par la lecture de l’un et de l’autre combien Notre-Seigneur nous a aimés en donnant sa vie pour nous, puisque le LVIe psaume a trait à sa passion. Vous savez déjà, sans aucun doute, que considéré dans son entier, le Christ est en même temps tête et corps. Comme tête, notre Sauveur a souffert sous Ponce-Pilate, il est ressuscité ensuite d’entre les morts, et il est maintenant assis à la droite de son Père son corps, c’est l’Eglise ; non pas telle ou telle Eglise, mais l’Eglise répandue dans tout l’univers : cette Eglise qui comprend tout à la fois les hommes aujourd’hui vivant dans son sein, et ceux qui lui ont appartenu dans les siècles passés, et ceux qui lui appartiendront après nous jusqu’à la fin des siècles. Dans son intégrité, l’Eglise se compose de tous les fidèles, parce qu’ils sont tous membres du Christ; elle a sa tête dans le ciel, d’où celle-ci gouverne le reste du corps. Le corps est privé de la vue de son divin Chef, mais il lui est uni par les liens de la charité. Puis donc que le Christ, envisagé dans son entier, est en même temps tête et corps, nous devrons comprendre en ce sens les mots de tête et de corps, et les lui appliquer, toutes les fois que nous les rencontrerons dans la lecture de n’importe quel psaume. Le Sauveur n’a pas voulu que dans ces différents passages on parlât de lui sans parler de nous, puisqu’il n’a pas voulu s’en séparer ; n’a-t-il pas dit, en effet : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 2? » S’il est avec nous, il parle en nous, il parle de nous, il parle par nous: de même, parlons-nous en lui, et disons-nous pour cela la vérité, tandis que nous tombons dans l’erreur et le mensonge dès que nous voulons parler en nous-mêmes et d’après nous.

2. Ce psaume a donc trait à la passion du Seigneur : aussi commence-t-il par ces mots « Pour la fin 3 ». Jésus-Christ est la fin. En quel sens? Il est la fin, non pour consumer, mais pouf’ consommer. Consumer, c’est détruire: consommer, c’est conduire à la perfection. Quand nous disons qu’une chose est finie,

 

1. Jean, III, 16. — 2. Matt. XXVIII, 20. — 3. Ps. LVI, I.

 

nous parlons de sa fin, mais nous n’entendons pas toujours ce mot dans le même sens. Si nous disons que le pain est fini, que le vêtement est fini, nous n’attachons pas à ces paroles une signification analogue. Le pain est fini, quand il est mangé ; le vêtement est fini, quand il est terminé. Le pain est détruit, le vêtement est parfait. Le Christ est donc la fin de notre entreprise; quels que soient, en effet, nos efforts, c’est en lui et par lui que nous nous perfectionnons, et notre perfection consiste à parvenir jusqu’à lui : et lorsque tu y seras parvenu, tu n’auras plus d’autre but à atteindre, car il est ta fin. Ton voyage n’a d’autre but que l’endroit où tu vas ; une fois arrivé là, tu y restes. Ainsi celui vers qui tu te diriges, est la fin de tes recherches, de tes projets, de tes efforts, de tes intentions: dès que tu seras parvenu à le posséder, tu ne désireras plus rien, parce que tu ne saurais posséder rien de meilleur. Jésus-Christ nous a donc donné l’exemple de la vie que nous devons mener en ce monde: il nous donnera, dans l’autre, la récompense de notre fidélité à suivre ses traces.

3. « Pour la fin. Ne corromps rien, pour David sur l’inscription du titre ; lorsqu’il fuyait de devant la face de Saül dans une caverne ». Si nous nous reportons à la sainte Ecriture, nous verrons que le saint roi d’Israël, David, qui a donné son nom au Psautier, a été persécuté par Saül, aussi roi du même peuple; beaucoup d’entre nous le savent pour avoir lu ou entendu lire les Ecritures 1. Saül devint donc le persécuteur de David : l’un était violent, et l’autre d’un caractère extrêmement doux ; celui-ci se montrait aussi simple, aussi patient, aussi bienfaisant que celui-là se montrait jaloux, cruel et ingrat. David usa de tant de ménagements àl’égard de Saül, qu’ayant vu tomber celui-ci entre ses mains, il ne lui fit aucun mal et ne le toucha pas même du bout du doigt. Dieu lui ménagea l’occasion de faire mourir son persécuteur : il préféra lui pardonner et lui laisser la vie. Un pareil bienfait ne désarma point Saül; il continua de tendre des embûches à son bienfaiteur. Au moment où ce roi, déjà réprouvé de Dieu, persécutait celui qui était choisi d’avance pour lui succéder, David s’éloigna de la présence de Saül, et se réfugia dans une caverne.

 

1. Rois, XXIV, l-4.

 

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Mais quel rapport cet événement peut-il avoir avec le Christ ? Si tout ce qui se passait alors figurait l’avenir, il est ici bien plus question du Christ que de David, car j’ignore, à vrai dire, comment on pourrait appliquer à celui-ci les paroles précitées: « Ne corromps rien sur l’inscription du titre » : car jamais on n’a écrit de titre pour David, et, par conséquent, Saül n’en a jamais altéré. Nous voyons, au contraire, que, pendant la passion du Sauveur, on a fait une inscription ainsi conçue : « Roi des Juifs »: ce titre devait attacher une honte éternelle au front des scélérats qui avaient trempé leurs mains dans le sang de leur roi. Saül représentait les Juifs, comme David était la figure de Jésus-Christ. Selon l’Evangile des Apôtres, comme nous le croyons et le confessons tous, Jésus-Christ est né, selon la chair, de la race de David 1». En tant que Dieu, il est élevé au-dessus de David, de tous les hommes, du ciel et de la terre, des Anges, de toutes les choses visibles et invisibles, parce que tout a été fait par lui, et que sans lui rien n’a été fait 2. Il a daigné se faire homme et sortir de la race de David, pour descendre jusqu’à nous : il est né de la tribu de David , à laquelle appartenait la Vierge Marie, qui a enfanté le Christ 3. On plaça donc au-dessus du Christ cette inscription : « Roi des Juifs » Saill, comme nous l’avons dit , représentait le peuple juif David était la figure du Christ; et le titre indiqué dans le psaume préfigurait celui-ci « Roi des Juifs ». Les Juifs s’irritèrent de ce qu’on avait écrit : « Roi des Juifs » ; il leur répugnait d’avoir pour roi l’homme qu’ils avaient eu le pouvoir de crucifier, car ils ne prévoyaient pas alors que l’image de cette croix à laquelle ils l’avaient attaché, ornerait un jour la couronne des rois. Exaspérés de ce qu’on lui avait donné ce titre, ils allèrent trouver Pilate, ce juge auquel ils avaient proposé de mettre à mort le Christ, et ils lui dirent : « N’écrivez pas : Roi des Juifs, mais écrivez qu’il s’est donné pour le roi des Juifs » Mais comme le Saint-Esprit avait déjà dit par la bouche du Psalmiste « Ne corromps rien sur l’inscription du titre », Pilate leur répondit : « Ce que j’ai écrit est écrit 4 » Pourquoi voudriez-vous me faire mentir ? Je n’altère pas la vérité.

 

1. Rom I, 3; Matt. I, 1  2. Jean, I, 3 3. Luc, I, 27 ; II, 4 4. Jean, XIX, 19-22.

 

4. Nous comprenons maintenant le sens de ces paroles : « Ne corromps rien sur l’inscription du titre ». Que veulent dire ces autres: « Quand David fuyait de devant la face de Saül dans une caverne ? » Il est vrai que ceci est arrivé à David ; mais puisque nous voyons que l’inscription du titre ne le concerne pas, cherchons à comprendre comment la fuite dans une caverne concerne le Christ. Evidemment la caverne où David se réfugia, était une figure; elle représentait quelque autre chose. D’abord, pourquoi s’y retira-t-il? Pour se cacher et empêcher son ennemi de le trouver. Qu’est-ce que se cacher dans une caverne? C’est se cacher sous terre. En effet, l’homme qui se retire dans une caverne, se retire sous terre, pour ne pas être vu: Jésus s’était couvert de terre, car le corps dont il s’était revêtu, était de la terre, et il se cachait ainsi, afin que les Juifs ne pussent apercevoir sa divinité ; si, en effet, ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Roi de gloire 1. Pourquoi n’ont-ils pas trouvé le Roi de gloire? Parce qu’il s’était caché dans une caverne; c’est-à-dire, il ne présentait à leurs regards que l’infirmité de sa chair : sous ce voile épais, dérobé en quelque sorte à leurs yeux par ce vêtement de terre, il déguisait la grandeur majestueuse de sa divinité. Aussi les Juifs crurent-ils crucifier un homme, parce qu’ils méconnurent en lui le Dieu ; ils n’avaient pu s’emparer de lui que parce qu’il était homme, c’est pourquoi ils ne purent crucifier et mettre à mort en lui que l’homme. Il ne laissa voir que de la terre à ceux qui le cherchaient dans de mauvaises intentions, comme il réserve la vie éternelle à ceux qui le cherchent avec droiture; selon la chair, il s’éloigna de la présence de Saül et s’enfuit dans une caverne. Si tu consens à voir dans cette fuite la passion du Sauveur, tu le remarqueras, il s’est dérobé aux regards des Juifs jusqu’au point de mourir. Tant qu’il n’eut pas rendu le dernier soupir, les Juifs, malgré la rigueur des tourments qu’ils lui faisaient endurer, s’imaginaient toujours que s’il était le Fils de Dieu, il pouvait s’échapper de leurs mains, et prouver, par quelque prodige, sa divine origine. Le livre de la Sagesse l’avait prédit: « Condamnons-le à une mort honteuse, et nous verrons si ce qu’il a dit est vrai. S’il est vraiment le Fils de Dieu, le

 

1. I Cor. II, 8.

 

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Seigneur prendra sa défense, et il le délivrera de la puissance de ses ennemis 1 ». On le crucifia, personne ne vint le délivrer ils crurent donc qu’il n’était pas le Fils de Dieu. Aussi l’insultèrent-ils, lorsqu’il fut attaché à la croix; ils passaient devant lui en secouant la tête, et disaient : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix. Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même 2 ». En tenant ce langage, « ils se sont », dit le livre de la Sagesse, « égarés dans leurs pensées, parce que leur propre malice les a rendus aveugles 3 ». Pour celui qui a facilement pu sortir vivant du tombeau, était-ce bien difficile de descendre de la croix? Mais pourquoi a-t-il voulu se montrer patient jusqu’à son dernier soupir? C’était afin de se retirer dans la caverne, loin des regards de Saul. Par caverne on peut entendre un lieu placé en dessous de la surface de la terre : or, il est un fait certain, que tout le monde connaît, c’est que le corps du Sauveur a été enfermé dans un sépulcre qu’on avait creusé dans la pierre. Ce tombeau fut donc la caverne où il se réfugia pour éviter la présence de Saül; et, tant qu’il n’y fut pas déposé, les Juifs continuèrent à exercer contre lui leur malice. Qu’il ait été l’objet de leurs procédés méchants, jusqu’au moment où il fut enseveli, en voici la preuve. Même après sa mort, et avant qu’on l’eût détaché de la croix, ils percèrent son côté d’un coup de lance; mais dès qu’il fut enseveli par les soins des personnes qui assistèrent à ses funérailles, ils n’eurent plus sur sa chair divine aucun pouvoir. Le Seigneur sortit vivant, libre des atteintes de ses ennemis et de la corruption, de cette caverne où il s’était retiré pour échapper aux poursuites de Saül ; puis il se montra àses membres, tout en se dérobant aux regards des impies, dont Saül était la figure. Après sa résurrection ses membres corporels furent touchés par ses membres spirituels, car ceux-ci n’étaient autres que les Apôtres, et les Apôtres portèrent alors leurs mains sur son corps ressuscité, et ils crurent 4. Alors aussi on vit que la persécution de Salit n’avait abouti à rien.

Passons maintenant à l’explication du psaume, car nous avons suffisamment parlé de son titre ; nous en avons dit tout ce que le Seigneur a bien voulu nous suggérer.

 

1. Sag, II, 20, 18. — 2. Matt. XXVI, 40, 42. — 3. Sag. II,21.— 4. Luc, XXIV, 39.

 

5. « Ayez pitié dc moi, ô mon Dieu; ayez « pitié de moi, parce que mon âme met sa « confiance en vous 1». C’est Jésus-Christ qui dit au milieu des tourments de sa passion:

« Ayez pitié de moi, Seigneur » Un Dieu dit à Dieu : « Ayez pitié de moi ». Celui qui, avec son Père, prend pitié de toi, crie en toi-même: « Ayez pitié de moi ». Et quand il s’écrie:

« Ayez pitié de moi », il prie à ta place, car il emprunte tes paroles ; c’est pour te délivrer qu’il s’est fait homme, et c’est comme homme qu’il dit : « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi n. Et par homme, j’entends son âme et son corps. Le Verbe s’est revêtu de l’homme tout entier : et l’homme tout entier est devenu le Verbe. Toutefois, de ce que l’Evangile a dit : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous 2 », il ne faut point conclure que le Fils de Dieu s’est uni à un corps sans âme; car on donne le nom de chair à l’homme, comme il nous est facile de nous en convaincre par ce passage de la sainte Ecriture : « Et toute chair verra le salut de Dieu 3». Un corps sans âme pourrait-il voir ce salut de Dieu? En parlant des hommes le Sauveur dit à son tour: « Comme vous lui avez donné la puissance sur toute chair 4». N’avait-il reçu de puissance que sur les corps? Lui qui était venu surtout pour sauver les âmes, n’avait-il reçu, relativement à elles, aucun pouvoir? Il y avait donc, tout à la fois, en Jésus-Christ, une âme et un corps, un homme complet, et le Verbe était uni à cet homme: et cet homme et le Verbe étaient un seul homme, comme le Verbe et cet homme étaient un seul Dieu. Qu’il dise donc : « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi ». Pour nous, ne nous étonnons ni de la prière qu’il adresse à son Père, ni de la miséricorde qu’il exerce à notre égard : il ne prie en notre faveur que parce qu’il est miséricordieux envers nous. C’est par bonté qu’il s’est fait homme : il est venu en ce monde, non par une nécessité résultant de sa nature, mais parce qu’il avait résolu de nous délivrer des nécessités où nous engageait notre condition. « Ayez pitié de moi, Seigneur; ayez pitié de moi, parce que mon âme a mis sa confiance en vous ». Tu entends la prière du Maître : apprends de là à prier toi-même. Il a prié, afin de t’enseigner à le bien faire; comme il a souffert, afin

 

1. Ps. LVI, 2  2. Jean, I, 14 3. Isa. XL, 5; Luc, III,6. — 4. Jean, XVII,2.

 

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de te montrer à souffrir; comme encore il est sorti vivant d’entre les morts, pour exciter en toi l’espérance de la résurrection.

6. « J’espérerai à l’ombre de vos ailes, jusqu’à ce que passe l’iniquité ». Sans aucun doute, c’est Jésus-Christ tout entier qui a prononcé ces paroles : ce sont aussi les nôtres. Loin d’être arrivée à son terme, l’iniquité se trouve encore dans toute sa force, et le Sauveur lui-même nous annonce qu’à la fin des temps il y aura une surabondance de méchanceté. « Parce que»,dit-il, « l’iniquité se multipliera, on verra se refroidir la charité de plusieurs: mais celui qui persévérera jusqu’à la fin  sera sauvé 1. Quel est l’homme qui persévérera jusqu’à la fin, jusqu’à ce que l’iniquité soit arrivée à son terme? C’est celui qui fera partie du corps du Christ, qui sera du nombre de ses membres, et qui aura appris de son chef à garder la patience et à persévérer toujours. Tu passes, avec toi passent toutes les épreuves qui tourmentent ton existence ici-bas. Tu te diriges vers une autre vie où sont déjà entrés tous les saints: tu y entreras toi-même, si tu es saint. Cette autre vie est aujourd’hui le partage des martyrs: sois martyr, et elle deviendra aussi ton héritage. Mais parce que tu seras passé de cette vie terrestre dans la vie éternelle, crois-tu que c’en est fait de l’iniquité? Si des méchants meurent, d’autres viennent au monde; et de même qu’ils se succèdent de manière à ce que les uns prennent la place laissée vide par la mort des autres, de même aussi des justes nouveaux viennent se substituer aux justes qui sortent de ce inonde. Jusqu’à la consommation des siècles, il ne manquera donc jamais de méchànts Iour tourmenter les justes, ni de justes pour supporter les méchants. « Et j’espérerai à l’ombre de vos ailes, jusqu’à ce que passe l’iniquité ». C’est-à-dire : Vous me protégerez, et afin que l’ardeur brûlante du péché ne me dessèche pas, vous me mettrez à l’ombre de vos ailes.

7. « Je crierai vers le Dieu Très-Haut 2 ». S’il est le Très-Haut, comment peut-il entendre les cris de ta prière? Le Prophète le savait par expérience, car il ajoute: « Le Seigneur m’a comble de ses bienfaits » S il m a fait du bien avant même que je le cherche, pourrat-il ne pas m’écouter, lorsque je ferai monter vers son trône les accents de ma prière?

 

1. Matt. XXIV, 12. — 2. Ps. LVI, 3.

 

Le Seigneur Dieu nous a donné la preuve de son infinie bonté, en nous envoyant son Fils, afin qu’il mourût pour nos péchés, et qu’il ressuscitât pour notre justification 1. Pour qui a-t-il voulu soumettre son Fils à la nécessité de mourir? Pour les impies. Ils ne cherchaient pas Dieu, et Dieu les cherchait. Le Seigneur est donc élevé au-dessus de toutes choses; et, pourtant, il a les yeux ouverts sur nos épreuves : nos cris s’élèvent facilement jusqu’à lui, car il est près de ceux dont le coeur est brisé de douleur 2. « Je crierai vers le Dieu Très-Haut, vers le Dieu qui m’a comblé de ses bienfaits ».

8. « Du haut du ciel il a envoyé, et m’a sauvé 3 ». C’est un fait indubitable : le Fils de Dieu fait homme, devenu chair et participant à notre nature, a été sauvé : du haut du ciel, Dieu le Père lui a envoyé son secours et l’a sauvé : du haut de son trône, il l’a protégé et l’a fait sortir vivant du tombeau; mais comment a-t-on pu vous dire que le Seigneur Jésus s’est ressuscité lui-même? C’est que nous lisons dans la sainte Ecriture, et que son Père l’a ressuscité, et qu’il s’est ressuscité lui-même. Son Père l’a ressuscité : écoute l’Apôtre, il te l’affirme, car il dit : « Jésus-Christ s’est rendu obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé dans la gloire, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tous les noms 4». Vous venez d’apprendre que le Père a ressuscité son Fils, et l’a élevé en gloire; apprenez maintenant de sa propre bouche qu’il a fait lut-même sortir son corps vivant du tombeau. Comparant ce corps à un temple, il dit aux Juifs : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours ». L’Evangéliste a bien soin de nous faire saisir parfaitement le sens de ces paroles, car il ajoute : « Il parlait du temple de son corps 5 ». C’est donc comme chair, c’est comme homme qu’il prie ici et qu’il dit : « Du haut du ciel il a envoyé et m’a sauvé».

9. « Il a fait tomber dans l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds ». Il a livré à la honte ceux qui l’ont foulé aux pieds, ceux qui l’insultaient lorsqu’il était attaché à la croix, ceux enfin qui l’ont crucifié, comme s’il n’était qu’un homme, parce qu’ils n’ont point compris qu’il était Dieu. Voyez si l’événement n’a

 

1. Rom. IV, 25. — 2. Ps.XXXIII, 19. — 3. Ps. LVI, 4. — 4. Philip. II, 8, 9.,— 5. Jean, II, 19, 21.

 

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pas justifié ces paroles : il n’est pas ici question d’un événement à venir, pour lequel on nous demande notre croyance : il s’agit d’un fait accompli que nous pouvons voir de nos yeux. Les Juifs ont fait souffrir le Christ: ils se sont laissé dominer par l’orgueil contre lui. En quel endroit? Dans la ville de Jérusalem. Ils y étaient les maîtres : voilà pourquoi ils s’y montraient si orgueilleux : voilà pourquoi ils y levaient si hautement la tête. Après la passion du Sauveur, ils en ont été arrachés, et ils ont perdu le royaume à la tête duquel ils n’ont pas voulu placerle Christ. Voyez comme ils sont tombés dans l’opprobre : les voilà dispersés au milieu de toutes les nations, incapables de s’établir n’importe où, ne tenant nulle part une place fixe. Il reste encore assez de ces malheureux Juifs pour porter en tous lieux nos livres saints, à leur propre confusion. Quand, en effet, nous voulons prouver que le Christ a été annoncé par les Prophètes, nous montrons aux païens ces saintes lettres. Les adversaires de notre foi ne peuvent nous reprocher, à nous chrétiens, d’en être les auteurs et de les avoir fait parfaitement concorder avec l’Evangile, afin de faire croire que ce que nous prêchons avait été prédit d’avance: car la vérité de notre Evangile ressort avec évidence de ce fait palpable, que toutes les prophéties relatives au Christ sont entre les mains des Juifs, et qu’ils les possèdent toutes. Par là, des ennemis nous fournissent eux-mêmes, dans ces Ecritures divines, des armes pour réfuter et convaincre d’autres ennemis. Quelle honte leur a donc été infligée? C’est qu’ils sont les dépositaires des livres où le chrétien trouve le fondement le plus solide de sa foi. ils sont nos libraires : ils ressemblent à ces serviteurs qui portent des livres derrière leurs maîtres : ceux-ci les lisent à leur profit : ceux-là les portent sans autre bénéfice que la fatigue d’en être chargés. Tel est l’opprobre infligé aux Juifs : voilà comme s’accomplit en eux cette prédiction si ancienne : « Il a fait tomber dans l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds ». Quelle honte pour eux, mes frères, de lire ce verset, et de ressembler à des aveugles qui se trouvent en face d’un miroir ! Devant les saintes Ecritures, dont ils sont les dépositaires, les Juifs sont dans une condition analogue à celle d’un aveugle devant un miroir: on l’y voit, et il ne s’y voit pas lui-même. « Il a fait tomber dans l’opprobre ceux qui me foulaient aux pieds ».

10. En entendant ces paroles : « Du haut du ciel il a envoyé et m’a sauvé », tu as cherché peut-être à savoir ce qu’il a pu envoyer du ciel; qui il a envoyé de ce bienheureux séjour. A-t-il député un ange pour sauver le Christ? Est-ce bien au serviteur à sauver son maître? Tous les anges sont des créatures mises au service du Christ. Dieu a pu les envoyer pour obéir à ses ordres et le servir: mais ils n’ont point reçu la mission de lui venir en aide, car il est écrit que les anges le servaient 1. En cela ils n’imitaient point l’homme charitable, qui soulage un indigent: ils remplissaient à l’égard du Tout-Puissant l’office de serviteurs assujétis à son autorité suprême. « Il m’a sauvé » : qu’a-t-il donc « envoyé du ciel? » Le voici, car le verset suivant nous le dit: « Du haut du ciel il a envoyé sa miséricorde et sa vérité ». Dans quel but? « Et il a arraché mon âme du milieu des jeunes lionceaux » . « Il a », dit-il, « envoyé du ciel sa miséricorde et sa vérité»; et le Sauveur ajoute : « Je suis la vérité 2». Dieu a donc envoyé sa vérité pour arracher mon âme de ce lieu de douleurs, du milieu des jeunes lionceaux: il a, pour la même raison, envoyé sa miséricorde. Nous voyons, dans nos saints livres, que le Christ est tout à la fois miséricorde et vérité; miséricorde, pour compatir à nos misères ; vérité, pour accomplir les promesses qu’il nous a faites. N’est-ce point ce que j’ai dit tout à l’heure, quand j’ai affirmé qu’il s’est ressuscité lui-même? Car si c’est la vérité qui a ressuscité le Sauveur; si c’est la vérité qui a arraché son âme du milieu des lionceaux, comme c’est la miséricorde qui l’a porté à mourir pour nous: la vérité l’a de la même façon retiré vivant d’entre les morts pour notre justification. De fait, il avait annoncé qu’il ressusciterait, et la vérité ne saurait mentir : et parce qu’il était la vérité, parce qu’il n’était pas menteur, il montra à ses Apôtres des cicatrices véritables, car il avait reçu de véritables blessures. Les disciples touchèrent ces cicatrices, ils y portèrent les mains, ils les examinèrent de leurs propres yeux. Après avoir mis ses doigts dans son côté ouvert, l’un d’eux s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu 3! » Sa miséricorde l’avait porté à mourir pour ce disciple : la

 

1. Matt. IV, 11. —  2. Jean,  XIV, 6 3. Id. XX, 28.

 

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vérité le porta à ressusciter encore pour lui. « Il a envoyé du ciel sa miséricorde et sa vérité, et il a arraché mon âme du milieu des jeunes lionceaux ». Qu’était-ce que ces jeunes lionceaux? C’était ce peuple dégradé, indignement trompé et séduit par les princes des prêtres: les lions, les jeunes lionceaux n’étaient autre que ces mêmes princes. Tous ont frémi : tous ont mis le Christ à mort. La suite de ce psaume va nous apprendre leur triste fin.

11. « Et il a arraché mon âme du milieu des jeunes lionceaux ». Pourquoi dis-tu : « Et  il a arraché mon âme? » A quelles épreuves ton âme avait-elle été soumise pour en être arrachée? « J’ai dormi dans le trouble ». Par ces paroles, Jésus-Christ marque sa mort. A la vérité, nous lisons que David s’est réfugié dans une caverne, mais le texte sacré ne nous dit pas qu’il y ait dormi. Autre est ce David qui s’est caché dans une caverne; autre est ce David qui a dit: «J’ai dormi dans le trouble». L’Evangile nous parle de ce trouble, qui venait non de lui-même, mais de ceux qui le tourmentaient. Il dit qu’il a été troublé, moins pour exprimer l’état d’une âme qui ne tremblait réellement pas, que pour faire connaître les pensées de ses ennemis à son égard. Ils s’imaginaient l’avoir troublé et vaincu; mais, quoique dans le trouble, il dormait. Au milieu du trouble il était si calme qu’il dormait à son gré. Quand on est agité, on ne dort pas : aussi, tous ceux qui éprouvent du tourment se réveillent-ils bientôt, ou se trouvent-ils dans l’impossibilité absolue de se livrer au sommeil. Pour Jésus, il fut troublé, et néanmoins il dormit. Humilité infinie d’un Dieu, qui veut bien se laisser ainsi troubler! puissance plus grande encore de celui qui est capable de dormir dans un pareil trouble!

D’où lui venait ce pouvoir de dormir? Il le dit lui-même : « J’ai le pouvoir de donner mon âme, et j’ai celui de la reprendre; personne ne me la ravit malgré moi : c’est moi -même qui la donne et qui la reprends ensuite 1 ». Ses ennemis le troublaient, et lui dormait. Adam préfigurait le Christ quand Dieu lui envoya un sommeil pour tirer de son côté la première femme 2. Dieu ne pouvait-il pas tirer du côté du premier homme la femme qu’il lui destinait, sans avoir besoin de l’endormir? Ou bien voulut-il

 

Jean, X, 18.—  2.Gen. II, 21.

 

qu’Adam fût plongé dans le sommeil, pour ne point lui laisser sentir qu’il lui enlevait une côte? Enfin, quel est l’homme assez profondément endormi pour ne pas s’éveiller au moment où l’un de ses os se brise? Celui qui a pu enlever une côte à un homme endormi sans lui faire éprouver aucune douleur, aurait certainement pu agir de même à l’égard d’un homme éveillé. Mais pourquoi Dieu at-il voulu envoyer un sommeil à Adam, pour le moment où il devait lui prendre une de ses côtes? Parce qu’au moment où le Christ dormait sur l’arbre de la croix, une épouse a été tirée pour lui de son côté; pendant qu’il était attaché à la croix, on lui perça le côté avec une lance 1, et de cette plaie découlèrent les sacrements de l’Eglise. « J’ai dormi dans le trouble ». Dans un autre psaume il s’exprime clairement à cet égard : « Je me suis endormi », dit-il, « et j’ai pris du repos ». Il marque bien ici sa puissance, car il aurait pu se borner à dire, comme il vient de le faire : « Je me suis endormi » . Quel est donc le sens de ces paroles : « Je me suis endormi », sinon : «Je me suis endormi », parce que je l’ai bien voulu. Ce né sont point mes ennemis qui m’ont forcé à dormir contre mon gré : je me suis laissé aller au sommeil, parce que tel a été mon bon plaisir: car «j’ai le pouvoir de donner mon âme et j’ai celui de la reprendre »; c’est pourquoi il ajoute: « Je me suis endormi et j’ai pris du repos, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a pris sous sa garde 2 » .J’ai dormi dans le «trouble». D’où lui venait ce trouble? Qui est-ce qui le tourmentait? Voyons en quels termes il reproche le mauvais état de leur conscience aux Juifs qui cherchaient à s’excuser de la mort du Christ. Suivant le récit de l’Evangile, ils le traduisirent au tribunal du gouverneur romain, pour ne pas être accusés de l’avoir condamné à mort. Aussi, quand Pilate leur eut dit : «Prenez cet homme, et jugez-le vous-mêmes selon votre loi », répondirent-ils : « Il ne nous est permis de faire mourir personne 3 ». une leur était pas permis de mettre à mort le Christ; leur était-il plus permis de le traîner aux pieds d’un juge, pour le faire condamner au dernier supplice? Qui est-ce qui s’est rendu coupable de déicide? Est-ce celui qui a cédé devant les clameurs d’un peuple en déliré?

 

1. Jean, XIX, 31. — 2. Ps. III, 6 . —  3. Jean, XVIII, 31.

 

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N’est-ce pas plutôt ce peuple qui, par ses cris furieux, a extorqué d’un juge pusillanime une condamnation à mort? Appelons-en au témoignage du Sauveur lui-même; qu’il nous fasse connaître les vrais auteurs de sa mort. Prononcera-t-il le nom de Pilate? Mais il a condamné malgré lui le Christ. Sans doute, il l’a fait frapper de verges et revêtir d’une tunique méprisable; et, après cela, il l’a fait exposer à leurs regards ; mais dans quel but? C’était afin que leur rage, assouvie par le spectacle de ses blessures sanglantes, n’exigeât pas de sa faiblesse une suprême condamnation. Voilà pourquoi, en les voyant persister à réclamer la mort de leur victime, il lava ses mains, comme nous le voyons dans l’Evangile, et s’écria : « Je suis innocent du sang de ce juste 1 ». A ton avis, Pilate, qui a cédé aux cris de la multitude, est-il innocent?. Non : mais incontestablement ceux-là sont encore plus coupables, qui ont obtenu par leurs cris son sanglant supplice. Interrogeons le Sauveur, écoutons-le : il nous dira à qui il attribue sa mort, car il a dit: « J’ai dormi dans le trouble ». Interrogeons-le, et disons-lui : Puisque vous avez dormi dans le trouble, apprenez-nous quels sont ceux qui vous ont persécuté et fait mourir. Est-ce bien Pilate qui vous a livré aux soldats pour vous faire attacher à la croix et transpercer de clous? Ecoute, il va te le dire. Ce sont « les enfants des hommes ». Il désigne évidemment par là ceux qui l’ont fait souffrir. Mais comment ont-ils pu le faire mourir, puisque leur main n’était point armée? lls n’ont pas tiré l’épée contre lui; ils ne se sont point précipités sur sa personne; et, pourtant, ils l’ont fait mourir : voici comment. « Leurs dents sont des armes et des traits perçants; leur langue est une épée tranchante » .  Remarquez-le bien : si leurs mains sont dépourvues d’armes, leur bouche est armée. C’est de là qu’est sorti le glaive qui a tué le Christ, comme, de la bouche du Christ, est sortie l’épée qui a donné la mort au peuple juif. Car le Sauveur est armé d’une épée à deux tranchants : par sa résurrection il en a frappé ses ennemis, et il a tiré du milieu d’eux ceux qu’il prédestinait à la foi 2. L’épée des Juifs était malfaisante, celle du Christ était salutaire ; les flèches des uns donnaient la mort, les flèches de l’autre communiquaient la vie:

 

1. Matt. XXVII, 24. —  2. Apoc. I, 16.

 

car il tient en ses mains des traits bienfaisants : ce sont ses paroles saintes, avec lesquelles il blesse les coeurs, afin de s’en faire aimer. Bien différentes sont les flèches de ses ennemis : bien autre est leur glaive. « Les dents des enfants des hommes sont des armes et des traits perçants : leur langue est une épée tranchante » . La langue des enfants des hommes est une épée tranchante: leurs dents sont des armes et des traits perçants. A quel moment les ont-ils mis en oeuvre, sinon quand ils ont crié: Crucifiez-le! Crucifiez-le 1 !

13. Mais, ô mon Dieu, quel mal vous ont-ils fait? Que le Prophète se livre maintenant aux transports de la joie. Dans tous les versets que nous venons d’expliquer, c’était Dieu qui parlait: nous entendions le Prophète, mais il nous parlait au nom de Dieu: Dieu était en lui. Mais quand le Prophète nous parie en son propre nom, le Seigneur se sert de lui comme d’un organe, car il lui dicte la vérité qu’il doit annoncer. Maintenant donc, mes frères, écoutons le Prophète nous parlant en son propre nom.

Le Prophète avait vu en esprit le Seigneur Jésus humilié, sanglant, frappé de verges, couvert de crachats, privé de l’usage de ses mains, souffleté, couronné d’épines, attaché à la croix : il avait vu la cruauté de ses ennemis et sa patience, leur joie insénsée et son apparente défaite; et, après tant d’humiliations de sa part, et tant de rage furieuse dela leur, il avait vu sa résurrection, et l’inanité des tourments dont les Juifs l’avaient accablé: alors, transporté de joie à la vue d’un spec. tacle qui semblait s’étaler sous ses yeux, il s’écrie : « O Dieu, élevez-vous au plus haut des cieux ! » Attaché à la croix en tant qu’homme, et comme Dieu, élevé au plus haut des cieux, voilà le Christ, Que vos ennemis restent sur la terre : pour vous, montez au plus haut des cieux, afin de les juger. Que sont devenus ces furieux? Où sont leurs dents tranchantes comme des épées, et perçantes comme des flèches ? Est-ce « que les blessures qu’ils ont faites, ne ressemblent pas aux blessures que les enfants font avec leurs flèches? » Le Psalmiste s’exprime ainsi dans un autre endroit pour montrer l’inutilité de leurs mauvais traitements et des fureurs auxquelles ils se sont abandonnés.

 

1. Jean, XIX, 6.

 

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Ils n’ont pu nuire à celui qui a été crucifié un moment, mais qui est bientôt sorti vivant du tombeau pour aller s’asseoir dans le ciel : « Les blessures qu’ils ont faites, ressemblent donc aux blessures que les enfants font avec leurs flèches 1». Avec quoi les enfants se font-ils des flèches? Avec des roseaux. Et alors, quelles flèches ! quelle force  quel arc! quels coups ! quelles blessures ! « Seigneur, élevez-vous au plus haut des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre ! » Pourquoi, Seigneur, êtes-vous élevé au plus haut des cieux ? Mes frères, nous ne voyons pas que Dieu soit élevé au plus haut des cieux, mais nous le croyons; que sa gloire soit au-dessus de toute la terre , nous le croyons et nous le voyons.

Veuillez remarquer le lamentable aveuglement des hérétiques. Ils se sont séparés de l’unité de l’Eglise de Jésus-Christ : ils tiennent à une partie et perdent le tout; ils refusent d’être en communion avec cet univers où s’est répandue la gloire du Sauveur. Nous autres catholiques, nous sommes partout, parce que d’un bout du monde à l’autre, partout où s’est manifestée la gloire de Jésus-Christ, on nous trouve unis parles liens d’une même foi. Nous voyons aujourd’hui l’accomplissement de cette prophétie de David: « Notre Dieu est élevé au plus haut des cieux, et sa gloire est répandue sur toute la terre ». O hérésie insensée! tu crois avec moi ce que tu ne vois pas, et tu ne crois pas ce qui se passe sous tes yeux? Tu crois avec moi que le Christ est élevé au plus haut des cieux, quoique nous ne le voyions pas; et tu nies que sa gloire soit répandue sur toute la terre, et néanmoins, il suffit d’ouvrir les yeux pour le voir. « Elevez-vous, Seigneur, au plus haut des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre ».

14. Le Prophète laisse de nouveau parler le Seigneur. Pendant que le Prophète se livre aux transports de la joie et s’écrie : « Elevez-vous, Seigneur, au plus haut des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre », Dieu lui-même commence à nous entretenir : il nous affermit et semble nous dire: Quel mal m’ont fait ceux qui me persécutaient? Pourquoi nous adresse-t-il ces paroles ? Parce que nos ennemis nous persécutent aussi : mais ils ne réussiront pas davantage à nous nuire. Que votre charité écoute

 

1. Ps. LXIII, 8.

 

le Sauveur : il nous parle et nous encourage par son exemple. « Ils ont préparé un piège à mes pieds; ils ont courbé mon âme 1 ». Ils ont voulu comme l’arracher du ciel et la précipiter dans les abîmes de la terre. « Ils ont courbé mon âme. Ils ont creusé une fosse devant moi, et y sont eux-mêmes tombés ». Est-ce à moi ou à eux-mêmes qu’ils ont nui? Le Christ s’est montré Dieu, car il s’est élevé au plus haut des cieux, et sa gloire s’est répandue sur toute la terre. Nous voyons son règne: où se trouve le royaume des Juifs? Parce qu’ils ont fait ce qu’ils ne devaient pas faire, ils ont été punis comme ils le méritaient. « Ils ont creusé une fosse et y sont eux-mêmes tombés ». Ils ont persécuté le Christ ; il n’en a pas souffert : eux seuls en ont pâti. Toutefois, mes frères, n’allez pas vous imaginer qu’une telle punition soit pour les seuls Juifs, car quiconque prépare un piége pour son frère, doit nécessairement y tomber le premier. Faites-y bien attention, mes frères; considérez les choses en chrétiens, et ne vous laissez point séduire par les apparences. Parce que je vous parle de la sorte, quelqu’un d’entre vous pense peut-être à tel ou tel homme, qui a voulu tromper son frère ou lui tendre des pièges. Cet homme a tenté, en effet, de tromper le prochain, et il y a réussi: son frère est tombé dans les embûches qu’on lui avait tendues; il s’est vu dépouiller de son bien, jeter en prison, accabler par de faux témoignages, enlacer dans des accusations capables de compromettre son honneur et sa vie. Le premier semble avoir joué le rôle d’oppresseur; le second, celui d’opprimé; celui-ci paraît avoir eu le dessous; celui-là, le dessus : et alors, on croirait volontiers àune erreur, à une fausseté de ma part, parce que j’ai dit que celui qui prépare un piége àson frère, y tombe infailliblement le premier. Je m’adresse ici à des chrétiens : cherchez donc la preuve de ce que je vous dis dans les événements du passé que vous avez appris àconnattre elle s’y trouve. Les païens ont persécuté les martyrs : on s’est emparé de ces défenseurs de la foi, on les a chargés de chaînes, on les a jetés en prison; ils se sont vu envoyer aux bêtes : les uns ont fini par le fer, les autres par le feu. Les persécuteurs ont-ils vraiment remporté la victoire : les martyrs ont-ils été véritablement vaincus?

 

1. Ps. LVI, 7.

 

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Non. L’auréole de la gloire couronne les martyrs dans le sein de Dieu : pour les païens, le piége où ils sont tombés, c’est l’abîme de leur conscience : car voilà bien le précipice où se jettent les impies, une conscience pervertie et troublée. N’est-ce point tomber dans un précipice, que de n’avoir plus pour guide le flambeau de la foi chrétienne, et d’être ainsi frappé d’aveuglement? Oserais-tu le croire? Si l’on n’était tombé dans le piège, on verrait devant soi. On ne sait pas plus où l’on va que le voyageur qui s’est jeté dans un trou, et qui a perdu son chemin. Ainsi en est-il de tous les méchants : en s’engageant dans la voie du crime, ils se sont écartés du droit chemin.

Mais ton ennemi est peut-être déjà parvenu à te livrer aux mains des voleurs, de gens injustes, ou de juges circonvenus par lui: pendant que ton âme est noyée dans l’affliction, il est dans la joie, il s’abandonne aux transports de l’allégresse. Prends-y garde, je te l’ai déjà dit: ne considère pas les choses avec les idées d’un païen : vois-les d’un oeil chrétien. Ton adversaire se livre à la joie cette joie même est la fosse où il tombe. La tristesse d’un homme qui souffre injustement, est de beaucoup préférable à la joie d’un méchant qui fait le mal. La joie à laquelle le méchant s’abandonne, est vraiment le précipice où il se jette: une fois qu’il y est tombé, il ne voit plus rien ; il est devenu aveugle. Tu te lamentes, pour avoir perdu tin vêtement: ton frère a perdu la foi, et tu ne verses aucune larme sur lui ? En est-il un seul parmi vous qui ait fait une perte semblable? Ton ennemi t’assassine, tu tombes sous ses coups : vit-il? Es-tu mort? Non. Chrétiens, qu’avez-vous fait de votre foi ? Que devient celui qui meurt corporellement? Ecoutez le Seigneur; il vous dit: « Celui qui croit en moi vivra, lors même qu’il  mourrait ». Par une conséquence naturelle, celui qui ne croit pas est mort, lors même qu’il est vivant. « Ils ont creusé une fosse devant moi, et ils y sont eux-mêmes tombés ». Il faut nécessairement qu’il en soit ainsi à l’égard de tous les méchants.

15. Par leur patience les bons ont le coeur toujours prêt à faire la volonté de Dieu; ils

mettent leur gloire à souffrir, et ils disent : « Mon coeur est prêt, Seigneur 2; mon cœur est prêt: je chanterai et je psalmodierai vos

 

1. Jean, XI, 25. — 2. Ps. LVI, 8.

 

 louanges ». Comment mon ennemi s’est-il conduit à mon égard? Il m’a tendu un piège:

mais mon coeur est prêt. Il a préparé une fosse devant moi, pour m’y faire tomber, et je ne préparerais pas mon coeur à souffrir ses ruses méchantes? Il a préparé une fosse devant mes pieds, afin de m’opprimer, et je ne préparerais pas mon coeur à le supporter? Puisqu’il a creusé cette fosse, il y tombera pour moi, je chanterai et je psalmodierai. Ecoute l’Apôtre : son coeur était prêt, car il imitait parfaitement le Seigneur son Dieu. « Nous nous glorifions », dit-il, « dans l’affliction, car l’affliction produit la patience, la patience produit la pureté, la pureté produit l’espérance, et l’espérance ne confond point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné 1 ». Il souffrait, il était chargé de chaînes, jeté en prison, accablé de coups, éprouvé par la faim, la soif, le froid et la nudité, surchargé enfin de travaux et de douleurs 2 et, pourtant, il disait : « Nous nous glorifions dans nos afflictions ». Comment pouvait-il parler de la sorte, sinon parce que son coeur était prêt? C’est pourquoi il chantait et psalmodiait. « Mon coeur est prêt, Seigneur ; mon coeur est prêt; je chanterai et je psalmodierai vos louanges ».

16. « Réveillez-vous, ma gloire ‘». Ainsi s’exprime celui qui s’était réfugié dans une caverne, loin de la présence de Saül. « Réveillez-vous, ma gloire ». Que Jésus soit glorifié après sa passion. « Réveillez-vous, ma harpe et mon luth». Qui est-ce qu’il invite à se réveiller? Je vois bien ici deux instruments de musique, mais je ne vois dans le Christ qu’un seul corps : une seule chair est ressuscitée, tandis que nous voyons se lever la harpe et le luth. Autre est la harpe, autre est le luth. On nomme instruments de musique tous les objets qui contribuent à cet art; qu’ils soient de grande dimension et se gonflent à l’aide du vent, peu importe ; pourvu qu’ils servent à moduler des airs et qu’on puisse les saisir, on les appelle ainsi, quelle que soit d’ailleurs leur forme. Tous ces instruments sont différents les uns des autres: je voudrais, autant que Dieu me le permettra, vous faire comprendre en quoi consiste cette différence, vous en expliquer la raison et vous montrer pourquoi le Prophète dit à tous: « Levez-

 

1. Rom. V, 3-5 —  2. II Cor. XI, 27. — 3. Ps LVI, 9.

 

vous ». Nous en avons déjà fait la remarque: il n’y a eu, en Jésus-Christ, qu’un seul corps pour ressusciter, tandis que le Psalmiste dit: « Levez-vous, ma harpe et mon luth ». Pour la harpe, celui qui en joue la porte dans ses mains : ses cordes sont tendues mais l’endroit d’où elles tirent leurs sons, et le bois concave qui pend et qui résonne, dès qu’on le touche, parce qu’il reçoit l’air, se trouvent à l’extrémité supérieure de cet instrument. Le luth, au contraire, porte à son extrémité inférieure ce bois concave et sonore. Dans la harpe, les cordes reçoivent donc d’en haut leurs sons: dans le luth, elles les reçoivent d’en bas : entre ces deux instruments, voilà toute la différence. Que nous représentent-ils l’un et l’autre? Le Christ, notre Seigneur et notre Dieu, réveille sa harpe et son luth, et il dit: « Je me lèverai dès le matin ». Vous voyez là, sans doute, une allusion à sa résurrection, car nous connaissons l’Evangile, et vous savez à quelle heure il est sorti du tombeau. Combien de temps chercherons-nous encore le Sauveur au milieu des ténèbres? Le jour est venu, reconnaissons-le donc : il est ressuscité dès le matin ». Mais que signifient la harpe et le luth? Le Christ s’est servi de son corps pour deux sortes d’oeuvres bien différentes : pour  opérer des miracles, et pour endurer des tourments. Les miracles venaient d’en haut: les souffrances venaient d’en bas.

 

 

 

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